Commission des affaires européennes

Réunion du 19 avril 2018 à 16h20

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Nous sommes particulièrement heureux de vous accueillir aujourd'hui au Sénat, dans cette salle inaugurée il y a très peu de temps. Nous conservons un excellent souvenir de notre visite à Berlin en décembre 2015. Nous avions alors auditionné conjointement deux commissaires européens MM. Dimitri Avramopoulos, en charge des affaires intérieures et des migrations, et Neven Mimica, en charge de l'aide au développement et de la coopération. Notre session de travail avait permis un large échange de vues sur l'actualité de l'Union européenne et s'était conclue par l'adoption de deux déclarations communes sur la crise des réfugiés en Europe et sur la lutte contre le terrorisme.

Nous sommes convaincus que l'Allemagne et la France ont une responsabilité historique pour promouvoir ensemble une relance du projet européen ; le Sénat a fait des propositions dans ce sens. La formation du nouveau gouvernement allemand a pu retarder le lancement d'initiatives conjointes. Nous attendons désormais avec impatience de savoir ce que la Chancelière et le président de la République proposeront à nos partenaires en vue du Conseil européen de fin juin, qui sera particulièrement important. Cette initiative se prépare aujourd'hui même par la rencontre de nos deux dirigeants à Berlin, parallèlement à la nôtre.

Nos assemblées doivent aussi être force de propositions. Nous avons pris bonne note de l'initiative conjointe du Bundestag et de l'Assemblée nationale à l'occasion du 55e anniversaire du Traité de l'Élysée. À la demande du Président Gérard Larcher, notre commission des affaires européennes a elle-même mis en place un groupe de travail pour préparer une contribution du Sénat à la révision de ce traité bilatéral. Nous ne manquerons pas de vous solliciter et d'échanger avec vous sur les voies envisageables, compte tenu en particulier de l'importance des prérogatives des Länder sur nombre d'aspects du texte.

Au-delà, il nous paraît essentiel d'avoir des échanges réguliers sur les sujets de l'actualité européenne et de dégager chaque fois que possible des convergences que nous pouvons porter dans le débat européen. Je me félicite ainsi de l'initiative que nous avons lancée avec nos amis polonais dans le cadre du triangle de Weimar d'échanger sur nos analyses en matière de subsidiarité. Il nous revient de faire vivre cette initiative pour contribuer ensemble à identifier ce qui peut constituer la plus-value européenne.

Notre réunion d'aujourd'hui est une nouvelle étape. Comme nous en sommes convenus, elle nous permettra de dialoguer successivement sur trois thèmes : l'avenir de l'Union européenne, le prochain cadre financier pluriannuel et le numérique. Sur ce dernier point, nous sommes d'ailleurs régulièrement saisis par votre ambassadeur à Paris, M. Meyer-Landrut.

Debut de section - Permalien
Guido Wolf, président de la commission des questions européennes du Bundesrat

Merci pour votre accueil. Notre première rencontre a eu lieu il y a deux ans, après l'élection du nouveau gouvernement du land de Bade-Wurtemberg et, depuis lors, nous nous rencontrons régulièrement dans le cadre de la COSAC. Le moteur européen a besoin d'un nouvel élan et l'amitié franco-allemande doit en constituer le carburant. Je voudrais saluer l'heureux hasard qui veut que notre rencontre ait lieu le même jour que celle du président et de la chancelière.

L'Europe est plus qu'une bureaucratie ; à nous de la rendre encore plus tangible dans le quotidien de nos concitoyens. En tant que représentants des Länder ; nous considérons que cela passe en particulier par la mise en place de projets concrets au coeur de nos régions.

À propos de l'avenir de l'Union européenne, je voudrai rappeler que - probablement comme en France - notre population est en grande majorité pro-européenne, mais l'on assiste aussi au développement de forces politiques qui rassemblent les mécontents contre l'Europe. Il est donc de notre responsabilité d'entendre les préoccupations de nos citoyens et d'y apporter des réponses concrètes. Face au Brexit, nous nous félicitons que les Vingt-Sept soient unis. Cet évènement pourrait même constituer un électrochoc bénéfique, propre à faire repartir l'Europe.

Pour le reste, il nous semble que l'on parle trop souvent des questions économiques et pas suffisamment de l'État de droit. Or, l'Union européenne est une communauté de valeurs. La situation en Pologne ou en Hongrie pose question quant au principe de neutralité de la justice. Nous ne pouvons rester observateurs silencieux car l'État de droit est un des fondements de l'Union.

Nous avons aussi donc besoin de positions communes face aux crises extérieures et vis-à-vis des États-Unis, de la Russie et de la Chine.

Je laisserai mon collègue Mark Speich, expert en la matière, s'exprimer sur le numérique. Je voudrais toutefois rappeler l'importance de la protection des données.

Les initiatives du président français sont suivies avec beaucoup d'attention en Allemagne et notre pays a désormais un interlocuteur pour poursuivre le dialogue et aller de l'avant dans le cadre de l'amitié franco-allemande.

Même si le terme est en apparence un peu abstrait, je crois que la question de la subsidiarité préoccupe nos concitoyens. L'Europe n'a pas besoin de s'occuper de tous les sujets tandis que certains problèmes ne peuvent être résolus plus facilement qu'au niveau européen, d'où l'importance de la Task force.

Je crois que les questions européennes doivent aussi être discutées sur le terrain, dans nos régions, en particulier dans la perspective des élections européennes de 2019.

Je terminerai en insistant sur la qualité de la coopération entre le Sénat et le Bundesrat, qui nous vaut le plaisir d'échanger aujourd'hui avec vous.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Notre premier thème est comme convenu, l'avenir de l'Union européenne. C'est un sujet sur lequel le Sénat a beaucoup travaillé.

À notre sens, le Brexit a agi comme révélateur de la menace de déconstruction qui pèse sur l'Union européenne. Alors que les Européens ont célébré l'an passé le 60e anniversaire du traité de Rome, les forces centrifuges n'ont jamais paru aussi fortes. Cette situation appelle un sursaut pour jeter les principes d'une Europe refondée sur des bases plus solides et plus en phase avec les attentes des peuples. Tel est le sens de la mission que le Président du Sénat a confié à notre commission et à celle en charge des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

L'Europe doit aujourd'hui choisir entre deux visions de ce qu'elle veut être : non pas seulement une « Europe espace », centrée sur un grand marché intérieur mais plutôt une « Europe puissance » assumant sa dimension politique.

Ici au Sénat, nous plaidons pour cette Europe puissance qui s'affirme sur la scène internationale. Pour cela, il nous semble que l'Europe doit jouer tout son rôle en matière de défense, en complémentarité avec l'OTAN. Sur ce sujet, je salue l'effort déjà accompli par l'Allemagne. L'Europe doit aussi défendre ses intérêts dans les négociations commerciales, dans le cadre notamment des nombreux traités en cours de négociation.

Nous souhaitons aussi une Europe qui s'affirme dans le domaine de l'énergie (en particulier avec North Stream 2), du numérique et de l'intelligence artificielle. La politique de la concurrence doit être actualisée en retenant par exemple une définition du marché pertinent qui permette de faire émerger des champions européens. De même, nous voulons approfondir la zone euro en réformant sa gouvernance. Nous en appelant enfin à une Europe plus proche des citoyens, ce qui implique de renforcer le rôle des parlements nationaux.

Nous sommes intéressés de savoir si ces orientations sont susceptibles de recevoir votre adhésion et nous entendrons avec beaucoup d'attention vos propres réflexions sur la relance de l'Union européenne.

Debut de section - Permalien
Guido Wolf, président de la commission des questions européennes du Bundesrat

Sur les questions énergétiques nos positions sont assez proches même si demeurent quelques divergences sur l'évaluation écologique.

Quant à la proposition du Président Macron de mettre en place un ministre des finances européen, elle rencontre effectivement des réticences en Allemagne. C'est en tous cas un sujet très débattu. Je ne suis pas certain qu'un budget de la zone euro nous apporterait plus de stabilité en cas de nouvelle crise financière. L'essentiel est de restructurer le budget de l'Union dans son ensemble face au manque à gagner laissé par le Brexit. Lors de nos derniers entretiens avec le commissaire Oettinger, il était question d'équilibrer le budget par des économies et une augmentation des contributions, à laquelle l'Allemagne est prête. La coalition devrait trouver un accord sur ce point. Voyons ensuite dans quel domaine on peut véritablement réaliser des économies, sachant que nous défendrons aussi le fait que le budget de certains programmes ne soit pas réduit et que certains soient même augmentés comme ceux en faveur de l'innovation ou horizon 2020.

Nous attendons le 2 mai, date à laquelle le commissaire fera sa proposition et marquera le véritable point de départ des discussions.

Debut de section - Permalien
Heike Raab, membre du Bundesrat

En qualité de secrétaire d'État du land de Rhénanie Palatinat, je suis très engagée dans la coopération transfrontalière, notamment avec nos voisins français. Nous vivons l'Europe au jour le jour.

Certes, il n'y a pas eu en Allemagne de discours comparable à celui du président Juncker sur l'état de l'Union ou du discours de la Sorbonne du Président Macron, ce qui s'explique peut-être par des différences de traditions. En revanche, l'Europe occupe un tiers de l'agenda Bundesrat. C'est donc un sujet de travail quotidien, ainsi que dans les parlements régionaux. Par exemple, nous avons eu récemment une audition de dix experts, nous expliquant en détail les mécanismes européens. Personne ne remet en cause la construction européenne mais celle-ci doit être plus concrète pour les citoyens. Dans notre région frontalière de la France et du Luxembourg, j'observe par exemple que les populations sont préoccupées par Schengen, notamment dans la perspective de la crise migratoire. Elles se préoccupent du rétablissement de contrôles aux frontières au sein de l'Union.

Nous nous félicitons des évolutions relatives à la directive sur le détachement des travailleurs mais les citoyens des régions transfrontalières veulent travailler ; ils veulent commercer et non s'en sentir empêchés par des lourdeurs administratives. De même, on ne comprend pas que pas la bureaucratie européenne en vienne à prendre des directives sur...la graisse des pommes frites.

La relance du moteur européen passe par l'écoute de nos concitoyens et la campagne électorale qui s'annonce constituera un véritable défi. Les seize länder ont une vision assez similaire quant à l'importance de l'Europe, mais n'oublions pas qu'il existe des forces politiques qui veulent détruire l'Europe.

Debut de section - Permalien
Mark Speich, membre du Bundesrat

La critique de l'Europe ne vient pas seulement de partis en marge du système politique. On la trouve aussi à l'intérieur des grandes formations. À la CDU, notre président est très pro-Européen mais cela ne nous dispense pas d'une lutte quotidienne pour obtenir la majorité large dont nous avons besoin pour construire l'Europe. Cela nous oblige aussi à bien savoir ce que l'on souhaite et ce que l'on attend de l'Europe.

Partons des propositions des présidents Juncker et Macron pour identifier les sujets susceptibles de faire consensus. Il faut avancer dans ces domaines plutôt que de se concentrer sur nos divergences, par exemple en matière financière. Cela nous permettra de ne pas perdre l'élan indispensable à la construction européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Benoît Huré

Je crois que notre responsabilité est aujourd'hui immense. Lorsque l'on songe aux échéances électorales qui nous attendent, on se rend compte que le débat entre responsables politiques sur les questions budgétaires est loin de suffire pour nos concitoyens. Il faut remettre le projet européen en perspective, par rapport à notre histoire et par rapport aux défis qui nous attendent ; qu'il s'agisse du risque de devenir les sous-traitants de l'Asie et de l'Amérique ou de la crise migratoire.

Il importe aussi de donner une image de l'Europe différente de celle de cette administration zélée qui intervient parfois dans des domaines où elle ne devrait pas. Il est important que nous nous rencontrions, comme il est important que nous allions au-devant de ceux qui, notamment dans certains États membres, sont tentés par l'euroscepticisme. Il faut essayer de nous comprendre. La jeunesse est elle aussi appelée à jouer un rôle essentiel dans cette compréhension mutuelle d'où l'importance des démarches comme l`Erasmus des apprentis.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Nous avons vu que les constructions que nous croyions définitives pouvaient être en fait réversibles. C'est en effet le cas de la zone euro et de l'espace Schengen. Nous avons mis beaucoup de choses en commun, mais ce n'est-peut-être pas encore assez. Si nous voulons que note édifice soit stable, il faut aller de l'avant et je souhaite que nos responsables expliquent que sur un certain nombre de sujets, la souveraineté s'exerce désormais au niveau européen. C'est le cas de l'espace Schengen : il faut changer les règles de Dublin et aller vers une reconnaissance mutuelle des décisions nationales en matière d'asile. Quel est votre position sur ce point ? Vous déboutez des personnes qui viennent ensuite chez nous dans le seul but de retourner en Allemagne. Cela n'a pas de sens !

Je connais les différences qui existent entre nos gouvernements sur la gouvernance de la zone euro et notamment sur la création d'un budget spécifique, mais ne pourrions-nous pas déjà décider que nos contributions au budget européen prendront la forme d'un impôt identique dans les deux pays, permettant ainsi de dépasser le simple versement à partir du budget national ?

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Raynal

L'adhésion au projet européen n'est plus acquise et le résultat des prochaines élections pourrait nous le rappeler. Face aux forces anti-européennes, je pense qu'il faudrait que nos deux pays puissent proposer deux ou trois idées vraiment nouvelles, et ce avant l'automne. Le rappel de l'existant et de ce qui fait consensus n'est plus suffisant pour nos concitoyens. Les avancées pourraient porter par exemple sur l'Europe sociale, sur l'union bancaire ou sur l'union des capitaux. De même, en matière économique, nous répétons à l'envie que nous sommes le plus grand marché du monde mais prenons garde au fait que les choses évoluent très vite. Nous avons quelques mois pour que l'Europe refasse rêver ses citoyens... et peut-être nous aussi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Je ferai deux observations à propos de cette idée d'une « Europe qui protège ».

En matière économique, nous sommes ici très attachés au multilatéralisme. À un moment où l'OMC est fragilisée, notamment par la décision américaine de ne pas renouveler les juges de l'organe de règlement des différends, il nous semble que l'Europe pourrait faire des propositions pour revisiter le multilatéralisme. Nous vous adresserons les conclusions des travaux que nous menons actuellement sur ce thème. Ensuite, il nous semble que dans une économie ouverte et multipolaire l'extraterritorialité des lois américaines n'est pas acceptable. Les réponses européennes sur ce sujet étaient traditionnellement freinées par l'Allemagne mais le temps est sans doute venu de passer à l'action. Il nous faut aussi rappeler sans ambiguïté à la Chine qu'elle ne constitue pas complètement une économie de marché.

Promouvoir l'Europe qui protège doit aussi nous conduire à une interrogation sur le dimensionnement de Frontex. Certes le budget de l'agence a été augmenté mais le nombre de gardes-frontières nous semble encore très insuffisant.

Debut de section - Permalien
Guido Wolf, président de la commission des questions européennes du Bundesrat

Nous avons beaucoup de sujets devant nous ! Certains sont assez spécifiques et mériteraient peut-être de recueillir les avis d'experts. La grande question aujourd'hui est de savoir ce que l'Europe doit apporter à l'avenir. Quelles ressources sommes-nous prêts à consacrer au budget européen que ce soit dans le cadre de la zone euro ou pour l'ensemble de l'Union ?

Il me semble que la crise des réfugiés nous a fait perdre la confiance de nos concitoyens. Le sentiment est que cette crise n'a pas été suffisamment gérée en commun alors que dans le même temps, la bureaucratie européenne réglemente de toutes petites questions du quotidien.

Il faut répartir les réfugiés de façon solidaire à travers tous les États membres de l'Union européenne, ce qui repose la question de l'État de droit dans certains pays.

Vous avez évoqué les limites du règlement de Dublin. Il est nécessaire que nous protégions mieux nos frontières extérieures, notamment en renforçant les moyens de Frontex. C'est comme cela que nous regagnerons la confiance des citoyens et non en remettant des frontières ou en érigeant des murs au sein de l'Union. Ce risque existe pourtant. Dans quelques mois il y aura des élections régionales en Bavière et l'on annonce la mise en place de garde-frontières bavarois !

Nous avons besoin d'atteindre les citoyens dans leurs coeurs. Nous avons besoin d'européens passionnés ! Pour moi, le fait de pouvoir passer les frontières sans montrer son passeport est quelque chose qui doit être défendu et davantage mis en avant. Certes, les contraintes de sécurité publique doivent être prises en compte - et l'on parle d'un registre européen des auteurs de crimes - mais nous devons montrer que nous sommes prêts à mettre en commun certains éléments de souveraineté. C'est plus largement vrai en matière de défense et de sécurité

L'union bancaire constitue elle aussi un objectif important. Nous avancerons d'autant mieux vers un partage des risques que ceux-ci auront été, autant que possible, réduits dans les États membres.

L'engouement des citoyens pour l'Europe dépendra aussi de notre capacité à nous attaquer au chômage des jeunes. Certes, le Bade-Wurtemberg est peu concerné mais le problème est très profond dans des pays comme l'Espagne ou la Grèce. Il faut mettre plus d'Europe dans certains domaines, pour rendre plus visible la valeur ajoutée de l'Union.

Attention au risque de ne parler que de marché intérieur. L'Europe n'est pas qu'un espace économique ; c'est une communauté de valeurs.

Lorsque certains évoquent une Europe à deux vitesses, il ne peut s'agir d'un idéal. Il existe bien sûr des niveaux de développement différents, mais nous ne devons pas nous en contenter.

Debut de section - Permalien
Mark Speich, membre du Bundesrat

Je voudrai revenir sur la situation en Roumanie, en Bulgarie et dans les Balkans d'une façon générale. Une grande partie des populations de ces pays porte un regard très critique vis-à-vis de l'Europe tandis que la criminalité atteint des niveaux préoccupants. Je retiens l'idée d'un partenariat particulier conduit par un cercle restreint d'États membres, capables d'investir dans la région pour rétablir la stabilité dont nous avons grand besoin.

En matière de défense, l'initiative française a été sous-estimée y compris en Allemagne. Les coopérations structurées permanentes ne marquent pas la fin mais seulement le début d'un processus qui doit aboutir à l'établissement d'une armée européenne. Je souscris à cette idée. Il ne s'agit plus seulement de coopérer à partir de compétences qui auraient été acquises une fois pour toutes.

Debut de section - Permalien
Heike Raab, membre du Bundesrat

il me semble que nous devons commencer par améliorer ce qui fait aujourd'hui l'objet des critiques de nos citoyens. En qualité de secrétaire d'État chargée de l'intérieur du land de Rhénanie-Palatinat, j'ai participé à de nombreuses réunions à Bruxelles. Les échanges mis en place au niveau européen concernent seulement 600 policiers alors que dans un land de 4 millions d'habitants nous en avons déjà plus de 10 000 ! Il y a quelque chose qui ne va pas.

Je suis d'avis qu'il faut sécuriser les frontières extérieures et non ériger de nouveaux murs à l'intérieur. Nous le devons à nos concitoyens mais aussi aux réfugiés, pour qu'ils ne se noient plus dans la Méditerranée. Il faut aussi s'attaquer aux causes profondes de la migration. Il faut engager une véritable stratégie africaine afin que les personnes puissent trouver du travail. Ceci renvoie à notre politique commerciale.

Les enjeux sociaux sont essentiels à mes yeux. Globalement, nous vivons bien en Europe et l'Allemagne connaît quasiment le plein emploi. Nos entreprises ne trouvent pas suffisamment de jeunes à embaucher mais c'est loin d'être partout le cas. C'est un défi auquel nous devons répondre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

J'ai entendu que le gouvernement allemand avait fait appel au cabinet de conseil McKinsey pour réfléchir à une stratégie face à la crise des réfugiés. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?

Debut de section - Permalien
Mark Speich, membre du Bundesrat

En fait, il ne s'agissait pas de l'État fédéral mais du land de Berlin qui a commandité une étude sur l'accueil des réfugiés sur son territoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Je vous propose d'aborder le deuxième thème de notre réunion. Il porte sur le prochain cadre financier pluriannuel. Claude Raynal en est le co-rapporteur au sein de notre commission des affaires européennes.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Raynal

On le sait, le prochain cadre financier pluriannuel aura une difficile équation à résoudre : comment remplir de nouvelles missions européennes et préserver les anciennes, le tout avec 13 à 14 milliards d'euros en moins à cause du Brexit ?

Je souhaiterais connaître l'avis du Bundesrat sur trois sujets :

Premièrement, plusieurs pistes de nouvelles ressources propres sont suggérées sans qu'aucune, semble-t-il, ne reçoive à ce jour un accord unanime.

Y a-t-il dans votre assemblée une préférence pour l'une d'entre elles ou estimez-vous que le débat n'est pas mûr et qu'il devra être reporté à un cadre financier pluriannuel ultérieur ?

Deuxièmement, vous représentez les länder et le Sénat représente les collectivités territoriales. Nous faisons donc cause commune en faveur d'une politique de cohésion régionale ambitieuse. Elle est tout à la fois une politique d'investissement essentielle, un outil de solidarité et enfin, étant gérée par les régions, elle est une politique proche des citoyens. Dans le prochain cadre financier pluriannuel, nous souhaitons, tout comme vous, que cette politique de cohésion continue de couvrir toutes les régions.

Toutefois, si l'on en croit le commissaire Oettinger, une réduction de l'enveloppe financière de 10 %, voire plus, risque de se dessiner : comment dans ces conditions préserver cette politique ? Faut-il instaurer de nouvelles conditionnalités ? Faut-il prévoir une réduction des objectifs thématiques (aujourd'hui au nombre de 11), faut-il procéder à une modification du taux de cofinancement entre l'Union et les États ? Sera-t-il pertinent de développer les instruments financiers, avec le risque de faire de la politique de cohésion un accessoire du Fonds Juncker sur les investissements stratégiques ?

Comment abordez-vous cette question ?

Enfin, on parle beaucoup, dans le cadre de ce futur CFP, de la notion de valeur ajoutée européenne, ou encore de biens communs européens. Ce concept sera le critère d'orientation et d'affectation des ressources du budget européen à telle politique commune et par conséquent, de non affectation (ou de réduction) pour telle autre.

Selon vous cette notion est-elle de nature à modifier l'actuelle répartition des financements en faveur de telle ou telle politique commune et si oui, lesquelles ?

Debut de section - Permalien
Heike Raab, membre du Bundesrat

En Allemagne, nous sommes tout à fait conscients que l'Union européenne doit assurer un grand nombre de nouvelles missions et dans l'accord de coalition, les partis se sont déclarés disposés à contribuer de façon plus importante au budget de l'Union. Nous espérons que d'autres pays feront de même et nous sommes attentifs aux signaux qui viennent de la France. Le Bundesrat milite en faveur d'une politique de cohésion forte avec un budget à même de soutenir les régions plus faibles et nous nous félicitons de la proposition française en faveur du renforcement des fonds structurels. Des échanges ont lieu entre le Bundestag et l'Assemblée nationale et il est important que le Bundesrat et le Sénat travaillent eux aussi ensemble. Les ministres-présidents des seize länder se sont réunis à Bruxelles avec le président Juncker et les commissaires Oettinger et Moscovici. Ces derniers ont indiqué qu'ils souhaitaient poursuivre un grand nombre des programmes au titre de la politique de cohésion.

Le 2 mai sera le jour J puisque M. Oettinger présentera sa proposition budgétaire. Ce sera aussi le début du débat de la loi de finances allemande pour 2019. Nous avons déjà entendu un certain nombre de prises de positions, notamment à propos de l'agriculture ou des réseaux transeuropéens. La poursuite d'Horizon 2020 ou d'Erasmus ont d'ores et déjà bénéficié de signaux très positifs. Pour les länder, c'est très important ! Il faut donc aussi prévoir des scénarii plus négatifs. Dans l'ensemble, bien sûr, nous souhaitons coopérer et le 15 mars dernier tous les ministres et présidents des länder ont approuvé un budget au minimum identique au précédent mais avec une volonté claire et affirmée d'augmenter ces budgets.

Les seize ministres-présidents ont aussi salué la proposition de la Commission qui prévoit d'introduire un nouveau mécanisme afin de lier la politique de cohésion à la défense de l'État de droit. Cela concerne en particulier les pays de l'Europe centrale et orientale et touche aussi la question des réfugiés. Voilà ce qui ressort de notre réunion de Bruxelles.

Debut de section - Permalien
Mark Speich, membre du Bundesrat

J'ajouterai que ce consensus n'existe pas seulement au niveau des ministres-présidents mais aussi entre nos partis politiques. Au niveau régional, nous avons aussi à faire notre autocritique afin de veiller à ce que les moyens européens disponibles aillent à des projets véritablement européens, notamment transfrontaliers. Nous estimons de plus que le bon accueil des réfugiés ou l'intégration des migrants contribue à la cohésion des sociétés et donc à l'ensemble de l'Union européenne.

Enfin, il me semble nécessaire de soumettre l'attribution de ces moyens au respect de l'État de droit.

Debut de section - Permalien
Guido Wolf, président de la commission des questions européennes du Bundesrat

Je suis aussi de cet avis. L'État de droit n'est pas interprété de la même façon partout. Or, il nous semble nécessaire qu'il y ait une homogénéité minimale sur un certain nombre de points tels que la liberté de la presse, la liberté d'opinion ou encore la séparation des pouvoirs. Nous observons des évolutions très positives y compris dans les pays des Balkans mais cela reste malgré tout limité. À la réunion de la COSAC à Sofia en début d'année, des collègues polonais ont présenté la réforme de la justice en Pologne en précisant qu'elle était soutenue par 80 % de la population et que l'Europe devait donc l'accepter !

La question essentielle de l'État de droit ne doit pas être traitée de cette façon. Elle ne peut être laissée à l'appréciation de chaque État membre. C'est une affaire européenne.

Je pense que le commissaire Oettinger est conscient de la nécessité d'en tenir compte dans l'attribution des financements européens que ce soit sous forme d'incitation ou de limitation de l'accès aux différents programmes. Il ne faut peut-être pas exclure non plus des mesures plus coercitives comme la limitation des droits de vote au sein de l'Union. Si l'on tolère des dérives, cela aura des conséquences dans nos propres pays.

Debut de section - Permalien
Mark Speich, membre du Bundesrat

La politique régionale rencontre souvent de l'opposition car l'Europe s'y montre souvent sous sa face la plus bureaucratique et ce, du fait de règles que nous avons mis en place nous-mêmes. En tant que représentants des régions ; nous souhaitons rendre ces programmes plus compréhensibles et partant, plus accessibles. Nous rendrons service à l'Europe lorsque nous pourrons expliquer sur le terrain que les règles d'attribution relèvent de notre compétence.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Cette question de l'État de droit est en effet essentielle. Nous l'avons évoqué il y a peu en Pologne où je me rendais avec le président Gérard Larcher. Il nous a semblé que nos interlocuteurs cherchaient à pouvoir sortir de la situation délicate dans laquelle ils se trouvent actuellement. Pour notre part, nous sommes prêts à mener un travail conjoint sur le sujet avec la commission des lois du Sénat. Nous en débattons régulièrement et nous recevrons encore prochainement l'ambassadeur de Hongrie en France.

Faut-il utiliser atomique que constitue l'article 7 du traité ? Certains de nos collègues nous rappelaient ce matin qu'un risque existait de jeter, ce faisant, un certain nombre d'États membres dans les bras de la Chine, tant celle-ci est active dans les Balkans et en Europe centrale.

Quoi qu'il en soit, l'Europe doit demeurer une communauté de valeurs que nous devons défendre. Par ses frappes ciblées en Syrie, la coalition a su rappeler aux Russes qu'il y avait des limites à ne pas franchir.

Nous vous tiendrons informés des travaux du Sénat sur la question de l'État de droit dans l'Union.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Je vous rejoins à propos de la complexité de la politique régionale. Bien souvent les régions ajoutent des règles aux règles, ce qui alimente les critiques de nos concitoyens alors qu'ils ont pourtant l'Europe au coeur.

Investir dans les Balkans me semble indispensable car la Chine y accroît actuellement son influence en particulier dans le cadre du 16+1.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Il est toujours difficile de mesurer l'État de droit et la situation en Hongrie au terme de la dernière campagne électorale est aussi préoccupante. Je m'inquiète aussi de voir régresser l'idée d'une citoyenneté européenne appelée à conférer de droits spécifiques et à venir s'ajouter progressivement aux citoyennetés nationales. En effet, depuis le Brexit, on semble renvoyer d'abord les citoyens, par exemple les Ecossais, à leur appartenance nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Je vous remercie et vous propose d'aborder le dernier thème de notre réunion qui concerne le numérique. René Danesi est le co-rapporteur de notre commission sur la cybersécurité.

Debut de section - PermalienPhoto de René Danesi

Je voudrais centrer mon intervention sur un sujet qui semble encore relativement technique mais dont les enjeux politiques sont réels ; il s'agit de la cybersécurité.

La Commission européenne s'en soucie d'ailleurs depuis un certain temps, ce qui l'a conduit à créer en 2004 une agence chargée de la sécurité des réseaux et de l'information (l'ENISA). En France, la montée en puissance a commencé avec la création de l'agence nationale de sécurité des systèmes d'information, l'ANSSI, en 2009, comparable au BSI, l'agence allemande.

Dans les autres pays d'Europe, il n'y pas, jusqu'à maintenant, d'équivalent de l'ANSSI ou du BSI. C'est pour cette raison que l'Union européenne a adopté, en 2016, la directive sur la sécurité des réseaux d'information.

C'est aussi dans ce contexte que la Commission européenne a présenté en septembre dernier un paquet cybersécurité au coeur duquel se trouve un projet de règlement structurant surnommé « acte pour la cybersécurité ». Ce texte est porteur d'une certaine ambition. Il propose en premier lieu de transformer l'ENISA en agence européenne pérenne et d'instaurer un cadre européen unique de certification de sécurité informatique en Europe, là où actuellement, la certification se fait au niveau national et donc avec des niveaux de fiabilité très variables. Nous avons constaté que tous les acteurs souhaitent l'adoption du règlement européen dans le but de renforcer notre cybersécurité, ce qui est une bonne chose

La proposition de résolution européenne que nous avons adoptée ce matin sur ce texte va dans le sens du rapport fait par l'eurodéputée allemande Mme Angela Niebler. Dans cette résolution, ressortent essentiellement quatre points.

Tout d'abord, nous estimons que l'ENISA devra rester au service des agences nationales mais sans s'y substituer. Elle n'en a de toute façon pas les moyens, ne disposant actuellement que de 80 salariés, contre près de 570 pour l'ANSSI.

Ensuite, il est nécessaire de renforcer une coopération entres les agences des États membres en promouvant le modèle qui a cours en France ou en Allemagne. Dans ce modèle, les agences sont chargées de la défense et de la protection des systèmes d'information, mais non de l'attaque ou du renseignement, alors que c'est le cas au Royaume-Uni et aux États-Unis.

De plus, nous en appelons à la mise en place d'un cadre exigeant qui impose des normes de sécurité élevées en évitant tout risque d'une certification au rabais, ce qui correspondrait à la fois à la tendance naturelle du marché et plutôt au modèle anglo-saxon. Cette vision nous semble être partagée par l'Allemagne et par la présidence bulgare.

Enfin, au-delà du texte en discussion, il faut réfléchir à une véritable politique industrielle en faveur de la cybersécurité. Cela passe par le soutien à l'innovation, notamment dans le cadre de partenariats public-privé mais aussi par une adaptation de notre politique de la concurrence. C'est indispensable si nous voulons faire émerger des leaders de taille mondiale

Nos deux pays qui sont en avance en matière de cybersécurité devraient pouvoir coopérer dans l'intérêt de l'ensemble de l'Union européenne.

Debut de section - Permalien
Mark Speich, membre du Bundesrat

À propos du débat qui existe sur les infrastructures numériques, je voudrai rappeler l'enjeu du temps de latence dans la transmission des données. C'est l'un des intérêts de la 5G que de réduire ce délai tout en améliorant la sécurité des réseaux, puisqu'avec cette technologie, les flux sont décentralisés.

En outre, il faut savoir que 70 % des innovations intégrées dans un iPad ont été financées par des États. Je suis très enthousiaste lorsque j'entends le président Macron évoquer la création d'une industrie numérique comparable à celle des États-Unis. Pour ce faire, il faut agir dans nombre de directions, notamment en matière d'intelligence artificielle.

On ne discute pas suffisamment de ces questions. Un enfant de trois ans peut utiliser l'iPad mais nous n'en comprenons pas le fonctionnement. Tout cela a été inventé par des ingénieurs, y compris européens, qui sont aujourd'hui aux États-Unis. Dans nos länder, les institutions existent pour travailler sur ces sujets, mais il nous manque les experts.

De plus, tous les métiers sont affectés par le numérique. Par exemple, la question se pose aujourd'hui de savoir ce que l'on attend d'un pilote de ligne. Doit-il savoir programmer son autopilote pour l'améliorer ou bien doit-il être en mesure d'intervenir en cas de défaillance technique ? Je visitais il y a peu une entreprise de Düsseldorf. L'enjeu était d'assurer à l'avenir la formation des manutentionnaires pour en faire des planificateurs logistiques. Là aussi, se posait la question des métiers de demain.

L'Europe manque de capitaux pour financer les projets en amont, là où le risque est encore très important. Face à un projet d'innovation, une entreprise familiale s'expose à un grand risque capitalistique alors qu'aux États-Unis, on trouve des fonds. Nous avons besoin d'instruments de financements européens !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Il est vrai que les innovations de rupture nécessitent beaucoup d'argent au moment où le Brexit va laisser un manque à gagner de 13 milliards d'euros dans le cadre financier pluriannuel et où l'Union doit financer de nouvelles politiques telles que la protection des frontières et la lutte contre le terrorisme.

Un instrument intéressant demeure le Fonds dit Juncker qui permet de drainer des fonds privés grâce à une garantie publique. Nous avons effectivement besoin de gros moyens face à la puissance de feu américaine qui, de surcroît, ne s'embarrasse pas de restrictions trop strictes en matière de concurrence. Ils avancent ! C'est en Europe que beaucoup d'innovations sont nées mais c'est outre-Atlantique qu'elles ont été développées économiquement et techniquement.

Nous arrivons au terme de notre réunion. Avec le président Guido Wolf, nous synthétiserons nos principales observations dans une déclaration commune. À nous maintenant de poursuivre notre programme de travail commun sur de nombreux chantiers : la subsidiarité dans le cadre du format Weimar, l'actualisation du Traité de l'Élysée, le numérique et l'intelligence artificielle - avec la question du retard européen en matière de supercalculateurs- et la réforme de la politique agricole commune. Sur ce sujet, nous avons eu hier après-midi une réunion avec les conseillers agricoles de neuf ambassades dont celle d'Allemagne. Nous avons pu observer la très grande cohérence entre nos positions. Cela devrait nous permettre, je l'espère, d'adopter une déclaration commune sur la PAC et sur les fonds de cohésion.

Nous devons aussi continuer de travailler sur l'Erasmus des apprentis, tant nous avons beaucoup à apprendre de l'Allemagne en matière de formation et matière d'apprentissage.

Debut de section - Permalien
Guido Wolf, président de la commission des questions européennes du Bundesrat

Cette réunion conjointe me confirme dans l'idée que nous devons continuer de travailler au niveau européen. C'est à cette échelle que nous pouvons faire avancer nos idées. Le projet de déclaration commune répond à notre attente. Il nous revient maintenant de poursuivre ces échanges, en particulier dans le cadre de nos travaux sur le Traité de l'Élysée. Permettez-moi d'ores et déjà de vous inviter pour une prochaine rencontre en Allemagne, à Berlin ou ailleurs.

La réunion est close à 18h15.