Délégation sénatoriale à l'Outre-mer

Réunion du 24 novembre 2016 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • EPF
  • canne
  • foncier
  • hectare
  • mètre
  • terre
  • tonnes

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Nous poursuivons aujourd'hui les auditions du troisième et dernier volet de notre étude sur le foncier, consacré aux conflits d'usage et aux outils de planification. Après avoir dialogué hier après-midi avec la Guyane, nous nous projetons ce matin à La Réunion pour continuer notre série de visioconférences destinées à mieux apprécier les différentes stratégies territoriales et les contraintes spécifiques de chaque collectivité.

Nous procéderons en deux temps : la première séquence sera centrée sur l'intervention des collectivités territoriales et, au premier rang, du conseil régional chargé de définir le schéma d'aménagement régional, document prescriptif ; la seconde séquence réunira les acteurs socio-économiques dont l'activité dépend étroitement du foncier mobilisable.

Je remercie de leur présence Madame Virginie K'Bidy et Monsieur Bachil Valy, conseillers régionaux, Monsieur Jean-Louis Grandvaux, directeur de l'Établissement public foncier de La Réunion (EPFR) et Monsieur Anthony Rasolohery, directeur de l'aménagement de la région Réunion.

Je précise pour nos interlocuteurs que Thani Mohamed Solihi, sénateur de Mayotte, est notre rapporteur coordonnateur ; Antoine Karam, sénateur de la Guyane, et Daniel Gremillet, sénateur des Vosges, sont co-rapporteurs.

Pouvez-vous d'abord retracer les grands enjeux et objectifs qui structurent le schéma d'aménagement régional (SAR) ?

Debut de section - Permalien
Bachir Valy, conseiller régional

Merci de votre invitation. Pour exposer les grands enjeux et objectifs qui structurent le SAR adopté en 2011, Monsieur Rasolohery est le mieux placé !

Debut de section - Permalien
Anthony Rasolohery, directeur de l'aménagement de la région Réunion

Le SAR a identifié quatre grands défis : la dynamique démographique, les changements climatiques, les effets de la mondialisation, les effets structurants des infrastructures majeures. Quatre objectifs ont été définis : répondre aux besoins d'une population en croissance et protéger les espaces agricoles et naturels, préserver la cohésion d'une société réunionnaise de plus en plus urbaine, renforcer la dynamique économique dans un territoire solidaire et, enfin, sécuriser le fonctionnement du territoire pour anticiper les changements climatiques.

Pour freiner la consommation d'espaces agricoles, le SAR préconise d'inclure dans les documents d'urbanisme locaux, plan local d'urbanisme (PLU) et schéma de cohérence territoriale (SCOT), un classement approprié afin de faire obstacle à tout changement de destination inapproprié.

Il s'agit aussi de contenir l'étalement urbain, en délimitant des espaces déjà urbanisés à densifier, des espaces d'urbanisation prioritaire dont la vocation urbaine est déjà affirmée et qui vont accueillir des opérations d'aménagement et de construction, et des zones préférentielles d'urbanisation, qui seront inscrites sur la carte comme ouvertes à l'urbanisation. Les volumes définis sont répartis entre les bassins de vie.

Deux grands chapitres de prescriptions inscrits dans le SAR visent à décliner les orientations pour maintenir les grands équilibres spatiaux (urbains, agricoles, naturels) et pour dessiner une armature urbaine hiérarchisée.

Le schéma de mise en valeur de la mer (SMVM) tend à protéger les écosystèmes littoraux, à organiser l'activité littorale et à contenir le développement urbain.

Plusieurs grands projets structurants inscrits dans le SAR sont en cours de réalisation : la nouvelle route du littoral, le développement des voies consacrées aux transports collectifs, la construction de logements - car l'objectif de 9 000 par an préconisé dans le SAR est loin d'être atteint, la moyenne ayant été de 4 500 entre 2009 et 2013, et la réalisation étant descendue à 3 300 en 2014 et 2 700 en 2015.

D'autres projets concernent les infrastructures de transport : la déviation routière de Saint-Joseph, qui a été réalisée pour fluidifier la circulation dans cette ville, les pôles d'activité à vocation régionale, notamment celui du Sud, ou coeur d'agglomération, le projet de coeur d'agglomération sur le Territoire de la côte Ouest (TCO), qui a été labellisé « éco-cité », le seul en outre-mer.

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Grandvaux, directeur de l'Établissement public foncier de La Réunion

Le territoire compte peu de terrains de l'État mobilisables pour des logements. L'EPF en a déjà acquis quatre, l'un à Saint-Benoît pour des aménagements touristiques, un autre à La Possession pour la construction de logements (1,5 million d'euros et 1,8 hectare), un autre encore pour des logements (1,5 million d'euros également) et enfin un terrain à Saint-Benoît (270 000 euros et 3 000 mètres carrés) pour une opération de logement. Nous négocions actuellement tous les terrains autour du Port, qui comportent quelques maisons appartenant à l'État, qui nous intéressent dans le cadre de la reconquête de la zone.

L'État possède peu de terrains mobilisables, sauf en bord de mer où sont installés des résidences de vacances ou des centres d'entraînement pour l'armée. Certains présentent un enjeu touristique important compte tenu du faible espace littoral disponible. Ces très belles parcelles pourraient donner lieu à des opérations exceptionnelles à vocation touristique, créatrices d'emplois.

Debut de section - PermalienPhoto de Gélita Hoarau

Quelle surface, précisément, est disponible, notamment sur le littoral ? Et quelle est la surface disponible des terrains des collectivités locales ?

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Grandvaux, directeur de l'Établissement public foncier de La Réunion

Le terrain de Saint-Benoît qui comporte un bâtiment intéressant du point de vue du patrimoine - une ancienne gare - a une dimension de 1,5 hectare. Celui de La Possession, 1,8 hectare, sera affecté à une opération comportant 60 % de logements sociaux. Celui du Port représente 1,28 hectare, et un autre à Saint-Benoît est plus petit, 3 000 mètres carrés. Ils sont destinés également à des opérations de logement. Ceux-là ont été acquis. Nous négocions un terrain au Port de 1,5 hectare sur lequel sont bâties des maisons inscrites au patrimoine dont il faudra tenir compte car nous ne pouvons les démolir. Nous avons fait dans le passé un inventaire des terrains d'État et un inventaire des terrains des collectivités locales : peu pourraient accueillir des opérations d'aménagement. Beaucoup d'espaces naturels, peu de terrains constructibles pour les collectivités !

En revanche, l'EPF a acquis de nombreux de terrains constructibles : il a acheté depuis 2002 480 terrains, soit 395 hectares, pour un investissement cumulé de 220 millions d'euros ; nous avons revendu 230 terrains sur 205 hectares, pour 230 millions d'euros. Il en reste la moitié, ce qui constitue un potentiel de terrains constructibles très important. Entre 5 et 6 000 logements ont été réalisés sur ces terrains, il reste des possibilités équivalentes en volume de logements ainsi que des possibilités pour des équipements publics, des projets économiques et touristiques. Le potentiel des terrains acquis est très important, grâce aux mandats que nous ont confiés les collectivités. Nous avons établi sur toute l'île des plans d'action fonciers, documents stratégiques pour chaque commune, où sont repérés tous les terrains disponibles à acquérir, publics et privés, et les priorités des collectivités. Nous les tenons à jour en fonction des risques, des PLU, des constructions nouvelles, des évolutions politiques, de la demande... Nous avons donc une bonne connaissance du foncier stratégique et constructible. Nous ne nous occupons pas, en revanche, des espaces naturels et non constructibles. Nous travaillons en complémentarité totale avec la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer).

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Comment se fait-il, alors, que le nombre de nouveaux logements ne cesse de diminuer ? Où sont les blocages ?

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Grandvaux, directeur de l'Établissement public foncier de La Réunion

Plusieurs facteurs jouent : les collectivités locales ont des difficultés financières, les bailleurs sociaux aussi ; la gestion de la ligne budgétaire unique (LBU) a fait l'objet de remises à plat ; les lois de défiscalisation - Girardin en particulier - arrivent à leur terme, si bien que les investissements privés reculent alors qu'ils finançaient à La Réunion la moitié des constructions de logement ; et le parc des bailleurs sociaux vieillit, sa réhabilitation consommant des financements non négligeables. Enfin, les documents d'urbanisme doivent être mis en conformité avec le SAR, ce qui se fait progressivement.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Quel est l'écart actuel entre l'offre et la demande de logements sociaux et de logements intermédiaires ? Les besoins sont-ils couverts ?

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Grandvaux, directeur de l'Établissement public foncier de La Réunion

On dénombre 20 000 personnes en attente de logement aidé. Peu de Réunionnais ont les moyens d'accéder à la propriété, d'acheter un terrain et de faire construire. La demande de logements locatifs est donc importante. La défiscalisation a été bénéfique pour la construction et a permis d'absorber une partie des besoins, mais elle se tasse alors que la croissance démographique s'accentue.

Debut de section - Permalien
Anthony Rasolohery, directeur de l'aménagement de la région Réunion

Des PLU sont en cours d'élaboration, des SCOT compatibles avec le SAR ont déjà été achevés, et la région accompagne les collectivités dans cette mise en compatibilité, veillant à la bonne retranscription des objectifs du schéma régional dans les documents d'urbanisme, notamment les plans d'aménagement et de développement durable (PADD). Un guide méthodologique d'application du SAR réalisé en lien avec les services de l'État est disponible.

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Grandvaux, directeur de l'Établissement public foncier de La Réunion

Sur vingt-quatre communes que compte La Réunion, dix-huit ont donné délégation à l'EPF pour exercer le droit de préemption urbain (DPU). Cela concerne, sur les 27 000 hectares constructibles de l'île, les 10 000 hectares stratégiques pour l'urbanisation. Sur les autres s'exerce une moindre pression, nous n'avons pas de délégation et ne souhaitons pas l'avoir. L'EPF préempte pour le compte des communes, sans jamais outrepasser le prix des Domaines - c'est une règle - et uniquement pour les motifs d'intérêt général stipulés par les communes conformément à la loi statutaire. Lorsque la commune reçoit une déclaration d'intention d'aliéner, elle s'adresse à nous si elle souhaite préempter le terrain sans avoir la capacité financière propre de l'acheter.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Sur les espaces naturels sensibles, le droit de préemption du département est-il appliqué ? Avez-vous des relations avec le Conservatoire du littoral ?

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Grandvaux, directeur de l'Établissement public foncier de La Réunion

Oui, mais nous ne préemptons pas, ce sont nos partenaires compétents qui le font.

Debut de section - Permalien
Virginie K'Bidy, conseillère régionale

C'est la Safer qui s'en charge pour le compte du département, voire du Conservatoire du littoral.

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Grandvaux, directeur de l'Établissement public foncier de La Réunion

Quant aux expropriations, deux grandes opérations sont en cours. L'EPF a commencé la première avec l'accord du préfet, sur 90 hectares, pour construire 2 700 logements et des commerces, à Saint-Paul, sur la zone d'aménagement concerté (ZAC) Renaissance 3. Une autre est menée par le Territoire de la côte Ouest (TCO), elle porte sur un terrain de 500 hectares dans la zone de Cambaie, sur lequel une ancienne antenne Omega de l'armée a dû être démantelée. Le projet est de bâtir une éco-cité. Sur le même projet, l'EPF devrait également acquérir des terrains du TCO, pour 50 millions d'euros - en achetant en second rang, non en expropriant... L'expropriation n'est pas courante, ces dernières années.

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Grandvaux, directeur de l'Établissement public foncier de La Réunion

Oui, nécessairement. Nous savons déjà que des contentieux seront soulevés dans la ZAC sur laquelle nous procédons à des expropriations. Il y a des contentieux en cours sur la zone de Cambaie. Nous sommes en instance d'appel.

Nous essayons de tenir compte des plans de prévention du risque inondation (PPRI) ou mouvements de terrain (PPRMT), lorsqu'ils existent. La non-concomitance de leur élaboration avec celle des documents d'urbanisme, dans des îles comme La Réunion, peut avoir de lourdes conséquences. Certains terrains classés comme constructibles deviennent de fait inconstructibles après la réalisation du PPRI... Nous avons la chance à La Réunion d'avoir des systèmes d'information géographiques performants ; nous comptons également sur les échanges d'informations avec les services de l'État et des différentes collectivités qui se déroulent bien, mais les risques évoluent quotidiennement... À Salazie, commune dont le sol bouge beaucoup et connaît de fréquents glissements de terrain, nous avons acheté un terrain constructible, deux ans avant qu'une faille ne s'ouvre en son milieu : la commune, désormais grevée d'un terrain inconstructible, a perdu de l'argent et transformé en jardin public son projet initial. Idéalement, il faudrait que l'État et les collectivités se tiennent informés mutuellement de l'état d'avancement des documents en temps réel pour les faire évoluer simultanément, car ces désagréments peuvent coûter cher.

Debut de section - Permalien
Bachil Valy

Je suis maire d'une commune en cours de révision simplifiée de son PLU, afin d'anticiper les futurs aménagements à y apporter et d'estimer les réserves foncières dont nous disposons.

Un mot sur les tensions entre les communes et le parc national de La Réunion. Sept des vingt-quatre communes de La Réunion n'ont pas signé la charte du parc national, ce qui représente environ un tiers de sa superficie. Le dialogue entre les élus de ces zones agricoles et d'élevage et l'administration du parc n'a jamais été simple ; celle-ci s'est aussi heurtée à la population de ces zones. Les tensions sont aujourd'hui retombées, mais beaucoup reste à faire. Tous les outils contraignant le développement économique - plan de prévention des risques, plan d'occupation des sols (POS), plan local d'urbanisme -, conjugués aux nouvelles réglementations du parc national, ont refroidi les ardeurs des élus que nous sommes car l'activité existante était remise en cause. Les communes des hauts de La Réunion ont une vocation de développement touristique plus qu'industrielle qui est incontestablement freinée par ces contraintes. Une convention devait précéder la signature de la charte, pour faciliter le dialogue et lever ces freins : nous ne pouvons accepter celle-ci sans avoir conclu celle-là... C'est la raison du blocage. Le président de la région a engagé une étude complémentaire pour susciter l'adhésion des communes réticentes. Notez que celles qui ont signé la charte, limitrophes ou n'ayant qu'une partie de leur territoire sur celui du parc national, sont les moins concernées par ses réglementations.

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Grandvaux, directeur de l'Établissement public foncier de La Réunion

Le nombre de transactions sur les marchés fonciers diminue depuis cinq ans, mais les prix sont restés élevés. L'établissement public foncier de La Réunion a réalisé 30 millions d'euros d'acquisition en 2014 et 2015, mais seulement 18 millions en 2016. Selon la direction générale des finances publiques (DGFiP), le nombre de transactions a chuté de 30 % entre 2011 et 2015. La fin du dispositif Girardin, l'impact de la crise financière sur les particuliers ou celle de certains dispositifs fiscaux sur l'immobilier expliquent en partie ce phénomène de rétention foncière. Lorsque la plus-value réalisée par un particulier est taxée à 35 % ou 40 %, il arrive qu'il refuse de vendre. Enfin, de nombreuses communes rechignent à lancer de grandes opérations compte tenu de l'accroissement des risques financiers et juridiques.

Les mutations ont diminué de 50 % depuis 2007, tendance que confirme la Safer et qui touche aussi les milieux naturel et agricole. Malgré la chute des transactions, les prix se maintiennent : ils restent élevés et sont même repartis récemment à la hausse. Cette tendance s'observe sur tous les segments de marché : bâti, non bâti, urbain, agricole.

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Grandvaux, directeur de l'Établissement public foncier de La Réunion

À Saint-Denis, le mètre carré non bâti se négocie à 1 000 euros en centre-ville. Dans une ville moyenne, un terrain coûte 200, 300, ou 400 euros le mètre carré. À l'Entre-deux par exemple, commune bien située au sud de l'île, le mètre carré coûte 250 euros. Les parcelles à bâtir peinent à trouver preneur au-delà de 400 mètres carrés. Nous avons néanmoins acheté des terrains à 4 ou 5 euros le mètre carré ou, dans la zone d'activité de Pierrefonds, près de Saint-Pierre, à 15,24 euros le mètre carré, il y a cinq ans : nous n'avons acheté que les quatre cinquièmes de la parcelle à ce prix intéressant en permettant à son propriétaire de faire une plus-value sur le cinquième restant.

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Grandvaux, directeur de l'Établissement public foncier de La Réunion

Non, nous n'achetons jamais de terrain agricole. Il s'agissait d'une zone d'urbanisation future, mais non aménagée. Les agriculteurs qui s'y trouvaient ont été indemnisés. Heureusement, la continuité politique a été forte dans cette zone puisque le précédent maire de Saint-Pierre avait proposé aux agriculteurs 100 francs le mètre carré il y a quinze ans ; nous avons préféré conclure un accord en leur laissant la jouissance d'un cinquième du terrain, contre l'achat des quatre cinquièmes à un prix maîtrisé pour la puissance publique.

Debut de section - Permalien
Anthony Rasolohery, directeur de l'aménagement de la région Réunion

Le schéma départemental des carrières a déjà fait l'objet d'une modification pour prendre en compte des besoins en matériaux - de la route du littoral notamment. En ce moment, une procédure de modification du SAR est en cours, qui intègre l'inscription de certains espaces dans la carte des carrières.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Merci pour vos réponses et vos éclairages.

La cession de terrains semble bien se passer à La Réunion, mais ce n'est pas toujours le cas. En Guyane, par exemple, l'État possède plus de 90 % des terres et les conserve jalousement. Les choses ont-elles toujours été aussi simples ? Quel est votre secret ?

Dix-huit communes sur vingt-quatre ont conféré leurs prérogatives de préemption à l'établissement public foncier. Comment font les autres pour mobiliser des terrains ?

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Grandvaux, directeur de l'Établissement public foncier de La Réunion

Il y a une vingtaine d'années, les financements étaient plus abondants à La Réunion, et les bailleurs sociaux disposaient parfois de trésors de guerre : la mobilisation du foncier était donc relativement simple. La région, les communes et les bailleurs sociaux, tout le monde achetait des terrains. C'était une période florissante. Puis ces acquisitions se sont trouvées en concurrence frontale avec les opérations de promoteurs privés désireux de profiter des dispositifs de défiscalisation, ce qui a renchéri les prix. Les collectivités ont alors pris, en 2002, l'initiative de créer un EPF, qui peut prélever une taxe spéciale d'équipement dans la limite de 20 euros par habitant. À La Réunion, cette taxe a été votée sur une base de 12,6 millions d'euros. Cette somme s'ajoute chaque année au produit des reventes de terrains et aux emprunts, ce qui dote l'EPF de capacités d'acquisition non négligeables. Dans l'état actuel des finances des collectivités, il serait difficile pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de constituer des réserves foncières sans notre force de frappe. Nous revendons nos terrains au prix où nous les achetons, que nous l'ayons gardé en notre possession un, deux ou quinze ans, hors les très faibles frais de portage nécessaires pour faire tourner notre équipe de douze personnes, de l'ordre de 1 % sur le capital restant dû. La taxe spéciale d'équipement sert intégralement à financer l'achat des terrains revendus aux collectivités. Je travaille aussi dans l'association des EPF locaux en métropole et j'ai un contact avec les EPF d'État : nous n'avons jamais eu de remarques sur le montant de cette taxe spéciale d'équipement. C'est un outil bien fléché et bien utilisé, sans lequel nous ne pourrions pas faire grand-chose.

Le périmètre des communes qui nous ont délégué leur DPU évolue régulièrement. La commune du Tampon vient de s'associer à l'EPF. Certaines grosses communes restent encore à l'écart. La commune de Saint-Denis ne nous a pas délégué le droit de préemption, car elle mène une politique foncière avec des moyens suffisants, mais nous négocions actuellement avec elle. La commune du Port, depuis sa création, a constitué énormément de réserves foncières. Cette anticipation l'a autorisée à mener une politique très active et économe de constructions. Aujourd'hui, les besoins sont plus réduits car elle a davantage de réserves. Certaines petites communes ont de moindres besoins comme Cilaos, où il n'y a pas de délégation du droit de préemption. Tout cela peut changer demain. L'EPFR pourra-t-il faire face à tous les besoins ? Il ne peut préempter à guichet ouvert, partout sur les 24 communes pour des sommes importantes. C'est possible actuellement, mais jusqu'à quand ?

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

Merci pour la clarté de vos propos, qui nous donnent une bonne photographie de la situation. L'EPF et la Safer, les deux grands intervenants de l'organisation territoriale, travaillent-ils étroitement ensemble ?

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Grandvaux, directeur de l'Établissement public foncier de La Réunion

Nous avons d'excellents rapports avec la Safer : elle siège à la commission foncière de l'EPF qui se réunit avant chaque conseil d'administration pour examiner toute demande d'acquisition. Nous n'intervenons jamais sur les terrains agricoles naturels, mais rachetons à la Safer certains terrains déclassés. Nous ne faisons pas le même métier mais nous sommes complémentaires. La Safer préempte les terres agricoles afin de les donner aux agriculteurs. Réciproquement, elle nous informe de son programme pluriannuel d'aménagements, nous invite à des réunions ou à son assemblée générale. Nous entretenons des échanges très réguliers.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Merci pour toutes vos réponses précises et éclairées.

Nous auditionnons à présent Madame Sylvie Le Maire, déléguée générale du Syndicat du sucre de La Réunion, accompagnée de Madame Aurore Bury, chargée de mission foncier et aménagement du territoire ; Messieurs Éric Wuillai, membre du Medef Réunion, président directeur général (PDG) de CBo Territoria, Bernard Fontaine, président, et Michel Oberlé, délégué de l'Association régionale des maîtres d'ouvrage sociaux (Armos), Gérard Sorres, président, et Michaël Fourel, directeur de la Safer de La Réunion. Monsieur Jean-Bernard Gonthier, président de la Chambre d'agriculture de La Réunion, est présent parmi nous.

Debut de section - Permalien
Sylvie Le Maire, déléguée générale du Syndicat du sucre de La Réunion

Nous répondrons à vos questions en tant qu'usagers du foncier agricole. La filière canne-sucre représente le tiers de la production agricole de l'île, avec une filière agroindustrielle intégrée : la canne est produite et transformée dans l'île en sucre, avec valorisation des coproduits et des sucres spéciaux.

L'enjeu foncier est majeur pour l'agriculture. La Réunion a une surface de 2 500 km2, mais seulement un tiers de son foncier est utilisable : 62 % du territoire est recouvert de bois et de forêts - contre 40 % en métropole. Dans cet espace, la surface agricole utile (SAU) représente 42 000 hectares, pour un objectif de 50 000 hectares affiché dans tous les documents de planification : le SAR bien sûr, et le programme régional d'agriculture et d'agroalimentaire durable.

Ces 50 000 hectares ne sont pas atteints. Les conflits d'usage n'apparaissent pas au sein de la filière agricole qui répond, à La Réunion, à un modèle social et familial articulé autour de cultures complémentaires : d'une part la canne à sucre, pour l'export notamment, d'autre part la diversification, tant animale que végétale, à destination du marché local. La pression s'exerce majoritairement entre l'agricole et l'urbain, avec une croissance démographique encore nette. Il faut trouver un mode optimisé d'organisation pour préserver les terres agricoles tout en développant les logements pour accueillir la population. Nous n'avons pas trop de terres agricoles : la SAU représente 16 % du territoire, contre 54 % en France métropolitaine.

Oui, le foncier est un paramètre limitant. Les gains de compétitivité passent par une augmentation du foncier. Or, nous n'avons pas la capacité d'accroître fortement le foncier agricole qui se stabilise depuis une dizaine d'années à 42 000 hectares. Aujourd'hui, lorsqu'on libère du foncier pour installer un agriculteur, il y a sept à huit candidats pour un seul terrain. L'espace reste limité pour répondre à la demande.

Nous souhaitons que la ville se construise sur la ville, pour éviter de déclasser des terres. Les pertes foncières ont été très importantes dans les années 1980 et 1990. Deux documents ont permis de stabiliser le foncier : le SAR de 1995, puis celui de 2011. La filière canne couvrait plus de 28 000 hectares en 1980, avant de chuter à 25 000 hectares en 2000. Désormais, grâce aux grands projets d'irrigation et de basculement des eaux d'Est en Ouest, nous avons stabilisé la surface agricole cannière autour de 24 000 hectares. Les deux SAR successifs prenant en compte l'importance du foncier ont évité des dérives, même si tous les risques ne sont pas supprimés. Selon les deux scénarios extrêmes envisagés à titre d'hypothèses par le SAR, à horizon 2030, 6 à 34 % des terres pourraient être perdues. Autant le SAR est un document régional d'encadrement qui circonscrit les pertes foncières, autant on peut craindre actuellement des pertes importantes en fonction de la gestion effective des outils de planification et de présentation du foncier agricole.

La pression foncière est beaucoup plus importante près des grands centres urbains comme Saint-Denis et Saint-Pierre. La taille des parcelles est un autre paramètre. La zone de l'Est résiste mieux à la pression foncière, avec des parcelles plus structurées, à la différence du Sud avec un parcellaire plus réduit, territoire plus fragile du point de vue de l'unité des terres agricoles.

La filière canne représente 57 % de la SAU. Nous n'avons pas atteint nos objectifs : nous voulons reconquérir plus de foncier, sans en perdre. Une des solutions serait de mobiliser les 5 à 7 000 hectares de terres agricoles en friche. Reconquérir les terres incultes en améliorant les procédures est une priorité. Il faut aussi recenser le foncier urbain disponible. L'année dernière, 5 800 hectares de dents creuses se trouvaient dans les villes. Certaines intercommunalités veulent construire dans ces dents creuses, comme le Territoire de la côte Ouest. Un travail fin sur ces espaces optimisera le foncier disponible, notamment en commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), afin d'examiner ensemble les permis de construire sur les terres agricoles.

Autre élément-clé de la loi d'avenir agricole, le dispositif « éviter-réduire-compenser » (ERC) est en cours de mise en place à La Réunion, avec une analyse du foncier préalable pour choisir des terres qui pénalisent le moins l'agriculture, avant de réduire l'impact et de compenser, si possible à potentiel productif constant. La tentation est grande de prendre les terres du littoral les plus plates et les plus faciles d'accès pour les remplacer par les terres de moyenne ou haute altitude ; mais le potentiel agricole n'est pas le même pour le jeune agriculteur qui s'y installe. Aujourd'hui, on produit en moyenne 76 tonnes de canne par hectare. Sur les terres déclassées, en moyenne, on arrive à 90 tonnes par hectare : ce sont les meilleures terres de production qui sont remplacées par des terres moins productives.

Debut de section - Permalien
Jean-Bernard Gonthier, président de la Chambre d'agriculture de La Réunion

Madame Le Maire a bien résumé la situation du foncier agricole. Nous avons atteint un équilibre ; il faut le conforter. La concurrence n'est pas entre filières mais entre les secteurs d'activité. Pour développer notre agriculture, il faut aussi lutter contre l'importation de denrées agricoles à La Réunion. L'équilibre doit être conservé grâce à des gains de productivité et à l'intégration des terres en friche, sans attenter aux filières existantes. Il manque ainsi 4 000 hectares pour assurer notre autosuffisance en élevage, qui pourraient être récupérés dans les terres en friche, quitte à échanger avec le secteur de la canne. Il manque entre 500 et 800 hectares pour atteindre l'autosuffisance dans le maraîchage. Il reste encore de la marge pour produire. Nous devons récupérer les marchés d'importation. Selon les années, nous sommes entre 75 et 80 % autosuffisants en produits frais. Consolidons nos positions.

Debut de section - Permalien
Gérard Sorres, président de la Safer de La Réunion

Aujourd'hui, 300 hectares sont perdus chaque année. Avec la loi d'avenir agricole, la préemption partielle nous fait perdre autant sans qu'on la contrôle. Les règles qui s'appliquent dans les DOM sont compliquées. Quand on préempte une maison à 200 ou 300 000 euros, il y a 4 000 mètres carrés de terres en SAU à côté. Si la Safer préempte le foncier agricole, il a 3 à 4 000 euros à payer, mais la Safer ne peut pas payer les 200 000 euros ; dès lors, il est impossible d'installer des jeunes ou d'agrandir les exploitations.

Pour compenser le foncier, pour un hectare dans les bas, il faut 4 à 5 hectares dans les hauts. Installé sur 2 hectares de terres en friche il y a 40 ans, je suis bien placé pour dire qu'on ne peut pas s'emparer de la ceinture littorale de l'île pour reléguer la production agricole dans les hauts. Trouvons des compensations justes et appliquons les règles. Chaque maire aujourd'hui devrait instaurer des règles et les faire appliquer. Nous devons tirer l'oreille des agriculteurs car ce sont les premiers à construire sur le foncier agricole pour se loger. Comment résoudre ce problème de fond ? Pour produire sur les terres du haut, il faut entreprendre de gros travaux d'amélioration foncière, mais on y renonce car l'agriculteur ne peut faire l'avance d'un tel investissement avant même d'exploiter.

Debut de section - Permalien
Bernard Fontaine, président de l'Association régionale des maîtres d'ouvrage sociaux (Armos)

Quittant la problématique du foncier agricole, je vais aborder celle du logement. Je dirige un organisme de logement social, la Société immobilière du département de La Réunion (SIDR). Tous les organismes de logement social sont également aménageurs, c'est consubstantiel à notre métier.

Il n'y a pas de concurrence directe entre le foncier à usage agricole et le foncier à usage du logement - les projets de construction de logement sont situés dans les zones constructibles. À quel endroit le foncier est-il optimal pour des projets de construction ?

La situation foncière répond à différents critères géographiques et topographiques. Dans l'Est de l'île, la situation foncière est détendue car l'offre de logements est au moins égale à la demande. Elle obéit aussi à une approche financière : le foncier est rare donc cher à La Réunion. On constate des évolutions. Le prix moyen d'un logement social était de 110 000 euros il y a cinq ans, dont 15 000 euros de foncier, alors que désormais il est de 170 000 euros, dont 45 000 euros de foncier. Cette inflation des coûts du foncier pose problème.

Oui, il faut construire la ville sur la ville. La recherche de densification urbaine répond à des objectifs clairs. Il est beaucoup plus intéressant, pour optimiser des équipements publics, des transports, des équipements scolaires, de construire les logements à proximité des aménités urbaines : c'est la tendance naturelle de tout bailleur. Mais précisément, en zone urbaine, le foncier est le plus coûteux et inaccessible, car les parcelles sont souvent éparpillées. Des économies d'échelle sont difficiles à obtenir.

Distinguons aussi le foncier brut du foncier aménagé. Le foncier brut n'est pas équipé, il n'est pas connecté aux équipements de voirie, de réseau ou de distribution, à proximité des grandes fonctionnalités urbaines - administrations, écoles... Quelle est la meilleure politique de production de foncier aménagé ? La problématique du foncier est inséparable de celle de l'aménagement et du logement. Une des plus grandes difficultés des bailleurs sociaux est de disposer de foncier aménagé, parce que c'est la façon la plus intelligente et la plus efficace financièrement de produire du logement.

En zone urbaine, à Saint-Denis, Saint-Pierre ou Saint-Paul, le prix du foncier est prohibitif, de 1 000 euros le mètre carré, contre 100 euros le mètre carré dans des zones détendues. Nous aurions intérêt financièrement à construire dans les zones détendues, mais pas commercialement car nos logements resteraient vacants. Il faut surmonter cette contrainte de coût.

Nous avons d'autres contraintes structurelles : les architectes-conseils de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) - ou les architectes des bâtiments de France si le terrain est à proximité d'un bâtiment classé - nous imposent des règles qui renchérissent nos opérations. Les collectivités territoriales nous demandent moins de densité, en raison du rêve réunionnais d'une « case à terre » pour une population essentiellement rurale. De grands ensembles urbains seraient voués à l'échec. En dehors de Saint-Denis, les logements comptent 3 à 4 étages au maximum.

Existent aussi des contraintes réglementaires, comme l'accessibilité pour les personnes à mobilité réduite, dans une île montagneuse où la topographie renchérit le coût de la construction, avec des terrains en forte pente à terrasser.

On ne peut aborder la question du logement et du foncier sans celle de la politique d'aménagement du territoire, clé pour une politique agricole harmonieuse, et pour une politique de l'habitat et de l'urbanisme la plus efficace possible.

Debut de section - Permalien
Éric Wuillai, président directeur général de CBo Territoria

membre du Medef Réunion, président directeur général de CBo Territoria. - Je préside aussi la fédération des promoteurs immobiliers de La Réunion. CBo Territoria est un aménageur et opérateur privé, spécialiste de l'aménagement. Nous possédons également quelques terres agricoles.

Nous rencontrons de grandes difficultés pour récupérer des terrains qui ont été attribués à des agriculteurs, il y a dix ans, et les proposer à d'autres. Les délais nous semblent trop longs mais, dans le logement, nous sommes sans doute habitués à des délais plus courts que dans le monde agricole. Entre la promesse de bail et l'installation de l'agriculteur, il se passe parfois jusqu'à deux ans. Il faut donc améliorer les procédures pour récupérer rapidement les nouvelles friches et les remettre en culture.

Je ne suis pas un défenseur des grandes propriétés, mais les grandes exploitations ont constitué la meilleure protection de l'espace agricole. À La Réunion, le mitage est un problème. Comme le rappelait Monsieur Sorres, on construit pour ses enfants, à côté de chez soi, mais lorsqu'une parcelle de 5 hectares est divisée en cinq, puis encore en cinq une génération plus tard, il ne reste plus que de petits îlots en zone agricole. En outre, le maire ne pouvant pas proposer de logement, il lui est difficile d'interdire la construction.

Nous menons actuellement une opération de GIE (groupement économique et environnemental) avec la Safer sur 500 hectares de terres récupérés dans l'Ouest grâce au basculement des eaux, sur lesquels près d'une centaine d'hectares peuvent déjà être remis en culture. En dix ans, nous avons remis 500 hectares en culture, parmi lesquels 150 hectares sont déjà quasiment en friche. Nous avons besoin d'outils permettant d'aller plus vite.

Je souscris aux propos de Bernard Fontaine de l'Armos au sujet du schéma d'aménagement régional, le SAR. Nous avons besoin de documents de planification afin de connaître la vision politique de développement du territoire.

Il semble que l'on cherche à refaire la ville sur la ville, mais la loi SRU, par exemple, impose 25 % de logements sociaux. Sur une commune dans laquelle on ne peut pas construire sur le littoral parce que s'y trouvent l'aéroport et des terres agricoles, c'est un niveau difficile à atteindre. L'application de la loi SRU devrait donc être envisagée à l'échelle des territoires et pas seulement des municipalités.

Une autre difficulté réside dans la qualification du foncier dont nous parlons. S'agit-il de terrains nus ou de terrains aménagés ? Aujourd'hui, toutes les opérations supportent les coûts d'investissement foncier. Les nouveaux habitants paient la totalité des équipements, qui profitent pourtant également aux usagers déjà installés. C'est un grand débat !

Je confirme que la tension est plus forte sur les secteurs Nord et Ouest. Les superficies existent à La Réunion mais, soyons honnêtes, cette île est une vaste conurbation sur le littoral. Les grandes zones d'activité ne peuvent pas être installées sur des pentes à 25 %. Dans les hauts, sans routes et sans transports en commun, il est aussi compliqué de faire de la ville que de l'agriculture. Il faut maintenant trouver les bons équilibres. Il reste bien des interstices urbains à récupérer, mais les rapports d'acquisition de terrains nus ne sont pas les mêmes !

Debut de section - Permalien
Bernard Fontaine, président de l'Association régionale des maîtres d'ouvrage sociaux (Armos)

Les documents d'urbanisme existent à La Réunion : les plans locaux d'urbanisme, le schéma de cohérence territoriale, le schéma d'aménagement régional, les instruments de cadrage territorial sont disponibles. Ce qui manque, c'est une boîte à outils d'incitation financière, qui permettent aux communes de décliner les prescriptions qui leur sont faites et d'accompagner l'effort d'aménagement. Celui-ci pèse sur les opérateurs, qui deviennent de véritables substituts des collectivités locales lorsqu'il faut construire en périphérie des centres urbains.

Il importe donc de consacrer des moyens publics à l'aménagement, notamment ceux de la région. C'est ainsi que pourra être mise en oeuvre une politique du logement plus efficace.

Debut de section - Permalien
Aurore Bury, chargée de mission « Foncier et aménagement du territoire » au Syndicat du sucre de La Réunion

En complément de cette boîte à outils financière, nous avons renforcé depuis 2010, avec la loi de modernisation de l'agriculture puis avec la loi d'avenir pour l'agriculture, les outils réglementaires et législatifs nécessaires au contrôle de la division parcellaire et au suivi de l'occupation du sol et de ses usages.

Toutefois, le contrôle par les services de l'État n'a pas suivi, car celui-ci s'est désengagé de ces outils. La commission départementale de la consommation des espaces agricoles (CDCEA) ne s'est ainsi réunie qu'une dizaine de fois, et n'a instruit que douze dossiers. En Guadeloupe, par exemple, cette commission a traité 600 dossiers durant la même période, en instruisant systématiquement les permis de construire sur les espaces agricoles. Auparavant, la direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF) les traitait, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Le résultat est une recrudescence du mitage agricole sans contrôle, car ni l'État ni les communes ne souhaitent s'en occuper.

La taille de la propriété cadastrale est déterminante pour l'usage du sol. Cet outil doit nous permettre de limiter les divisions parcellaires, mais aucun contrôle n'est réalisé. Des demandes parviennent au Conseil départemental, qui est chargé de cette thématique, mais nous ne savons pas quelle proportion des dossiers est effectivement traitée et nous ne disposons d'aucun suivi ni d'aucune capitalisation des données. Il faudra traiter ce problème pour garantir que le foncier agricole le reste.

Une particularité - regrettable ! - de La Réunion est que le siège d'une exploitation n'est pas cédé en même temps que les terres. Avec le temps, la parcelle est délimitée autour du bâti, puis les générations suivantes, privées de siège, demandent à nouveau un permis de construire. C'est un cercle vicieux.

D'autres outils existent. À La Réunion, nous réceptionnons chaque jour une image satellite du territoire. Ces données sont extraordinaires mais il n'existe pas d'observatoire de l'usage du sol susceptible d'en tirer profit, comme le préconisait pourtant la loi qui a mis en place la CDCEA. Notre lecture du territoire est donc encore très passive, nous ne sommes pas suffisamment réactifs face aux mutations des usages.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vergoz

Il est très important de rappeler que la responsabilité de l'aménagement du territoire est partagée. Elle n'incombe pas seulement à tel ou tel élu, plus encore sur une île.

Je suis dans les affaires agricoles depuis des années, et je souhaite obtenir une réponse à une interrogation qui perdure. Vous évoquez des éléments récurrents : tant d'hectares sont nécessaires pour protéger le foncier cannier, avec tels rendements, etc.

Nous disposons aujourd'hui de tous les outils pour suivre l'évolution de la terre réunionnaise au mètre carré près. Le satellite, cela vient d'être dit, nous permet de tout voir. Il y a deux usines sucrières à La Réunion, l'une au Gol, l'autre à Bois Rouge, et treize balances dont nous connaissons la répartition. On estime à 24 000 hectares ce qui serait nécessaire pour sauvegarder la filière, alors même que les rendements diminuent. J'habite une zone rurale escarpée, très difficile, mais les terres de ma commune produisent 120 tonnes de canne à l'hectare, car nous nous sommes attelés à la modernisation des chemins et de l'exploitation. Si nous avons obtenu de tels résultats sur un territoire très difficile, cela doit être possible ailleurs !

Ces 24 000 hectares à préserver pour la canne, où sont-ils ? Ne sommes-nous pas capables de dire où l'on produit les deux millions de tonnes de canne traités au Gol et à Bois Rouge chaque année ? Les deux usines ne peuvent pas broyer plus de canne. En 1996, nous avons fixé ce seuil défensif, mais il n'a jamais été atteint. En réalité, chacune broie plutôt 900 000 tonnes de canne. Il nous appartiendra de demander à tel ou tel acteur de faire des efforts spécifiques pour sauvegarder son usine. En effet, si l'une d'entre elles devait fermer, toute la filière serait en danger.

Je termine la préparation du plan local d'urbanisme de ma commune, et j'observe que les autorités agricoles me demandent toujours plus. Je n'en ferai pas plus. J'ai fait passer la balance de la Ravine Glissante de 60 000 tonnes à 120 000 tonnes en moyenne, j'ai servi La Réunion et je suis en droit d'attendre, sur mon territoire rural sous pression, un juste retour de mes efforts !

Debut de section - Permalien
Sylvie Le Maire, déléguée générale du Syndicat du sucre de La Réunion

Il n'est pas facile d'indiquer où sont les terres cannières sans une carte. La surface agricole utile s'étend sur le pourtour de l'île, puisque plus de 40 % de la surface totale du territoire est occupée par des cirques et des montagnes, en son centre.

La zone Est, qui comprend Sainte-Rose, est en effet très productive. Toutes les zones réunionnaises sont couvertes par l'agriculture, à l'exception peut-être du Port, qui joue toutefois un rôle important de terminal sucrier.

La canne pousse entre le niveau de la mer et 600 ou 700 mètres d'altitude au plus aujourd'hui, car elle exige de l'eau et de la chaleur. De ce point de vue, le bassin Est résiste mieux que le bassin Sud et l'Ouest est protégé, car le basculement des eaux a imposé la protection des terres, grâce aux projets d'intérêt général, les PIG. Les zones les plus fragiles sont le Nord, autour de Saint-Denis, où il ne reste plus grand-chose, et le Sud, très sujet au mitage.

Un rendement de 120 tonnes par hectare, c'est excellent, mais les conditions d'exploitation sont disparates. La production oscille entre 60 tonnes et 120 tonnes à l'hectare, avec une moyenne de 76 tonnes. Les 3 100 exploitations ont chacune un chef qui choisit sa stratégie, ses variétés et son modèle de production. La moyenne globale cache de grandes disparités. En raison de l'urbanisation dans les bas, nous avons perdu les meilleures terres sur lesquelles les rendements atteignaient en moyenne 90 tonnes à l'hectare.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Il y a donc besoin à la fois de terres et d'une amélioration du rendement de la production.

Debut de section - Permalien
Jean-Bernard Gonthier, président de la Chambre d'agriculture de La Réunion

Je rejoins les propos du sénateur Vergoz. Certaines zones difficiles produisent mieux que d'autres dites faciles. Il faut réfléchir à un plan d'action pour identifier les problèmes des zones fragiles. L'Ouest est en difficulté, il faut y redynamiser le secteur cannier.

Dans le Sud, à proximité des villes, un découragement se fait jour, parce que les meilleures terres sont urbanisées. Monsieur Sorres, président de la Safer, l'a bien expliqué : valoriser un terrain en friche dans les hauts, cela coûte très cher. Le nouveau programme ne nous facilite pas la tâche, de ce point de vue, en raison des conditions posées à l'attribution des aides. Les agriculteurs sont donc en difficulté.

Aujourd'hui, dans les zones difficiles, les producteurs qui n'ont que de petites surfaces n'ont pas d'autre choix que d'essayer d'augmenter les rendements pour vivre de leur terre. Il est urgent de réfléchir à l'urbanisation des terres agricoles dans différentes zones.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vergoz

Donc, 76 tonnes par hectare, c'est la moyenne officielle de rendement ?

Debut de section - Permalien
Sylvie Le Maire, déléguée générale du Syndicat du sucre de La Réunion

Oui !

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vergoz

Entre 1994 et 1996, période très difficile d'asphyxie de la filière, j'étais président de la commission agricole du département. Nous étions alors à 75 ou 76 tonnes par hectare en moyenne. Depuis lors, pourtant, le plan de modernisation de l'économie sucrière (PMES) a permis de débloquer des dizaines de millions de francs - à l'époque - de fonds européens. Il a été suivi d'un plan de consolidation. Nous avons donc, aujourd'hui, tous les indices pour déclencher l'alerte rouge !

Debut de section - Permalien
Gérard Sorres, président de la Safer de La Réunion

À propos de rendement de la canne, il faudra revoir le document. Je considère qu'une terre irriguée dans les bas qui produit 40 tonnes par hectare est en friche, et que son exploitant n'est pas un agriculteur. Il faut arbitrer !

Nous perdons donc 300 hectares de terre agricole chaque année. À ce rythme, dans cent ans, il ne restera plus un seul hectare agricole sur l'île. Il faut mener une réflexion intense, nous avons besoin de tout le monde pour faire fonctionner les outils et appliquer les règles afin de définir des zones agricoles et des zones constructibles pertinentes. Ce n'est pas sorcier, les gens intelligents doivent se mettre autour d'une table !

Debut de section - Permalien
Sylvie Le Maire, déléguée générale du Syndicat du sucre de La Réunion

On ne peut pas dire que les plans n'ont servi à rien. Aujourd'hui, la production a été stabilisée. L'année dernière, nous avons produit 1,9 million de tonnes de canne. Une partie des terres des bas a été perdue et nous avons reconquis des terres en moyenne altitude. Nous avons également récupéré les zones de l'Ouest, moins productives, grâce au basculement des eaux. Le travail a été mené pour récupérer du potentiel.

À la fin des années 1990, la surface agricole était inférieure à 24 000 hectares. Le basculement a permis la reconquête mais, à l'Ouest, de jeunes agriculteurs se sont installés, le parcellaire n'est pas bien délimité et l'irrigation pose parfois problème. Le potentiel de production est donc plus faible. Il ne me semble pas pertinent de raisonner sur la moyenne à l'échelle de l'île.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

La dynamique me semble claire, des terres disparaissent ici, on en récupère là, pour au moins maintenir l'équilibre. Il est toutefois possible aussi de rêver d'un rendement de 120 tonnes à l'hectare partout !

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vergoz

Il n'est pas utopique de viser 90 tonnes. C'était possible hier, cela ne l'est plus. C'est inquiétant !

Debut de section - Permalien
Éric Wuillai, président directeur général de CBo Territoria

Monsieur Vergoz, je vous propose de venir en parler avec nous en présence de la Safer. Nous travaillons depuis deux ans avec elle dans l'objectif de remettre des terres en culture. Depuis deux ans, entre Saint-Leu et Saint-Paul, cela a été le cas pour plus 150 hectares. Nous n'avons pas vocation à supprimer les terres agricoles.

Debut de section - Permalien
Éric Wuillai, président directeur général de CBo Territoria

Je voudrais évoquer la question du logement intermédiaire. À La Réunion, l'habitat est diversifié. Il s'agit de faire de la ville, avec de la place pour tous, et pas seulement du logement social.

Nous avons subi une modification substantielle des lois de défiscalisation. Le dispositif Pinel a succédé au Duflot et la baisse a été drastique : de 2 500 logements intermédiaires financés par an, nous sommes passés à seulement 450 cette année. Les investisseurs institutionnels étaient auparavant encouragés par la loi Girardin à construire du logement intermédiaire, mais la loi a été modifiée de telle sorte que les sociétés qui dégagent plus de 20 millions d'euros de chiffre d'affaires sans appartenir au secteur productif ne peuvent plus investir dans cette catégorie de logement.

Aujourd'hui, si l'on veut densifier verticalement, seul le secteur social est susceptible de produire de l'habitat collectif. Nous n'arrivons plus à vendre de l'intermédiaire en collectif par manque d'investisseurs. Depuis deux ans, la demande s'oriente vers le lotissement et la maison de ville. Pourtant, dans le logement intermédiaire collectif, le taux de vacance n'est que de 5 %. Il constitue donc bien une réponse possible aux besoins. Certes, le Réunionnais veut sa maison et son lopin, mais l'extension urbaine concernera seulement les gens qui ont les moyens de le payer et le collectif se limitera au logement social.

Nous menons un projet avec 50 logements par hectare au-dessus de l'aéroport, en construisant sur cinq étages, mais nous sommes aujourd'hui en panne car nous ne pouvons plus produire du logement intermédiaire en collectif. Il n'est pourtant pas question de refaire les ZUP des années 1960 avec 100 % de logements sociaux ! Nous avons donc besoin de cohérence dans les aides incitatives en appui des politiques.

Je vous propose d'ouvrir à nouveau la possibilité d'investissement aux investisseurs institutionnels. L'Assemblée nationale a pris en compte nos propositions dans la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer. Le risque, c'est de continuer à favoriser l'étalement urbain. Mais alors, on ne pourra plus nous reprocher de consommer des terres agricoles !

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Le Sénat va à son tour examiner le projet de loi de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer. La commission des affaires économiques s'en saisit le 11 janvier. Nous entendons votre demande.

Debut de section - Permalien
Michel Oberlé, délégué de l'Association régionale des maîtres d'ouvrage sociaux (Armos)

L'Armos regroupe les sept bailleurs sociaux de La Réunion, gérant 70 000 logements sociaux. Nous en construisons 2 à 3 000 par an. J'aborderai trois thématiques. Tout d'abord, nous rencontrons des difficultés majeures pour densifier les terrains constructibles, comme le demandent, à raison, les différents documents d'aménagement. Plusieurs facteurs rendent difficile le passage de la planification à la réalisation, en particulier la fixation des prix par France Domaine. Les terrains urbains coûtent très cher, et les décisions de France Domaine ne reflètent pas les possibilités réelles de constructibilité.

En centre-ville, les prix peuvent atteindre plus de 1 000 euros le mètre carré. Il est très compliqué de lancer une opération de logement social équilibrée sur un terrain de ce prix.

En outre, France Domaine ne tient pas compte de la constructibilité réelle du terrain. Ses agents procèdent par forfait sur les parcelles, sans considération des contraintes architecturales, par exemple la proximité d'un site protégé ou des obligations des plans de prévention des risques (PPR). Les niveaux de constructibilité théoriques contenus dans les PLU ne sont donc pas réalisés. Certains élus, qui autorisent des constructions de trois ou quatre étages dans leurs plans, nous demandent même ensuite de n'en construire qu'un seul.

Ensuite, le protocole de préfiguration du plan logement outre-mer a été signé en 2015 à La Réunion. Cette année-là, toutefois, le montant issu de la LBU attribué à La Réunion a été réduit de 20 millions d'euros. Je m'interroge donc sur la réalité de ce plan.

Enfin, vous m'interrogiez sur les effets de la loi Letchimy. Celle-ci concernait d'abord la résorption de l'habitat insalubre. À La Réunion, tous les grands bidonvilles urbains ont été démantelés dans les années 1980 et 1990. Ce succès a été obtenu grâce à l'intelligence collective des collectivités, de l'administration et des opérateurs, qui ont travaillé ensemble. Cette loi ne nous a donc pas beaucoup apporté.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Merci des renseignements que vous nous avez transmis durant ce débat de qualité. Il est agréable, grâce à la technologie, de nous trouver chaque jour dans une nouvelle région du monde !