Présidente de la Délégation sénatoriale aux entreprises, a proposé dans un premier temps que soit dressé un panorama des entreprises suivies par les membres de l'Ordre des experts comptables, avec les éléments d'information relatifs à la sortie de crise.
M. Laurent Benoudiz, Président de l'OEC de Paris Ile de France a tout d'abord rappelé que tous les experts comptables ont été fortement mobilisés depuis le début de la crise pour accompagner au mieux les entreprises, très peu de cabinets ayant d'ailleurs eu recours à une activité partielle. Les perspectives de faillites des entreprises constituent le principal risque pour les membres de l'ordre, qui perdraient alors des clients. Mais pour l'heure ils sont très investis et suivent avec peine les modifications incessantes des dispositifs, cependant bienvenues sur le fond.
Beaucoup d'inquiétudes et d'incertitudes concernent les modalités de la reprise, notamment pour des secteurs d'activité comme la restauration. Les situations seront peut-être contrastées selon les régions. Ainsi, compte tenu des restrictions relatives aux déplacements, on peut anticiper une situation catastrophique pour ce secteur en Ile-de-France, qui vit habituellement du tourisme. Les clients du secteur de l'évènementiel sont également très inquiets avec une perspective de chiffre d'affaires nul pendant 9 mois, leur activité ne pouvant a priori pas redémarrer avant la fin de l'année. Dans d'autres secteurs, une ouverture peu tardive pourrait « sauver la saison »
Il est ainsi difficile d'avoir une vision unique pour toutes les entreprises et par conséquent de mesurer leur capacité de rebond. Paradoxalement, on peut dire qu'actuellement la situation est « sous cloche » et certains dirigeants vont hésiter à reprendre leur activité ; en effet, avec tous les dispositifs en vigueur (chômage partiel, fonds de solidarité, report de charges, etc.), il pourrait être plus risqué de rouvrir et de perdre ces aides avec seulement 50 % de chiffre d'affaires que de demeurer confiné. Le niveau de confiance des Français dans la reprise sera déterminant pour orienter la sortie du confinement pour les entreprises.
Interrogé par la Présidente sur les autres mesures souhaitables pour encourager la reprise, M. Laurent Benoudiz a rappelé qu'il existait deux principaux dispositifs actuellement. Tout d'abord, le fonds de solidarité, qui vient d'ailleurs d'être réaménagé pour l'hôtellerie-restauration, mais dans des conditions pas assez satisfaisantes. Pour les TPE, l'ensemble des aides peut être porté à un total 10 000 euros, ce qui est insuffisant dès que l'entreprise emploie deux ou trois salariés. Pour les entreprises de taille supérieure, il y a le second dispositif principal qu'est le prêt garanti par l'État (PGE). S'il est accordé plutôt facilement lorsque l'entreprise est en bonne santé (85 % des entreprises), il demeure problématique pour 15 % des dossiers. Actuellement on évalue à 5 % les rejets et à 10 % les dossiers en attente. Ces derniers cas prennent du temps et certaines situations devraient pouvoir être débloquées grâce à un document de la Direccte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi) visant à formuler une demande, auprès des banques, de découvert à hauteur de la demande d'aide formulée auprès des services de l'État. Il faut rappeler que 10 % des TPE représentent environ 250 000 entreprises. Elles ne sont souvent même pas éligibles au fonds de solidarité en raison du seuil d'exclusion principal qu'est le plafond de 60 000 euros de bénéfice imposable incluant la rémunération du dirigeant. Les discussions avec le Gouvernement, qui n'ont finalement pas abouti, visaient à demander l'attribution d'une avance remboursable à hauteur de 3 mois de charges, avec un plafond de prêt fixé à 50 000 euros pour les entreprises non éligibles. Le remboursement n'aurait certes pas été aussi fiable que dans le cas de prêts contractés avec le réseau bancaire, mais ce dispositif aurait permis de sauver 70 à 80 % des entreprises aujourd'hui en difficulté. Cette mesure a donc été écartée et les autres seuils (comme le montant du chiffre d'affaires) ont été doublés, mais malheureusement pas celui qui constitue la principale source de blocage ; c'est une source d'inquiétude pour les experts comptables.
Pour répondre à M. Gilbert Bouchet évoquant les grandes difficultés rencontrées par les entreprises de la Drôme souhaitant bénéficier du PGE, M. Laurent Benoudiz a rappelé les freins signalés par les banques, qui sont responsables à hauteur de 10 % du risque. Tout d'abord la garantie de l'État n'est effective qu'après un délai de 2 mois à l'issue de l'accord du prêt. En outre, le manque de vigilance de la banque dans l'analyse de la solvabilité de l'entreprise peut être invoqué si la garantie est in fine refusée par l'État au regard du risque de défaillance que l'on identifie, notamment lorsque les capitaux propres sont inférieurs à la moitié du capital social. Enfin la garantie de l'État n'intervient qu'en cas de dernier recours, seulement en cas de production d'un certificat d'irrécouvrabilité de la banque. Ces contraintes expliquent l'attitude des banques à l'égard des entreprises les plus fragiles. C'est pourquoi la proposition évoquée précédemment de limiter un prêt à un montant de 50 000 euros avec une garantie de l'État à 100 % aurait résolu la situation des dossiers les plus délicats et permis de sauver bon nombre d'entreprises en difficulté.
Répondant à une question de Mme Anne-Catherine Loisier sur les intérêts intercalaires, le Président de l'Ordre a indiqué que les inquiétudes ne portent pas sur le taux pratiqué par les banques, qui est nul ni sur le taux de garantie à 0,25 %. Elles concernent en revanche les modalités de transformation de ce prêt en emprunt amortissable. Par ailleurs les banques demandent une assurance-crédit qui renchérit le coût et allonge la procédure. Ces dernières disent ne pas pouvoir s'en passer lorsque tout repose sur le dirigeant de la petite entreprise, même en cas de garantie de l'État à 90 %.
Revenant sur les sujets évoqués par M. Olivier Cadic, relatifs aux modalités et aux statistiques de cessation d'activité des entreprises, aux mesures visant à faciliter le rebond et aux éventuelles demandes de mise en responsabilité de l'État, M. Laurent Benoudiz a indiqué ne pas disposer d'estimations chiffrées à ce jour. Il a ajouté que pour initier une procédure collective, la cessation de paiement doit être constatée. Or la loi a suspendu l'obligation de faire une déclaration de cessation des paiements dans un délai de 45 jours, pendant la période de confinement. Concrètement aujourd'hui aucune entreprise n'a intérêt à ouvrir procédure qui se traduirait automatiquement par une liquidation judiciaire, la réalisation d'un chiffre d'affaires minimum étant requise pour pouvoir bénéficier d'une procédure de redressement. Elles ne bénéficieraient donc pas de la protection du tribunal de commerce.
Le risque de défaillance sera réel pour les entreprises qui n'auraient pas obtenu le versement des aides par la Direccte avant le 30 avril et qui ne pourraient alors pas assurer le paiement des salaires du mois. La cessation de paiement serait alors avérée, mais les dirigeants concernés ne prendront pas le risque d'ouvrir une procédure collective. Les experts comptables conseillent à leurs clients d'attendre pour voir si elles sont en mesure de réaliser un chiffre d'affaires minimum. La réalité statistique pourra être évaluée à la fin mai seulement, lorsque les dossiers parviendront aux tribunaux de commerce. Quant au rebond, il ne peut être envisagé qu'avec un minimum de trésorerie. Or, pour certains secteurs comme celui de la restauration, cela sera extrêmement difficile compte tenu des mesures de distanciation sociale qui seront imposées. Enfin, à ce jour la recherche de responsabilité de l'État n'est pas un sujet pour les dirigeants d'entreprise qui cherchent avant tout à trouver des solutions pour s'en sortir. Cependant certains se sont engagés personnellement pour se porter caution et seront peut-être poussés à envisager une telle procédure juridique. Cela arrivera dans un deuxième temps seulement, et les chefs d'entreprises y seraient contraints seulement pour éviter une faillite personnelle car ce n'est pas dans leur état d'esprit.
Suite à la remarque de M. Michel Canevet sur les banques se réfugiant derrière la non fourniture de documents comptables pour refuser d'accorder des PGE, M. Benoudiz a expliqué qu'il est possible que certains experts comptables aient en effet refusé de fournir des prévisionnels sur cinq ans, prouvant que l'entreprise serait en capacité de rembourser le prêt, car il est aujourd'hui impossible pour quiconque de raisonnablement fournir ce type de prévisions. Les prévisionnels comptables dont la réalisation est réalisable et intéressante, autant pour les banques que les entreprises elles-mêmes, sont ceux chiffrant le besoin de trésorerie qui sera nécessaire à l'entreprise pendant ses phases de fermeture et de réouverture. Il est possible de le réaliser en faisant un prévisionnel des dépenses que l'entreprise devra supporter pendant sa fermeture, puis à sa réouverture avec un chiffre d'affaires réduit. Un expert comptable qui se contenterait de conseiller à son client de demander à la banque un prêt à hauteur de 25 % de son chiffre d'affaires, c'est-à-dire le plafond du PGE, ne réaliserait pas un accompagnement suffisant, puisqu'il s'agit d'estimer et de chiffrer le besoin. L'Ordre des experts comptables a d'ailleurs mis en ligne des documents en ce sens.
Interrogé par M. Michel Canevet sur les difficultés des entreprises du tourisme qui subissent des pertes nettes qui ne seront pas rattrapées au niveau de leur chiffre d'affaires, et pour qui les reports de charges ne sont pas une solution pérenne, M. Benoudiz a indiqué, à l'image du sénateur, être favorable à l'annulation des charges pour ce type d'entreprises. Il a considéré que le secteur du tourisme, avec l'hôtellerie, la restauration et l'évènementiel, des activités qui fonctionnement ensemble, était le plus touché par la crise. Il a ajouté que cela aurait un impact durable sur l'économie puisque cette crise sanitaire va s'accompagner d'une diminution des déplacements, du tourisme et des voyages pour les mois à venir. Il a rappelé qu'il s'agissait là d'un secteur employant 1 million de personnes en France et avec une influence déterminante sur la qualité de vie du pays.
En réponse à une question de M. Guillaume Arnell sur les évolutions législatives possibles pour soutenir les entreprises en difficulté, et particulièrement celles de son territoire (Saint-Martin), déjà fragilisées par le cyclone Irma en 2017, M. Benoudiz est revenu sur l'impossibilité actuelle pour un entrepreneur qui dépose le bilan de reprendre son entreprise. Ainsi en cas de dépôt de bilan, un chef d'entreprise peut déposer soit un plan de continuation auprès du tribunal -- c'est à dire apurer le passif de l'entreprise et payer ses dettes sur 10 ans -- soit un plan de cession, la reprise pouvant être effectuée par un tiers, mais pas par l'entrepreneur défaillant. Or, dans le cas de nombreuses petites et très petites entreprises, aucun repreneur ne se présente. Sur ce type de petit dossier, M Benoudiz propose que dans le cadre du plan de reprise, le repreneur puisse être le chef d'entreprise défaillant. Cela est d'ailleurs déjà faisable aujourd'hui mais de façon exceptionnelle et avec l'accord du procureur de la République. L'Ordre propose de rendre cette procédure plus fréquente et plus souple en considérant que l'entrepreneur qui a déposé le bilan suite à la crise sanitaire a souffert de la conjoncture, qu'apurer son passif pendant 10 ans l'empêcherait de recruter ou d'investir, et d'ainsi lui proposer une solution de rebond, une troisième voie entre le plan de continuation et le plan de cession, avec un abandon des dettes qui seraient supérieures à la capacité de remboursement. Cela éviterait à de nombreuses petites entreprises de se trouver confrontées au « mur de la dette ».
À la question de M. Sébastien Meurant sur l'allongement des délais de paiement inter-entreprises pour un stock s'élevant à 700 milliards d'euros, M. Benoudiz a assuré que le mot d'ordre parmi les experts comptables, était celui du report des impôts directs et des charges sociales, mais du paiement immédiat des fournisseurs, pour éviter les défaillances en chaîne. Il a indiqué que selon les retours qui lui parvenaient, les grandes entreprises, l'État et les régions s'attelaient plutôt à accélérer le paiement de leurs fournisseurs plutôt qu'à les bloquer. Mme Elisabeth Lamure, Présidente, a abondé en ce sens en rappelant la récente audition du Médiateur des entreprises par la Délégation, au cours de laquelle les solutions mises en place pour accélérer les paiements en retard ont été abordées.
Interrogé par Mme Annick Billon sur l'impact économique différencié de la crise au niveau territorial, M. Benoudiz a expliqué que, d'une part, il paraissait certainement injuste de ne pas traiter de la même manière tous les territoires mais que, de l'autre, empêcher certains territoires - pour lesquels le taux de contamination est très faible - d'avoir une activité économique dans des modalités d'ouverture qui serait différentiées et adaptées paraissait également injuste. Il est ensuite revenu sur l'existence de dispositifs d'aides régionaux, comme par exemple les « prêts rebond » expérimentés en Auvergne-Rhône-Alpes et en Alsace.
Concernant le sentiment général des experts comptables, notamment quant à l'efficacité de la prise en charge de la crise sanitaire par les pouvoirs publics, M. Benoudiz a évoqué le stress lié à la multiplication des annonces et des dispositifs qu'il a fallu très rapidement prendre en main et expliquer aux entreprises. Il a pris pour exemple la FAQ du Fonds de solidarité cumulant aujourd'hui 25 pages, de même que celle sur l'activité partielle, encore plus longue et intervenue après de nombreuses tergiversations et rectifications des pouvoirs publics. Il a cependant insisté sur l'impossibilité pour les pouvoirs publics de tester en amont des annonces répondant à une situation de crise, et rappelé qu'il était difficile d'imaginer des dispositions parfaites dès le début, sans aménagement et répondant à toutes les questions. Il a salué le travail de co-conception tel qu'issu des remontées de terrain, qui ont permis de faire évoluer les dispositions gouvernementales dans le temps, y compris le PGE. Il a tenu aussi à mentionner les taux de numérisation hétérogènes des petites entreprises en France (mais aussi des experts comptables), un certain nombre d'entre elles fonctionnant encore avec une comptabilité papier, ce qui rend plus difficile le travail des experts comptables compte tenu du confinement. Un certain nombre de ces derniers a par conséquent besoin de délais pour traiter les affaires courantes.
Interrogé par la Présidente sur la participation des experts comptables au Centre d'Information sur la Prévention des difficultés des entreprises (CIP), M. Benoudiz a acquiescé et indiqué que les avocats, les chambres de commerces et les experts comptables étaient membres du CIP et faisaient également remonter par ce biais leurs propositions et les difficultés rencontrées par les entreprises. Il a ensuite réagit à la proposition de la CPME d'allonger de 12 à 24 mois le délai dans lequel les entreprises doivent choisir si elles souhaitent rembourser le PGE directement ou l'amortir sur 5 ans, en considérant qu'un tel délai supplémentaire pouvait laisser le temps à l'entreprise de réfléchir sur la bonne stratégie à moyen terme pour sa reprise d'activité.
Pour finir et dans le cadre du soutien aux entreprises, M. Mickaël Brun, secrétaire général de l'Ordre, a dévoilé l'existence d'un numéro vert permettant de mettre en relation une centaine d'experts comptables franciliens volontaires et bénévoles et des chefs d'entreprises qui auraient des questions sur les dispositifs de soutien mis en place par le gouvernement. Ce numéro vert, disponible jusqu'au 7 mai et qui a été étendu au niveau national est le 0 8000 65432.
La réunion est close à 17 h 30.