Vous présidez la sous-commission Sécurité et défense du Parlement européen. À ce titre, vous êtes en relation étroite avec les institutions européennes mais aussi avec vos collègues parlementaires des autres pays membres. Vous jouissez donc d'une position importante d'observateur, capable d'influence sur la détermination de la politique européenne de sécurité et de défense.
Nous souhaitons, avec nos éminents collègues de la commission des affaires européennes ici présents, connaître votre appréciation sur les résultats du Conseil européen de décembre dernier, consacré en grande partie à ces questions, et notamment sur ses conclusions en matière d'opérations, de capacités et d'industries de défense. Comment ces conclusions ont-elles été reçues au sein du Parlement européen ? Je participais hier au colloque qui s'est tenu à Paris sur les industries de défense européennes, et ne me suis pas privé de dire à d'éminents élus européens que c'était bien d'applaudir la France lorsqu'elle s'engage dans une opération de maintien de la paix et de lutte contre le terrorisme, mais que ce serait mieux de venir l'appuyer plutôt que de se faufiler derrière elle pour faire du commerce... L'esprit européen ne souffle pas pareillement en tout lieu.
La position de nos partenaires européens est souvent peu comprise et parfois critiquée s'agissant de la nature et du niveau du soutien apporté aux opérations extérieures conduites par la France au Mali et en R.C.A. Nous aurons l'occasion d'en parler en séance publique la semaine prochaine et d'adresser un message à la France et à l'opinion européenne. Nous avons l'impression que les gouvernements, et plus encore peut-être les opinions publiques, sont très réticents à accepter un engagement de soldats sur le terrain. Nous percevons néanmoins depuis quelques semaines une évolution, avec la constitution d'une force européenne pour la R.C.A. On nous dit qu'un millier d'hommes seront envoyés sur le terrain, mais on a encore un peu de mal à percevoir de quelle manière et à quel délai. Quelle est votre appréciation sur ce sujet ? Comment impliquer davantage nos partenaires et les convaincre de participer de façon plus concrète ?
Je voudrais à mon tour souhaiter la bienvenue à Arnaud Danjean, et suis heureux que cette audition soit l'occasion de poursuivre l'action commune de nos deux commissions, qui ont entendu ensemble, il y a quelques semaines, M. Vénizélos, venu nous présenter les priorités de la présidence grecque. Je devrai malheureusement quitter cette réunion avant son terme, car le président du Sénat m'a demandé d'être avec lui pour recevoir Catherine Lalumière et Georges Garot au titre des Maisons de l'Europe. Je m'en tiendrai donc au seul sujet de la coopération entre les parlements pour le suivi des questions de défense. Une conférence interparlementaire sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) s'est mise en place, non sans mal. Pour le Parlement européen, cette conférence est-elle utile, répond-elle au besoin d'un dialogue entre les parlements en matière de politique étrangère et de défense ? La coopération interparlementaire sur ces sujets est-elle suffisante ?
Je vous remercie de votre invitation, qui témoigne de votre intérêt pour les travaux du Parlement européen. Sur la question de la Défense, cependant, qui reste presque exclusivement intergouvernementale, ces travaux demeurent, il faut en être conscient, modestes.
Le Parlement européen n'en est pas moins en position d'influer sur certains aspects de la PESC, trop souvent négligés par les parlements nationaux, comme les missions civiles de la PSDC - la grande majorité des missions européennes - financées par le budget de la PESC, voté par le Parlement européen. Cela nous donne une légitimité. Pour autant, je suis lucide, et respectueux des souverainetés : ce sont les parlements nationaux qui votent les budgets de la Défense, qui reste un domaine régalien.
Le compromis passé, non sans mal, avec la conférence interparlementaire, procède d'une double logique : trouver un nouvel espace de dialogue après la disparition de l'UEO et mettre en oeuvre les dispositions du traité de Lisbonne. Avec des quotas de représentation qui ménagent tout le monde, des réunions semestrielles dans les pays de la présidence tournante, où s'exprime la Haute représentante pour la PESC, cette configuration est satisfaisante. Mais il serait bon, à mon sens, de mettre davantage de substance dans notre agenda, en le rapprochant de l'actualité. Nous passons trop de temps sur des questions procédurales qui n'intéressent guère l'opinion publique, et peinons parfois à nous détacher des priorités affichées par les pays hôtes. C'est ainsi que les Lituaniens, lors de la conférence de Vilnius, avaient mis à l'ordre du jour la question de la sécurité énergétique et des relations avec la Russie, alors qu'il en était de plus brûlantes, comme la Syrie. Lors de la prochaine conférence, en Grèce, il serait important que l'on traite des opérations en Afrique. L'UEO a pu être critiquée, notamment pour son manque de représentativité, mais ses rapports étaient, à mon sens, excellents. Nous ferions bien, à l'avenir, de nous inspirer de ses méthodes.
J'en viens au sommet des chefs d'Etat et de gouvernement de décembre dernier. La sous-commission que je préside en a débattu en amont, et a publié un rapport. Après le sommet, nous avons conduit des auditions avec la Commission européenne, l'Agence européenne de défense, le comité militaire, Mme Ashton, M. Vénizelos. Je m'exprimerai cependant à titre personnel. Le Parlement est plutôt déçu des résultats du sommet. De telles réunions, qui n'ont lieu que tous les cinq ans, on attend davantage. Or, ces sommets manquent souvent d'une dimension politique qui nous ferait progresser sur des questions qui se posent à chaque crise internationale comme celle des capacités opérationnelles ou du financement.
C'est pourquoi il est utile que les chefs d'Etat et de gouvernement s'approprient véritablement ces questions. Or, les résultats restent souvent virtuels. On a ainsi abouti à une feuille de route, avec une clause de revoyure à juin 2015 ; on a donné mandat à l'Agence européenne de défense, qui peut faire progresser nos politiques de défense, mais sur des questions très techniques, comme la certification ou la normalisation, importantes pour les industriels, mais peu parlantes pour l'opinion publique, que l'on peine du même coup à faire évoluer sur les opérations au Mali ou en Centrafrique. Et sur certains dossiers, comme celui des drones, on a pris bien du retard : alors que les industriels ont fini par se mettre d'accord, nous ne sommes pas prêts à démarrer un programme. Même chose pour les communications satellitaires. Autant de questions qui ne s'adressent qu'à la petite communauté des experts de défense. Il nous manque ce que les anglo-saxons appelle un « narrative », un propos qui soit parlant pour l'opinion publique.
J'ajoute que sur des points importants, nous n'avons pas obtenu réponse. Je pense au financement des opérations par le mécanisme Athéna. L'opiniâtreté dont a fait preuve le Président de la République nous permettra peut-être d'avancer sur le financement commun, même si certaines maladresses, sur lesquelles je reviendrai, n'ont pas fait progresser notre cause.
Autre question, celle des exemptions fiscales sur les achats communs, possibles dans le cadre de l'OTAN mais pas dans celui de l'Europe, ce qui pèse lourdement sur nos choix capacitaires. Certains Etats membres favorisent ainsi l'achat sur étagères américain.
C'est l'argument qu'oppose Mme Merkel... Cette question a une incidence fondamentale non seulement sur nos capacités, mais du même coup, sur nos industries, et pourtant, on n'avance pas.
Sur la question du financement commun, le Président de la République a choisi un angle particulier, celui des opérations en République centrafricaine (R.C.A.) - ce qui pouvait se comprendre dans le contexte du mois de décembre - mais en retenant une présentation un peu surprenante des besoins. Ce n'est pas parce qu'on mettra trois soldats polonais dans l'opération qu'elle deviendra une opération européenne. La procédure retenue par le mécanisme Athéna est très lourde, et n'intègre cependant pas les coûts de transport stratégique, mais seulement les coûts communs. Et le choix de cet angle, celui de la R.C.A., a braqué certains collègues, qui peinent à y voir autre chose qu'un enjeu traditionnel franco-africain.
Au lieu d'arguer que puisque les Français s'engagent sur le terrain, les autres devraient prendre en charge une partie des coûts, il conviendrait, à mon sens, d'envisager le financement commun comme une façon d'aider les petits pays qui voudraient participer mais ne le peuvent pas. Voyez le Portugal, qui participerait volontiers à certaines opérations en Afrique, mais ne peut, pour des raisons financières, déployer de troupes à l'extérieur. C'est cela qu'il faut mettre en avant : le financement commun inciterait certains pays à participer.
La PSDC est jeune, elle mérite l'indulgence. Lancée en 1999, elle marque le pas, paradoxalement, depuis le traité de Lisbonne qui pourtant la consacre et lui donne, institutionnellement, les moyens de mieux fonctionner : coopérations renforcées, à quoi s'ajoute une possibilité de coopération structurée permanente, service d'action extérieure qui se met en place... Mais nous n'utilisons pas les outils de cette politique commune parce qu'elle dépend des Etats membres dont certains restent très réticents. Certes, les lignes bougent un peu, en Pologne, en Allemagne, mais on reste loin du compte.
Après avoir beaucoup avancé en dix ans, on marque le pas. Libye, Mali, R.C.A., autant d'occasions manquées. L'hostilité des Britanniques, qui jouent l'obstruction, n'a fait que croître, pour des raisons de politique intérieure. James Cameron a manqué de ce pragmatisme que l'on reconnaît pourtant aux Anglais. Clamer, comme il l'a fait, qu'il ne rentrerait pas à Londres en ayant contribué à une armée européenne, c'était adopter une posture digne des tabloïds. Cela est choquant.
Bien des pays, ensuite, ont d'autres priorités, économiques et financières. Et les opinions publiques ne sont guère sensibilisées à la menace, qui leur paraît lointaine, ou considèrent que le parapluie américain est si solide qu'il suffit à la conjurer. Cet état d'esprit s'est renforcé, alors même que trois facteurs plaident pour une action commune : les contraintes budgétaires, l'aggravation des menaces dans notre environnement proche, avec la multiplication des crises en Afrique, et les évolutions de la stratégie de défense américaine, qui, sans aller jusqu'à parler de désengagement...
C'est la première fois que les Américains disent à l'Europe : que vous fassiez vite et mieux ne nous dérange pas et même, nous profitera. Ils ne veulent plus s'impliquer, on l'a vu avec les crises récentes en Afrique, avec la même intensité. Les Britanniques n'ont pas pris la pleine mesure de cette nouvelle donne. Ils continuent se voir toujours et partout comme le partenaire privilégié. Pourtant, en Afrique, les Américains considèrent que leur partenaire privilégié, c'est la France. Et la crise syrienne a bien montré les difficultés qui traversent le couple américano-britannique.
Nous ne tirons pas toutes les conséquences de ces facteurs stratégiques. Le dernier sommet a dressé un constat lucide, mais sans le pousser au bout. Le travail de conviction sera lent et difficile. Il est néanmoins des avancées positives - comme l'évolution de la doctrine polonaise, qui devra cependant se traduire dans les faits. Nous verrons si le vaste programme de modernisation des forces armées polonaises profite aussi à l'Europe, et pas seulement aux industries américaines. En Allemagne, le discours des ministres de la défense et des affaires étrangères est encourageant, on l'a vu à la conférence de la sécurité de Munich, et la chancelière a endossé pour partie ce qui fut dit sur le Mali - brigade franco-allemande, contribution allemande accrue. Cela dénote-t-il une évolution de fond ? On peut penser que c'est le cas, mais je mets en garde contre l'excès d'optimisme, car les contraintes constitutionnelles demeurent.
La France reste le seul pays dont le processus décisionnel soit si réactif. Même les Britanniques doivent organiser une consultation du Parlement. C'est d'ailleurs ce qu'ils ont mis en avant pour ralentir les travaux préparatoires relatifs à une opération européenne en R.C.A.
Comment avancer néanmoins, en dépit de ce constat en demi-teinte ? Sur le plan institutionnel, je l'ai dit, nous disposons des outils. Mais le choix des hommes comptera beaucoup. Le renouvellement à venir dans les instances européennes sera un indicateur : on verra si la collectivité européenne veut progresser. C'est un rendez-vous au moins aussi important que le sommet de décembre dernier.
La France peste beaucoup contre le manque d'ambition de la politique européenne de défense, mais lors du renouvellement de 2009-2010, elle n'a pas fait grand chose. Le Ashton bashing est une posture facile. Je suis le premier à interpeller Mme Ashton quand je l'estime nécessaire, et il est vrai que je suis souvent déçu, mais je n'oublie pas que ce sont les chefs d'Etat et de gouvernement qui l'ont mise en place.
Sur les questions opérationnelles, c'est l'autocensure qui prévaut. Je l'ai constaté sur la question libyenne, tant de la part des cellules opérationnelles que de Mme Ashton : à quoi bon travailler sur des options qui seront repoussées ? Tel est le raisonnement qui prévaut.
Autant dire que Mme Ashton remplit parfaitement son mandat...britannique.
Les blocages étaient moins forts avec Javier Solana, qui avait ses réseaux, mais aussi parce qu'on recherchait moins ce que l'on appelle à Bruxelles l'inclusivité, avec cette idée qu'il faut s'efforcer à tout prix de tout faire à vingt-huit. Je rejoins les conclusions de votre excellent rapport, à l'intitulé provocateur, Pour en finir avec l'Europe de la défense - Vers une défense européenne : flexibilité, souplesse sont les maîtres mots pour guider notre action. Comme on l'a fait pour la politique monétaire et d'autres politiques, nous devons pouvoir engager des coopérations renforcées et, pour rassurer ceux qui craindraient d'être laissés au bord du chemin, envisager des coalitions à géométrie variable, selon le thème et le lieu. Certains pays, sur l'Afrique, pourraient choisir l'opt out. Sur la cybersécurité, ce ne sont pas toujours les grands pays qui font le plus. Les Estoniens, à ce titre, pourraient avoir toute leur place sur ces questions.
Sans une telle flexibilité, nous ne progresserons pas, au risque de la démotivation. J'attire l'attention sur le fait que le moral de ceux qui travaillent dans les cellules de conduite d'opération est bien bas ; les occasions manquées pèsent, et l'on peine à recruter les bons éléments. J'ai vu des commandants d'opérations partis pleins d'enthousiasme revenir déçu par un fonctionnement bureaucratique et l'attitude de certains États membres qui ne jouent pas le jeu et ne valorisent guère, dans les parcours professionnels, de telles affectations.
La France est réticente à engager ses gendarmes dans les missions civiles, au motif que l'on a besoin d'eux en France. Soit, mais il ne s'agit pas d'envoyer des effectifs en masse. En Géorgie, une demi-douzaine de bons professionnels peut faire la différence. Or, sur un effectif de 250 personnes, il n'y a pas un seul Français.
Sur le plan industriel, deux visions coexistent, qu'il n'est pas simple de concilier. La vision allemande, qui voit dans l'industrie de défense une industrie comme les autres, et jugeant que c'est au marché de réguler, milite pour un interventionnisme a minima, et la vision française, plus volontaire, mais parfois trop prompte à entrer dans le détail du mécano industriel.
Les industriels disent qu'ils sauront s'organiser, mais encore faut-il que les programmes soient lancés. De fait, sur les drones, Airbus, Finmecanica et Dassault ont fini par formuler une proposition commune.
Un coup de pouce ne fait jamais de mal, mais ce qui manque, c'est la définition de programmes européens. Pas besoin de les lancer à vingt-huit. Les exemples passés montrent que l'on peut avancer autrement.
Les échéances à venir sont importantes, avec le renouvellement des postes européens mais aussi à l'Otan, qui tiendra son sommet en septembre au pays de Galles. Si par une mauvaise conjonction, on se retrouve avec un Haut-représentant médiocre et un représentant à l'Otan auquel manquerait la fibre européenne, ç'en sera fini de l'Europe de la défense. Pour que la coopération soit efficace entre ces instances, il faut qu'elles travaillent en bonne intelligence. Si l'on s'en tient à une vision civile de l'Europe de la défense, qui est celle des Britanniques, on tuera toute ambition. Or, il est indispensable que l'Europe reste ambitieuse en matière de défense.
On peut craindre que notre insistance sur la R.C.A. ne froisse les bonnes dispositions qui se manifestaient après l'intervention au Mali. La nature des opérations y est si différente que quand nos partenaires percevaient au Mali un véritable enjeu - la menace d'un vaste réseau terroriste aux portes de l'Europe - ils ne voient, dans Sangaris, qu'une opération d'interposition, plus difficile à faire endosser par l'Europe : l'est du Congo, le Sud Soudan, le nord du Nigeria, la Somalie vivent des drames humanitaires qui méritent tout autant la compassion, sans que l'Europe intervienne pour autant de façon si directe... Si bien que notre insistance à vouloir européaniser l'opération, même si nos raisons sont valides, pourrait finir par aller à l'encontre de nos intérêts. Cela étant, le mouvement s'embraye. Il est question d'une génération de forces beaucoup plus ambitieuse qu'au départ. Nous partions sur la base de 500 hommes dont la moitié fournis par la France, on montera, peut-être, à 8 000 hommes, avec une large composante française dans le commandement. Les engagements pris à Bruxelles, cependant, ne sont pas encore consolidés. Certains États membres doivent engager un processus parlementaire. En Belgique, le ministre de la Défense est très allant, mais sa coalition l'est beaucoup moins, mêmes tiraillements en Suède. Quant à faire appel à des pays tiers, comme la Géorgie, ce n'est guère dans les clous de la PSDC. Pourtant, l'opération en R.C.A., comme en Bosnie-Herzégovine, dépendra beaucoup des contributions des États tiers. Ce n'est pas très satisfaisant, alors que les grands États européens rechignent à s'impliquer. Les Britanniques font de l'obstruction, les Allemands n'envisagent de participer que pour la logistique. Nous sommes loin du compte.
Nous amènerons progressivement les Européens à s'intéresser au Sahel, mais pour le reste de l'Afrique, je reste perplexe. Veillons à ne pas froisser nos partenaires en leur reprochant de ne pas s'engager. N'oublions pas que les Néerlandais mettent 400 hommes et des hélicoptères de combat au service l'ONU, à laquelle nous entendons passer le relai. N'oublions pas non plus que beaucoup d'États membres sont encore présents en Afghanistan.
Nous n'avons pas la même vision sur l'opération en R.C.A. Si je partage vos craintes, j'estime qu'une grande démocratie comme la France ne pouvait pas rester sourde à l'appel au secours qui lui a été lancé. Certes, l'opération au Mali était plus facile à faire avaliser, mais qu'aurait-on dit si la France n'était pas intervenue en R.C.A. alors que l'on déplorait mille morts dans les 48 heures précédentes ? Cependant, ce n'est pas aux militaires français de jouer le rôle de force d'interposition. Il faut obtenir de l'ONU une substitution rapide, dès septembre 2014. Et c'est une gageure. La pénétrante ouest-est en Centrafrique n'est pas complètement sécurisée. Or, on ne peut pas se permettre de déficience dans le ravitaillement. C'est pourquoi nous souhaitons que le contingent européen soit mobilisé, étant entendu qu'il faudra être vigilant à la manière dont il sera utilisé sur le terrain, pour ne pas casser la mécanique positive qui est en marche sur ces questions.
Pour l'Europe de la défense, nous avons, en matière industrielle, des modèles de partage et de mutualisation des capacités - pour le transport aérien tactique, par exemple. Aussi quand on voit que sept programmes de frégates, que dix-sept programmes de blindés existent dans les pays européens, on se dit qu'on marche sur la tête. Pour l'Agence européenne de défense, une mutualisation sur ces seuls aspects représenterait, sur dix ans, 1,8 milliard d'économies sur le spatial militaire, 5,5 milliards sur les véhicules blindés, 2,3 milliards sur les frégates. Il y a matière à agir. Si l'on en reste au « chacun pour soi », on n'avancera pas.
Le modèle gaulliste de la prise de décision a ses vertus, il assure une vraie réactivité, avec un contrôle du Parlement ex post. Mais il n'admet, du même coup, aucun partage de souveraineté. Or, sans partage de la décision au niveau européen, il n'y aura pas d'Europe de la défense, laquelle préfigure, à mon sens, ce que pourrait être une Europe politique.
Le constat ne peut être que sombre. Il est invraisemblable qu'on ait supprimé l'UEO, où les parlementaires nationaux se rencontraient.
Mais on considérait que l'on n'avait pas le temps de siéger ici et là-bas...
Ou que l'on était de trop dans le débat...Je vous remercie d'avoir rappelé l'excellence des rapports de l'UEO. J'étais à Chypre lorsqu'a été mise en place la commission interparlementaire qu'on lui a substituée. La façon dont tout cela a été défini et verrouillé à Varsovie est proprement scandaleuse.
Pas d'ordre du jour, pas de continuité entre les sessions, pas de conclusions ; des comptes-rendus édulcorés ; pas de recommandations au conseil des ministres ; sans parler du discours lénifiant de Mme Ashton. Les parlementaires que nous sommes ne devraient pas l'accepter, car si la politique ne reprend pas ses droits, nous allons dans le mur.
Tout cela ne se télescope-t-il pas avec l'objectif de restaurer les pouvoirs du Parlement européen ?
Le débat sur les problèmes de sécurité y a-t-il lieu ? La menace en Afrique est réelle, on ne peut pas la passer par pertes et profits. C'est une région stratégique pour le XXIème siècle.
Vous nous dites que les Américains se désintéressent pour la première fois de la Défense en Europe. Ce n'est pas neuf. Au Pentagone, il y a belle lurette que l'on considère que l'Europe est une affaire européenne. Et l'Ukraine, où l'on déplore encore vingt-cinq morts cette nuit, c'est l'affaire de qui ?
De l'Europe. Mais certains pays ne veulent entendre parler que de l'Otan. Les pays baltes notamment.
L'Europe de la Défense se fera dans des projets, liés à des événements. Vous avez parlé de lucidité ? La politique doit reprendre ses droits. N'attendez rien de structures que l'on vous impose. A nous de faire valoir notre vision politique des choses. La technique suit toujours ; or, on en parle trop, y compris dans notre commission.
Ne craignez-vous pas qu'à donner le choix aux États membres, en cas d'opération extérieure, d'envoyer des troupes et du matériel ou de financer, on ne fabrique des pays mercenaires, fournissant les troupes, qui seront financés par d'autres, à l'image de ce qu'il est advenu de la conscription par tirage au sort au XIXème siècle, où ceux qui en avaient les moyens rachetaient leur billet aux malheureux qui avaient tiré un bon numéro ?
Vous avez cité le rapport qu'avec Daniel Reiner, Xavier Pintat et Jacques Gautier nous avons publié. Vous auriez pu le signer avec nous, tant ce que vous avez dit rejoint nos préoccupations. Nous sommes sur la même longueur d'ondes. Pivotement des Etats-Unis vers la zone Asie-Pacifique, apparition de menaces nouvelles sont autant d'éléments qui militent en faveur d'une Europe de la défense. Or, on n'avance pas ; le sommet de décembre fut, pour nous aussi, une grande déception. Les chefs d'État sont en retard sur leurs peuples. Il en va de même que sur les questions locales, où les citoyens se révèlent en avance sur les élus - je pense à l'intercommunalité, aux fusions de communes... Pourquoi ne pas saisir l'occasion des élections européennes pour monter un projet transpartisan ? L'UMPS ? Oui, pour l'Europe de la défense. Avec l'Italie, l'Espagne, la Pologne, qui témoignent d'une volonté plus forte qu'ailleurs, nous pourrions réunir des députés de droite et de gauche prêts à prendre l'opinion à témoin. Les citoyens n'ignorent pas les contraintes budgétaires. Ils sont prêts à comprendre qu'une mise en commun coûterait moins cher et nous rendrait des marges de manoeuvre.
La conférence interparlementaire de Chypre ne fut pas très heureuse, en effet. Celle de Vilnius était plus intéressante et plus structurée, même si ses conclusions sont restées décevantes. Le discours qui nous a été servi à Chypre est révélateur de l'intériorisation, par un certain nombre de dirigeants, dont Mme Ashton, de l'idée que l'Union européenne n'est là que pour le soft, l'humanitaire, le développement.
Nous sommes peu nombreux, au Parlement européen, à nous intéresser aux questions de défense. Dans ma sous-commission, je peux compter sur une douzaine de membres très solides. S'il en est de même dans les parlements nationaux, c'est un noyau dur sur lequel on peut s'appuyer.
Ce n'est pas d'hier que les États-Unis se détournent de l'Europe, dites-vous ? Je me souviens pourtant que l'administration Clinton torpillait systématiquement nos efforts. Hubert Vedrine, parlant de « l'hyperpuissance américaine » ne disait pas autre chose. Les Américains voulaient alors que tout se passe sous l'étendard de l'Otan. Et Mme Allbright avait eu des mots très durs pour fustiger l'initiative de Saint-Malo.
Il est vrai cependant qu'au sein de l'administration américaine, au Pentagone, au Département d'État, on trouve des gens convaincus depuis longtemps. Mais les positions de Robert Gates qui, en 2011, déclarait que l'Europe devait mieux se prendre en charge, étaient loin d'être alors communes aux dirigeants américains. Il y a aujourd'hui une inflexion nouvelle, saisissons l'opportunité.
Il est vrai que les pays d'Europe centrale et orientale demeurent atlantistes. Mais la Pologne, qui donne le la dans la région, a amorcé un virage européen - fût-ce par déception à l'encontre de la politique d'Obama.
Voyez cependant les positions sur la R.C.A. Si les Lituaniens sont réticents, les Estoniens souhaitent participer. Encore une fois, c'est la Pologne qui donne le la. Le polonais Sikorski serait candidat à l'Otan ; d'ADN purement atlantiste, il n'en a pas moins compris qu'il a besoin d'avoir la carte européenne dans sa manche. Il y a peut-être là un peu d'opportunisme, mais c'est tout de même un signe que la réflexion avance. Y compris outre-Rhin, où le lien avec l'Otan a pourtant toujours été primordial. M. de Maizières, ministre de la Défense en son temps, ne voulait pas entendre parler d'Europe de la Défense. Avec la coalition, la donne politique a changé, même si la haute hiérarchie militaire reste atlantiste.
Sur l'Ukraine, je ne vais pas reprendre le mot qu'avait eu en 1981 Claude Cheysson évoquant la situation en Pologne, mais enfin, il faut reconnaître que l'Europe est divisée.
C'est une erreur, à mon sens, que de n'avoir aucune considération pour ce qui se passe dans les pays du partenariat oriental. Nous avons tout délégué à nos partenaires de l'est de l'Europe. Notre seule préoccupation quand passe un texte sur l'Ukraine, c'est de vérifier qu'on n'y a pas mis le terme d'« intégration ».
Loin de moi l'idée qu'il faudrait promettre l'adhésion, mais j'estime que l'on s'intéresse un peu tard à ces pays. Les représentants de l'est, et beaucoup de nos collègues d'Europe centrale sont allés beaucoup trop loin, jusqu'à pousser vers l'adhésion. C'est irresponsable.
Ce qui se passe en Ukraine, c'est moins une lutte entre les pro et les anti européens que le rejet d'un régime corrompu, ploutocratique. D'anciens dirigeants de l'Ukraine, comme les présidents Kouchma ou Kravtchouk, que l'on ne peut soupçonner de sympathies pro-européennes, appellent au retour à la Constitution de 2004. Là est le vrai problème, ne nous y trompons pas : l'Ukraine régresse tant économiquement qu'au plan géopolitique, parce qu'elle se sent contrainte dans sa relation avec la Russie. L'Europe doit pouvoir l'aider. Lors de la conférence de Munich, j'ai assisté aux discussions. Le régime est obtus et sourd. Le président Ianoukovitch joue le pourrissement. Il existe pourtant une voie de sortie, la révision constitutionnelle. Les leaders de l'opposition, Iatseniouk et Klitschko, sont des personnalités pondérées, c'est d'ailleurs ce que la rue leur reproche. Si Ianoukovitch joue la seule carte de la répression, cela se passera mal.
La question n'est pas non plus de la fracture entre russophones et non-russophones. Il y a des manifestations anti régime, y compris à l'est.
Que peut faire l'Europe ? Elle doit sortir du piège qui consiste à proposer l'association. Là n'est pas le sujet de fond. L'Ukraine a besoin d'une réforme, et d'être accompagnée, si cela peut aider. Si je suis sévère à l'égard de M. Füle, le commissaire à l'élargissement, c'est qu'il gère beaucoup trop bureaucratiquement ce qui est un vrai sujet de politique étrangère. Au reste, je ne suis pas sûr que l'élargissement et les politiques de voisinage, dossiers éminemment politiques, doivent être confiés à un commissariat, au risque de le voir se focaliser sur les seuls aspects mécaniques.
Croire que l'on peut traiter en tête à tête avec l'Ukraine, en proposant des médiations européennes, c'est faire bon marché du voisin russe, qui pèse de tout son poids financier et sécuritaire. Le SBU, service de sécurité ukrainien, est une annexe du KGB, qui tire les ficelles d'une grande partie de la classe dirigeante ukrainienne.
Il faut savoir alterner la carotte et le bâton. Nous avons été trop mous vis à vis du régime. L'Union européenne, ce n'est pas seulement Bruxelles, c'est nous tous. Les diplomaties britannique, allemande, et française doivent travailler de concert. Or, pour un nombre croissant de pays de notre étranger proche, la capitale qui compte, c'est Berlin.
Il serait grave que Paris disparaisse du jeu.
C'est à travers l'Agence européenne de défense que se feront les choses concrètes. Mais en France, nous en avons une vision très ambitieuse et la voyons, à terme, comme une super DGA, ce dont nos partenaires européens ne veulent pas entendre parler. L'Agence n'est pas un organe prescripteur, mais facilitateur. Elle est, au reste, limitée par son mandat, sa composition et son budget, gelé à 30 millions.
Il est vrai, monsieur Boutant, qu'il serait malsain de répartir la tâche entre pays engageant des troupes et pays financeurs, au risque d'encourager de grands pays comme le Royaume uni ou l'Allemagne à se désengager du terrain. L'idée est plutôt d'amener davantage de pays à participer concrètement, matériellement, humainement.
Oui, Monsieur Vallini, les citoyens sont en avance sur les politiques. Dans les enquêtes de l'Eurobaromètre, diplomatie et défense arrivent toujours en tête des domaines dans lesquels ils estiment que l'Europe devrait faire plus et mieux. Lors des interventions de terrain que je m'emploie à organiser comme président de la sous-commission Défense et Sécurité, j'ai pu constater combien les participants sont intéressés.
Au Parlement européen, je travaille fort bien avec mes collègues des autres groupes. Une réunion organisée à l'Assemblée nationale avec ma collègue socialiste grecque a fait apparaître d'évidentes convergences. Ceux qui, comme Mme Le Pen, tiennent à Bruxelles des positions extrémistes, excluant toute intervention européenne en R.C.A. au motif que des pays qui ne représentent rien pourraient la parasiter sont à côté de la plaque. Les citoyens n'adhèrent pas à ce genre de propos, qui fleurissent, hélas ! en période électorale, où la démagogie l'emporte sur la pédagogie.
Européen très convaincu, je n'en crains pas moins que le vieux rêve européen ne disparaisse si l'on ne procède pas à une réforme complète des institutions. Sans projet européen à long terme, il est vain de débattre d'économie ou de défense européenne. Il faut faire l'Europe avec ceux qui ont envie d'Europe. On peut s'organiser en plusieurs cercles. Ceux qui croient à un pouvoir intégré fédéral devraient pouvoir travailler de concert, et chercher à rapprocher ceux qui ont une vision moins politique de l'Europe. Le problème, c'est que l'on ne peut avancer sur les questions de Défense sans le Royaume uni. Il faudrait parvenir à sortir ces questions du cercle de l'Europe des puissances, tout en sachant que le risque est d'y perdre en efficacité.
Comment vos collègues européens peuvent-ils penser que la R.C.A. n'est pas un enjeu stratégique alors qu'elle est jouxtée à l'est par le Sud Soudan, nation qui se construit avec son pétrole ; au nord par le Darfour, la route vers N'Djamena ; à l'ouest, par la route commerciale vers le Cameroun ; et au sud - où dans la zone tenue par la LRA (Armée de résistance du Seigneur), la position américaine, qui défend ses intérêts sur l'or et le diamant, est très ambiguë - au-delà de l'Ouellé et de l'Oubangui, par la zone de l'Ituri, où la rébellion est constante, alimentée à la fois par l'Ouganda et le Rwanda ?
Le Parlement européen n'aurait-il pas intérêt à s'investir davantage dans l'assemblée parlementaire de l'Otan ?
Quelles sont les conséquences du désengagement français de la KFOR et d'Eulex au Kosovo ?
Les difficultés actuelles avec le Royaume Uni sont moins structurelles que conjoncturelles, du fait de leur agenda de politique intérieure. Mais s'ils voient que les choses avancent sans eux, ils voudront en être. S'ils cherchaient à tuer le projet, ils se feraient taper sur les doigts par leurs alliés Américains. À nous de leur faire des propositions qui aient une valeur ajoutée et répondent à leurs intérêts. Voyez ce qui s'est passé avec la mission Atalanta : au bout du compte, le QG est localisé en Angleterre, et on y trouve des amiraux britanniques à tous les étages.
Tout le monde reconnaît, en Europe, que la R.C.A. est un pays important, mais beaucoup estiment qu'un déploiement militaire ne fait pas partie des priorités. Pour les Britanniques, la priorité doit aller au Kenya, au Sud Soudan ; c'est l'est et la corne de l'Afrique qu'ils ont en ligne de mire ; pour d'autres, les opérations d'interposition relèvent de l'ONU et non de l'Union européenne.
Il est vrai que pour cette mandature de l'assemblée parlementaire de l'Otan, il y a eu un raté. Les quelques postes réservés à l'Union européenne ont été préemptés par les Britanniques et les Polonais, alors très antieuropéens. J'avoue, à mon grand dam, que lorsque j'ai pris la présidence de la sous-commission Défense et Sécurité, nous pensions que cela allait de pair avec une représentation à l'Otan, ce qui n'est pas le cas.
Et certaines formations politiques sont fort bien représentées, alors même qu'elles sont minoritaires dans leur pays d'origine...
Le désengagement au Kosovo ? Le fait est que la mission Eulex est beaucoup trop importante. Pour avoir été en Bosnie pendant et après la guerre, j'ai vu combien le fonctionnement des services du Haut représentant est vite devenu bureaucratique. J'ai plaidé pour qu'il en soit autrement au Kosovo. Mieux vaut de petites structures réactives. On aura beau envoyer 2000 hommes sous mandat exécutif, si les Kosovars ne veulent pas collaborer, ils ne le feront pas. Et un gendarme roumain envoyé pour un mandat de six mois ne mettra pas sa vie en danger pour démanteler un trafic de drogue.
Je suis partisan de réduire la voilure d'Eulex et de la KFOR. Le seul problème militaire qui demeure, c'est celui du nord. La France a joué son travail quinze ans durant ; elle a quitté la mission il y a près de six ans, l'Espagne aussi. A d'autres de prendre le relai. Le problème, au Kosovo comme en Bosnie, n'est pas militaire. Parler de résurgence du conflit, c'est jouer à l'apprenti sorcier. La diplomatie européenne a rencontré des succès en Serbie et au Kosovo. Elle a plutôt bien traité le dossier. Ce ne sera pas dès demain Embrassons-nous, Folleville ! Mais je me réjouis qu'il y ait eu délégation de souveraineté des diplomaties nationales.