Commission des affaires européennes

Réunion du 15 février 2012 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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La réunion

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La commission procède, conjointement avec la commission des finances, à l'audition de M. Andrea Enria, président de l'Autorité bancaire européenne, Mme Danièle Nouy, secrétaire générale de l'Autorité de contrôle prudentiel, M. François Perol, président du directoire de BPCE, et M. Dominique Plihon, professeur d'économie financière à l'Université de Paris-Nord (Paris XIII).

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

La commission des affaires européennes et la commission des finances poursuivent aujourd'hui leur réflexion sur la régulation financière en abordant ce matin plus spécifiquement la régulation bancaire.

Nos deux commissions vont être prochainement amenées à examiner des textes qui visent notamment à appliquer en Europe les recommandations du Comité de Bâle.

Je remercie particulièrement nos invités qui vont nous faire part de leur analyse de la situation et de leur appréciation sur le projet de la Commission européenne.

Nous entendons de nombreuses réactions sur l'opportunité et le juste calibrage des nombreux ratios prudentiels proposés. J'aimerais pour ma part que nos invités nous éclairent sur quelques points particuliers.

Le premier concerne la gouvernance des banques, car c'est un problème de gouvernance - à notre sens - qui a suscité la crise financière. Certaines activités étaient hors de contrôle ou, pour le moins, mal contrôlées.

Le deuxième point, d'ailleurs lié au premier, concerne la réflexion maintenant engagée en Europe sur la séparation entre les différentes activités bancaires et donc sur l'avenir du modèle de nos banques françaises « généralistes ».

Finalement, la question est de savoir quel degré de liberté on peut laisser aux banques dans le contexte si particulier d'une activité qui bénéficie du soutien implicite des Etats.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Cette table ronde porte sur la régulation bancaire et le financement de l'économie. Notre préoccupation est double : il s'agit de la seconde rencontre organisée conjointement par nos deux commissions depuis le début 2012, après celle du 18 janvier dernier sur la régulation des marchés financiers. Nous venons d'arrêter une proposition de résolution du Sénat sur l'« European market infrastructure regulation » (EMIR), ainsi que sur la directive-règlement sur les marchés d'instruments financiers (MIF 2).

C'est un sujet en relation directe avec ce que nous allons traiter car il s'agit bien de la solidité et de la solvabilité du système financier. Cette préoccupation prend place dans toute une série d'initiatives européennes et nationales.

Tout cela résulte pour une bonne part de la crise qui a révélé les inadaptations et les difficultés potentielles des établissements bancaires européens. Lors de l'audition organisée la semaine dernière par la commission des finances du Sénat, les économistes que nous avons entendus nous ont rappelé que le suivi des valeurs d'actifs par les banques centrales européennes est une question cruciale. L'Irlande est là pour nous rappeler qu'un système apparemment prudent peut exploser quasiment d'un jour à l'autre, avec des conséquences systémiques importantes si on n'a pas prêté attention aux risques pris par certains acteurs de l'économie et, en l'espèce, ceux représentant le marché immobilier ! Qu'un aussi petit marché, dans un aussi petit pays, ait pu provoquer de telles conséquences financières peut nous conduire à méditer sur la régulation à mettre en oeuvre et sur les règles à faire respecter dans les bilans des établissements financiers !

Problème de fonds propres, problèmes de liquidité, tous sujets familiers au Comité de Bâle. Tout notre environnement est façonné par ce Comité qui n'a pas de réalité organisationnelle de droit public mais qui, néanmoins, fait partie de notre quotidien, celui des banquiers et aussi celui des élus que nous sommes.

Aucun représentant démocratiquement élu ne siège au Comité de Bâle mais la normalisation qu'il a mise en oeuvre s'impose, notamment aux autorités communautaires et donc nationales - ce qui ne peut qu'alimenter un assez grand nombre de frustrations. Il faut bien comprendre cela. Même si nous sommes bien placés dans nos commissions pour avoir une conscience aiguë de la réalité des problèmes financiers, il n'en reste pas moins qu'en dehors de nos enceintes, les modes de décisions incontournables s'agissant d'une telle matière ne peuvent qu'alimenter largement la frustration et les tensions dans la période de crise que nous vivons.

D'autres initiatives figurent à l'ordre du jour européen. Je pense aux exigences fixées de concert par le Conseil et par l'EBA demandant aux banques de détenir 9 % de fonds propres à l'horizon de juin 2012.

Ces contraintes vont-elles se traduire par un resserrement du crédit ? Je ne parle pas de « credit crunch », qui constitue un effondrement du crédit mais de resserrement du crédit.

Si nous vous avons demandé de venir devant nous, c'est pour que vous nous disiez la vérité, même si nous savons bien qu'il existe un langage de banque centrale qui permet de communiquer dans le monde entier et qui a son utilité mais qui est très policé. Nous vous demanderons donc de bien vouloir nous dire très directement tout ce que vous pensez de ces sujets.

Il y a un élément très positif dans la situation actuelle : il s'agit du refinancement à 36 mois par la Banque centrale européenne (BCE). C'est une initiative pleine d'imagination et assez inattendue - au moins pour ceux qui ne partageaient pas sa préparation - mais au-delà de cette mesure très puissante, l'équilibre reste à trouver sur notre continent entre, d'une part, la nécessité de réguler le secteur bancaire, de s'assurer de sa solidité en cas de crise, d'éviter que le contribuable ne soit de nouveau appelé ici ou là à renflouer les établissements qui en auraient besoin et, d'autre part, le besoin de financement et de croissance de nos économies ainsi que des collectivités territoriales. Il a fallu à deux reprises, dans ce pays, mettre en oeuvre un dispositif exceptionnel, un filet de sécurité, grâce à une entité très spécifique - même si elle est quelque peu bancaire - la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Sans cela, c'était la disette, directement issue de Bâle III car le banquier qui ne reçoit pas de dépôts ne prête plus !

Or, en France, les collectivités territoriales déposent au Trésor et c'est une des clés de notre organisation financière. Ceci a des conséquences très importantes en termes de finances publiques.

C'est dans ce contexte que nous allons vous entendre, sans oublier la place des banques dans la souscription et l'animation du marché des titres représentatifs des dettes souveraines. J'espère vivement que vous allez nous aider à faire la part des choses.

Je suis heureux, en notre nom à tous, d'accueillir M. Andrea Enria, président de l'autorité bancaire européenne (EBA), Mme Danièle Nouy, secrétaire générale de l'autorité de contrôle prudentiel (ACP), MM. François Pérol, président du directoire de BPCE, et Dominique Plihon, professeur d'économie financière à l'université de Paris-Nord (Paris XIII), car nous estimons toujours utile, au Sénat, que les universitaires nous apportent leur éclairage, en toute indépendance. Dans chacune de nos auditions, nous nous efforçons, lorsque c'est possible, de faire participer des autorités représentant l'école économique française.

La parole est à M. Enria...

Debut de section - Permalien
Andrea Enria, président de l'autorité bancaire européenne

Je présenterai quelques propos liminaires et aborderai deux sujets. Le premier concerne le travail de l'EBA destiné à renforcer les capitaux propres des banques européennes à partir des tests de résistance réalisés en 2011 ; je m'appesantirai davantage sur les éléments qui pourraient avoir un impact sur le crédit...

Le second sujet concerne le travail de réglementation de l'EBA. Il s'agit de mettre en oeuvre un ensemble unique de réglementations sur le marché bancaire européen et de nous atteler à la définition de nouvelles règles en matière de capitaux propres et de liquidité.

En 2011, nous nous sommes lancés dans des tests de résistance des banques européennes. Nous avons essayé d'établir des définitions communes pour les banques en matière de critères communs, de processus d'examen par les pairs et de niveau de fonds propres. Nous avons également essayé de maintenir un maximum de transparence en ce qui concerne la situation des banques européennes. Je pense d'ailleurs que le marché a favorablement accueilli cet exercice.

Au moment de la crise des dettes souveraines, le manque de confiance était criant, particulièrement concernant les banques exposées. L'EBA a proposé l'été dernier de nouvelles mesures afin de renforcer la position en capitaux propres des différentes banques. Fin octobre, nous avons fait des propositions plus larges afin d'essayer de gérer la crise sur les marchés. Les recommandations faites aux banques consistaient à augmenter jusqu'à 9 % les capitaux propres de base.

Nous avons eu, la semaine passée, l'occasion de discuter des plans de recapitalisation des banques européennes afin d'étudier s'ils étaient conformes à nos recommandations. Ces demandes auraient pu pousser les banques à se désendetter ce qui aurait pu avoir un impact sur l'économie réelle. Nous avons essayé de pallier ce problème en renforçant les capitaux propres sans réduire les prêts consentis à l'économie réelle ; nous avons constaté que les banques avaient pris nos recommandations très au sérieux.

Le processus de recapitalisation est en bonne voie ; nous ne prévoyons pas d'impact majeur résultant de cet exercice sur l'économie réelle du crédit mais il est évident que les banques ont eu à gérer des problèmes de financement, que nous surveillons de très près.

J'en viens au second volet de mon intervention qui concerne la préparation de normes harmonisées qui seront appliquées sur le marché unique. Cet effort résulte des recommandations adoptées par le groupe de haut niveau présidé par M. de Larosière. Il s'agit d'accentuer la priorité à la quantité et à la qualité des capitaux propres, tout en se concentrant sur les risques de liquidité.

Nous avons engagé un dialogue avec le Conseil européen, le Parlement européen et les parlements nationaux. Le traité de Lisbonne est bien entendu au centre de cet exercice. Plusieurs autorités ont toutefois émis quelques doutes sur ce concept.

Etant donné ce qui s'est passé avant, pendant et après la crise - et encore récemment - il existe un besoin criant de règles uniques et harmonisées sur le marché. Nous devrons donc rédiger plus d'une centaine de normes ; quarante devront l'être d'ici la fin de l'année.

Nous nous concentrons actuellement sur deux secteurs : la définition des capitaux propres d'une part et les normes de liquidité d'autre part.

La définition des capitaux propres est un domaine essentiel. Nous devons absolument arriver à nos fins. La proposition de la Commission en matière de capitaux propres est conforme aux exigences contenues dans les accords de Bâle mais aucun critère spécifique n'est imposé concernant les instruments juridiques. Or, l'EBA a la possibilité de garder le contrôle sur la définition des capitaux propres. Une fois les nouveaux règlements adoptés, un certain nombre d'innovations verront le jour en matière de financement ; nous devrions conserver le contrôle de ces innovations et procéder à une harmonisation des différentes juridictions. Nous avons bien vu, par le passé, ce que coûte le fait de perdre le contrôle.

Le second point concerne les exigences en matière de liquidité. C'est la première fois que nous adopterons des normes européennes harmonisées en la matière. Les propositions émanant du Comité de Bâle ont suscité beaucoup de préoccupations dans le secteur bancaire. Certaines autorités ont exprimé leur inquiétude concernant les conséquences imprévues que ces règles pourraient avoir sur le fonctionnement des marchés monétaires.

Je voudrais insister sur deux points. En premier lieu, les principes de Bâle sont sains ; nous voulons un coussin de liquidité permettant de résister aux crises et souhaitons davantage d'adéquation entre les engagements et les fonds propres des banques. Nous ne voulons plus qu'il existe autant de volatilité concernant le financement sur les marchés bancaires.

Cela étant, les détails techniques des ratios proposés par Bâle doivent être calibrés très soigneusement afin d'être sûrs d'atteindre les objectifs souhaités. Nous pensons qu'il pourrait être nécessaire d'ajuster ici ou là certains paramètres de base.

Pour cela, l'EBA devrait collecter des informations auprès des banques et effectuer des analyses factuelles et empiriques afin de présenter si nécessaire des propositions de changement précises au Parlement et au Conseil.

Nous allons présenter de nouvelles idées sur la base des éléments que nous allons recueillir auprès des banques. Il faut veiller à prendre en compte les caractéristiques spécifiques du secteur bancaire européen. Nous savons que les banques européennes fonctionnent avec des obligations garanties, contrairement aux banques américaines, qui peuvent éventuellement recourir aux compagnies d'assurance comme Freddie Mac ou Freddy May.

Nous devons bien sûr présenter des mesures proportionnées à la taille des établissements. L'EBA en est encore à ses balbutiements. Nous sommes soumis à beaucoup de pressions à différents égards. Nous avons dû relever un énorme défi. Au cours de ces premiers mois d'activité, nous avons prouvé que nous pouvons prendre des décisions. Nous voudrions aussi remercier les superviseurs nationaux. Je suis sûr que l'EBA ne pourra réussir que si nous pouvons fonctionner la main dans la main !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Vos propos sont éclairés par votre interview dans Les Echos de ce jour. Ceci nous permettra de vous questionner plus tard...

La parole est à Mme Nouy...

Debut de section - Permalien
Danièle Nouy, secrétaire générale de l'autorité de contrôle prudentiel

La réforme Bâle III, nécessaire pour renforcer la solidité des systèmes bancaires, comporte des enjeux importants pour le financement de l'économie. Sa mise en oeuvre doit donc se faire en tenant compte des impacts qu'elle peut avoir sur l'activité économique.

Après un bref rappel du dispositif Bâle III lui-même, je reviendrai sur le « calibrage » de la réforme ainsi que les conséquences possibles de cette dernière sur l'économie, avant de terminer par les questions liées au « deleveraging », c'est-à-dire à la réduction par les banques de leurs engagements financiers et au « shadow banking », c'est-à-dire la finance non régulée dite « de l'ombre ».

Bâle III est une réponse indispensable à la crise financière. La crise financière, qui a été déclenchée en 2007 par l'effondrement de la pyramide des subprimes aux Etats-Unis, a mis en péril le système financier mondial. Un renforcement en profondeur de la réglementation était indispensable. C'est pourquoi, sous l'impulsion du G 20, le Comité de Bâle a rapidement proposé un large éventail de mesures à la fois quantitatives et qualitatives.

En 2009, il a développé une première série de mesures visant à assurer une surveillance plus étroite et une meilleure couverture en fonds propres des activités de marché des banques. Ce dispositif, appelé « Bâle 2.5 », est entré en vigueur en Europe et France depuis fin 2011, comme s'y étaient engagés les chefs d'Etat et de gouvernement au G 20.

A la fin de l'année 2010, le Comité de Bâle a finalisé un ensemble de nouvelles mesures constituant le dispositif Bâle III. Je rappelle en quelques mots que, sur le plan quantitatif, Bâle III va d'abord se traduire par un relèvement des exigences de solvabilité des banques, qui - sous la forme d'un ratio - rapportent les fonds propres qu'elles détiennent aux risques qu'elles prennent. Au numérateur de ce ratio, la quantité ainsi que la qualité des fonds propres qu'elles devront détenir seront renforcées ; au dénominateur, les exigences de fonds propres relatives à leurs activités de marché, de titrisation et sur instruments dérivés seront nettement accrues.

Par ailleurs, les banques les plus importantes, c'est-à-dire celles jugées d'importance systémique, seront soumises à une charge en capital supplémentaire.

Outre un ratio de capital renforcé, Bâle III imposera aux banques de respecter des ratios de liquidité et de levier.

Deux ratios de liquidité, l'un à un mois, le « liquidity coverage ratio » ou LCR, qui vise à assurer que chaque banque puisse faire face à un choc de liquidité soudain ; l'autre à un an, le « net stable funding ratio » ou NSFR, qui vise à s'assurer que son activité de transformation est maîtrisée.

Un ratio de levier qui est destiné à limiter le total des engagements financiers globaux d'une banque, indépendamment de leur nature, au regard de ses fonds propres.

Bâle III ne se limite pas au renforcement ou à l'introduction de normes quantitatives de gestion. La réforme comporte des exigences accrues en matière de gouvernance, notamment une implication accrue des organes dirigeants dans le dispositif de contrôle interne des banques, des mesures et de gestion des risques et de transparence financière.

En Europe, la mise en oeuvre de Bâle III sera effectuée via un règlement, d'application directe dans les Etats membres et via une directive dont l'entrée en vigueur est fixée au 1er janvier 2013. Ces deux textes permettront de renforcer encore l'harmonisation du marché unique des services financiers, grâce à la mise en place d'un corpus de règles unique.

Par ailleurs, ils confient à l'Autorité bancaire européenne présidée par Andrea Enria le soin de rédiger des standards techniques qui faciliteront une mise en oeuvre totalement homogène des nouvelles règles. Ceci est important en termes d'égalité de concurrence.

Mon second point concerne le « calibrage » et le calendrier de la réforme qui doivent être compatibles avec le financement de l'économie.

La mise en oeuvre de Bâle III a été voulue progressive, s'échelonnant jusqu'en 2019 afin de renforcer la solidité des banques tout en continuant d'assurer le financement de l'économie.

L'histoire s'est malheureusement rapidement accélérée. Les incertitudes sur la capacité de certains États à maîtriser leurs équilibres budgétaires se sont, par effet de contagion, diffusées au système bancaire, notamment en Europe. Restaurer la croissance impose un pilotage fin, auquel le système européen de banques centrales prend une part importante, en coordination étroite avec les superviseurs bancaires nationaux et les organismes européens et internationaux.

Je pense à cet égard aux mesures de soutien décidées en décembre 2011 par le Conseil des gouverneurs de la BCE : opérations de refinancement d'une durée de 36 mois, réduction du taux des réserves obligatoires et mesures visant à accroître la disponibilité des garanties.

Si ces actions ont permis de relativement dégripper le marché interbancaire, quelques points de Bâle III méritent d'être revus compte tenu de leurs conséquences inattendues ou indésirables - ou les deux à la fois. Il en va ainsi de certains aspects du ratio de liquidité à court terme, le LCR.

Avant de les évoquer, je souhaite d'abord souligner que la mise en oeuvre de standards quantitatifs de liquidité harmonisés à l'échelon international constitue une avancée importante. J'ajouterais même, pour ne parler que du LCR, qu'il réaffirme quelques évidences que certains établissements ont pu oublier, la première étant que le métier d'une banque est avant tout de collecter des dépôts et d'octroyer des crédits.

Ce ratio à un mois présente encore néanmoins, dans son calibrage, des imperfections tant à l'échelon de la définition, trop étroite, des actifs liquides qu'il retient, que dans son traitement, parfois trop conservateur, des flux de trésorerie des banques. Il est donc important de revoir ce calibrage car les conséquences de ce ratio sont considérables pour certains financements comme celui des entreprises et des collectivités locales. Les discussions internationales se poursuivent en la matière, à la fois à Bâle et à l'échelon européen.

J'en arrive aux conséquences de Bâle III sur le financement de l'économie qui doivent, à juste titre, être surveillées.

L'analyse des conséquences possibles de Bâle III sur le financement de l'économie a fait l'objet d'études approfondies sous l'égide du Comité de Bâle et de la BRI. C'est un sujet complexe que je souhaite évoquer concrètement en prenant deux exemples, les PME et les collectivités locales.

S'agissant des PME, il est important de souligner qu'elles reçoivent déjà actuellement, au titre du risque de crédit, un traitement plus favorable que les grandes entreprises. Ce traitement favorable est conservé dans Bâle III.

En pratique d'ailleurs, les statistiques de la Banque de France montrent que les PME dans leur ensemble n'ont pas subi un resserrement de l'accès au crédit pendant la crise. Fin novembre 2011, les encours de crédits accordés aux PME avaient progressé de 5 % par rapport à novembre 2010, soit un rythme supérieur à celui du PIB.

En ce qui concerne le financement des collectivités locales, l'impact de Bâle III est une question particulièrement prégnante. Leur traitement au titre du risque de crédit, qui leur est très favorable, restera inchangé. En revanche, la mise en oeuvre des ratios de liquidité et de levier pourrait avoir un impact négatif sur leur financement.

Cependant, ces nouvelles normes, et notamment leur calibrage, sont encore en cours de discussion et il serait donc prématuré de conclure définitivement sur les conséquences de leur mise en oeuvre mais il faut demeurer vigilant.

Enfin, la réduction de la taille des bilans, le « deleveraging » et le « shadow banking », la finance non régulée, font l'objet d'une attention particulière.

Dans un effort pour restaurer la confiance, les banques françaises, qui ont déjà renforcé de manière considérable leurs fonds propres ces dernières années, ont annoncé, avant même la mise en oeuvre complète de Bâle III, diverses mesures destinées à renforcer encore leur solvabilité, notamment en réduisant le niveau de leurs engagements financiers. Ceci a fait craindre, ou peut faire craindre, un rationnement du crédit.

Les plans présentés par les établissements français montrent à cet égard que ce sont principalement les activités de marché et le financement des activités en dollars qui supporteront le plus gros de cet effort de réduction.

A cet égard, l'ACP est en contact permanent avec les dirigeants des établissements de crédit et suit naturellement avec vigilance leur activité de crédit.

Sur le marché des entreprises, globalement, c'est plutôt une baisse de la demande qui paraît être observée, les décisions d'investissement étant parfois repoussées par manque de visibilité sur les perspectives de l'activité économique.

S'agissant des crédits immobiliers aux ménages, un tassement de la production peut être observé en raison notamment du niveau élevé des prix. Les activités de financement spécialisé, tels que le crédit à la consommation ou le crédit-bail, font quant à eux l'objet d'une revue stratégique par certains groupes, notamment dans les implantations à l'étranger où ceux-ci n'ont pas la taille critique nécessaire.

A cette occasion, il convient également de noter que la réglementation européenne transposant Bâle III en Europe devrait avoir des conséquences importantes pour les sociétés financières, qui exercent notamment des activités d'affacturage ou de financement de l'équipement des entreprises. Le règlement européen, d'application directe, devrait en effet modifier en profondeur la réglementation française existante en remettant en cause leur statut et donc en partie leur modèle économique. L'ACP les accompagne dans les réflexions qu'elles ont à mener à ce sujet.

Pour conclure, je dirais que la mise en oeuvre de Bâle III conduira à une distribution plus attentive du crédit et peut-être à un relèvement de son coût mais permettra surtout à l'économie, française notamment, de pouvoir compter sur des banques solides, à même de résister à des chocs violents tout en continuant de financer les ménages et les entreprises.

Cet objectif d'un secteur bancaire toujours plus robuste ne doit cependant pas conduire à se désintéresser d'autres acteurs peu ou non régulés. Il est essentiel que la mise en oeuvre des nouvelles normes n'ait pas pour effet secondaire un développement des activités de la finance de l'ombre qui pourrait se faire au détriment de la stabilité financière et des consommateurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

La parole est à M. Pérol. Vous êtes l'un des utilisateurs de ce système normatif, mais en même temps le dispensateur de crédits qui a bien présent à l'esprit la situation du tissu économique, ses fragilités comme son potentiel.

Pouvez-vous nous dire ce que Bâle III change dans le système de décision d'une grande banque ? Comment intégrez-vous cet environnement qui évolue dans vos décisions ? S'agit-il de règles incontournables fixées par un Comité central totalement hors de portée ou d'un dispositif plus souple qu'il n'y paraît permettant d'exercer des options, d'arbitrer entre des activités et des risques ?

Debut de section - Permalien
François Pérol, président du directoire de BPCE

Je vais essayer d'apporter une réponse à votre question sous trois angles, en essayant de l'illustrer à partir du cas du groupe dont j'ai la responsabilité aujourd'hui.

Les banques françaises et notre groupe partagent l'intégralité des objectifs poursuivis par cette nouvelle réglementation, tels qu'ils ont été assignés par le G 20 afin de réduire au maximum la probabilité d'une nouvelle crise financière systémique. Il n'est pas envisageable, à mon sens, qu'une nouvelle crise financière puisse solliciter les finances publiques et les contribuables, comme cela a été le cas en 2008. Je ne parle pas spécialement de la France - qui a été la moins concernée - mais du reste du monde.

L'autre objectif est de permettre que les banques financent l'économie à partir des dépôts qu'elles collectent et des ressources qui sont les leurs afin d'éviter, comme on l'a vu en 1929, que l'assèchement du crédit ne provoque une crise économique.

M Enria et Mme Nouy ont parfaitement résumé ces objectifs qui se traduisent par davantage de capital pour les banques pour couvrir leurs pertes potentielles. Cela signifie que les banques se financent davantage auprès de leurs clients, plus stables, qu'auprès des marchés. Cela veut également dire que les banques se financent à plus long terme et, lorsqu'elles collectent leurs ressources sur les marchés, que la part collectée à court terme soit la moins élevée possible. Enfin, les banques doivent essayer d'allonger autant que faire se peut la durée de leurs ressources en fonction de la durée de leurs crédits. Elles doivent également avoir moins de leviers, c'est-à-dire plus de capital et moins de dettes pour les mêmes activités.

Un groupe comme le nôtre partage ces principes et les objectifs qui sont poursuivis. Beaucoup de choses ont changé depuis 2009, année de notre création. Cela signifie tout d'abord des activités recentrées sur les activités au service des clients mais aussi la fin des activités pour compte propre.

La seconde conséquence est le recentrage sur les activités bancaires et les activités d'assurance car nous considérons que celles-ci sont très liées.

Debut de section - Permalien
François Pérol, président du directoire de BPCE

Elles sont aujourd'hui résiduelles, en ce sens qu'elles correspondent aux actifs que nous continuons de porter dans nos bilans. Ce sont ceux que nous n'avons pas encore pu vendre, qui sont en gestion extinctive et que nous essayons, tout en protégeant nos résultats, de céder au mieux sur le marché.... Ce n'est plus fondamentalement une orientation stratégique du groupe.

Le troisième choix stratégique réside dans l'allongement de financement du groupe, qui ne peut se faire que progressivement en fonction des capacités des investisseurs et du marché. Cela signifie un accroissement des ressources collectées dans nos bilans par rapport à des ressources collectées en dehors de notre bilan. Ce programme de désendettement de notre groupe est fondé sur quelques idées simples. Nous protégeons notre clientèle de particuliers, de PME et développons pour les grandes entreprises et pour toutes celles pour lesquelles il existe une ressource de substitution des financements de marché en les aidant à mieux accéder au marché financier. L'une des conséquences de la réduction de l'effet de levier dans les banques, la taille des bilans se réduisant, est le fait qu'il existe moins de crédits. Il faut donc, pour financer ceux qui le peuvent, développer les activités de marché. C'est à mon sens une conséquence structurelle de la réglementation de Bâle III...

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Le temps de l'économie rhénane - je me réfère ici à de vieilles notions - telle que Michel Albert l'avait théorisée, est achevé. Nous nous dirigerons davantage, dans le cadre de Bâle III, vers une économie désintermédiée où le financement des entreprises dépendra beaucoup plus de l'accès au marché que du financement bancaire. Est-ce bien ce que vous nous dites ?

Debut de section - Permalien
François Pérol, président du directoire de BPCE

C'est une conséquence mécanique de la réglementation de Bâle III. Il faudra bien financer les grandes entreprises et faire en sorte que cette ressource de marché puisse venir se substituer aux ressources bancaires.

Pour notre groupe, cela signifie protéger les particuliers, les PME et tous ceux qui n'ont pas la possibilité d'avoir accès à une ressource de substitution. Il nous faut donc inciter les grandes entreprises à aller davantage vers les marchés financiers, tout en continuant à leur consentir du crédit, même si c'est globalement moins.

Pour ce qui nous concerne, cela signifie aussi le maintien de nos encours aux collectivités locales, dans un marché où l'un des acteurs prépondérants est désormais absent. Enfin, dernière orientation stratégique, nous avons réduit nos activités de marché et les financements aux clients non français. Dans ce métier, on constate en effet une préférence pour les clients les plus proches.

Cela représente un certain nombre de choix stratégiques très importants. Notre capital dur a progressé de 33 à 40 %. Cela représente une gestion du financement plus serré et des choix de métiers. Nous sommes un groupe coopératif qui est là pour collecter des dépôts, financer nos clients et les aider à avoir accès aux marchés pour les plus grands. Il s'agit d'activités de clientèle, de banque et d'assurance. Nous sommes donc engagés dans un mouvement de transformation considérable.

En second lieu, il est à mon sens vital pour les économies européenne et française que l'application de cette réglementation tienne compte de trois réalités.

Première réalité : l'économie européenne ne frappe pas par son dynamisme. La politique budgétaire des Etats de la zone euro est durablement restrictive et la politique monétaire ne peut être plus accommodante. Je voudrais ici saluer les décisions courageuses et pragmatiques, qui témoignent d'une vraie vision à long terme du Conseil des gouverneurs et du Président de la BCE : il ne faut pas que la politique de crédit des banques soit rationnée ! C'est essentiel pour l'économie européenne...

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

C'est bien parce que nous pensons comme vous que nous vous avons invité !

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Attendons : M. Pérol n'a pas fini sa démonstration !

Vous avez parlé de stratégie et de métier. Je constate qu'à la différence de vos concurrents, vous êtes présent sur le marché des collectivités locales en dépit de toutes ces contraintes et que vous êtes le seul à maintenir les encours. Comment faites-vous ?

Debut de section - Permalien
François Pérol, président du directoire de BPCE

Les collectivités locales sont, au sein du groupe, les clients historiques des caisses d'épargne et du Crédit foncier de France. Nous ne pouvons exister sans nos partenaires historiques ni sans nos clients.

En second lieu, nous essayons d'avoir une relation durable avec nos clients.

En troisième lieu, un acteur de ce marché qui représentait 35 à 40 % du marché n'en fait plus que 15 %. Nous ne pouvons le remplacer. Les nouvelles règles de gestion de la liquidité, qui sont loin d'être absurdes dans leur énoncé et dans leurs principes, font qu'il est extrêmement difficile pour une banque de financer des emprunts très longs sans ressources de même durée - généralement des dépôts et des ressources de marché.

Les dépôts n'existent pas dans le cas des collectivités locales et il n'est guère facile de trouver des ressources de marché. Nous avons donc décidé d'être présents et de ne pas augmenter nos encours car nous ne pouvons le faire. Nous produirons environ 4 milliards d'euros de nouveaux crédits en 2012, ce qui correspond à une part de marché en flux de 20 % environ.

Nous avons par ailleurs décidé d'augmenter nos marges...

Debut de section - Permalien
François Pérol, président du directoire de BPCE

Nous ne pouvons plus prétendre que notre coût de financement est nul. Nous l'avons fait entre 2000 et 2007 mais ce n'est plus possible !

Debut de section - Permalien
François Pérol, président du directoire de BPCE

Nous avons suggéré aux pouvoirs publics un certain nombre d'idées pour apporter une réponse structurelle à ce problème structurel. Je ne sais si nous serons demain capables de maintenir nos encours. Nous le faisons parce que nous souhaitons agir en partenaires responsables mais je ne suis pas sûr que nous soyons ad vitam aeternam capables de le faire.

Certaines réponses sont des réponses d'urgence. Elles consistent à faire en sorte que la CDC mette en place des enveloppes de financement en recréant la Caisse d'équipement des collectivités locales (CAECL) qui finançait des emplois longs à partir d'une notation double A à l'aide des ressources longues levées grâce à une notation d'excellente qualité, sans la garantie de l'Etat. Nous avons fait en sorte qu'elle reste une caisse et ne devienne jamais une banque.

Une autre suggestion consiste à faire en sorte que les collectivités locales les plus grandes qui ont déjà accès aux marchés puissent le faire davantage encore. Nous avons accompagné un certain nombre de collectivités locales de régions dans des opérations de collecte d'épargne directe auprès des particuliers : Pays de la Loire, Limousin, Auvergne ; d'autres y réfléchissent...

Si ces grandes collectivités locales le souhaitent, pourquoi ne pas réfléchir à ce qui existe dans d'autres Etats ? Il s'agit d'agences de financement qui, sans la garantie de l'Etat, mutualiseraient leurs crédits pour aller chercher de la ressource. Dans ce cas, il faut une gouvernance sûre.

Debut de section - Permalien
François Pérol, président du directoire de BPCE

En effet. La première réalité dont il faut tenir compte est la conjoncture européenne. On ne peut rationner le crédit : ce serait une erreur macroéconomique fondamentale.

Il faut également tenir compte de la réalité des structures des marchés. C'est la première fois, notamment en matière de liquidité, qu'on essaie d'établir des standards internationaux uniques pour tous les établissements bancaires à travers le monde. C'est un exercice extrêmement compliqué.

Il faut que, dans la réglementation bâloise, l'Europe tienne compte des différences factuelles qui existent dans la structure de ces marchés et du fait que l'économie de l'Europe continentale est d'abord financée par ses banques et non par le marché. L'Europe continentale, ce n'est pas les Etats-Unis ! Sa structure de marché ne deviendra pas celle des Etats-Unis en l'espace de deux ans ! Les marchés se développeront peut-être mais pas au rythme ni à l'échelle des Etats-Unis.

Tenons compte de la réalité de la structure des marchés nationaux : le marché français présente une spécificité. L'épargne des Français est moins présente dans les bilans des banques que dans d'autres pays européens. Nous avons beaucoup développé la gestion d'actifs et surtout l'assurance-vie, produit apprécié de nos clients, à juste titre compte tenu de son régime fiscal.

La troisième réalité dont il faut tenir compte réside dans le fait que le calendrier des marchés n'est pas celui des régulateurs. Que l'on soit d'accord ou non, seul compte le calendrier des marchés, la crise ayant fait que les règles prévues pour 2019 s'appliqueront dès 2012. Il est donc essentiel de réaliser un bon calibrage et que l'exécution soit très fine.

On nous demande par ailleurs de constituer des coussins de liquidité. Ils sont aujourd'hui principalement formés par la dette souveraine et par le numéraire. Il ne faut pas en exclure ces actifs, en dépit de la crise souveraine mais élargir la liste des actifs liquides admis dans les coussins de liquidité que les banques peuvent se constituer, en tenant compte de la réalité financière, empiriquement constatée depuis quelques années.

Il faut faire en sorte que les règles appliquées aux ressources des entreprises ne soient pas aussi sévères qu'aujourd'hui dans les projets de réglementation. On fait comme si les entreprises, en cas de crise, retiraient 75 % de leurs ressources : ce n'est pas ce que nous avons observé. Ce n'est pas le comportement de nos clients.

La troisième proposition est de ne pas supprimer le rôle de transformation des banques. Dans les règles de liquidité, la transformation des banques constitue un rôle macroéconomique principal : on transforme de l'épargne à vue en crédit en employant un moyen-long terme. Si on restreint trop la fonction de transformation, on supprime le rôle macroéconomique des banques. Nous ne servirons plus à rien, nous serons extrêmement capitalisés, le système sera extrêmement sûr mais étouffé !

Enfin, plutôt que de fixer une date lointaine pour des règles très sévères, il vaut mieux fixer des dates plus proches pour des règles moins sévères, quitte à les revoir une fois appliquées. Peut-être maîtrisera-t-on alors mieux la réaction des marchés !

En Europe, de grâce, adoptons une harmonisation maximale ! Pas de surenchères entre régulateurs, non qu'elles ne puissent être légitimes ici ou là mais ce sont le calendrier et la façon de réagir des marchés qui comptent. Les marchés financiers s'alignent en ce moment systématiquement sur le mieux-disant. L'harmonisation maximale évite la surenchère réglementaire. Ce qui donne le ton, c'est la réglementation la mieux-disante. Les marchés communiquent, uniformisent et on se retrouve avec la réglementation suisse alors que nous sommes bien plus grand et n'avons pas les mêmes caractéristiques ni les mêmes besoins économiques !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Merci d'avoir évité la langue de bois !

Monsieur le Professeur, pouvez-vous tirer les leçons de ces trois interventions ? N'y a-t-il pas une apparente contradiction entre la renationalisation des activités de crédit et l'harmonisation européenne maximale ?

Debut de section - Permalien
Dominique Plihon, professeur d'économie financière à l'université de Paris-Nord (Paris XIII)

Vous m'avez incité à prendre des risques. Je n'ai sans doute pas la compétence de mes prédécesseurs ; néanmoins, je vais essayer, tout en tentant de répondre à votre question, d'apporter un point de vue plus critique et moins optimiste que ce qui vient d'être présenté.

L'inadaptation de la régulation et ses effets pervers ont une part de responsabilité dans la crise survenue à partir de 2007.

Les régulateurs ont tiré les leçons des carences et des effets pervers de la régulation antérieure mais seulement en partie. Les réformes en cours montrent des progrès évidents mais insuffisants, voire contre-productifs.

La régulation bancaire est essentiellement microprudentielle ; un certain nombre d'économistes affirmaient qu'il y avait là un gros problème mais nous n'étions guère entendus. Le rapport de Larosière est de ce point de vue fort édifiant : il confirme qu'il existait un grand trou noir dans ce domaine !

Certaines avancées ont vu le jour, notamment à l'échelon européen, avec le Conseil européen du risque systémique. Il a toutefois des prérogatives floues, non définies, à la différence de son homologue américain. La situation en Europe est donc moins avancée qu'aux États-Unis de ce point de vue.

En second lieu, on a pris conscience de la procyclicité des banques et de la régulation, notamment grâce à la mise en place dans Bâle III d'un coussin contra-cyclique. C'est une bonne chose mais elle risque toutefois d'apparaître comme une usine à gaz difficile à mettre en oeuvre. Je demande à voir ; l'idée est cependant bonne !

Mme Nouy l'a dit, deux avancées importantes ont été réalisées dans le domaine du ratio de liquidité ainsi qu'en matière de limitation de l'effet de levier. Toutefois, ce ratio de levier sur actif limité à 3 % me paraît peu contraignant. Il aura donc un impact limité.

Je voudrais à présent aborder trois points principaux.

Tout d'abord, je pense vraiment que l'accent mis sur les ratios de fonds propres par Bâle III constitue un vrai problème et place les banques sous la dépendance des marchés bien plus qu'auparavant, les poussant à une recherche de rentabilité des fonds propres qui les a conduites précisément à prendre des risques et les a menées à la faute.

D'autres ratios ont été proposés - liquidités, levier, etc. - mais cette logique des ratios de fonds propres est un véritable problème. En outre, cela induit de l'intermédiation, distendant les relations entre prêteurs et emprunteurs. Est-ce une bonne chose ? Ma réponse est négative !

Il faut donc repenser la question du financement de l'économie par les banques en voyant plus loin que les dispositifs mis en place. J'ai participé, avec Jean-Paul Betbèze, économiste en chef du Crédit agricole et Jezabel Couppey-Soubeyran, professeur à l'université Paris I, à l'élaboration d'un rapport du Conseil d'analyse économique intitulé « Banque centrale et stabilité financière ».

Une de nos conclusions préconisait de revenir à une régulation plus centrée sur le crédit des banques. Selon nous, le crédit est le canal principal du financement de l'économie mais aussi du risque. Les crises récentes les plus graves ont toutes été causées par des emballements du crédit qui ont financé des bulles, notamment immobilières. Nous établissons donc un lien direct entre bulles, instabilité financière et emballement du crédit. Il convient donc de repenser le financement par les banques et le contrôle de celles-ci par des instruments autres que le contrôle des ratios de fonds propres. Comment faire ? Nous pensons que les modalités de refinancement par les banques centrales doivent être revues.

Première idée - peut-être iconoclaste : il faut repenser le financement global par la banque centrale. Aujourd'hui, la banque centrale intervient en injectant des milliards sur le marché. L'idée serait plutôt de réaliser un financement individualisé par la banque centrale des groupes bancaires, groupe par groupe, en étudiant si les besoins se conforment aux règles, s'ils financent les secteurs prioritaires dans le domaine écologique ou social, etc, afin d'avoir un financement plus sélectif.

Du coup, cela implique d'autres instruments. L'instrument que nous proposons est un système de réserve obligatoire progressive sur le crédit. Lorsque le crédit progresse, il faut des réserves obligatoires qui montent rapidement à due proportion. C'est très important pour casser la dynamique d'emballement du crédit à l'origine des crises antérieures.

En second lieu, nous pensons qu'il faut que ces réserves obligatoires et cette politique de refinancement soientt sélectives de manière sectorielle, voire géographique. En Europe, certains pays ont connu des bulles immobilières très fortes, comme l'Irlande ou l'Espagne. Il était évident qu'il fallait faire quelque chose alors qu'en France, c'était moins le cas. D'où la nécessité de politiques qui prennent en compte les différences sectorielles.

Certes, ceci remet en cause le principe du « level playing field » où les acteurs européens doivent jouer à armes égales, le marché étant supposé accorder l'allocation optimale - ce qui n'est pas du tout le cas. Il faut donc que les autorités, notamment la Banque centrale, jouent leur rôle dans ce domaine.

Il nous semble que le périmètre de la régulation financière et bancaire devrait s'élargir davantage. Cela touche à la question du « shadow banking », déjà mentionnée. La crise financière, qui nous est venue des Etats-Unis, a pour origine le « shadow banking ». Que fait-on des acteurs - banques d'investissement, fonds spéculatifs, opérations hors bilan ? Mme Nouy nous a expliqué que certains ratios prennent en compte des éléments hors bilan. Prenons le cas des fonds spéculatifs : croyez-vous que la directive européenne soit de nature à changer le comportement de ces acteurs en matière de prise de risques ? La réponse est évidemment non ! Une régulation beaucoup plus contraignante des acteurs qui ont contribué à la crise et qui recommenceront à la première occasion est donc nécessaire...

La troisième idée repose sur la question du « business model » des banques. M. Pérol ne sera sans doute pas d'accord - bien qu'il ait indiqué lui-même qu'il y ait une transformation de son propre « business model » - mais les banques doivent revenir à leur coeur de métier : financer l'économie par les crédits, collecter et gérer l'épargne des ménages, gérer les risques et non les transférer à d'autres acteurs, gérer le système de paiement.

Je pense que les innovations financières récentes posent un vrai problème de ce point de vue. Elles sont mal maîtrisées et souvent utilisées de telle sorte qu'elles éloignent les banques de leur métier. Le grand sport des banques a été ces dernières années de transférer les risques à d'autres par la titrisation et les produits dérivés. Elles ne jouent pas leur rôle ! C'est de là que vient le problème, qui est lié à la question du périmètre de la régulation.

Je voudrais citer ici Keynes et Krugman : selon eux, le métier de banquier doit redevenir ennuyeux. Il faudrait que les banquiers aient des niveaux de salaires comparables aux autres secteurs de l'économie. Les niveaux de salaires des cadres de la finance sont en France 40 % supérieurs à ceux de l'industrie. C'est un élément de la financiarisation qui explique en partie la désindustrialisation française ! Les jeunes élites sont beaucoup plus attirées par le fait de gagner 40 % de plus dans la banque que de travailler dans des entreprises industrielles. Il y a là un vrai problème.

Debut de section - Permalien
Dominique Plihon, professeur d'économie financière à l'université de Paris-Nord (Paris XIII)

Absolument !

Deux pays me semblent avoir avancé davantage que l'Europe continentale, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Il me semble que pour les réformes financières et notamment bancaires, les Etats-Unis, avec la loi Dodd-Frank, votée en juillet 2010 et la Grande-Bretagne avec le rapport de la commission Vickers, qui ne sera vraisemblablement appliqué qu'en 2019, vont beaucoup plus loin que nous dans la révision du « business model » des banques. Cela devrait nous faire réfléchir.

Il me semble qu'il existe en Europe trois domaines où nous sommes en retrait.

Le premier concerne la question de l'utilisation de leurs fonds propres par les banques. M. Pérol nous a expliqué que sa propre banque n'a plus d'activités pour compte propre. Il agit toutefois sur une base volontaire. Qui dit que, demain, il ne remettra pas cela en cause, aucune régulation ne l'obligeant à le faire ? Je lui fais confiance mais supposons qu'il change et qu'on mette à sa place quelqu'un qui n'ait pas ses idées : il n'existe aucune garantie. On devrait donc discuter des règles Volcker. Il paraît qu'on le fait mais, pour le moment, on ne voit rien sortir !

Le second élément repose sur la question de la séparation des activités de banque de détail et d'investissement. Je ne vois rien venir là non plus - même s'il paraît que c'est en discussion - dans le domaine des régulations bancaires. Il y a là un vrai besoin. Il ne s'agit pas de revenir au « Glass-Steagall Act », qui avait coupé les banques de détail des banques d'investissement mais il faut réfléchir à des modalités de séparation, voire de sanctuarisation, comme le fait le rapport Vickers.

Le discours que tiennent à la fois les banquiers français et les autorités de notre pays veut que nos banques soient très différentes. Notre modèle de banque universelle est très solide et très différent des banques anglo-saxonnes. La crise et les difficultés qu'ont rencontrées certaines banques européennes continentales ne remettent-elles pas en cause certaines de ces visions optimistes ? Le chantier est ouvert mais peu de choses avancent !

Le troisième et dernier sujet est celui de la taille des banques : « too big to fail ». Cette question est en débat mais deux idées sont rarement abordées par les régulateurs ou par les économistes : croyez-vous que la concurrence ne soit pas affectée par ces systèmes totalement oligopolistiques, avec des acteurs dont le pouvoir de marché est considérable ? Je m'étonne que la Commission ne s'en soit pas saisie...

La seconde idée concerne la démocratie. Les groupes qui pèsent très lourd sur le plan financier pèsent aussi très lourd sur le plan politique et influencent les décideurs politiques. C'est une des explications que je donne à la faiblesse des réformes. Les pouvoirs de lobbying et de pression des grands groupes sont tels que les réformes sont très difficiles à mettre en oeuvre.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Pourquoi la banque la plus en difficulté en Irlande n'a-t-elle pas été mise par le Gouvernement irlandais sur la liste des « stress tests » ? C'est un petit pays et cela illustre bien votre dernier propos !

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

La séparation des activités de détail et des activités d'investissement est un tabou en France. Vous avez expliqué, Monsieur le Professeur, comment vous comptiez supprimer l'activité spéculative pour compte propre. Un choix est cependant opéré à l'échelon européen, ce qui explique qu'on ne traite pas le sujet, à la différence des Anglais et des Américains : la voie choisie pour garantir la solidarité du secteur bancaire et éviter que le contribuable ne soit l'assureur de dernier ressort repose sur les exigences prudentielles.

Ma question s'adressera à M. Enria à propos de l'échéance du 30 juin. Avez-vous envisagé le cas où une banque n'atteint pas son objectif de recapitalisation, notamment s'il s'agit d'une banque qui exerce dans un Etat dit périphérique qui n'a pas les moyens de la renflouer ? Quel rôle peut jouer la BCE et le MES qui devrait être créé, dans un tel scénario ? Comment cela se passe-t-il en matière de restructuration du secteur bancaire ? Je pense que vous avez dû envisager ce cas précis.

Je suis étonnée comme vous, Monsieur le Professeur, de constater qu'il n'y a rien dans CRD IV en matière de rémunération, alors qu'on avait modestement traité le problème dans CRD III !

Je voulais également interroger les intervenants sur la législation américaine relative au « Foreign account tax compliance act » (FATCA), qui oblige à déclarer au fisc américain les données relatives aux comptes détenus par les contribuables de ce pays. Quelles conséquences pratiques et financières cela a-t-il pour les banques européennes ? Peut-on envisager la réciprocité ? Personne n'en ayant parlé, je me permets de soulever ce point...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Ma question s'adresse au Président Pérol. Il me semble que la Commission européenne souhaite une règle unique et une harmonisation maximale des ratios. Parallèlement, un certain nombre de pays voudraient des règles prudentielles plus élevées encore. Ne risque-t-on pas d'avoir une distorsion entre pays et une distorsion entre certaines activités, avec des banques de détail plus régulées et des banques de marché encore moins régulées qu'aujourd'hui ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Quel regard les marchés portent-ils sur les banques ? On observe depuis quelques semaines une revalorisation significative des actions bancaires, en France comme dans d'autres pays. Le fait que ces actions ont en quelques semaines gagné 20 ou 30 % s'explique-t-il par la confiance partiellement restaurée grâce à l'ensemble des dispositifs ou par le fait que l'Europe, se fondant sur une logique proche de celle des États-Unis, a décidé avec la BCE d'adopter une politique de facilitation quantitative, créant une sensation de bien-être qui conduit à penser que tout va mieux, permettant dès lors à la sphère financière de retrouver une forme de sécurité et des perspectives de rentabilité ?

Quelle est la part de l'une et de l'autre explication ? J'ai quant à moi l'impression que la seconde est la plus pertinente - mais j'aimerais obtenir un éclairage sur ce point...

Debut de section - Permalien
Danièle Nouy, secrétaire générale de l'autorité de contrôle prudentiel

S'agissant de la séparation des activités de détail et d'investissement, personnellement, j'assurerai mon métier de superviseur bancaire dans l'un et l'autre modèle : ce n'est pas au superviseur de choisir en la matière. Cela faisant partie de certains programmes politiques de notre pays, vous ne m'en voudrez pas de ne pas me positionner sur l'une ou l'autre des propositions.

Il ne faut pas se leurrer et croire qu'on se met à l'abri en poussant les activités de marché en dehors de la sphère régulée...

Debut de section - Permalien
Danièle Nouy, secrétaire générale de l'autorité de contrôle prudentiel

De ce point de vue, la fameuse règle Volcker, qui donne l'impression de pousser en dehors des banques les activités de marché et les activités pour compte propre, me donne moins confiance.

Je rappelle qu'un « hedge fund » du nom de LTCM a failli mettre en difficulté un certain nombre de banques alors que ce n'était pas un acteur régulé. Selon moi, ces activités de marché doivent être régulées, ce que permet Vickers. C'est moins clair du côté de Volcker.

Il existe un débat sur ces sujets ; le commissaire Barnier a décidé l'ouverture d'un groupe de travail de haut niveau sur cette question. Je pense qu'elle ne sera pas éludée.

Debut de section - Permalien
Danièle Nouy, secrétaire générale de l'autorité de contrôle prudentiel

Il aura sans doute des choses à vous dire à ce sujet.

Je voudrais revenir un instant sur l'harmonisation maximale. Il ne faut pas non plus se leurrer : avant la crise, les opposants à l'harmonisation maximale n'étaient pas les plus vertueux de la classe mais des pays, des superviseurs ou des régulateurs qui voulaient pouvoir donner des avantages compétitifs à leur propre place et qui étaient plus flexibles que les autres. Seul un système qui n'imposait pas l'harmonisation maximale permettait de le faire.

Si on est contre l'harmonisation maximale, on est censé être aujourd'hui plus sévère que les autres. Cela me paraît très discutable : si l'on sort de l'harmonisation maximale, les moins vertueux utiliseront cette flexibilité pour donner des avantages compétitifs à leur place.

Les nouveaux vertueux ne sont convertis que depuis peu dans certains cas et pourraient disparaître en fonction des circonstances. Certains, au sein du Comité européen, sont favorables à des choses plus rigoureuses que l'harmonisation maximale mais ne donnent pas le pouvoir à l'EBA d'en contrôler la bonne application. Cela les rend quelque peu suspects...

Je rappelle que la réglementation comporte plusieurs piliers : le pilier 1 est réglementaire et porte sur l'harmonisation maximale ; le pilier 2 est le jugement du superviseur et a permis à la France de sortir de la crise mieux que les autres. Les nouveaux vertueux pourraient donc recourir à l'harmonisation maximale et utiliser le pilier 2.

Debut de section - Permalien
Andrea Enria, président de l'autorité bancaire européenne

Les recommandations de l'EBA visent à faire respecter les règlements par les autorités nationales. Toutes les autorités nationales se sont engagées à faire respecter ces recommandations et chaque autorité aura des instruments adéquats pour inciter les banques à respecter la réglementation d'ici le 30 juin. Si ce délai n'est pas respecté, des instruments de rectification interviendront à l'échelon national.

Il est exact qu'une énorme pression pèse sur les banques pour qu'elles soient recapitalisées. Le Conseil européen a dit clairement en juillet passé que le fonds européen de stabilité pouvait également être utilisé pour recapitaliser les banques. Si les banques ne réussissent pas à émettre des capitaux ou à atteindre le niveau de capitaux requis d'ici fin juin, les gouvernements pourront s'engager à les soutenir. Sinon, le FESF pourra les recapitaliser et les renflouer. Je suis sûr que nous arriverons à respecter ce délai.

Je voudrais revenir sur l'harmonisation pour partager les préoccupations exprimées par M. Pérol à propos de la renationalisation éventuelle des marchés. C'est là une situation paradoxale. Des mesures européennes de soutien ont été mises en place. Regardez ce qui s'est passé ces dernières années dans la recapitalisation du secteur bancaire européen... Beaucoup de ressources ont afflué vers les banques irlandaises et portugaises. Nous allons à présent de l'avant : si la recapitalisation des banques grecques est adoptée, ce sont pratiquement 6 milliards d'euros qui viendront des fonds européens ! Nous bénéficions également d'un soutien très fort de la BCE et de l'injection de liquidités.

Malgré tout, il existe un processus de rapatriement des crédits et des actifs financiers qui comporte un risque. Nous pourrions, à la fin de ce processus, constater que ce marché unique est segmenté, fragmenté en secteurs nationaux bien plus qu'auparavant. C'est un risque véritable que l'EBA prend au sérieux.

Mme Nouy fait partie d'un groupe de travail de haut niveau qui s'est penché sur le problème transfrontalier : pays d'origine, pays d'accueil, tous ces sujets ont été discutés et nous essayons maintenant de gérer cette crise. Un élément important inscrit dans les législations concerne la médiation. En cas de conflit entre le pays d'accueil et le pays d'origine, un processus peut être engagé pour trouver une solution.

Une question intéressante a été posée à propos de la confiance que l'on peut avoir dans les banques : cela peut-il provenir de la réglementation que nous mettrons en place ou des mesures de soutien ? Les mesures adoptées par la BCE, qui ont, je pense, été accueillies positivement par chacun, ont été les bienvenues. Nous essayons de faire progresser la recapitalisation des banques. C'est là un aspect complémentaire : il est important de donner aux banques un accès illimité aux liquidités pour supprimer le risque systémique provenant de la crise des dettes souveraines mais il est également important que les banques, qui sont maintenant soutenues grâce à cet accès illimité aux liquidités à bas coût, soient incitées à améliorer leur capitalisation. Les deux choses vont de pair et ces deux éléments permettent de retrouver la confiance dans le secteur bancaire.

La situation reste fragile : toute mauvaise nouvelle peut être amplifiée facilement mais nous constatons que le marché du financement est ouvert à nouveau et que la situation s'améliore progressivement.

Enfin, je suis d'accord avec ce qui a été dit par Mme Nouy concernant la séparation entre la banque de détail et la banque d'investissement. J'ai personnellement commencé ma carrière comme superviseur en Italie, à une époque où nous avions essayé de supprimer les barrières entre les secteurs bancaires. La principale erreur de certains pays réside dans le fait que lorsque ces barrières structurelles ont été supprimées, le contrôle prudentiel n'a pas été suffisamment renforcé.

Nous devrions conserver cet épisode à l'esprit. Je reprends ce qui a été dit par le professeur Plihon : il ne faut pas éluder ces questions. Mme Nouy a indiqué que Michel Barnier a créé un groupe de haut niveau présidé par un gouverneur finlandais pour traiter de ces sujets. Comme l'a dit Mme Nouy, nous ne devrions pas permettre que cette séparation du secteur bancaire aboutisse à une séparation entre une partie bien réglementée et une autre qui l'est moins. Ce serait aller droit au désastre. Nous avons vu que la crise systémique concernait le secteur de la banque d'investissement et surtout le secteur du « shadow banking ». Nous devrions favoriser la supervision de tous ces secteurs.

Enfin, je suis partisan d'une harmonisation maximale. Nous avons récemment identifié quatre secteurs où il existe des différences de traitement concernant l'application de la même législation communautaire dans les pays européens.

On peut avoir, pour la même banque, au même bilan, un ratio de capitalisation de 7 % dans un pays et de plus de 10 % dans un autre en fonction des différents traitements bancaires ! Si on ne s'accorde pas, nous n'arriverons pas à déterminer le bon niveau de capitalisation.

Je suis tout à fait d'accord avec le professeur : nous devons avoir les mêmes règles mais également bénéficier d'une certaine marge de manoeuvre. J'aurais aimé que les banques irlandaises ou portugaises soient confrontées il y a quelques années à des exigences de capitalisation beaucoup plus élevées ; nous aurions ainsi évité la bulle. La proposition de directive européenne prévoit des règlements permettant aux pays de remonter leur niveau de fonds propres au-delà du niveau réglementaire. Toutefois, si un pays respecte les règlements et un autre non, il ne faut pas que tout le marché européen en subisse les conséquences.

Debut de section - Permalien
Dominique Plihon, professeur d'économie financière à l'université de Paris-Nord (Paris XIII)

Je suis ravi de constater qu'il existe entre nous un certain nombre de points de convergence mais je ne parlais pas des fonds propres : j'émettais une critique de fond sur le fait de miser sur ces ratios de fonds propres pour atteindre les objectifs avec une certaine flexibilité. Il faut des instruments complémentaires qui pourraient être les réserves obligatoires sur les crédits. Tout miser sur les fonds propres produit des effets pervers, ceux-là même qui ont poussé les banques à une désintermédiation, à une logique actionnariale, à une recherche de rentabilité des fonds propres qui les ont conduites à prendre des risques plus importants. Il faut une logique différente et complémentaire.

Ces réserves doivent par contre être modulées selon les pays, les instruments et éventuellement les secteurs, les règles uniformes pouvant poser problème à l'ensemble de la zone euro ou de l'Union européenne. La crise de l'euro vient de cette forte hétérogénéité. Il faut que les politiques qui sont menées et les instruments mis en oeuvre la prennent en compte.

Debut de section - Permalien
Dominique Plihon, professeur d'économie financière à l'université de Paris-Nord (Paris XIII)

En effet, mais les ratios de coussins contra-cycliques intégrés dans Bâle III me paraissent constituer une usine à gaz alors que les réserves obligatoires sont beaucoup plus simples.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

J'ai l'impression que vous nous décrivez ici le système des réserves obligatoires et de l'encadrement du crédit pratiqué dans ce pays pendant une assez longue période. J'ai été directeur financier d'un groupe public qui avait beaucoup de trésorerie dans les années 1980 : je faisais alors le maximum de mes produits financiers en désencadrant. Il existait un marché du désencadrement. Est-ce ce type de système que vous proposez de rétablir ?

Debut de section - Permalien
Dominique Plihon, professeur d'économie financière à l'université de Paris-Nord (Paris XIII)

Les réserves obligatoires ne sont pas tout à fait la même chose que l'encadrement du crédit. Toutes les grandes crises systémiques impliquent les banques et le crédit. C'est une approche historique. La crise d'Internet n'est pas une crise systémique, aucune banque n'étant directement impliquée. La crise actuelle, celle de 1929 ou celle du Japon sont des crises systémiques où le canal du crédit est impliqué.

Comment agir sur celui-ci par les fonds propres ? On ne le peut pas ! Il faut des instruments spécifiques. Les réserves obligatoires continuent à exister à la BCE mais portent sur les dépôts. Il faut les positionner sur certains types d'activités, certains éléments du bilan des banques, en particulier les crédits. Ce n'est pas être complètement rétrograde que de proposer cet instrument ! Selon moi, il est compatible avec le système actuel. Certes, c'est un changement de philosophie mais la crise est suffisamment grave pour remettre en cause la philosophie néolibérale qui a fonctionné ces dernières années et qui a très largement échoué ! On voit où cela nous a menés : il faut changer la philosophie de la régulation !

Debut de section - Permalien
Danièle Nouy, secrétaire générale de l'autorité de contrôle prudentiel

Ce n'est pas le renforcement des fonds propres qui pèse sur le financement de l'économie mais plutôt les ratios de liquidité qu'on est en train de mettre en place.

Dans le système économique qui est le nôtre, les actionnaires sont là pour encaisser les pertes lorsqu'il y en a. Si ceux-ci ne sont pas assez nombreux ou si le montant du capital est insuffisant, les pouvoirs publics et l'argent du contribuable se trouvent alors mis à contribution. Si cela a été le cas lors de la récente crise, c'est parce qu'on a appelé fonds propres des instruments présentés comme tels aux superviseurs et comme des instruments de bons pères de famille - quasiment des obligations - aux investisseurs qui les détenaient ! Ces instruments n'ont d'ailleurs absorbé aucune perte, sauf aux États-Unis s'agissant de petites banques. Il est donc nécessaire d'avoir des volumes importants de fonds propres pour asseoir la solvabilité des banques.

Le professeur Plihon a dit que le ratio de levier était un très bon instrument mais a estimé que 3 % n'est pas un pourcentage suffisant. Je rappelle toutefois qu'au moment où il a été adopté, cela « mordait » pour les banques. Peut-être, à l'avenir, augmentera-t-on le pourcentage... Pour le coup, ce ratio de levier est à base de fonds propres et « mord » même plus que le ratio basé sur des actifs pondérés. Cela va donc renforcer le poids des fonds propres. C'est ce ratio de levier brutal qui pousse à l'intermédiation. La pression en faveur de la désintermédiation, du « deliveraging » et du « credit crunch » est maximale...

Nous ne sommes donc pas des supporters très enthousiastes sur ce point. Nous avons un avis mesuré et réservé mais nous allons cependant appliquer ce ratio de levier, le législateur, dans sa grande sagesse, devant l'introduire dans la panoplie de la réglementation bancaire.

Debut de section - Permalien
François Pérol, président du directoire de BPCE

Le FATCA est une règle extraterritoriale. Elle soulève donc nécessairement des difficultés en termes de réciprocité pour les autorités nationales et européennes. C'est un problème qui ne relève pas de notre compétence mais qui me semble important sur le plan des principes.

L'application actuelle de la règle - en cours de révision par les autorités américaines - aurait des conséquences sur nos systèmes d'information fort disproportionnées par rapport au nombre de clients concernés. On préférera donc se passer de ces clients plutôt qu'appliquer la règle si les modalités d'application n'ont pas changé.

Quant à la question de M. Bizet sur l'harmonisation maximale, je pense que c'est la meilleure solution. Je ne pense pas que la surenchère réglementaire, dont Danièle Nouy a dit à juste titre qu'elle était parfois étrange, soit la bonne solution pour l'Europe.

Le regard porté par les marchés sur les banques a été extrêmement négatif pour trois raisons.

La première concerne les conséquences de la réglementation et l'incertitude réglementaire. Ce point n'est pas forcément négatif mais le taux de rentabilité des banques chute par rapport à une exception historique et cela a des conséquences sur la valeur des actifs.

En second lieu, la perte de confiance dans les Etats de la zone euro a des conséquences immédiates et extrêmement fortes sur les banques, les marchés faisant un lien qui n'est d'ailleurs pas absurde entre les Etats et les banques.

La troisième raison, pour les banques françaises, vient du retrait du financement en dollar.

Aujourd'hui, les choses vont un peu mieux. L'incertitude réglementaire n'a pas complètement disparu ; celle sur la zone euro est un peu moins forte ; quant au retrait du financement en dollar, les banques françaises se sont adaptées et le marché a pu le constater.

Quelques remarques sur la séparation des activités : rien ne remplacera une bonne supervision. Certaines banques de détail ont eu de grandes difficultés, tout comme certaines banques d'investissement ou d'autres où les activités étaient séparées, comme Dexia.

Le risque n'est pas absent de la banque de détail, contrairement à ce qu'on entend parfois. Rien, selon mon expérience, ne remplace une bonne supervision, y compris le développement de la supervision macroprudentielle. Je pense que la situation des banques françaises, plus favorable que celle de bien d'autres pays, s'explique en partie par une bonne supervision.

Seconde remarque : en France, il est important de tenir compte des spécificités de notre modèle. Les Anglais tiennent compte de l'Angleterre avant de penser au reste du monde. Aux États-Unis, c'est un peu plus compliqué mais les Américains tiennent compte des États-Unis avant de tenir compte du reste du monde. Je trouverai donc bien que l'on évite de vouloir le bien du monde entier en massacrant notre industrie bancaire !

Debut de section - Permalien
François Pérol, président du directoire de BPCE

Il y a en France des groupes coopératifs mutualistes qui n'existent pas en Angleterre. Filialiser la banque de détail pour les groupes coopératifs constitue un grave inconvénient... En effet. En France, ils représentent environ 75 % du marché « retail ». Quand les Britanniques font Vickers, ils n'interdisent aucune activité aux banques parce qu'ils disposent de la City. Quand les Américains font Volcker, ils ont un « shadow banking » extrêmement développé et réfléchissent pour eux. Réfléchissons donc d'abord pour nous !

Troisièmement, attention à ne pas avoir raison tout seul : c'est un domaine où il existe de la concurrence pour la banque de grande clientèle.

Quatrième remarque : les banques françaises ne refusent pas le débat. La meilleure preuve en est que j'ai fait à titre personnel, sans que cela n'engage la Fédération bancaire française, une proposition qui consiste à demander aux banques de développer leurs activités de clientèle et de ne pas développer leurs activités pour compte propre.

Je ne crois pas au risque de développement du « shadow banking » en France, ni même en Europe continentale, l'écosystème ne le permettant pas. Vous ne verrez pas de « hedge funds » très développés en France. Vous n'en trouverez pas non plus selon moi en Europe continentale - Suisse, Luxembourg et Royaume-Uni mis à part.

Cela ne remplace pas pour autant la supervision. Concentrons les banques qui ont une activité de collecte de dépôt sur les activités de clientèle. C'est notre proposition : lier crédit et dépôt et accepter le débat sur les activités de clientèle de marché. Ne diabolisons pas les activités de clientèle de marché. On a besoin des marchés et l'Etat et les entreprises en auront encore plus besoin avec la réglementation de Bâle III.

Quand nous faisons une couverture de change sur EADS, quand nous travaillons avec l'Etat comme spécialistes des valeurs du Trésor, quand nous faisons une émission obligataire pour le compte de telle ou telle grande entreprise, nous menons une activité utile. Pour ce faire, acheteurs et vendeurs ont besoin d'être « teneurs de marché » et d'être présents. Si on n'y est pas, on n'est pas capables de faire de bon prix ni de conseiller utilement notre client. On a des positions de marché, on les gère avec une certaine intention de gestion et avec des limites, etc. Nous ne refusons pas le débat ; il est intéressant mais il faut tenir compte de ce qui existe, du fait que les grands clients français ont besoin d'être servis par des banques françaises. Il ne faut pas abandonner cette industrie sous prétexte qu'elle serait malsaine. Elle ne l'est pas et a selon moi une utilité économique. Le jour où la France, l'Etat et les grandes entreprises pourront se passer des marchés, on réfléchira différemment. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Si tout le monde déteste les banques, tout le monde adore les caisses d'épargne !

Debut de section - Permalien
François Pérol, président du directoire de BPCE

Et les banques populaires !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Cela va de soi ! Cela a toujours été l'axe historique de communication des caisses d'épargne : l'Ecureuil est sympathique, à la différence du banquier habituel !

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Je n'ai pas entendu le président de l'EBA s'exprimer à propos des rémunérations. Peut-être cela n'entre-t-il pas dans votre compétence en tant qu'autorité européenne...

Debut de section - Permalien
Andrea Enria, président de l'autorité bancaire européenne

En effet, la directive CRD III impose aux autorités bancaires européennes de préparer une norme pour 2013. D'ici l'année prochaine, cette norme deviendra la législation applicable dans les vingt-sept pays membres en matière de rémunération des salariés bancaires. Nous avons déjà publié des lignes directrices en la matière et pensons que cela fonctionne assez bien. Nous essayons de voir si nous n'avons pas besoin de revoir certaines choses ici ou là en ce qui concerne ces instructions et nous essayons également de collecter des données sur les rémunérations dans les banques européennes. Nous allons, à terme, publier une directive sur ce point.

Quant au sujet de savoir comment les règlements communs sont appliqués en Europe, nous avons identifié quelques secteurs où apparaissent des différences entre pays.

Nous avons donc l'intention de discuter de la définition de la prise de risques et d'avoir un cadre commun européen concernant les rémunérations bancaires d'ici 2013.

S'agissant de la réciprocité et de l'application transfrontalière de la règle Volcker, une lettre a effectivement été envoyée par la Commission à cet égard afin de pouvoir entamer un dialogue approfondi entre les États-Unis et l'Europe. Les autorités américaines ont montré jusqu'à présent qu'elles étaient disposées à discuter de certains de ces problèmes mais je pense qu'elles seront difficiles à convaincre. Le dialogue porte actuellement sur les détails techniques et nous espérons aboutir à des résultats positifs.

Je suis désolé que le professeur Plihon soit parti : il y a un problème concernant les réserves et les provisions bancaires. Les normes de comptabilité ne permettent que des réserves qui correspondent à des pertes. Nous devons avoir un système prospectif pour ces provisions. Ce système dynamique existait en Espagne et forçait les banques à accumuler les réserves mais, lorsque la crise a éclaté, celles-ci n'ont pas été suffisantes. Nous devons donc avoir un autre système pour pallier ce problème.

Debut de section - Permalien
Danièle Nouy, secrétaire générale de l'autorité de contrôle prudentiel

Concernant le FATCA, je n'ai pas d'avis. Ainsi qu'il l'a été indiqué, il existe sur ce point un problème d'extraterritorialité. Le sujet ne me paraît pas stabilisé. Lorsque j'aurais compris ce que je dois superviser et quelle est la contrainte précise, telle qu'elle ressortira des réponses qui auront été faites au commissaire Barnier et à l'ABE, j'appliquerai sans état d'âme ce qui sortira de la discussion.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

C'est un conseil que je souhaite obtenir. Le banquier nous dit que cela ne relève pas de sa compétence ; vous, vous nous dites que votre avis n'est pas stabilisé. Qui est susceptible de nous fournir une réponse ?

Debut de section - Permalien
Danièle Nouy, secrétaire générale de l'autorité de contrôle prudentiel

Cela fait partie des négociations entre la Commission européenne et les États-Unis. Je pense que le commissaire Barnier aura un avis précis sur ce point.

Debut de section - Permalien
Danièle Nouy, secrétaire générale de l'autorité de contrôle prudentiel

Dans ce cas, ce sera le Trésor français qui lui en donnera et non moi !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Nous avons une prochaine table ronde avec M. Ramon Fernandez : cela fait partie des sujets que nous allons mettre à l'agenda.

Debut de section - Permalien
Danièle Nouy, secrétaire générale de l'autorité de contrôle prudentiel

Pour ce qui est des rémunérations, il existe une réglementation européenne pour les dirigeants et les opérateurs de marché, notamment en matière de bonus et de part variable.

En France, nous appliquons totalement cette réglementation sans aucun état d'âme. Des engagements supplémentaires ont été demandés par M. Fillon en novembre à la profession bancaire pour aller au-delà de ces obligations légales et faire preuve d'une grande modération. Il a été demandé à l'ACP de contrôler que c'était bien le cas. C'est ce que nous avons fait. Le collège de l'ACP a récemment examiné les conclusions de nos travaux et le président du collège de l'ACP, le Gouverneur de la Banque de France, M. Christian Noyer, écrira prochainement au Premier ministre pour lui faire part de l'analyse des travaux qui ont été menés et des conclusions positives qui ont été portées sur la modération acceptée par les banquiers français.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

C'est une excellente conclusion sur le thème de la modération qui conviendra, je l'espère, à cette maison !

Merci de nous avoir consacré votre temps et d'avoir fait vivre un débat aussi substantiel et intense.