NOMINATION DU BUREAU ET DES RAPPORTEURS
Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 s'est réunie au Sénat le lundi 18 novembre 2014.
La commission mixte procède d'abord à la désignation de son bureau, qui est ainsi constitué : M. Jacky Le Menn, sénateur, président ; Mme Catherine Lemorton, députée, vice-présidente ; M. Yves Daudigny, sénateur, rapporteur pour le Sénat, M. Gérard Bapt, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale.
DISCUSSION GÉNÉRALE
Le Sénat a rejeté le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 jeudi 14 novembre par 189 voix contre et 139 voix pour, après en avoir rejeté la deuxième partie, relative à l'exercice 2013, puis la troisième partie, relative aux recettes et à l'équilibre général pour 2014, ce qui a entraîné le rejet de la quatrième partie, relative aux dépenses, conformément à la loi organique. Cela témoigne d'un profond désaccord entre nos deux assemblées.
Notre rapporteur général, Yves Daudigny, présentera les différents votes intervenus au Sénat sur la troisième partie, dont certains articles ont été adoptés conformes, mais d'autres, parmi les plus importants, modifiés ou supprimés. Cela éclairera chacun sur les conditions dans lesquelles est intervenu, avec des motivations parfois différentes, voire contradictoires, le rejet d'ensemble sur le texte.
Je vous rejoins. Comme sur le projet de loi relatif aux retraites, nous nous retrouvons avec une différence profonde entre nos deux assemblées. Il semble a priori difficile de parvenir à un accord.
Au terme de trois jours de séance, le Sénat n'a formellement adopté que la première des quatre parties de ce texte, consacrée aux comptes des régimes obligatoires et du régime général pour 2012, sans en examiner la quatrième, qui comportait 56 des 87 articles. En dépit du rejet des deuxième et troisième parties, il me semble nécessaire d'en détailler brièvement les conditions d'examen.
Avec des majorités disparates, le Sénat a d'abord supprimé 10 des 29 articles du texte des deuxième et troisième parties adopté par l'Assemblée nationale, parmi lesquels les principales mesures de recettes : refonte des prélèvements sociaux sur les produits de placement ; redéfinition de l'assiette des cotisations des salariés non agricoles ; déplafonnement des cotisations retraite des artisans et des commerçants ; transfert à la Cnam d'une partie des réserves de la caisse des industries électriques et gazières. L'article 12 ter relatif à la recommandation des organismes de prévoyance par les branches professionnelles a également été supprimé.
Le Sénat a ensuite modifié sept autres articles du texte. Avec l'avis favorable du Gouvernement, il a adopté quatre amendements rédactionnels ou rectifiant des erreurs de références que j'engage nos collègues députés à reprendre à leur compte. Contre l'avis du Gouvernement, il a adopté des dispositions affectant l'intégralité du produit de la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (Casa) à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), décalant l'entrée en vigueur de la déclaration sociale nominative (DSN) pour les TPE et les PME et fixant un taux réduit pour les contrats complémentaire santé destinés aux bénéficiaires de l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé (ACS).
Le Sénat a enfin adopté cinq articles additionnels : un article 8 A diminuant le taux de la cotisation versée par les établissements hospitaliers au fonds pour l'emploi hospitalier ; un article 10 bis doublant le montant de la déduction forfaitaire accordée aux particuliers employeurs ; un article 12 quater abaissant à cinq plafonds annuels de la sécurité sociale le seuil d'application de la contribution additionnelle sur les retraites chapeaux ; un article 15 bis A en faveur du covoiturage ; un article 17 bis excluant la fraction représentative des frais d'emploi de l'assiette des cotisations sociales des élus locaux.
Après le vote infructueux d'une seconde délibération destinée à rendre une certaine cohérence à un texte passablement dénaturé, le Sénat a rejeté la troisième partie, puis ce projet de loi de financement. Compte tenu des points de vue exprimés par nos collègues de l'opposition et de certains groupes de la majorité sénatoriale à l'encontre de nombreuses dispositions votées par l'Assemblée nationale, il me semble malheureusement impossible de parvenir à un texte susceptible de recueillir un accord dans chacune de nos assemblées. Je le regrette dans la mesure où, à mon sens, ce projet de loi de financement répond à l'objectif de redressement des comptes sociaux fixé par le Gouvernement.
Le Sénat n'a pas été en mesure en séance publique d'aller au-delà de la troisième partie. Je le regrette vivement pour la qualité du travail parlementaire et les apports de la navette sur un texte qui ne fait l'objet que d'une lecture, mais aussi parce que le texte de l'Assemblée, naturellement perfectible, comprend des mesures de nature à rétablir l'équilibre de nos comptes sociaux tout en traduisant la constante préoccupation de justice de la nouvelle majorité.
De nombreuses mesures auraient dû recueillir l'assentiment de la majorité des deux chambres : déplafonnement partiel des cotisations vieillesse des artisans et commerçants - pendant des mesures prises dans le cadre de la réforme des retraites ; inclusion des déficits des branches maladie et famille dans le périmètre de reprise de dette par la Cades, à plafonds inchangés ; transferts de recettes clarifiant et simplifiant les modalités de financement de la sécurité sociale et réduisant significativement le déficit de la branche famille ; augmentation de 50 % sur cinq ans du montant du complément familial pour les familles sous le seuil de pauvreté - illustration de la volonté du Gouvernement de rendre les prestations familiales plus redistributives.
Ce projet contient en outre les premières mesures traduisant la stratégie nationale de santé, notamment en faveur des soins de premier recours : règlement arbitral en cas d'échec des négociations sur l'instauration d'une rémunération pérenne de l'exercice pluriprofessionnel, pour garantir l'aboutissement de ce dispositif (article 27) ; possibilité d'un financement dérogatoire des protocoles de coopération entre professionnels de santé (article 28) ; création d'un régime d'indemnités journalières pour les professionnelles de santé en cas d'arrêt de travail lié à la grossesse. Votre commission avait approuvé ces trois dispositifs et renforcé les dispositions de l'article 27 bis pour consolider le modèle de financement des centres de santé.
Le Sénat et l'Assemblée nationale pouvaient également se retrouver dans une volonté commune de poursuivre les expérimentations d'une médecine de parcours, comme le financement par l'assurance maladie des actes de télémédecine (article 29) et celui des parcours de soins relatifs à l'insuffisance rénale chronique et au traitement du cancer par radiothérapie externe (article 34). L'Assemblée nationale avait même souhaité aller plus loin en prévoyant un cadre général d'expérimentation autorisant le Gouvernement à tester et à évaluer plus largement les réformes structurelles qui doivent nous permettre de réformer notre système de santé.
L'article 33 procède à une première réforme de la tarification à l'activité : d'une part en finançant plus favorablement les activités isolées effectuées par des établissements de santé implantés dans des zones peu peuplées ; d'autre part en rendant dégressifs les tarifs des établissements de santé responsables de dépassements importants des volumes d'activité.
L'article 43 renforce l'aide au sevrage tabagique des jeunes. L'article 44 instaure le tiers-payant pour les consultations et examens biologiques réalisés en vue de la prescription d'un contraceptif à des mineures âgées d'au moins quinze ans. L'article 45 poursuit la réforme de la protection complémentaire maladie en étendant le bénéfice de la couverture maladie universelle complémentaire et de l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé, en améliorant la qualité des prestations par une mise en concurrence des contrats complémentaire santé et en ne faisant bénéficier d'avantages fiscaux que les plus responsables et solidaires.
L'Assemblée nationale a également introduit des mesures importantes, qui auraient pu recueillir l'adhésion du Sénat : recours à la recommandation d'un ou plusieurs organismes de prévoyance pour assurer la couverture complémentaire santé au niveau des branches ; garantie d'un panier de soins de qualité pour les bénéficiaires de l'ACS ; automaticité du renouvellement des droits à l'ACS pour les retraités ; création, à mon initiative, d'une taxe sur les boissons dites énergisantes ; précisions apportées à l'article 38 sur les médicaments biosimilaires ; élargissement à l'article 39 de la prise en charge dérogatoire des produits faisant l'objet d'une autorisation temporaire d'utilisation ; augmentation par arrêté, enfin, du plafond des remises sur les médicaments génériques, qui devrait bénéficier aux pharmaciens d'officine.
Si le secteur médico-social n'était l'objet que du seul article 47, l'Assemblée nationale a adopté un article additionnel porté par Martine Pinville et mettant fin à l'expérimentation des établissements accueillant les personnes âgées dépendantes, qui n'a pas donné de résultats satisfaisants.
L'issue des travaux de la commission mixte paritaire étant pour le moins incertaine et l'Assemblée nationale étant dès lors amenée à envisager de procéder à une nouvelle lecture, certaines initiatives opportunes prises par le Sénat ne pourront prospérer, en raison de la règle de l'entonnoir et de l'article 40 de la Constitution. C'est par exemple le cas de l'amendement de la commission des affaires sociales qui ramenait à 3,5% le taux de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance sur les contrats d'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé, sur lequel nous aurions pu avoir un débat profitable.
Soyez néanmoins assurés que si la commission mixte paritaire venait à échouer, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale s'attacherait à retenir les améliorations et compléments que le Sénat aurait pu apporter au texte s'il avait été en mesure de mener à bien sa discussion en séance publique.
Le groupe CRC a voté contre ce texte, qui ne correspond pas aux besoins de la population, du fait notamment des choix opérés en matière de financement. Bernard Cazeneuve a reconnu lui-même que l'Ondam était historiquement faible. Les hôpitaux sont exsangues, et on leur demande un effort supplémentaire de 400 millions d'euros. Cela n'est pas de nature à fonder la politique de santé dont notre pays a besoin.
Nous déplorons qu'aucun de nos amendements n'ait été repris. Ce projet de loi de financement est marqué du sceau de l'austérité. Nous regrettons en outre le recours au vote bloqué : ce n'est pas notre conception de la démocratie, qui requiert au contraire les débats les plus larges possible.
Nous voilà revenus dans la situation de l'année passée. Notre désaccord probable de ce soir nous conduira, en nouvelle lecture, à examiner le texte voté à l'Assemblée nationale en première lecture. Le rétropédalage incroyable du Gouvernement sur les prélèvements sociaux applicables aux produits de placement mérite qu'on s'y arrête. En dépit de nos amendements de suppression ou de modification, l'article 8 avait été adopté en séance à l'Assemblée nationale ; puis le Gouvernement a annoncé vouloir faire marche arrière juste avant le vote solennel. Ce revirement jette un doute sur la sincérité de ce texte.
En outre, le Gouvernement avait déposé en séance à l'Assemblée nationale un amendement de dernière minute revenant sur la décision du Conseil constitutionnel de juin dernier relative aux clauses de désignation. Le juge constitutionnel avait estimé que ces clauses portaient une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle au regard de l'objectif de mutualisation des risques : le Gouvernement est revenu en force. Nous avons donc pris connaissance sans surprise des débats au Sénat, et nous prenons acte de son vote de rejet sur ce point.
Monsieur le rapporteur de l'Assemblée nationale, j'espère que vous tiendrez vos engagements sur l'article 8 : les prélèvements sociaux ne peuvent peser sur tous les supports d'épargne. Nos concitoyens sont inquiets, et pas seulement les plus riches. Le Président de la République estime qu'un couple est riche dès qu'il gagne 4 000 euros par mois : ce n'est pas mon avis. De nombreuses personnes ont consenti des sacrifices pour mettre de côté un peu d'argent sur leur plan d'épargne logement, leur compte épargne logement ou leur plan d'épargne en actions : changer les règles du jeu en cours de route n'est pas correct.
Le rapporteur a fait une synthèse cohérente de ce qui s'est passé au Sénat. Je n'y reviens pas sinon pour préciser que nous avons également rejeté l'article 22, simplification toute d'affichage des cotisations au régime social des indépendants.
L'article 12 ter revient de manière détournée sur la décision du Conseil constitutionnel, sanctionnant une restriction excessive à la concurrence et à la liberté d'entreprendre. Juridiquement, cette disposition constitue un cavalier déposé par le Gouvernement, puisqu'il ne ressortit pas au financement global de la sécurité sociale. La ministre a d'ailleurs reconnu que ces taxes de 8 % et 12 % étaient incitatives, et que leur produit serait de peu d'importance. Nous allons probablement vers une seconde censure par le juge constitutionnel.
Cependant, l'argument selon lequel un mauvais coup serait porté aux régimes de prévoyance et aux salariés qui en bénéficient est contestable : tous les spécialistes de l'assurance le savent, une mutualisation par branche ou par localisation est moins efficace qu'une mutualisation à l'échelon national tenant compte d'une répartition intergénérationnelle et intergéographique. En effet, les entreprises de la région parisienne subissent des frais plus lourds ; de plus, avec la clause de désignation, les petites entreprises financeront les plus grandes. Contraire à toute logique économique, ce texte crée une nouvelle inégalité devant les dépenses publiques. Ce n'est pas un hasard si, au Sénat, l'article 12 ter a été rejeté à une large majorité, associant les groupes UMP, UDI-UC, RDSE et écologiste.
Je ne reviendrai pas sur toutes les raisons pour lesquelles le groupe UDI-UC a voté contre la partie recettes. Certains d'entre nous auraient souhaité discuter de la quatrième partie sur les dépenses, mais ce n'était pas possible : les charges supplémentaires imposées aux entreprises comme aux particuliers, notamment aux épargnants et aux retraités, qui ne sont pas tous aisés, ne sont pas acceptables. Dans une période comme celle-ci, il aurait plutôt fallu baisser les dépenses. Or le projet de loi n'allait pas suffisamment dans ce sens, tandis que les hausses de recettes sont excessives.
A l'issue de ces différentes interventions, il paraît clair que nous ne sommes pas en mesure de rapprocher les positions antagonistes de nos deux assemblées. Dans ces conditions, avec l'accord de Catherine Lemorton, je propose de constater l'impossibilité d'élaborer un texte commun.
La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014.