Je vous prie d'excuser la présidente de notre commission, retenue par le conseil d'administration de France Télévisions. Cette table ronde est organisée pour faire le bilan de la commission d'enquête de 2013 sur la lutte contre le dopage, dont Jean-Jacques Lozach était le rapporteur. Je remercie de leur présence nos invités, Mme Valérie Fourneyron, présidente de l'Autorité de contrôle indépendante de l'Agence mondiale antidopage (AMA), M. Skander Karaa, conseiller spécial de la ministre des sports, accompagné de M. Michel Lafon, chef du bureau de la protection du public, de la promotion de la santé et de la lutte contre le dopage au ministère des sports, M. Alain Calmat, président de la commission médicale du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), MM. Antoine Marcelaud, directeur des affaires juridiques et institutionnelles, et Damien Ressiot, directeur des contrôles de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD).
Je suis heureux que nous fassions le point sur la lutte contre le dopage, près de six ans après la publication de notre rapport.
En 2013, après les révélations de l'affaire Armstrong, les enjeux identifiés étaient multiples : l'équité sportive, c'est-à-dire l'égalité des chances face à la performance sportive, la santé publique, avec le recours à des produits de plus en plus dangereux, l'enjeu économique et médiatique (la fortune d'Armstrong est estimée à 100 millions de dollars, le marché international du dopage sportif à 10 milliards d'euros), l'enjeu judiciaire avec le trafic de produits illicites, l'égalité de traitement à l'intérieur des disciplines ou entre pays, notamment en termes de sanctions, ou encore l'utilisation efficace de l'argent, public ou privé, dans la lutte antidopage.
Notre commission d'enquête avait abouti à soixante propositions ; il me semble important que nos échanges permettent d'identifier les avancées majeures et les principaux obstacles qui restent à franchir. La synthèse du rapport de la commission vous a été distribuée. Vous y retrouverez les principales propositions regroupées en sept piliers : connaître, prévenir, contrôler, analyser, sanctionner, pénaliser et coopérer.
Mon sentiment, c'est que la lutte contre le dopage n'a pas été hissée au rang d'objectif prioritaire de nos politiques publiques. Certes, c'est une politique qui fonctionne, mais la reconnaissance d'une culpabilité collective n'a pas eu lieu. Le soupçon n'a cessé de s'étendre à de nouvelles disciplines et pratiques, et les dérives des fédérations russes ne sont pas rassurantes sur les agissements dans d'autres pays.
Heureusement, des progrès ont été réalisés, qui améliorent l'action de l'AFLD : la procédure de reconnaissance de culpabilité, la commission des sanctions indépendante, le futur laboratoire de Saclay, le Plan national de prévention du dopage et des conduites dopantes 2015-2017.
Nous avions pointé les difficultés auxquelles la lutte antidopage était confrontée : la loi du silence, l'internationalisation des trafics, la livraison par Internet, les pressions politiques et la complicité institutionnelle, les difficultés de détection par exemple de l'autotransfusion sanguine, l'apparition de nouveaux produits individualisés, l'audiovisuel peu motivé pour des campagnes d'information, la formation des sportifs de haut niveau. Avons-nous surmonté tout ou partie de ces difficultés ?
Certains chantiers ont avancé sans nécessairement aboutir, notamment la prévention qui constituait une de nos préconisations majeures. La commission d'enquête avait souhaité que 1'AFLD retrouve une compétence en matière de prévention. Mme la présidente de l'Agence évoquait dernièrement son action en matière d'information et d'éducation des sportifs et de leurs encadrants sur les dangers du dopage et leurs droits et devoirs. Il me semble que la prévention est encore dispersée entre différents acteurs, ce qui ne constitue pas un gage d'efficacité.
Un second chantier concernait les modalités de contrôle ne reposant pas sur des analyses biologiques, les preuves non objectives. Nous savons tous qu'il est difficile de confondre les contrevenants et que les enquêtes doivent croiser les éléments de preuve. Avons-nous pu sérieusement progresser dans ce domaine ?
Voilà, pour commencer ce débat, quelques points d'interrogation. Nous aurons certainement l'occasion de revenir sur le transfert des activités de contrôle des conseillers interrégionaux antidopage (Cirad) à l'AFLD.
En 2013, j'avais été auditionnée comme membre de l'AMA, où je représentais le continent européen. Aujourd'hui, je préside l'Autorité de contrôle indépendante, ou International Testing Agency, qui est une fondation indépendante. L'AMA joue un rôle majeur de définition des règles communes à tous : athlètes, fédérations internationales, pays, laboratoires, médecins contrôleurs, etc. L'agence que je préside depuis 2018 réalise les contrôles antidopage. Dès 2015, le mouvement olympique s'est demandé comment confier le contrôle antidopage à une structure indépendante du mouvement sportif et des États, afin d'éviter tout conflit d'intérêts. Or la lutte antidopage, de plus en plus complexe, nécessite une très large expertise scientifique, de recherche et d'évaluation des risques, dont les fédérations n'ont généralement pas les moyens.
À la suite de l'affaire russe, un groupe constitué de représentants des États, du mouvement sportif et des agences nationales a préfiguré l'outil qu'est devenue l'Autorité de contrôle indépendante. Cette fondation suisse, dont le capital a été apporté par le CIO, comprend un conseil d'administration dont les cinq membres sont nommés selon un processus indépendant, et surtout une direction opérationnelle, composée aujourd'hui de 25 personnes de 16 nationalités différentes, avec l'objectif ambitieux que tous les athlètes soient traités de la même façon. Le département des tests réalise le planning des contrôles antidopage en compétition et hors compétition, sur la base d'une évaluation des risques combinant plusieurs paramètres. Un département scientifique médical réalise des recherches en matière de contrôle antidopage. Nous comptons également un département juridique et un département support.
Aujourd'hui, quarante fédérations internationales et une grande partie des organisateurs d'événements sportifs internationaux nous ont confié en totalité ou en partie leur programme antidopage. Ce n'est pas une obligation, même si certaines fédérations sont incitées à nous rejoindre du fait de leur histoire, comme récemment le biathlon. Nous sommes au service du mouvement sportif, des agences nationales, comme ce sera le cas avec l'AFLD au moment des JO de Paris, avec tout un travail essentiel de partage, de collaboration, d'expérience.
Ma première mission ne fut pas la plus facile, puisqu'il s'agissait d'accompagner le CIO pour déterminer quels athlètes russes pouvaient concourir à PyeongChang sous drapeau neutre, nous conduisant à écarter les athlètes russes médaillés à Sotchi.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'avais également été auditionné par votre commission d'enquête et, cinq ans après, beaucoup de choses ont changé. Où en sommes-nous au plan de l'action antidopage du CNOSF et plus particulièrement de la commission médicale ?
Le CNOSF joue un rôle de prévention, de connaissance, de coopération essentiel puisque nous sommes au centre du mouvement sportif, notamment au moment des JO. Ces missions se sont améliorées récemment grâce à une collaboration étroite avec l'AFLD et le ministère. Le colloque annuel pour un sport sans dopage se tiendra le 29 mars prochain. Des actions ont été menées aussi au niveau de la formation des sportifs - je pense au système de localisation. La coopération progresse avec le ministère, l'AFLD et le mouvement sportif, et il faut s'en féliciter.
Le CNOSF a créé une commission des athlètes de haut niveau. Il a réalisé une fiche pratique destinée à informer les sportifs et les fédérations en six points sur la lutte antidopage.
La création de l'autorité de contrôle indépendante que vient de présenter Mme Fourneyron nous rassure, le CNOSF étant chargé d'assurer la santé des athlètes. Au plan international, ceux-ci doivent savoir qu'une certaine éthique est appliquée. Ils sont ainsi moins incités au dopage. Nous cherchons à développer la santé et l'éthique du résultat. Or nous sommes préoccupés par les nouvelles façons de se doper. Je pense à l'intersexualité liée au taux de testostérone chez certaines femmes, au fameux chromosome de l'hyperhémoglobine, au dopage génétique qui pourrait advenir par la modification aisée de quelques nucléotides... Les commissions médicales doivent être très attentives à ces évolutions.
La sensibilisation générale à la lutte contre le dopage est également essentielle, surtout en période préolympique, et les messages doivent être délivrés par des spécialistes crédibles, au-delà du simple marketing.
Je me réjouis de participer à cette table ronde. La commission d'enquête de 2013 a réalisé un travail colossal sur la question du dopage et formulé soixante propositions dont certaines, et non des moindres, ont trouvé une traduction dans le système français, en lien avec les exigences de l'AMA.
Je rappellerai d'abord les enjeux actuels de la lutte contre le dopage et le souhait de la ministre des Sports, Roxana Maracineanu, de poursuivre une politique ambitieuse et volontariste en la matière. La France s'attache à respecter ses engagements internationaux, en l'occurrence la convention internationale de l'Unesco. Dans le contexte des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, de l'accueil de certains grands événements sportifs internationaux, notre pays doit être en mesure d'adopter les mesures liées au code mondial antidopage. Au plan international, la gouvernance de l'AMA a évolué et l'Autorité de contrôle indépendante a été créée. La France participe activement à différents travaux des organisations internationales, à l'Unesco, au Conseil de l'Europe et au sein de l'Union européenne. L'intensification de la présence française au plan international sera l'un des défis des prochaines années.
Au plan national, notre ministre a fait de la lutte contre les dérives du sport un axe fort de son action politique. La lutte contre le dopage en est un élément essentiel, avec des enjeux sportifs et sanitaires pour les sportifs, professionnels et amateurs. Cette politique ministérielle est portée avec ambition, en lien étroit avec l'ensemble des partenaires concernés, en particulier l'AFLD, dont le travail est reconnu au plan international, le CNOSF, le comité paralympique et plus largement le mouvement sportif, qui organisent un colloque de référence chaque année.
Sur le fond, cette politique de lutte contre le dopage repose sur une organisation fondée sur trois axes. Le premier, la prévention, c'est connaître, prévenir, c'est-à-dire mieux sensibiliser pour faire changer les comportements. Le deuxième, la dissuasion, c'est une analyse irréprochable, un contrôle antidopage renforcé, inopiné. Le troisième, la répression, c'est pénaliser avec des sanctions fermes et une lutte contre les trafics qui relève des missions de l'Agence mais aussi de l'État, avec en particulier l'action de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp) et des Cirad.
J'en viens au bilan de ces dernières années au ministère des sports. Concernant la prévention, la dissuasion et la répression, il est possible de résumer la stratégie du ministère en trois moyens d'intervention : la réglementation, le financement et la prévention.
Le troisième code mondial antidopage de 2015 a été transposé en France en deux temps, en 2015-2016 puis en 2018-2019, à la suite d'un audit ayant révélé des points de non-conformité, dans les deux cas par voie d'ordonnances. Une ordonnance de juillet 2018 a créé la commission des sanctions au sein de l'AFLD, maintenant distincte de l'organe de poursuites. Le projet de loi de ratification de l'ordonnance du 19 décembre 2018 sera présenté en conseil des ministres le 6 mars prochain et le décret d'application est en cours d'examen au Conseil d'État. Ces transpositions sont le fruit d'un travail fructueux entre tous les acteurs. Il a fallu trouver un équilibre, avec le Conseil d'État, entre les spécificités du code mondial, d'inspiration anglo-saxonne, et notre ordre juridique institutionnel. C'est un beau cas d'école.
Sur le fond, il y a eu beaucoup d'avancées significatives en matière de contrôles et de sanctions. Les marges de manoeuvre et l'indépendance de l'Agence ont été renforcées, avec certaines possibilités de contrôles à l'étranger, l'extension du champ des compétitions, l'élargissement des contrôles de jour et l'introduction de contrôles de nuit s'appuyant sur le code mondial antidopage évoquant un contrôle en tout lieu et à tout moment. Le dispositif est encadré, puisque des soupçons graves et concordants de risque de pratiques dopantes sont nécessaires pour enclencher ce type de contrôle. L'accord du sportif est requis et, en cas de refus, l'intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) est prévue.
Les Cirad évoluent, sous l'autorité du directeur de l'Agence, avec en filigrane une évolution administrative pour ses agents. Michel Lafon pourra vous apporter des éclaircissements sur ce point.
L'indépendance du pouvoir de sanction s'est accrue avec la fin de la compétence disciplinaire des fédérations au profit de l'Agence, la simplification et la célérité des procédures, l'uniformisation des sanctions et l'élimination des conflits d'intérêts. À mon sens, les fédérations doivent rester associées à la procédure de sanction, car elles ont un rôle important à jouer en matière de prévention. Je ne reviens pas sur l'indépendance de l'AFLD. Enfin, la compétence du tribunal arbitral du sport (TAS) a été actée pour les manifestations internationales et les sportifs de niveau international, en vue d'harmoniser les sanctions au niveau mondial, à la demande de l'AMA. La répression des sportifs et de leur entourage a été renforcée avec l'association interdite, l'aide substantielle, le plaider-coupable... L'enjeu est maintenant de rendre accessible cette transposition du code mondial aux premiers intéressés que sont les sportifs.
Le soutien financier de l'État a été renforcé au niveau national et international. La France a financé l'AMA à hauteur de 750 000 euros en 2018. La subvention de l'AFLD a augmenté pour atteindre 9,59 millions d'euros au titre de 2019. Surtout, le laboratoire déménagera sur le campus d'Orsay et sera opérationnel en 2023 pour la Coupe du monde de rugby et les Jeux olympiques et paralympiques de 2024. L'objectif est de disposer d'un laboratoire de pointe développant des activités de recherche et de coopération internationale. Le ministère a souhaité que le choix du site relève d'un processus transparent et d'une évaluation des candidatures par des experts indépendants, selon des critères objectifs.
Deux plans nationaux de prévention du dopage se sont succédé depuis 2013, en s'inspirant du rapport. En 2015-2017, je citerai l'action à l'égard des jeunes à l'école, une campagne d'information destinée aux pharmaciens sur la prise accidentelle de médicaments ou les compléments alimentaires avec l'élaboration d'une norme Afnor qui pourrait être portée au niveau européen en 2020, des études confiées à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), etc. J'ajoute la réforme des antennes médicales de prévention du dopage (AMPD) en 2017.
Un nouveau plan de prévention est en préparation pour les années 2019-2024 ; l'un de ses enjeux sera la meilleure coordination des actions de prévention entre l'ensemble des acteurs. Il sera piloté par le ministère et confiera un rôle accru de l'AFLD concernant les sportifs de haut niveau, et je salue à cet égard la création d'un comité des sportifs. Les fédérations auront aussi un rôle extrêmement fort à jouer, avec des référents intégrité. Le guide de l'intégrité élaboré récemment par le comité olympique constituera également un outil très utile.
Je conclurai en citant une phrase du rapport de 2013 : « le fait de parler de dopage ne nuit pas au sport, mais contribue au contraire, à moyen et à long terme, à lui redonner ses lettres de noblesse. Ne pas en parler, c'est souvent ne rien faire. » C'est cette philosophie qui doit aujourd'hui nous guider pour porter une action collective en matière de lutte contre le dopage.
Bon nombre des soixante propositions du rapport de la commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage de 2013 ont été suivies d'effet, notamment en matière d'exercice du pouvoir disciplinaire, de contrôle antidopage et de prévention.
L'AFLD, dont l'action au plan national s'inscrit pleinement dans le concert international de la lutte contre le dopage, s'est attachée au cours des deux dernières années à renforcer l'efficacité de la procédure antidopage. Elle s'est impliquée dans l'élimination des conflits d'intérêts réels ou apparents dans l'exercice du pouvoir disciplinaire antidopage. Outre la suppression de la compétence disciplinaire des fédérations sportives, une commission des sanctions a été créée au sein de l'AFLD pour séparer la poursuite du jugement. Cette commission fonctionne depuis le 1er septembre 2018 ; elle a tenu dix réunions et examiné plus de soixante-dix affaires. Ce mouvement de limitation des conflits d'intérêts s'est amplifié à l'international avec la création de l'International Testing Agency.
Par ailleurs, conformément aux préconisations de la commission d'enquête, l'ordonnance de 2015 avait déjà porté à quatre ans la durée des interdictions, aggravant les barèmes de sanctions pour les manquements les plus graves.
Elle a intégré dans notre droit la possibilité pour un sportif repenti d'apporter une aide substantielle, en participant à la découverte d'autres violations des règles antidopage, avec pour contrepartie un aménagement de sa sanction et un sursis à exécution de la durée d'interdiction. De plus, l'association interdite, issue du code mondial antidopage, interdit aux sportifs de recourir aux services professionnels de personnes qui ont fait l'objet d'une sanction pour violation des règles antidopage.
La récente ordonnance du 19 décembre 2018 a aussi introduit dans le code du sport plusieurs mécanismes qui renforcent le volet répressif de la lutte antidopage : elle a notamment ouvert la possibilité pour un sportif de renoncer à l'audience disciplinaire, selon un mécanisme inspiré de la composition administrative telle qu'elle s'exerce pour l'Autorité des marchés financiers. Cette procédure permet de gagner en rapidité dans l'intérêt de tous, y compris celui du sportif qui sera fixé plus rapidement sur son sort et dont la sanction s'exécutera dans des délais courts, de sorte qu'il pourra réintégrer d'autant plus vite la compétition. Cette procédure qui se combinera avec des modalités de réduction ou d'aménagement des sanctions, a aussi un intérêt économique, puisqu'elle devrait réduire les frais de représentation du sportif devant la commission des sanctions. Elle limitera également le nombre d'affaires qui seront présentées, ce qui réduira mécaniquement les délais de traitement des dossiers, améliorant globalement l'efficacité du processus disciplinaire. Enfin, elle réduira l'incertitude des contentieux.
L'ordonnance du 19 décembre a introduit la possibilité du recours au Tribunal arbitral du sport, avec pour objectif l'harmonisation des sanctions à l'international. Enfin, la réforme des autorisations d'usage à des fins thérapeutiques doit aussi participer à cette homogénéité, en permettant aux sportifs de haut niveau de pouvoir recourir à des traitements médicaux, selon les mêmes règles pour tous. Les sportifs de haut niveau national et international continueront de pouvoir bénéficier d'une autorisation d'usage à des fins thérapeutiques et, bien sûr, d'une autorisation rétroactive dans les cas prévus par le code du sport et le code mondial antidopage. Les sportifs de niveau international auront toujours accès à une autorisation d'usage préalable rétroactive. La raison médicale, exception française qui permettait à tout sportif de faire valoir un dossier médical devant la commission des sanctions est supprimée au profit de ces deux mécanismes.
La plupart de ces évolutions découlent de l'audit de conformité auquel l'AFLD a été soumise en mai dernier, et qui répondait au standard récemment adopté pour la mise en conformité des signataires de l'AMA. Les règles de l'AMA étant d'abord conçues pour les sportifs de haut niveau, l'AFLD a davantage orienté vers eux son programme annuel des contrôles pour 2019, même si 30 % restent dirigés vers le sport amateur. Cette évolution devrait renforcer le caractère dissuasif de la lutte contre le dopage tout en développant la prévention, en cohérence avec le plan de prévention du ministère des Sports qui s'adresse à un public plus large.
Les Jeux olympiques et paralympiques de 2024 constituent un objectif primordial pour le système antidopage français, dans la mesure où ils devraient contribuer au rayonnement du laboratoire français. Comme l'indiquait M. Castex lors de sa récente audition par votre commission, l'un des indicateurs de la réussite de ces Jeux sera le nombre de médailles qui auront été remportées par nos sportifs, et il incombe à l'AFLD d'accompagner cette génération d'athlètes en leur assurant une éducation antidopage performante et en leur inculquant la culture du sport propre, seule à même de garantir la sincérité de leurs performances. Par conséquent, l'AFLD s'est dotée en 2018 d'un département « Communication et prévention », qui sera chargé de mettre en oeuvre la procédure définie par le collège de l'agence. Ce département active d'ores et déjà ses réseaux. Ses initiatives seront soutenues par le comité des sportifs de l'AFLD, organe consultatif récemment créé. L'AFLD a déjà pris contact avec la future Agence du sport pour la sensibiliser aux enjeux de la prévention. Enfin, l'agence doit prévoir la construction d'un dispositif de contrôle aux dimensions de l'événement des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, ce qui implique le recrutement de préleveurs et d'escortes et le renforcement de leur formation.
Madame Fourneyron, n'y a-t-il pas un risque à ce que l'Agence de contrôle internationale soit financée par ses propres clients, à savoir les fédérations ou les organisateurs ? L'AFLD devrait voir ses prérogatives augmenter, puisqu'elle sera dotée d'un pouvoir de sanctions. Comment s'organisent les autres pays ? Y a-t-il des agences qui fonctionnent sur notre modèle ? Le ministère a-t-il obtenu des résultats concrets dans la lutte contre les sites de produits anabolisants ? Combien d'entre eux ont été fermés ? Quelles sanctions ont été prises ? Enfin, le rapport préconisait d'établir une procédure de validation des calendriers sportifs par le ministère des Sports. Dans certains sports, comme le rugby, un calendrier de compétitions surchargé peut inciter à la prise de produits anabolisants. Le ministère a-t-il pu faire des recommandations à ce sujet, malgré les lourds enjeux extra-sportifs que constituent entre autres les droits télévisuels ?
L'AFLD a connu une évolution positive avec la mise en place de cette commission des sanctions indépendante, et la séparation des fonctions de poursuite et de jugement dans les affaires de dopage. L'an dernier, une partie des préleveurs a mené une fronde en raison d'une baisse de revenus liée à la nouvelle grille tarifaire. Qu'en est-il désormais ? Comment l'agence fait-elle face aux innovations ingénieuses qui fleurissent en matière de dopage ? Enfin, la décision de réintégrer la Russie dans l'AMA me semble précipitée et incompréhensible. Ce manque de transparence ne porte-t-il pas atteinte à la crédibilité de l'AMA ?
Une équipe du CNRS, en collaboration avec des médecins de l'Association internationale des fédérations d'athlètes, a développé un outil numérique capable de détecter un éventuel usage de substance illicite par un sportif. Cette découverte a été saluée par un trophée de l'INPI. Grâce à ce modèle informatique, il serait possible de repérer, avant même l'ouverture d'une enquête, les athlètes dont les performances ont évolué de façon anormale. On utiliserait pour cela des banques de données recensant plusieurs années de résultats de compétitions internationales. Qu'en pensez-vous ? Une des principales carences de la lutte antidopage réside dans les nombreuses zones grises qui subsistent, certaines régions du globe échappant encore complètement à la lutte antidopage, ce qui est source d'inégalités. Pourriez-vous nous dresser un rapide état des lieux ?
Monsieur Savin, l'Autorité de contrôle indépendante dépend d'une agence à but non lucratif, ce qui signifie que chacun des organisateurs d'événements paie le coût réel du contrôle de son programme. Il leur appartient de respecter leurs obligations en tant que signataires du code mondial antidopage et d'y mettre les moyens en interne, même s'ils ont délégué leur programme à notre structure. Nous veillons cependant à améliorer la rentabilité de nos contrôles et à en amoindrir les coûts en travaillant simultanément avec plusieurs fédérations, dès que nous en avons l'occasion. Enfin, l'équilibre financier de l'agence devrait être atteint au bout de trois à cinq ans. Les frais de création pour les locaux ou l'équipement ont été pris en charge par une subvention du CIO, grâce à une enveloppe réservée résultant de la déclaration du 5 décembre 2017.
Toutes nos agences nationales doivent pouvoir bénéficier des services de préleveurs toujours mieux formés. Elles doivent les valoriser à l'occasion de grandes compétitions comme la Coupe du monde de rugby ou les Jeux olympiques et les inciter à toujours plus de qualité. Dans les compétitions internationales, nous avons besoin d'un pool de contrôleurs capables de parler plusieurs langues. En valorisant ainsi le pays d'où ils viennent, ils transmettront un héritage et inciteront chacun à participer à la lutte antidopage. Le sujet est majeur. Les préleveurs doivent être mis en valeur, leur rémunération et la prise en charge de leurs déplacements améliorées.
Je ne ferai pas de commentaires sur la décision de l'AMA concernant la Russie. J'ai quitté l'agence en 2016 et ma seule responsabilité a été de décider quels athlètes russes pouvaient participer aux Jeux olympiques de Pyongyang sous drapeau neutre. Quoi qu'il en soit, nous n'aurions pas pu mettre à plat le dopage institutionnel comme nous l'avons fait à Pyongyang si le département « Intelligence et investigations » de l'AMA n'avait pas été créé. La commission de conformité a également joué un rôle essentiel. L'AMA a enclenché une procédure de révision du code mondial antidopage qui sera votée en novembre prochain et entrera en vigueur au 1er janvier 2021.
Madame Jouve, la recherche est primordiale. Nous favorisons le développement de groupes communs qui travaillent sur une approche scientifique plus qualitative, fondée sur le partage des données. Nous travaillons aussi sur de nouvelles méthodes de prélèvement comme la goutte de sang au bout du doigt.
Les zones grises existent effectivement. La France consacre beaucoup de moyens à la lutte antidopage, les pays européens aussi ; mais il existe un seul laboratoire en Afrique. Faut-il exiger le même niveau de moyens publics dans des nations dont les conditions sont plus précaires que les nôtres ? Je n'en suis pas certaine. Tout est question d'organisation.
Le mouvement sportif se félicite du transfert des sanctions à l'AFLD. On évite ainsi les conflits d'intérêts tout en favorisant l'égalité entre les fédérations. En matière de calendrier, le rugby en prend plein la tête, excusez-moi du terme...
Il ne faudrait pas se tromper de sujet. C'est moins le calendrier surchargé qui est en cause que la nature même de ce sport, qui doit évoluer et qui a d'ailleurs commencé à le faire. Malheureusement, la France n'est pas la seule nation aux commandes. Cependant, les Néozélandais souhaitent eux aussi transformer les règles du rugby pour éviter des gestes dont les conséquences peuvent être graves pour la santé des joueurs. On parle beaucoup de la commotion cérébrale, en ce moment. Des travaux sont en cours, des rapports, des colloques où interviennent des spécialistes. La recherche porte sur l'ensemble des sports dits à risque. Il faudrait élargir cela à l'ensemble des risques physiques induits par le sport.
Les possibilités se développent aussi en matière de prévention dite secondaire et tertiaire : des gens qui souffrent d'un handicap ou d'une maladie chronique peuvent désormais pratiquer une activité sportive. Toutes les fédérations ont l'obligation de se doter d'un comité sport-santé en charge de déterminer les améliorations techniques à apporter pour que la santé des sportifs ne soit pas mise en danger. L'enjeu est beaucoup plus large que la compétition ; il s'agit du sport dans son acception la plus large.
Enfin, Madame Jouve, le passeport sanguin des sportifs remplit les mêmes fonctions que l'appareil que vous mentionnez. Il montre l'évolution des éléments sanguins du sportif à partir d'une simple prise de sang.
La mise en place des conseillers interrégionaux antidopage (Cirad) date de mai 2014. L'activité est montée en puissance en 2015 et s'est concrétisée sur le terrain à partir de 2016. Toutes les régions disposent d'une commission régionale de lutte contre les trafics et la moitié d'entre elles ont construit des plans d'action pour lutter contre le trafic de substances. La mise en place a donc été assez rapide. En trois ans, des liens se sont noués avec les douanes et les parquets. En 2017, on a recensé 40 réunions opérationnelles avec les ministères de la justice et de l'intérieur pour mener des opérations, et 45 opérations menées sur le terrain. Entre 2016 et 2017, le nombre de sollicitations auprès des parquets au nom de l'article 40 a augmenté de 17 à 23, dont 14 ont été suivis par les parquets. Pas moins de 48 saisies de produits ont été réalisées en 2017. L'activité se construit autour d'un réseau territorial de plus en plus efficace.
Il n'en reste pas moins que les Cirad se heurtent à des difficultés. Ce sont des agents de l'État, placés au niveau des services régionaux, pour mener une double activité, consistant d'une part à diligenter les contrôles en matière de lutte contre le dopage sous la responsabilité fonctionnelle du département des contrôles de l'AFLD, d'autre part à lutter contre les trafics.
Les Cirad estiment qu'ils ont besoin d'une liaison avec les contrôleurs pour pouvoir mener des opérations de terrain. D'où leur opposition à l'évolution de la politique de contrôle imposée par l'AMA avec un ciblage à 70 % sur le sport de haut niveau, alors que les trafics se développent surtout dans les salles de remise en forme ou bien dans le cadre de pratiques un peu périphériques.
Enfin, à la suite de son audit, et dans un souci d'indépendance, l'AMA a exigé que les agents qui diligentent les contrôles soient placés sous l'autorité hiérarchique de l'AFLD. Ces dispositions doivent être mises en oeuvre au 1er mars 2019, ce qui laisse peu de temps. Le transfert se fera en deux étapes, avec un objectif d'évolution du nombre d'ETP de l'AFLD à 4 dans le projet de loi de finances pour 2020, et la mise à disposition de Cirad auprès de l'AFLD à titre gracieux par la direction des ressources humaines des ministères sociaux, en 2019. L'AFLD sera sollicitée, dès demain, sur le contenu de la convention et sur la lettre de mission type proposée aux agents qui seront chargés de diligenter les contrôles. Il nous restera à solliciter individuellement chacun des Cirad pour leur expliquer l'intérêt du dispositif de transition qui leur permettra de poursuivre leur activité jusqu'à la fin de 2019, dans l'attente de nouveaux dispositifs. Un courrier a déjà été adressé à tous les directeurs régionaux pour les sensibiliser à cette période de transition.
Monsieur Savin, la loi fait déjà le lien entre la santé des sportifs et le calendrier des compétitions, puisqu'elle exige des fédérations qu'elles veillent à ne pas mettre la santé de leurs adhérents en danger par des programmes d'entraînement ou de compétitions trop intensifs. Ce fondement légal responsabilise les fédérations. Je crois qu'en la matière le dialogue sera plus efficace que de faire valider par le ministère un calendrier qui relève de l'autonomie des fédérations sportives. Tout est question d'équilibre.
Récemment, des actions fortes ont été menées dans le monde du rugby. Elles trouveront leur aboutissement dans un symposium qui se tiendra fin mars à Paris, avec pour sujet les accidents et les commotions cérébrales qui se produisent dans le rugby. La ministre souhaite accompagner les acteurs pour faire évoluer les règles du jeu, mais aussi les catégories, la formation et le contrôle. Le ministère travaille sur un plan « Commotion cérébrale » qui devrait associer des sociétés savantes et des acteurs du monde sportif.
Le code mondial antidopage a vocation à s'appliquer sur l'ensemble de la planète, avec les mêmes règles pour tous. L'AMA s'est dotée, en avril 2018, d'un standard pour la conformité, de sorte que l'ensemble des signataires doivent proposer la renonciation à l'audience ou composition administrative en France, et doivent utiliser les mêmes barèmes de sanctions. Le système est donc a priori harmonieux, même si tous les pays n'ont pas encore fait l'objet d'un audit.
Des études ont été récemment médiatisées qui proposent de nouvelles méthodes statistiques pour prédire des résultats sportifs anormaux. Ces indicateurs ne sont pas encore reconnus comme étant des méthodes de détection du dopage, et ils ne font pas partie de l'arsenal de détection. En revanche, si les tricheurs innovent, la détection sait aussi le faire : le passeport biologique a fait ses preuves auprès de fédérations internationales. Même s'il n'y a pas de cas avéré, la possibilité d'un dopage génétique existe et l'AMA est prête à relever le défi. La science progresse aussi sur les fenêtres de détection des pratiques avec les micro doses, plus difficilement détectables.
Les préleveurs sont les premières personnes qui représentent l'agence sur le terrain, au contact des sportifs. Nous avons effectivement revu le barème des vacations pour atténuer les effets de seuil. Nous avons aussi mis en place un nouveau logiciel pour l'organisation de nos contrôles. La situation est apaisée et notre système de prélèvements fonctionne parfaitement.
L'agence a toujours souhaité professionnaliser l'acte du prélèvement, car il détermine toute la solidité de procédure. D'où nos efforts en matière de formation et d'évaluation des préleveurs. Nous travaillons pour l'instant avec 210 préleveurs. Le rapport préconise que nous gagnions en qualité en diminuant leur nombre. Nous avons élargi le spectre des compétences pour les profils des personnes qui pourraient faire des prélèvements en y incorporant notamment des anciens officiers de police judiciaire ou des professionnels de santé. Ces gens qui interviennent sur le terrain nous rapportent des informations essentielles.
Notre objectif prioritaire reste Paris 2024. Nous devons former du personnel compétent dans cette optique. Nous allons envoyer des préleveurs aux Jeux olympiques de Tokyo l'été prochain, à la demande du comité d'organisation japonais, pour leur donner une expérience en matière olympique. Enfin, nous avons mis en place des statuts professionnels avec trois préleveurs qui travaillent à plein temps pour l'agence.
La situation des Cirad s'annonce complexe pour l'année 2019 qui sera de transition, avant que l'agence puisse engager des préleveurs qui monteront des opérations de contrôle. Nous allons essayer de tenir les objectifs de notre plan annuel des contrôles. Un certain nombre de Cirad ont déjà pris des engagements professionnels face à l'incertitude de leur métier. Nous trouverons une solution.
Les calendriers fédéraux jouent un rôle très important dans notre stratégie de ciblage des contrôles. Nous n'avons aucune qualité pour les valider, mais ils nous fournissent des données essentielles en matière de temps, de charge de travail ou de récupération. Nous nous référons, pour chaque sport, au standard de l'AMA, afin d'identifier les périodes propices aux contrôles. Par exemple, nous savons exactement à quel moment de leur entraînement les rugbymen sont les plus exposés à la tentation de prendre des produits exogènes, et c'est à ce moment-là que nous programmons des contrôles inopinés.
Nous siégeons dans les commissions de lutte contre les trafics. Le phénomène est très important. Il s'agit de déterminer la qualité des personnes impliquées et de savoir si elles répondent à l'identité du sportif, telle qu'elle est définie par le code du sport. La législation qui existe en France est un atout considérable, notamment dans la perspective des compétitions internationales à venir. Beaucoup de fonctionnaires dans différentes administrations sont d'ores et déjà sensibilisés à la problématique de l'antidopage. Ils connaissent les produits et sont formés. C'est un atout dont il faudra user. Je rappelle que parmi les grandes compétitions à venir, il y a aussi la Coupe du monde féminine de football qui aura lieu très prochainement en France et qui constitue un événement majeur.
Un volet physiologique était initialement prévu dans le cadre du passeport de l'athlète. Il n'a pas encore vu le jour, et il reste encore beaucoup de travail à faire. Quoi qu'il en soit, nous avons la volonté de suivre les performances des athlètes de très haut niveau, de les noter et de souligner les incohérences majeures afin d'intervenir le plus rapidement possible.
Enfin, sur le développement d'un axe d'investigation dans notre département des contrôles, je vous informe que mon adjoint est un officier de gendarmerie détaché. Je peux aussi m'appuyer sur un policier mis à disposition par la police nationale. Fort de son expertise d'investigation, il s'occupe des contrôles inopinés. Ce sera l'un des chantiers majeurs à venir du département des contrôles.