Au cours d'une troisième réunion tenue dans la matinée, la commission poursuit l'examen du rapport de M. Christophe-André Frassa sur la proposition de loi n° 376 (2014-2015), adoptée par l'Assemblée nationale, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre.
Je suis plus que réservé à l'égard de cette motion préjudicielle. Je peux difficilement, en tant que législateur, refuser d'adopter une norme au motif que l'Union européenne ne l'a pas fait.
J'ai sur le texte des réserves que la discussion au fond pourra peut-être lever. C'est un texte dont je partage toutes les intentions mais qui, pour le rapporteur, peut créer des distorsions de concurrence portant atteinte à notre compétitivité. C'est un sujet lourd de conséquences qui est traité par une proposition de loi inscrite dans une « niche » et qui, dès lors, n'en mesure pas tout l'impact. J'habite un département frontalier avec le Luxembourg et il ne faudrait pas que des entreprises peu scrupuleuses en profitent pour échapper à toute contrainte en l'absence d'harmonisation européenne. J'ai montré une grande indépendance à l'égard du MEDEF concernant le principe de précaution, mais je ne mésestime pas l'impact de ce texte sur la compétitivité.
Je voudrais répondre à M. Bigot, qui nous a fait une belle leçon de morale, qu'il faut être vertueux soi-même. Il a cité ma proposition de loi relative aux auteurs d'agressions sexuelles sur des mineurs, que nous avons étudiée tout à l'heure, or lui-même a voté contre.
Mme Troendlé vient de m'interpeller sur mon vote sur un autre texte que celui que nous examinons ; j'ai dit qu'il faut faire un travail important de protection des mineurs, ce qui ne passe pas nécessairement par la remise en cause du principe d'individualisation des peines. Nous avons voté l'article 3 de la proposition de loi dans la rédaction proposée par le rapporteur et qui est relatif à l'information de l'autorité administrative en matière d'infractions sexuelles commises à l'encontre d'un mineur, même s'il ne s'applique pas en matière d'enquête préliminaire. Je fais un parallélisme avec la façon dont vous vous préoccupez des enfants en France mais pas de ceux qui se trouvent à l'étranger...
Je répondrai tout d'abord à M. Jean-Pierre Sueur, qui qualifie mon rapport de déséquilibré au motif qu'il ne prend en compte que la position des entreprises. Les auteurs de la proposition de loi n'ont retenu que les arguments des syndicats et des ONG et, si j'ai pu rétablir un certain déséquilibre, je ne peux que m'en féliciter. M. Didier Marie a fait référence dans son intervention à des textes qui ne sont pas normatifs, tandis que la proposition de loi que nous examinons est contraignante. Je voudrais répondre à M. Philippe Kaltenbach que le texte prévoit non pas une obligation de moyens, mais une obligation de résultat à caractère contraignant. Je suis d'accord avec M. François Grosdidier sur l'absence de mesure de l'impact et des conséquences de cette proposition de loi. Enfin, je rappelle à Mme Catherine Tasca qu'il est possible de faire application à l'étranger du droit pénal lorsque cela se justifie.
La révision récente du règlement de notre assemblée n'a pas entraîné de remise en cause de l'existence de la motion préjudicielle. Si elle existe dans notre règlement, c'est parce qu'aucune majorité sénatoriale n'a souhaité remettre en cause ce mécanisme. Cela étant dit, en l'espèce, est-ce que l'utilisation du quatrième alinéa de l'article 44 de notre règlement est pertinente ?
Nous avons entendu les arguments exposés par chacun ce matin. Notre rapporteur maintient-il sa motion préjudicielle, compte tenu de nos échanges ?
Il me semble, avant d'entendre la réponse de notre rapporteur, qu'il faut bien distinguer le débat sur le quatrième alinéa de l'article 44 de notre règlement du débat, plus général, sur le « gentleman's agreement », qui correspond, je le rappelle, à une pratique par laquelle on limite volontairement le recours au droit d'amendement, en commission, sur les propositions de loi inscrites dans les espaces réservés. Il faudrait d'ailleurs vérifier auprès de la conférence des présidents, qui avait institué cette pratique en 2009, s'il est opportun de maintenir le « gentleman's agreement », qui suscite un certain nombre d'interrogations constitutionnelles. Toujours est-il qu'il s'agit d'une question distincte du recours à la motion préjudicielle. Puisque maintenant vient le moment de discuter du sort de cette motion, quelle est votre position, monsieur le rapporteur ?
Beaucoup semblaient dans l'émotion tout à l'heure et personne n'a entendu la conclusion que j'ai faite. Je répète donc cette position. Faute d'une autre possibilité procédurale, je demande à la commission de rejeter le texte.
J'ai déposé cette motion non pas parce que je considérais que c'était le texte d'un groupe politique de l'opposition sénatoriale, mais un texte transmis à notre assemblée. Ayant vécu, depuis sept ans que je suis sénateur, trois ans dans l'opposition, je n'ai bien entendu jamais considéré qu'il fallait bafouer les droits de l'opposition.
La motion préjudicielle n'est en réalité rien d'autre qu'un renvoi en commission. Toujours est-il que je retire cette motion de procédure et je demande à la commission de bien vouloir rejeter les trois amendements déposés, ainsi que le texte.
- Présidence de Mme Catherine Troendlé, vice-présidente -
La motion est donc retirée et nous passons à l'examen des trois amendements déposés par le groupe écologiste. Ces trois amendements font l'objet d'un avis défavorable de notre rapporteur.
Les amendements COM-3, COM-1 et COM-2 sont rejetés
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Puis la commission examine, en deuxième lecture, le rapport de M. François Pillet et le texte qu'elle propose pour la proposition de loi n° 517 (2014-2015), modifiée par l'Assemblée nationale, tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé.
Ce texte, que nous examinons en deuxième lecture, émane d'une proposition de loi déposée par notre collègue Colette Giudicelli. Cette proposition vise à protéger les enfants en renforçant le dispositif de signalement des situations de maltraitance. Elle se fonde sur un constat selon lequel il existe des situations de maltraitance que les médecins ne signalent pas, car ils craignent un engagement de leur responsabilité, lorsque le signalement n'aboutit pas à un constat effectif de maltraitance. En première lecture, le Sénat a étendu le champ d'application du dispositif de signalement aux professions médicales et aux auxiliaires médicaux et a affirmé de manière explicite l'irresponsabilité civile, pénale et disciplinaire de ces professionnels pour faciliter le signalement d'éventuels cas de maltraitance.
Nos débats avaient également illustré un problème de formation des médecins. Le Sénat a donc ajouté au texte une obligation de formation des médecins à la détection de situations de maltraitance.
La commission des lois de l'Assemblée nationale a suggéré un vote conforme du texte transmis par le Sénat. Ce vote conforme n'a finalement pas eu lieu car l'Assemblée a adopté, en séance publique, un amendement précisant encore le champ d'application du dispositif de signalement en visant, non plus les membres des professions médicales et les auxiliaires médicaux, mais « les médecins et tout autre professionnel de santé », ce qui ne modifie guère le sens du texte. La notion de « professionnels de santé », qui fait référence à la quatrième partie du code de la santé publique, permettrait de couvrir, en plus, les auxiliaires de puériculture et les pharmaciens. C'est la seule modification apportée par l'Assemblée. Je vous propose donc une adoption conforme du texte.
Aucun amendement n'ayant été déposé, je mets aux voix l'ensemble du texte.
La commission adopte la proposition de loi sans modification.
Je constate que le texte est adopté à l'unanimité.
La réunion est levée à 13 h 10