Nous abordons aujourd'hui la seconde partie de notre étude sur l'urgence économique dans les outre-mer, avec une série d'auditions axées sur des thématiques sectorielles, que nous espérons aussi fructueuse que la précédente. Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation pour cette table ronde consacrée au transport aérien.
Je rappelle que, depuis deux mois, avec nos rapporteurs Stéphane Artano, Viviane Artigalas et Nassimah Dindar, nous avons travaillé en vue de faire des propositions au Gouvernement dans le contexte créé par la crise du Covid-19.
Le 14 mai dernier, nous avons achevé notre première partie avec l'audition de la ministre des outre-mer, Mme Annick Girardin, qui a notamment présenté le plan Tourisme du Gouvernement, adopté le matin même, et a souligné l'importance des transports aériens pour permettre la reprise économique.
La relance du tourisme dans les territoires ultramarins implique en effet qu'un certain nombre de vols puissent reprendre et que les services aéroportuaires soient opérationnels. Les compagnies aériennes qui desservent nos territoires sont directement concernées, mais nous savons aussi qu'elles sont terriblement fragilisées par la crise actuelle. Certaines d'entre elles sont même menacées de disparaître ou envisagent des restructurations et nous avons bien en tête la pétition de Corsair, diffusée il y a quelques semaines. La ministre a notamment indiqué que des instructions avaient été données aux préfets pour vérifier que chaque compagnie aérienne, dans chaque bassin océanique, a bien utilisé tous les dispositifs mis en place par l'État. Vous pourrez nous confirmer si cette démarche a bien été faite ou si elle est en cours, afin que nous puissions mesurer l'engagement de l'État. Vous pourrez nous dire si vous attendez d'autres mesures de la part de l'État ?
Nous sommes particulièrement préoccupés par la situation des compagnies aériennes régionales, car, en tant qu'ultramarins, nous en connaissons l'importance vitale pour la desserte et l'approvisionnement des îles. C'est pourquoi les compagnies qui desservent les territoires comptent souvent parmi leurs actionnaires des collectivités. Comment se présentent les soutiens de ce côté-là ?
Comme vous le savez, le Premier ministre a annoncé qu'il allait, dès cet été, « ouvrir les destinations ultramarines à l'ensemble des Français de l'Hexagone », mais, en même temps, il est prévu de maintenir des quatorzaines strictes ce qui nous paraît contradictoire. Comment faire pour, à la fois, rassurer les populations face à l'importation du virus et permettre aux acteurs du secteur touristique au sens large - compagnies aériennes, hôtellerie, restauration, activités de loisirs, location de véhicule, agences de voyages - de reprendre leurs activités ?
Vous l'avez compris, à nos yeux, la thématique du transport aérien est primordiale pour envisager la reprise des économies locales et nous avons beaucoup d'interrogations à ce sujet. C'est ce que nous voudrions partager avec vous, en étant à l'écoute de vos préoccupations.
Comme vous êtes très nombreux, je propose à chacun d'entre vous de faire d'abord une présentation générale de sa compagnie - ou de son groupement - en précisant ses spécificités, notamment au niveau de la desserte régionale ; les effets humains et financiers de la crise sur celle-ci ; les soutiens que vous avez reçus à ce stade de la part de l'État, des collectivités territoriales, de la Banque publique d'investissement (BPI), ou autres. Ensuite, les trois rapporteurs poseront leurs questions. Vous y répondrez à tour de rôle, en fonction des caractéristiques de votre situation. Les autres sénateurs vous poseront des questions complémentaires pour un dernier échange.
Je vous rappelle que notre table ronde est diffusée en direct sur Public Sénat.
Nous sommes certainement la plus petite compagnie représentée aujourd'hui puisque nous ne comptons que 49 salariés. Nous sommes les seuls à desservir Saint-Pierre-et-Miquelon dans le cadre d'une délégation de service public signée avec l'État. Notre seule destination commerciale est le Canada, mais nous assurons également des missions de sécurité civile, comme les évacuations sanitaires. Vous vous en doutez, nos moyens sont très réduits.
Pendant la crise, l'État nous a demandé de maintenir un minimum d'activité pour assurer les missions de sécurité civile, telles que les évacuations vers Halifax, ainsi qu'une forme de continuité territoriale. Aussi, nous n'avons perçu aucune recette pendant deux mois, alors que nous avons continué à supporter des charges. De plus, les aides de l'État ne sont pas vraiment adaptées à notre situation.
Notre groupe est exclusivement régional, puisque nous opérons seulement sur les Antilles, la Guyane et le bassin caribéen. Il assure la desserte de 25 destinations dans les outre-mer, mais également Saint-Domingue, Porto Rico, la Barbade, Sainte-Lucie... Nous employons 300 salariés, et 600 à 700 personnes au total si l'on inclut le personnel de nos sous-traitants aux escales. Nous transportons environ 500 000 passagers par an.
Depuis le 20 mars dernier, notre flotte est clouée au sol dans sa quasi-totalité, ce qui nous a conduits à mettre l'entreprise « sous cloche ». Nous effectuons trois à quatre rotations par semaine, contre 400 en temps normal, soit 1 % de l'activité habituelle, alors que nous supportons la quasi-totalité de nos charges fixes et environ 50 % de la masse salariale. En effet, notre salariat étant constitué en grande partie de pilotes et d'ingénieurs, avec des salaires assez élevés, les règles d'indemnisation de l'activité partielle, telles qu'elles ont été fixées, nous pénalisent.
Comme mon prédécesseur, je suis aussi tenu d'assurer des obligations de service public, comme l'approvisionnement de l'intérieur de la Guyane, ce qui n'apporte aucune recette, puisque nous sommes rémunérés au passager transporté.
Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour sauvegarder la compagnie en demandant des reports de charges fiscales et sociales et d'échéances d'emprunt, mais cela ne couvre pas les charges.
Aujourd'hui, chaque jour qui passe nous coûte 150 000 euros, déduction faite du chômage partiel remboursé. La situation est catastrophique. Nous avons bien entamé des négociations pour bénéficier d'un prêt garanti par l'État (PGE), mais, compte tenu de nos pertes, nous ne dégagerons jamais suffisamment de marges pour le rembourser en cinq ans - tout le monde le sait bien. Aussi suis-je très pessimiste pour l'avenir.
Permettez-moi d'ajouter que je trouve inacceptable la situation qui nous est imposée par les autorités. Alors que la loi sur l'état d'urgence sanitaire n'a pas interdit l'activité de transport aérien au sein de l'Union européenne (UE), le préfet a interdit par arrêté le vol de nos avions entre Pointe-à-Pitre et Fort-de-France, considérant sans doute que nos territoires ne faisaient pas partie de l'UE. Il estime que l'offre d'Air France est suffisante. C'est incompréhensible et je compte sur vous, Mesdames et Messieurs les sénateurs, pour nous aider à sortir de cette impasse.
Nous sommes la plus ancienne compagnie de la région, où je rappelle que plus de 140 compagnies ont disparu depuis 1980.
Notre flotte est composée de cinq petits avions. Le premier pôle de notre activité comprend les lignes régulières, vers Saint-Martin, Juliana et la Guadeloupe par exemple. Le deuxième pôle est composé des vols à la demande, avec les charters privés, les affrètements et les vols médicaux. Enfin, notre troisième pôle consiste en une petite activité cargo. Nous assurons environ 9 000 vols par an, transportant quelque 40 000 passagers, avec un effectif d'un peu moins de 30 salariés en équivalent-temps plein (ETP).
Pour nous, la crise arrive au pire moment possible car le tourisme, notamment en provenance des États-Unis, est au plus haut en mars-avril. Ma trésorerie a été divisée par trois depuis janvier et j'envisage de supprimer de 15 % à 20 % des effectifs. Je rencontre exactement les mêmes problèmes que mes prédécesseurs en ce qui concerne le recours à l'activité partielle.
Je suis également en négociation pour obtenir un prêt garanti par l'État (PGE). Enfin, je souligne que nous avons obtenu une remise gracieuse de la redevance d'occupation du domaine public de la part de la collectivité de Saint-Barthélemy.
Nous sommes établis à La Réunion depuis plus de quarante ans. Nous assurons la desserte de plus de dix destinations : la métropole, avec des vols pour Paris et Marseille, mais également Mayotte, Madagascar, les Seychelles, l'île Maurice, Madras en Inde ou la Thaïlande. Nous étions sur le point de mettre en place une liaison vers Canton, en Chine, mais la crise sanitaire a mis ce projet en suspens. Nous employons 1 000 salariés et transportons 1,3 million de passagers par an, pour un chiffre d'affaires de 400 millions d'euros.
La crise a, en fait, démarré dès janvier pour nous, qui sommes très connectés au marché asiatique. Depuis fin mars, nous n'assurons qu'environ 5 % de notre programme de base, avec deux vols par semaine pour Paris et du fret d'urgence pour Mayotte.
Nous avons sollicité au maximum tous les dispositifs offerts par l'État, comme le chômage partiel et les reports de charges fiscales et sociales, mais nous militons plutôt pour une exonération. Enfin, grâce au soutien de notre actionnaire principal, la Sematra, société d'économie mixte réunissant les acteurs publics de l'île, nous avons pu lever un PGE, qui assure notre survie à court terme.
Mais nous n'avons aucune visibilité sur le retour à la normale, que l'on nous annonce très progressif. C'est tout l'enjeu.
Notre compagnie, qui repose sur un actionnariat public, est basée en Nouvelle-Calédonie. Nous assurons trois types de destination : les collectivités du Pacifique sud, comme Wallis-et-Futuna et la Polynésie française ; l'Asie ; les autres pays de la zone Pacifique que sont l'Australie, la Nouvelle-Zélande, les îles Fidji et le Vanuatu.
En mars, l'arrêt a été brutal, même si nous avons maintenu une petite activité de rapatriement de et vers l'Australie et le Japon. Nous essayons d'ailleurs de nous faire rembourser ces vols par l'État et la collectivité.
Avant la crise, notre situation économique était saine, ce qui nous permet de tenir sur nos fonds propres. Notre situation est particulière en ce qui concerne le recours au chômage partiel, puisque l'indemnité est plafonnée à 800 euros par mois en Nouvelle-Calédonie. On est donc loin du compte pour nos salariés, notamment les pilotes et les ingénieurs. Nous en appelons donc à la solidarité nationale pour que notre système d'indemnisation du chômage partiel soit aligné sur celui de la métropole.
Comme Dominique Dufour, je pense qu'une période critique nous attend au moment du redémarrage. Si la plupart de nos vols sont en dessous d'un taux de 80 % de remplissage, nous serons déficitaires et nous aurons besoin d'être soutenus à ce moment-là. Nous ne pourrons pas nous en sortir seuls.
Je représente Air Caraïbes, Air Caraïbes Atlantique et French bee, qui sont trois compagnies privées, filiales du groupe Dubreuil, dirigé par M. Jean-Paul Dubreuil. Chacune d'entre elles a ses missions propres : Air Caraïbes a une activité régionale importante dans les îles des Caraïbes en plus du long-courrier ; Air Caraïbes Atlantique est le vecteur long-courrier et French bee est une compagnie start-up qui dessert La Réunion, San Francisco et Tahiti depuis deux ans.
Ces compagnies emploient un total de 1 500 personnes, pour 700 millions d'euros de chiffre d'affaires, avec douze Airbus, dont sept A350. Nous avons fait le choix de moderniser nos moyens : il nous reste cinq A330 qui seront remplacés par des commandes d'A350. Nous utilisons également trois ATR pour les dessertes régionales. Notre actionnariat est privé, il se partage entre la famille Dubreuil et le personnel.
Nous travaillions au départ d'Orly, aéroport qui a été fermé le 31 mars. Nous avons, depuis lors, rencontré beaucoup de difficultés à opérer entre les aéroports, les régulations et les décisions étant peu coordonnées, dans des conditions économiques qui se détériorent très vite. Certains de nos vols sont partis à vide pour rapatrier des compatriotes, mais cette activité n'est pas tenable longtemps. De plus, nous sentions nos personnels stressés par les conditions sanitaires et de navigation ainsi que par les contraintes qui pesaient sur nos vols. Un soir, par exemple, un de nos avions volant de Paris aux Antilles a perdu le contrôle de l'espace aérien américain, qui couvre les trois quarts de l'Atlantique nord, car le virus venait d'être détecté dans les locaux de la Federal Aviation Administration à New York !
Nous nous sommes donc arrêtés. Nous avons mis nos personnels en activité partielle. Or, les pilotes et les ingénieurs ont des salaires élevés et, si l'allocation décidée par l'État est généreuse, elle ne suffit pas. De plus, nous devons payer nos navigants selon des avantages indemnitaires qui découlent de décisions empilées depuis 1954, par lesquelles nous sommes aujourd'hui coincés. Nous avons réduit tous les coûts possibles, jusqu'à diviser nos dépenses par quatre ; nous sommes une compagnie robuste, capable d'encaisser cet arrêt pour deux ou trois mois.
Nous ne sommes pas pour autant restés inactifs : nous nous sommes lancés dans l'utilisation de nos Airbus long-courriers passagers pour le cargo en parvenant à transporter jusqu'à 20 tonnes de fret par vol. Nous assurons ainsi douze vols par semaine vers les outre-mer - Cayenne, La Réunion, Pointe-à-Pitre ou Fort-de-France - ainsi qu'un vol quotidien pour aller chercher 20 tonnes de masques en Chine. Nous avons également engagé des programmes courageux de réduction de coûts avec nos personnels afin d'être plus performants demain, car, à la reprise, il n'y aura pas le même trafic et les clients voudront payer moins cher. Les prix vont baisser et, pour survivre, les entreprises devront diminuer leurs coûts.
En ce qui concerne l'avenir proche, nous insistons pour disposer d'une vision. Nous avons ainsi signé une lettre ouverte pour qu'Orly rouvre le 26 juin, au début des grands mouvements de l'été en outre-mer, un mois et demi après le déconfinement, en souhaitant contribuer à réduire la cacophonie qui règne en la matière. Nous avons défini un programme de reprise en réduisant nos vols de moitié et nous serons prêts pour le 26 ou le 28, voire le 21 juin. Il ne s'agit pas non plus de submerger les outre-mer !
Le groupe Dubreuil a demandé un PGE et devrait l'obtenir. Reste qu'il s'agit d'un prêt, avec des délais de remboursement trop courts, voire franchement illusoires : une partie des sommes engagées ne sera sans doute jamais remboursée, il serait préférable de l'assumer objectivement. L'argent public est sacré, son engagement doit être justifié, chacun doit faire des efforts et nous devons redémarrer. Si nous devions passer l'été sans voler, le transport aérien français pourrait disparaître.
Air Tahiti Nui est une société anonyme d'économie mixte créée en 1998 et détenue à 85 % par la collectivité territoriale. Sa mission principale est le tourisme : nous desservons Tokyo, la Nouvelle-Zélande, Los Angeles ainsi que Paris, au titre de la continuité territoriale. Avec 270 millions d'euros de chiffre d'affaires, nous sommes la première entreprise de Polynésie, et le deuxième employeur, avec 800 salariés. Nous transportons 500 000 passagers par an, dont 75 % de touristes.
Aujourd'hui, nous assurons à peine 5 % de notre programme de vol, avec un vol passagers tous les dix jours et quelques vols cargo vers Paris, pour assurer la continuité territoriale, quelques vols cargo vers la Chine pour du fret sanitaire et vers la Nouvelle-Zélande pour l'approvisionnement du pays. Nous devons cependant assurer le paiement d'importantes charges fixes : nous avons renouvelé notre flotte en 2018, avec quatre 787-900 dont il faut payer les traites. En Polynésie, le chômage partiel n'existe pas, nous versons donc les salaires depuis le 21 mars, le jour où nous avons cessé de voler. Notre demande de PGE est en cours d'instruction, nous n'avons pas de raison de penser que nous ne l'obtiendrons pas. Cependant, il s'agit d'un prêt qu'il faudra rembourser.
Nous avons radicalement réduit nos charges avec la collaboration du personnel qui a accepté une diminution de 30 % de ses rémunérations sous la forme de congés sans solde. Pour les navigants, dont une partie des émoluments repose sur des heures de vol, cela représente une baisse allant jusqu'à 50 %. La situation est donc tendue et nous espérons redémarrer fin juin. Toutefois, les règles qui imposent quatorze jours de quarantaine nous compliquent la tâche : le séjour moyen des Américains, nos principaux visiteurs, est de dix jours, nous tentons donc de convaincre nos interlocuteurs que cette quatorzaine n'est pas une bonne idée.
Corsair a quarante ans et est présente depuis trente ans dans les Antilles et à La Réunion, qui représentent les deux tiers de notre chiffre d'affaires. Celui-ci dépasse 450 millions d'euros pour 1,2 million de passagers transportés et 1 200 salariés. Nous utilisons trois 747 et quatre A330. Cette crise intervient pour nous au plus mauvais moment, alors que nous avons lancé un plan de modernisation de notre flotte pour passer à dix Airbus A330, dont la moitié de Néo entièrement neufs, déjà commandés. Dans cette perspective, les trois 747 ne seront pas remis en service. Corsair emploie beaucoup de personnel antillais et réunionnais et fait vivre tout un écosystème de sous-traitants en outre-mer comme en métropole.
Nous modernisons notre flotte avec la volonté de renforcer notre programme de vol vers les Antilles et La Réunion : en diminuant la capacité des avions, nous entendons augmenter la fréquence des vols. Depuis Orly, nous proposons à notre clientèle d'outre-mer des connexions vers l'Afrique et le Canada. Nous avions le projet d'ouvrir une liaison avec New York en juin, qui a bien entendu été reporté. Nous sommes également très actifs dans le fret, en osmose avec l'écosystème des exportateurs des Antilles et de La Réunion et nous participons enfin au programme d'évacuations sanitaires.
Nous sommes totalement à l'arrêt depuis le 26 mars, nous n'assurons aucune desserte des outre-mer ou de l'international, à l'exception de certains vols pour le ministère des affaires étrangères afin de rapatrier des ressortissants français. Nous avons également développé le fret en transformant nos avions en cargo et nous assurons dans cette configuration de nombreux vols vers la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane ainsi que vers la Chine et le Vietnam. Cela nous garantit un peu d'activité, qui reste dérisoire par rapport à ce que nous faisions auparavant et la quasi-totalité de nos personnels est en activité partielle.
Avant la crise, la situation de trésorerie de Corsair était satisfaisante, et nous vivons depuis sur cette réserve. Nos dépenses ont baissé, mais certaines restent. Il faut préparer la reprise et assurer la pérennité de la compagnie en traversant l'hiver pour faire la soudure jusqu'à l'été prochain, période à laquelle nous espérons retrouver un niveau d'activité proche de la normale.
Nous subissons en outre une menace supplémentaire sur notre trésorerie : le règlement européen sur le droit des passagers aériens n°261/2004 oblige les compagnies à rembourser les passagers dont les billets ont été annulés. Malgré la pression des États, Bruxelles a maintenu cette position. Pour notre compagnie, cela représente plusieurs dizaines de millions d'euros. Air France a exprimé sa volonté de procéder à ce remboursement à partir du 15 mai et une saisine de l'UFC-Que Choisir a été déposée aujourd'hui à ce sujet. Cela représentera une ponction supplémentaire et un soutien de l'État est nécessaire, en plus de notre politique résolue de réduction des dépenses et des discussions que nous menons avec nos personnels pour faire baisser les coûts fixes. Nous avons bénéficié de reports de charges, de taxes et de redevances, mais il faudra davantage au plan structurel. Enfin, nous sommes candidats à un PGE, les discussions se poursuivent et rien n'est assuré.
Avant la crise, notre situation était saine, nous n'étions pas endettés et nous ne bénéficions d'aucune aide publique ou de défiscalisation. Nous sommes aujourd'hui préoccupés par le redémarrage : nous l'avions prévu à partir du 12 juin, mais cette perspective s'éloigne, j'ai donc également signé le courrier demandant la réouverture d'Orly au 26 juin. Nous avons pu échanger hier avec les ministres Mme Annick Girardin et M. Jean-Baptiste Djebbari, mais nous n'avons pas obtenu de réponse.
Le programme de reprise que nous envisageons sera moindre et donnera la priorité à La Réunion et aux Antilles - Martinique et Guadeloupe - dans des conditions sanitaires encore indéterminées, avec une très grande incertitude concernant les liaisons internationales. L'entreprise est mobilisée pour reprendre, en priorité vers les outre-mer avec un programme tenant compte des préoccupations des populations et des décideurs ultramarins.
La situation d'Air France est similaire à celle de nos collègues : notre compagnie réalise moins de 5 % de ses vols sur l'ensemble de son réseau par rapport à la situation avant la crise sanitaire.
Tout d'abord, nous avons assuré des vols de rapatriement, pour plus de 270 000 passagers, dont 150 000 Français et 45 000 ressortissants de l'Union européenne, en coordination avec le ministère des affaires étrangères. Ce n'est pas facile car les restrictions imposées par les différents pays changent et nous contraignent à modifier nos programmes au dernier moment.
Ensuite, nous assurons également la continuité territoriale avec l'outre-mer, pour les passagers comme pour le cargo, vers La Réunion, Fort-de-France, Pointe-à-Pitre et Cayenne. Nous avons en outre maintenu un réseau régional avec une fréquence entre Pointe-à-Pitre, Fort-de-France et Cayenne. À ce sujet, comme les autres compagnies, Air France souhaite reprendre les dessertes de Pointe-à-Pitre et de Fort-de-France. Notre fréquence hebdomadaire est insuffisante, même dans le contexte actuel, et le taux de remplissage actuel de nos avions ne permet pas de renforcer nos finances, il s'agit surtout d'un effort de continuité territoriale au niveau régional, que nous sommes fiers d'assurer. Enfin, nous effectuons la liaison entre Paris et Tokyo-Narita pour assurer une correspondance avec nos partenaires d'Air Calin. Ce n'est pas toujours facile : les restrictions, les quarantaines, les limitations du nombre de passagers changent régulièrement ou sont prolongées, nous obligeant à débarquer beaucoup de clients qui se retournent ensuite contre nous.
Grâce au Gouvernement, Air France a bénéficié d'un soutien : c'est heureux, car, à défaut, le groupe perdrait 25 millions d'euros par jour. La très grande majorité de nos personnels est en activité partielle à 80 % ; nous bénéficions d'un report de taxes et de redevances et nous avons obtenu un PGE. Comme mes collègues l'ont dit, c'est appréciable, car cela nous permet de survivre, mais la question de l'après reste posée : il faudra payer ces charges reportées et rembourser ces prêts. Au vu des niveaux de rentabilité de nos compagnies, cela constituera un défi majeur.
Notre compagnie souhaite participer le plus vite possible à la reprise. Nous comprenons les contraintes sanitaires et nous espérons obtenir des clarifications sur les règles et les restrictions afin d'adapter notre programme de vols. Il est important de bien placer le curseur entre protection sanitaire et développement économique, car il serait catastrophique de passer tout l'été avec un tel niveau d'activité.
Je préside le Scara, dont certains des adhérents ultramarins, en particulier Air Calédonie et Air Tahiti, ne participent pas à cette audition. Il s'agit de transporteurs locaux importants, qui connaissent une situation catastrophique alors même qu'ils assurent aussi la continuité territoriale, qui repose, dans leurs archipels d'opération, uniquement sur l'aérien.
Je suis également directeur général d'ASL Airlines France, qui opère une ligne directe entre Roissy et Saint -Pierre-et-Miquelon ; nous attendons de connaître les mesures de quarantaine mises en place pour relancer cette activité. Nous assurons aujourd'hui des vols ponctuels pour La Poste vers les outre-mer, en particulier vers La Réunion, et nous continuons à voler en cargo de nuit en express européen. En revanche, nos vols réguliers et nos charters courts et moyens courriers sont cloués au sol.
Les demandes du Scara portent sur différents points. Dans cette crise, les moratoires sur les charges sont bienvenus à court terme, mais des exonérations de taxes seraient préférables. En outre, les charges régaliennes dont nous supportons le coût, comme la sûreté, devraient peut-être revenir à l'État. Enfin, nous avons besoin de clarifications sur le chômage partiel des navigants dans la durée : ce n'est sans doute pas demain que le transport aérien reprendra de la vigueur.
En ce qui concerne les mesures structurelles, nous souhaitons la mise en oeuvre d'un plan de restructuration de l'industrie, avec la mise en oeuvre d'un fonds similaire à celui qui a été accordé au groupe Air France, par souci d'équité. Il nous semble important que de telles mesures bénéficient à tous, parce que nous devrons tous entreprendre des restructurations importantes après la crise, pour lesquelles des fonds publics seront nécessaires.
Au-delà, encore, nous avons sollicité la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) pour qu'elle prévoie de véritables assises du transport aérien afin de traiter les problèmes qui sont connus et toujours plus criants aujourd'hui concernant, notamment, la gestion des aéroports de Paris, les caisses uniques, etc. Nous avons adressé des questions, nous attendons des réponses à court, moyen et long termes et nous souhaitons entamer les discussions au plus vite.
Notre organisation rassemble 95 % de l'emploi salarié français dans le secteur en comptant les compagnies aériennes, les aéroports, les assistants d'escale, les hélicoptéristes, ainsi que la Fédération des drones.
Nous partageons ce qui a déjà été dit. Face aux difficultés de trésorerie à court terme, accorder des prêts pour financer des pertes sans espoir de remboursement, c'est un peu vain. La question fondamentale est celle du redémarrage : je viens de faire un point téléphonique avec le secrétaire d'État, M. Jean-Baptiste Djebbari, comme chaque jour, et selon les dernières informations, l'espace Schengen rouvrirait le 15 juin, avec des incertitudes mais les grands axes internationaux, en particulier les États-Unis et le Canada, repartiraient progressivement à partir du 15 ou du 18 juin. Les procédures de distanciation dans les avions feront l'objet de recommandations de l'Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA), qui seront connues demain ou après-demain et qui seraient pragmatiques, prévoyant en particulier une distanciation liée aux possibilités en fonction des remplissages.
Sur le plan économique, la situation de tous les secteurs de la filière est dramatique. L'avenir du transport aérien se jouera sur la compétitivité et sur la productivité. Les Assises nationales du transport aérien en 2019 ont été un échec retentissant. Nous devons reposer ces questions pour sortir de la crise en nous appuyant sur un référentiel simplifié, de manière que nos conditions d'exploitation soient plus proches de celles des grands opérateurs européens. En effet, la compétition va être d'une extrême rudesse : les grandes compagnies low cost vont envahir le marché français en jouant des règles plus souples de leurs pays d'origine. Contrairement au Royaume-Uni ou à l'Allemagne, nous n'avons pas restructuré le secteur, et nous sommes toujours bloqués par l'environnement réglementaire. La sortie de crise sera donc très dangereuse, avec des risques très élevés et de grandes difficultés à venir. À terme, il faut craindre un amoindrissement de la concurrence sur les dessertes de la « France XXL », avec un risque d'augmentation des tarifs, ainsi que des situations sociales difficiles pour les entreprises, quelle que soit leur taille, et pour leurs salariés.
S'ajoute à cela la contrainte supplémentaire de l'environnement. Les compagnies sont engagées dans ce domaine depuis de nombreuses années, elles versent des contributions volontaires, l'empreinte carbone des avions a été divisée par deux en trente ans, mais nous devons rester prudents : la tentation est grande de poser des conditions en la matière au redémarrage de l'activité. Or ajouter des contraintes à court terme serait mortifère !
Je vous remercie, monsieur le président, pour ces nouvelles récentes sur la réouverture de l'espace Schengen - même si les compagnies régionales de la Caraïbe n'en font pas partie - et celle des grands axes vers les États-Unis et le Canada, ainsi que pour les informations sur les protocoles pratiques qui seront mis en place. Je note aussi que, comme votre prédécesseur, vous souhaitez que les Assises soient remises sur le métier. Vous nous alertez, enfin, sur la rudesse de la compétition qui va naître, sur l'amoindrissement de la concurrence et sur le risque d'écroulement social. Votre référence à l'environnement est aussi particulièrement appréciée.
Je donne à présent la parole à nos trois rapporteurs. Stéphane Artano reviendra sur les mesures d'urgence, Viviane Artigalas sur les conditions de reprise de l'activité et Nassimah Dindar, sur le modèle d'avenir.
Je vous remercie à mon tour pour ces présentations très complètes. J'ai trois questions à vous poser, qui seront suivies de deux questions plus précises que j'adresserai à la compagnie Air Saint-Pierre qui évolue dans un environnement régional un peu particulier.
Le sauvetage de vos compagnies paraît indispensable, et votre présence aujourd'hui en atteste, compte tenu de leur rôle stratégique pour la continuité territoriale et le développement économique des outre-mer. Quel poids vos compagnies ont-elles dans l'emploi sur les territoires ? Quelles seraient les conséquences si l'une d'entre elles disparaissait ?
L'accompagnement des compagnies aériennes ultramarines par l'État vous paraît-il suffisant ? Loin de critiquer la puissance publique, ma question tend à obtenir une vision objective de ce qui est mis en oeuvre. J'ai notamment entendu parler tout à l'heure des PGE. Certaines compagnies ultramarines ont-elles eu des difficultés à en obtenir ? La compagnie Corsair, par exemple, a indiqué que le critère de fonds propres posait problème.
Le dispositif d'activité partielle a-t-il été largement utilisé par vos compagnies ? Jusqu'à quand devrait-il être maintenu pour les salariés du transport aérien ?
Nous partageons tous le souhait de voir vos activités reprendre dès que possible. D'après vous, quel sera le calendrier de reprise dans votre secteur ? M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État chargé des transports, a annoncé la possible réouverture d'Orly pour le 26 juin. Cette échéance vous semble-t-elle pertinente ? Compte tenu de votre rôle stratégique pour la desserte des territoires ultramarins, quelles sont les lignes à rouvrir en priorité ? Et dans quelles conditions ? Le Gouvernement a annoncé que la distanciation physique serait différente dans les avions que dans les trains.
Nous avons déjà interrogé les ministres en charge des outre-mer et du tourisme sur la quatorzaine obligatoire, que l'avis du Conseil d'État semble d'ailleurs supprimer. Le secrétaire d'État a évoqué hier à l'Assemblée nationale des couloirs sanitaires, avec des quatorzaines partagées, moitié en métropole, moitié outre-mer, ou vice-versa, suivant le sens du trajet. Cela impliquerait un parcours sécurisé, y compris à bord des avions. Quelles mesures sanitaires proposez-vous dans cette optique ?
Vos avions sont-ils adaptés pour des vols cargos ? Y a-t-il des risques de rupture des chaînes d'approvisionnement entre les outre-mer et l'Hexagone ? Le prix du fret a-t-il effectivement augmenté, comme on nous l'a dit ?
Je tiens à vous remercier pour vos exposés très intéressants.
La crise peut être fatale à l'ensemble des compagnies aériennes, qu'elles soient nationales ou régionales. La règlementation européenne sur le remboursement du billet d'avion crée une difficulté supplémentaire. Comment pensez-vous que l'État puisse accompagner la mise en oeuvre de cette mesure imposée par Bruxelles ?
Nous pensions que le prix des billets d'avion risquait d'augmenter fortement après la crise. Certains d'entre vous nous ont rassurés affirmant que, sur l'ensemble des compagnies aériennes, ils allaient plutôt baisser. Cela n'ira pas sans difficulté pour les compagnies qui opèrent des vols long-courriers vers les territoires ultramarins. Qu'attendez-vous des aides de l'État pour compenser cette baisse des recettes ?
Vos activités dans les DOM et celles du secteur touristique sont en grande partie liées, même si les vols cargo ont aussi leur importance. Allez-vous vous concentrer sur la clientèle hexagonale sachant que pendant sans doute encore une bonne année, les étrangers ne vont plus venir dans les DOM ?
Enfin, la crise souligne de manière criante la nécessité de changer de modèle dans la gestion aéroportuaire. Nous devons penser au monde aéroportuaire d'après. Comment voyez-vous cette imbrication, et comment pouvons-nous vous aider ? Les parlementaires que nous sommes peuvent relayer les pistes novatrices qui ont été évoquées. En tous cas, nous soutenons votre secteur, capital pour la desserte des outre-mer.
Notre rapport fera la synthèse de vos propositions et nous adresserons des préconisations au Gouvernement afin de faire bouger les choses.
M. Stéphane Artano connaît bien notre société, étant lui aussi de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Vous nous interrogez sur l'accompagnement de l'État. Nous avons obtenu un PGE, mais, comme l'ont dit mes collègues, c'est une charge supplémentaire. Il permet simplement de gagner un peu de temps, en reportant le problème aux années suivantes. À Saint-Pierre-et-Miquelon, beaucoup des possibilités offertes par le Gouvernement n'étaient pas applicables. Les mesures de soutien n'ont pas été adaptées à notre structure ou à notre mode de fonctionnement. En effet, nous n'avons aucune activité dans l'espace Schengen...
Le calendrier de la reprise d'activité dépendra du maintien ou non, d'une quatorzaine outre-mer. Elle met un frein à toute activité. Nous n'effectuons que des vols internationaux, et le Canada a imposé lui aussi des restrictions à l'arrivée. De plus, la distanciation physique, dans nos ATR, sera difficile.
Avec quelque 6 000 habitants, Saint-Pierre-et-Miquelon est une toute petite communauté, qui se trouve divisée entre les partisans de la quatorzaine et ses opposants. Nous avons eu un cas, mais il est guéri, et nous n'en avons plus aucun. Certains veulent que l'archipel reste fermé pendant des mois.
Enfin, n'étant pas dans l'espace Schengen, la règle du remboursement des billets ne nous concerne pas. Pour l'instant, nous ne proposons que des avoirs. C'est le règlement du ministère des Transports canadien qui s'applique.
La disparition d'Air Tahiti Nui serait un sinistre majeur pour l'économie polynésienne : il n'y aurait plus de desserte de l'Asie ni de la Nouvelle-Zélande. Même pour Los Angeles, où nous avons jusqu'à quatorze vols par semaine, aucune compagnie française ne pourrait nous remplacer, faute de disposer sur place d'une base suffisante. Air France en a bien une, qu'elle a héritée d'UTA, et opère trois vols par semaine depuis des années, mais sans avoir l'intention d'aller au-delà. Nous ne serions donc pas remplacés - et nous transportons 50 % des touristes vers la Polynésie.
La particularité des PGE, pour nous, est que ceux-ci reviennent à financer des pertes futures en payant aujourd'hui les salaires de gens qui ne travaillent pas. Lors de la reprise, nous aurons besoin de trésorerie. Comme cela a été dit, ce sera un « bain de sang ». Nous serons en concurrence non seulement entre compagnies aériennes, mais entre destinations. Les Maldives, qui avaient une clientèle essentiellement européenne, viennent de signer un contrat avec une société de marketing pour s'attaquer au marché nord-américain.
Notre société bénéficie des fonds publics. On peut donc imaginer que la collectivité va nous aider. Elle le souhaite mais ne le peut pas. Pourquoi ? Parce que nous sommes une société d'économie mixte locale. Pour procéder à une augmentation de capital, il faudrait changer la loi organique portant statut de la Polynésie et le code des collectivités territoriales. La seule intervention possible de la Polynésie pour Air Tahiti Nui, qui a d'ailleurs été votée à l'Assemblée, consiste à nous apporter des comptes courants associés. Mais la loi stipule qu'un compte courant associé doit être remboursé en deux ans. Autant dire que cela ne nous arrange pas vraiment, car la reprise sera longue.
Nous estimons qu'Air Tahiti Nui devrait être classée comme entreprise stratégique et bénéficier, comme Air France, d'un prêt direct de l'État ou d'une augmentation de capital par l'État ou l'un de ses satellites, ce qui permettrait au pays de faire à son tour une augmentation de capital, car nous aurons besoin de fonds propres. Nous sommes entrés dans la crise avec une trésorerie saine, sur laquelle nous vivons depuis deux mois. Nous pouvons tenir encore un moment, mais à force de payer des charges fixes, et notamment les salaires, la trésorerie va finir par s'épuiser, et elle nous manquera lors de la relance.
Vous nous demandez d'esquisser un plan de redémarrage. Je suis bien incapable de le faire aujourd'hui. Il m'est impossible de définir actuellement mon besoin de trésorerie, ne serait-ce que pour la banque ! En Guadeloupe et en Martinique, où le virus ne circule pas, on nous interdit de voler, tout en parlant de relance économique... Les entreprises de Guadeloupe et Martinique m'appellent tous les jours pour savoir quand on pourra redémarrer l'activité : actuellement, un directeur d'une société en Guadeloupe ne peut pas aller voir ses salariés en Martinique. Nous vivons une situation dramatique. Et tout se passe comme si, depuis quelques jours, la Martinique ne faisait plus partie de l'Europe...
Nous sommes dans une petite collectivité du Pacifique sud, où le rôle du transport aérien est essentiel pour l'économie. La création d'Air Calédonie International résulte d'ailleurs du fait que les autres transporteurs, qui faisaient leur travail en fonction de leurs intérêts propres, ne servaient pas particulièrement les intérêts de la Nouvelle-Calédonie, que ce soit en matière de régularité de transport, d'échanges commerciaux ou de développement touristique.
La Nouvelle-Calédonie compte 300 000 habitants. J'espère que la compagnie sera aidée par son actionnaire - c'est plus une question de moyens que de volonté. Pour autant, pour une petite structure comme la nôtre, le soutien de l'État est absolument nécessaire. Il y a aussi un intérêt stratégique à la présence des avions français dans cette région du monde, où l'influence chinoise ne fait que croître : des capitaux chinois sont investis dans les pays du Pacifique sud, et notre pays voisin, le Vanuatu, va être restructuré à l'aide de capitaux étrangers. Il faut prendre en compte le lien nécessaire avec la métropole pour les échanges économiques futurs. Je vous renvoie, d'ailleurs, à l'intervention du président de la République sur l'axe indopacifique.
Si Air Tahiti Nui et Air Calédonie disparaissaient, ce serait un retour à l'âge de pierre, puisque ce sont les seuls transporteurs sur place. Un soutien extrêmement important doit leur être apporté. Il faudra, de toute façon, un fonds de soutien, dont le montant et les modalités restent à définir. On ne sait pas trop où l'on va, certes, mais nous sommes sûrs qu'il va falloir y aller. Il faudra donc rapidement se mettre autour de la table pour savoir de quoi on a besoin, comment on peut le faire et quelles modalités mettre en place.
Dès aujourd'hui, nous pourrions commencer à revoir la gestion des aéroports. Avec ADP, par exemple, on ne sait plus si on est dans un contrat de régulation économique ou pas. La problématique de la double caisse est fondamentale : il y a là des centaines de millions d'euros annuels qui peuvent aussi servir à la communauté du transport aérien. Sur des mesures aussi ciblées, nous pourrions avancer très vite. Sur le reste, il faut une solution d'ici quelques mois.
Il y a une destination que nous sommes les seuls à desservir, c'est Grand-Case. Supprimer cette desserte serait catastrophique. Nombre de professionnels exercent leur activité sur les deux îles et comptent beaucoup sur cette liaison pour leurs aller-retour quotidiens. Sur le plan social, l'accès aux services publics comme la santé ou la justice, pour les habitants de Saint-Barthélemy, impose de se rendre à Saint-Martin. Ce serait donc un véritable retour en arrière.
Pour moi, l'accompagnement de l'État n'est pas à la hauteur. Je suis même très inquiet, parce que je ne sens pas une réelle volonté de l'exécutif de sauver le transport aérien. Lors des différentes réunions téléphoniques et en visioconférence que nous avons eues avec la direction du transport aérien ou des membres du cabinet du secrétaire d'État aux transports, la seule mesure évoquée qui soit spécifique au transport aérien était le moratoire sur certaines taxes. En somme, on nous permet de payer plus tard des taxes sur les billets d'avion, mais nous ne pourrons pas les payer tant que personne ne voyagera ! Lorsque la possibilité d'une aide directe a été évoquée, conformément à l'article 107 du Traité sur le fonctionnement de l'UE, elle a tout simplement été écartée.
Quand j'entends le ministre Bruno Le Maire expliquer qu'il faut arrêter les trajets de moins de deux heures et demie, ou lorsque j'écoute l'audition de la direction d'Air France au Sénat, le 22 avril dernier, lors de laquelle toutes les questions posées à M. Ben Smith concernaient la transition énergétique, je suis très inquiet. Je trouve profondément injuste de taper sur les compagnies aériennes en permanence, après le réel bashing qui a eu lieu au nom d'un prétendu Green Deal.
En ce qui concerne les PGE, nous n'avons pas rencontré de difficultés particulières dans nos premiers échanges avec la banque, qui n'a toutefois pas encore formellement accepté notre dossier. Le stock de prêts qui devra être remboursé est considérable. Si notre petite compagnie obtenait un PGE d'un montant correspondant au quart de son chiffre d'affaires annuel, avec un remboursement étalé sur cinq ans, cela correspondrait à une augmentation de 10 % des frais fixes ! Quand on sait combien sont modestes les marges d'une compagnie aérienne, on comprend que cela revient à creuser sa tombe. J'ajoute qu'il existe une incertitude sur le taux appliqué. Si l'on rembourse le prêt au bout d'un an, une commission de 0,25 % sera prélevée par la BPI ; au-delà, le remboursement sera soumis à un taux défini à ce moment-là. Clairement, l'État devrait prévoir des aides directes.
L'activité partielle doit être maintenue, comme votre délégation l'a d'ailleurs recommandé dans le cadre des 20 propositions rendues publiées la semaine dernière. La question principale demeure le retour de l'activité et les mesures sanitaires. Imposer une quatorzaine n'est pas possible : nous ne pouvons pas demander à un touriste américain, qui vient en moyenne pour quinze jours, de rester confiné pendant la plus grande partie de son séjour.
J'espère que l'activité régionale va reprendre le plus vite possible. J'ai bon espoir que de bonnes nouvelles seront annoncées prochainement à ce sujet.
Si Air Austral n'existait plus, ce serait une vraie catastrophe pour l'ensemble des territoires français de l'océan Indien. D'abord, parce que nous sommes un outil de projection de ces territoires : nous permettons aux voyageurs de La Réunion de se rendre dans tout l'océan Indien, et notamment à Mayotte. Ce serait une catastrophe économique : Air Austral, basée à La Réunion, emploie 1 000 personnes directement, avec un impact induit de plus de 3 000 emplois locaux.
Le PGE est complexe à obtenir, mais vital dans les circonstances actuelles. Cela dit, ce n'est qu'un prêt, qu'il faut rembourser. Le dispositif d'activité partielle est aussi très important, et il est absolument nécessaire qu'il soit prolongé jusqu'à la fin de l'année car chacun sait que la reprise du trafic sera progressive. Pour l'instant, nous subissons une gestion du trafic encadrée, voire administrée. Il serait donc anormal que nous ne puissions pas continuer à bénéficier de cette aide précieuse.
Qu'il s'agisse de fret, de trafic de passagers ou de développement du tourisme, tout est lié à la question de la quatorzaine qui est un véritable frein au voyage.
Avec La Réunion, le nombre de vols hebdomadaires a été divisé par dix, passant de plus de trente à trois. Dans les avions, le nombre de passagers est limité, pour des raisons qu'on peut comprendre, et ceux-ci sont tenus de faire une quarantaine à l'arrivée. Il est vrai que ces mesures ont protégé le territoire. Mais nous n'avons aucune visibilité sur la fin de cette mesure. C'est cela qui nous pose problème.
Le Premier ministre a dit dans sa dernière allocution que les Français devaient voyager et faire du tourisme en France et en outre-mer. On suppose qu'en juillet et en août prochain cela sera possible en métropole. Quid des outre-mer ? Pour voyager en juillet prochain, le voyageur doit acheter son billet maintenant.
J'ai entendu que l'ouverture des liaisons sur les grands axes internationaux pourrait intervenir vers le 15 juin prochain. Tant mieux, cela donne une perspective. On peut supposer que les liaisons entre la France et les États-Unis seront rouvertes, avec des protocoles de part et d'autre, passant probablement par la prise de température et le port du masque, mais probablement pas la distanciation à bord, ni une quatorzaine à l'arrivée. Cela relancera le trafic. Et je vous parle de deux destinations, la France, où 0,25 % de la population est réputée atteinte du Covid-19, et les États-Unis, avec 0,46 % de la population réputée touchée. Entre la France métropolitaine et La Réunion, les chiffres sont de 0,25 % et 0,04 %. Pourtant, il y aura probablement encore, le 15 juin, une quatorzaine. Aussi nous demandons qu'une réflexion soit menée sur ce problème, afin qu'on puisse savoir à quel moment une autre solution sera trouvée : tests au départ, couloirs sanitaires... Certes, les tests ne sont pas fiables à 100 %, mais nous ne pouvons pas nous cantonner dans une posture d'attente : il faut substituer à la quatorzaine des mesures plus fluides tout en étant respectueuses de la santé des territoires.
Lorsque nous l'avons auditionnée, la ministre nous a dit que, dans la situation de crise que nous vivons, certaines vérités avaient une durée de vie de quelques heures, voire d'un jour ! C'est une situation très difficile pour vous qui gérez sur le long terme et devez prendre des décisions importantes d'accepter cela... Pourtant, personne ne sait à quoi s'en tenir exactement.
Je voudrais insister sur le risque de disparition d'Air Antilles. Depuis sept ans, nous avons tissé un réseau avec 26 destinations qui relient nos îles à l'ensemble des Caraïbes. Nous sommes la seule compagnie à avoir autant investi pour désenclaver ces îles. Sept ans d'efforts sont en train de disparaître. Je crains que ce travail soit mis à mal par la crise et par les difficultés de reprise d'activité. Nous sommes le transporteur de la collectivité territoriale de Guyane et nous avons fait notre devoir en effectuant du fret entre Cayenne et les communes de Guyane. Mais nous ne percevons aucune compensation puisque que notre modèle est basé sur le « transporteur passager » et nous subissons d'importants coûts. C'est une situation catastrophique. Nous arrivons au bout du chemin.
Je tenais à donner quelques précisions sur le poids d'Air France dans les DROM : nous y avons plus de 500 salariés, la contribution à l'économie est de plus de 600 millions d'euros. Nous voulons continuer à assurer notre rôle dans ces économies locales. Nous sommes par ailleurs un acteur majeur en matière de cargo. Je tiens à souligner qu'Air France s'est engagé, pour toute activité cargo sur des vols classiques avec passagers, à maintenir les prix d'avant crise pour nos clients réguliers. Nous n'avons pas fait jouer le mécanisme de l'offre et de la demande : nous avons garanti une stabilité des prix malgré l'effondrement de l'offre. Nous avons également remplacé, assez rapidement, des vols passagers en vols cargo. Ce sont des opérations beaucoup plus chères et nous avons dû répercuter ce surcoût dans le prix. Cependant, même pour ces vols, les prix ont été plafonnés pour les équipements sanitaires et le fret alimentaire. Nous avons assuré pendant la crise une double mission de rapatriement des Français à l'étranger et de continuité territoriale. Nous avons, je pense, réalisé un bon équilibre entre surcoûts liés au transport cargo et jeu de l'offre et de la demande.
Je suis stupéfaite de la méconnaissance de la diversité des territoires par nos autorités. Je compte sur les rapporteurs pour mettre en évidence ces difficultés spécifiques en termes de maillage territorial et international.
Une logique sanitaire s'est imposée dès le début. Nous n'avons pas eu en outre-mer un grand nombre de décès et beaucoup de personnes sont aujourd'hui guéries. Mais nous ne connaissons pas les conséquences pour l'avenir. S'agissant des entreprises, d'importants problèmes vont se poser. Ces difficultés seront irréversibles si elles ne sont pas anticipées. Beaucoup d'entre vous avez contracté des PGE mais vous n'êtes pas sûrs de retrouver rapidement votre clientèle à cause de la quatorzaine.
Nous avons eu hier en Guadeloupe une réunion avec le préfet, les présidents des exécutifs locaux, des EPCI et les parlementaires. Le Conseil constitutionnel a rendu une décision sur le sujet : ou bien les personnes font leur quatorzaine à domicile ou bien ils la passent dans un lieu dédié. Nous avions été alertés sur les questions économiques, et notamment sur le tourisme et le transport aérien, par le président de la FEDOM M. Jean-Pierre Philibert. Il faut permettre à l'activité économique de reprendre, c'est capital pour les emplois directs dans le secteur aérien mais aussi pour tous les emplois indirects dans nos territoires. Il faudra faire remonter toutes les doléances des compagnies aériennes. Il y a eu l'année dernière une mission d'information sur le transport aérien mais les problèmes ne se posaient pas de la même manière, les contraintes n'étaient pas les mêmes. Par ailleurs, je ne comprends pas la décision du préfet sur le refus d'autorisation de vol entre la Guadeloupe et la Martinique.
Concernant les remboursements, nous devons aussi faire de la pédagogie pour inviter les personnes à accepter des avoirs plutôt que des remboursements immédiats qui risquent de mettre encore plus en difficultés les entreprises. Il faut davantage de communication de la part du Gouvernement pour éclairer les usagers.
Vous le savez, il m'arrive très souvent au Sénat de hurler ma douleur face aux réalités que nous vivons. Celle de la vie en outre-mer et les réponses que nous avons sont très en deçà de nos réalités. J'ai eu l'occasion, il y a quelques mois, de dire que mon territoire, la Martinique, n'était pas la France. Quel émoi cela a soulevé ! C'est tout juste si je n'avais pas cassé les bras de Marianne parce que j'avais dit cela. On a pris les choses au premier degré en disant que j'étais peut être une séparatiste. Non ! J'exprimais ma douleur ! J'exprimais le fait de dire que mon île n'est pas la France. La preuve : si un parisien aujourd'hui souhaite aller à Bordeaux ou à Marseille pour rejoindre sa famille, il va prendre le TGV ou sa voiture et y aller. Moi, si je veux aller voir un parent aujourd'hui ou si je suis cheffe d'entreprise ayant une activité en Guadeloupe, ce n'est pas possible de me déplacer.
La distorsion dans le service public qui est rendu à des compatriotes qui ne sont pas dans l'Hexagone me permet de dire que nous ne sommes pas la France. Cette réalité-là que nous vivons en ce moment avec vous a été réveillée par une crise qui aura eu au moins le petit avantage d'enlever le fard que nous mettons dans nos relations avec le pouvoir central.
Face à nos demandes, face à une réalité qui est criante, chaque année on a droit à un petit peu de poudre de perlimpinpin par-ci par-là. Nous sommes très loin des réalités. Il m'arrive tellement souvent de me demander ce que je fais là...
Face à nous, nous avons des murs d'incompréhension, des réalités qui ne sont pas abordées et j'ai presque perdu espoir qu'un jour cela sera mieux appréhendé. Avec nos propositions d'une boîte à outils adaptée aux réalités, nous passons en permanence pour des personnes qui demandent, qui réclament. Nous avons des réalités qui doivent être prises en compte. En quelques jours, il y a eu dix mille interprétations de réalités institutionnelles pour répondre à la situation de M. Kourry. Il y a des choses que je ne comprends pas. Pourquoi Air Antilles ne peut-il pas reprendre ces vols ? Quelle est la vraie raison ? Il faut laisser l'économie reprendre. Je ne comprends pas ces problèmes. Cette crise, je le répète, va être un désastre pour nos économies. Nous dépendons du tourisme, de relations qui nous obligent à voyager. Nous dépendons d'un certain nombre de réalités, avec la nécessité de surveiller, chaque année, si l'alinéa numéro tant du code des impôts ne va pas tout faire écrouler. Nous sommes épuisés de passer notre temps à tout surveiller comme le lait sur le feu pour que l'économie ne s'effondre pas du jour au lendemain. Encore une fois, si nous devons trouver un seul avantage à cette crise, c'est qu'on a pu enlever la poussière qu'on passe notre temps à mettre sous le tapis pour ne pas affronter les réalités. Je vous fais part d'une anecdote : j'ai voulu rentrer dans l'Hexagone dans les jours qui viennent car j'avais plusieurs rendez-vous programmés avec des ministères sur des sujets importants. Le billet d'avion était proposé à 8 500 euros ! Je refuse de faire un aller-retour pour Paris à ce tarif avec, en plus, une liste d'attente interminable, sans certitude de voyager. C'est inconcevable !
Je vais terminer sur une interpellation : que pouvons-nous faire pour vous de manière concrète et rapide ? Il y aura le rapport de la délégation, c'est très bien et merci pour cette initiative prise par le président. Mais là aujourd'hui, Monsieur Éric Kourry, j'ai envie de vous aider, d'écrire dans les minutes qui suivent au préfet Stanislas Cazelles, ancien conseiller outre-mer du Président Emmanuel Macron. Qu'est-ce qu'il faut faire ? Je me tiens à votre disposition et je suis sûre que mon collègue sur le territoire, le sénateur Maurice Antiste, va partager ma vision, en attendant le rapport de la délégation. Je comprends les contraintes dans la mesure où il y a tellement de choses à couvrir. Que peut-on faire aujourd'hui pour vous aider, pour renforcer votre offensive et pour dire que cela ne peut pas durer ?
Plus que jamais, ces temps-là nous appellent à l'expression de nuances. La politique qui consiste à affirmer être à 100 % social ou à 100 % économique ne tient plus. Personnellement, j'ai mon coeur à gauche mais je suis très consciente des réalités économiques. Il faut comprendre que je puisse crier pour dire qu'il faut peut-être aller ouvrir les frontières afin que les professionnels du secteur touristique puissent avoir un peu d'oxygène car nous allons vers un effondrement du secteur. Si tout s'effondre, de quels budgets disposerons-nous pour payer le Pôle emploi, le RSA, tout le désastre de la non-activité qui nous coûte déjà si chère. Je me tiens à votre disposition pour ce qui concerne les problématiques liées spécifiquement à la Martinique et la liaison avec la Guadeloupe.
Nous avons une réunion hebdomadaire, chaque jeudi, avec le préfet en espérant qu'elle se tienne même si c'est férié. En tout état de cause, nous plaiderons votre cause avec détermination pour ne pas être simplement spectateur du désastre économique qui va nous tomber dessus avec des dommages collatéraux qui dureront des années, en attendant la prochaine crise.
Je vous souhaite bon courage, ne lâchez pas. De toute façon, nous sommes là à vos côtés pour passer le mauvais cap et pouvoir ouvrir de nouvelles perspectives. La réouverture d'Orly est une nécessité ! Nous ne pouvons pas priver les compagnies aériennes comme Corsair ou Air Caraïbes de vols. En ce sens, un premier courrier va être envoyé au Gouvernement pour soutenir cette ouverture d'Orly et insister à nouveau sur le fait que nous sommes déterminés à vos côtés. Nous ne devons pas être des spectateurs inactifs à regarder ce qui se fait en se tenant les bras croisés.
Merci, chère collègue pour ce plaidoyer. Je veux juste rappeler que le Sénat diffuse cette visioconférence en direct et sera également accessible en VOD a posteriori. La délégation avec les moyens qui sont les siens fait remonter toutes les informations aussi vite que possible mais il appartient également à chacun dans sa circonscription de veiller à faire remonter les besoins de nos territoires.
Monsieur le président, chers collègues, je salue également les représentants des compagnies aériennes. Je souhaite faire quelques remarques et j'aurais ensuite une question spécifique.
En premier lieu, je souhaite affirmer l'importance du réseau régional. C'est un clin d'oeil à la fois à Bertrand Magras, à Éric Kourry et Marc Rochet puisque nos territoires sont particulièrement dépendants de cette desserte. Il faut impérativement que vous puissiez avoir les moyens de vos ambitions. Je veux simplement rappeler que par le passé nous avons eu une série de compagnies aériennes qui n'ont pas pu survivre et aujourd'hui alors que nous avons trois compagnies qui fonctionnent et assurent un service de qualité, il est impératif pour nos territoires qu'elles puissent se maintenir.
Je veux aussi attirer l'attention particulière de Monsieur Kourry. Je n'ai pas toujours été d'accord avec vous mais aujourd'hui je comprends votre colère et la partage. À ce jour, il n'est pas normal qu'il n'y ait pas de desserte des compagnies régionales sur la Martinique. Il me semble, sauf interprétation erronée de ma part, qu'il pourrait s'agir d'un excès de pouvoir de la part de notre préfet. D'ailleurs, je suis habitué à certaine prise de position de sa part. Je me tourne vers ma collègue Catherine Conconne car la situation concerne aussi le territoire de la Martinique. À moins qu'il ne s'agisse simplement d'une solidarité du corps préfectoral mais il faudrait aussi que le préfet de la Martinique fasse entendre sa voix sur cette question. Il me semble que ce n'est pas aux préfets de définir si la desserte est suffisante ou non Il faudrait peut-être, même si nous sommes en situation de crise sanitaire, que le client puisse avoir le choix de son déplacement.
Enfin, je voulais soulever une question propre au responsable Corsair pour qu'il puisse nous répondre en direct. Sauf erreur de ma part, Monsieur Bruno Le Maire a admis une aide pour Corsair mais à condition que son partenaire allemand participe également à cet effort. Qu'en est-il aujourd'hui de ce partenaire allemand ? Au départ, on nous a dit que ce partenaire ne souhaitait pas injecter des fonds en raison de la crise.
Je ne souhaite pas que cette réunion se transforme en mur des lamentations. Mais force est de constater que les carences que la Délégation aux outre-mer pointe sont toujours d'actualité. Nous prêchons souvent dans le désert dans notre propre hémicycle du Sénat. Cela fait des décennies et voire plus, Catherine Conconne l'a bien dit, que nous rappelons que les outre-mer donnent à la France et à l'Europe sa dimension mondiale tant par notre espace géographique que nos espaces maritimes et terrestres. En ce qui concerne la Guyane, nous sommes victimes de trois difficultés.
Tout d'abord, l'enclavement entre la Guyane et la France hexagonale. Air Caraïbes qui nous dessert cinq à six fois par semaine pour les raisons que nous savons n'est plus en mesure de venir. Air France vient une ou deux fois par semaine. Nous sommes maintenant doublement confinés sur notre territoire.
Cerise sur le gâteau, la liaison que nous avions avec le Brésil est supprimée jusqu'à la fin de l'année puisque la seule petite compagnie, Air Azul, ne viendra pas en Guyane avant la fin de l'année.
Reste Air Guyane, consortium avec Air Antilles express. J'ai entendu le vibrant plaidoyer de mon ami Éric Kourry qui nous dit, malgré son optimisme à toute épreuve, qu'il va mourir car il s'agit d'une petite compagnie qui ne pèse pas lourd dans l'ensemble des compagnies de France hexagonale et de l'Europe. Ce sont ces compagnies qui désenclavent nos territoires. Douze communes sur vingt-quatre en Guyane n'ont pas d'accès aux autres territoires car nous ne disposons pas de route. Il faut user de la pirogue, de l'hélicoptère ou de l'avion. D'ailleurs, le président de la collectivité territoriale de Guyane vient de réquisitionner Air Guyane, dans des conditions assez rocambolesques, pour réaliser le transfert aérien deux ou trois fois par semaine. Cependant, comme ce sont des avions de petite taille, ils ne transportent que cinq ou six personnes maximum afin de respecter la distanciation sociale. Le Gouvernement doit entendre la voix de ces compagnies qui sont certes petites mais qui demeurent indispensables à la continuité territoriale et intra-territoriale. Sans cela nous allons vers une grande détresse et nous ne pourrons jamais remonter la pente.
Je tenais à dire que je partage les positions de ceux qui se sont exprimés avant moi. Il faut absolument que, fort de cette réunion et du rapport qui sera fait, nous puissions insister sur la reprise au plus vite de la continuité territoriale entre l'Hexagone et nos territoires mais aussi souligner l'importance de l'aide à nos petites compagnies qui sont en Antilles ou en Guyane pour qu'elles puissent survivre et continuer à servir les populations de nos territoires. C'est un véritable plaidoyer que je fais.
Est-ce que les représentants des compagnies aériennes souhaitent réagir ?
Je voulais excuser M. Victorin Lurel qui ne peut pas intervenir pour des raisons de connexion. Tous deux nous allons travailler avec M. Kourry. Nous sommes directement concernés à la Martinique puisque c'est Air Antilles qui assure les liaisons avec notre environnement caribéen. Nous devons tout faire pour protéger et sauvegarder cette compagnie.
Monsieur le président et vous tous parlementaires, je tenais tout particulièrement à vous remercier vivement pour l'intérêt que vous nous manifestez et votre soutien car nous avons vraiment besoin de vous. C'est normal que l'État ait aidé Air France car il y a un enjeu national, mais je crois qu'il ne faut pas oublier les autres compagnies. Chacune contribue à la vitalité économique, sociale de la métropole et des départements d'outre-mer ; nous faisons tous oeuvre d'utilité publique quand nous desservons les outre-mer. Nous maintenons un lien social, nous favorisons l'activité économique. Il n'y a pas de plan sectoriel pour le transport aérien ; il y en a un pour le tourisme, l'aéronautique, le secteur automobile... Jusqu'à maintenant, nous n'avons pas réussi à nous « accrocher » aux plans sectoriels du tourisme ou de l'aéronautique. Notre situation est assez dramatique : ne volant pas, nous n'avons pas de recettes et notre avenir est sombre. Nous avons besoin d'aides de l'État comme dans les autres pays. Je crois que la survie des compagnies qui sont invitées ici est une nécessité publique.
Pour répondre à la question sur Corsair, j'ai écouté la position de M. Bruno Le Maire. C'est vrai que j'ai deux actionnaires, l'un ne fera rien et l'autre, le groupe TUI premier groupe touristique mondial est lui-même très affecté par la crise, ses activités étant arrêtées et ses hôtels étant fermés. Le groupe TUI a demandé le soutien du gouvernement allemand à travers la banque publique d'investissement allemande pour obtenir une aide 1,8 milliard d'euros qui lui a été accordée. Nous continuons à avoir des discussions difficiles avec nos actionnaires. Dans l'hypothèse où les actionnaires ne contribueraient pas, cela signifierait-il que nous ne devons pas attendre d'aides de l'État sous forme de prêt garantie ou autre ? C'est une réelle inquiétude. Je suis très honnête avec vous, le management fait tout pour pérenniser la compagnie mais on ne peut s'en sortir sans aide et on ne sait pas comment celle-ci va se débloquer. Je tenais à vous remercier toutes et tous pour l'intérêt et le soutien que vous nous manifestez. Je remercie tout particulièrement l'ensemble des parlementaires qui ont signé la pétition en faveur de Corsair.
Nous souhaitons tous redémarrer dans des conditions claires et transparentes. Je souhaiterais formuler comme mes autres collègues opérateurs, deux voeux. Le premier de mes voeux est celui d'une parole de l'État simplifiée et unique. On ne peut pas avoir tous les jours des responsables publics et des préfets qui se contredisent et changent de plans. On ne peut pas continuer dans cette cacophonie, elle est déstabilisante pour les clients et pour les populations. Nous sommes tous maintenant tributaires de BFM TV ou d'autres radios pour être tenu au courant des dernières annonces. Dans notre pays qui se veut de tradition de haute administration, dans notre pays d'élus, il doit y avoir une simplification et une clarté de la parole publique. J'avais cru comprendre que les propos du Premier ministre dans sa dernière intervention étaient assez précis. On s'aperçoit cependant que la cacophonie reprend. Mesdames et Messieurs les sénateurs, nous comptons sur vous.
Mon deuxième voeu, c'est l'optimisme car si nous continuons à nous faire peur, nous n'en sortirons jamais. On fera durer la crise par le stress et les restrictions diverses et variées. Il y aura des entreprises qui fermeront. Ce sont des hommes et des femmes qui vont perdre leur travail. On sait tous le rôle du transport aérien dans les outre-mer, il est indiscutable au plan économique mais surtout en raison de la possibilité offerte de se déplacer. Donc je formule le voeu d'être optimiste, de se fixer un objectif de redémarrage de nos activités avec une date précise, sachant qu'elles ne seront pas les mêmes au niveau régional et pour les long-courriers.
Ayons la vision et l'ambition de faire quelque chose qui pousse à sortir de la crise. Quand nous avons demandé à sortir de la crise pour fin juin, Madame la sénatrice l'a d'ailleurs évoqué, il s'agissait d'un horizon raisonnable. Nous souhaitons reprendre l'activité pour le 26 juin, permettre aux gens de réserver, de planifier leurs vols, de se rassurer et de baisser le niveau de stress des populations. Si la crise, d'ici le 26 juin, est repartie vers le pire des scénarios, nous ajusterons nos plans. Aujourd'hui on ne fait rien, et si on continue comme ça, rien ne redémarrera. Et là ce sera dramatique.
Donc, je formule deux voeux, d'une part, l'unicité et respect de la parole de l'autorité publique, et d'autre part, une vision d'avenir à un mois ou un mois et demie.
Je vais être bref. Je constate que tous les opérateurs sont sur la même longueur d'onde. Je rebondis sur les paroles de mon collègue de Corsair en parlant des aides des États et tout particulièrement de l'État fédéral nord-américain qui a attribué 50 milliards de dollars pour les compagnies aériennes et 30 % de cette aide sont des subventions directes. Autrement dit nous aurons face à nous deux compagnies américaines qui desservent la Polynésie et qui auront des tarifs de « prédation » sur lesquels on ne pourra pas s'aligner. Je suppose que Marc Rochet est d'accord avec moi, lui qui est face à ces compagnies sur San Francisco. Ils ont touché des subventions et non des prêts. À nous on parle de prêts. Mme Annick Girardin a dit qu'elle nous aiderait mais on sait que le budget est à Bercy et j'espère que vous nous aiderez en convaincant Bercy. Je vous en remercie par avance.
Je voudrais m'adresser à Air Saint-Pierre qui évolue à Saint-Pierre-et-Miquelon dans un contexte régional nord-américain et avec l'Europe avec les vols directs entre juin et septembre entre Paris et Saint-Pierre-et-Miquelon.
Au-delà de la considération de la quatorzaine qui d'après le Gouvernement va évoluer dans les semaines à venir en fonction des avis scientifiques, si on prend la baisse d'activité de 65 % sur les derniers mois, est-ce que le maintien des vols directs entre Saint-Pierre et Paris est soutenable pour la compagnie, sans soutien financier extérieur ?
Quelles seraient les conséquences financières pour Air Saint-Pierre si les vols directs avec Paris étaient suspendus cet été ? Enfin, qui doit prendre la décision de réaliser ou non ces vols directs et à quelle échéance une telle décision doit être prise pour ne pas compromettre les vols directs entre Saint-Pierre et Paris ?
Notre situation est paradoxale. Comme toutes les compagnies, nous avons des difficultés financières mais le volet direct Paris Saint-Pierre fait l'objet d'une délégation de service public (DSP) séparée de notre DSP à l'international. On fonctionne sur une DSP à l'international avec 440 vols à l'année sur le Canada et une DSP avec Paris qui représente 12 vols saisonniers. Ne pas faire de vols n'aurait en réalité pas d'intérêt pour Air Saint-Pierre parce que l'économie générée serait une économie pour l'État : ce serait une subvention qu'il n'aurait pas à payer. Elle ne peut pas être reversée sur la DSP avec le Canada, où nous sommes en difficulté. L'enveloppe déjà budgétisée était de 400 à 500 000 euros. Pour nous, ce ne pourra pas être une économie.
Quant à savoir qui doit décider, c'est le Gouvernement qui impose la quatorzaine et qui doit trouver des mesures sanitaires alternatives. Dès ces mesures mises en place, c'est à lui de décider si ces vols doivent avoir lieu ou non. La décision aurait dû être déjà prise la semaine dernière. Le premier vol est prévu pour le 23 juin, c'est à dire dans un mois. Pour que les gens puissent s'organiser, il faut décider très vite.
Je vous remercie d'avoir exprimé votre point de vue et d'avoir proposé des solutions. J'ajouterai quelques mots en conclusion.
Je retiens plusieurs éléments de cette table ronde. Le soutien apporté par l'État n'est pas forcement adapté à nos territoires et pas toujours à la hauteur : le moratoire sur les charges n'est d'ailleurs pas la bonne solution car c'est une dette que l'on crée et que l'on doit payer un jour ou l'autre. La sortie de crise n'offre actuellement aucune lisibilité ni visibilité sur la façon de s'en sortir et la réouverture d'Orly est une nécessité absolue. Je note également que les prix dans le transport aérien seront maintenus, voire pourraient diminuer. Quant au PGE, vous l'avez tous utilisé et je n'ai pas noté dans vos interventions la frilosité des banques que nous avons l'habitude d'observer. Sur le remboursement des billets d'avion il y a de réels questionnements. Je comprends aussi que la compétition entre compagnies sera très rude. Il ne faudrait pas que la France soit la dernière à décider quand le reste du monde aura déjà pris de l'avance. Vous avez demandé que les Assises du transport aérien soient relancées car elles ont été un échec. Vous attendez également la création d'un Fonds de soutien pour les compagnies.
J'ai noté que le réseau Caraïbes est particulièrement en danger. Bien entendu je voudrais dire aussi que nous comprenons parfaitement l'aide à Air France mais nous avons toujours soutenu, en tant que sénateurs, la totalité des compagnies à l'échelon ultramarin.
Il me reste à vous dire qu'en tant que parlementaire, et je parle au nom de tous, nous avons l'habitude de faire entendre nos voix pour défendre les outre-mer.
Je voudrais vous rassurer car nous ferons au mieux pour relayer tout ce que vous avez pu nous dire et je partage l'avis selon lequel on a assisté ces derniers mois à une cacophonie avec des décisions qui manquaient de clarté. On nous explique que finalement ce ne sont pas les élus qui décident mais l'exécutif au plan national.
Je pense avoir fait le tour des sujets. N'hésitez pas à nous faire parvenir des propositions que nous pourrions défendre. La délégation veillera à rendre compte de cette réunion. Et nous ferons des préconisations sur ce qui a été dit.