Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 28 septembre 2016 à 10h04

Résumé de la réunion

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La réunion

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La réunion est ouverte à 10 h 04

La commission examine le rapport de M. Jacques Gautier et le texte proposé par la commission sur le projet de loi n° 752 (2015-2016) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord concernant les centres d'excellence mis en oeuvre dans le cadre de la stratégie de rationalisation du secteur des systèmes de missiles.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

Monsieur le Président, mes chers collègues, cet accord relatif à la mise en oeuvre des centres d'excellence dans le cadre de la stratégie de rationalisation du secteur des systèmes de missiles entre la France et le Royaume-Uni s'inscrit dans le cadre plus global de la coopération de défense très étroite existant entre nos deux pays et à laquelle le Sénat prend toute sa part, via des réunions périodiques conjointes entre les commissions parlementaires françaises et britanniques chargées de la défense - la dernière édition s'est tenue au Sénat le 12 juillet dernier.

Je tiens à vous indiquer d'emblée que le vote britannique en faveur du Brexit du 23 juin dernier ne devrait pas remettre en cause cet accord bilatéral, comme l'indiquent quasiment tous les observateurs et comme a tenu à le souligner le ministre de la défense britannique, Michael Fallon, à l'occasion de l'Université d'été de la défense des 5 et 6 septembre 2016.

Cet accord s'inscrit plus précisément dans le volet industriel du Traité de Lancaster House de 2010, dont l'objectif est de rationaliser la base industrielle et technologique de défense franco-britannique. Dans le domaine hautement sensible des missiles, la France et le Royaume-Uni ont ainsi accepté une plus grande « dépendance mutuelle », tout en préservant leur autonomie stratégique, la sécurité de leurs approvisionnements et l'indépendance de leur politique extérieure, et ont décidé d'accompagner une intégration plus poussée des activités des filiales française et britannique du principal groupe missilier européen MBDA, sur une base de réciprocité et d'équilibre entre les deux filiales. Il s'agit avant tout de réduire la charge de développement des missiles nationaux et d'optimiser les investissements par des gains de synergie. MBDA estime que cela devrait lui permettre de réduire ses coûts d'environ 30 %.

Dans le secteur des missiles, la France et le Royaume-Uni coopèrent actuellement pour la rénovation des missiles de croisière SCALP et Storm Shadow (SCALP-PSSCEP), pour le développement du programme de missile anti-navire léger (ANL). L'accord de coopération relatif à ce programme a d'ailleurs permis de tester, avec succès, les principes qui seront appliqués dans la mise en oeuvre des centres d'excellence prévus par l'accord que nous examinons, « en lançant la spécialisation des bureaux d'études de part et d'autre de la Manche dans quatre disciplines ». Lors du sommet d'Amiens de mars 2016, une déclaration d'intention commune a été signée par les deux ministres de la défense pour le lancement d'une phase de conception commune pour le programme Futur Missile Anti-Navire-Futur Missile de Croisière (FMAN-FMC). Ce programme, qui a vocation à identifier des solutions communes pour remplacer à terme les missiles de croisière SCALP pour la France et Storm Shadow pour le Royaume-Uni, ainsi que les missiles anti-navires Exocet pour la France et Harpoon pour le Royaume-Uni, devrait faire l'objet d'un arrangement gouvernemental d'ici à la fin 2016, afin d'ouvrir la voie à des contrats possibles d'ici mars 2017. Il devrait être le premier grand programme développé par les centres d'excellence mis en place par le présent accord.

Nous venons de recevoir une très bonne nouvelle, dont je vous livre la primeur : hier soir, la ministre britannique en charge des acquisitions pour la défense, Mme Harriett Baldwin, en déplacement à Paris, a annoncé, que l'agence contractante sur le projet FMAN-FMC serait française. Si aucun contrat n'est encore signé, nous avons de bonnes raisons de nous réjouir.

Cet accord définit les obligations réciproques de la France et du Royaume-Uni relatives à la mise en oeuvre des centres d'excellence par le groupe MBDA sur chacun des territoires.

Pour mémoire, le groupe MBDA, créé en 2001, est détenu actuellement par trois principaux actionnaires : Airbus Group pour 37,5 %, BAE Systems pour 37,5 % et Finmeccanica, récemment renommé Leonardo, pour 25 %. En 2015, MBDA a réalisé un chiffre d'affaires de l'ordre de 3 Mds d'euros, soit une progression de 20 % par rapport à 2014, dont 50 % en France. Il a enregistré 5,2 Mds d'euros de prise de commandes, dont 70 % à l'export, à la suite notamment de la vente des avions de combat Rafale à l'Égypte et au Qatar - soit 27 % de croissance par rapport à 2014. Son carnet de commandes s'établissait à 15,1 Mds d'euros, l'équivalent d'environ cinq ans d'activités. En 2015, le Groupe comprenait 10 000 personnes en Europe, réparties principalement entre MBDA France (4 500 personnes), MBDA UK (2 850 personnes), MBDA Italie (1 350 personnes) et MBDA Allemagne (1 250 personnes). Actuellement ce groupe détient 20 à 25 % du marché mondial des missiles hors Russie et Chine.

Voyons en premier lieu en quoi consistent les centres d'excellence : ils sont globalement définis comme des centres techniques conjoints situés au sein de MBDA-France et de MBDA-UK. Leur mise en oeuvre a pour but la consolidation de l'expertise de ces deux filiales, afin de garantir des améliorations en termes d'efficacité, au bénéfice des deux Parties. Ces centres pourraient employer environ 1 000 personnes, dont environ 600 en France et 400 au Royaume-Uni. Il en existe deux catégories.

Première catégorie : les centres d'excellence fédérés combinent des expertises et des compétences technologiques détenues par MBDA-France et MBDA-UK. Ils permettent une utilisation plus optimale des ressources en vue d'une efficacité accrue mais conservent un niveau significatif et équilibré de compétences sur les territoires de chacune des deux Parties. Ils fonctionneront avec des équipes regroupant des personnels de MBDA-France et de MBDA-UK, spécialistes du domaine considéré et qui resteront dans leur pays d'origine. Chaque centre aura une gouvernance unique avec un seul responsable ayant autorité à la fois sur les équipes française et britannique.

Quatre centres d'excellence fédérés sont prévus par l'accord : dans le domaine des algorithmes, au Plessis-Robinson, à Bristol et Stevenage ; dans le domaine des logiciels, à Bourges, à Plessis-Robinson ainsi que Bristol, Stevenage et Lostock ; dans le domaine des senseurs de navigation, à Plessis Robinson ainsi que Bristol et Stevenage et dans le domaine des charges militaires complexes, à Plessis Robinson et Lostock-Bolton. Suite aux nominations de juillet 2016, la responsabilité de ces quatre centres sera partagée entre deux responsables français et deux responsables britanniques.

Seconde catégorie : les centres d'excellence prédominant spécialisés permettent de consolider, majoritairement - à hauteur de 80 % en pratique - sur le territoire d'une des Parties, les compétences et les expertises se rapportant à certaines technologies choisies de manière à permettre un équilibre technologique global entre les deux États. Une capacité résiduelle - en pratique à hauteur de 20 %- peut subsister sur le territoire de l'autre Partie, pour lui permettre de travailler sur des armements existants et sur des activités sensibles à l'échelon national.

Quatre centres d'excellence prédominants spécialisés sont envisagés. Ceux basés sur le territoire français portent sur les calculateurs de missiles (Plessis-Robinson) et les équipements de test (Bourges). Ceux basés sur le territoire britannique portent sur les technologies de liaisons de données embarquées sur les missiles (Stevenage et Bristol) et sur les actionneurs de gouverne (Stevenage).

Un suivi des capacités industrielles communes résultant de la mise en oeuvre des centres d'excellence est prévu et l'évolution des centres d'excellence fait l'objet d'une procédure de consultation et d'instruction préalables. L'élargissement des centres d'excellence à des États tiers, choisis en vue d'associer d'autres composantes nationales de MBDA, (Italie, Allemagne, Espagne) est également rendu possible, sous réserve de la conclusion d'un nouvel accord intergouvernemental entre les États ayant vocation à les accueillir.

Voyons maintenant les engagements réciproques des Parties en vue d'aménager leur interdépendance technologique

L'article 11 pose le principe d'un engagement de non-rétablissement : les Parties « s'abstiennent de financer des projets ou de prendre de décisions qui contribuent à la reconstitution ou au rétablissement sur leur territoire de capacités transférées sur le territoire de l'autre Partie dans le cadre des centres d'excellence ».

L'article 6 relatif à la sécurité d'approvisionnement garantit la fourniture réciproque d'informations et de technologies développées et fabriquées par les centres d'excellence, en temps de paix comme en cas de crise ou de conflit armé, ainsi qu'un accès sans obstacles aux centres eux-mêmes.

L'article 7 traite des niveaux de protection ou de classification des informations et technologies créées par les centres d'excellence, qu'il s'agisse de données futures ou déjà existantes, afin que les échanges ne soient pas inutilement entravés par des restrictions de sécurité nationale. D'une manière générale, les Parties facilitent l'échange d'informations, y compris d'informations classifiées, et protègent ces informations conformément aux dispositions de l'accord bilatéral de sécurité (conclu en 2008 et modifié en 2014), qui prévoit l'équivalence des classifications de sécurité des deux pays, aux fins de partage de certaines informations sensibles.

L'article 8 vise à faciliter le transfert, entre les Parties, de produits liés à la défense, notamment par le biais de licences globales réciproques et de même portée, couvrant l'ensemble du domaine d'activité du centre d'excellence. Ces licences globales vont permettre aux personnels français et britannique d'échanger sur l'ensemble des activités du centre d'excellence : données, matériels, technologies, logiciel, procédés ou expériences sauf s'il existe des restrictions nationales. Selon MBDA, ce sera « un facilitateur essentiel et indispensable au succès des Centres d'excellence », car chaque échange entre les filiales française et britannique nécessite actuellement la délivrance d'une licence individuelle de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériel de guerre (CIEEMG), après un temps d'instruction plus ou moins long.

L'article 9 pose un principe d'autorisation des transferts et des exportations à des tiers des productions issues des centres d'excellence, auquel il ne peut être dérogé que pour des motifs de politique étrangère et de sécurité nationale.

L'article 10 définit les règles de divulgation et d'utilisation des informations détenues par MBDA - France et MBDA-UK, entre les États signataires. Ce sont deux de ces dispositions, relevant du domaine de la loi, qui rendent nécessaires le recours à une autorisation parlementaire pour la ratification de l'accord, en application de l'article 53 de la Constitution. En premier lieu, les Parties s'engagent à n'empêcher ni l'échange d'informations, ni les cessions ou transferts des droits de propriété intellectuelle générés par les centres d'excellence, ni l'octroi de licences d'exploitation entre MBDA - France et MBDA-UK, sauf s'il existe de « sérieuses restrictions de sécurité nationale ». En second lieu, lorsque MBDA - France et MBDA-UK sont titulaires des droits sur une invention faisant l'objet d'un brevet ou d'une demande de brevet, les Parties s'assurent que MBDA octroie à chaque Partie, sur la même base, une licence d'utilisation irrévocable et exempte de redevance.

S'agissant des autres dispositions de l'accord, il faut surtout retenir que les décisions relatives à sa mise en oeuvre et à son fonctionnement sont prises dans le cadre d'une instance de pilotage spécifique, le Comité en charge de la stratégie de rationalisation du secteur des systèmes de missiles, composé d'un membre représentant chacune des Parties ainsi que d'un membre associé de de MBDA-France et d'un membre associé de MBDA-UK.

En conclusion, je recommande l'adoption de ce projet de loi. Cet accord propose un modèle innovant de coopération, sans équivalent à ce jour, qui, tout en préservant l'autonomie stratégique de chacune des Parties, la sécurité de leurs approvisionnements, leurs capacités opérationnelles ainsi que l'indépendance de leur politique extérieure, accroît leur dépendance mutuelle pour la fourniture de technologies intégrées dans les systèmes de missiles. Enfin, au moment où le Royaume-Uni s'apprête à quitter l'Union européenne, il importe de resserrer les liens bilatéraux, notamment dans un domaine où la coopération de défense et d'armement - celui des missiles - est particulièrement avancée et efficace. Le Royaume-Uni a déjà fait savoir, par note verbale, du 23 février 2016 qu'il avait achevé sa procédure interne de ratification de sa procédure.

L'examen en séance publique est fixé au jeudi 29 septembre 2016. La Conférence des Présidents a proposé son examen en procédure simplifiée, ce à quoi je souscris, car cela nous garantit une adoption rapide.

Debut de section - PermalienPhoto de Jeanny Lorgeoux

Merci. Il s'agit d'un accord considérable qui concrétise le travail de MBDA et de son président Antoine Bouvier. Il permet d'envisager avec bonheur l'avenir économique et les emplois sur les sites du Plessis-Robinson mais aussi de Bourges et de la Selles-Saint-Denis, qui me sont particulièrement chers. Cet accord est un signe fort de coopération franco-britannique en matière de coopération militaire, un signe nécessaire après le vote en faveur Brexit. Il « articule » parfaitement l'indépendance nationale et la volonté de coopération dans le domaine militaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

C'est un accord important pour les entreprises, l'emploi, mais également pour la coopération franco-britannique après le vote en faveur du Brexit. Cet accord aura-t-il une influence sur nos partenaires européens ? Nos partenaires allemands et italiens ne risquent-ils pas d'être déçus devant cette coopération industrielle avec le Royaume-Uni ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

Merci à mes deux collègues pour leurs questions. Cet accord est technique mais c'est un pas essentiel vers une dépendance encadrée, car nous n'avons plus les moyens d'acquérir des matériels perfectionnés tout seuls. Il faut réduire les coûts, dans le respect de la souveraineté nationale. Je veux rassurer mon collègue Robert del Picchia : l'accord prévoit que nos partenaires européens, allemand et italien, qui sont actionnaires de MBDA, pourront être invités à rejoindre cette coopération par le biais des centres d'excellence, sous réserve de la conclusion d'accords intergouvernementaux. Depuis les traités de Lancaster House, le projet « One MBDA » dans le domaine des missiles a permis le rapprochement des structures française et britannique. C'était un premier pas vers ce que nous officialisons aujourd'hui. C'est une avancée importante dans la confiance partagée en matière de défense. Le travail de l'entreprise Nexter et de son homologue allemand, dans le domaine des véhicules terrestres, va un peu dans le même sens, même s'il s'agit de la fusion de deux entreprises.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

En multipliant le nombre d'acteurs, on augmente aussi les risques en matière de propriété industrielle et de sécurité informatique. Qu'est-il prévu en la matière ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

s'agissant de la propriété industrielle, l'article 10 est entièrement consacré à la question. Les deux Etats veillent d'ailleurs eux-mêmes à ce que MBDA leur accorde des licences d'utilisation équivalente. Pour le reste, les réseaux informatiques et les communications sont sécurisées, même si une cyber-attaque n'est jamais totalement exclue. Le fait que 80 % du travail soit effectué dans le centre d'excellence d'un pays limitera aussi les échanges d'information et au-delà les risques de piratage évoqués

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Merci. Je constate qu'entre 2008 et 2015, les commandes de MBDA ont plus que doublé. Il faut s'en réjouir même si cela révèle une montée des menaces dans le monde dans lequel nous vivons. MBDA est implanté dans cinq pays, dont le dernier en date les Etats-Unis. Nous venons de rencontrer l'ambassadrice des Etats-Unis et je me demande comment évolue le carnet de commandes de MBDA dans ce pays et plus largement quel avantage en retire la France. Par ailleurs, je viens d'apprendre qu'il y a une licence sur un missile qui autorise l'utilisation de l'uranium. Que faut-il en penser ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

Sur le point précis de l'utilisation éventuelle d'uranium dans un missile, je reviendrai vers vous ultérieurement, après de plus amples recherches. La pénétration du marché américain des missiles est très difficile du fait du protectionnisme, mais aussi parce que le leader mondial est l'entreprise américaine Raytheon. MBDA fait un gros travail en direction du marché américain. Pour la signature des contrats à l'exportation, comme ceux concernant le Rafale déjà évoqués, il faut savoir que les missiles et les bombes de qualité favorisent l'exportation. MBDA n'est pas tout seul, c'est l'équipe France qui se déplace à chaque fois. On peut penser que les exportations d'avions Rafale vont assurer, pour l'avenir, à MBDA, de longues fournitures de missiles. En effet, il est fréquent qu'au moment de la commande d'avions, les acheteurs limitent leur commande en missiles, mais doivent ensuite les compléter.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le rapport (abstention de Mme Leila Aïchi) ainsi que le projet de loi précité. Il sera examiné par le Sénat en séance publique le 29 septembre 2016, selon la procédure simplifiée.

La commission examine le rapport de M. Jean-Pierre Cantegrit et le texte proposé par la commission sur le projet de loi n° 751 (2015-2016) autorisant la ratification de la convention sur la répression des actes illicites dirigés contre l'aviation civile internationale et du protocole complémentaire à la convention pour la répression de la capture illicite d'aéronefs.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Cantegrit

Monsieur le Président, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant la ratification de la convention sur la répression des actes illicites dirigés contre l'aviation civile internationale et de son protocole complémentaire sur la répression de la capture illicite d'aéronefs.

Ces deux textes, adoptés par consensus à Pékin, le 10 septembre 2010, sous l'égide de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) visent à renforcer - et à remplacer - la convention de Montréal et la convention de La Haye qui, depuis plus de quarante ans, garantissent la sûreté de l'aviation civile internationale contre les risques de terrorisme aérien.

Ces deux instruments s'inscrivent dans le contexte d'un nombre croissant de victimes d'actes illicites contre l'aviation civile internationale : depuis le premier acte commis en février 1931 (détournement d'avion par des activistes politiques au Pérou), on compte près de 1 100 actes violents contre l'aviation civile, dont la grande majorité dans les années 1960 à 1990. Leur nombre a diminué à partir des années 1990 - de 200 en1990, on passe ainsi à 80 en 2000 puis à 12 en 2010 - avec pour contrepartie un accroissement significatif du nombre de victimes. On passe ainsi de 320 morts entre le début des années 1930 et la fin des années 60 à 2 300 dans les années 1980 et à plus de 3 250 dans les années 2000. Au total, les actes de violence contre l'aviation civile auraient causé la mort de près de 6 300 personnes depuis 1931. À signaler que plus des trois quart des victimes ont perdu la vie au cours des 20 attaques les plus meurtrières - l'attaque du 11 septembre représentant à elle seule près de la moitié des victimes.

Ces deux instruments s'inscrivent également dans le contexte d'un changement de nature des menaces dirigées contre l'aviation civile internationale : l'histoire des actes de piraterie aérienne a connu grosso modo trois grandes phases. Une première phase où l'objectif recherché était surtout de faire pression sur des gouvernements pour obtenir des rançons, la libération de détenus, une inflexion de leur politique ou bien encore l'asile politique. Les détournements d'aéronefs, bien que violents, ne faisaient pas ou peu de victimes. La deuxième période commence dans les années 1970, lorsque des groupes armés - voire des États - cherchent à détruire des aéronefs ciblés pour faire le maximum de victimes et accroître ainsi leurs pressions sur les autres États et-ou intimider des populations, au moyen de tirs d'armes de guerre contre des appareils en vol ou au sol ou par le placement de bombes à bord. Ce mode opératoire aurait causé au moins 2 500 victimes jusqu'à la fin des années 1990. On se souvient des 270 victimes de l'explosion du Boeing 747 de la Pan Am au-dessus de Lockerbie, en Ecosse, en décembre 1988, un attentat reconnu, en 2003, par le régime libyen de Mouammar Kadhafi. Les conventions de Montréal et de La Haye ont été adoptées, au début de cette période, en vue d'ériger en infractions internationales, le fait de commettre un acte de violence, quelle que soit sa nature, mettant en cause la sûreté d'un aéronef ainsi que la capture illicite d'aéronef civil. La troisième phase correspond à l'utilisation d'aéronefs comme armes pour conduire des attaques, en les projetant sur une cible, ainsi qu'à une intensification des attaques visant à détruire des appareils pour causer le maximum de victimes. Sont ainsi particulièrement emblématiques, les attentats du 11 septembre 2001, lorsque 19 terroristes ont détourné 4 avions de ligne pour les écraser sur le World Trade Center, le Pentagone et en Pennsylvanie. Avec 2 977 morts et disparus, il s'agit de l'acte de violence le plus meurtrier de l'histoire de l'aviation civile. Cette forme d'attaque est assez largement le fait du terrorisme islamiste qui compte à son actif une vingtaine de tentatives ou d'actes réussis depuis 1994 (les faits les plus récents se sont produits le 31 octobre 2015 en Egypte (tir de missile contre un avion russe par la branche égyptienne de Daech : 224 morts et le 29 mars 2016 en Somalie : attaque à la bombe contre un avion djiboutien : 1 mort). Pour faire face à ces nouvelles menaces terroristes, notamment au risque de plus en plus grand de voir des aéronefs employés comme vecteurs d'une attaque contre des cibles au sol ainsi qu'à la prolifération des armes de destruction massive, l'Organisation de l'aviation civile internationale a entamé, dès 2001, des réflexions en vue de renforcer les conventions existantes. Les deux instruments de Pékin que nous examinons aujourd'hui se présentent comme l'aboutissement de ces réflexions.

Venons-en aux dispositions de ces deux textes : elles sont pour la plupart rédigées de manière analogue, même si ceux-ci poursuivent des objectifs spécifiques :

La Convention de Pékin, composée de 25 articles, a pour principal objet de compléter la convention de Montréal qui visait les actes violents mettant en danger la sûreté d'un aéronef et des personnes à bord. Elle crée notamment plusieurs nouvelles infractions visant à incriminer un certain nombre d'actes, dès lors qu'ils sont commis dans le but de causer la mort, des blessures ou des dommages graves à des biens ou à l'environnement et qui sont relatives à l'utilisation d'un aéronef « en service » comme arme, au largage à partir d'un aéronef de substances biologiques, chimiques ou nucléaires dites « arme BCN » ou encore des matières explosives ou radioactives, à l'utilisation d'arme BCN ou de matières similaires contre ou à bord d'un aéronef, au transport illicite d'arme BCN ou de matières similaires et enfin à l'interruption des services d'un aéroport à l'aide d'un dispositif, en particulier les cyber-attaques contre les installations de navigation aérienne.

Le protocole de Pékin, composé également de 25 articles, a pour objet de renforcer la convention de La Haye qui visait les détournements d'aéronefs en vol, la tentative de commettre cette infraction ainsi que la complicité dans sa commission. Il érige désormais en infraction pénale le fait de s'emparer, illicitement et intentionnellement d'un aéronef « en service », c'est-à-dire d'un appareil « se trouvant au sol depuis le moment où le personnel au sol ou l'équipage commence à le préparer en vue d'un vol déterminé jusqu'à l'expiration d'un délai de 24 heures suivant tout atterrissage » ou d'en exercer le contrôle par tout moyen technologique.

Outre la complicité et la tentative déjà prévues, ces deux instruments ont en commun de sanctionner désormais la menace, la transmission de la menace, l'organisation, l'association de malfaiteurs, l'aide à la soustraction aux poursuites, la contribution à la commission qui permet de couvrir le financement. Ils prévoient que les États Parties s'engagent à réprimer ces infractions par des peines sévères, qu'ils ont la possibilité d'engager la responsabilité des personnes morales impliquées lorsque celles-ci sont constituées sous leur droit ou sur leur territoire. Les tribunaux des États Parties sont désormais compétents lorsque l'infraction est commise par un de leurs ressortissants ou contre l'un d'eux ou par une personne sans nationalité résidant sur leur territoire. D'une manière générale, les États Parties ont l'obligation de s'assurer que leurs tribunaux sont compétents pour toutes les infractions listées. Ces textes réaffirment aussi le principe aut dedere aut judicare (extrader ou poursuivre) qui impose aux États de prendre toute mesure utile pour qu'un auteur présumé d'infraction présent sur le territoire d'un des États Parties soit jugé ou extradé vers une autre Partie désireuse d'engager les poursuites. Ils mettent tous deux en place un dispositif garantissant le respect des droits des personnes en cas de détention et d'extradition : droit à un procès équitable, dépolitisation des infractions - une demande d'extradition ne peut donc pas être refusée au motif qu'elle concerne une infraction politique - et non-discrimination touchant aux personnes poursuivies - il n'y a pas d'obligation d'extrader s'il apparaît que la personne sera poursuivie sur le fondement de sa race, religion, nationalité, origine ethnique, opinion politique ou genre. Ces dernières clauses sont reprises de conventions récentes traitant de la répression du financement du terrorisme, des attentats terroristes à l'explosif et des actes de terrorisme nucléaire.

L'articulation entre ces instruments et le droit européen ne soulève aucune difficulté particulière. Le droit français, quant à lui, permet de répondre à la plupart des obligations introduites par ces deux instruments qui sont, pour l'essentiel, des précisions ou des élargissements d'obligations déjà existants. Il faudra cependant procéder aux trois adaptations suivantes. Dans le code pénal, la définition du détournement d'aéronef devra être révisée pour tenir compte de la définition de « l'aéronef en service » et de la nécessité de réprimer la prise de contrôle d'un aéronef par tout moyen technologique, et il faudra créer la nouvelle incrimination d'interruption des services d'un aéroport. Il faudra aussi modifier le code de procédure pénale pour permettre aux juridictions françaises d'avoir une compétence quasi-universelle, s'étendant aux infractions prévues par ces textes et commises hors du territoire français. Je rappelle à cette occasion que la délégation française a activement participé à l'élaboration de ces textes et que la Chancellerie a naturellement été associée à toute la négociation.

En conclusion, je recommande l'adoption de ce projet de loi. En effet, les instruments de Pékin vont permettre de faire face aux nouvelles menaces qui pèsent sur l'aviation civile internationale et qui sont liées au terrorisme et à la prolifération des armes de destruction massive, en insérant dans le corpus juridique international de nouvelles incriminations. Ils entreront en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant le dépôt du vingt-deuxième instrument de ratification ou d'approbation. Ouverts à la signature depuis le 10 septembre 2010; la convention de Pékin compte à ce jour 31 signatures et 8 ratifications et le protocole de Pékin, 33 signatures et 7 ratifications.

L'examen en séance publique est fixé au jeudi 29 septembre 2016. La Conférence des Présidents a proposé son examen en procédure simplifiée, ce à quoi je souscris.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

C'est le trente-cinquième anniversaire de l'abolition de la peine de mort. Le refus de l'extradition vers les pays qui appliquent la peine de mort est-il évoqué dans ces deux instruments ? Ce type d'attentat peut notamment avoir lieu dans des pays ou être commis par des ressortissants de pays où la peine de mort est toujours en vigueur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Cantegrit

Ces deux instruments ne contiennent pas de disposition particulière sur cette question. On peut donc penser que les pays seront fidèles à leur pratique constante en matière d'extradition.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le rapport ainsi que le projet de loi précité. Il sera examiné par le Sénat en séance publique le 29 septembre 2016, selon la procédure simplifiée.

La commission nomme rapporteurs :

Robert del Picchia sur le projet de loi n° 863 (2015-2016) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Autriche relatif au statut juridique des personnels de l'armée fédérale autrichienne au cours de leur séjour dans la collectivité territoriale française de Guyane ;

Nathalie Goulet sur le projet de loi n° 448 (2014-2015) autorisant l'approbation de la convention d'extradition signée le 2 mai 2007 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'État des Émirats arabes unis ;

Joël Guerriau sur les projets de loi n° 260 (2014-2015) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Panama relatif aux services aériens, n° 241 (2014-2015) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Congo relatif aux services aériens et n° 242 (2014-2015) autorisant l'approbation de l'accord relatif aux services de transport aérien entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République démocratique du Congo ;

Marie-Françoise Perol-Dumont sur les projets de loi n° 130 (2014-2015) autorisant l'approbation de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Costa Rica, n° 131 (2014-2015) autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Costa Rica et n° 221 (2014-2015) autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Union des Comores.

La réunion est levée à 10 h 53