La mission commune d'information organise une table ronde sur la place des stades dans la cité. Sont entendus :
directeur général en charge du développement et la communication du cabinet d'architectes Wilmotte et associés, et M. Ralf Levedag, architecte ;
- et M. Paul De Keerle, directeur financier et administratif de la fédération française de rugby, et M. François Clément, architecte.
La mission commune d'information sur le sport professionnel et les collectivités territoriales, créée début octobre, souhaite examiner plus précisément la question des stades, leur modèle économique et leur place dans la cité. Grâce à la précédente table ronde consacrée à leur modèle économique, nous avons pris la mesure des nouveaux enjeux qui président à l'avenir des stades et semblent renvoyer à leur dimension financière. Le stade devient un actif, une source de recettes à travers la billetterie, les loges, la restauration et les produits dérivés. Peut-on alors toujours parler du stade comme d'un lieu de convivialité et de vivre ensemble ? Afin de se forger son opinion, notre mission a visité différents sites au mois de décembre. Ces visites, si elles ne résument pas la diversité des situations, identifient des tendances que nous pouvons discuter aujourd'hui.
À Roland-Garros, les dirigeants de la fédération française de tennis (FFT) ont insisté sur l'histoire du site et l'identité du tournoi, très liés à la Porte d'Auteuil. À leurs yeux, « une délocalisation en banlieue aurait dévalorisé le tournoi ». L'extension du stade est ainsi devenue un enjeu stratégique, y compris pour la Mairie de Paris, et ce malgré les protestations de certains riverains. Le prestige de la compétition et l'importance des retours - notamment en termes d'emploi - justifient de trouver des solutions, quitte à transformer l'espace local au bénéfice du stade.
Lors de notre visite au Parc des Princes, nous avons constaté que les clubs composent également avec la personnalité des stades. L'enceinte parisienne est difficile à faire évoluer et impossible à faire disparaître. Ce constat peut perturber les ardeurs des investisseurs. La dimension patrimoniale peut pourtant être un atout lorsque le stade est lié à l'identité d'un club. Roger Taillibert, l'architecte du Parc des Princes, souligne les contraintes propres au stade dans la ville qui rendent difficiles les constructions de plus de 60 000 places, notamment pour assurer l'accessibilité et préserver la qualité du spectacle pour tous les spectateurs. Jean-Claude Blanc, directeur général délégué du Paris Saint-Germain, nous l'a dit : « Pour avoir de l'émotion collective, il faut être proche ». Ainsi, le club n'a jamais sérieusement envisagé de déménager au Stade de France, trop impersonnel. Le Parc des Princes est aujourd'hui plein à chaque match. Des aménagements sont envisagés pour augmenter sa capacité, sans le défigurer.
La démesure de certains stades et projets actuels pose des questions. Pourquoi construire de gigantesques enceintes dans des zones inaccessibles ? Outre le risque financier considérable, cela peut être perçu comme un manque de considération envers le public - mal placé et confronté à un temps de transport important - et être défavorable au développement d'un public familial et de proximité.
Un stade est également un équipement public qui dialogue avec son espace immédiat. L'Aréna 92 émergera prochainement à Nanterre, derrière l'Arche de la Défense, et accueillera l'équipe de rugby du Racing Metro 92. Ses concepteurs nous ont expliqué la nécessité d'une localisation au carrefour de grands réseaux de transports - RER, métro, autoroute - et de la possibilité de drainer un public proche. En cela, l'enceinte semble particulièrement bien située. Nous pouvons toutefois nous interroger sur une nouvelle tendance visant à concevoir les stades comme des salles de spectacles au sein desquelles il est possible d'organiser des compétitions sportives et non l'inverse. La gestion par des sociétés spécialisées dans le spectacle crée un risque que le public devienne uniquement consommateur et que l'ambiance des stades s'en ressente.
Gérard Perreau-Bezouille, premier adjoint de la ville de Nantes, nous l'a rappelé : « Le sport est porteur d'identité et doit s'intégrer dans un projet sportif local ». Le club de basketball de Nanterre, champion de Pro A en 2013 avec des moyens limités, constitue une fierté pour une population souvent modeste qui peut connaître un sentiment de relégation propre à la banlieue. Le projet sportif devient alors collectif et dépasse le sport. Il relie les bonnes volontés des professionnels et des bénévoles pour porter une équipe et des espoirs. La démarche importe autant que les résultats. Le maintien de l'aléa sportif fait alors sens, à un moment où beaucoup réfléchissent à la création de ligues fermées. Cette évolution n'empêche pas d'être réaliste. Les responsables de Nanterre ont ainsi décidé de limiter les investissements ainsi que la capacité de l'enceinte - à 3 000 places - afin d'éviter de futures désillusions.
La diversification à laquelle nous assistons rend difficile la comparaison entre le PSG et un petit poucet comme le club de Nanterre. Nous pouvons toutefois nous interroger sur les évolutions en cours. Le succès de Nanterre sera-t-il encore possible dans quelques années ?
Pour discuter de ces évolutions, je remercie de leur présence les intervenants d'aujourd'hui. Je laisse tout de suite la parole à Mme Borina Andrieu.
Au préalable, permettez-moi de vous présenter Ralf Levedag, directeur de projet au sein de notre cabinet et notamment co-auteur du projet du stade de Nice - dont nous sommes très fiers.
L'agence Wilmotte et associés a été créée en 1975 et emploie aujourd'hui 201 personnes. Nous disposons de quatre bureaux à Paris, d'un bureau dans le stade de Nice, d'un bureau à Londres, d'antennes en Corée, en Italie et au Brésil et nous nous développons dans une vingtaine de pays. Nous possédons une fondation à destination des jeunes architectes en vue de leur apprendre à s'inscrire dans un cadre urbain relativement dense. Nous oeuvrons dans le domaine de l'architecture d'intérieur, de la muséographie, de l'urbanisme et du design industriel.
Je souhaite aborder l'exemple du stade de Nice, résultat d'un partenariat public-privé (PPP) remporté avec Vinci. L'enceinte de 35 000 places a été réalisée en seulement deux ans et s'inscrit dans l'Eco-Vallée. Son mouvement a dicté la forme même de la construction de 54 000 mètres carrés, bâtie dans un important porte-à-faux en zone sismique. Le stade de Nice est écologique et sa charpente en bois et métal est la plus grande jamais déployée. Il possède de larges déambulatoires et offre aux spectateurs une proximité avec le terrain ainsi qu'un grand confort d'utilisation.
J'insiste sur les éco-quartiers développés autour du stade. Ces derniers mêlent centre commercial, bureaux et logements ainsi qu'un musée du sport rattaché à l'enceinte. Ikea s'est battu pour être présent dans cette zone dont elle constitue une locomotive bénéfique au développement de l'ensemble du périmètre. À proximité du stade se trouve également une tour en bois avec un noyau en béton, très innovante. Toutes les constructions du quartier sont écologiques.
L'aspect économique entre naturellement en jeu. L'exploitation du stade a été prise en charge par une filiale de Vinci puis reprise par Allianz Riviera. Il existe un équilibre entre les événements sportifs - nombreux mais insuffisants pour assurer l'efficacité financière du stade - et d'autres événements - concerts, conférences. Le développement commercial autour du stade est également important. Le projet que nous avions présenté à Nanterre est arrivé en seconde position. L'équilibre financier provenait, en dehors du sport, de bureaux intégrés à l'Aréna 92, de l'événementiel et du nomage.
Nous avons par ailleurs dessiné un stade pour la ville russe de Kaliningrad. La FIFA a choisi Kaliningrad pour accueillir la Coupe du Monde 2018 notamment en raison de cette enceinte urbaine qui permet un développement intéressant pour la ville. Le stade sera réalisé en deux phases, l'une de 45 000 places pour la Coupe du Monde, l'autre de 25 000 places à l'issue de la compétition - la ville d'un million d'habitants n'ayant pas besoin de davantage. Les bâtiments alentours, pour beaucoup des hôtels, accueilleront les visiteurs avant d'être transformés en logements. L'équilibre entre logements, bureaux et espaces commerciaux permet une mixité sociale et fonctionnelle.
Nous menons également un projet à Kiev, autour d'un stade de hockey sur glace. Des logements, des bureaux et un centre commercial s'étendront sur 600 000 mètres carrés et constitueront le moteur du développement de cette zone excentrée de la ville. Cet éloignement permet de construire des bâtiments de grande hauteur.
Enfin, nous présentons un stade au Qatar, aux côtés de Vinci. Notre proposition porte sur une enceinte construite en deux phases, de 45 000 places durant la Coupe du Monde 2022 à 25 000 places ensuite. Le Qatar, minuscule pays, envisage de construire dix à douze stades pour l'occasion, dont l'un de 80 000 places. Nous proposons un stade unique à énergie positive qui cumule les cellules photovoltaïques dans la terre armée et les restitue durant le match pour un refroidissement très efficace.
Je vous remercie. Je passe la parole à Jérôme Latta, rédacteur en chef des Cahiers du football.
Votre table ronde met côte à côte le stade et la cité. Nous nous posons alors la question de l'insertion des stades dans le tissu urbain, de l'évolution de leur architecture, des moyens de transport ou encore de leur usage par les habitants. Je passerai sur cet aspect.
Le terme de cité permet d'élargir le point de vue et de considérer les rapports entre les stades et les citoyens, au travers notamment des choix des collectivités et de leurs conséquences. Cette question est saillante en France, où la rénovation et la construction de stades est en oeuvre dans la perspective de l'organisation de l'Euro 2016. Les dossiers et débats à ouvrir sont nombreux : financement public, évaluation du risque collectif, effort consenti. Les interrogations se sont multipliées assez tardivement sur l'intérêt général de ces efforts - particulièrement en période de crise - ainsi que sur le partage des bénéfices, financiers comme symboliques.
Il convient par ailleurs de s'éloigner des problématiques urbaines pour se placer au coeur de la citoyenneté, si nous pouvons considérer que le public des stades est constitué de citoyens, ce qui n'est pas certain. Les publics sont en effet les grands oubliés du débat. Depuis une quinzaine d'années, les stades se transforment. Ils deviennent l'outil de l'industrie du spectacle qu'est devenu le sport professionnel d'une part et un centre de profits destiné à multiplier les ressources d'autre part. Cette évolution a été menée précocement en Angleterre avec l'expropriation des publics populaires dans les stades de l'élite au profit d'un public au plus fort potentiel de consommation. La lutte contre les violences a servi de point de départ et de prétexte à ces changements. Ces problèmes, bien que réels, ont significativement servi un football qui s'étend et se libéralise de façon spectaculaire.
Les politiques répressives menées en France, censées cibler la frange très minoritaire des supporters violents, excluent les ultras abusivement amalgamés aux hooligans. Les interdictions administratives de stade sont aux marges de la légalité et frappent « préventivement » et sans discernement des individus qui n'ont rien à se reprocher, sans passage devant le juge. Le ministère de l'intérieur a annoncé hier que ce dispositif serait renforcé. Les interdictions de déplacements, parfois ubuesques, relèvent de cette même politique de privation de libertés individuelles. La frappante absence de dialogue montre comment les pouvoirs publics, les clubs et les médias privent de parole les publics du football. À l'automne, le ministère des sports a mis en place un groupe de travail - « Football durable » - sans représentant des publics et sans mention de cette problématique. Le principal objectif était d'assurer les compétitivités sportives et économiques des clubs. Cette démarche pose problème, car les publics se situent au coeur de l'industrie en tant que consommateurs et marchandises, vendues au travers des droits TV.
Je profite de ma présence pour demander aux élus de la République d'assurer que le débat ne soit pas laissé aux seuls acteurs économiques et institutionnels et mette les citoyens au coeur de la problématique.
Je vous remercie pour ce message. Je passe la parole à Brieux Férot, secrétaire général de l'association Tatane.
Tatane est un mouvement collectif constitué en 2011 pour promouvoir un football durable et joyeux. Il compte environ 6 000 signataires sur l'ensemble du territoire. La place du stade dans la cité constitue un axe de réflexion de notre travail. Les débats que nous organisons avec des architectes, sociologues, exploitants et supporters portent sur une question volontairement provocatrice : « Faut-il construire des stades ou les abattre ? »
Le stade version Tatane doit être créateur de lien social et faire sens pour les riverains et la vie de la cité. En dehors des soirs de matchs, il doit revitaliser les quartiers jusque-là difficiles. Les dirigeants de clubs amateurs et professionnels que nous avons rencontrés soulignent l'évolution de la réflexion autour du stade : désormais, la buvette ne se conçoit plus aux abords du stade - à Wembley, l'accès à la tribune se fait nécessairement par les boutiques. Pourtant, pour nous, le stade n'est pas un lieu de consommation ayant vocation à appauvrir.
Nous pensons le stade au travers d'une dynamique de quartier. À Buenos Aires, le stade de Boca Junior comprend des salles de classe et de soins pour accueillir les supporters et leurs enfants. Le stade doit s'adresser et se décider à plusieurs, comme aux États-Unis. Malgré le système de franchises, des arènes multisports impersonnelles et un lien éphémère entre le club et la ville, les supporters de Green Bay sont propriétaires du club depuis 1923, sous forme de coopérative. À qui appartient le stade ? Cette question est récurrente et fondamentale dans la conception et l'utilisation.
Le stade Tatane tient compte de l'histoire des quartiers dans la perspective de se réinventer. À Saint-Ouen, un projet prévoit de construire un nouveau stade dans les docks, alors qu'une réhabilitation du stade historique couplée avec une politique de réaménagement des quartiers alentour pouvait être envisagée. Le savoir-faire revivre est important. La vie d'un stade ne peut pas être délocalisée. Chaque citoyen doit voir l'enceinte, qui ne doit donc pas être expurgée loin du centre-ville.
La connaissance des publics est nécessaire au stade Tatane pour proposer des services adaptés et doit aller au-delà de la temporalité d'un seul événement. Lorsque le terrain côtoie salle de spectacle, lieu associatif, pépinière d'entreprises, antenne médicale ou maison des jeunes et de la culture (MJC), le brassage créé est important. Le stade est ainsi rempli de publics « alternatifs » pour devenir un lieu de vie.
Il est également nécessaire de voir comment le stade peut être sa propre source d'énergie. Le stade de Fribourg est financé par les habitants en échange d'un abonnement et d'une rémunération issue de la vente d'électricité produite sur le site.
Enfin, le stade Tatane doit permettre de déployer l'imaginaire et proposer une esthétique forte. Il doit, a minima, respecter l'architecture du quartier. Il doit traduire la complexité et la simplicité du vivre ensemble et constituer une source d'espoir.
Je vous remercie. Je laisse la parole à Paul De Keerle pour évoquer le projet du stade de la fédération française de rugby.
La fédération française de rugby (FFR) offre une mission de service public et d'intérêt général. Notre force et particularité est de participer à une ligue fermée - tournoi des six nations et tests matchs, connus jusqu'en 2018. À la sortie de la seconde guerre mondiale, nous étions en concurrence avec le rugby à XIII. Ce dernier est aujourd'hui loin des 400 000 licenciés que compte le rugby à XV. Notre richesse repose sur une compétition répétitive, de qualité et prévisible. Cette ligue fermée supprime l'aléa sportif. Lorsqu'un stade se construit, nous pouvons raisonner sur du long terme. La problématique est plus compliquée pour les clubs.
L'essentiel de nos ressources - environ 75 % - dépend du tournoi et des tests matchs. Ainsi, si nous sommes dans l'incapacité de recevoir nos adversaires, l'économie s'en ressentira. Avec cette part, nous avons construit le centre national de rugby, qui nous permet également de recevoir des équipes d'autres sports. Marcoussis est « l'équivalent » de Clairefontaine, plus moderne. La FFR finance également les déplacements des clubs de séries, ce qui est très rare parmi les fédérations. Sans ces financements, beaucoup de compétitions n'auraient pas lieu. Entre les joueurs et le staff, une équipe compte une trentaine de personnes, ce qui rend les déplacements beaucoup plus compliqués qu'au basketball. Notre sport possède des qualités en termes de valeurs et de combat collectif : nous nous battons contre un adversaire tout en respectant des règles.
Nos adversaires, notamment anglais, possèdent leur propre stade. Notre démarche n'est donc pas exceptionnelle. Les enjeux économiques dans le rugby progressent. Nous faisons face à des conflits de dates. L'Euro de football 2016 se déroulera en France ; l'ensemble des stades dédiés sera neutralisé dès le mois d'avril. Durant la même saison, la Coupe du Monde de rugby se jouera en Angleterre, reculant le démarrage du championnat des clubs professionnels. Pour se jouer au Stade de France, la finale du Top 14 devrait se tenir le 15 avril, ce qui est impossible. La finale devra-t-elle se jouer à l'étranger en 2016 ? À Barcelone, Perpignan parvient à remplir un stade de 40 000 places et Bayonne et Biarritz jouent régulièrement à San Sebastian. Nous avons rencontré des problèmes de dates au Stade de France en raison de concerts ou d'un potentiel match de barrages. Les stades en province sont principalement dédiés au football. Lorsque nous envisageons de jouer le dimanche à Lyon, nous devons vérifier qu'un match de Ligue des Champions n'est pas programmé le mercredi en raison de la pelouse. Nous avons eu de mauvaises expériences à Lyon et à Marseille. Lorsque le Rugby Club Toulonnais (RCT) a joué à Nice récemment, la pelouse a dû être entièrement refaite après deux matchs. Il en est allé de même à Lille après un match contre l'Argentine. De plus, nous ne pouvons pas prévoir un match à Lyon ou à Marseille au mois de février pour novembre puisque le calendrier de la fédération française de football (FFF) n'est établi qu'au mois de juin. Face à des enjeux importants, les stades sont indisponibles.
Pour ces raisons, nous souhaitons posséder notre propre stade. Après consultation, nous avons décidé de l'installer au sud de Paris. Le club résident ne sera pas un club parisien, mais l'équipe de France. Ainsi, le public viendra de toute la France. Les modalités de transport sont très différentes de celles du Parc des Princes ou de l'Aréna 92. Twickenham se situe à 55 minutes de la gare de Saint-Pancras. La gare de RER qui desservira notre stade est à moins de 40 minutes de la Gare du Nord. Le site est bordé par deux grandes voies, une gare RER et possède un accès direct à la gare de Massy TGV. Situé à 30 kilomètres de Paris, il sera ouvert sur l'ensemble du territoire et permettra aux gens de toute la France de venir plus rapidement et à des frais moindres.
Je suis l'un des directeurs de l'agence d'architecture Populous, spécialisée dans les équipements sportifs. Nous possédons des bureaux à Londres, Kansas City et Brisbane. Nous avons conçu et réalisé près de 50 % des stades de plus de 60 000 places construits dans le monde depuis 30 ans, ce qui représente notamment plus de 300 000 sièges de rugby. Nous étions notamment concepteurs de la tribune sud de Twickenham, du Millenium Stadium de Cardiff et de l'Aviva Stadium de Dublin. Nous nous sommes également occupés de la rénovation de plusieurs stades néo-zélandais pour la Coupe du Monde 2011. Notre agence est la seule à avoir réalisé trois stades olympiques - Sidney, Londres et Sotchi. Nous avons rénové le stade de Wimbledon. Ainsi, nous possédons l'expérience de ce que sont les stades - en ville comme en dehors, construits ou rénovés - et de la manière de les utiliser.
S'agissant de la place du stade dans la cité et de son modèle économique, j'apporterai un éclairage international à votre préambule. Vous évoquez Roland-Garros et le génie du lieu ; il est vrai que les stades sont souvent réalisés ainsi. La volonté politique était de construire l'Aviva Stadium au même emplacement que Lansdowne Road, comme cela a également été le cas pour Millenium Stadium ou Wembley. Certains stades sont toutefois rebâtis ailleurs. Avant le Stade de France, l'équipe de France évoluait au Parc des Princes et, avant cela, à Colombes. Ces décisions appellent des données très larges à prendre en compte, qui sont ou non valables selon les enceintes.
Je suis d'accord avec vos propos sur la nécessité d'une proximité pour la convivialité. Cette convivialité diffère au Stade de France car, comme tous les stades olympiques, il possède une piste d'athlétisme. À Munich, le Bayern a souhaité un nouveau stade pour cette raison. Le dimensionnement et la capacité d'un stade ne sont cependant pas déterminants dans la non-convivialité. La convivialité à Twickenham est incommensurable. Le match est seulement la mi-temps du temps passé par les gens dans le processus entier, pour aller et revenir. L'expérience est globale, bien au-delà du match.
Vous parliez des équipements publics qui constituent effectivement une spécificité française. La ligue fermée est un avantage incommensurable vis-à-vis des autres sports et fédérations. Sur la question de la consommation et des offres supplémentaires, pourquoi ne pas proposer autre chose qu'un hot-dog ? Enfin, la question de l'impact d'une reconstruction dans un tissu urbain existant se pose. Le stade doit être appréhendé comme générateur de tissu urbain. Il constitue une manne rare qu'il convient d'imaginer. Je ne parle pas des stades à l'américaine qui possèdent un immense parking et un centre commercial. Des opportunités existent pour développer un tissu urbain avec des équipements propres.
Vous avez visité des stades : cette démarche est primordiale.
Je vous remercie pour ces interventions. Pouvez-vous confronter les projets sur lesquels vous travaillez - ou avez travaillé - avec la conception du stade Tatane ?
Je pense effectivement que nombre des points énoncés apparaissent dans les programmes des maîtres d'ouvrages. Si cela fait sens, il est parfois impossible de le mettre en oeuvre. Nous n'avons pas évoqué le transfert de la mono-fonctionnalité des équipements qui fait qu'un stade devient un équipement civique dans lequel divers événements peuvent être organisés. Tous ces points sont à développer.
Plusieurs problématiques sont mentionnées dans le stade Tatane. Le stade du Ray à Nice était mythique, situé en milieu urbain. Nous devions recréer une nouvelle identité, dans une zone déserte dont le stade constituait la première pierre. À l'intérieur de l'enceinte se trouvent un musée national du sport et un centre commercial. Le stade est pensé pour être multifonctionnel et accueille 200 événements chaque année.
Nous étions guidés par deux éléments qui se retrouvent dans le stade Tatane. Nous avons considéré l'événement dans le stade avec la volonté de créer un environnement chaudron, mais ouvert. Lors de l'inauguration, des architectes nous ont demandé pourquoi nous avions installé des fenêtres partout dans le stade. Cette ouverture vers l'extérieur est importante. L'espace de déambulation a été doublé afin que le lien avec l'extérieur se réalise dans la convivialité. Le stade a été pensé depuis la sortie des transports pour que chaque moment avant le match devienne un événement. L'architecture est secondaire. L'événement est large et s'inscrit dans la ville. Le stade guidera le développement du quartier.
Lors de la présentation du projet de stade de la FFR, vous avez insisté sur la visibilité issue de la ligue fermée. Pensez-vous que, dans la réflexion des élus sur l'élaboration des stades, l'aléa sportif est un élément important à prendre en compte ? La conception du sport telle que nous la connaissons - compétition, prime au résultat - ne disparaît-elle pas ?
La ligue fermée constitue l'un des arguments des promoteurs du stade de la FFR. Les stades de Grenoble - financement public - et du Mans - financement PPP - sont deux exemples d'enceintes modernes désastreuses, bénéficiant pourtant de l'enthousiasme et d'une unanimité parmi les clubs, les médias et les élus ainsi que d'une architecture réussie. La viabilité des investissements publics repose sur la réussite sportive des clubs. Or, les deux ont été relégués, compromettant la viabilité économique des stades. Les conséquences sont lourdes, tant pour les clubs que pour les agglomérations.
Le Stade de France est un exemple différent. L'État avait offert la garantie qu'un club résident y évoluerait ; il s'était alors engagé pour une entreprise privée : le Paris Saint-Germain. In fine, le club a décidé de rester au Parc des Princes. La rentabilité du stade n'est désormais assurée que par l'indemnité versée par l'État et prévue au contrat. Sans cette subvention, le Stade de France n'est pas rentable.
Je considère que nous devons proscrire l'engagement d'un financement public sur un aléa sportif. Bien que Nice constitue un important bassin de population et que la taille du stade est raisonnable, sa viabilité économique globale dépendra des performances sportives du club.
Nous évoluons vers les ligues fermées pour lesquelles certains militent, sans toutefois atteindre le modèle américain. En Ligue des Champions, le système inégalitaire de redistribution des ressources assure la présence des mêmes clubs dans le tableau final et offre de plus grandes chances de réussite sportive en les enrichissant. Il s'agit des conséquences d'une dérégulation sans intervention des institutions sportives ou publiques. Le risque est de promouvoir des ligues fermées afin d'assurer la viabilité économique des stades. Ces ligues sont en contradiction totale avec le principe de promotion et relégation. Des pressions pourraient exister pour que les clubs concernés restent dans l'élite et évitent un désastre économique.
Le Stade de France dégage des ressources. Dans le cadre d'un PPP, la ville s'acquitte d'un loyer. L'État, propriétaire, a financé 50 % de la construction et paie un loyer en l'absence de club résident. L'État, à travers le ministère des finances, bénéficie toutefois d'une partie des ressources dégagées par le stade via les impôts sur les sociétés et le différentiel de taxe sur la valeur ajoutée (TVA). L'analyse macro-économique du Stade de France montre que l'État n'a pas perdu d'argent. Le budget du ministère des sports est impacté par l'absence de club résident, mais la vision doit être globale. Le concessionnaire est, de plus, largement gagnant.
Les promoteurs doivent calculer le risque lié à l'aléa sportif et développer des activités connexes. Il semble par ailleurs logique qu'un club soit relégué pour des raisons sportives, mais une descente pour des problématiques financières et de gestion est plus gênante. Les organes européens et français sont conscients de ces enjeux et installent des garde-fous. Nous avons la chance d'évoluer dans une ligue fermée et d'échapper à cette question.
Les ligues fermées sont paradoxales. Il est effectivement impossible d'y entrer ou d'en sortir. Aux États-Unis, la Cour Suprême a demandé un partage égalitaire des ressources afin d'assurer une concurrence sportive. Dans certains championnats européens, l'existence de cette inégalité n'est pas évidente. Même si les petits clubs ne peuvent pas intégrer les ligues fermées, les champions changent, ce qui n'est pas le cas dans nos championnats.
Nous entendons que le développement d'une autre économie dans les stades permet de limiter l'aléa sportif. N'est-ce pas de la poudre aux yeux, compte tenu des difficultés d'une gestion combinée des programmations sportives et musicales ? N'existe-t-il pas un risque de concurrence au niveau national ? Le modèle économique de ces stades est-il sérieux ?
La multifonctionnalité a effectivement ses limites, mais des pistes existent. Nous imaginons notre stade sans pelouse. Cette option est plus compliquée lorsqu'un club résident évolue dans l'enceinte. La pelouse synthétique est une solution. Dans les petits clubs qui ont opté pour ces pelouses, l'espace devient praticable pour de nouvelles activités. Il n'existe aucune solution miracle, mais des manières d'optimiser l'utilisation.
La multifonctionnalité est un argument de promotion d'une rénovation du parc de stades français, au même titre que le nomage. La pertinence de ces arguments est malheureusement remise en cause une fois les enceintes construites - l'Allianz Riviera de Nice est un contre-exemple. Le stade de Lille, avec sa pelouse partiellement rétractable, est un exemple opérationnel de la multifonctionnalité. Elle doit permettre d'accueillir 27 000 spectateurs dans la fosse. Des problèmes techniques se posent toutefois, comme nous l'avons constaté avec l'annulation d'un concert de Depeche Mode en raison de l'absence de chauffage dans la salle. Un programme d'étude a été mis en place en toute hâte. La question de la programmation se pose également, seuls deux concerts étant programmés sur l'année à Lille, ne permettant pas d'apporter les ressources nécessaires à la rentabilité du stade. Il en est de même au Mans. L'offre est insuffisante pour fournir des spectacles à l'ensemble des enceintes, surtout si celles-ci se multiplient.
Enfin, la multifonctionnalité a un coût, notamment avec la pelouse rétractable qui n'assure pas une rentabilité réellement supérieure à une pelouse classique.
Votre argumentation est à charge. Le produit, la démarche et le métier sont nouveaux. Le pire est de construire un stade utilisé uniquement une fois tous les quinze jours.
La réussite n'est pas celle annoncée. Il semble qu'un contentieux existe à Lille, où la municipalité ne paierait pas l'ensemble des sommes dues à l'exploitant.
La municipalité ne paie rien puisqu'elle a passé un contrat avec Eiffage, qui supporte le risque.
Des paiements sont simplement bloqués en raison de problèmes sur la réception du bâtiment.
À Lille, le concert de Depeche Mode n'a pas été annulé en raison de l'absence de chauffage, mais parce que le contrat prévoit l'annulation lorsque la température est inférieure à 17 °C - il faisait 14 °C ce soir-là.
Les stades des équipes nationales et des clubs doivent être distingués, car les problématiques sont différentes. Outre l'équipe nationale de football, Wembley est utilisé par des équipes de rugby pour certains matchs importants. La pelouse a été changée à plusieurs reprises avant de trouver la bonne. Quinze concerts sont par ailleurs organisés chaque année, ce qui est impossible à Lille en raison du calendrier du club. Twickenham accueille les matchs de l'équipe nationale de rugby, mais également cinq concerts par an, trois week-ends de rugby à VII - avec 180 000 personnes à chaque fois - ainsi que des matchs des Harlequins.
La multifonctionnalité va de pair avec la modularité afin que l'enceinte puisse indifféremment accueillir des événements à 20 000, 40 000 ou 80 000 personnes. Le financement modèle n'a pas encore été trouvé. Quel modèle économique permet de redévelopper les stades dans le système français ?
La notion de temps doit être considérée dans la réflexion. La MMArena, l'Allianz Riviera de Nice ou le Grand Stade de Lille sont de jeunes enceintes. Le stade de Nice a été imaginé avec un horizon de 30 ans. Son bilan économique garantit un grand concert par an.
La notion de temps est également importante sur le plan sportif, car un club relégué peut remonter dans l'élite. L'économie ne se crée pas uniquement dans le stade, mais autour. L'Allianz Riviera, outre un événement majeur annuel, accueille 200 autres événements dans l'année pour s'assurer des ressources. Le centre commercial entre également dans l'équilibre financier global du stade.
Enfin, la notion de temps compte dans la culture du spectateur qui se développera autour des enceintes créées aujourd'hui. Il existe en Europe de beaux exemples de stades qui fonctionnent à plein chaque week-end grâce au lieu et à la convivialité. Cette culture ne peut pas s'installer immédiatement.
L'éducation du consommateur prend du temps. La qualité de l'espace public alentour et des transports est importante dans cette optique.
Vous allez formater les nouveaux spectateurs pour les adapter au stade ; c'est une possibilité.
Notre mission s'intéresse aux problématiques sportives. Vos réponses sur les ligues fermées m'inquiètent. Pour rentabiliser l'outil, le budget des clubs doit être garanti. Les budgets actuels sont déraisonnables et les sommes engagées irréelles. J'ai connu un championnat de France de rugby à 64 clubs. Les spectateurs venaient car les joueurs étaient locaux, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. La formation est excellente, notamment dans le football et le rugby. Les jeunes rugbymen champions du monde des moins de 20 ans ne sont pourtant pas titulaires dans leur club. À certains postes, nous constatons en équipe de France que nous ne possédons aucun joueur de classe mondiale, car ceux-ci ne jouent pas dans leur club. Un problème d'éthique et de formation sportive se pose. Il semble que les équipes proposent un spectacle en se désintéressant du classement puisque les montées et relégations n'existent plus. La recherche de progression et l'esprit d'équipe disparaissent. Ce constat nous inquiète dans notre conception du sport.
Le mercato d'hiver - heureusement que la loi interdit le mercato à l'année - amène les joueurs à évoluer dans une équipe à laquelle ils n'appartiendront plus quelques mois après. La motivation est impactée. Je m'inquiète de la dérive de marchandisation du sport et de sa prise d'assaut par l'argent, au nom de la rentabilisation des équipements.
Le rugby gaélique irlandais est une ligue fermée dans laquelle un joueur est obligé de jouer pour sa province natale, ce qui démontre l'absence de lien entre ces ligues et l'internationalisation du sport. De plus, les règles du marché du travail s'imposent à tous. Dans le rugby, beaucoup de joueurs viennent du Pacifique. Cette question dépasse le cadre de votre mission.
Monsieur Férot, vous parlez de revitaliser les quartiers et les services à la personne. Vous citez des stades étrangers possédant des équipements publics en leur sein. Tatane est-elle associée à la réflexion de certains stades en France ?
M. Latta évoquait le coût pour les collectivités : à Grenoble, le coût du stade est de 1,9 million d'euros. Avez-vous des exemples dans lesquels les collectivités associent le stade avec des équipements publics utilisés toute l'année ?
Nous ne sommes pas directement associés à l'exploitation des stades, mais nous ciblons les élus et les architectes en amont. Ces derniers donnent leur propre lecture du cahier des charges publiques sur les façons de promouvoir la place du citoyen et de l'associatif dans la vie du stade. Les collectivités doivent se demander si ne pas considérer la montée sportive comme un objectif constitue un risque politique collectif. Cette discussion a eu lieu à Nanterre où le club de basketball est monté dix fois en quinze ans avec à sa tête une équipe concernée par les questions publiques. La montée en Pro A nécessitait de fédérer les partenaires pour que le modèle économique global soit adéquat. L'objectif était de construire un projet de territoire sur le long terme. Des acteurs privés et publics sont concernés. Le coût sportif ne doit pas rattraper la réflexion. Le projet sportif doit être pensé sur le long terme ; c'est lui qui impacte les montées et descentes des clubs, et non la présence d'argent frais.
Nous l'avons peu investiguée, mais la dimension interdisciplinaire du sport est intéressante. Peut-on parler en France de politique publique sportive ? Un élu doit cibler les équipes qu'il aide. Les fédérations, notamment dans le cadre de votre mission, peuvent-elles réfléchir à des pistes sur la manière d'accompagner différents clubs de différents sports dans des projets de territoire interdisciplinaire ?
L'élargissement ou non des droits TV à de nouvelles épreuves doit également être regardé. Ces sommes pourraient financer de tels projets sportifs sur le plus long terme.
Enfin, les enjeux de développement de l'emploi dans les territoires, autour des stades, sont importants d'un point de vue politique. Il convient toutefois d'identifier les emplois. La présence de MJC, d'associations ou de pépinières d'entreprises au sein des stades permettra d'accueillir et de créer des emplois qui doivent, peut-être, être intégrés au modèle économique global d'un site.
Nous voyons émerger une nouvelle génération de stades qui s'éloignent du coeur des villes. Historiquement - et ce constat est flagrant en Angleterre - les enceintes sont intégrées dans le tissu urbain. Les arénas, sans généraliser les situations, s'écartent du centre pour être construites en périphérie. Le coût du foncier est une explication, notamment à Décines pour le stade de Lyon. Ces choix posent question quant à l'intégration dans la vie citoyenne. Ils n'entrent ainsi plus dans l'idéal défendu par Tatane en vue d'une intégration dans les quartiers, auprès de différents publics. Les projets d'aménagements urbains qui en découlent diffèrent, en reposant essentiellement sur le commercial et l'immobilier d'entreprise. La question se pose sur la nature de l'aménagement urbain et ses conséquences.
Le stade du Red Star à Saint-Ouen est réellement intégré dans la ville. La municipalité promeut une nouvelle enceinte construite dans les nouveaux quartiers, près de la Seine. L'opposition des supporters est vive. Ces derniers proposent un projet de rénovation s'inspirant sur les exemples anglais. Le débat est intéressant et exemplaire sur les conséquences du choix du lieu des stades.
Depuis l'époque romaine, le rêve d'un architecte est d'intégrer un stade dans la ville. Deux points sont toutefois difficiles à marier : l'accessibilité et l'acoustique- contrainte énorme dès lors que l'enceinte est ouverte.
Nous devons éviter de construire des stades « satellites », éloignés de la ville et cernés de parking, au prétexte du prix du foncier. Cette solution de facilité est la plus mauvaise en raison de la distance créée autour de l'enceinte. Pour cette raison, nous avons intégré le parking dans le stade de Nice. Plutôt que de placer le stade dans la ville, nous ramenons la ville vers le stade.
Le stade de Kaliningrad est un réel exemple de développement dans la ville d'un quartier entièrement abandonné et sur des terrains meubles partiellement inondables. Dans son choix pour l'organisation de la Coupe du Monde 2018, la fédération internationale de football association (FIFA) a opté pour ce stade urbain qui permet un développement intelligent de la ville autour d'une mixité sociale.
Le visage de l'enceinte, que vous évoquiez en introduction, est également important. Nous réalisons peu de projets de stades, car chacun est pensé à l'image du lieu où il s'installe. Nous travaillons actuellement sur un projet près de Venise. Compte tenu de l'extension de la ville, le stade se situera sur la terre ferme, près de l'aéroport. Nous imaginons une enceinte reliée à la ville par un canal et accessible en bateau. Nous souhaitons une structure reconnaissable et intégrée.
La question de l'accessibilité est paradoxale. Le Parc des Princes se trouve en lisière de Paris. Il est à la fois peu et très accessible grâce à sa proximité géographique et les transports en commun qui le desservent.
Le Parc des Princes ne serait pas construit comme tel aujourd'hui.
Lorsque le projet du Stade de France a été présenté, beaucoup soulignaient le manque de parking. À l'usage, nous constatons pourtant que le stade est particulièrement bien desservi par le RER et le métro. La réussite est relative car, malgré sa réussite architecturale et sa forte identité, à l'intérieur, la visibilité et l'acoustique sont désastreuses. L'aménagement urbain est toutefois très cohérent autour de la Plaine Saint-Denis. Les logements et divers équipements publics ont été bien développés. La réussite d'un stade dépend pour beaucoup de la réussite globale du projet d'aménagement urbain. À Lyon, des interrogations subsistent sur cette réussite à terme sur les questions de rattachement, de desserte et sur le coût global pour la communauté.
Il ne faut pas oublier le temps de la ville et de sa création. Nous avons récemment participé à une conférence au Palais Brongniart. Un dirigeant de l'Espanyol Barcelone a expliqué que le club avait vendu le terrain sur lequel se trouvait le stade, pour sortir de la ville, au motif que la ville serait présente à cet endroit dans 50 ans. Cette construction prend du temps. La deuxième couronne actuelle sera peut-être intégrée à Paris d'ici 50 ans. À l'inverse, Arsenal a décidé de racheter une friche industrielle à moins d'un kilomètre d'Highbury pour construire son nouveau stade. La réflexion est différente entre les clubs et les nations. Un club reste chez lui.
L'impact de la multifonctionnalité doit être relativisé. Tous les stades de France n'accueilleront pas 50 concerts par an. Cette relativisation doit pousser les clubs à mettre le sport au coeur de leur économie et à s'assurer que tous les publics viendront dans des conditions identiques - nourriture, toilettes - quelle que soit la place achetée. Les clubs ont le pouvoir de remettre le sport au coeur de leur économie. Les ligues inférieures sont également concernées. Ces dispositions sont possibles même si le stade appartient à la ville et que le club en est uniquement locataire.
Twickenham n'a pas été construit dans le centre de Londres : la ville s'est agrandie. Il en est de même à Colombes où le stade a été construit sur un hippodrome en bordure de ville. Il est impossible de construire sur l'Ile de la Cité, trop chère et trop contraignante. Les stades sont implantés en périphérie, car ils doivent être accessibles, que les terrains sont moins chers et les contraintes moins nombreuses. Le stade que nous allons construire fait 70 mètres de haut ; il est inenvisageable de le construire dans le 16e arrondissement de Paris. De la même manière, il est quasiment impossible d'augmenter la jauge du Parc des Princes, puisque cela impliquerait de gagner en hauteur.
En Angleterre, Twickenham est surnommé « cabbage patch », soit le « champ de choux » en référence au terrain sur lequel il est construit.
Je souhaite revenir sur l'accès au stade par les publics. Nous passons d'un match de football ou de rugby à un spectacle sportif. En Angleterre, où les hooligans ont été chassés des stades, le public est désormais familial et consomme à l'intérieur de l'enceinte, en dehors du spectacle sportif. Dans le même temps, les stades sont aseptisés, les spectateurs restent assis. Nous trouvons-nous à un tournant dans notre manière d'appréhender le sport où le supporter devient spectateur au sein des infrastructures ? Le modèle économique passe peut-être par là. Avez-vous cette problématique en tête à l'aune d'un projet ? Pouvez-vous, architectes, assurer aux collectivités que leur projet permettra la mixité - entre supporters et public familial, entre personnes modestes et plus aisées ?
Avant de laisser les concepteurs répondre, je reviens sur l'exemple anglais que nous évoquions. Les clubs anglais ne restent pas chez eux. Highbury était un chef-d'oeuvre architectural trop exigu compte tenu des ambitions d'Arsenal. L'architecture de l'Emirates Stadium, partiellement financé par le nomage, est terne et sans personnalité. Au début du projet, l'argumentaire d'Arsenal reposait sur la possibilité de permettre à davantage de supporters d'accéder au stade en passant d'une jauge de 35 000 places à une jauge de 60 000. Dans le même temps, le prix des places a fortement augmenté en Angleterre - particulièrement à Arsenal - jusqu'à être parmi les plus élevés d'Europe. En Allemagne, nous avons assisté à une vague de construction pour la Coupe du Monde 2006. Les clubs garantissent pourtant une politique de prix accessibles pour les publics populaires. Le rapport entre les prix les plus bas pratiqués en Allemagne et ceux constatés en Angleterre est de 1 à 10. Les nouveaux stades servent les projets d'augmentation des ressources qui passe par une plus grande sélectivité des publics. L'exemple est notable en France avec le Paris Saint-Germain dont la nouvelle politique des propriétaires et la dissolution des clubs de supporters va dans ce sens. Le public est plus calme, mais un problème de fond se pose.
Serge Blanco raconte qu'avant le premier match de Biarritz délocalisé à San Sebastian, contre une équipe irlandaise, les autorités espagnoles s'interrogeaient sur les modalités d'acheminement des supporters des deux clubs afin de prendre les mesures adéquates - bus, escorte policière, tribunes séparées. À leur grand étonnement, le club a indiqué que les supporters des deux équipes arrivaient de divers endroits, dans les mêmes transports et seraient mélangés dans les gradins. Il n'existe pas de recette magique. La convivialité est naturelle dans le rugby. Malgré la violence sur le terrain, les tribunes sont en fête.
Les normes en vigueur et la sécurité dans les stades coûtent cher. Ce coût doit être supporté par quelqu'un. Le prix des places augmente alors nécessairement. Nous voulons un stade de 80 000 personnes, ouvert à tous et permettant la mixité. Pour que certains spectateurs paient seulement 10 ou 15 euros, d'autres doivent payer davantage. Ce raisonnement doit être celui d'un sport social.
Les médias imposent-ils des contraintes aux architectes dans la construction des stades ?
Les contraintes techniques ne sont pas une spécificité des médias. Nous devons nous assurer que l'éclairage est adéquat pour des retransmissions et que les plates-formes télé soient installées conformément aux demandes des médias. Les attentes diffèrent selon les pays, les chaînes et les sports. En France, Canal+ et France Télévisions mettent en place des dispositifs différents. De même en rugby, la caméra couvre l'ensemble du terrain, alors que les plans sont plus nombreux en football.
Nous n'avons pas de contraintes spécifiques pour assurer la convivialité. Certains maîtres d'ouvrages veulent parfois reproduire ce qu'ils ont vu ailleurs. Il est intéressant pour un architecte de concevoir un stade qui assure la convivialité, en plus de la visibilité. Le stade de la fédération française de rugby est organisé en millefeuille avec un déambulatoire grand public ouvrant directement sur la jauge et permettant la proximité de 29 000 places. À l'étage, nous retrouvons un balcon de 10 000 places au premier niveau et 3 000 places sur deux niveaux de loges. Au-dessus, une seconde jauge accueille 39 000 personnes. Cette organisation assure la convivialité, d'une part, une proximité pour l'ensemble des spectateurs, d'autre part.
Nous retrouvons des pratiques issues du football américain suivant lesquelles les maîtres d'ouvrages demandent que l'ensemble de la tranche entre les 22 mètres soit utilisé pour des places à prestation. En tant que concepteur, nous tentons de répondre aux attentes du maître d'ouvrage. Pour assurer la convivialité, nous avons proposé d'installer des plateformes de 25 mètres ouvertes sur la jauge haute, notamment pour améliorer l'acoustique.
La question de la convivialité est difficile à gérer, car peu de lieux reçoivent des hooligans comme des personnes âgées. Les premiers sont escortés directement depuis l'autoroute et installés derrière des grilles dans le stade. Ces problématiques sont plus culturelles que réglementaires ; nous les abordons avec les autorités. Une partie demande des restrictions, l'autre souhaite limiter les restrictions. L'enjeu est de trouver un compromis et d'aboutir, à terme, vers une culture permettant à ces deux mondes de vivre l'événement ensemble. La réussite économique du projet dépend de cette mixité. Les ultras mettent l'ambiance, ils ne peuvent pas être sortis du stade, car la qualité du ressenti des VIP en pâtirait. Ces questions ne relèvent pas seulement de l'architecte ou de la sécurité publique. La principale difficulté est d'assurer les retombées économiques tout en rassemblant autour du sport.
Les principales contraintes sont imposées par les organisateurs. L'union des associations européennes de football (UEFA) augmente constamment ses exigences en termes de normes, notamment dans la capacité des stades - ce qui exclut automatiquement les petits pays ne disposant pas d'un parc de stade suffisant. Des contraintes techniques, d'équipements ou encore sur le nombre de places réservées aux médias sont également imposées.
La notion de convivialité me pose problème, car elle possède une connotation marketing. L'installation d'écrans géants et de sono constitue l'une des premières adaptations des stades aux nouvelles normes. Dans la plupart des stades de Ligue 1, les messages publicitaires sont désormais diffusés à la mi-temps des matchs et nuisent à cette convivialité.
S'agissant de l'offre de places au sein des stades, nous constatons que le nombre d'emplacements VIP et de loges est en constante augmentation. Cette évolution ne relève pas d'une contrainte fixée par les organisateurs, mais d'une réalité économique. Des problèmes d'ambiance se posent alors.
Par ailleurs, les mesures prises en Angleterre ne peuvent pas être appliquées en France. L'enracinement de la culture sportive et le volume de fréquentation des stades sont, en effet, bien supérieurs en Angleterre. La transposition des modèles fait naître le risque de surdimensionnement des équipements. Au mois de novembre, un rapport sénatorial soulignait ce risque. Le modèle d'éviction du public populaire est impossible en France, car le public est insuffisant pour remplir les stades de l'élite. La politique d'offre doit donc être raisonnable.
Nous évoquions l'aléa sportif et ses conséquences sur les situations financières des collectivités. Au vu de vos expériences internationales, quelles sont vos préconisations pour minimiser les risques pris dans les financements ? Un montage privé-public apparaît-il plus adapté ? Quelle doit être la taille de la collectivité qui porte ces équipements pour les clubs - ville, métropole, département, région ? Le modèle de Lyon, dont la structure est entièrement financée par le privé, est-il le bon ?
Aux États-Unis, la National football league (NFL) ponctionne une réserve sur les droits TV afin de rénover les stades. Ce financement devrait relever des clubs, mais le développement économique de ces derniers est pensé à court terme. Les collectivités se positionnent sur du moyen terme. Le sélectionneur de l'équipe de France de rugby attend des joueurs qu'ils soient prêts pour le tournoi ; à l'inverse, un club souhaite que les joueurs soient en forme dès le mois de septembre. Si l'un d'entre eux est fatigué au moment d'un match important, il jouera quand même. La vision de la préparation physique est différente. La problématique du club en raison des montées et descentes complexifie sa réflexion et ses prises de décision.
En France, les clubs n'étant pas propriétaires de leur stade, ils ont des réticences à intervenir sur sa capacité. En conservant des enceintes peu accueillantes, les personnes qui souhaitent dépenser un peu d'argent et passer une bonne soirée n'ont plus qu'une seule raison de venir : le match lui-même. Si l'expérience repose entièrement sur le match, les spectateurs doivent être de réels supporters. Il apparaît nécessaire de trouver des montages avec les collectivités afin que les clubs puissent intervenir sur leur outil de travail.
Le PPP représente un engagement en biens. Le montant est remboursé par loyers. Si un emprunt apparaît au bilan, je ne suis pas certain que cela soit le cas pour un PPP dans les comptes publics.
Depuis longtemps, le modèle économique préconise que les clubs soient propriétaires de leur stade. Pourtant en France, historiquement, les enceintes sont la propriété des collectivités. Les droits TV dans le football ont explosé au cours des quinze dernières années en Europe. Comme le montre un rapport sénatorial, cette manne a malheureusement servi à une augmentation de la masse salariale plutôt qu'au développement des infrastructures. De surcroît, l'effet d'aubaine amène les clubs à compter sur l'effort public réalisé dans le cadre de l'organisation de l'Euro 2016 - pour laquelle l'État investit seulement 160 millions d'euros sur le milliard global. Les clubs sont responsables de ce manque de développement. Arsenal - qui possède, certes, davantage d'atouts économiques que les clubs français - s'est raisonnablement endetté afin de construire son stade. L'enceinte assure une rentrée d'argent substantielle. À Lyon, Jean-Michel Aulas fait un pari similaire. Même si l'investissement est entièrement privé, les collectivités locales doivent s'engager pour les aménagements alentour.
Le développement autour des stades est effectivement nécessaire et relève de la responsabilité publique. Euro Disney ne se serait jamais implanté à Marne-la-Vallée sans la construction du RER, qui sert également les habitants. Le coût des transports ne s'est jamais ajouté à celui du parc.
Le bilan doit être réalisé en définitive, selon la réussite ou non du projet d'aménagement urbain associé au stade. Les investissements doivent être mesurés afin que leur rentabilité ne dépende pas uniquement des résultats sportifs du club concerné. Les collectivités doivent estimer les bénéfices attendus. La question du partage des bénéfices dans le cadre des PPP est cruciale. Nous constatons, notamment au Mans, une privatisation des bénéfices et une mutualisation des pertes. Il convient de faire attention aux discours trop enthousiastes. Il est dommage que l'engouement, parfois autosuggéré, autour de l'Euro 2016 ait laissé croire que le nomage assurerait la rentabilité ; des débats auraient permis de vérifier ces affirmations.
Madame, messieurs, je vous remercie pour votre participation. Je vous invite à nous faire part de vos remarques additionnelles par écrit. Nous n'hésiterons pas à vous recontacter si nous avons d'autres questions.