Dans le cadre de notre mission d'information sur le thème de l'uberisation de la société et de l'impact des plateformes numériques sur les métiers et l'emploi, nous accueillons aujourd'hui M. Pierre Delalande, directeur des affaires publiques France et Benelux d'Uber, M. Julien Lavaud, directeur affaires publiques France de Deliveroo et M. Hervé Novelli, président de l'Association des plateformes d'indépendants (API). Nous avions organisé le 6 mai une table-ronde, après le rapport de la commission des affaires sociales sur la protection sociale des indépendants, qui appelle à une nouvelle définition juridique du travail indépendant. Cependant, notre mission d'information n'entend pas en rester à ces questions juridiques mais bien s'intéresser au modèle économique des plateformes numériques, au management par algorithme, pour évaluer en particulier comment les emplois traditionnels vont en être affectés. Je signale qu'une plateforme est ouverte sur ces questions sur le site du Sénat jusqu'au 31 juillet, pour recueillir les témoignages et analyses des salariés des plateformes numériques.
Je vous cède la parole pour un propos liminaire, après quoi le rapporteur et nos collègues vous interrogerons.
Merci pour cette invitation, je salue les travaux que le Sénat a réalisés ces dernières années, avec plusieurs missions et rapports importants sur la numérisation de l'économie et ses enjeux. Votre mission recouvre des sujets très larges et nous sommes heureux de vous faire part de notre expérience.
Les plateformes numériques créent de l'emploi flexible et accessible : environ 25 000 chauffeurs et 50 000 livreurs travaillent déjà dans ce cadre, et le potentiel de développement est important en France puisque l'offre en transport partagé se situe encore en-deçà d'autres pays voisins. Cet emploi fonctionne aussi comme un tremplin professionnel, il est très accessible puisqu'on n'y demande aucun diplôme. Il permet un accès à l'emploi de ceux qui en sont éloignés, pour des emplois qui bénéficient d'un cadre juridique précis. C'est assurément un vecteur d'intégration sociale. Ces emplois offrent des possibilités de formation. Nous y encourageons, via des partenariats avec des associations comme Chance, pour que les chauffeurs et livreurs puissent poursuivre leur expérience. La question du statut de l'emploi, sur laquelle le débat public se focalise, ne traite pas cet aspect très important d'intégration sociale. La flexibilité - qui passe parfois pour un gros mot - offre la possibilité de travailler sans horaires imposés ni poste fixe, donc un accès à l'emploi.
Ensuite, le modèle des plateformes n'est pas figé. Il a connu des évolutions récentes pour plus de transparence, en particulier pour plus de choix sur les offres de travail, sur la tarification, sur les procédures d'information, et plus de contradictoire, de dialogue social. La moitié de tous les livreurs ont répondu à notre dernière consultation sociale interne. Nous mettons en place un dialogue institutionnalisé pour le premier semestre de l'an prochain. C'est un engagement fort d'Uber : nous sommes convaincus que les plateformes et les travailleurs ont besoin d'un dialogue de qualité. C'est aussi pourquoi nous attendons avec impatience l'évolution du cadre réglementaire et la mise en place des élections professionnelles. Nous voulons travailler avec toutes les parties prenantes, pour que ce dialogue social de qualité fasse avancer les discussions. Ce mécanisme que nous mettons en place est pionnier en Europe. Les améliorations de ces dernières années attestent de la capacité des plateformes à écouter les parties prenantes, la société civile et le Parlement.
Enfin, nous sommes convaincus qu'il faut renforcer la protection sociale des travailleurs des plateformes. Le débat porte beaucoup sur le statut mais les travailleurs pensent d'abord protection. Notre système social crée un différentiel de protection, et ce malgré les lois récentes. En résumé, plus vous cotisez, moins vous êtes protégé. Il faut donc modifier les règles, en commençant par débattre de l'existant et des options, pour nourrir la réflexion à l'échelon européen.
Le potentiel d'emploi des plateformes est une chance pour la société française, surtout en sortie de crise sanitaire. Nous sommes convaincus que le développement de cet emploi passe par plus de dialogue avec les travailleurs, pour plus de protection dans l'emploi.
La « plateformisation » va se développer dans les années qui viennent, c'est le sens de la révolution numérique, qui porte la rencontre entre le demandeur et l'offreur de services, ceci dans tous les secteurs de la société. L'API a été créée en novembre 2019, après que des représentants de plateformes étaient venus me dire leurs incertitudes, car des plateformes nouvelles n'étaient pas représentées, donc pas défendues. Or, la représentation est souhaitable, pour le dialogue social. C'est ce qui a été fait, l'API compte 22 membres, et même 30 avec nos partenariats.
Une précision de vocabulaire : ce qu'on appelle la « plateformisation » est plus large que l'uberisation, allant bien au-delà des mobilités et englobant des services à la personne mais aussi aux entreprises.
Je prône une vision d'ensemble. Notre pays compte 3,5 millions de travailleurs indépendants, sous des formes traditionnelles - artisans, commerçants, professions libérales - et des formes nouvelles, par la micro-entreprise dérivée de l'auto-entreprenariat. Il y a dix ans, notre pays comptait environ 2 millions d'indépendants, et très peu de micro-entrepreneurs. Désormais, les micro-entrepreneurs comptent pour 40 % des indépendants et, au rythme des créations d'entreprises, ils pourraient être majoritaires demain. C'est une mutation très importante. On dénombre environ 100 000 travailleurs indépendants dans le secteur de la mobilité. Ils représentent un tiers des travailleurs entrant directement dans la « plateformisation » où l'on compte également des services à la personne et aux entreprises. Vous avez ainsi auditionné la plateforme Wecasa, adhérente à l'API, elle met en relation avec 45 000 coiffeurs professionnels, tous micro entrepreneurs.
Il faut donc veiller à ce que les nouvelles règles ne soient pas définies seulement pour ces travailleurs indépendants des plateformes, mais pour tous les travailleurs indépendants, ou bien les pouvoirs publics créeront une catégorie parmi eux qui disposera du dialogue social tandis que les autres n'y auront pas accès. L'ordonnance du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d'exercice de cette représentation, prend ce risque, d'autant que le champ en a été limité par le Conseil d'État aux seuls travailleurs du secteur des mobilités, et qu'elle laisse de côté la représentation des plateformes. De même, la création de l'Autorité de régulation du dialogue social doit être accompagnée d'un mécanisme de financement, mais rien n'a été arrêté en la matière - il faut entendre les plateformes sur le sujet.
Je crois donc qu'il faut se garder d'une vision tronquée, qui nous empêcherait de voir l'ensemble du sujet, lequel englobe la totalité du travail indépendant. C'est pour cela que j'apprécie le titre de votre mission. Le phénomène à traiter est bien plus large que la seule uberisation qui ne viserait que la mobilité.
Je pense également que la réforme à marche forcée est délicate. On parle d'élections professionnelles pour l'an prochain. Cela semble très difficile à tenir juste avant l'élection présidentielle. Si l'on était en fin de processus, on pourrait l'envisager, mais nous ne sommes en réalité qu'au début d'une construction commune.
La « plateformisation » doit être analysée dans son ensemble, de même que sa régulation - mais je suis au regret de dire que ce n'est pas la voie prise et que, même, rien n'est encore pensé à cette échelle. La clarification du statut juridique des travailleurs des plateformes doit s'intégrer dans une définition globale du travail indépendant, que j'appelle de mes voeux. Le droit du travail ne vise pas que les salariés, mais aussi les indépendants et ce droit reste à écrire dans sa plus grande part.
Merci pour votre invitation, il me parait essentiel que toutes les parties prenantes soient entendues, nous sommes heureux de contribuer à vos travaux.
Deliveroo est née au Royaume-Uni en 2013, elle est arrivée en France en 2015, et nous sommes devenus un acteur de la restauration, avec notre réseau de livreurs et de restaurants partenaires. La crise sanitaire a accéléré la demande de livraison. Deliveroo est passé de 11 000 travailleurs à 14 000 et de 12 000 restaurants partenaires à 20 000, sur l'ensemble du territoire français. Nous nous sommes diversifiés en proposant, grâce à notre partenariat avec des supermarchés, la livraison de courses. C'est une caractéristique commune aux plateformes : elles sont dynamiques et se développent en proposant des services qui sont demandés.
Nos métiers comptent parmi les rares activités sans barrière à l'emploi. L'accès est facile. C'est l'une des forces du secteur. Dans les enquêtes que nous avons réalisées auprès des travailleurs, ils nous disent, à 80 %, que la flexibilité est le premier critère qui leur a fait choisir de travailler avec nous. Nos emplois ont un rôle d'intégration, parce que les livreurs sont souvent éloignés des formes traditionnelles d'emploi. Nos emplois servent aussi de tremplin vers d'autres situations professionnelles, d'où le fait que les livreurs restent le plus souvent moins d'un an avec nous.
L'accompagnement des plateformes est un enjeu important pour que le dialogue social se structure. Nous avons mis en place, en 2019, un forum des livreurs, avec 25 livreurs élus par leurs pairs ; nous le réunissons tous les trois mois, pour débattre de tous les sujets relatifs au travail des livreurs, la discussion est sincère et ouverte. Ce dialogue social est suivi, investi par les travailleurs. C'est pourquoi nous nous réjouissons de l'ordonnance du 21 avril, nous attendons sa finalisation, en particulier sur la représentation. La mise en place des institutions du dialogue social est prévue pour fin 2022, nous avons dit que l'enjeu est que chacun se sente libre de créer son syndicat pour être autour de la table et que toutes les opinions soient dûment représentées. Nous voulons aussi nous engager sur la protection sociale. Nous sommes disposés à débattre pour améliorer les outils, en complément des assurances volontaires que nous proposons à Deliveroo, contre les risques de maladie et d'accident. L'enjeu capital est d'allier sécurité et flexibilité, pour accompagner le développement de nos activités, qui sont demandées par les consommateurs et par les travailleurs de nos plateformes.
Notre mission vise effectivement la « plateformisation » plutôt que la seule uberisation, et je tiens à souligner que le développement des plateformes ne nous apparaît pas comme un problème en soi, d'autant que les plateformes sont bien différentes entre elles. En réalité, je crois qu'il faut parvenir à clarifier certaines notions. Vous parlez d'emplois, mais ce terme recouvre des situations bien différentes. Il y a les salariés de vos plateformes et les personnes « en activité ». Les statuts et les formes de rémunération n'ont rien à voir dans les deux cas. Vous vous félicitez de faire accéder à de l'activité des personnes sans diplôme. Cependant, vous les employez sans statut ni même de contrat de travail, ce n'est pas anodin. Si nous pouvons entendre vos réserves sur le statut salarial, nous nous interrogeons sur l'absence de statut. Nous posons la question directement : qu'est-ce qui lie le travailleur à la plateforme de travail ?
Quelles sont, également, les conséquences de ce développement de l'auto-entreprenariat sur les rémunérations ? La plupart des auto-entrepreneurs toucheraient moins que le SMIC, est-ce vrai ?
Comment se passe concrètement la gestion par les algorithmes, en particulier le dialogue social ?
Quelles sont les différences entre ces relations de travail et celles qui existent avec les sociétés d'intérim ?
L'algorithme est le moyen reconnu de subordination. Comment fonctionne-t-il, quels sont les critères principaux de son fonctionnement pour atteindre vos objectifs ? Un seul algorithme est-il utilisé pour gérer les commandes et le personnel ? Comment l'expliquez-vous aux travailleurs, qu'en connaissent-ils concrètement ? Quelle part l'algorithme prend-t-il dans l'évaluation des travailleurs ? Quelle est la place de l'intervention humaine ? Quels risques avez-vous repérés ? À travers ces questions, nous nous demandons comment aider à ce que cet algorithme si important dans le management, respecte bien le cadre des droits et des devoirs correspondant à notre droit social.
Vous avez raison de parler de plateforme de travail, c'est leur facteur commun, qu'elles interviennent sur la mobilité, sur les services aux entreprises ou sur les services à la personne. Il faut voir aussi que ces plateformes aident à trouver de nouveaux clients. Ce sont des accélérateurs de clientèle pour les entreprises. C'est pour cela qu'elles les intéressent, par exemple les restaurants. Le statut de l'auto-entreprise a facilité le développement d'une activité personnelle non salariée ouvrant droit à des prestations. L'acte II, c'est la capacité des plateformes à générer des clients. Un coiffeur, par exemple, trouve de nouveaux clients grâce à la plateforme : c'est pour cela qu'il s'y inscrit. Les plateformes génèrent des clients pour des tâches qui ne sont pas facilement effectuées par un travail normé et posté tel qu'il existe dans le salariat. L'évolution est comparable avec ce qui s'est passé avec l'introduction de l'intérim. Rappelez-vous les polémiques auxquelles sa naissance a donné lieu. Nous avons désormais l'occasion d'adapter des normes qui sont mises en difficulté par la technologie et par l'évolution de notre société. L'intérim aurait été incapable de fournir les personnes qui ont été nécessaires pour effectuer les tests du Covid-19. Ces tests n'ont pas été effectués par des salariés ni des intérimaires, mais par des étudiants en médecine mobilisés par des plateformes. Elles offrent des opportunités, elles ont été saisies dans la crise sanitaire et c'est heureux.
D'une manière générale, les plateformes et le numérique génèrent des activités nouvelles. Il faut les développer tout en les encadrant. J'appelle de mes voeux que le législateur joue son rôle dans ce mouvement. On ne contraint pas une technologie qui s'impose, le problème est mondial. Je souhaite que la présidence française de l'Union européenne donne le « la » de cette régulation qui n'interdit pas, qui protège mieux et forme mieux les travailleurs des plateformes et du travail indépendant.
En réalité, le travail indépendant reprend de la vigueur après un long déclin, celui qui a vu le salariat se développer, puis s'imposer au XXème siècle, comme le modèle de référence. Depuis dix ans, la part des indépendants a doublé quasiment, ce rebond n'est pas conjoncturel mais correspond à une aspiration des jeunes pour l'autonomie, leur souhait de travailler quand ils le veulent, pour faire autre chose à côté. Je le constate autour de moi auprès des jeunes : ils rejettent un cadre salarial trop contraint.
Il faut partir du fait qu'il y a de l'emploi non salarié, que l'emploi ne peut pas être que salarié. Regardez aussi du côté des diplômés, beaucoup se tournent vers le free lance, car ils veulent justement éviter le lien de subordination. Quand un ingénieur en informatique travaille dans une entreprise, lui est-il subordonné ? Cela se discute. Je crois qu'il faut légiférer sur le cadre juridique du travail indépendant.
La rémunération des auto-entrepreneurs augmente. Nous sommes autour du SMIC, un peu en-deçà.
Enfin, je veux souligner que l'API est engagée pour le renforcement des droits sociaux dans le travail indépendant : depuis la création de l'API, nous avons annexé une charte sur l'instauration d'un dialogue social, ainsi que sur l'amélioration de la formation et de la protection sociale.
L'algorithme n'évalue pas le livreur. Nous n'avons pas de notation interne, contrairement à ce qui est dit ici ou là. En réalité, l'algorithme calcule la capacité à faire la course, en fonction d'un ensemble de critères : la capacité du restaurant à réaliser la commande dans un temps raisonnable, le temps d'attente du consommateur, un prix de course qui doit rester attractif - c'est ce que calcule et agrège l'algorithme. Il y a des humains qui créent l'algorithme, le suivent, l'améliorent, mais aucune décision n'est prise sur le fondement unique de l'algorithme. En cas de non-respect d'un contrat, la décision est prise par un humain. L'algorithme gère la façon dont les courses sont assignées, il ne fait aucun contrôle sur la façon dont le livreur accomplit la tâche et le livreur est libre d'accepter ou non la tâche, sans conséquence pour lui, autre que celle sur son revenu. Le livreur peut utiliser l'itinéraire qu'il souhaite, il peut effectuer une commande chez un concurrent, il peut se connecter où il le souhaite. Quant à la connaissance de notre plateforme, tout livreur peut joindre et demander des éclaircissements, nous en discutons avec les livreurs partenaires notamment dans le forum des livreurs.
La finalité de l'algorithme, c'est la mise en relation entre le travailleur et le client, pour optimiser l'offre et la demande. La technologie est neutre Elle ne fait qu'ajuster le tarif selon l'offre et la demande - et c'est ce qui permet que l'offre soit disponible. La loi d'orientation des mobilités (LOM) du 24 décembre 2019 a renforcé la prévisibilité, avec l'obligation d'afficher le prix et la distance de la course avant l'acceptation par le livreur. La loi interdit toute sanction en cas de refus de la course. Nous sommes allés plus loin chez Uber, et avons revu l'ensemble de notre communication en particulier pour éviter les risques en matière de sécurité routière. Nous nous engageons à consulter les travailleurs avant tout changement important dans l'algorithme. Nous le faisons régulièrement, avec un effort d'explication du fonctionnement de la plateforme et de l'algorithme, par des documents publics accessibles à tous.
Toute décision concernant un livreur fait l'objet d'une analyse spécifique. Il existe ensuite un comité d'appel, avec des pairs. Le sujet est encadré juridiquement, en particulier par le règlement du 20 juin 2019 promouvant l'équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d'intermédiation en ligne, dit Platform to Business, qui interdit aux plateformes de suspendre ou fermer des comptes de vendeurs sans motiver de façon claire leur décision et sans offrir de possibilité de recours effectif. Nous apportons le maximum d'information aux travailleurs. L'algorithme se focalise en réalité sur l'adéquation de l'offre et de la demande, pour que le service rendu soit de la meilleure qualité possible.
Enfin, je confirme que plusieurs statuts de travail coexistent sur les plateformes. Le revenu médian net des chauffeurs chez Uber est de 1617 euros par mois.
Uber ne serait pas rentable, nous dit-on, son modèle économique ne dégagerait pas de bénéfice. Si c'est le cas, est-ce que cette perspective est durable, prévoyez-vous une rentabilité un jour ? Et quel modèle de société une telle entreprise non rentable porte-t-elle ? Vous parlez de dialogue chez Uber, ce n'est pas le retour que j'en ai. Les livreurs disent ne pas savoir à qui s'adresser, et, tout simplement, qu'ils ne peuvent s'adresser qu'à leur machine et qu'il n'y a pas de relai humain : qu'en pensez-vous ? Ensuite, quelle est la part des femmes parmi vos livreurs ? Enfin, vous dites que la forte rotation des livreurs, le fait qu'ils ne restent pas plus d'un an chez vous, attesterait la fonction de tremplin de vos emplois : n'est-ce pas plutôt que les conditions y sont telles, que les livreurs ne veulent pas y rester davantage ?
Le modèle d'Uber n'est pas encore rentable. Il devrait l'être d'ici la fin de l'année, c'est notre objectif - il a déjà été atteint dans d'autres pays. La rentabilité d'une entreprise se construit dans le temps, entre secteurs, et rien ne s'oppose intrinsèquement à la rentabilité de nos activités.
Je suis désolé d'entendre ces retours négatifs sur le dialogue interne à l'entreprise. Il existe pourtant des équipes pour répondre aux questions des chauffeurs et des livreurs. Nous avons des postes dédiés à la relation avec les syndicats et au dialogue avec les chauffeurs. Notre directrice générale elle-même a fait un tour de France à la rencontre de chauffeurs lors de sa prise de fonction. Nous avons des sessions d'information régulières, dans les deux sens, c'est un investissement fort de notre part.
Je n'ai pas la réponse sur le nombre de femmes qui travaillent avec nous. Le chauffeur de VTC s'est professionnalisé, le profil type est un homme de 39 ans de qualification bac +2 ; les livreurs sont plus jeunes, moins diplômés, et souvent en double activité.
Il y a certainement des choses à améliorer, mais nous avançons sur cette question du dialogue interne. Nous avons mis en place une application avec un canal de discussion où les livreurs partenaires peuvent entrer en contact avec nos équipes, et il y a le forum des livreurs qui se réunit tous les trois mois. Une équipe dédiée accompagne au quotidien les livreurs partenaires, pour qu'ils ne soient pas seuls dans leur activité.
Je n'ai pas de chiffre non plus sur la part de femmes. Les métiers que nous représentons sont plutôt effectués par des hommes. Une femme est cependant élue au forum des livreurs, elle y est très impliquée.
Je crois qu'il faut croiser le critère de l'ancienneté avec celui de l'âge : les trois-quarts de nos livreurs partenaires ont moins de 35 ans, c'est pour nous le signe que cette activité est d'appoint pour avancer sur une autre activité de plus long terme.
Comment travaillez-vous sur les algorithmes, comment sont-ils adaptés aux retours que les livreurs leur font ? Comment les travailleurs peuvent-ils accéder à leurs données ?
Dans les limites de confidentialité, je peux vous dire que notre algorithme compose avec de nombreux critères, parmi eux la distance, la ville, le climat, le temps d'attente au restaurant - et que les paramètres de la course et son prix sont adaptés en fonction de ces critères. Nos équipes sont très attentives au retour d'expérience, l'objectif étant la satisfaction du restaurant, du client et du livreur. Nous en discutons dans le forum, les livreurs nous disent les pistes d'amélioration. Ensuite, l'accès aux données est encadré par le règlement général sur la protection des données (RGPD). Je pourrai y revenir dans notre contribution écrite.
Notre fonctionnement est très similaire, nous tenons compte des retours d'expérience en continu et adaptons notre algorithme, qui est réalisé en interne, nous avons également ouvert des forums de consultation. Le processus est internalisé, notre objectif est de parvenir à la meilleure adéquation de l'offre avec la demande, c'est le coeur de notre business model.
Nous voulons que les critères de l'algorithme soient connus, d'autant qu'ils n'entrent pas dans l'évaluation des livreurs - car nous n'évaluons pas les livreurs, malgré ce qu'on en entend dire. La LOM va dans le bon sens pour que le livreur ou le chauffeur puissent rejeter la proposition de mission sans être sanctionnés. Sur les données personnelles, nous avons la chance d'avoir une réglementation très claire eu Europe, l'une des meilleures du monde, nous la respectons entièrement.
Je vous remercie mais je demeure dans le flou : vos réponses me paraissent confondre les données personnelles et les données professionnelles, alors qu'elles ne se recouvrent pas. L'algorithme manie des éléments qui peuvent relever de la loi, c'est pourquoi nous devons travailler ensemble, pour parvenir - vous parlez de transparence - à une transparence des responsabilités, de la chaîne des responsabilités.
Vous dites que la réglementation européenne est claire. Je n'en suis pas si certain, en particulier sur l'usage de l'intelligence artificielle. La Commission européenne distingue les indépendants et les travailleurs des plateformes, pour que les uns et les autres soient couverts indépendamment de leur statut d'emploi. Comment anticipez-vous les évolutions en cours du droit européen ?
Vous avez raison de souligner le sujet européen. La Commission européenne travaille sur deux textes, l'un sur la protection des plateformes, l'autre sur les règles de la concurrence, pour qu'une fédération soit possible entre indépendants. Ces deux textes pourraient aboutir lors de la présidence française, c'est important pour la régulation des activités et la protection de ceux qui y concourent.
J'avoue mon ignorance du détail de ces projets européens, je vais inclure ces précisions dans notre contribution écrite.
Le RGPD donne une définition des données personnelles, c'est le cadre de référence pour individualiser les données. Chez Uber, le travailleur a accès à toutes les données dès lors qu'elles sont personnelles.
Nous faisons la même lecture chez Deliveroo. Quant à l'intelligence artificielle, nous y travaillons. Les données que nous conservons sont celles que les livreurs nous communiquent lors de leur inscription, par exemple leur numéro de K-bis et les autres documents utiles à l'établissement de leur dossier.
Elles me donnent la position de nos invités et je les en remercie. Je trouve pour ma part que l'article 22 du RGDP n'est pas univoque sur les données personnelles, et qu'il y a matière à débat.
La réunion est close à 10 h 10.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.