Commission des affaires économiques

Réunion du 7 février 2018 à 9h05

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Nous poursuivons le cycle d'auditions menées conjointement par nos deux commissions sur la crise sanitaire consécutive à la commercialisation de produits de nutrition infantile contaminés par la salmonelle, qui a conduit à l'hospitalisation de plusieurs dizaines de nourrissons.

Indépendamment du retentissement médiatique de cette affaire et de ses probables suites judiciaires, nous avons souhaité entendre les acteurs en présence, en particulier les représentants des ministères concernés, ceux de l'économie et de la santé. Notre objectif est de mieux comprendre le rôle de chacun, d'identifier les éventuels dysfonctionnements et de déterminer si nous sommes suffisamment bien outillés en matière de sécurité sanitaire.

Dans cet esprit, nous recevons ce matin les autorités sanitaires de l'État à travers le professeur Jérôme Salomon, directeur général de la santé depuis un mois et que la commission des affaires sociales n'a pas encore eu l'occasion d'entendre, et M. François Bourdillon, directeur général de l'Agence nationale de santé publique, ou Santé publique France, l'opérateur sanitaire de l'État qui regroupe les compétences de veille, d'alerte et de réponse aux crises sanitaires.

Messieurs les directeurs généraux, il nous a paru indispensable de recueillir auprès de vous un premier bilan du déroulement des faits et de votre mobilisation pour gérer la crise.

Pouvez-vous nous décrire l'articulation de vos rôles dans la chaîne allant du recueil des premiers signalements aux réponses apportées et à l'information communiquée à la population ? Comment vos actions se coordonnent-elles avec celles de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ?

Quelle est votre appréciation des outils dont vous disposez pour faire face à ce type de crise ? Permettent-ils une bonne réactivité ? Quelles difficultés avez-vous rencontrées ? Pouvez-vous évoquer la situation particulière des pharmacies et des hôpitaux, dont certains auraient utilisé des produits visés par un rappel ? D'un point de vue épidémiologique, comment la situation se présente-elle aujourd'hui ? Enfin, quelles améliorations devraient être apportées, selon vous, afin d'éviter de nouveaux dysfonctionnements ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Je tiens à excuser ceux de nos collègues que les conditions climatiques empêchent de se joindre à nos travaux.

L'affaire Lactalis fait apparaître la complexité des procédures de contrôle et de décision en cas de crise sanitaire. Les acteurs impliqués sont nombreux : le producteur, l'administration chargée de la consommation, les services relevant du ministère de l'agriculture, l'administration et les opérateurs chargés de la santé publique. Messieurs les directeurs généraux, l'imbrication des compétences et des responsabilités ne serait-elle pas l'une des explications des difficultés rencontrées pour gérer cette contamination ? Peut-être pourrez-vous nous suggérer quelques voies d'évolution à cet égard.

Debut de section - Permalien
François Bourdillon, directeur général de Santé publique France

Je vous remercie de m'avoir invité à m'exprimer sur le rôle de Santé publique France, dont les missions sont centrées sur la veille, l'alerte et la surveillance. Je suis accompagné de Mmes Deval, responsable de l'unité intoxication alimentaire, et Jourdan, la cheville ouvrière de l'alerte et des investigations dans l'affaire qui nous intéresse. Pour travailler quotidiennement sur le sujet depuis deux mois, elles pourront vous donner des explications précises, mais permettez-moi d'abord de vous décrire notre système de façon générale.

Lorsqu'un laboratoire identifie une salmonelle dans le cadre d'une coproculture, il saisit le Centre national de référence (CNR) Salmonellose, à l'Institut Pasteur. Le CNR reçoit environ 10 000 salmonelles par an, dont 600 chez des nourrissons.

La difficulté est d'avoir un système d'alerte qui ne sonne pas trop souvent, mais garantisse de ne pas passer à côté d'une épidémie. Des algorithmes ont été mis au point pour donner l'alerte au bon moment.

Quand l'alerte sonne, les investigateurs épidémiologiques de Santé publique France prennent contact par téléphone avec les personnes contaminées pour déterminer s'il y a une source commune. C'est ainsi que, fin novembre et début décembre, en présence de huit cas anormaux de salmonellose, nous avons mené des investigations et identifié comme source commune l'usine de Craon.

Debut de section - Permalien
Nathalie Jourdan, Santé publique France

Le dispositif de surveillance des infections à la salmonelle repose sur le Centre national de référence Salmonellose, qui recense environ 10 000 souches chaque année, transmises par 1 200 laboratoires volontaires, hospitaliers et privés, et en détermine le sérotype. Ce travail permet de suivre l'évolution de près de 2 000 sérotypes de salmonelle et de détecter les cas groupés - les clusters - et les épidémies.

Des algorithmes de détection des dépassements de seuils ont été établis, pour les différents sérotypes, à partir des données historiques du centre : ils permettent de repérer les augmentations inhabituelles et les cas groupés. Par ailleurs, les médecins et biologistes peuvent signaler spontanément tout phénomène inhabituel, en particulier des cas groupés.

La surveillance des salmonelles chez l'animal, dans les aliments et dans l'environnement de la chaîne alimentaire est, quant à elle, assurée par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.

Chaque semaine, le CNR Salmonellose adresse à Santé publique France la distribution par sérotype des souches reçues pour les quatre dernières semaines. Il nous transmet également une analyse par sérotype et unité géographique, issue de trois algorithmes de détection. Si le nombre de souches observé pour un sérotype est supérieur à celui attendu à cette période, un signal apparaît sur le relevé hebdomadaire.

Santé publique France vérifie ces signaux et réalise au besoin des investigations exploratoires. Une courbe épidémique est construite, afin de visualiser les cas à l'origine du signal, ainsi que les cas du même sérotype observés les semaines précédentes. Des hypothèses sur les modes de transmission et de contamination sont envisagées.

Les épidémiologistes de Santé publique France interrogent alors par téléphone les personnes contaminées, dont les coordonnées nous sont fournies par les laboratoires.

Le 30 novembre 2017, le CNR Salmonellose a identifié huit cas de salmonelle agona en huit jours chez des nourrissons. Ce nombre inhabituel de cas a conduit au lancement immédiat d'investigations.

Dès le vendredi 1er décembre au matin, les premières familles ont été contactées par téléphone par nos épidémiologistes ; rapidement, trois laits produits par Lactalis ont été identifiés. Nous avons demandé à la direction générale de la santé d'organiser une réunion téléphonique dans l'après-midi du 1er décembre avec la DGCCRF, l'Anses et le CNR. Le premier retrait-rappel de ces trois laits a eu lieu dès le lendemain.

Au fur et à mesure des entretiens avec les parents, Santé publique France a informé ses partenaires des dates de survenue des symptômes, ce qui a permis d'estimer les périodes d'achat des boîtes de lait. Nous leur avons également communiqué les numéros de lots et des dates de fabrication des boîtes encore détenues par les familles, ainsi que les coordonnées de celles-ci pour d'éventuels prélèvements par la DGCCRF.

Les épidémiologistes de Santé publique France ont continué à interroger les parents des bébés durant tout le week-end du 1er au 3 décembre. Dès l'identification d'un quatrième, puis d'un cinquième lait, nous avons informé nos partenaires pour que le retrait soit étendu.

Parallèlement à ces investigations épidémiologiques, des investigations microbiologiques ont été menées par le CNR, qui a établi que toutes les souches isolées chez les bébés ayant consommé du lait de Lactalis appartenaient à un même clone épidémique.

À l'attention de la population, Santé publique France a communiqué des informations sur le bilan sanitaire, notamment via son site internet, à partir du 5 décembre. Nous avons également répondu aux journalistes et assuré une communication aux professionnels de santé, à travers la revue médicale Eurosurveillance.

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé, ministère des solidarités et de la santé

Je suis honoré de m'exprimer pour la première fois devant la Haute Assemblée en tant que directeur général de la santé. Nommé dans ces fonctions le 8 janvier, j'ai de cette affaire une vision empreinte d'un certain recul, ce qui peut être intéressant pour la mise en perspective.

Du point de vue du clinicien, il est important de rappeler la complexité du quotidien : les diarrhées infectieuses sont extrêmement fréquentes, en particulier chez les enfants. Les médecins ont la responsabilité, s'ils suspectent une infection bactérienne, de prescrire une coproculture, qui n'est pas un examen facile. En effet, il est réalisé dans un laboratoire spécialisé, qui doit identifier une souche pathogène parmi un très grand nombre de souches - il y a plusieurs milliers de sérotypes de salmonelle chez l'homme - et utiliser des techniques de biologie moléculaire pour s'assurer de l'unicité de cette souche.

D'où l'importance de notre réseau de centres nationaux de référence, qui est un atout pour l'identification et la recherche. Pour les salmonelles, le centre de référence est dirigé par le professeur François-Xavier Weill, qui a une réputation mondiale dans ce domaine.

L'investigation épidémiologique, consistant à identifier une exposition et une source communes, n'est pas moins complexe que l'identification microbiologique.

La direction générale de la santé est en lien quotidien avec Santé publique France, notamment via un bulletin quotidien des alertes. Des réunions de tous les partenaires, directions administratives et opérateurs, sont organisées chaque semaine. Le dispositif est donc très fluide et cohérent.

Je laisse M. Thierry Paux, sous-directeur chargé de la veille et de la sécurité sanitaires, qui a suivi l'alerte Lactalis au quotidien, vous présenter la chronologie de la réaction de la direction générale de la santé.

Debut de section - Permalien
Thierry Paux, sous-directeur, direction générale de la santé

Dès réception de l'alerte, le 1er décembre dans l'après-midi, nous avons organisé une conférence téléphonique avec l'ensemble des acteurs, administrations et opérateurs, afin de partager nos informations, d'organiser les mesures d'investigation et de commencer à identifier les mesures de gestion nécessaires. Nous avons décidé de mettre en place sans attendre un retrait-rappel des lots concernés. Nous avons alors saisi en urgence la Société française de pédiatrie pour qu'elle émette des recommandations de substitution et commencé à informer le grand public et les professionnels de santé.

S'agissant de ces derniers, nous leur avons demandé de cesser la distribution des produits rappelés et de signaler tout cas suspect de salmonellose. Cette information est passée par des messages d'alerte rapide sanitaire envoyés aux établissements de santé et des messages de type « DGS Urgent » adressés aux professionnels libéraux et relayés par les ordres des médecins et des pharmaciens.

Ces mesures s'inscrivent parfaitement dans les missions de la DGS, chargée de la protection des populations ; notre responsabilité est de définir les mesures de gestion nécessaires à cette protection. Les investigations sur les produits relèvent, quant à elles, de la compétence de la DGAL ou de la DGCCRF.

Au fur et à mesure des progrès des investigations, de nouvelles conférences téléphoniques ont été organisées avec l'ensemble des services pour adapter les mesures de gestion et d'information. Au total, nous avons organisé neuf conférences téléphoniques en décembre. Parallèlement, nous avons entretenu avec la DGCCRF et Santé publique France des échanges quasiment quotidiens.

S'agissant de l'information du grand public, nous avons tenu à jour notre site internet, notamment en ce qui concerne les recommandations de substitution. Nous y avons inséré des renvois vers les sites de Santé publique France et de la DGCCRF, afin de fournir aux consommateurs une vision globale de la situation. En outre, nous avons publié différents communiqués de presse, notre ancien directeur général, Benoît Vallet, a donné plusieurs interviews télévisées et radiophoniques et nous avons diffusé des messages sur les réseaux sociaux. Enfin, nous avons tenu les associations de familles de victimes informées de la situation.

Debut de section - Permalien
François Bourdillon, directeur général de Santé publique France

En réponse à la question sur notre appréciation des outils, je puis témoigner que notre articulation avec les centres nationaux de référence est de grande qualité. En particulier, nous finançons à hauteur de 1 million d'euros par an le CNR Salmonellose pour qu'il nous fournisse les prestations qui vous ont été décrites, et qui nous sont précieuses.

Entre le système de soins cliniques, les laboratoires, les centres nationaux de référence et Santé publique France, nous disposons aujourd'hui d'un dispositif bien articulé qui nous permet d'informer la direction générale de la santé de manière extrêmement réactive. Construit par Santé publique France d'après des modèles anglo-saxons, ce dispositif est très performant, et nous n'avons qu'à nous en féliciter.

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé, ministère des solidarités et de la santé

Les différentes phases doivent être bien distinguées. La surveillance au quotidien repose sur le dispositif de notification obligatoire par les médecins et les laboratoires. Pour ce qui est du lancement d'alerte, il n'est pas aisé de définir des seuils. Toute fluctuation n'est pas un début d'épidémie...

La gestion de crise s'accompagne d'enjeux de communication et de coordination interservices. La direction générale de la santé doit adresser au grand public les messages les plus précis possible, s'agissant notamment des consignes sanitaires, des recommandations de substitution, surtout quand les produits rappelés sont très spécifiques, et de la conduite à adopter vis-à-vis de la maladie elle-même.

À la lumière de cette affaire, nous avons des réflexions à mener en matière de surveillance, de gestion d'alerte et de communication de crise, ainsi que sur les outils permettant de cibler les consommateurs concernés.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Plusieurs alertes à la salmonelle avaient déjà visé le site de Craon, en 2005, août et novembre 2017. Comment assurer efficacement la surveillance des sites visés par une alerte ?

Par ailleurs, après la décision de retrait, certains hypermarchés, et malheureusement aussi des pharmacies, ont continué à vendre des boîtes contaminées. Comment est-ce possible ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Chaque acteur de la chaîne que nous auditionnons nous explique sa manière de communiquer vis-à-vis du grand public et des professionnels. Trop d'informations ne tuent-elles pas l'information ? Comment améliorer la coordination en la matière ?

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Le PDG de Lactalis a fait rebondir l'affaire en mettant en cause la fiabilité des contrôles. Contrôlez-vous, au-delà des produits, l'environnement du process de fabrication ? Et y a-t-il des contrôles sur les contrôles ?

On annonce la suppression de plus de quarante emplois au sein de la DGCCRF, alors que cette administration ne cesse de se voir confier de nouvelles responsabilités, notamment en application de la loi de 2014 relative à la consommation. Comment pourra-t-elle assumer toutes ses missions sans personnels en nombre suffisant et bien formés ?

Enfin, quelles informations sont-elles adressées aux professionnels et, quand certains continuent volontairement à vendre des produits contaminés, quelles sanctions sont-elles prises ?

Messieurs les directeurs généraux, vos interventions étaient solides, mais, tout de même, il y a eu un trou dans la raquette ! D'aucuns se demandent même si la raquette avait un cordage...

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

Le dispositif d'alerte que vous avez décrit me paraît assez efficient, nonobstant les réserves sur des détections antérieures qui seraient restées sans effet. À ce propos, je souhaite vous interroger sur les contrôles internes : ces contrôles vous ont-ils été notifiés, et pourquoi n'auraient-ils pas permis de détecter la salmonelle ? Au fond, quand le dispositif de santé publique intervient, il est déjà trop tard...

Nous sommes nettement moins convaincus en ce qui concerne la gestion de crise. À vrai dire, nous sommes mêmes inquiets de constater que les mesures prises ont été appliquées de façon tout à fait insuffisante, faute, notamment, d'une bonne coordination entre les acteurs de l'État. Pouvez-vous nous donner des explications sur la longueur de la chronologie, qui est tout à fait préoccupante ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Louault

Après un certain nombre d'auditions, j'ai le sentiment que, sur les plans sanitaire et alimentaire, notre système fonctionne plutôt bien. On voudrait faire croire aux Français qu'on peut tout contrôler, mais c'est impossible !

La concentration industrielle est aujourd'hui telle que, quand il y a une contamination, tout le monde est affecté. Reste que, dans cette affaire, le dispositif de détection s'est révélé fiable et réactif.

Je constate tout de même une faille, s'agissant du retrait-rappel des produits : un mois après la décision, il restait des produits contaminés dans les rayons... Notre rôle est de veiller à ce que les choses ne se reproduisent pas de la même manière, mais elles se produiront autrement. Du reste, un monde aseptisé n'est pas sans dangers. Méfions-nous de cet état d'esprit, assez français, qui laisse croire qu'on peut tout prévenir et conduit à tout attendre de la haute administration.

Sur le plan de la sécurité sanitaire, je trouve que notre système est très bon. Tant pis pour ceux qui trouvent que les choses vont mal !

Debut de section - PermalienPhoto de Patricia Schillinger

Depuis 2005, lit-on dans la presse, d'autres produits auraient été concernés. Quelle est l'étendue réelle de la contamination ? Les chiffres officiels sur le nombre d'enfants infectés reflètent-ils vraiment la réalité ? Les médecins ne détectent pas toujours la salmonellose... Enfin, comment les produits contaminés ont-ils été retirés des marchés d'exportation ?

Debut de section - PermalienPhoto de Florence Lassarade

En Gironde, les pédiatres ont été alertés le 7 décembre pour cesser la distribution de lots d'échantillons. Seulement, quand nous remettons ces échantillons à des patients, nous ne notons pas toujours les numéros de lot, de sorte qu'il n'y a pas de traçabilité.

Nous sommes, il est vrai, dans un pays sûr, où les produits sont suivis. Par ailleurs, la salmonellose n'est pas une pathologie très grave. Mais lorsqu'une épidémie d'entérocolite ulcéro-hémorragique s'est déclarée voilà quelques années, on a eu du mal à retrouver le concombre bio en cause... Améliorer la traçabilité des produits est donc essentiel pour renforcer la sécurité.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

Les explications que nous avons entendues me rassurent : nous avons un système dont, je pense, nombre de pays peuvent nous envier l'efficacité. Reste qu'il faut tirer les enseignements de ce qui s'est passé.

Entre le producteur et l'acheteur, la traçabilité des lots est assurée. La vraie question est celle de la traçabilité finale : au niveau des revendeurs, certains phénomènes de cascade empêchent parfois les familles d'obtenir les informations aussi rapidement qu'on le souhaiterait. Comment améliorer la diffusion de l'information jusqu'à ceux qui sont exposés ?

Enfin, comment contrôle-t-on les produits alimentaires d'importation ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

La coordination, nécessaire sur ces questions, n'a peut-être pas été suffisante. D'autres cas ont été observés en Espagne : comment la question peut-elle être traitée au niveau européen ?

Debut de section - PermalienPhoto de Denise Saint-Pé

Des études sont réalisées par unité géographique, avez-vous expliqué. Combien d'unités retient-on et quels sont leurs périmètres ?

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Le plus invraisemblable et le plus inacceptable, c'est qu'on ait continué à vendre des produits contaminés, dans la grande distribution mais aussi dans les pharmacies, dont personne ne doute une seconde qu'on s'y soucie de la santé publique. Comment éviter que de tels phénomènes ne se reproduisent ?

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Duplomb

Pouvez-vous évaluer, sur une échelle de 1 à 10, la gravité de la situation actuelle, par rapport à d'autres références historiques ou aux cas que vous traitez habituellement ?

En 1950, il y avait 15 000 cas mortels d'intoxication alimentaire. Qu'en est-il ces cinq dernières années ? Interrogeons-nous et améliorons la communication sans entrer dans un déchaînement médiatique clouant au pilori l'industrie française, et qui relaie des messages parfois sans rapport avec la crise et qui cristallisent certaines positions. Cela fait croire que tout ce qui vient de l'extérieur serait moins dangereux que ce qui est produit en France, et amplifie un phénomène regrettable : il y a de moins en moins d'industrie, d'emploi et de filières en France.

Pouvez-vous donner des exemples de pays où la sécurité alimentaire est moins importante qu'en France - avec quels risques pour la population ? A-t-on moins de chances d'être intoxiqué avec des produits français qu'avec des produits étrangers, qui n'ont pas les mêmes règles de production et ne sont pas soumis aux mêmes contraintes ni aux mêmes contrôles ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Je rappelle que l'épidémie de grippe a déjà fait près de 3 000 morts...

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Imbert

J'ai été contrariée d'apprendre que des lots de laits avaient été distribués dans les officines après le rappel. Le retrait des lots s'est effectué en deux temps : le 2 décembre, douze lots de lait premier âge, pour des nourrissons de 0 à 4 mois, ont été retirés ; le 10 décembre, 620 lots de lait premier et deuxième âge, de croissance et relais ont été retirés à la suite de six nouveaux cas. La procédure de retrait des lots a-t-elle suivi strictement la procédure de retrait d'un médicament ? Celle-ci est rapide et exhaustive en cas d'incident. En 2016, l'Ordre des pharmaciens a publié une brochure retraçant la quarantaine de retraits de médicaments effectués durant l'année 2015.

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé, ministère des solidarités et de la santé

Merci pour ces questions, dans lesquelles nous retrouvons l'ensemble des préoccupations de nos concitoyens. Nous devons faire preuve de pédagogie sur notre système de sécurité sanitaire. Je rappellerai la répartition des rôles : la santé est totalement en aval du dispositif, puisque nous ne disposons que de prélèvements humains, et n'avons pas d'autorité de police sanitaire sur l'environnement. Cela relève des douanes, de la DGCCRF pour les produits finis et de la direction générale de l'alimentation (DGAL) pour les produits agricoles... Plus en amont, les industriels réalisent des autocontrôles de qualité et de sécurité de leurs produits, avant des contrôles réguliers des services de l'État. Enfin, la surveillance de l'état sanitaire de la population relève de ma responsabilité en tant que directeur général de la santé. Nous voulons réduire au maximum l'impact sanitaire de toutes les maladies en France.

La France, après une épidémie majeure de listeria, a créé en 1992 le réseau national de santé publique, alors que cette épidémie avait touché plusieurs centaines de personnes et que l'investigation avait duré plusieurs mois. Depuis, nous avons considérablement progressé sur les capacités de détection microbiologique : nous avons créé l'Institut de veille sanitaire (InVS), devenu l'agence Santé publique France, opérateur qui a fusionné l'investigation épidémiologique de l'InVS, la réaction avec l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus), et la communication et l'éducation à la santé avec l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes). Cette agence cherche à réduire l'impact sanitaire des épidémies et surveille spécifiquement les populations fragiles - ici les nourrissons -, mais le ressenti de la population est des parents est très fort. Par ailleurs, le lait est un produit à risque. Une approche quantitative a peu de sens face au ressenti des parents, sur un produit censé être sûr.

L'approche géographique est intéressante. L'hygiène alimentaire et la sécurité sanitaire sont de bon niveau en France, alors que les États-Unis connaissent, chaque année, des épidémies de salmonellose de grande ampleur, notamment en raison de la très forte consommation de steaks hachés. Les produits pasteurisés peuvent aussi être contaminés : dans un fromage non pasteurisé, il y a une compétition bactérienne entre les bonnes bactéries et les pathogènes. La stérilisation ou la pasteurisation de tous les produits n'est donc pas forcément une solution. Vous avez cité l'alerte venant d'Allemagne. Le concombre bio espagnol était un faux coupable, les responsables étaient des germes de soja...

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé, ministère des solidarités et de la santé

Il peut y avoir des erreurs d'interprétation. La situation était d'autant plus complexe que l'Allemagne est un pays fédéral, dans lequel chaque Land a des capacités d'investigation.

Le ministère de la santé dispose de plusieurs outils de communication vis-à-vis des professionnels de santé, notamment une adresse courriel « DGS urgent », envoyée à 60 000 destinataires, et qui touche en un clic les Agences régionales de santé (ARS) et les accueils d'urgence du territoire.

Nous avons une excellente collaboration avec les pharmaciens, à travers le Conseil national de l'Ordre. Ce dispositif est peut-être l'un des plus efficaces au monde puisque toutes les pharmacies d'officine en France disposent d'un « dossier pharmaceutique », qui permet d'envoyer des messages à l'ensemble des pharmacies de France, obligatoirement reçus puisque l'ordinateur est bloqué tant que le pharmacien n'a pas accusé réception. Ce dispositif extrêmement performant nous est envié en dehors de France.

Pour une meilleure coopération entre les administrations, je préside, tous les mercredis matin à 9 heures, une réunion de sécurité sanitaire avec l'ensemble des directions d'administrations concernées : la DGCCRF, la DGAL, la Haute Autorité de santé, des opérateurs de la santé, la sécurité sociale... Nous avons une approche très collaborative et groupée de la sécurité sanitaire de nos concitoyens.

La politique de sécurité sanitaire européenne est plus compliquée : les mécanismes d'entraide ne s'appliquent qu'à la sécurité civile. La France plaide pour davantage de coopération sanitaire en Europe, même si la santé reste un domaine régalien, porté par les États plus que par la dynamique européenne.

Debut de section - Permalien
François Bourdillon, directeur général de Santé publique France

Merci pour ces questions pertinentes. Les rôles sont répartis entre la santé humaine et la sécurité alimentaire, avec d'un côté le ministère de la Santé, de l'autre les contrôles industriels, la DGAL, les douanes et la DGCCRF.

Nous intervenons à la base : le signal humain permet de tirer la sonnette d'alarme et de remonter la chaîne. L'Anses et la DGAL sont présents à la réunion du mercredi matin, où l'on débat notamment des retraits de lots.

En cas d'intoxications alimentaires avec des produits importés d'autres pays européens, le système d'alerte fonctionne. Certes, la sécurité industrielle en dehors de France n'est pas de notre ressort, mais nous nous étions beaucoup interrogés sur l'épidémie de 2005, et sur certains cas survenus en amont de l'alerte du 1er décembre. Nous avons pu relier les cas survenus en août et au mois de décembre 2017 à l'épidémie de 2005 grâce au nouvel outil de séquençage du CNR, qui a pu relier ces souches de Salmonella Agona - ce n'était pas possible il y a encore six mois...

Selon les parents des 38 enfants touchés, 18 ont été hospitalisés, avec une amélioration de leur état sanitaire. L'éparpillement a été important : 18 régions métropolitaines sont concernées, ce qui témoigne de l'importance d'un système national d'alerte, qui en plus transmet ses informations au Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC, European Centre for Disease Prevention and Control). Trois cas ont été détectés en Europe, deux en Espagne et un en Grèce.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Néanmoins, des produits contaminés continuaient à être vendus après l'alerte...

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Les produits étaient distribués dans la grande distribution, dans les circuits spécialisés, et je m'interroge, peut-être dans les hôpitaux et les crèches... Où le bât blesse-t-il dans la formation ? Faut-il améliorer le système actuel, qui est cependant plutôt rassurant ? Quelles sanctions sont prévues ?

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé, ministère des solidarités et de la santé

Le nombre de rappels est considérable. L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) procède à des rappels quasi quotidiens, en lien avec les pharmaciens, pour des raisons multiples : non-conformité d'un produit, des notices, défaut dans l'aspect du produit, problème de qualité ou d'emballage...

Les retraits successifs et l'extension des lots rappelés obéissaient à une approche pragmatique, affinée chaque jour en fonction des informations reçues des épidémiologistes. Il n'y a pas eu de nouveaux cas depuis le retrait : ce sont des cas confirmés par le CNR, mais les cas cliniques sont intervenus deux à trois semaines avant. Les rappels ont concerné la grande distribution et les circuits pharmaceutiques.

La DGS n'a pas d'informations détaillées sur la non-application du retrait : une enquête judiciaire est en cours, le Parquet conserve ces informations. La présidente du Conseil de l'Ordre des pharmaciens a été très claire : elle sera très ferme pour les sanctions en cas de non retrait. Le ministère de la santé a envoyé des messages aux services pédiatriques et aux maternités des hôpitaux, où le retrait a été massivement appliqué. Trouver des produits incriminés sur un site ne signifie pas qu'ils ont été distribués ; ils ont pu être conservés en attente de renvoi. Nous sommes également attentifs à ce que l'ensemble du circuit retire les lots, car le lait infantile est souvent distribué par le circuit de distribution alimentaire interne et non par les pharmacies à usage intérieur des hôpitaux.

Faut-il pérenniser ou renforcer le dispositif ? Les laboratoires de microbiologie ont accès à des tests de biologie moléculaire identifiant les souches mais qui les détruisent. Or auparavant les contrôles de microbiologie conservaient la souche, et la cultivaient avant de l'envoyer à un laboratoire expert. Le progrès n'est pas forcément source de sécurité, et il est nécessaire de conserver une souche pour l'identification, comme le font les CNR... Les CNR sont des réseaux très importants, animés par Santé publique France. Préservons ce dispositif fondamental de sécurité.

Nous sommes attentifs au retour d'expérience inter administrations pour améliorer la communication. Des protocoles sont révisés régulièrement ; le dernier date de 2013. Soyons certains que les consommateurs disposent de la bonne information, validée par les autorités nationales, plutôt que d'être noyés par de multiples signaux d'alerte.

Debut de section - PermalienPhoto de Victoire Jasmin

Cadre dans un laboratoire de microbiologie, je vous assure qu'en milieu hospitalier, des contrôles sont régulièrement effectués sur les nouveaux lots de lait, et notamment par la vérification de trois souches de référence, pour une surveillance de la qualité et une bonne traçabilité. Ce sont surtout les achats à l'extérieur des hôpitaux qui posent problème. De même, l'eau utilisée est surveillée. À chaque reprise, une liste de germes est vérifiée, et l'alerte est donnée si besoin. C'est obligatoire. Certes, tous les laboratoires ne sont pas en mesure de le faire. Une telle surveillance devrait être réalisée dans tous les circuits. Cette traçabilité permet de réagir immédiatement et de retirer les lots. Tout est informatisé. Une telle réactivité est plus difficile à mettre en place dans les grandes surfaces.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Gréaume

Dix-huit enfants ont été hospitalisés, et le 1er février, l'institut Pasteur liait les deux épidémies de 2005 et 2017 causées par du lait de l'usine Lactalis de Craon, et annonçait qu'entre 2006 et 2016, 25 autres enfants avaient été contaminés... Les salmonelles sont la première cause de mortalité due à des infections alimentaires, provoquant chaque année, en moyenne, 67 décès, selon Santé publique France. Des enfants sont-ils dans un état critique ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Vous gérez l'aval, mais revenons aux faits. D'expérience, le zéro défaut n'existe pas dans l'industrie. Mais j'ai l'impression que la réaction de Lactalis est confuse, et qu'il y a des problèmes de traçabilité en interne. De quels moyens de traçabilité disposez-vous pour intervenir au sein des entreprises ? Souvent, on procède à partir des données de fabrication, or le système était défaillant...

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Raison

Merci pour ce que vous et vos prédécesseurs avez fait pour la sécurité sanitaire. La communication pose problème. En économie, lorsque les entreprises vont mieux, les citoyens ont aussi besoin de reprendre confiance. Le zéro défaut n'existe pas, mais là il y a eu des dysfonctionnements. L'inquiétude a été très forte car des enfants ont été touchés. Trouvons une solution pour communiquer sur la réalité de la sécurité sanitaire : la France est quasiment la meilleure, et cela commence dès le stade de l'élevage, par l'épidémio-surveillance et la sécurité sanitaire.

J'ai été marqué par une image à la télévision, montrant un rayon bio pour illustrer que nos concitoyens se dirigeaient de plus en plus vers des produits de qualité. Mais les salmonelles sont bio, la peste et le choléra, l'amanite phalloïde sont bio ! Ce n'est pas parce que les gens vont manger bio qu'ils ne seront plus malades... Communiquons : nous sommes les meilleurs en Europe, voire dans le monde... Les États-Unis ont un système alimentaire plus aseptisé, mais ils sont moins immunisés.

Michel-Édouard Leclerc raconte n'importe quoi sur le fonctionnement technique et sanitaire des produits. C'est grave : ces contre-vérités deviennent la pensée unique. Les gens sérieux doivent s'unir pour communiquer sur la réalité scientifique des choses.

Debut de section - Permalien
Jérôme Salomon, directeur général de la santé, ministère des solidarités et de la santé

Merci, madame Jasmin, pour votre intervention. Les établissements de santé qui accueillent des populations fragiles comme des enfants ou des personnes gravement malades ont un impératif de surveillance et de traçabilité. Les pharmacies internes tracent individuellement les produits, mais la surveillance dépend aussi de l'environnement intérieur : l'eau, l'air, les aliments distribués... C'est le rôle des équipes opérationnelles d'hygiène et des comités locaux de lutte contre les infections nosocomiales, qui travaillent quotidiennement pour réduire le risque bactérien. Les familles ne disposent pas d'une telle surveillance à la maison.

Je vous conseille de consulter les sites officiels, très bien faits, comme ceux de l'ECDC ou de Santé publique France, qui fournissent l'ensemble des données des maladies soumises à déclaration obligatoire, comme la grippe, les salmonelloses, la tuberculose, en toute transparence, et avec l'historique. Les maladies infectieuses sont en très forte baisse, même si un effort reste à réaliser pour prévenir les maladies dues à un défaut de couverture vaccinale, comme la rougeole.

Debut de section - Permalien
François Bourdillon, directeur général de Santé publique France

Le site de Santé publique France contient la description des principales maladies infectieuses, en particulier les toxines alimentaires. Nous publions également un bulletin hebdomadaire retraçant les épidémies dues à des infections alimentaires. Nous travaillons très étroitement avec l'ECDC de Stockholm, qui compare avec d'autres pays. Madame Gréaume, à ce jour nous n'avons pas connaissance d'un enfant dans un état critique.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Merci de vos interventions. J'ajouterai quelques observations personnelles : la loi de modernisation du système de santé de 2016 impose une obligation vaccinale pour les personnels hospitaliers, qui a été, pour ce qui concerne la grippe, suspendue par décret. Or il y a eu 3 000 cas mortels de grippe cette année, 15 000 l'année dernière. La presse devrait s'en saisir plutôt que de s'occuper toujours du même sujet et de lancer des polémiques. Le zéro défaut n'existe pas. Si certains avaient des doutes en 2016 sur l'efficacité de la nouvelle agence Santé publique France, qui regroupait trois établissements, ces doutes sont désormais levés. Demain, le président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, présentera son rapport public annuel devant le Sénat, avant les interventions des présidents des commissions des finances et des affaires sociales. Je reviendrai à cette occasion sur l'obligation vaccinale.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Merci de vos interventions conjointes, qui ont rassuré les membres de nos deux commissions sur la sécurité sanitaire et le système d'alerte, très performant, qui en découle. Quelques interrogations perdurent sur les responsabilités et la qualité des analyses in situ, et sur la coordination de la communication, non pas entre services mais auprès du grand public. Il faudrait travailler conjointement avec les médias pour éviter ce genre de traumatisme. Certaines anomalies, qui ne sont pas totalement évitables, sont du ressort de quelques producteurs agroalimentaires ; elles font oublier qu'en général, la qualité des produits alimentaires français est bien meilleure qu'aux États-Unis et dans d'autres pays.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 10 h 30.