La réunion est ouverte à 17 h 30.
Pour notre dernière audition de la journée, nous étudions à nouveau le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Je vous rappelle que nous nous rendrons sur place, à Notre-Dame-des-Landes et à Nantes, le vendredi 17 février prochain.
Notre objectif est de décrypter les difficultés que posent aujourd'hui la définition, la mise en oeuvre et le suivi des mesures compensatoires pour les projets d'infrastructures et de proposer des solutions pour y remédier. Je rappelle également, nous l'avons dit à plusieurs reprises, que notre travail est entièrement centré sur la question des mesures compensatoires.
Nous recevons Claude Brévan et Rouchdy Kbaier, deux des trois membres de la commission du dialogue, qui avait été mise en place par le Premier ministre en novembre 2012.
Nous recevons également Ghislain de Marsily, président du collège d'experts scientifiques sur la méthode de compensation des incidences sur les zones humides du projet d'aéroport et de desserte routière de Notre-Dame-des-Landes, collège mis en place pour répondre à l'une des deux réserves formulées par la commission d'enquête publique le 24 octobre 2012, à l'issue de l'enquête publique préalable à l'autorisation du projet au titre de la loi sur l'eau. Il est accompagné de trois rapporteurs de ce collège d'experts : Véronique de Crespin de Billy, que nous avons déjà entendue au titre de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), Julien Tournebize et Serge Muller, que nous avons déjà entendu au titre du Conseil national de protection de la nature (CNPN).
Notre réunion est ouverte au public et à la presse. Elle fera l'objet d'une captation vidéo, et sera retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Un compte rendu en sera publié.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment en rappelant que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Claude Brévan, M. Rouchdy Kbaier, M. Ghislain de Marsily, Mme Véronique de Crespin de Billy, M. Julien Tournebize et M. Serge Muller prêtent successivement serment.
Mesdames, Messieurs, à la suite de vos propos introductifs, Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour. Je vous demande d'essayer d'être courts et concis dans vos propos introductifs car vous êtes nombreux et que nous ne disposons que d'une heure et demie.
Pouvez-vous nous indiquer tout d'abord les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête ? Je les rappelle : l'autoroute A65, le projet de LGV Tours-Bordeaux et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau.
Mme Claude Brévan, M. Rouchdy Kbaier, M. Ghislain de Marsily, Mme Véronique de Crespin de Billy, M. Julien Tournebize et M. Serge Muller indiquent ne pas avoir de liens d'intérêts avec les autres projets étudiés par la commission d'enquête.
La mission confiée à la commission du dialogue en novembre 2012 par le Premier ministre ne visait pas à expertiser les mesures compensatoires mais à rétablir un climat de confiance entre les parties pour renouer le dialogue. Nous devions rencontrer ces parties, comprendre les enjeux économiques, sociaux et environnementaux, mais également apporter des compléments d'informations. Nous avons rendu notre rapport dans un délai de quatre mois, comme cela nous avait été demandé. Nous étions trois membres : Claude Chéreau, notre président, spécialiste des questions agricoles, aujourd'hui décédé ; Rouchdy Kbaier, spécialiste du droit de l'environnement et du droit européen ; et moi-même, qui avais une compétence plus généraliste, notamment sur les questions d'aménagement, et qui dispose d'une compétence en matière de présidence de débats publics.
Nous avons mené 96 auditions et rencontré entre 200 et 300 personnes. S'y sont ajoutées des réunions à caractère technique avec les administrations centrales et locales. Nous avons entendu autant d'opposants que de partisans du projet d'aéroport. En revanche, nous ne sommes pas allés sur la zone d'aménagement différé (ZAD), notre président ayant estimé que cela risquait d'être difficile et polémique. L'association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d'aéroport (ACIPA) a jugé inutile de nous rencontrer mais certains de ses membres l'ont fait dans un autre cadre que celui de l'association, ce qui nous a malgré tout permis de les entendre. Nous avons en revanche entendu à plusieurs reprises le syndicat mixte aéroportuaire du grand ouest (SMA) et le comité des élus doutant de la pertinence de l'aéroport (CédPA), qui était très demandeur de pouvoir s'exprimer au cours de nos auditions.
Toutes nos notes et tous les documents qui nous avaient été remis sont aujourd'hui aux archives de Matignon.
La question du processus de validation du projet a été systématiquement abordée au cours des auditions. Pour les partisans du projet, tout avait été respecté, aucun des recours n'ayant abouti. Les opposants ont au contraire regretté à plusieurs reprises que le projet ait été saucissonné. Ce fractionnement les a selon eux empêchés de s'exprimer de façon globale sur le projet, les sujets qu'ils voulaient aborder étant systématiquement renvoyés à une autre étape. Cela a engendré une grande insatisfaction et le sentiment que le débat public avait été fermé sur un projet déjà décidé : ce n'est plus la question de l'opportunité mais celle des modalités de sa mise en oeuvre qui était abordée.
Les aspects environnementaux n'ont quant à eux été abordés que dans la dernière phase du projet. De la même façon, la question des deux pistes n'a pas été abordée au cours de l'enquête publique, les débats se concentrant sur l'opportunité, ou non, de faire l'aéroport.
Le choix du site a été en revanche l'un des sujets centraux du débat public. Une expertise complémentaire a été diligentée. Elle portait sur neuf sites, examinés à partir de huit critères. Il est d'ailleurs intéressant d'observer que dans la hiérarchie de ces critères, définie à partir d'un questionnaire envoyé aux différentes parties, l'environnement arrivait en cinquième position. A ce moment-là, il n'était donc pas une priorité. Trois prismes ont été utilisés pour examiner les neuf sites : l'aménagement du territoire ; les nuisances ; l'économie. L'enjeu des nuisances phoniques, très significatif, a conduit à éliminer l'un des neuf sites, celui de Montfaucon. Pour les huit autres sites, l'impact sur l'environnement a été considéré comme faible. De ce fait, l'environnement n'a pas été un facteur discriminant pour le choix du site. Ce sont avant tout des critères relatifs à l'aménagement du territoire et aux facilités foncières - une grande partie des terrains était déjà acquise - qui ont conduit au choix du site de Notre-Dame-des-Landes.
Pouvez-vous me préciser : Notre-Dame-des-Landes présentait-il un enjeu environnemental plus élevé mais moins pris en compte du fait que le critère environnemental n'était pas le plus prégnant ou présentait-il le même enjeu environnemental que les autres sites ? Quel était l'enjeu environnemental pour Notre-Dame-des-Landes ?
L'enjeu environnemental était le même que pour les autres sites. Seul Montfaucon présentait un enjeu environnemental moins élevé mais il n'a pas été retenu en raison des fortes nuisances phoniques qu'il risquait d'entraîner.
Alors même que le sujet de l'environnement était très peu abordé, des contributions très intéressantes ont été fournies. Il s'agit notamment d'une étude de Bretagne vivante, qui donnait une analyse détaillée des milieux naturels et confirmait une étude de Biotope, et conduisait pour autant à considérer que l'environnement était un enjeu limité.
Je me permets de souligner une question plus générale que pose le déroulement des débats publics : lorsque la question de l'environnement est abordée, il est renvoyé à l'étude d'impact qui n'intervient qu'ultérieurement. Par conséquent, lorsqu'un enjeu environnemental majeur apparaît, il n'est regardé qu'après que les populations ont pris position sur la question de l'opportunité du projet. De ce fait, le volet « éviter » de la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC) n'est abordé que tardivement voire pas du tout. Il y a là une vraie faiblesse des textes.
L'étude d'impact était quant à elle bien plus documentée sur l'environnement. Pour autant, l'administration, le maître d'ouvrage et les partisans du projet, en dehors des deux zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF), ont estimé que les enjeux écologiques sur le site étaient parfaitement maîtrisables car n'ayant pas donné lieu à une protection réglementaire particulière. Il était en particulier souligné que la zone se situait en dehors des espaces naturels et remarquables identifiés dans la directive territoriale d'aménagement de l'estuaire de la Loire. Cette dernière ayant elle-même pris en compte le projet de l'aéroport, on entre dans un débat du type de celui de l'oeuf et de la poule...
A l'inverse, la question des paysages a été abondamment abordée au cours des débats publics au point de déboucher sur des choix discutables par certains aspects. Le paysagiste, de grand renom au demeurant, retenu pour le projet, a notamment souhaité recréer un bocage qui ne pouvait être qu'artificiel compte tenu de la proximité des avions - des haies véritables auraient abrité des oiseaux. Sur ce point, c'est donc le paysage qui a prévalu sur la prise en compte de la biodiversité.
Pour notre commission du dialogue, l'origine des difficultés en matière de compensation est liée au fait que l'on n'a pas véritablement essayé de réduire : le projet est ambitieux, il comporte deux pistes, des espaces sont réservés pour des activités économiques et les parkings sont très étendus.
En conclusion, la question de la compensation est intervenue très tardivement dans un processus décisionnel qui avait vraisemblablement minimisé les enjeux liés à la biodiversité. De ce fait, c'est le volet compensation qui a prévalu dans une séquence ERC où les deux premières étapes avaient été peu mises en oeuvre.
Je suis également membre du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), ce qui m'a notamment amené à travailler régulièrement sur les contentieux européens dont je vais vous faire état.
Claude Brévan a évoqué le fractionnement des procédures relatives aux projets initiaux, c'est-à-dire à l'aéroport, dont AGO est le maître d'ouvrage, et au barreau routier, qui relève de l'Etat. Il est évident si l'on observe la période allant du début des années 2000 à la fin de l'année 2016, au moment de la révision du schéma de cohérence territoriale (SCoT) de Nantes Saint-Nazaire. Plusieurs étapes se sont succédé : les conclusions du débat public en 2003, l'enquête publique en 2006, le changement de réglementation concernant les zones humides en 2008, puis les enquêtes publiques loi sur l'eau et les demandes de dérogations au titre des espèces protégées en 2012. Toutes ces procédures ont été mises en oeuvre au regard du droit français de l'époque, mais pas forcément au regard du droit européen, ce qui explique aujourd'hui le contentieux en cours à ce niveau. Et ce n'est que tardivement, une fois prise la décision d'installer l'aéroport à un endroit précis, que la question de l'environnement a été considérée. La séquence ERC ne pouvait donc pas être respectée dans son ensemble. S'ajoute à ces éléments le changement de statut de la zone où doivent être construits l'aéroport et le barreau routier, qui n'est intervenu qu'après l'enquête publique. En effet, deux arrêtés ministériels, de 2008 et 2009, ont ajouté un critère pédologique de profondeur conduisant à ce que 98 % de la surface de la ZAD devienne zone humide.
Au final, neuf ans se sont écoulés entre le débat public et les arrêtés loi sur l'eau, six ans entre ces mêmes arrêtés et l'étude d'impact, et quatre ans, toujours entre les arrêtés et la DUP. Le fractionnement des procédures a donc été très préjudiciable à la transparence du projet et à sa sécurité juridique. Pour éviter ce fractionnement, l'ensemble des mesures prises au plan environnemental auraient dû l'être, comme le demandait la commission du dialogue, au regard du droit européen. Les directives européennes ont en effet une acception globalisante de l'évaluation environnementale et depuis vingt ans, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) censure de façon systématique tous les pays qui fractionnent les procédures.
Les questions ont été prises à l'envers et la question écologique et environnementale n'a pas été traitée quand elle aurait dû l'être. Ainsi, l'aéroport a été conçu de façon très étendue, notamment s'agissant des parkings, alors même que l'application de la séquence éviter aurait dû conduire à réduire la surface occupée, notamment par l'utilisation de parkings en silos, comme le recommandait la commission du dialogue. S'agissant des espèces protégées, les questions auraient là aussi dû être traitées le plus tôt possible, dès le stade de l'étude d'impact, afin de tenir compte des directives européennes en la matière. Il en est de même sur un autre sujet qui est celui de l'autorisation environnementale unique, en vigueur depuis la fin du mois de janvier. La jurisprudence de la CJUE et celle du Conseil d'Etat convergent sur ce point.
J'en viens à la question, non plus du fractionnement des procédures mais de celui du projet. Pour l'Union européenne, le projet d'aéroport concerne également la liaison tram/train et la LGV. Les effets cumulatifs des composantes d'un même projet doivent donc être évalués, de même que leur cohérence avec les documents d'urbanisme. C'est sur ces questions que porte le contentieux en cours sur le projet de l'aéroport, la Commission s'appuyant sur la jurisprudence de la CJUE pour évaluer les effets cumulatifs, les interactions entre projets et la cohérence entre les évaluations. In fine, c'est la question de la façon dont sera mise en oeuvre la compensation sur ces différents projets qui est posée.
Notre collège était formé d'une douzaine d'experts choisis par le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et venant d'horizons divers de façon à couvrir l'ensemble du domaine à étudier : je suis géologue de formation, d'autres étaient hydrologues, naturalistes, biologistes...
Nos travaux ont débuté en décembre 2012 et nous avons rendu notre rapport en avril 2013. La demande formulée par les commissaires enquêteurs intervenus au titre de la loi sur l'eau était, si l'on simplifie, la suivante : « nous ne comprenons rien à la méthode proposée par les maîtres d'ouvrage, donnez-nous votre avis sur sa pertinence et son acceptabilité ».
Nous avons commencé par une visite de terrain, entourés par un nombre de gendarmes quatre fois supérieur à celui des membres de la commission ! Tout s'est passé calmement. Nous avons ensuite tenu une dizaine de réunions et auditionné les maîtres d'ouvrage ainsi que les associations.
L'objectif était que notre rapport puisse être adopté de façon unanime par les membres de la commission.
Au-delà des réponses aux questions qui nous étaient posées par les commissaires enquêteurs, nous avons ajouté un paragraphe de suggestions sur la compensation. Nous avons également pris sur nous de publier dans des revues scientifiques des synthèses de notre travail. Ce dernier a également été présenté à l'académie d'agriculture.
Vous nous interrogez dans le questionnaire qui nous a été transmis sur la façon dont ont été prises en compte par le maître d'ouvrage les réserves que nous avions formulées. Je tiens à préciser que la mission qui nous était confiée avait été fixée par l'Etat et avait une durée limitée. A partir du moment où le rapport était rendu, nous n'avions plus autorité pour suivre le dossier. Pour répondre à votre question, il faudrait donc que nous ayons été sollicités à nouveau par le préfet sur les suites données à notre rapport, ce qui n'a pas été fait. Nous ne pouvons donc vous donner que notre avis personnel.
A partir du moment où le collège d'experts n'a pas été saisi une seconde fois pour analyser les suites données aux réserves qu'il avait formulées, peut-on considérer que la caution scientifique demandée par les commissaires enquêteurs existe aujourd'hui ?
Les arrêtés préfectoraux ont été pris. Il faut donc regarder les éléments scientifiques et techniques de ces arrêtés, qui font plusieurs dizaines de pages. À titre personnel, je ne suis pas capable de dire si sur le fond, ces arrêtés correspondent...
Ma question ne portait pas sur le fond mais sur l'essence même de la demande des commissaires enquêteurs. Est-ce dans l'esprit de la commission du dialogue qu'il n'y ait pas eu d'avis scientifique sur les réponses qui ont été apportées aux réserves ?
Nous ne nous sommes pas posé la question au moment de la rédaction, qui était antérieure aux arrêtés « loi sur l'eau ». Vous voulez savoir si la commission d'enquête loi sur l'eau a terminé son travail ?
La logique de la commission du dialogue, comme son nom l'indique, n'aurait-elle pas voulu que le collège d'experts scientifiques soit saisi des réponses apportées par le maître d'ouvrage aux douze réserves qu'il avait émis ?
Dans l'esprit de la commission du dialogue, pour nous, les arrêtés préfectoraux devaient prendre en compte les avis de la commission scientifique.
D'une manière plus générale, à l'issue de ce travail, nous avons présenté notre rapport et nos recommandations lors d'une réunion qui s'est tenue à la préfecture de Nantes, à laquelle les élus et les associations notamment étaient invités. Je me souviens d'une scène surréaliste alors où les uns et les autres évaluaient ce qu'ils retiendraient ou non de nos recommandations. C'était « ça on prend, ça on prend pas ».
État, maître d'ouvrage, élus locaux... Les associations se sont très peu exprimées lors de cette réunion. On considérait donc que l'on avait fait un travail d'écoute, mais que la suite ne nous appartenait pas.
Dans notre rapport, nous avons dit que la méthode de compensation proposée n'était pas adéquate, mais pas qu'il était impossible de compenser. Nous avons dit que la procédure n'était pas bonne, que les états initiaux n'avaient pas été faits de manière suffisamment précise, que des mesures supplémentaires étaient nécessaires, mais cela n'excluait pas qu'en modifiant la méthode on puisse aboutir à une compensation raisonnable.
Il est néanmoins effectivement un peu choquant qu'ayant fait ces recommandations, dont une partie seulement a été suivie, on ne nous ait pas demandé si ce qui avait été fait était suffisant. C'est une lacune, me semble-t-il, qu'il ne nous revenait pas de combler.
J'ai oublié de dire que les trois commissions qui travaillaient ensemble - la commission du dialogue, la commission agricole et les experts scientifiques - se sont réunies avant de finir leurs rapports.
Mais cela n'a pas donné lieu, dans les arrêtés, à la prise en compte de toutes les recommandations que nous avions faites.
Nous sommes d'accord qu'aujourd'hui, chacun s'exprime à titre personnel sur ce sujet puisque vous ne vous êtes pas reconstitués en tant que commission scientifique.
Concernant l'état initial, la commission avait qualifié le diagnostic d'insuffisant. Or, le diagnostic initial contribue à la compréhension du fonctionnement hydrologique et biochimique de l'hydrosystème et est donc indispensable à la bonne évaluation des impacts liés à la perturbation du projet et à la bonne évaluation des besoins de compensation.
Concernant les fonctions hydrologiques, l'arrêté de 2008, modifié en 2009, avait effectivement cadré sur les aspects pédologiques et botaniques la caractérisation des zones humides et trois types de zones humides avaient donc été identifiés. Mais nous avons déploré l'absence de suivi hydrologique sur un projet aussi ancien, d'une cinquantaine d'années, et aussi que l'on fasse référence à des mesures éloignées du bassin versant puisque les stations hydrologiques et les suivis piézométriques étaient en dehors du bassin versant. Les maîtres d'ouvrage auraient pu s'appuyer sur des observatoires de recherche et des sites expérimentaux locaux.
Concernant les fonctions biochimiques, les maîtres d'ouvrage avaient présenté des résultats ponctuels, sans débit associé, ce qui est très limité en termes de méthodologie, et qui était restreints à deux ou trois campagnes ponctuelles, c'est-à-dire trois données pour caractériser le fonctionnement biochimique, avec des protocoles peu adaptés au fonctionnement hydrologique du bassin versant.
Concernant les fonctions biologiques, seuls 23 relevés phytosociologiques ont été menés, sur une surface totale de 1 200 hectares. C'est trop peu pour caractériser les habitats, comme le prouve la caractérisation de nouvelles espèces depuis.
Concernant les amphibiens, le travail a été considéré comme bien réalisé, mais il n'y a pas eu de caractérisation des autres espèces aquatiques, notamment des quatre espèces de poissons protégées inventoriées à l'aval, qu'il aurait fallu regarder au droit du projet.
Cette question de la biodiversité d'une manière générale est manifestement apparue comme une question de spécialistes tout au long du processus. En réalité, il n'y a pas d'espèce extrêmement emblématique, très connue, ni de flore spectaculaire, donc le public s'est très peu exprimé sur ce sujet et les élus pas du tout. C'était une affaire de spécialistes : les bureaux d'études et ensuite la commission.
Après avoir passé plusieurs heures sur le dossier loi sur l'eau, j'étais moi-même complètement perdue, malgré ma bonne volonté. C'est dire à quel point ces dossiers sont peu adaptés à une prise en compte par le public et même par la plupart des élus locaux.
C'est d'ailleurs une de nos principales recommandations. Les démarches « loi sur l'eau » associent en principe le public : il faut donc que les dossiers qui sont soumis à l'enquête soient compréhensibles par le public. Des méthodes de compensation complexes ne permettent pas au public de se faire un avis. Nous avons ainsi critiqué la complexité de la méthode de compensation.
Par ailleurs, il nous est apparu que le public était en effet beaucoup plus concerné par les questions de paysages que par les questions de préservation de la biodiversité.
J'ai une question sur l'état initial, puisque nous avons eu deux avis différents de la part de l'État et des Naturalistes en lutte sur la quantité de prairies oligotrophes : est-ce plutôt 4 ou 32 hectares ?
Je n'ai pas la réponse précise. Cela dépend comment on caractérise ces prairies oligotrophes. Ce sont des prairies pauvres en aliments nutritifs, où il y a une flore originale. Ce sont des habitats particuliers qui présentent une grande richesse sur le plan florisitique et un certain nombre d'espèces de plus en plus rares en raison de l'intensification agricole. Et c'est bien la destination aéroportuaire du site qui explique l'absence d'intensification et la préservation de ces milieux ici. Entre les prairies oligotrophes-oligotrophes et les prairies oligotrophes-mésotrophes, il faudrait voir dans le détail. Je pourrais vous le dire avec des inventaires et des relevés précis, mais comme vous l'a dit mon collègue, il y a eu 23 relevés seulement. La caractérisation de ces habitats a été faite de manière très grossière par rapport à cela.
Après la remise du rapport, le Conseil national de protection de la nature (CNPN) avait demandé à ce que des études complémentaires soient faites sur deux ans, de 2013 à 2015. À ma connaissance, elles n'ont pas été faites.
Il faudrait pouvoir faire une étude précise pour pouvoir répondre à votre question.
Il est vrai que l'on pourrait nous reprocher d'avoir travaillé sur l'état initial alors que cela ne faisait pas partie de notre saisine. Mais l'état initial participe de l'évaluation des impacts et donc du dimensionnement de la compensation. Il était donc pour nous très important que cet état initial soit correctement fait, sans quoi nous ne pouvions juger de la pertinence du dimensionnement de la compensation. Tout au long de notre expertise, nous avons été gênés par cet état initial incomplet pour rendre notre avis sur le dimensionnement de la compensation. Nous savions donc dès le départ que le jeu de données était incomplet, sinon biaisé.
Les fortes lacunes de cet état initial conduisaient à une surestimation potentielle de certaines fonctions, notamment la fonction de soutien d'étiage des zones humides pour les cours d'eau de tête de bassin versant, et une sous-estimation en revanche des autres fonctions remplies par ces zones humides, notamment des fonctions de régulation hydraulique, de régulation des crues et surtout de la fonction biologique. Cette fonction biologique a été évaluée dans le cadre de ce projet au regard de la typicité des habitats humides et de leur occupation par les amphibiens. Il est possible de faire cela, on le voit dans d'autres dossiers : on utilise un groupe d'espèces, que l'on appelle des espèces « parapluies » : en regardant un groupe d'espèces, cela explique le fonctionnement de toutes les autres. Mais on ne peut le faire qu'à condition que ces espèces révèlent bien les besoins physiologiques ou écologiques de toutes les autres espèces présentes (mammifères, oiseaux, insectes, espèces aquatiques, etc). En l'occurrence, le choix des amphibiens nous a paru intéressant mais incomplet parce qu'il ne pouvait représenter les besoins physiologiques des oiseaux, des chiroptères, des insectes et des autres espèces aquatiques. C'était donc pour nous une proposition intéressante, mais qui ne permettait pas d'évaluer l'ensemble des fonctions biologiques du site.
Un autre point manquait selon nous à l'analyse de l'état initial : la mosaïque d'habitats au droit de ce projet ainsi que les connexions entre ces habitats, qui permettent aux fonctions biologiques d'être démultipliées. Ce critère-là n'était malheureusement pas pris en compte dans leur évaluation des fonctions biologiques associées au site.
J'ai été un peu longue mais c'était pour indiquer pourquoi le dimensionnement de la compensation partait dès le départ d'un jeu de données qu'il aurait fallu compléter.
Sur la méthode, à la décharge du maître d'ouvrage, l'exercice était à l'époque compliqué. Il n'existait pas de méthode de dimensionnement de la compensation. Pour ce projet, il appartient à chaque maître d'ouvrage de proposer sa propre méthode. C'est une difficulté pour le maître d'ouvrage mais aussi pour les services instructeurs, pour les établissements publics en charge de l'expertise de ces dossiers, etc. Chaque projet propose une méthode de dimensionnement qui lui est propre, avec des critères qu'il choisit et qui doivent être validés par les services instructeurs, ce qui est relativement complexe.
Nous avons tout de même noté dans notre rapport que les deux maîtres d'ouvrage - DREAL et AGO - pour ce projet-là avaient fait l'effort de proposer une méthode, ce qui n'est pas toujours le cas. Il faut reconnaître que cette volonté d'innovation des maîtres d'ouvrage était à l'époque assez intéressante pour un projet surfacique, en outre sur un grand territoire.
Au-delà de ce constat, nous devions apporter une caution scientifique aux choix qui avaient été faits, or il est apparu très vite que cette méthode était extrêmement complexe, qu'elle démultipliait les coefficients d'ajustement ou de pondération du besoin de compensation, autrement appelé « dette environnementale ». Les critères retenus étaient à chaque fois critiquables et insuffisamment justifiés dans le dossier pour pouvoir être validés. Pour chacun de ces coefficients, il y avait plusieurs classes de qualité et des choix de valeur attribuée. Tant pour la nature de ces coefficients que pour le nombre de classes attribuées et pour les valeurs, on pouvait se poser la question du pourquoi. Nous n'avons pas pu valider ces choix de coefficients d'ajustement ou de pondération.
C'est la même méthode proposée par les deux maîtres d'ouvrage dans leurs dossiers loi sur l'eau.
C'est le bureau d'études. Après, c'est le maître d'ouvrage qui en a la responsabilité.
La critique est facile mais l'exercice est difficile. Il y avait une volonté d'innovation. Néanmoins, les critères utilisés nous ont parfois paru redondants et étaient relativement complexes, tant pour évaluer le besoin de compensation que pour évaluer la réponse.
C'est d'ailleurs là que nous avons été le plus gênés, car pour l'évaluation de la réponse, la méthode prévoyait d'attribuer des coefficients de plus-value fonctionnelle à chaque site de compensation en fonction de sa nature, de son état, et des travaux de génie écologique prévus. Il y a donc une évaluation de la trajectoire potentielle de ces sites compte tenu des travaux envisagés et de la plus-value écologique qui serait ainsi apportée au milieu. Or, ces coefficients de plus-value fonctionnelle n'avaient selon nous pas de justification. Il y a huit classes de coefficients, sachant qu'à chacun est attribué un ratio. Plus le coefficient de plus-value fonctionnelle est élevé, plus le ratio compensatoire est petit. En d'autres termes, plus vous travaillez à restaurer des milieux très dégradés, plus vous pouvez compenser sur des surfaces très petites. Les ratios compensatoires descendaient jusqu'à 0,5, ce qui veut dire que pour un hectare impacté, il est possible de compenser à 0,5 hectare, du moment que la plus-value fonctionnelle est très forte. À l'inverse, certains ratios compensatoires sont très élevés et peuvent aller jusqu'à 4 : si le site est déjà en très bon état, qu'il y a peu de travaux écologiques à effectuer et qu'on est juste dans le cas d'une gestion conservatoire voire d'une sécurisation foncière, la méthode estime que la plus-value fonctionnelle est faible et donc que le ratio compensatoire doit être élevé.
La logique est simple sauf qu'on ne connaît pas les sites et que les travaux de génie écologique, pour autant qu'ils puissent être effectués, concernent essentiellement, dans le cas de Notre-Dame-des-Landes, des prairies oligotrophes. Et sur ce type de prairies on a très peu de retours d'expérience de restauration qui aurait fonctionné. Cela rend les résultats très hypothétiques.
Sur la demande de compensation, j'ajouterai qu'elle était formulée en unités de compensation globale, ce qui conduit à perdre la traçabilité des fonctions.
Je voudrais ajouter un complément sur les coefficients de compensation. Le coefficient de compensation était attribué aussi bien pour les impacts - pour la destruction de prairies oligotrophes par exemple, le coefficient de compensation était de 2 - que pour la restauration, où le coefficient le plus élevé était de 2.
Le préfet nous a annoncé un coefficient de 8 pour les prairies oligotrophes.
La méthode est suffisamment complexe pour qu'on puisse en sortir différents types de ratios.
Il y a en fait deux approches : l'approche fonctionnelle d'une part, pour laquelle les ratios de compensation allaient de 0,5 à 4, l'approche surfacique en parallèle d'autre part, pour les habitats remarquables, avec des ratios différents qui pouvaient aller jusqu'à 10 et pour lesquels nous n'avions pas d'informations sur le type d'habitat pris en compte au-delà de la surface qui était de 23 hectares environ.
Il y avait en fait plusieurs algorithmes de calcul selon que l'on se trouve sur un habitat remarquable ou non. La dette et la réponse de compensation étant exprimées en unités de compensation non métriques, il était en outre très difficile pour nous d'avoir une visibilité sur la surface de compensation nécessaire au projet.
En quelques mots, auxquelles de vos réserves des réponses ont-elles été apportées ?
Par rapport à nos douze réserves, certaines ont été prises en compte par les arrêtés loi sur l'eau et espèces protégées. C'est le cas de la traçabilité des fonctions de zones humides impactées, même si on peut se demander comment elle sera assurée, puisqu'elle est perdue à un moment ou un autre du calcul.
Le risque d'échec a été ajouté dans le dimensionnement par défaut avec un ratio supplémentaire de 10 %. Ils ont donc augmenté leur unité à compenser de 10 %, tant pour la desserte routière que pour l'aéroport.
Il y a un ratio global surfacique qui ne doit pas être inférieur à un. Quelle que soit la méthode fonctionnelle utilisée, on a évalué à plus de 700 hectares les surfaces en zones humides impactées par la desserte et par le projet aéroportuaire, et la compensation devra a minima porter sur les mêmes surfaces.
A également été ajoutée la mise en place de sites témoins pour les suivis et de mesures correctrices spécifiques pour les cours d'eau. Nous avions en effet noté dans notre rapport que la question de l'impact sur les cours d'eau n'était pas traitée alors que 1,6 km de cours d'eau a minima est détruit et plusieurs kilomètres sont fortement impactés.
Néanmoins, au regard des arrêtés, certaines réserves n'ont pas été prises en compte. L'état initial n'a a priori pas été complété. La méthode de dimensionnement de compensation reste inchangée, donc tout aussi complexe. Enfin, il n'y a pas de réponse sur l'impossibilité de compenser l'atteinte à certains habitats humides, notamment les prairies humides oligotrophes, sur la prise en compte du décalage temporel ni sur la difficulté d'appréciation du coefficient de plus-value fonctionnelle.
Vous nous posiez la question également sur le suivi de la mise en oeuvre concrète de ces mesures sur le terrain. Je vous avoue qu'au regard des chiffres des surfaces indiquées qui sont différents, c'est très complexe.
Les chiffres sont différents. Je n'ai pas comparé tous les chiffres mais il y a des différences entre les arrêtés espèces protégées et les arrêtés loi sur l'eau. A priori, les surfaces de zones humides à compenser auraient un peu diminué, mais cela reste à vérifier. En revanche, le nombre d'unités de compensation a augmenté.
Il faut noter qu'on a du mal à savoir si ces surfaces de zones humides intègrent le réseau de haies et de mares ou pas, dans le calcul des unités de compensation. Sur la totalité des surfaces de sites de compensation qu'ils ont déjà sécurisés, à savoir près de 463 hectares, il manquerait plus de 230 hectares a minima à trouver en plus hors emprise du projet.
Vous écriviez en avril 2013 : « Après analyse des principes de cette méthode et des résultats de son application à Notre-Dame-des-Landes, le collège d'experts considère que cette méthode ne peut pas être validée en l'état et émet donc les réserves suivantes ». Au vu de l'arrêté, qui a priori est le seul lieu de réponses à vos réserves, considérez-vous, à titre personnel, que ces dernières ont été suffisamment levées pour valider la méthode ?
Je vais répondre à titre très personnel. Une des réserves qui était très forte de notre part concernait l'utilisation d'unités de compensation qui n'ont pas de valeur en hectares. Afin de gagner en lisibilité sur la méthode et sur l'impact sur le territoire, il faudrait passer à une méthode de dimensionnement qui se réfère à des surfaces. Or, je constate que dans l'arrêté loi sur l'eau, on parle toujours d'unités de compensation qui n'ont aucune valeur métrique.
Je ne peux pas vous dire oui ou non. Je constate qu'il aurait été avantageux de tenir compte de cette réserve-là. Néanmoins il y a eu des progrès.
Je souhaiterais juste savoir si vous validez la méthode maintenant à titre individuel.
Le site que vous allez visiter est très original. C'est en quelque sorte un « château d'eau » sur un plateau d'où partent un certain nombre de sources et de cours d'eau vers le nord et vers le sud. Ce site a été anthropisé mais les activités humaines qui s'y trouvent ont tout de même permis, par des pratiques agricoles extensives, de conserver une grande richesse sur le plan des cortèges faunistiques et floristiques des habitats présents. Il n'y a pas d'espèce endémique mais ce qui fait l'intérêt du site, ce sont les interactions entre les différents milieux. C'est ce qu'on appelle un écocomplexe. Ce site, du fait même de la dégradation de l'intensification alentours, est devenu relativement unique, d'où la difficulté de le compenser.
Par rapport aux critères de l'article 8b.2 du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) qui parlent de recréation et de restauration de zones humides équivalentes sur le plan fonctionnel et de la qualité de la biodiversité, on est loin du compte. Il faudrait un autre site de substitution, or il n'y en a pas à ma connaissance.
Pour moi, les modifications proposées sont favorables, mais elles ne valident pas la méthode.
Il y a un point très important, c'est la traçabilité de la fonctionnalité. Même si c'est indiqué dans l'arrêté, on ne sait pas comment elle sera assurée avec le passage par les unités de compensation.
Sur quelques points précis comme les unités de compensation ou le calcul des coefficients, pourriez-vous nous transmettre quelques exemples précis ?
Je reviens vers la commission du dialogue. Vous montrez bien dans votre rapport que ce projet est ancien et qu'il remonte à une époque où on a fait le choix de terres agricoles à faible productivité pour déterminer le site. Vous insistez sur le fait que c'est davantage la dimension paysagère que l'impact sur la biodiversité qui a été prise en compte. Vous êtes même plutôt sévère sur la façon dont ce projet utilise l'espace. Vous dites aussi que l'on pourrait gagner facilement 200 à 300 hectares, notamment sur les parkings, en privilégiant des parkings silos, qui n'auraient d'ailleurs pas d'impact négatif d'un point de vue paysager.
Sur tout ce que vous avez proposé pour réduire l'emprise du projet, certaines de vos préconisations ont-elles été prises en compte ?
Les quelques 200 à 300 hectares que vous mentionnez que l'on pourrait gagner ne tiennent pas seulement aux parkings. Il faudrait également renoncer à la création de zones d'activités. On voit en effet que ce n'est pas un aéroport destiné à accueillir du fret, que des hôtels suffiraient et que des zones d'activité sont en outre prévues ailleurs. On pourrait ainsi gagner beaucoup de surface. Mais je ne sais pas du tout si cela a été retenu.
Nous avions également recommandé qu'au moins 250 hectares soient gelés durablement le temps de voir si les mesures de compensation sont suffisantes. À ma connaissance, cela n'a pas été acté. Sur le barreau routier, il est également possible de gagner du terrain. Des efforts ont été faits sur ce sujet. Ils ont eu l'idée de dire qu'il devait être une « route apaisée », ce que l'on peut discuter dans la mesure où le site est en rase campagne et que ce concept est plutôt fait pour le péri-urbain. Ainsi, en grignotant un peu de terrain partout, même en gardant les deux pistes, on pourrait diminuer considérablement le territoire utilisé sur le site. Mais je ne sais pas du tout si cela sera fait ou pas.
M. Serge Muller a dit que ce site était unique. Je comprends donc que fondamentalement, le projet aurait dû définitivement être évité, si l'analyse avait été bien faite au départ.
Ce site est devenu unique par sa géomorphologie, mais aussi parce que les activités extensives ont permis de maintenir un certain nombre d'espèces et de connectivités, qui, dans d'autres secteurs de l'Ouest de la France qui étaient équivalents au départ, ont disparu. Ce site est relativement unique. Je n'en connais pas d'équivalent et je ne pense pas qu'au titre de la recherche de mesures compensatoires, on ait recherché d'autres sites de même nature. On a cherché des sites de compensation en périphérie ; on a fragmenté de la compensation.
Non seulement ce site est une zone humide, mais en tant que zone humide, il est unique compte tenu de sa structure géomorphologique, si j'ai bien compris, ce qui rend l'exercice de la compensation très difficile.
Je voudrais préciser que ce site est devenu unique parce qu'il a été préservé depuis cinquante ans pour faire l'aéroport.
Oui, c'est le paradoxe du site. Il est devenu victime de sa sacralisation. Il est devenu unique parce qu'il reste le dernier témoin d'un système de bocages alors que les sites voisins ont été drainés et remembrés.
Vous parliez des 200 hectares de zone économique qui ne sont pas sur le site. Vous avait-on donné des indications sur leur localisation ?
C'était dans des communes assez proches qui se trouvaient de mémoire le long de la route nationale reliant Rennes à Nantes. Chaque petite commune à proximité avait dans l'esprit l'idée de créer une zone d'activité.
Dans le schéma de cohérence territoriale (SCoT) ce n'est pas indiqué précisément. Par rapport au contentieux européen, le fait que ces 200 hectares ne soient pas spécifiquement localisés aujourd'hui ne pose-t-il pas un problème ?
Ce projet doit être rapproché des infrastructures linéaires. Il est fractionné dans le temps, avec justement des infrastructures ou autres aménagements hypothétiques. Dans sa mise en demeure vis-à-vis de ce projet, mais aussi vis-à-vis de la directive plan-programme qui est toujours d'actualité, la Commission européenne est extrêmement attentive au fait que le projet qu'on traite en évaluation environnementale soit globalisé. Si ces aménagements devaient être faits, il faudrait en faire l'évaluation environnementale.
Il faut nuancer cela. Car il est très difficile de savoir si ces zones d'activité seraient mises en place. On ne peut pas tout mettre sur le compte de l'aéroport.
Dans l'évaluation d'un document d'urbanisme, il faut évaluer l'impact potentiel voir l'impact cumulé au titre de l'évaluation stratégique, comme le dit la Commission européenne. Dans le SCoT on évalue les impacts globaux et dans le projet on évalue beaucoup plus finement les impacts écologiques. S'il devait y avoir ce type d'aménagement, il faudrait le traiter au titre du document d'urbanisme. Mais encore une fois, le SCoT n'est pas prescriptif.
Il y a le périmètre de protection d'espaces agricoles et naturels périurbains (PEAN) au sud. À l'époque, le PEAN prenait tout le sud. Il est aujourd'hui morcelé car la commune du milieu a refusé d'y entrer. Le monde agricole a d'ailleurs montré son inquiétude à ce niveau-là. Mais il n'y a pas le nord. Dans la commission du dialogue, vous est-il apparu que c'était plutôt le nord qui s'apprêtait à recevoir les activités ?
Le nord a montré son souci mais aussi son intérêt face à un développement des communes qui serait lié directement à l'aéroport. Ils considéraient qu'il faudrait prévoir des zones de logement, d'activité et les équipements nécessaires afin d'accompagner ce développement. Leur attitude était complexe.
Pensez-vous que le monde agricole est prêt à accueillir une compensation surfacique importante ?
Nous avons reçu la FDSEA et la Coordination rurale. Ils dénonçaient ce qu'ils appellent la « double peine » : l'expropriation pour l'aéroport mais aussi l'expropriation ou des contraintes extrêmement fortes pour les compensations. C'est vrai qu'ils n'étaient pas enthousiastes. Pourtant, le maître d'ouvrage disait que des conventions étaient en cours d'élaboration et que certains agriculteurs étaient partants, ce que nous n'avons pu vérifier. Ils ne montraient pas non plus un grand enthousiasme sur le PEAN, craignant qu'il ne leur impose des contraintes. Ils étaient prudents sur toutes ces procédures.
Vous ont-ils signifié leur inquiétude, comme ils nous en ont fait part, d'un petit PEAN de 15 000 hectares qui, à terme, avec la contrainte extrêmement forte d'urbanisation entre la métropole et l'aéroport, mettrait en danger un certain nombre d'exploitations agricoles ?
Ils nous ont dit que cela ne leur donnait pas suffisamment de visibilité. Ils étaient très inquiets sur la capacité de ce PEAN à assurer une pérennité réelle à l'échelle voulue.
Un dernier mot. Nous avons interrogé l'État en même temps que le maître d'ouvrage sur la compensation proprement dite. Nous nous sommes inquiétés de l'organisation de la compensation pendant les 55 ans de la concession, mais également de sa sécurité juridique dans le temps. Notre expérience nous amène à penser malheureusement que la compensation n'est pas suivie dans le temps. Il y a une triple incertitude : le montant, l'affectation et la durée de la compensation. La compensation proprement dite doit être effectivement assurée sur la durée de la concession. Et elle doit être imaginée en amont.
C'est également un point sur lequel nous avions insisté : la compensation contractuelle telle qu'elle est proposée ne nous paraissait pas garantir sa durabilité dans le temps. C'était une des réserves que nous avions émises sur la méthode de compensation. Il faudrait en effet qu'au démarrage du projet, la surface nécessaire pour construire l'aménagement soit prévue, ainsi que la surface nécessaire pour compenser l'impact négatif de la construction sur l'environnement.