Mes chers collègues, je dois tout d'abord excuser Madame Gisèle Jourda qui, pour des raisons familiales malheureuses, ne peut présenter le rapport avec moi aujourd'hui.
Quinze jours après une série d'auditions et notre visioconférence avec La Réunion, nous nous retrouvons pour examiner une proposition de résolution européenne (PPRE) visant à formuler des recommandations afin de contrer les conséquences potentiellement désastreuses de la politique commerciale européenne sur la filière canne de nos départements d'outre-mer.
Nous avons été saisis par les professionnels du sucre de La Réunion, très inquiets de la tournure prise par les négociations de l'accord de libre-échange avec le Vietnam, et avons immédiatement répondu à leur appel. Si l'accord politique est déjà arrêté, des ajustements sont encore possibles et nous espérons vivement que notre initiative épaulera les démarches entreprises par le Gouvernement pour obtenir les infléchissements nécessaires concernant les sucres spéciaux.
Notre PPRE sera ensuite examinée en janvier par la commission des affaires européennes puis par la commission des affaires économiques, avant de devenir résolution du Sénat que nous pourrons aller présenter devant la Commission européenne.
Je vous propose maintenant d'entrer dans le vif du sujet.
Permettez-moi une courte incise, Monsieur le Président. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné hier un accord-cadre de partenariat avec le Vietnam. J'en ai profité pour évoquer la question du traité de libre-échange en cours de négociation et, en particulier, les quotas de sucre que la Commission européenne envisage d'accorder au Vietnam au détriment de nos outre-mer. Mes collègues ont été sensibles à la défense des intérêts des producteurs ultramarins.
Je vous remercie de cette démarche. La mobilisation de tous est la bienvenue car les régions ultrapériphériques appartiennent pleinement à l'Union européenne. Malheureusement, elles sont souvent oubliées dans les négociations commerciales et la Commission semble avoir peu de considération pour les difficultés qu'elles rencontrent.
La filière de la canne à sucre joue un rôle économique et social vital dans les départements d'outre-mer, notamment à La Réunion, en Guadeloupe et en Martinique. Elle représente 40 000 emplois directs, indirects et induits. Son poids est considérable alors que le taux de chômage outre-mer s'élève à plus du double de la moyenne nationale. Ramené à la population active, cela représente l'équivalent de 3 millions d'emplois dans l'Hexagone !
Toute déstabilisation de la filière canne entraînerait des conséquences catastrophiques, et selon toute vraisemblance une explosion sociale. Les autorités nationales et européennes doivent donc continuer à soutenir ce secteur stratégique.
Sur les 250 000 tonnes de sucre de canne produites en moyenne chaque année, environ 60 % du sucre des départements d'outre-mer (DOM) est destiné au raffinage. Cette production entre en concurrence avec les 18 millions de tonnes de sucre de betterave produites en Europe, dont 4,4 millions de tonnes en France qui est le premier producteur mondial de sucre de betterave et le huitième producteur mondial tous sucres confondus.
Les professionnels des DOM ont su se moderniser et adapter leur stratégie commerciale pour se positionner sur un marché de niche, celui des sucres roux de canne directement consommables, appelés aussi « sucres spéciaux ».
La Réunion oriente désormais la moitié de sa production vers les sucres spéciaux et la Guadeloupe, 30 % de sa production.
Malgré les soutiens apportés dans le cadre de la politique agricole commune (PAC) et de la politique régionale, les perspectives commerciales de l'industrie sucrière ultramarine sont gravement menacées par les évolutions réglementaires et la politique commerciale de l'Union européenne.
À compter du 1er juillet 2017, la fin des quotas sucriers se traduira par la suppression des deux plafonds actuels sur la production et à l'export. Dès la campagne d'octobre 2017, la première sous un régime libéralisé, les sucres bruts des DOM dont l'accès au marché européen était protégé depuis cinquante ans se trouveront en concurrence frontale avec le sucre blanc de betterave produit en Europe.
Or, par rapport aux sucreries continentales, la production sucrière ultramarine souffre d'un handicap de compétitivité-prix pour de multiples raisons : d'abord, le différentiel d'économies d'échelle en raison de la petite taille des sucreries en outre-mer, due à l'exiguïté des territoires et à la pression foncière ; puis, autre facteur pénalisant, l'éloignement qui génère un doublement des coûts en amont pour l'acheminement des intrants (machines, pièces de rechange, matériaux de conditionnement, produits phytosanitaires) et en aval pour atteindre le marché cible.
Le maintien des débouchés pour les sucres bruts destinés au raffinage en provenance des DOM demandera une compensation des surcoûts de production constatés après 2017. Même dans ce cas, la concurrence s'annonce très difficile à soutenir sur ce segment de marché.
C'est pourquoi le segment des sucres spéciaux, qui constitue un marché de niche haut de gamme, devient hautement stratégique pour les RUP. Grâce à ses départements d'outre-mer, la France est le seul producteur de sucres spéciaux de canne en Europe et La Réunion partage sur ce marché le premier rang avec l'île Maurice, soit environ 90 000 tonnes produites. Mais le succès de cette stratégie de recentrage sur les sucres spéciaux dépend surtout du maintien de protections douanières adéquates pour limiter les importations des pays tiers. Nous arrivons au coeur de notre problème.
Depuis la réforme du régime du marché du sucre en 2006, l'Union européenne est devenue un importateur net de sucre. Aujourd'hui, 3 millions de tonnes de sucre sont importées. Les importations proviennent avant tout des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) et des pays les moins avancés (PMA), qui bénéficient d'un accès au marché européen hors quota et en franchise de droits depuis 2009.
Alors que le marché total du sucre européen n'est ouvert à la concurrence qu'à hauteur de moins de 20 %, le marché de niche des sucres spéciaux est déjà largement ouvert aux pays tiers avec une couverture de l'ordre de 50 % en provenance des pays ACP et PMA, notamment Maurice, le Malawi, le Swaziland et la Zambie.
Or, l'Union européenne multiplie et accélère les ouvertures de négociations commerciales, en particulier avec les principaux pays producteurs de sucre au monde, comme le Brésil, l'Inde, les États-Unis, la Thaïlande, les Philippines, l'Australie ou le Mexique, dont les capacités de production avérées sont considérables et dont la politique d'expansion à l'export est très dynamique.
La politique commerciale de l'Union, qui relève de la compétence exclusive de la Commission, entre ainsi en conflit avec les orientations des politiques agricole et régionale, dont l'objectif est de soutenir le développement endogène des RUP en encourageant la modernisation de sa production. L'accumulation de contingents à droits nuls octroyés à des pays tiers au fil de la signature d'accords commerciaux risque de conduire à une saturation du marché européen des sucres spéciaux : elle constitue une menace très sérieuse pour les RUP.
Les négociations avec l'Afrique du sud avaient fait espérer aux professionnels de la filière canne une inflexion de la politique commerciale européenne. Les négociations, terminées à l'été 2014, accordent un contingent sucrier à droit nul de 150 000 tonnes mais elles excluent les sucres spéciaux au moins pour trois lignes tarifaires du code douanier sur quatre. Malheureusement, les négociations au pas de course avec le Vietnam, en passe d'être définitivement finalisées, reviennent sur ce précédent positif. Elles ouvrent une brèche très dangereuse pour la survie de la filière canne des RUP car la Commission européenne semble vouloir en faire la nouvelle base de conclusion des futurs accords de libre-échange.
La Commission propose d'octroyer au Vietnam un contingent global de 20 000 tonnes pour le sucre et les produits à haute teneur en sucre. En l'état de l'accord, le Vietnam pourra, s'il souhaite se concentrer sur ce segment, exporter légalement vers l'Union européenne 20 000 tonnes de sucres spéciaux sans droits de douane, un volume équivalent approximativement à 10 % du marché européen et à 20 % de la production des RUP.
Si la production actuelle de sucres spéciaux du Vietnam est actuellement modeste, il n'en reste pas moins globalement un gros producteur de sucre de canne avec environ 1,5 million de tonnes par an et un exportateur net depuis 2013 à hauteur de 360 000 tonnes de sucre raffiné. Si ce pays se consacre pour l'heure principalement à son marché intérieur, des exportations de sucres roux à hauteur de 6 000 tonnes par an sont déjà avérées, de même que son intérêt offensif à investir de nouveaux marchés, notamment celui de la Chine.
Le Vietnam, dont les trois sucreries principales disposent d'une capacité de production proche de celle de l'industrie sucrière réunionnaise, dispose aujourd'hui de la maîtrise technologique et du savoir-faire nécessaires. Cela lui permettrait de fabriquer, rapidement, de gros volumes de sucres roux de canne non destinés au raffinage. Seules les barrières douanières actuelles fixées à 419 euros la tonne, conjuguées pour l'instant avec l'effet des quotas sucriers, permettent de maintenir à des niveaux marginaux les importations de sucres spéciaux en provenance de ce pays dont le salaire moyen est dix-neuf fois moins élevé qu'en France.
C'est une erreur d'appréciation de la Commission européenne de ne pas considérer le Vietnam en capacité d'exporter de gros volumes de sucres spéciaux sur le marché européen et une faute politique de lui offrir une opportunité de se développer sur ce segment au détriment de nos RUP.
Outre qu'elle néglige le risque de changement de stratégie commerciale du Vietnam, la Commission néglige les risques de fraude utilisant les angles morts et les obscurités de la nomenclature douanière concernant les sucres spéciaux. Le risque est d'autant plus prégnant que le respect des règles d'origine n'est pas encore parfaitement garanti. En effet, d'importants volumes de sucre sont illégalement importés au Vietnam depuis la Thaïlande et le Cambodge. Leur accès au marché européen serait largement facilité à l'entrée en vigueur de l'accord.
Il est difficile dans ces conditions de se défaire de l'impression que, pour signer rapidement un accord globalement favorable à de nombreux intérêts d'Europe continentale, les outre-mer ont servi de variable d'ajustement que la Commission a aisément sacrifiée à son ardeur libéralisatrice.
Nous suivons et nous soutenons sans réserve les efforts déployés depuis l'été par le Gouvernement pour infléchir la position de la Commission, en espérant que la partie vietnamienne adoptera une attitude ouverte et constructive. Tout l'enjeu est d'obtenir une inflexion de l'équilibre négocié avec le Vietnam. Il faut absolument qu'à défaut d'exclusion des sucres spéciaux soit défini un contingent spécifique proportionnel à leur part dans le marché global du sucre, soit un quota de 280 tonnes par an environ pour les quatre codes douaniers concernés.
Les professionnels soulignent qu'il est relativement aisé de transformer un produit pour le faire passer d'une ligne tarifaire à l'autre, par exemple avec une simple addition de colorant ou d'arôme. Si l'ensemble des lignes tarifaires n'est pas protégé par le contingentement, alors on risque de constater un glissement des importations vers les lignes non protégées ce qui priverait de toute efficacité la barrière douanière.
Les discussions sont toujours en cours. D'après les informations recueillies par vos rapporteurs auprès des services de l'État, lors de la réunion du Conseil des ministres des affaires étrangères à Bruxelles le 27 novembre dernier, la commissaire au commerce aurait accepté de fixer un contingent limité sur une, voire deux, des quatre lignes tarifaires, dont la 14 90 sur laquelle exporte principalement La Réunion. Parallèlement, des contacts ont eu lieu avec la partie vietnamienne dans les premiers jours de décembre, tant de la part du Gouvernement que de la Commission, dans la perspective d'une signature définitive avant la fin de l'année.
Notre proposition de résolution européenne vise à répondre point par point aux arguments initialement avancés par la Commission pour refuser l'exclusion des sucres spéciaux de l'accord avec le Vietnam. Mais elle ne se limite pas à ce seul accord en passe d'être signé. Nous voulons prendre date dès maintenant pour anticiper les négociations commerciales à venir, encore bien plus périlleuses.
Même si nous souhaitons tous une issue heureuse des négociations avec le Vietnam, nous devons avoir conscience que ce n'est que la première d'une rude série de batailles à mener. C'est pourquoi notre proposition de résolution rassemble un ensemble de recommandations pour protéger plus efficacement et de façon pérenne les économies sucrières des RUP qui ne pourront soutenir une ouverture commerciale massive.
En premier lieu, il paraît indispensable de rappeler que les accords commerciaux ne doivent ni entrer en contradiction avec le droit communautaire, ni mettre en péril les politiques européennes. L'article 207 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) qui donne compétence exclusive à la Commission en matière commerciale ne dit pas autre chose. La Commission et les États membres doivent par conséquent garantir la cohérence entre elles des politiques agricole, régionale et commerciale de l'Union européenne. En particulier, les mesures de soutien en faveur des RUP pour compenser leurs handicaps structurels et pour faciliter la modernisation de leur appareil productif n'ont pas à être annulées par des accords de libre-échange. On peut comprendre l'émoi et la colère de territoires qui subissent des situations aussi absurdes.
C'est pourquoi nous souhaitons que le Gouvernement exerce la plus grande vigilance dans la définition du mandat de négociation de la Commission, lors de l'ouverture de nouvelles négociations. C'est la seule manière pour que la préservation des intérêts vitaux des économies des RUP soit prise en compte dès l'origine.
Une fois le mandat accordé, la Commission agit seule, comme l'ont montré les négociations avec le Vietnam. Les informations transmises aux États membres restent trop lacunaires pour que les autorités nationales soient en mesure d'exercer un suivi correct des négociations. Un renforcement de l'information non seulement des États membres mais également des Parlements nationaux au cours des tractations, et surtout avant que ne soit conclu un accord politique de principe, paraît indispensable.
En outre, il n'est plus tolérable que la Commission européenne néglige le travail d'évaluation prospective en amont. Elle manque clairement à ses obligations en ne produisant pas d'études d'impact précisant les conséquences potentielles pour les RUP des accords commerciaux qu'elle négocie.
Cette lacune d'évaluation prospective amène la Commission à sous-estimer les risques encourus par les productions ultramarines et à accorder des concessions exorbitantes aux pays tiers.
Face à ces concurrents internationaux, l'industrie sucrière des DOM pâtit d'un déficit de compétitivité irrattrapable, car il est structurel. Il serait certes pertinent de rendre contraignantes les normes environnementales inscrites dans les accords globaux de partenariat signés avec les pays tiers, mais cela ne règlerait pas la question centrale du coût du travail. Même une modération salariale extrême ne suffirait pas à résorber les écarts abyssaux de coût de main d'oeuvre avec les pays en développement.
Afin de compenser ces handicaps, il n'existe qu'une seule voie possible : adopter comme ligne directrice, pour toute négociation future d'accords commerciaux, le principe de l'exclusion des sucres spéciaux sur l'ensemble des lignes tarifaires de la nomenclature douanière qui les concernent.
Nous devons également obtenir le renforcement des dispositifs de contrôle et de sauvegarde en aval.
En pratique, les clauses de sauvegarde sont difficiles à utiliser. Avant toute application, une enquête est menée par la Commission qui doit s'assurer d'un lien direct entre la hausse des importations et le préjudice grave causé aux producteurs nationaux. La caractérisation du tort et la preuve du lien de causalité sont particulièrement épineuses. La compilation, l'analyse et l'interprétation des données demandent du temps. Pendant les neuf mois de la procédure d'enquête, les producteurs ultramarins peuvent connaître un affaiblissement grave, voire des pertes de marché définitives.
Enfin et surtout, l'appréciation finale de l'opportunité de déclencher la sauvegarde reste à la discrétion de la Commission. Elle ne s'y est jamais résolue pour protéger les productions sensibles des RUP, même quand le Pérou a dépassé de 77 % son quota de bananes en 2013 !
Dans les faits, les clauses de sauvegarde générales et les mécanismes de stabilisation spécifiques à une production se révèlent inopérants, essentiellement du fait de la lourdeur des procédures et de l'indifférence de la Commission.
Pour mieux protéger l'industrie sucrière de La Réunion et de la Guadeloupe, il faut d'abord pouvoir identifier précisément la teneur des importations afin de prévenir le risque de contournement de la réglementation et d'éviter d'encourager la fraude.
La première étape serait de clarifier la nomenclature douanière relative aux sucres, spécifiquement la ligne 17 01 99 90 qui est particulièrement floue et attrape-tout dans sa définition. Elle couvre potentiellement une grande variété de produits différents. En fonction des pays de provenance, ce n'est pas exactement le même type de produits qui est écoulé par ce canal sur le marché européen.
La réforme de la nomenclature douanière facilitera également le contrôle des contingents d'importation, qui doit être amélioré pour que les procédures de sauvegarde ne restent pas éternellement lettre morte. Les mécanismes actuels ont prouvé leur inefficacité en l'absence de statistiques précises et de remontées d'information régulières de la Commission aux États membres.
Dans le secteur du sucre, les statistiques douanières, consolidées mensuellement au niveau communautaire, sont publiées avec un délai de cinq à six semaines. Des certificats sont délivrés par les États membres aux importateurs de denrées provenant de pays tiers dès lors qu'ils bénéficient de droits de douane réduits. Les États membres communiquent à la Commission les quantités de sucre pour lesquelles des certificats ont été délivrés. Ces documents, partagés entre toutes les autorités responsables, sont les seuls qui permettent d'effectuer un réel suivi des importations.
Pourtant, la Commission souhaite supprimer les certificats sur un certain nombre de produits agricoles. Il existe ainsi une incertitude sur leur maintien après la suppression des quotas sucriers en 2017. Cette simplification administrative apparente ne doit surtout pas entraver le suivi du marché du sucre, au moment même où il se libéralise à la fois à l'intérieur de l'Union européenne, via la transformation de l'organisation commune de marché, et à l'extérieur avec l'accélération de l'ouverture commerciale.
Il serait au contraire souhaitable que la Commission généralise la transmission aux États membres de données consolidées sur l'évolution des flux commerciaux concernant certains produits sensibles. Pour le suivi des clauses concernant l'automobile de l'accord commercial avec la Corée du Sud, la Commission transmet déjà ce type d'informations sur une base bimensuelle, tant aux administrations nationales qu'aux industriels du secteur. Pourquoi ne le ferait-elle pas pour le sucre ? C'est un produit aussi important pour les RUP que l'automobile l'est pour l'Europe continentale. Les outre-mer ne demandent pas un traitement de faveur, mais la simple équité !
Les données douanières pourraient être utilement complétées par la création d'un observatoire des revenus pour la filière de la canne. Ce dispositif vise à remédier aux difficultés de déclenchement des mesures de sauvegarde en apportant rapidement des preuves irréfutables d'une déstabilisation de l'économie des RUP liée à l'afflux d'importations de sucre.
En outre, les mécanismes de stabilisation actuels doivent être refondus pour garantir leur permanence au-delà des dix ans prévus actuellement, fixer à l'avance des seuils d'alerte clairs, et rendre automatique la suspension des avantages concédés en cas de franchissement de ces seuils.
Enfin, même si je considère que les compensations financières ne peuvent pas remplacer une politique ambitieuse de développement économique et social pour les RUP, il faut malgré tout réévaluer la maquette du POSEI arrêtée en 2007. Depuis cette date, plusieurs accords commerciaux directement préjudiciables pour les productions ultramarines ont été conclus sans que les fonds communautaires les prennent en compte.
Il n'y aura néanmoins pas de véritable protection et soutien aux RUP si une réflexion approfondie n'est pas engagée sur l'impact des normes communautaires sur les productions ultramarines. Leurs principaux concurrents régionaux tirent profit, nous le savons tous, de normes sociales, sanitaires et environnementales très inférieures aux standards européens. Ceci doit amener à nous interroger sur, d'une part, la réalité du contrôle des importations de pays tiers qui sont censées respecter les normes de commercialisation européennes et, d'autre part, la pertinence de normes européennes édictées sans considération pour les caractéristiques propres des RUP.
La proposition de résolution européenne que Gisèle Jourda et moi-même avons écrite reprend l'ensemble de ces préconisations, qui nous semblent nécessaires pour garantir l'avenir de la filière canne. Je vous propose maintenant, mes chers Collègues, de passer en revue les recommandations de notre PPRE.
Excellent exposé, Monsieur le Président ! Pourriez-vous simplement nous préciser comment est calculé le contingent spécifique de 280 tonnes pour les sucres spéciaux ?
Le marché européen des sucres spéciaux représente environ 250 000 tonnes sur un marché global de 18 millions de tonnes. Nous demandons de respecter cette même proportion dans les quotas accordés au Vietnam. Il faut donc au plus ouvrir un contingent de sucres spéciaux de 280 tonnes pour un contingent de sucre global de 20 000 tonnes de sucre.
Je partage pleinement votre constat et vos préconisations. Pourrions-nous préciser qu'il s'agit « d'un quota maximal » accordé au Vietnam ? Il est particulièrement important de suivre l'évolution de la production et des importations vietnamiennes en disposant d'indicateurs précis.
Je tiens à vous rassurer sur la formulation. Par définition, le quota constitue un plafond.
Nous émettons une série de recommandations précises pour renforcer le suivi et l'activation des clauses de sauvegarde et des mécanismes de stabilisation.
En nous rabattant sur l'option du contingent spécifique pour les sucres spéciaux, n'abandonnons-nous pas trop vite le principe d'exclusion pure et simple ?
Sur ce point, la PPRE me semble parfaitement rédigée : pour l'accord avec le Vietnam, en cours de finalisation, le contingent spécifique est la bonne préconisation. Pour les autres accords, nous restons fermes sur le principe général d'exclusion. Je note que les arguments de la Commission sont faibles et peuvent facilement se renverser.
Notre idée est bien de distinguer l'accord avec le Vietnam dont les négociations sont déjà très avancées et ont pris une tournure inquiétante de l'ensemble des accords commerciaux futurs pour lesquels nous pouvons et devons garder une ligne très ferme, d'autant que la Commission européenne voudrait ériger l'accord avec le Vietnam en accord modèle.
Qu'entraîne exactement « la suspension des avantages concédés » en cas d'activation des procédures de sauvegarde ? Ne risque-t-on pas de prendre des sanctions disproportionnées et d'ouvrir le risque de représailles qui videraient de sens le traité de libre-échange ? Peut-être ne faut-il viser que les avantages concédés sur le sucre ?
Il me semble nécessaire de vous apporter quelques précisions. Il n'est pas question de se lancer dans une guerre commerciale alors que nous signons un accord de libre-échange avec le Vietnam. Il s'agit de tenir compte de l'impact en chaîne pour toute l'économie de La Réunion et de la Guadeloupe que représenterait une déstabilisation de la filière canne. Les clauses de sauvegarde ou les mécanismes de stabilisation sont permis par les textes internationaux et communautaires et sont pleinement conformes au droit du commerce international. En l'occurrence, dans notre rédaction, il ne peut être question que de suspension des avantages concédés en matière de sucre.
L'observatoire des revenus que nous préconisons serait une structure permanente qui permettrait de suivre les répercussions des importations de sucre en provenance des pays tiers sur la filière canne. En cas de déstabilisation, l'alerte part des territoires producteurs à destination des autorités nationales qui saisissent ensuite la Commission.
Avec le POSEI, l'Europe fait en quelque sorte le choix de la facilité. Il est nécessaire bien évidemment d'apporter des compensations financières au préjudice et aux surcoûts que subissent les RUP, mais il ne faudrait pas que ces compensations soient acceptées pour solde de tout compte et excusent le sacrifice de l'appareil de production des outre-mer. L'augmentation des fonds du POSEI n'a de sens qu'en articulation avec l'ensemble de nos autres préconisations.
La prise en compte des contraintes et des spécificités des RUP doit intervenir en amont du processus de négociation, non en aval lorsqu'il est trop tard. Il faut les avoir toujours à l'esprit.
Le dernier paragraphe de la PPRE me paraît extrêmement important car il renvoie à la problématique globale des normes applicables en outre-mer. Pour l'élaboration de notre rapport sur le foncier, nous nous sommes rendus en Guyane et j'ai pu constater combien les éleveurs et les agriculteurs guyanais pâtissaient des normes européennes qui leur sont imposées sans prendre en considération les spécificités du territoire. Ils sont contraints d'acheter certains produits phytosanitaires en Europe à des prix quatre fois plus élevés qu'au Brésil ou au Surinam voisins. Je propose d'intégrer dans la PPRE l'idée qu'en amont de leur élaboration les normes européennes doivent être adaptées au contexte ultramarin.
On risque de vous rétorquer qu'il faut alors abandonner le statut de RUP pour celui de pays et territoires d'outre-mer (PTOM).
Je crois profondément aux bienfaits de la différenciation territoriale dans le cadre partagé de la République française. Le statut de RUP implique d'accepter l'intégralité du droit communautaire tel qu'il est transposé en droit français. Saint-Barthélemy a fait le choix de devenir un PTOM lié par un accord d'association à l'Union car certaines exigences normatives ne tenaient pas compte de notre proximité avec l'Amérique du Nord et de notre dépendance aux importations américaines et canadiennes, notamment en matière alimentaire. Nous n'avons toutefois pas renoncé à toutes les normes européennes. Par exemple, malgré son coût, nous avons maintenu la limitation à 1 % de benzène dans l'essence. Je propose à Joël Guerriau d'insérer dans la PPRE une mention pour demander à la Commission « de mieux prendre en compte les spécificités des RUP en matière normative sur le fondement de l'article 349 du TFUE ».
Il serait bon en effet que la Commission se rapproche du terrain des professionnels... et des parlementaires.
Il faut admettre que l'Europe est parfois très réticente à admettre le changement de statut de RUP pour celui de PTOM dès lors que certains outre-mer, producteurs et exportateurs de marchandises, peuvent constituer des points d'entrée sur le marché commun.
La PPRE, ainsi modifiée, reçoit l'approbation unanime des membres de la délégation.
Avant de nous quitter, je tiens à vous informer qu'Odette Herviaux, en remplacement de Jacques Cornano, et moi-même poserons cet après-midi même une question au Gouvernement sur l'état d'avancement des négociations avec le Vietnam.
Le rapport relatif à notre PPRE sera en ligne sur le site de la délégation dès ce soir ou demain, et disponible à la distribution en début de semaine prochaine.
Nous nous retrouverons au cours de la seconde quinzaine de janvier pour poursuivre nos travaux sur le foncier et amorcer ceux sur la problématique des normes. D'ici là, je vous souhaite d'agréables fêtes de fin d'année et un repos bien mérité.