En ces journées paisibles, nous sommes heureux d'accueillir le ministre le plus paisible de ce gouvernement, celui qui, du matin au soir, défend la paix.
Je lui souhaite la bienvenue, sachant que c'est peut-être la dernière fois de ce quinquennat que notre commission le reçoit, à moins que des événements ne nous conduisent à nous revoir.
Cette réunion est donc importante, car elle est aussi l'occasion pour nous de remercier le ministre de sa disponibilité vis-à-vis de notre commission, de son écoute, de sa capacité à travailler avec nous. Je tiens à lui dire toute notre gratitude pour les relations de travail qu'il a su créer avec notamment nos différents rapporteurs.
Je salue en particulier Daniel Reiner, ainsi que notre ancien collègue Jacques Gautier, désormais conseiller du président du Sénat, qui nous fait l'honneur de sa présence. Je pense également à Xavier Pintat, à Yves Pozzo di Borgo à d'autres, qui ont également eu l'occasion de travailler avec le ministre.
Cette audition doit être l'occasion de faire un point sur la situation, monsieur le ministre. En particulier, j'aimerais vous entendre sur trois sujets : évidemment, l'efficacité de notre stratégie au Levant, où les Américains et les Russes nous ont conduits à devoir faire face un certain nombre de situations ; la réforme de la cyber, dont vous avez annoncé ce matin un renforcement des moyens, à la suite du discours fondateur que vous avez prononcé à Bruz : quelle a vision a le ministère pour l'intégration de ce combat dans l'appareil de défense ; et puis, sujet plus périphérique, mais néanmoins important, quand on voit que se multiplient notamment dans la presse les fuites au sujet d'un certain nombre d'opérations clandestines et spéciales, ce qui ne facilite peut-être pas le travail de notre appareil de défense, nous voudrions savoir quel peut être l'avenir du secret défense.
J'ai pris beaucoup de plaisir durant ce quinquennat à venir devant la commission des affaires étrangères du Sénat. J'y ai trouvé l'écoute, la compétence - je ne veux pas dire par là qu'il n'y en a pas à l'Assemblée nationale ! - et un souci très ferme des enjeux de sécurité de notre pays. Je salue votre état d'esprit très fort, dans les moments très difficiles que nous avons vécus.
Je vous remercie également de votre soutien, car à plusieurs reprises, dans des situations complexes sur le plan budgétaire, votre détermination a été essentielle et nous a permis d'aboutir à des résultats qui, sans être exceptionnels, contribuent à maintenir une capacité de défense significative et à mener les combats que nous avons à mener, pour l'intérêt de la France et pour notre souveraineté.
Je veux évoquer d'abord les enjeux de la lutte contre le terrorisme. Ce qui me frappe le plus depuis cinq ans, c'est que nos forces armées sont amenées - et c'est une première dans notre histoire militaire - à se mobiliser en grande partie, contre le terrorisme dans ses différentes formes. Et elles devront s'habituer à ces combats d'un genre nouveau que nous n'avions jamais connus, à combattre dans le cadre d'actions asymétriques, à se déployer sur des territoires très vastes, à travailler en coordination avec les forces étrangères au sol, y compris en milieu urbain.
Nos forces armées se sont donc adaptées à cette nouvelle situation avec beaucoup d'efficacité, sans oublier la place et l'évolution du renseignement face aux différentes menaces nouvelles auxquelles nous faisons face, singulièrement depuis le début de l'année 2013.
Dans cette perspective, il y a deux enjeux : d'abord, aller frapper les terroristes dans leurs repaires ; ensuite, assurer sur le territoire national la protection de nos concitoyens en appui des forces de police et de gendarmerie.
Il y a pratiquement un an, le 20 janvier 2016, je réunissais à Paris les principaux ministres de la défense des pays de la coalition contre Daech pour demander un renforcement des interventions communes sur l'Irak, singulièrement en direction de Mossoul et de Raqqah. Nous nous étions mis d'accord sur la nécessité de mener une action beaucoup plus forte, c'est ce qui a été fait depuis un an. Ainsi, Daech a perdu des milliers de combattants en Irak, plus de la moitié des territoires qu'il avait conquis en Irak et la plupart de ses villes majeures dans ce pays.
Ses ressources, notamment ses installations pétrolières, ont été détruites, le flux de combattants étrangers qui rejoignent ses rangs a été considérablement réduit, et ce sont désormais les forces irakiennes et kurdes qui ont repris l'ascendant sur l'ensemble du territoire.
Au moment où je vous parle, la première phase de la bataille de Mossoul s'est achevée avec la reprise de la moitié est de la ville par les forces irakiennes, soutenues par les Peshmergas. Une phase de pause va durer entre trois et quatre semaines, avant que soient engagés les combats sur la partie ouest.
Pour moi, très clairement, nous gagnerons dans l'année la bataille de Mossoul. Cette seconde partie de la bataille sera très compliquée, car si l'est de la ville est un territoire bien quadrillé, la partie ouest, plus ancienne, est plus difficile d'accès, mais la fin de l'histoire ne fait pas de doute.
J'ajoute que la planification de l'ensemble de la bataille contre Daech initiée par les autorités militaires irakiennes, avec l'appui de la coalition, se déroule normalement, même si on doit déplorer un peu de retard. Toutefois, lorsque la bataille de Mossoul a été déclenchée, j'ai prévenu qu'elle prendrait non pas des semaines, mais des mois.
Nous accompagnons l'action des forces irakiennes par des frappes aériennes, à partir de la base H5, que certains d'entre vous connaissent, située à la frontière entre la Jordanie et l'Irak, et à partir de notre base située aux Émirats arabes unis. Sur le territoire irakien des batteries Caesar sont engagées efficacement en soutien.
Nous sommes l'un des principaux contributeurs, derrière les Américains et avec les Britanniques, dans ces frappes, et depuis septembre 2014, nous avons ainsi procédé à plus de 1 100 frappes aériennes sur l'Irak et la Syrie, pour un total de plus de 2 300 munitions tirées. Nous comptons là-bas 14 Rafale et 1 500 hommes dans le cadre de l'opération Chammal.
C'est le Premier ministre irakien Haïder al-Abadi, que j'ai rencontré encore récemment, qui dirige les opérations. Il me paraît maîtriser la situation. La planification des combats est extrêmement subtile. Elle précise où doivent s'arrêter les Peshmergas ou les milices populaires, quel modèle de gouvernance sera mis en place lorsque Mossoul tombera, etc. M. Barzani le dit et le répète : « On ne garde pas ce que l'on prend ! ». Cela signifie qu'il faut chercher à retrouver dans chacune des villes reprises la composition ethnique initiale pour que la sérénité l'emporte.
En Syrie, la situation est plus compliquée, puisque les actions menées par les forces gouvernementales soutenues par les Russes et les Iraniens ont été dirigées contre les insurgés, dans ce qu'on appelle la partie utile du pays. Et malgré des déclarations d'intention faites à plusieurs reprises, les forces russes en particulier n'ont pas beaucoup frappé Daech en Syrie, l'essentiel des frappes ayant pris pour cible les groupes insurgés. Depuis lors, un cessez-le-feu a été proclamé et une rencontre a eu lieu à Astana. De fait, Daech se montre assez résilient sur le territoire syrien, en particulier à Deir ez-Zor, où ses troupes sont plutôt à l'offensive, et également à Palmyre, qu'elles ont reprise aux forces armées syriennes.
À Raqqah, la situation est assez particulière. Nous avons obtenu un principe fondamental de la part de la coalition, qu'il faut bien retenir pour l'avenir : la bataille de Raqqah sera concomitante de celle de Mossoul. Nous y sommes très vigilants puisque c'est de Raqqah que sont venus les ordres de commettre les attentats qui nous ont frappés et que c'est depuis cette ville que sont émis les messages sur les réseaux sociaux à ce sujet. C'est aussi de Raqqah que proviennent les indices que nous avons recueillis au sujet d'autres tentatives d'attentats au cours de l'année 2016. Nous avons donc fait valoir auprès de nos alliés de la nécessité d'agir sans attendre sur Raqqah.
La bataille de Raqqah a été engagée d'abord par l'isolement progressif de la ville, et aujourd'hui les Forces démocratiques syriennes, dirigées par le général kurde Mazloum et composées de combattants à la fois kurdes et arabes - avec une proportion de plus en plus importante, nous l'espérons, de combattants arabes -, appuyés par la coalition, singulièrement par les Américains, sont aujourd'hui sur une ligne de front au niveau du barrage de Tabqa. Mais, à l'heure actuelle, on ne compte pas suffisamment d'effectifs et de moyens matériels pour envisager la prise de cette ville, qui est beaucoup moins importante que Mossoul - 200 000 habitants -, mais extrêmement bien défendue par les combattants de Daech. Nous ne sommes donc pas encore en situation d'agir sur Raqqah, même si on peut l'isoler.
Un élément nouveau est intervenu ce matin : pour la première fois, les Américains ont décidé d'aider les FDS en leur fournissant des blindés. Cela devra être confirmé. Cette décision avait été prise par l'ancien président Barak Obama. C'est un acte important : comment réagiront les Turcs ? L'avantage, c'est que personne ne peut plus passer : ni entrer ni sortir. Lorsque le mouvement va se faire de Mossoul vers Raqqah et Deir ez-Zor, les combattants étrangers ne pourront plus fuir vers la Turquie. L'inconvénient, c'est que la situation créée est explosive, dans un espace très réduit de quelques centaines de kilomètres carrés.
J'en viens à la situation en Libye. Nous n'intervenons pas directement dans ce conflit ; notre engagement militaire en Libye se fait à travers l'opération navale Sophia - nous avons un navire de guerre présent sur place -, menée par l'Union européenne et validée par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.
Cette opération a trois objectifs : premièrement, bloquer les passeurs ; deuxièmement, former les garde-côtes libyens ; troisièmement, faire respecter l'embargo sur les armes. Ces objectifs ont été validés par la communauté internationale.
Les résultats de l'opération ne me paraissent pas aujourd'hui satisfaisants. Au mois de mai, il sera procédé à une révision des objectifs de Sophia. Nous menons notre action hors des eaux territoriales libyennes. Petite difficulté, qui n'est pas un détail : pour nous, les eaux territoriales vont jusqu'à 12 miles nautiques de la côte, tandis que les Libyens considèrent que le golfe de Syrte est un lac intérieur. Il y a en ce moment un fort trafic entre Benghazi et Misrata, et aucune interception n'est possible du fait de cette position des Libyens. Le droit international maritime nous autoriserait pourtant à mener ces opérations, mais les conséquences politico-militaires seraient complexes. Le renforcement de l'opération Sophia sera donc l'un des sujets que nous aborderons au mois de mai.
Depuis notre dernière rencontre, nous avons enregistré en Libye des avancées très positives. Ainsi, la ville de Syrte, qui était occupée par Daech, ne l'est plus grâce à l'action combinée de la chasse américaine et des tribus situées autour de Misrata. Les groupes liés à Daech se sont éparpillés, ce qui a conduit les États-Unis à effectuer de nouvelles frappes le 18 janvier au sud de Syrte sur ces éléments.
La Libye appelle toute notre vigilance, à proximité des côtes italiennes. Nous considérons qu'il faut y mener un processus politique inclusif, en sachant que le général Haftar, qui a mené des offensives à la fois à Benghazi contre Daech, mais aussi vers le sud pour reprendre une partie du territoire, est devenu incontournable. Il faudrait qu'un accord intervienne autour des trois personnalités que sont le général Haftar, Fayez el-Sarraj et M. Saleh.
L'Union africaine, de son côté, à la suite de son assemblée plénière qui s'est tenue ce week-end à Addis-Abeba, a mandaté le président Sassou Nguesso pour trouver une solution à la question de la gouvernance de la Libye. Cela permettra peut-être de trouver une solution politique. Pour l'instant, nous n'y sommes pas, et les accords de Skhirat, qui ont été validés par la communauté internationale, n'ont pas fait l'objet d'une mise en oeuvre très concrète.
Quant à la situation dans la bande sahélo-saharienne, les cinq pays sur le territoire desquels se déploie l'opération Barkhane, dont l'état-major est basé à N'Djamena, forment un ensemble plus grand que l'Europe. Nous avons sur place 4 000 militaires, engagés dans des actions de contre-terrorisme sur l'ensemble de la zone. Un élément positif : la bonne articulation entre les forces armées des cinq pays concernés et la force Barkhane, ce qu'on appelle le G5 - Mauritanie, Burkina Faso, Niger, Tchad et Mali. Tous ces pays commencent à travailler ensemble et nous sommes extrêmement présents. Nous menons des actions d'accompagnement auprès des forces armées de ces pays pour la sécurisation de leurs propres frontières.
Certains éléments sont très préoccupants. Ainsi, les risques liés à la présence des groupes armés terroristes (essentiellement Al-Mourabitoune - fondé par Mokhtar Belmokhtar -, Ansar Dine - Iyad Ag Ghali -, Aqmi - Yahya Abu Hammam-, qui mènent des actions terroristes au nord du Mali et maintenant au centre) perdurent, même si la force Barkhane leur porte régulièrement des coups importants. Récemment, le 24 décembre, une de nos compatriotes, Sophie Pétronin, engagée dans l'action humanitaire, a été enlevée. Ces groupes posent régulièrement des engins explosifs improvisés, meurtriers, sur les axes qu'empruntent nos forces - quatre de nos soldats ont été tués en 2016. Ils essayent aussi d'étendre leur action au Niger et au Burkina Faso. C'est dans cet esprit que nous sommes amenés à renforcer nos relations avec ces deux pays pour développer des actions communes. En outre, récemment, a été constituée une force commune entre le Niger le Mali et le Burkina Faso de 2 000 hommes pour assurer la sécurité dans la zone du Liptako Gourma.
Deuxième source de préoccupation : les groupes armés signataires de l'accord d'Alger sont composés de deux ensembles : la plate-forme et la coordination. Les accords d'Alger prévoyaient l'engagement d'un processus militaire de désarmement et d'intégration de ces éléments armés dans l'armée malienne et un processus politique, aux termes desquels les autorités maliennes s'engageaient dans une démarche de décentralisation et à faire en sorte que le nord du Mali devienne une priorité.
Les trois composantes, à savoir l'armée malienne, la coordination et la plate-forme, devaient pouvoir mener des patrouilles communes. Nous étions près d'aboutir voilà quelques jours, avant que ne survienne l'attentat de Gao, qui a fait plus de 60 morts dans les trois groupes. Cet attentat a eu lieu sur la place d'armes où se réunissait l'ensemble de ses forces, avant de mener des patrouilles communes, premier acte de l'application des accords d'Alger.
Les autorités algériennes, théoriquement garantes de la pérennité de l'accord, ont décidé de provoquer une réunion de réflexion nouvelle sur ces accords d'Alger, le 10 février, juste après le sommet franco-africain de Bamako. Évidemment, sans mise en oeuvre du processus, qui suppose une intégration militaire des groupes armés signataires et des initiatives politiques de la part du président Ibrahim Boubacar Keïta, on aura beaucoup de mal à continuer. Il faut donc que la communauté internationale fasse pression.
J'ajoute que la Minusma n'a pas aujourd'hui suffisamment les moyens d'assurer sa logistique.. Mais les Européens - peut-être demain les Canadiens -, parmi lesquels les Allemands - c'est une grande nouveauté - ont mis à disposition six hélicoptères de combat dans le cadre de la Minusma. Cet engagement des Allemands, qui paraît modeste, est en fait extrêmement important, sur le fond quand on connaît la culture militaire allemande. La Minusma doit être renforcée, alors qu'elle doit assurer des missions importantes.
Parallèlement, la mission de formation de l'Union européenne au Mali, EUTM Mali, continue à former l'armée malienne, qui s'aguerrit, qui devient plus vigoureuse et plus réactive. Depuis le début de cette opération, nous avons formé 8 000 militaires de la nouvelle armée malienne.
Je me rendrai de nouveau dans quelques jours dans cette zone Mali-Burkina Faso-Niger pour aider au renforcement de l'articulation du G5 et essayer de contribuer à ce que des initiatives politiques indispensables soient prises au Mali. Ce n'est pas faute de le répéter, mais cela tarde à se mettre en oeuvre.
Cela étant, quand on compare la situation actuelle par rapport à celle de 2013, nous ne sommes plus dans le même monde. En 2013, Gao et Tombouctou étaient occupées par les djihadistes, Mopti allait être prise, et c'est à ce moment-là que nous sommes intervenus. Sans cela, Bamako serait tombée.
À présent, le combat n'est pas fini. Ces groupes sont liés à Al Qaïda. Au Levant, c'est Daech qui domine. Ce n'est pas parce que Daech tombera que le terrorisme sera éradiqué, car Al Qaïda est plus décentralisée.
Contre Boko Haram, nous ne sommes pas directement engagés, mais nous sommes directement concernés. Depuis notre dernière réunion, le mouvement s'est scindé en deux : une branche en quelque sorte historique, de. Shekau, et un groupe dirigé par Al Barnaoui et rallié à Daech. Le premier subit d'importants revers, grâce à la bonne organisation de la force multinationale mixte (FMM), qui rassemble des éléments du Nigéria, du Tchad, du Niger, du Cameroun et du Bénin et bénéficie de notre soutien - ainsi que de celui des Britanniques et des Américains - en matière de renseignement. Résultat : moins d'attentats et une diminution des combats. La prise récente du « camp zéro », qui était le repaire de Shekau, au coeur de la forêt de Sambisa, a porté un coup significatif à cette secte terroriste. Mais les attaques kamikazes se poursuivent et le groupe lié à Daech existe toujours.
J'ai procédé en novembre à la fermeture de l'opération Sangaris, après trois ans de présence très utile. Nous avons évité les massacres de masse et permis la tenue d'élections. Le président Touadéra est en fonction, un Parlement a été élu, devant lequel je me suis exprimé. Beaucoup reste à faire, mais la présence de la Minusca, à laquelle nous participons en déployant des drones, et la mission de formation de l'armée par l'Union européenne sont de bon augure.
Pour protéger le territoire national, l'opération Sentinelle se poursuit. Son organisation a progressé et elle rassemble 7 000 hommes, chiffre pouvant être porté à 10 000 en cas d'urgence. Son caractère mobile, sa planification, ses moyens de transmission, de transport, et d'hébergement ont été améliorés. Il en va de même de l'accroissement des effectifs de la Force Opérationnelle Terrestre, passés de 66 000 à 77 000 hommes. L'année 2017 sera donc plus sereine. La garde nationale a été mise en oeuvre. Je souhaitais depuis longtemps valoriser les réserves. La LPM actualisée prévoyait que le nombre de réservistes passe de 27 000 à 40 000 et leur taux d'activité, de 23 à 37 jours. Nous en prenons le chemin, avec déjà 33 000 personnes. Le dispositif d'incitation à l'égard de jeunes amplifiera le mouvement. Et nous avons abondé significativement le budget de la réserve.
Depuis l'élection de M. Trump, des déclarations variées ont été faites sur l'avenir de l'Otan, au moment même où nous observons un regain de puissance de certaines grandes nations. Aux risques de la faiblesse s'ajoutent donc les menaces de la force, par exemple en mer de Chine ou dans l'Atlantique Nord, où croisent de nouveau des sous-marins russes, ce qu'on n'avait pas vu depuis longtemps - et jusque devant les côtes bretonnes ! Après le sommet de Varsovie, nous avons décidé de participer à la présence renforcée et rehaussée : à partir du mois d'avril, nous enverrons en Estonie, sous encadrement britannique, 300 soldats et quelques blindés pour dissuader toute tentative de déstabilisation. En 2018, ce sera en Lettonie, sous encadrement allemand. Sur l'Otan, le général Mattis m'a tenu il y a quelques jours des propos de continuité. Le souhait de voir les membres de l'Otan contribuer davantage aux dépenses n'est pas nouveau, non plus que l'appel à améliorer l'efficacité de la technostructure de l'Alliance, que nous pouvons d'ailleurs reprendre à notre compte car celle-ci est un peu lourde. Dans dix jours, les ministres de la défense de l'Otan se réuniront. Nous y verrons plus clair, ainsi que sur la lutte contre le terrorisme.
Je souhaite, au nom du groupe Les Républicains, m'associer à l'hommage que vous a rendu le président de notre commission. Les circonstances ne vous ont pas ménagé, et je souligne la qualité du dialogue régulier - parfois quasi-hebdomadaire - que vous avez entretenu avec notre commission. Le président Raffarin a évoqué nos inquiétudes sur la Tunisie, qui ne dispose que d'une armée très faible. La situation en Libye est fluctuante et nous craignons que des djihadistes ne passent en Tunisie. Que fait la France pour aider le Gouvernement et les forces militaires tunisiennes ?
Le déploiement opérationnel de nos forces est très lourd : plus de 33 000 personnes en tout, auxquelles nous rendons hommage. La fatigue des hommes et des matériels se manifeste partout. En Nouvelle-Calédonie, nous avons été impressionnés par le dévouement de nos troupes, qui assurent la présence française jusqu'en mer de Chine, parfois avec des matériels de cinquante ans d'âge. Conseilleriez-vous à votre successeur de maintenir un tel niveau de déploiement dans l'attente des 2 % qui ne seront atteints qu'en 2025 ?
Enfin, je trouve inquiétante la multiplication des vols de matériels dans certaines casernes. À Istres, un porte-char a été subtilisé ! C'est la deuxième fois sur cette base. Je sais que vous avez demandé une enquête militaire. Mais après Nice, cela soulève la question de la sécurité de nos bases en France.
Au nom du groupe socialiste, je remercie le ministre d'avoir régulièrement fait le point avec nous et entretenu une relation spéciale avec notre commission. Bel exemple de travail au service de la France ! Sa personnalité a rendu ces échanges agréables, alors même que les sujets n'inspirent pas la sérénité...
Aux États-Unis, nous nous sommes renseignés sur le général Mattis, qui a été à l'Otan le prédécesseur du général Abrial. Il souhaite clairement une politique de continuité. Pour autant, l'occasion est bonne de plaider pour une organisation européenne des questions de sécurité et de défense, comme la France le fait depuis des années. Nous avions presque cessé d'y croire... La déclaration franco-allemande des ministres en août a fait école. Où en sont, sur ces questions, Mme Mogherini, M. Junker, la Commission européenne ?
Je m'associe aux hommages, mais ma question n'est pas consensuelle. Plusieurs pays développent, ou achètent, des drones armés. Ce n'est pas le cas de la France. L'Allemagne a décidé d'exiger des drones câblés ou armables - évolution notable. Quelle est votre position ? Les Reapers commandés doivent être livrés décâblés. Pourquoi ? Les recâbler coûtera cher. Chaque arme doit-elle avoir son drone, ou faut-il mutualiser ? La sécurité civile en utilisera aussi. Ne faut-il pas créer une autorité régulatrice ?
Pensez-vous qu'on puisse faire bouger les lignes à l'ONU pour que les missions présentes en Afrique ou ailleurs puissent enfin devenir opérationnelles ? À terme, cela allégerait l'effort considérable de la France.
Bravo pour la pédagogie dont vous avez fait preuve pendant cinq ans. Le général Mattis a pris le contre-pied des déclarations de M. Trump. Celles-ci offraient à l'Europe l'occasion de se ressaisir. Comment vos homologues européens les ont-ils interprétées ? La Turquie, membre de l'Otan, est-elle toujours un partenaire solide ? Elle se rapproche beaucoup de la Russie.
Je m'associe aux compliments de mes collègues. Au Burkina Faso, les parlementaires m'ont exprimé leur inquiétude sur la situation du Nord du pays. Comme au Mali, l'absence de l'État rend ce territoire vulnérable, et il est facile d'y recruter des jeunes. Depuis l'attentant de janvier 2016, la situation est stable. Mais les troupes ne pourront peut-être pas faire face à de nouveaux attentats. Il y a un besoin de formation. Y a-t-il des programmes en la matière ? Vous avez aussi parlé d'initiatives politiques. Qu'entendez-vous par là ?
Nous avons été très heureux de travailler avec vous, et avec vos équipes, diligentes et efficaces. Je me suis rendu au Nord du Mali, et nous avons discuté avec le président Keïta. Nous lui recommandons de construire des écoles, de déployer l'État dans cette zone. Il approuve, mais ne fait rien. Or la déstabilisation de la zone menacerait la région tout entière.
Nous sommes tous d'accord pour rêver de votre maintien en fonctions, monsieur le ministre ! En Afrique, en Europe et ailleurs, des confrontations pourraient conduire à un cataclysme mondial. La France a fait son travail, et même au-delà, engageant ses hommes, ses matériels et ses finances. À l'heure où les Américains semblent vouloir se désengager, l'Europe va-t-elle enfin se mobiliser ? Je pense notamment, en bon Auvergnat, à l'aspect financier.
Qui sait, monsieur le ministre, si l'on ne vous retrouvera pas lors du prochain quinquennat ? N'aurait-il pas été souhaitable que la France participe à la conférence d'Astana, organisée sous l'égide de la Russie ?
Sur les opérations « homo », qui suscitent des articles mal informés ou mal inspirés, je souhaite être très clair. Sur des terrains de guerre, le droit international des conflits s'impose. Même s'ils sont Français, les ennemis sont donc avant tout des ennemis. Les frappes ciblées, sur de tels théâtres, n'ont rien d'exceptionnel. Et quand on est chef, il faut s'attendre à être frappé davantage. Opérations homo ? J'appelle cela des opérations de combat. Elles n'ont rien de contraire au droit international, et ne nous exposent nullement à être déférés devant la Cour pénale internationale.
Il y a cinq ans, les cyberattaques n'avaient pas l'importance que nous leur connaissons. Sur ce sujet devenu central, j'ai fixé des moyens et une doctrine. Deux milliards d'euros y seront affectés, et un commandement cyber sera nommé prochainement. Rattaché au Cema, il commandera les unités cyber de nos armées, et me conseillera sur ces opérations. La doctrine est de développer le renseignement et la défense, tout en préparant des actions offensives. Une attaque cyber est un acte de guerre, dont la réponse n'est pas forcément cyber... Le nombre de nos combattants cyber va atteindre 2 600. S'y ajoutent les 600 experts de la DGA, et la réserve citoyenne, très spécialisée sur ce point. La France est au niveau, et doit le rester.
Pour la Tunisie, nous avons prévu 20 millions d'euros d'aide sur deux ans : matériels, équipements, appui au renseignement, formation des forces spéciales, aide à la lutte contre les IED... Le dispositif est en place et fonctionne.. Les Américains et les Britanniques apportent aussi leur soutien. Beaucoup de combattant étrangers risquent de revenir par le Sud de la Tunisie.
Oui, le déploiement opérationnel a généré de la fatigue et des difficultés. En 2016, en plein été, j'ai rappelé des militaires de permission. Actuellement, les effectifs formés de l'armée de terre augmentent, on passe dans chaque unité de quatre à cinq compagnies, ce qui améliore la situation. Mais les équipements sont mis à rude épreuve. La France est assez largement autonome, et c'est sa force : dissuasion, capacité de projection, réseau de renseignement, bon niveau cyber... Nous devons le rester. Pour cela, nous devons atteindre les 2 %. Nous sommes au creux du cycle nucléaire, mais les dépenses en ce domaine vont bientôt passer de 3,6 milliards d'euros à plus de 6 milliards d'euros. Si nous voulons garder nos capacités, il faut passer à 2 %.
Il y a un problème à Istres. Des complicités internes sont très probables. Cela m'ennuie, car c'est une base nucléaire - bien protégée, heureusement. Et même, cela me met en colère.
Je ne crois pas à une remise en cause de l'alliance atlantique par les États-Unis. D'ailleurs, M. Trump a tenu à M. Hollande les mêmes propos que son ministre avec moi. C'est l'Allemagne qui aurait le plus à en pâtir - ainsi que la Pologne et les pays baltes. Pour autant, l'Europe doit avoir une autonomie stratégique, pour être complémentaire de l'Otan. L'initiative franco-allemande l'été dernier comporte une feuille de route validée par le Conseil européen de décembre. Nous devons la mettre en oeuvre dans l'année. La volonté est là en Allemagne et en France. Les Britanniques ont également voté l'ensemble du projet, qui comporte aussi une aide financière aux pays dans lesquels l'Union européenne intervient.
Sur les drones, je suis à l'aise : quand je suis arrivé, il n'y en avait pas. J'ai décidé d'acheter des drones américains : heureusement, car ils nous ont bien servi au Mali. Puis j'ai engagé avec les Allemands et les Espagnols la construction du drone d'observation futur. Ce successeur du Reaper pourra être armé, ce qui a failli coûter son poste à M. de Maizière, car l'armement des drones a suscité un débat considérable en Allemagne il y a trois ans. Je n'y suis pas opposé pour ma part, sous réserve qu'un débat soit organisé au Parlement. J'ai enfin décidé de préparer avec les Britanniques le drone de combat futur, le FCAS.
Nous pourrons les recâbler après le débat au Parlement. Dans l'immédiat, et c'était urgent, nous avons commandé et acquis des drones d'observation.
Non, je ne crois pas.
.Je partage vos interrogations sur la Turquie. Ce pays est membre de l'Otan, mais quand j'ai vu mon homologue turc à Bruxelles, nous avons établi nos points d'accord et de désaccord et décidé de poursuivre le dialogue. Tout va se cristalliser à Al-Bab. Les cadres de l'armée turque ont été décimés, et elle ne parvient pas à prendre cette ville depuis un mois. Et nous avons besoin, pour entrer à Raqqa, d'un minimum de présence kurde - même si les Kurdes ne demandent nullement à y rester ensuite. La situation est donc complexe. L'alliance des Turcs avec la Russie est réelle et pourrait bien être bientôt formalisée - les Russes bombardent déjà Al-Bab.
Je m'inquiète aussi pour le Nord du Mali. Nous avons besoin de la détermination politique des autorités maliennes et de la pression des autorités algériennes pour amener les groupes armés signataires de l'accord d'Alger à se fondre dans l'armée. Mais la lenteur de la progression des troupes provoque un regain préoccupant des groupes terroristes, d'autant que les efforts de développement par les autorités maliennes sont insuffisants.
La mise en oeuvre des missions de maintien de la paix doit susciter une véritable mobilisation des acteurs.. Chaque État doit en prendre conscience, et y participer.
Un de nos ambassadeurs était à Astana comme observateur. La conférence n'a pas débouché sur une solution politique. La suite se passera à Genève.
Merci.
(Les sénateurs applaudissent unanimement le ministre).
La réunion est close à 18 h 10.