Commission des affaires sociales

Réunion du 12 octobre 2022 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

présidente. – Mes chers collègues, nous entendons ce matin M. Yann-Gaël Amghar, directeur de l’Urssaf Caisse nationale, sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023.

J’indique que cette audition fait l’objet d’une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Debut de section - Permalien
Yann-Gaël Amghar, directeur de l’Urssaf Caisse nationale

– Je présenterai quelques éléments relatifs à notre activité de financement de la sécurité sociale, d’une part, et à notre activité de gestionnaire des cotisations sociales dans le cadre du réseau Urssaf, d’autre part.

Les tendances majeures pour les années 2022 et 2023 sont la réduction du déficit du régime général de la sécurité sociale et les reprises de dettes par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) – à hauteur de 40 milliards d’euros en 2022 et de 25,6 milliards d’euros en 2023 –, ce qui se traduit par une forte réduction des besoins de financement du régime général en 2022, qui sont de nouveau proches des niveaux moyens enregistrés avant la crise sanitaire. Le besoin de financement des branches du régime général de sécurité sociale s’est élevé à 32 milliards d’euros au début de l’année 2022 et devrait atteindre 13 milliards d’euros à la fin de l’année 2023. D’ailleurs, il n’y aurait pas de besoins de financement du régime général stricto sensu en fin d’année 2023.

Le PLFSS pour 2023 prévoit tout de même un plafond d’emprunt à hauteur de 45 milliards d’euros, en nette baisse au regard des 65 milliards d’euros prévus pour 2022, ce qui représente un seuil maximum autorisé. Il est fixé à partir des prévisions du « point bas » de notre trésorerie, qui évolue tout au long de l’année. Ce point, qui sera sans doute atteint en janvier 2023, – soit 35 milliards d’euros – tient compte non seulement des besoins de financement du régime général, mais également des avances que l’Urssaf effectue pour les régimes sociaux dont la dette n’est pas reprise par la Cades.

Ces avances de dette ont deux avantages pour les petits régimes comme la Mutualité sociale agricole (MSA) et la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) : d’une part, leur éviter la charge administrative liée aux montages financiers, et, d’autre part, leur permettre de bénéficier de la bonne notation financière de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss).

Le montant du plafond tient également compte du fait que l’on emprunte plus que ce dont on aurait besoin, car nos besoins de financement varient fortement dans le temps. Pour être certain de couvrir les échéances importantes – les versements mensuels des 10 milliards d’euros pour les retraites, des prestations de la caisse d’allocations familiales (CAF) ou encore des versements au système de santé –, on emprunte plus que nécessaire, d’où l’indispensable marge de « pré-emprunt », voire de « sur-emprunt ».

Enfin, le montant du plafond est fixé en fonction des incertitudes liées à la conjoncture. Il est indispensable de prévoir dans le plafond d’emprunt de l’Acoss des aléas économiques – les effets de la guerre en Ukraine, de l’inflation et de la crise énergétique – ou des aléas sanitaires, en cas de nouvelles épidémies, qui auraient des conséquences sur l’évolution du montant de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam). Les dernières années nous ont montré qu’il faut pleinement prendre en compte les aléas.

C’est pourquoi le plafond d’emprunt reste, dans le PLFSS pour 2023, à hauteur de 45 milliards, même si le besoin de financement du régime général de la sécurité sociale est en baisse.

Le contexte de financement de la dette connaît un autre changement majeur : l’année 2022 est la dernière année où la dette du régime général génère des produits financiers, dont le montant total a rapporté 270 millions d’euros cette année, mais la période de taux d’intérêts négatifs dans laquelle nous avons évolué depuis 2015 est révolue – les taux seront certes positifs, mais très inférieurs à l’inflation –, même si l’Urssaf bénéficiera de 60 millions d’euros de produits financiers liés à la dette en 2023. Toutefois, les taux restent bas.

J’en viens aux articles du PLFSS qui concernent le réseau Urssaf.

L’article 5 du PLFSS traite des avances immédiates du crédit d’impôt pour les services à la personne. Engagée en 2022, cette réforme se met progressivement en place. Nous avons commencé par les situations les plus simples, dans lesquelles les ménages ne bénéficient pas d’autres aides sociales. Aujourd’hui, 300 000 ménages sont déjà concernés, mais l’objectif est que l’ensemble des ménages puissent en profiter d’ici à 2024, ce qui nécessite de travailler avec la CAF et les départements. L’article 5 porte sur le calendrier de la mise en œuvre de la réforme.

L’article 6 comporte diverses dispositions sur les contrôles. Il est question, notamment, de généraliser une expérimentation sur la durée des contrôles pour les très petites entreprises et de définir comment, dans le cadre d’un contrôle, il sera possible pour l’Urssaf ou la MSA, de corriger les données sociales à la place des entreprises qui ne l’auraient pas fait afin de permettre aux caisses de retraite de les utiliser.

L’article 9 prévoit d’étendre aux activités de régulation le « dispositif de déclaration et de paiement simplifié des cotisations et contributions sociales », qui concerne actuellement les médecins exerçant une activité libérale réduite.

Enfin, l’article 41 comporte plusieurs dispositions de lutte contre la fraude et de recouvrement des créances frauduleuses.

Debut de section - PermalienPhoto de Elisabeth Doineau

rapporteure générale. – Je reviendrai sur le refus de la Cour des comptes de certifier les comptes 2021 de l’activité de recouvrement, qu’elle a de nouveau souligné dans son rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale. La Cour des comptes écrit que « les modalités de comptabilisation des cotisations et contributions sociales des travailleurs indépendants conduisent à ne pas donner une fidèle du déficit du régime général en 2021 et de son évolution entre 2020 et 2021 ». Le Premier président l’a également exprimé devant nous lors de son audition la semaine dernière. Est-il possible pour l’Urssaf caisse nationale de présenter les comptes de l’année 2021 conformément aux recommandations de la Cour ?

Par ailleurs, quelles marges l’autorisation d’emprunt de 45 milliards d’euros laisse-t-elle à votre agence, au regard des transferts vers la Cades qu’il reste à faire ? Ces derniers vont-ils saturer le plafond de transferts de 136 milliards d’euros accordé par le Parlement en 2020 ?

Enfin, l’Urssaf ressent-elle des tensions sur la disponibilité des fonds ? Face aux incertitudes actuelles, avons-nous la capacité de penser que les choses iront mieux demain ?

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale. – J’aimerais que l’on évoque le transfert du recouvrement vers l’Agirc Arcco, que la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale propose de définitivement supprimer ; nous n’étions pas allés jusque-là, puisque nous proposions de reporter encore ce transfert dans l’attente de la résolution des difficultés qui demeurent. Pour sa part, le Gouvernement propose de procéder en deux étapes : d’abord pour les grandes entreprises dès le 1er janvier 2023, puis à une date ultérieure pour les plus petites, mais les éditeurs de logiciel ne semblent pas encore au point. Maintenez-vous cette position ?

La Caisse des dépôts et consignations, qui s’occupe des recouvrements pour la CNRACL, l’institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques (Ircantec) ou le régime de retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP), ne semble pas trouver opportune « l’unification » des recouvrements des prestations sociales, même si certains organismes, comme la MSA, ne seront pas concernés. Souhaitez-vous continuer dans cette voie ?

Enfin, pouvez-vous nous donner votre point de vue, pour ce qui concerne la Caisse d’assurance vieillesse, invalidité et maladie des cultes (Cavimac), sur la question des recouvrements subis ? Comment peut-on essayer de trouver un terrain d’entente concernés ?

Debut de section - Permalien
Yann-Gaël Amghar, directeur de l’Urssaf Caisse nationale

– Madame Doineau, le refus de certification de la Cour des comptes n’est pas une remise en cause de la fiabilité de nos comptes ou de notre contrôle interne. Il porte plutôt sur l’application des normes comptables et sur l’exercice de rattachement de deux épisodes comptables, déjà soulevés lors de l’évaluation de nos comptes pour 2020.

Le premier porte sur la régularisation des cotisations des travailleurs indépendants sur leurs revenus de 2020 : comme vous le savez, les cotisations provisoires sont régularisées à l’année suivante. Au vu du contexte de crise sanitaire, pour 2020, nous avions réduit d’office les prélèvements avant la régularisation en 2021. Nous avions pour cela appliqué les normes comptables définies par le Conseil de normalisation des comptes publics (CNOCP), précises et prescriptives sur ce point, selon lesquelles les cotisations des travailleurs indépendants sont rattachées à l’exercice où elles sont appelées et la régularisation l’est à l’exercice suivant. C’est d’ailleurs ce que nous faisons chaque année.

Le second est l’évaluation du risque de non-recouvrement sur les dettes des entreprises en 2020, dans le contexte du report massif consenti par les Urssaf. Les comptes 2020, établis au premier trimestre 2021, comportent une évaluation de ce risque, déterminée selon une méthodologie ad hoc en raison de l’absence de précédent historique et en accord avec la Cour des comptes. Nous l’avons réévalué lors de l’établissement des comptes 2021, constatant alors que les dettes covid avaient été remboursées bien plus facilement et rapidement que ce que nous espérions, d’où une réévaluation. Là encore, les normes sont claires : cette correction est rattachée à l’exercice au cours duquel elle est effectuée, soit 2021.

La Cour des comptes aurait souhaité que nous produisions, pour ces deux événements, des comptes pro forma en dehors de l’exercice 2021. Or, les normes comptables ne prévoient pas une telle possibilité, que je considère comme une forme de bricolage.

Les comptes 2021 de l’Unédic ont eux été certifiés sans réserve, ce qui montre que ses commissaires aux comptes ont suivi le même raisonnement que nous. Appliquer la recommandation de la Cour des comptes aurait donc conduit à des choix comptables incohérents entre le régime général et d’autres organismes. Cela étant, la Cour reconnaît elle même que de telles divergences d’appréciation sont exceptionnelles du fait de leur lien avec la crise covid.

Ensuite, nous considérons que la marge liée à l’autorisation d’emprunt est suffisante. Le plafond est proposé par le Gouvernement dans le cadre d’échanges avec l’Acoss sur nos prévisions de profil de trésorerie, compte tenu des besoins de financement du régime général et des reprises de la Cades. Nous intégrons donc les reprises de 40 milliards d’euros en 2022 et de 25,6 milliards d’euros prévus pour 2023.

Le point bas du régime général, la prise en compte des avances aux régimes partenaires, de 5 milliards d’euros et le sur emprunt, à hauteur de 15 milliards d’euros, nous permettront d’atteindre les 45 milliards d’euros prévus.

En 2020, notre politique d’accès aux marchés financiers a changé de monde. Jusqu’alors, nous minimisions le solde de compte, avec des emprunts au jour le jour limités au strict nécessaire, selon une logique de coût. En mars 2020, les marchés se sont fermés, non seulement pour nous, mais aussi pour tous les acteurs : là où auparavant nous placions 2 milliards d’euros en une journée, nous ne pouvions plus placer que 100 ou 200 millions d’euros, si bien que nous avons dû solliciter des concours supplémentaires, notamment celui de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Nous avons donc cherché avant tout à sécuriser nos échéances de paiement si bien que, désormais, au lieu du coût, nous nous focalisons sur le risque. Nous avons un bon accès aux marchés et nous bénéficions de la notation de la dette française. Cependant, notre statut d’émetteur à court terme – nos titres ne peuvent dépasser 360 jours – nous contraint à renouveler en permanence notre dette, en revenant tous les jours sur les marchés, ce qui nous expose aux incertitudes des marchés et aux chocs exogènes.

Ainsi, ces derniers mois, nous nous financions bien. En revanche, le contexte estival d’attente des annonces des banques centrales a créé une attitude attentiste des investisseurs, prêts à nous prêter, mais pas au-delà d’un mois. Cela nous confirme dans notre démarche de prudence : nous cherchons à couvrir nos besoins avec un mois d’avance, au lieu de sept à dix jours avant la crise sanitaire. Notre plafond d’emprunt est fixé avec une marge considérable.

Monsieur Savary, le Gouvernement a annoncé un transfert en deux temps du recouvrement des retraites complémentaires : tout d’abord vers 9 000 grandes entreprises en 2023, puis une généralisation en 2024. Pour notre part, nous sommes prêts à appliquer cette réforme. Le pilote, très complet, car il a couvert l’équivalent de 90 % de la paie dans notre pays, nous a permis de tester l’ensemble des cas et de confirmer la faisabilité des évolutions. Les trois ou quatre mois qui viennent sont l’occasion d’inclure davantage d’entreprises volontaires dans ce pilote. L’Agirc Arrco continuera d’exercer les mêmes actions de contrôle des droits et de gestion des comptes pour la retraite complémentaire. Le risque de régression est donc faible. De plus, commencer par les grandes entreprises sécurise la réforme, car elles sont mieux armées pour mettre en œuvre ce changement. Elles ont en outre des interlocuteurs personnalisés au sein de l’Agirc Arrco et des Urssaf.

Nous échangeons d’ailleurs quotidiennement avec les éditeurs de paie sur la façon de gérer à la fois des clients pour lesquels le transfert a eu lieu et d’autres pour lesquels ce n’est pas le cas. Cela n’est pas insurmontable : ce n’est pas la première fois qu’une réforme se déploie par paliers de taille d’entreprise.

Le chantier du transfert à la CDC est en revanche moins avancé. Il conviendra d’examiner les conséquences sur ce transfert du nouveau calendrier du transfert du recouvrement des cotisations Agirc Arrco.

Nos travaux avec la Caisse d’assurance vieillesse invalidité et maladie des cultes (Cavimac) sont encore en cours. La problématique de l’équilibre financier des cultes demeure, tout comme celle de la détermination de ce qui relève d’une activité de culte ou non, mais je n’entrerai pas dans ce sujet. L’objectif reste d’aboutir à une convention avec la Cavimac.

Au total, les chantiers porteurs de simplification et de gains de performance de recouvrement et de contrôle se poursuivent. Nous ne sommes pas dans une logique d’unification, mais bien de guichet unique. La MSA l’offre déjà pour ses cotisants : il n’y a donc pas d’intérêt pour eux à entrer dans les Urssaf. Tel n’est pas le cas pour ceux qui relèvent de l’Agirc Arrco ou de la CDC, qui traitent aussi avec les Urssaf ou d’autres collecteurs.

Mme Cathy Apourceau-Poly. – Le transfert des recouvrements de l’Agirc Arrco vers les Urssaf est précipité selon moi. Le Gouvernement n’a pas tenu compte des préconisations du rapport d’information que j’ai présenté avec René-Paul Savary. Je le regrette, alors que les organisations syndicales et patronales sont opposées à l’unification du recouvrement des régimes complémentaires de retraite. Nous ne disions pas qu’il ne fallait pas le faire, mais demandions un délai supplémentaire.

Le transfert du recouvrement des cotisations Agirc Arcco au 1er janvier 2023 concerne 9 170 entreprises, soit 5,6 millions de salariés.

Quelles garanties supplémentaires apportez-vous au Gouvernement pour justifier de l’unification précipitée du recouvrement des cotisations des régimes complémentaires de retraite à l’Urssaf ? Il s’agit, pour les assurés, d’une perte de contrôle sur leurs droits individuels.

M. Olivier Henno. – Monsieur Amghar, lorsque l’Urssaf Caisse nationale s’appelait encore l’Acoss, vous aviez évoqué des charges d’intérêt négatives. Je l’avais noté, car c’était inhabituel. Comment ces provisions ont-elles évolué, dans un contexte de taux d’intérêt positifs ? Que représenterait la charge de la dette à court et moyen terme ?

Le PLFSS prévoit une réforme du calcul du complément de libre choix du mode de garde (CMG) « emploi direct » compensant une partie de la rémunération de l’assistante maternelle. La prestation est financée par la branche famille, mais fait l’objet depuis 2019 d’une intermédiation par le dispositif Pajemploi, rattaché à l’Urssaf. Dans quelle mesure cette intermédiation sera-t-elle concernée par ce changement de calcul du CMG ? Comment les difficultés techniques que vous avez évoquées seront-elles levées d’ici l’entrée en vigueur de la réforme en 2025 ? Pouvez-vous nous éclairer sur l’articulation avec le système d’avance immédiate des aides fiscales pour garde d’enfants prévu pour 2024 ?

Mme Raymonde Poncet Monge. – L’article 5 porte sur l’échéancier des avances immédiates de crédit d’impôt pour l’emploi à domicile. Le calendrier qui était prévu dans la précédente loi de financement de la sécurité sociale a-t-il été modifié ? Un problème d’avantage concurrentiel se pose. En effet, un crédit d’impôt en direct impacte le recours des familles aux prestataires.

Monsieur Amghar, vous avez dit que, depuis 2015, les taux négatifs généraient des produits financiers. Leur cumul permet-il de faire face aux taux d’intérêt actuels ?

M. Philippe Mouiller. – La vision des enjeux financiers associée au PLFSS donne le tournis.

Rapporteur pour la branche autonomie, je souhaite vous interroger sur l’application de la loi de 2007, qui prévoit des exonérations de cotisations de sécurité sociale dans les zones de revitalisation rurale (ZRR), notamment pour les maisons de retraite. Il semble que les fonctionnaires en soient exclus. Pouvez-vous m’apporter des précisions ?

M. Daniel Chasseing. – Monsieur le directeur, depuis 2015, vos emprunts rapportent, jusqu’à 60 millions d’euros en 2020. Depuis ce mois-ci, les taux d’intérêt sont positifs. Quels taux anticipez-vous pour 2023 et pour les années suivantes ?

Beaucoup de cabinets médicaux fonctionnent avec des médecins retraités. Actuellement, certains ne veulent plus effectuer de remplacement parce qu’ils ne veulent plus cotiser à fonds perdu. Mais il semblerait que, pour un petit chiffre d’affaires, il soit possible de ne cotiser qu’à l’Urssaf. Pouvez-vous m’en dire plus ?

Mme Victoire Jasmin. – Quelles mesures ont été prises pour remédier aux incompatibilités des systèmes d’information entre organismes ? Cela a notamment été préjudiciable aux travailleurs indépendants. Ces incompatibilités ne conduisent-elles pas à mettre en difficulté certains cotisants, qui bien qu’à jour, apparaissent en non-conformité ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. – À combien estimez-vous le montant de la fraude aux cotisations que subit votre organisme et quels moyens comptez-vous mettre en œuvre pour la contrôler et la réprimer ?

Mme Annick Jacquemet. – Ce matin, j’étais en visioconférence avec la présidente de la région Bourgogne-Franche-Comté, qui souhaite mettre en place un ticket mobilité sous la forme d’un chèque mensuel de 40 euros pour les salariés gagnant jusqu’à deux fois le Smic, en cette période difficile. La région prendrait en charge la moitié, les entreprises se chargeant de l’autre moitié. Mais pour les entreprises, cela s’assimile à un avantage en nature, soumis à cotisation. C’est donc d’autant plus cher pour elles. Comment leur éviter un coût trop important ?

– Nous travaillons sur le transfert de l’Agirc Arcco depuis trois ans : on ne peut donc pas parler de précipitation. Le Gouvernement opère un étalement en deux phases, qui tient compte de la demande de progressivité et de sécurisation exprimée.

La prise de position des partenaires sociaux renvoie à des arguments et des craintes de nature politique, tenant à la fusion des régimes et des réserves. Très franchement, il n’y a pas de lien entre le fait de collecter des ressources et la capacité du Gouvernement à fusionner des régimes.

Mme Laurence Cohen. – Votre réponse ne nous convient pas.

– Si l’on aborde ce transfert de recouvrement sous l’angle des risques opérationnels, sachez que nous avons donné des garanties. L’Agirc Arcco continuera à opérer de la même façon, sans risque de régression des droits des salariés. L’Agirc Arcco souligne dans un document interne que le risque de moindre fiabilité des droits à la retraite complémentaire est faible. Nous ne manquerons pas de vous rendre des comptes sur ce point.

Les produits financiers que nous avions ces dernières années n’ont pas constitué une cagnotte mais ont été employés à réduire le déficit du régime général de la sécurité sociale. Je vous transmettrai ultérieurement l’addition, si vous le souhaitez, mais il me semble que le cumul de produits financiers pour toute la période de taux négatifs est de l’ordre du milliard d’euros.

Nous prévoyons que le besoin de financement moyen sera de 18,4 milliards d’euros en 2023. Supposons que les taux d’intérêt soient de 0,5 % : le coût s’élèverait à environ 100 millions d’euros. Toutefois, en réel, cela reste négatif puisque c’est inférieur à l’inflation.

Oui, dès lors que c’est Pajemploi qui gère le CMG « emploi direct », c’est l’Urssaf qui mettra en œuvre cette réforme, ce qui explique le calendrier retenu. En effet, nous avons lancé un programme de rénovation complète du système d’information de Pajemploi et ce n’est qu’à son issue en 2024 que nous pourrons réaliser toutes les évolutions prévues.

L’avance immédiate pour les services à la personne sera accessible aux ménages bénéficiant du CMG. Actuellement, le ménage paie à l’assistant maternel le reste à charge après déduction du CMG. À l’avenir, il ne lui paiera plus que le reste à charge après déduction du CMG et du crédit d’impôt. Pour le ménage, ce sera très simple, puisqu’il n’aura qu’une seule déclaration à faire. Concrètement, c’est un système de tiers payant.

Concernant le calendrier prévu à l’article 5, nous avons à cœur une équité de concurrence entre les différents secteurs, notamment entre l’emploi direct et l’emploi intermédié.

Actuellement, les ménages non prestataires de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et de la prestation de compensation du handicap (PCH) peuvent bénéficier de l’avance immédiate, qu’ils aient recours à un emploi direct ou à un emploi intermédié. C’est plus compliqué pour les ménages recevant l’APA ou la PCH, car cela dépend des relations des départements avec les services d’aide à la personne. Certains d’entre eux ont signé des conventions avec les services d’aide à la personne et versent directement les sommes. Autant le système est simple à mettre en œuvre pour l’emploi direct, autant c’est plus complexe pour l’emploi indirect. Nous devons travailler cet automne avec les départements et le secteur des services à la personne pour trouver le bon circuit de gestion, afin de ne pas pénaliser les ménages. En tant que payeurs, les départements doivent pouvoir vérifier le service fait. Il faut mettre en place ce circuit dans un calendrier proche de celui de l’emploi indirect.

Mme Raymonde Poncet Monge. – Pourquoi avoir modifié le calendrier ?

– Le calendrier est ajusté, mais il reste très proche entre les deux secteurs. L’article comprend également des dispositions sur les contrôles Urssaf sur les services d’aide à la personne, afin qu’ils puissent rentrer dans le dispositif. Nous voulons une équité entre les deux secteurs.

Monsieur Mouiller, je dois vérifier ce point et vous répondrai ultérieurement. Des organismes ayant un statut public peuvent bénéficier d’un certain nombre d’exonérations de cotisations sociales, mais cela pose parfois un problème d’application du droit.

Monsieur Chasseing, des médecins retraités peuvent exercer grâce au dispositif mis en place il y a deux ans pour un régime simplifié d’exercice des professions médicales. L’exercice libéral classique peut être dissuasif pour un médecin ayant une faible activité, car il nécessite d’avoir une comptabilité précise des produits et des charges et de payer un acompte de la cotisation avec une régularisation en n+1. Les cotisations aux caisses de retraite et de santé sont parfois forfaitaires, quelle que soit l’activité, ce qui peut être dissuasif.

Ce régime simplifié est inspiré de l’autoentreprise – dispositif inapplicable pour une activité de soins en raison des distorsions possibles entre les caisses de retraite. Il prévoit une cotisation fondée sur le chiffre d’affaires, avec un paiement au mois ou au trimestre suivant, et strictement proportionnelle. Le paiement est versé à l’Urssaf, qui reverse ensuite à la Caisse autonome de retraite des médecins de France (Carmf) ce qui lui revient. Ce dispositif simplifié convient particulièrement aux internes débutant une activité libérale réduite ou aux remplaçants. Quelques médecins retraités l’utilisent.

Depuis deux ans, 6 500 professionnels utilisent ce dispositif. L’article 9 prévoit de l’étendre aux activités de régulation. Le succès de ce dispositif montre qu’il y a besoin d’un cadre pour des activités libérales réduites. Actuellement, il existe une série de conditions pour en bénéficier – être remplaçant, étudiant, et demain régulateur – avec un plafond de chiffre d’affaires de 19 000 euros, somme assez vite atteinte. Nous devons examiner comment étendre ce dispositif pour des professionnels ayant besoin de retrouver du temps médical. Cela nécessite de trouver un équilibre avec des caisses de retraites des professionnels de santé. C’est bien pour une activité libérale partielle.

Madame Jasmin, nous avons beaucoup travaillé avec le régime social des indépendants (RSI) sur les problèmes de systèmes d’information. D’énormes investissements ont été réalisés. Cela s’était traduit, avant le covid, par un niveau de paiement amélioré et une grande satisfaction, après une forte dégradation en 2008. Désormais, nous avons un niveau d’appels téléphoniques « normal », avec un niveau de fonctionnement satisfaisant : calcul correct des cotisations, établissement des droits à la retraite pour les indépendants... Le système fonctionnait très mal il y a quinze ans. Désormais, la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) dispose des données pour calculer la retraite des indépendants. Celle des microentrepreneurs relève de la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse (Cipav). Il y a parfois des contentieux juridiques sur le calcul de leur cotisation ou pour le cas des indépendants qui n’ont pas régulièrement payé leur cotisation – or seule celle-ci leur permet d’établir des droits.

À Mayotte, nous n’avons pas repris la collecte des cotisations retraite pour les indépendants. Mais ce genre de cas est très ciblé, le reste fonctionne normalement.

Monsieur Vanlerenberghe, nous sommes toujours dans une phase d’évaluation de la fraude aux cotisations sociales. Depuis plus de dix ans, nous réalisons des contrôles reposant sur des échantillons statistiques, pour évaluer la prévalence du travail dissimulé dans un secteur donné. Nous disposons ainsi d’une estimation assez robuste, et avons partagé ces informations avec le Conseil national de l’information statistique (Cnis). Nous évaluons cette fraude entre 7 et 8 milliards d’euros pour les salariés, et entre 1 et 2 milliards d’euros pour les indépendants, soit un total estimé entre 7 et 10 milliards d’euros de travail dissimulé.

L’année dernière, nous avons redressé 800 millions d’euros, et couvrons donc environ 10 % du total. Il est évidemment impossible de couvrir l’intégralité, mais nous devons faire mieux. Nous progressons constamment dans le redressement, et avons redressé 50 % de plus entre la période 2013-2017 et la période 2018-2022. L’État nous demandera probablement une progression du même ordre pour la future convention d’objectifs et de gestion que nous sommes en train de négocier. Nous allons poursuivre ce renforcement et améliorer les outils. Depuis deux ans, nous disposons d’un outil de data mining pour mieux cibler les contrôles contre le travail dissimulé. Nous mettrons en place, la semaine prochaine, une nouvelle base de données centralisant les déclarations préalables de détachement, afin de mieux contrôler la fraude au détachement, et éviter l’évasion fiscale et les distorsions de concurrence pour les entreprises françaises.

Madame Jacquemet, la loi est binaire sur ces sujets : il existe une série de situations pour lesquelles la loi prévoit des conditions de prise en charge d’une aide par l’employeur. Votre nouveau dispositif n’est probablement pas listé dans la loi ; si celle-ci n’est pas modifiée, il sera soumis à cotisation.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

présidente. – Je vous remercie.

Cette audition a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

présidente. – Nous entendons à présent Mme Isabelle Sancerni, présidente, et M. Nicolas Grivel, directeur de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023.

Ce PLFSS est marqué par un important transfert de charges entre la branche maladie et la branche famille, qui constitue l’une des principales mesures.

Debut de section - Permalien
Isabelle Sancerni, présidente de la Caisse nationale des allocations familiales

– Le conseil d’administration de la Cnaf a examiné le 4 octobre le PLFSS pour 2023 et a émis un avis négatif. Je vous transmettrai les déclarations de chacune des délégations.

Nous nous félicitons de la nouvelle procédure d’examen de ce texte, permettant une analyse complète et approfondie du PLFSS, et qui reconnaît l’apport de la gouvernance de la branche famille.

Je souligne le nombre de mesures sur la famille de ce PLFSS, notamment la revalorisation de 50 % de l’allocation de soutien familial dès 2022, la réforme attendue du complément de libre choix du mode de garde (CMG), et l’extension des aides à la garde d’enfants de 6 à 12 ans pour les familles monoparentales. Le conseil d’administration attend les textes réglementaires qui permettront de mesurer l’impact réel de la réforme du CMG.

Concernant l’extension des aides à la garde d’enfants pour les enfants de 6 à 12 ans dans les familles monoparentales, je rappelle que les besoins de conciliation de la vie familiale avec la vie professionnelle sont importants pour toutes les familles, notamment les familles bi-actives, si nous voulons réduire le temps partiel subi et concrétiser l’objectif d’un retour à l’emploi. Pour ce faire, il est important de proposer des dispositifs d’accueil individuel et collectif, notamment péri et extrascolaire pour les enfants de plus de trois ans. Nous sommes en fin de convention d’objectifs et de gestion (COG) : nous ne pouvions financièrement pas créer de nouvelles places en accueil de loisirs sans hébergement (ALSH), et avons peu revalorisé la prestation ALSH.

L’ensemble des membres du conseil d’administration a déploré vivement le transfert à la branche famille des indemnités journalières des congés maternité après la naissance. Ce transfert de charges nous interroge sur la capacité de la branche famille à répondre aux attentes majeures qui lui sont adressées.

Nous aurons, dans la prochaine COG qui doit être mise en œuvre à partir de 2023, un certain nombre de grands chantiers, comme le service public de la petite enfance, la solidarité à la source, la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), la contribution à l’insertion des publics fragiles, et la poursuite de la politique d’intermédiation des pensions alimentaires. Nous sommes très attentifs à savoir si nous aurons les moyens humains, financiers et informatiques en soutien à ces projets intéressants et importants.

Nous avons été au rendez-vous de la mobilisation nationale pendant la crise sanitaire. La branche famille a fait preuve d’un grand volontarisme en faveur des services aux familles. Nous avons mis en œuvre la réforme des aides au logement, et respecté les restitutions d’emplois qui nous avaient été assignées. Cela nous a mis dans une position délicate pour la mise en œuvre de la réforme des aides au logement, au prix d’une perturbation forte et durable de la qualité du service rendu sur l’ensemble des prestations. En respectant cette trajectoire des restitutions d’emplois assignée en 2018, au début de la COG, nous n’avons pas eu les gains de productivité envisagés, car nous avons subi le décalage de la réforme des aides au logement et nous n’avons pas fait le revenu de solidarité active (RSA) et la prime d’activité avec les revenus directement à la source. Nous avons donc préempté ces gains de productivité, ce qui nous met en grande difficulté.

En raison du transfert de moyens de la branche famille vers la branche maladie, nous devons faire attention pour continuer à financer et à déployer nos dispositifs pour l’enfance, la jeunesse, mais aussi le soutien à la parentalité et à l’animation de la vie sociale.

Nous craignons que tous les crédits fléchés le soient sur la petite enfance et que ce transfert préempte la négociation à venir de la prochaine COG, sachant que, au vu du démarrage extrêmement tardif des discussions, la signature de la COG risque d’être décalée, comme en 2018, sur le deuxième trimestre 2023, reproduisant la dérive observée lors de la précédente période conventionnelle. Comment allons-nous fonctionner en l’absence de COG sur ces six mois ou plus en 2023 ? Nous devons trouver avec l’État ces modalités pour que les CAF puissent assurer sereinement la continuité des activités et éviter une année blanche pour le développement des services aux familles. Cela handicaperait l’atteinte des futurs objectifs.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Henno

rapporteur pour la branche famille. – Vous avez clairement exposé tous les sujets. Il y a un paradoxe : la branche famille connaît depuis quelques années un excédent – il a atteint 2,9 milliards d’euros en 2021 –, alors que la société a de nombreux besoins en matière de politique familiale.

Frédérique Puissat et moi sommes rapporteurs du projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi. Nous voyons bien que parmi les freins à l’emploi figure la garde d’enfants, pour laquelle il y aurait beaucoup à faire.

La natalité est aussi préoccupante. Qu’on le veuille ou non, il y a dans ce pays un manque d’ambition de la politique familiale. L’excédent de la branche famille en est le révélateur.

S’agissant du transfert de la charge des indemnités journalières pour congés de maternité, comme souvent, on crée un débat sans être clair. Le déterminant de ce choix politique, c’est la tuyauterie du PLFSS et donc la recherche d’équilibres financiers globaux. Mieux vaudrait l’assumer sans ambage plutôt que de trouver des prétextes.

Vous avez évoqué l’article 36 qui propose une réforme du CMG. Pour mettre fin à des restes à charge et à des effets de seuil, la portée de la réforme dépendra largement des textes réglementaires qui détailleront les nouveaux barèmes. Ressort-il de vos échanges avec la direction de la sécurité sociale que l’aide versée sera différenciée selon que la famille emploie un salarié à domicile ou une assistante maternelle ? La réforme prévoit de conserver le plafond de rémunération des assistantes maternelles et de l’étendre aux salariés à domicile. Avez-vous idée de son impact ? Disposez-vous de données plus fines quant aux éventuels perdants de ce changement de calcul et du coût que cela pourra représenter pour ces familles ?

Vous commencez les négociations de la prochaine COG. Quelles perspectives et quels objectifs seront alloués au Fonds national d’action sociale (Fnas) ? Pouvez-vous enfin nous préciser les risques d’une conclusion tardive de la COG ?

Debut de section - PermalienPhoto de Elisabeth Doineau

rapporteure générale. – Merci de vos explications. Vos responsabilités deviennent de plus en plus importantes.

Nous sommes interpellés sur la protection des assistantes maternelles, qui assurent la garde des jeunes enfants : beaucoup d’entre elles ne sont pas payées par les parents employeurs, ce qui les met en grande difficulté. Elles risquent d’abandonner leur métier, et ce seront autant de places manquantes pour les enfants. Ces impayés viennent du fait que le CMG est versé aux familles, qui, pour certaines d’entre elles, ne le reversent pas. Les assistantes maternelles pourraient dénoncer cette situation ; or souvent, elles ne le font pas. Les conséquences sont désastreuses : les assistantes maternelles renoncent à leur métier ou alors elles sont contraintes à engager des procédures très longues. On ne peut laisser des professionnels de la petite enfance travailler dans ces conditions.

Mme Laurence Rossignol. – Comme je l’ai dit au ministre, deux mesures importantes et attendues par les familles monoparentales nous satisfont dans ce PLFSS : l’extension du CMG jusqu’aux douze ans de l’enfant et l’augmentation de 50 % de l’allocation de soutien familial (ASF).

Comme Mme Doineau, j’entends parler plus fréquemment qu’avant d’assistantes maternelles non payées par les familles. C’était toujours un aléa, mais le nombre de ces cas serait en augmentation. Avez-vous travaillé sur le tiers payant à l’égard des assistantes maternelles ? Même si ce n’est pas simple à gérer, il faudrait retravailler sur l’expérimentation qu’avait faite la CAF de Seine-Saint-Denis en la matière. On ne peut laisser des assistantes maternelles en difficulté.

Quel regard portez-vous sur ces difficultés, alors que se mobilisent les professionnels de la petite enfance ? C’est à la CAF que se font les politiques en faveur des moins de trois ans. Où en est le service public de la petite enfance ?

Je suis préoccupée de voir que, depuis quelques années, presque toutes les ouvertures de places de crèche se font dans des crèches privées à but lucratif. Je crains une évolution ressemblant à celle qu’ont connu les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Comment envisagez-vous cette dérive ?

M. Philippe Mouiller. – Vous évoquez les nombreuses réformes que vous devrez mettre en place en vous interrogeant sur les moyens dont vous disposez. Le décret sur la déconjugalisation de l’AAH devrait paraître dans les prochains jours. Je partage votre inquiétude sur votre capacité à appliquer la réforme et à le faire dans les temps. Non seulement la loi a fixé des délais mais les ministres se sont engagés à possiblement anticiper la mise en œuvre. Avez-vous des précisions à nous communiquer ?

Mme Michelle Meunier. – Vous le dites de manière feutrée et avec tact, mais la situation de la Cnaf est très préoccupante. Aurez-vous les moyens suffisants, en janvier prochain, d’embaucher des personnels en contrat à durée indéterminée (CDI) ? La COG se termine fin décembre 2022, et vous n’avez pas de visibilité.

La CAF de Loire-Atlantique est dans une situation problématique, mais bien maîtrisée jusque là. Il va falloir faire face.

Je suis préoccupée du peu d’ambition sur la petite enfance. Nous avons l’impression de retourner dix ans en arrière. J’en veux pour preuve qu’à Nantes environ 150 berceaux sont vides faute de professionnels pour accompagner ces bébés, alors que les familles sont en forte demande pour reprendre un travail ou une formation.

Certes des avancées sont proposées dans le PLFSS et notamment des revalorisations de prestations, mais quelle est la place de l’enfant dans tout cela ? Je soutiens vos actions. J’aurai l’occasion de le dire au Gouvernement : nous devons retrouver un cap. Ce service public de la petite enfance était annoncé par le programme présidentiel, mais quand sera-t-il mis en place ?

M. Alain Milon. – Excusez ma question impertinente. Si j’ai bien compris, vous ne voulez pas prendre en charge les congés maternité après la naissance sans complication médicale : est-ce une position philosophique ou comptable ?

Mme Catherine Procaccia. – Je suis choquée du transfert à la Cnaf de la prise en charge du congé maternité. L’exposé des motifs associe ce dernier au congé paternité déjà pris en charge par la branche famille. C’est du post-natal, mais les congés n’ont pas la même fonction !

La Cnaf a eu recours à des cabinets d’audit. Allez-vous continuer à travailler avec eux comme lors de la réforme des aides personnelles au logement (APL) ?

Mme Frédérique Puissat. – Merci de votre détermination. J’ai noté certaines désorganisations à la suite d’injonctions paradoxales.

L’initiative des maisons France Services est plutôt à saluer mais, dans certaines des maisons que j’ai visitées, j’ai pu constater des problèmes de relais avec les CAF. Vous avez évoqué des problèmes d’organisation du personnel. Avez-vous des relais spécifiques pouvant répondre à des questions techniques ?

Debut de section - Permalien
Nicolas Grivel, directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales

– Nos perspectives sont nourries par des projets ambitieux et structurants. Les conseils d’administration des CAF sont très engagés. La mobilisation de toutes les équipes est forte pour une meilleure qualité de service.

Nous voulons avoir plus de moyens avec la COG. Les CAF sont présentes sur les territoires avec le souci de répondre aux citoyens, de visu, par téléphone ou en visio. Nous avons un partenariat avec les maisons France Services pour apporter une réponse de premier niveau sur le terrain. Les CAF sont très présentes pour l’accueil et la formation du personnel. Dans une période de très forte pression sur les délais, la charge de travail et la qualité de service, la réponse se dégrade parfois. Cela renvoie à la capacité de formation des personnels des maisons France Services. Il faut qu’ils puissent apporter un premier niveau de réponse ou organiser un rendez-vous avec la CAF.

Nous ne savons pas quelles seront nos capacités dans la prochaine COG : les négociations commencent à peine. Elles se dérouleront dans le cadre du premier trimestre. Le conseil d’administration s’inquiète en effet de savoir comment cela se passera durant la transition entre les deux COG. Il ne faut pas exagérer les incertitudes ; nous allons trouver des solutions, mais nous demandons à nos ministères de tutelle qu’elles soient les plus souples et les plus rapides possible. Les CAF doivent pouvoir recruter de la façon la plus normale possible. Compte tenu de la charge actuelle, ce n’est pas le moment de désarmer notre capacité de réponse.

Madame Procaccia, la réforme des aides au logement a été structurante. Nous avons fait appel à un cabinet d’audit connu, mais qui a été missionné par le ministère du logement et non par la Cnaf. C’était une réforme exigeante et compliquée pour la délivrance des prestations. Nous allons continuer à avoir recours à l’expertise de ces cabinets, mais peu sur de l’expertise stratégique, davantage pour de l’expertise technologique, et notamment informatique.

Nous avons des besoins très importants pour des projets nombreux. Nous avons besoin d’expertise externe pour envisager l’avenir de nos systèmes d’information et revitaliser notre expertise interne, car nos systèmes sont en milieu voire en fin d’obsolescence programmée.

La petite enfance est un sujet très mobilisateur pour nous, mais nous ne sommes pas les seuls acteurs, notamment pour contrôler la qualité des équipements. Les crèches privées jouent un rôle important, mais elles doivent assurer un certain niveau de qualité de service. Nous devons articuler leur contrôle avec les moyens de la protection maternelle et infantile (PMI). Cette logique de développement doit être équilibrée. Nous avons une dynamique des modes de garde différente selon les secteurs. La création de places dans le secteur public s’est ralentie. Nous devons accompagner les acteurs locaux, notamment dans les territoires prioritaires. L’offre privée ne se développe pas partout de façon harmonieuse.

Mme Laurence Rossignol. – Il faut aussi distinguer le secteur privé à but lucratif du secteur privé associatif.

– Le secteur privé associatif peut rencontrer les mêmes problèmes de financement que le secteur public.

La réforme pour créer un service public de la petite enfance est louable dans ses intentions, avec une logique d’égalité d’accès par la présence territoriale, mais aussi par les modes financiers. D’où la réforme du CMG qui vise à harmoniser le reste à charge des différentes familles. Actuellement, le reste à charge des familles aisées est équivalent quel que soit le mode de garde, ce qui n’est pas le cas pour les familles les plus défavorisées. Cette réforme est donc nécessaire.

Il y a également un enjeu de qualité de ce service public, et nous serons vigilants.

Le niveau d’ambition se mesurera aux moyens. Je vous donne rendez-vous dans quelques mois. Quels que soient les moyens qui nous seront accordés, la pénurie de personnel dans ce secteur nous inquiète. Elle renvoie aux problèmes du marché du travail. Vous évoquiez le rôle du service public de la petite enfance pour lever les freins du retour à l’emploi, mais ce problème s’applique aussi à ce secteur. L’attractivité de ces métiers et leur rémunération posent problème.

Le conseil d’administration a décidé de relever fortement les financements des modes d’accueil des jeunes enfants et des crèches en particulier, avec une augmentation de 5 % de la prestation sociale unique pour les crèches afin d’accompagner l’évolution des salaires pour être attractif. Nous estimons que 10 000 places de crèche n’ont pas pu ouvrir à cause de la pénurie de personnel sur tout le territoire.

Les travaux sur la CMG sont en cours de finalisation et il est encore un peu tôt pour connaître tous les paramètres précis du nouveau mode de calcul. L’intention est toutefois bien d’égaliser les restes à charge pour tous les modes de garde. Concernant les perdants de la réforme - qui resteront néanmoins minoritaires - il conviendra d’être attentif aux familles les plus fragiles et les textes règlementaires devront prévoir leur situation.

Nous sommes aussi alertés sur le non-paiement des assistantes maternelles, qui serait un peu plus fréquent qu’avant. Mais il ne faut pas généraliser. Nous devons cependant les accompagner, à la fois à l’échelle nationale et locale.

Plusieurs outils ont été développés ces dernières années en lien avec l’Urssaf, notamment le service Pajemploi+. Il y a une intermédiation, car la famille déclare et c’est la sécurité sociale qui finance et rémunère directement la personne pour la garde à domicile. Dans le cadre de la réforme du CMG, nous devrions aller vers cette logique de Pajemploi+ pour les personnes qui le souhaitent. Il est inadmissible que les personnes ne puissent pas être rémunérées. Il faut trouver des solutions d’urgence.

Madame Rossignol, nous sommes très attentifs à la mobilisation des personnels de la petite enfance. Des textes réglementaires régissent les règles d’accueil, les diplômes nécessaires, le taux d’encadrement, par exemple. Ils relèvent donc surtout du ministère.

Nous devons prendre le temps, pour la réforme de l’AAH, d’avoir un dispositif qui fonctionne et compris par les familles. Cela pose deux questions : la gestion de la déconjugalisation dans un univers conjugalisé, notamment pour les aides au logement, et la gestion des perdants. Le décret porte sur l’accompagnement des familles dans des situations générant des perdants. Ce sont surtout les familles les plus défavorisées du spectre de bénéficiaires de l’AAH qui seraient concernées. Le décret devra être finement travaillé pour ne pas rater des cas de figure, mais nous sommes déterminés et optimistes sur notre capacité à faire la réforme, et plus inquiets sur la quantité de travail nécessaire.

Debut de section - Permalien
Isabelle Sancerni, présidente de la Caisse nationale des allocations familiales

– Je précise, s’agissant des moyens, que nous sommes en difficulté : nous avons subi des rendus d’effectifs supérieurs à nos charges et nos stocks de dossiers sont au plus haut depuis dix ans. Nous n’aurons pas d’effectifs supplémentaires début 2023, nous discutons de la possibilité d’anticiper les départs, mais, à défaut d’accord sur la période transitoire, nous ne pourrons pas embaucher. Au-delà de cette transition, l’extension, au 1er janvier 2023, de l’intermédiation en matière de pensions alimentaires exige également de nouveaux effectifs, dont nous ne disposons pas. J’y insiste, car il nous faudra du temps pour recruter et former. Nous ne pouvons pas nous contenter d’autorisations financières si les autorisations d’embauche ne suivent pas.

En ce qui concerne les difficultés informatiques, nos équipes travaillent à mettre en place ce qu’exigera la feuille de route, même si nous ne disposons pas encore de la COG. Nous mettrons tout en œuvre pour mener à bien ces réformes, mais il faudra tenir compte du besoin d’expérimentation ainsi que du temps indispensable pour tester le dispositif. En matière de solidarité à la source, par exemple, et singulièrement du RSA, nous ne pouvons pas nous permettre de mettre des familles en difficulté ; les processus devront donc avoir été testés. Les délais que nous annonçons sont, à ce titre, déjà très inférieurs à ceux que nous avions demandés et nous ne pourrons pas faire mieux.

Sur le service public de la petite enfance, nous attendons de connaître les demandes qui nous seront faites. Cette évolution implique le même reste à charge pour les familles en individuel et en collectif, qui découle de la mesure concernant le CMG. Reste la difficulté posée par les crèches qui ne relèvent pas de la prestation de service unique (PSU). Dans les crèches PSU, le reste à charge des familles est encadré. Nous avons, en outre, créé des bonus pour l’accueil d’enfants en situation de handicap ou issus de familles précaires et nous avons renforcé les crèches dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), en horaires atypiques, ainsi que les crèches à vocation d’insertion professionnelle (Avip), grâce à des financements complémentaires à la PSU. En revanche, nous ne disposons pas d’éléments particuliers dans ce dispositif au sujet des micro-crèches relevant de la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje). Pour ce qui concerne la qualité, les normes ont été généralisées, mais les services de PMI, qui doivent vérifier leur bon respect, manquent de professionnels pour effectuer cette tâche.

À mon sens, nous avons besoin d’un pilotage national de la petite enfance afin de faire remonter vers le ministère ce qui est réalisé sur le terrain et de garantir un fonctionnement homogène entre familles et entre territoires. Nous avons des objectifs d’accueil en crèches PSU, mais ce sont les collectivités territoriales qui décident de créer des places. Il faut donc s’appuyer sur les deux outils déployés dans cette COG : le schéma départemental des services aux familles et les conventions territoriales globales (CTG). Ces dernières permettent à la CAF et aux collectivités concernées de dresser un bilan des besoins des familles et de l’offre qu’il est possible de mettre en place en matière de petite enfance, d’enfance et de jeunesse, de parentalité, d’animation de la vie sociale, de logement et d’accès aux droits. Cela nous offre une visibilité pluriannuelle accompagnée par des financements pluriannuels de la CAF, via les fonds nationaux, les fonds « publics et territoires », et des fonds locaux. Ces dispositifs sont en cours de déploiement et nous sommes bien avancés dans ce domaine. Il convient toutefois de porter une attention particulière aux outre-mer : quand nous atteignons 60 % d’accueil du jeune enfant en métropole, nous ne sommes qu’à 17 % en outre-mer.

L’accès aux droits est un point très important pour le conseil d’administration de la Cnaf, puisque nous nous occupons du Fonds national d’action sociale. En outre, nous devons nous assurer que le service est disponible pour toutes les familles sur l’ensemble du territoire. À ce sujet, je souhaite que la prochaine COG prévoie, sur le fonds « publics et territoires », une ligne dédiée à l’itinérance, de manière à amener vers les familles certains dispositifs de service.

S’agissant des assistantes maternelles, il n’existe pas, pour elles, de fonds de garantie de salaire, comme pour les autres salariés, mais ce n’est pas forcément à la branche famille de gérer cela.

La pénurie de professionnels de la petite enfance concerne 10 000 postes, qui ont été créés, mais qui ne sont pas pourvus. De plus, il manque de nombreux professionnels de l’animation dans les ALSH. En conséquence, des colonies de vacances ont été annulées, malgré des réservations de familles, faute de personnel. Nous devons donc nous intéresser à l’enfance, d’autant que les prestations dans ce secteur n’ont pas été revalorisées. Un effort a été porté sur la petite enfance, avec l’augmentation de la PSU, mais nous n’avons pas pu faire la même chose avec la prestation de service dédiée aux ALSH ou aux centres sociaux.

Enfin, s’agissant du transfert de la branche maladie vers la branche famille, le processus relève d’une position philosophique, mais notre préoccupation est que cela ne préempte pas la COG, alors que nous ne sommes qu’aux prémices des discussions. Nous craignons que ce qui reste ne soit affecté que sur la petite enfance. Ce serait, certes, une bonne chose en soi, mais il nous faut absolument prêter également attention à l’enfance et à la jeunesse.

M. René-Paul Savary. – Sur l’accès aux droits à la source, vous avez connu des difficultés quant aux APL avec le glissement ; 2 % d’erreurs, c’est un chiffre important, qui met les personnes en difficulté. Les discussions ont-elles avancé pour réaliser un calcul sur des données individuelles et non agrégées ? Vous êtes-vous rapprochés de l’Agirc-Arrco, spécialisée dans ce domaine, pour réduire cette marge d’erreur ?

Debut de section - Permalien
Nicolas Grivel, directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales

– Pour la connaissance des ressources en vue de calculer les aides au logement, nous nous appuyons sur le système déclaratif et la déclaration sociale nominative (DSN) que remplissent les employeurs. Cela nous permet une plus grande « fraîcheur » des ressources et une plus grande contemporanéité. Précédemment, pour le calcul des APL, on prenait en compte les ressources fiscales en n-2. Inconvénient cependant, cette « fraîcheur » se combine avec des incertitudes, des erreurs et des problèmes de régularisation. Nous avons été les premiers à constater cette instabilité plus forte et plaider pour une gouvernance de la donnée plus structurée. Nous travaillons actuellement pour savoir qui fait quoi et repérer les erreurs le plus en amont possible.

L’Agirc-Arrco a intérêt à travailler avec nous. L’important est qu’il existe des régulateurs du système que nous utilisons. Il y a un potentiel d’amélioration, d’autant plus utile qu’à terme nous voulons utiliser ces données pour gérer le RSA et la prime d’activité, espérant réduire la marge d’erreur. Actuellement nous sommes sur des données très « fraîches » et du 100 % déclaratif, ce qui génère un flot d’indus et de rappels très important, sans commune mesure avec les APL. Mais les familles qui reçoivent ces prestations sont très fragiles, nous devons donc réussir à bien concilier le niveau de fraîcheur et de proximité des ressources connues et le niveau de stabilité nécessaire pour ne pas générer des indus. Lorsque nous aurons une approche plus globale, nous aurons une pression globale sur la qualité de la donnée, plus forte que sur les seules aides au logement. Nous voulons avoir une qualité optimale.

Ces outils nous apporteront des informations que nous avons actuellement des difficultés à recueillir. Il y a des erreurs importantes dans les déclarations des allocataires, dues à la complexité du dispositif, et donc un système très lourd d’indus et de rappels, qui pénalise notre relation avec le public. Notre marge d’amélioration est importante et participera à la solidarité à la source.

Mme Raymonde Poncet Monge. – Avec la déconjugalisation de l’AAH, le traitement des perdants concerne-t-il simplement les perdants du « stock » ou des perdants « en flux », créés par l’application de la loi ? Auquel cas, allez-vous essayer d’élargir la loi pour qu’il n’y ait pas de perdants « en flux » ?

– Je n’ai pas le pouvoir d’élargir la loi, mais vous l’avez ! Le perdant de la réforme est celui qui touche actuellement la prestation, et non une situation dans cinq ou dix ans.

Mme Raymonde Poncet Monge. – C’est une personne dans la même situation.

– Il a été décidé de déconjugaliser l’AAH, mais il reste des situations « en stock » à gérer, de manière transitoire.

Mme Raymonde Poncet Monge. – Certaines situations sont paradoxales.

– Le Parlement a fait un choix politique. En tant que gestionnaires, nous ne voulons pas gérer indéfiniment deux systèmes parallèles. Nous gérons le stock avant de passer sur le nouveau dispositif.

Mme Raymonde Poncet Monge. – Une proposition de loi avait été déposée...

– Oui, mais la loi a été votée ainsi.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

présidente. – Nous vous remercions de votre participation.

Cette audition a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 55.