La Délégation sénatoriale aux outre-mer engage aujourd'hui un cycle d'auditions sur les perspectives d'évolution institutionnelle outre-mer dont l'objectif est double :
- d'une part, faire un tour d'horizon des souhaits d'évolutions dans les territoires ultramarins, souhaits qui se sont notamment exprimés dans l'Appel de Fort-de-France du 17 mai 2022 ;
- d'autre part, mûrir la réflexion sur une éventuelle révision des dispositions constitutionnelles relatives aux outre-mer, à l'occasion de l'élaboration du prochain cadre institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.
Pour cette réflexion, nous bénéficions du travail précurseur du président Michel Magras, qui a élaboré en 2020 un rapport remarqué sur la différenciation territoriale outre-mer.
Nous avons également recueilli l'éclairage des éminents juristes de l'AJDOM lors d'un échange organisé le 29 juin dernier, et dont les actes ont été publiés par notre délégation.
Pour notre première audition, nous accueillons en visioconférence, Xavier Lédée, président de la collectivité territoriale de Saint-Barthélemy.
Monsieur le président, nous vous remercions chaleureusement de votre disponibilité. Je vais vous céder la parole pour un exposé liminaire, sachant qu'un questionnaire vous a été adressé au préalable pour préparer cette audition.
Avec ma co-rapporteur, Micheline Jacques, nous vous interrogerons ensuite : en premier lieu, sur votre appréciation de l'évolution institutionnelle de Saint-Barthélemy depuis 2007, c'est-à-dire depuis le choix du statut de collectivité régie par l'article 74 ; et, en second lieu, sur votre approche des perspectives d'évolution du cadre constitutionnel pour les outre-mer.
Je ne doute pas que mes collègues auront également de nombreuses questions à vous poser.
Merci beaucoup d'avoir organisé cette audition.
Saint-Barthélemy fait partie des territoires ultramarins où l'évolution a été la plus importante, avec la réussite que l'on connait. En toute modestie, nous avons donc conscience du fait que le modèle de Saint-Barthélemy est appelé à servir d'exemple dans le cadre des réflexions menées sur la possible révision des articles 73 et 74 de la Constitution.
Cette évolution n'a pu être engagée qu'avec une population adhérant à un projet clair, net et précis, notamment autour de la gestion des finances qui est la première compétence transférée par la loi organique.
Nous avons aujourd'hui bien avancé. Cependant, nous demeurons confrontés à des difficultés, avec des compétences non transférées qui mériteraient a minima d'être partagées, des compétences transférées mais non suivies d'effets administrativement et ne faisant pas suffisamment l'objet d'un accompagnement par l'État, ainsi qu'une absence de prise en compte de certaines spécificités du territoire dans le cadre d'évolutions impulsées par l'État.
L'autonomie apparait ainsi indispensable. Cependant, elle appelle un travail d'adaptation aux spécificités de chaque territoire.
Aujourd'hui, l'action déconcentrée de l'État à Saint-Barthélemy, avec souvent un trajet par la Guadeloupe et les Îles du Nord ne garantit pas une action adaptée. La maîtrise des enjeux propres à Saint-Barthélemy n'est ainsi pas meilleure que celle que pourrait avoir un ministère à Paris. Incidemment, le terme d'Îles du Nord n'a plus de sens depuis que Saint-Martin et Saint-Barthélemy ont été détachés de la Guadeloupe.
Enfin, il convient de souligner que de telles évolutions nécessitent du temps. Les transferts de compétences doivent pouvoir être imaginés et préparés en amont. Ils doivent également être progressifs et échelonnés, pour que les adaptations nécessaires puissent être envisagées, le cas échéant au travers de processus plus simples.
Merci pour ces propos introductifs. Si vous souhaitez nous adresser des éléments complémentaires, nous sommes preneurs d'une contribution écrite. La collectivité de Saint-Barthélemy nous avait ainsi proposé une contribution écrite en 2020.
Pour débuter cette audition, pourriez-vous dresser un bilan général des compétences qui vous ont été transférées par la loi et que vous avez pu exercer ?
En vertu de l'article LO.6214-3 du code général des collectivités territoriales nous sommes désormais appelés à fixer les règles s'appliquant aux matières suivantes : impôts, droits et taxes (dans les conditions prévues à l'article LO.6214-4) ; urbanisme, construction, habitation et logement ; circulation routière, transports routiers ; dessertes maritimes ; voirie ; droit domanial et des biens de la collectivité ; environnement (y compris pour la protection des espaces boisés) ; accès au travail des étrangers ; énergie ; tourisme ; création et organisation des services des établissements publics de la collectivité ; location de véhicules terrestres à moteur.
Le domaine dans lequel nous avons le plus avancé est aujourd'hui celui des impôts, droits et taxes - tous les transferts de compétences à la collectivité devant s'appuyer sur un financement et une maîtrise de la dépense.
Nous disposons aujourd'hui d'un code des contributions relativement abouti. Toutefois, certaines modalités du recouvrement et du contrôle des différentes taxes du territoire demandent encore à être précisées et à être mises en oeuvre.
Vis-à-vis de la contribution forfaitaire annuelle des entreprises, par exemple, nous avons encore un stock de près de 4 millions d'euros de titres à émettre sur les quatre dernières années, avec des majorations associées.
Les finances de la collectivité sont saines, avec un budget excédentaire. Notre territoire est connu et reconnu pour cela. Cependant, ces finances reposent aujourd'hui sur une forte croissance, avec des recettes provenant notamment des droits de quai et de la plus-value immobilière. Si nous sommes amenés à contenir ce développement, du fait de la taille contrainte du territoire, nos recettes sont appelées à s'amenuiser. Il nous faut donc nous projeter dès à présent vers d'autres ressources potentielles. Dans cette optique, le contrôle et le recouvrement des taxes existantes sont très importants.
Autour des enjeux fiscaux, nous avons également un travail à mener avec l'État, pour des échanges de fichiers et d'informations.
Nous émettons par exemple des attestations de résidence fiscale. Cependant, nous n'échangeons pas nécessairement avec l'État sur ce point. Nos pétitionnaires signent un document attestant de la justesse des éléments qu'ils ont communiqués. Une convention fiscale avec l'État pourrait permettre de stabiliser et de fiabiliser notre compétence. Cependant, à ce jour, cette convention n'a pas encore été signée. J'ai sollicité le ministre des outre-mer à ce sujet. L'enjeu est de veiller à ce que notre statut et notre système ne soient pas dévoyés par certains.
En parallèle, nous avons aussi un travail d'explication à fournir, car notre territoire est souvent perçu comme un paradis fiscal, ce qu'il n'est pas.
Chacun doit prendre ses responsabilités, y compris l'État, en signant la convention fiscale proposée - la signature de cette convention étant prévue par la loi.
En matière d'urbanisme, il nous faudra procéder à des ajustements de notre code au fur et à mesure. Néanmoins, j'ai tendance à penser que nous sommes aujourd'hui mieux protégés, de par la vision que nous avons de notre territoire et de ses spécificités. Ceci met en évidence l'intérêt de disposer, en la matière, d'une compétence au plus près du territoire. Du reste, pour compléter notre code de l'habitation et de la construction, il nous faudrait pouvoir bénéficier d'un accompagnement de l'État - ce travail d'adaptation s'inscrivant dans le temps long.
Nous avons par ailleurs récupéré une compétence en matière d'incendie et de secours. Nous avons désormais un service territorial indépendant du Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Guadeloupe. Cependant, les règles de fonctionnement établies pour ce type de services ne répondent pas nécessairement aux besoins de notre territoire, à la population beaucoup plus réduite. Il nous faudra donc, là encore, procéder à des ajustements.
La direction des ressources humaines de la collectivité aurait par ailleurs besoin d'être accompagnée pour assurer la gestion des personnels de notre service territorial d'incendie et de secours. Les agents de la collectivité ont été contraints de se former eux-mêmes.
La compétence en matière de circulation qui nous a été transférée ne répond pas un réel besoin de la collectivité. Bien que nous ne souhaitions pas nous en séparer, force est de constater que son exercice soulève des difficultés n'ayant pas nécessairement été anticipées. Nous disposons d'un permis de conduire local et d'un code de la route reprenant le code de la route national. Néanmoins, il peut être difficile de passer l'examen du code de la route à Saint-Barthélemy et l'examen de conduite dans l'Hexagone. Nos permis locaux ne sont pas non plus toujours reconnus en métropole. Il s'avère par ailleurs complexe de récupérer un permis après une suspension prononcée en métropole. On constate également des abus, avec des conducteurs circulant à Saint-Barthélemy, bien que leur permis ait été suspendu dans l'Hexagone.
Vis-à-vis de l'accès au travail des étrangers, il nous reste beaucoup à faire. Nous ne sommes pas dans la situation de Mayotte ou d'autres îles. Néanmoins, notre territoire est à la fois extrêmement petit et extrêmement attractif. Il nous faudrait donc pouvoir en cadrer mieux l'accès. Dans les années 80, nous disposions d'une fiche d'accès au territoire, permettant de vérifier la capacité des nouveaux entrants à le quitter ou à y disposer de ressources suffisantes. Il nous faut désormais réfléchir à l'exercice de cette compétence.
En matière d'énergie, nous travaillons avec EDF, en concertation avec l'État, s'agissant notamment de rédiger notre programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Nous avons toutefois du retard sur ce sujet, appelant lui aussi un travail en commun.
Globalement, la situation est ainsi plutôt bonne à Saint-Barthélemy, avec des compétences prises en main. Néanmoins, les exemples que j'ai cités montrent les difficultés auxquelles nous sommes encore confrontés, du fait parfois d'un accompagnement insuffisant.
Estimez-vous que certaines compétences aujourd'hui exercées par l'État sur votre territoire pourraient être mieux exercées par la collectivité ?
Les missions exercées par l'État à Saint-Barthélemy ne le sont pas nécessairement bien aujourd'hui, du fait d'une organisation au niveau de la Guadeloupe et des Îles du Nord.
Notre rectorat, par exemple, est celui de la Guadeloupe. Nous disposons d'un vice-recteur pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Cependant, nos territoires sont très différents. Cette organisation complexe fait qu'au final nos chefs d'établissements rencontrent des difficultés.
Dans le domaine de la santé, l'hôpital de Saint-Barthélemy est le seul bâtiment de l'île sur lequel aucun investissement n'a été fait depuis le cyclone Irma en 2017. Ce bâtiment est encore partiellement détruit, ce qui est incompréhensible pour la population. Nous continuons de travailler avec le Département sur la dimension foncière - le transfert du foncier de l'hôpital ayant été prévu et conventionné dès 2008. Cependant, l'État a aussi une mission à accomplir.
Nous ne souhaitons pas nécessairement récupérer ces compétences. Néanmoins, a minima, il nous faudrait pouvoir les partager, avec un système décisionnaire plus proche de notre territoire. Avec le mille-feuille actuel, les processus sont encore trop longs et la collectivité n'y est pas suffisamment partie prenante.
Le dispositif prévu pour solliciter des habilitations à adapter les normes dans les domaines de compétence de l'État est-il aujourd'hui fonctionnel ? L'avez-vous déjà actionné ?
Depuis le début de la mandature, nous ne l'avons pas activé. De mémoire, ce processus demeure long et complexe. À travers une réécriture de l'article 74, l'idée serait de pouvoir acter le transfert de principe, intégral ou partiel, d'un ensemble de compétences, pour permettre ensuite à la collectivité, selon un calendrier concerté avec l'État, d'activer ces compétences en étant accompagné par ce dernier.
Le dispositif de consultation préalable des collectivités sur les projets de loi ou de décret vous semble-t-il fonctionnel pour adapter la législation aux territoires ? Les délais associés permettent-ils la consultation des élus et le travail en amont des dossiers ?
Le Conseil exécutif de Saint-Barthélemy se réunit chaque semaine. Nous parvenons donc globalement à répondre aux saisines. Cela étant, lorsque de nombreux dossiers doivent être traités conjointement, avec des délais contraints, les services de la collectivité peuvent être mis en difficulté. Nous souhaiterions aussi un meilleur retour sur la prise en compte ou non des propositions ou avis défavorables émis par la collectivité.
Il nous faudra également veiller, en liaison avec nos parlementaires, à ce que nos territoires ne soient pas oubliés dans l'examen de certains textes, comme cela a été le cas lors de la mise en place du procès-verbal électronique.
L'organisation des institutions et les règles de fonctionnement actuelles de la collectivité vous paraissent-elles satisfaisantes ? Avez-vous observé des points de blocage ? Le cas échéant, avez-vous la possibilité de saisir le juge administratif pour l'interprétation de la loi organique ou cette prérogative relève-t-elle uniquement du Préfet, comme c'est le cas à Saint-Pierre-et-Miquelon ?
Il me faudra vérifier ce point. Il serait effectivement judicieux que le Président ou un certain nombre d'élus du Conseil exécutif puissent saisir le tribunal administratif pour clarifier certains points et éviter les situations de blocage - la Préfecture étant ensuite appelée à contrôler la légalité de l'ensemble des actes de la collectivité.
Comment jugez-vous l'accompagnement de l'État dans l'exercice des compétences qui vous ont été transférées ? Ces transferts se sont-ils bien déroulés ? Un bilan conjoint de ces transferts a-t-il été établi ?
Par ailleurs, la déconcentration de l'État permet-elle suffisamment d'adapter les règles applicables au territoire ?
Il apparait nécessaire que les services de l'État puissent aussi être adaptés aux compétences transférées, pour veiller à ce que les spécificités des territoires soient bien comprises, que les logiciels soient bien adaptés, etc. Nous avons pu constater des manques à ce niveau. Lorsque nous saisissons les services de l'État, ceux-ci répondent dans la mesure de leurs moyens. Néanmoins, nous avons pu être confrontés à des difficultés techniques.
La déconcentration quant à elle, dès lors qu'elle s'appuie sur un circuit passant par la Guadeloupe et les Îles du Nord, n'est guère fonctionnelle. Lorsqu'un enseignant fait une demande de mutation, par exemple, il doit le faire au niveau de l'académie de Guadeloupe. Cependant, les différents territoires couverts par l'académie ne correspondent pas nécessairement au même projet de vie.
L'enjeu serait de rompre avec l'idée selon laquelle la Guadeloupe, la Martinique, Saint-Martin et Saint-Barthélemy constituent un ensemble homogène. Nos territoires sont géographiquement proches et nous avons des liens forts, de par notre histoire administrative et nos échanges réguliers. Nous pouvons nous appuyer les uns sur les autres pour aborder certaines problématiques, y compris pour envisager des transferts de compétences. Néanmoins, nous conservons des spécificités fortes. À cet égard, la déconcentration partielle opérée ne modifie guère la maîtrise des problématiques locales.
Quel est votre avis sur une éventuelle fusion des articles 73 et 74 de la Constitution, ouvrant la voie à des statuts sur-mesure et à la fin de la dichotomie historique DOM-COM ?
Cette question nécessiterait d'être retournée au Sénat, qui a la maîtrise technique de ces articles. L'idée serait néanmoins d'avoir des compétences et des statuts spécifiques à chaque territoire.
La distinction très administrative faite entre l'identité législative et la spécialité législative semble aujourd'hui obsolète à Saint-Barthélemy. Nous avons des compétences, des règlementations et des sanctions à mettre en place, tout en dépendant aussi de l'État.
Ce travail est effectivement celui du législateur. Nous auditionnons néanmoins les exécutifs des collectivités pour connaitre leur positionnement et bénéficier d'un retour sur leur expérience. Chaque collectivité dispose aujourd'hui de spécificités législatives particulières, à travers l'article 73 ou à travers l'article 74. La proposition du rapport Magras était de fusionner ces deux articles, pour permettre l'adoption d'un statut à la carte pour chaque territoire, régi par une loi organique.
Dès lors que certaines compétences n'ont pas vocation à être transférées, du moins pleinement, il existera toujours une dichotomie. Il conviendrait donc de pouvoir formaliser ce modèle hybride, en donnant aux collectivités une capacité à agir au fur et à mesure, sans repasser chaque fois par un processus administratif ou législatif complexe. Tel pourrait être le sens d'une refonte de l'article 74.
Si l'article 74 devait être réécrit, quelles dispositions souhaiteriez-vous modifier ? Lesquelles sont un point de blocage pour les évolutions statutaires que vous souhaiteriez ?
Nous sommes aujourd'hui limités en matière de sanctions pénales, avec des plafonds ne permettant pas nécessairement de prendre en compte la situation financière des populations du territoire. Pour un touriste louant une villa à plusieurs dizaines de milliers d'euros la semaine, par exemple, le montant de l'amende prévue pour les nuisances sonores, à hauteur de 35 ou 75 euros, n'est guère dissuasif. En matière d'environnement, les plafonds fixés pour les amendes ne sont pas non plus suffisamment dissuasifs. Il nous faudrait pouvoir disposer d'une plus grande marge de manoeuvre en la matière.
Quel sens donnez-vous à la notion d'autonomie, notamment en ce qui concerne la relation avec l'État ?
La meilleure manière d'organiser l'autonomie me semble être de laisser chacun faire ce qu'il peut faire et ce qu'il fait bien. À Saint-Barthélemy, nous avons ainsi vocation à récupérer les compétences que la collectivité peut exercer efficacement. En parallèle, nous conservons aussi un attachement profond à la Nation.
Un transfert des compétences sociales à notre collectivité, par exemple, ne saurait traduire une volonté de celle-ci de se dissocier de l'État et de ne plus contribuer à l'effort de solidarité nationale.
Cependant, nous pourrions sans doute exercer mieux certaines compétences, dans le cadre d'une autonomie s'appuyant sur un travail partenarial avec l'État.
L'État a ainsi des missions que nous n'avons pas vocation à récupérer, mais vis-à-vis desquelles nous devons être partenaires. L'enjeu est donc de rompre avec une opposition entre l'État et les collectivités, pour mettre en place une relation partenariale.
J'insisterais également sur le fait que l'autonomie n'est pas l'indépendance. Lorsque nous demandons davantage d'autonomie, nous ne demandons pas l'indépendance.
L'article 74 de la Constitution permet aux collectivités dotées de l'autonomie d'adopter des mesures justifiées par les nécessités locales, en matière d'accès à l'emploi, de droit d'établissement pour l'exercice d'une activité professionnelle ou de protection du patrimoine foncier. Souhaiteriez-vous pouvoir intervenir dans d'autres domaines ?
Notre territoire est caractérisé par une superficie restreinte et une forte attractivité. Or, après le passage du cyclone Luis en 1995 et de l'ouragan Irma en 2017, la reconstruction a généré à chaque fois un afflux de travailleurs, se traduisant par des difficultés de logement, des situations d'insalubrité, etc. De même, les flux de personnels pour répondre aux besoins des établissements hôteliers du territoire nécessiteraient de pouvoir être mieux encadrés. Nous souhaiterions donc disposer d'une meilleure maîtrise de l'accès au territoire pour la main d'oeuvre étrangère, dans le cadre de la libre circulation au sein du territoire français et de l'Union européenne.
Dotée de l'autonomie, la collectivité de Saint-Barthélemy peut participer à l'édiction de dispositions pénales sur son territoire. L'article 74 prévoit également qu'elle puisse participer, sous le contrôle de l'État, à l'exercice des compétences que celui-ci conserve, dans le respect des garanties accordées sur l'ensemble du territoire national pour l'exercice des libertés publiques. Quelle analyse faites-vous de ce dispositif ?
Comme je l'ai déjà souligné, ce dispositif ne peut fonctionner avec autant de niveaux pour prendre des décisions et les mettre en application. Plusieurs délibérations prises au cours des précédentes mandatures n'ont ainsi pas été suivies d'effets. Il nous faudrait donc rapprocher le système décisionnel de la collectivité, pour pouvoir adapter autant que possible les dispositions applicables au niveau local, dans le respect des libertés fondamentales.
La population de Saint-Barthélemy adhère-t-elle au statut de collectivité d'outre-mer ? Des souhaits d'évolution s'expriment-ils dans le débat public ? Qu'en est-il des socio-professionnels ? Une possible révision constitutionnelle suscite-t-elle des inquiétudes ou des espoirs ?
Des souhaits d'évolution s'expriment effectivement, de la part des socio-professionnels notamment. Nous sommes aujourd'hui en capacité de porter un regard sur les évolutions opérées depuis 2007. Certaines choses fonctionnent ; d'autres ne fonctionnent pas suffisamment bien et nécessiteraient d'autres évolutions.
Les perspectives de révision de la Constitution suscitent quant à elles des inquiétudes, car nous avons un statut particulier. Les acquis correspondants ne sauraient donc être remis en question. Nous entendons poursuivre notre travail, pour que ces acquis bénéficient à ceux qui le méritent et ne soient pas dévoyés, et que le statut de notre territoire soit encore davantage adapté à ses spécificités. À cet égard, la révision constitutionnelle envisagée suscite également des espoirs.
Lors d'un repas à l'Élysée, le ministre délégué chargé des outre-mer a insisté sur l'importance de la création de valeur au sein des territoires. Le statut actuel de Saint-Barthélemy permet-il cette création de valeur ? Le cas échéant, nécessiterait-il néanmoins d'être adapté à la marge ?
Nous créons bien de la valeur sur le territoire. Des adaptations pourraient néanmoins être envisagées, au regard de la taille de nos structures.
Du reste, nous conservons une difficulté dans la création de valeur à travers la formation. Un jeune de Saint-Barthélemy peut par exemple partir se former à l'extérieur pour devenir enseignant. Cependant, s'il n'est pas ensuite nommé à Saint-Barthélemy, il perd sa résidence fiscale. Cette difficulté créée par le statut de Saint-Barthélemy pourrait être réglée par le biais d'une convention fiscale, sans nécessiter une révision constitutionnelle.
Dans certains métiers spécifiques, des blocages dans l'accès à la formation nous amènent ainsi à recourir à de la main d'oeuvre extérieure, ce qui amplifie les problématiques de logement.
La perspective d'une fusion des articles 73 et 74 de la Constitution suscite beaucoup d'interrogations et d'appréhensions. Même pour nous, parlementaires, les choses ne sont pas nécessairement claires. L'article 73 peut permettre des adaptations. L'article 74, quant à lui, donne davantage d'autonomie.
À cet égard, je rejoins la définition que vous avez donnée de l'autonomie. J'ai également entendu votre demande d'un partenariat avec les services de l'État dans l'exercice de certaines compétences - partenariat qui pourrait être établi au travers de règlements.
Pour ce qui est de la création de valeur, l'article 74 a-t-il selon vous créé une différence entre la création de valeur individuelle (pour le citoyen) et la création de valeur collective (pour la République dans son ensemble) ?
Mathématiquement, à Saint-Barthélemy, avec une économie internationalisée, la somme des valeurs créées par les individus est supérieure à la valeur créée par le territoire. D'où l'importance pour la collectivité de bénéficier d'un socle financier solide et d'envisager les adaptations de son modèle de développement. Nous avons là un équilibre à trouver, pour veiller à ce que la richesse créée sur le territoire bénéficie à tous sur le territoire, ce qui n'est pas totalement le cas aujourd'hui.
Nous avons par exemple une importante communauté portugaise à Saint-Barthélemy. Or, il est certain que la richesse créée sur le territoire et exportée vers le Portugal par cette communauté n'est pas compensée par une richesse créée au Portugal et importée à Saint-Barthélemy.
Pour ce qui est de la relation partenariale à instaurer dans le cadre de l'autonomie, je prendrai un exemple. Nous avions récemment une visite des services de l'État non présents à Saint-Barthélemy. Le représentant de la douane nous a indiqué qu'il ne venait pas à Saint-Barthélemy pour des raisons de coûts. Ceci est d'autant plus inacceptable que la collectivité s'efforce de créer les conditions nécessaires à l'exercice des missions de l'État sur son territoire, en mettant à disposition des logements, des véhicules, des possibilités de restauration, etc.
Le partenariat avec les services de l'État, s'agissant notamment des grands services régaliens, nécessiterait ainsi d'être réajusté.
En effet. En parallèle, les compétences déjà transférées nécessiteraient de l'être pleinement au niveau administratif.
Une piste pourrait être de garantir ce partenariat au niveau constitutionnel, en en déclinant ensuite les modalités dans la loi organique.
Au sujet des normes, le rapport Magras formulait déjà la recommandation suivante : « L'efficience passe par une meilleure adéquation aux réalités, par une contextualisation des mesures et donc par une nécessaire différenciation territoriale. Autrement dit, il s'agit de faire en sorte qu'aucune orientation uniforme ne s'impose à l'ensemble des outre-mer. Partout, l'État doit accompagner les collectivités territoriales pour nourrir leur capacité propre d'expertise et leur garantir une véritable autonomie, qu'elles peuvent mettre au service de leur développement endogène. C'est la clé pour réussir une planification stratégique et opérationnelle efficace. »
Merci de nous avoir éclairés ce jour sur les termes à redéfinir : autonomie, partenariat et régalien. Il manque aujourd'hui du lien et une dimension règlementaire dans la relation entre l'État et les collectivités autonomes.
Il conviendrait de faire confiance aux territoires. Dès lors que l'autonomie repose sur un projet sociétal et économique clair, qui suscite l'adhésion de la population, elle peut fonctionner. Tel est le cas à Saint-Barthélemy. N'opposons donc pas l'État et les collectivités. Mobilisons les sachants au niveau des territoires. Tenons compte de la spécificité des territoires, sans les considérer comme un ensemble homogène. Et donnons-nous le temps de mettre en oeuvre progressivement les évolutions, dans le cadre d'un projet global, avec des procédures simples pour procéder aux adaptations nécessaires.
Pour accompagner ce processus, il pourrait également être utile de prévoir des points d'étape plus réguliers, plutôt que de fixer des échéances pouvant conduire à un retrait des compétences non encore exercées. Dans ce cadre, un accompagnement dans la durée pourrait être mis en oeuvre.
Saint-Barthélemy pourrait par ailleurs servir d'exemple aux autres territoires. Nous discutons aujourd'hui beaucoup avec Saint-Martin, ne disposant pas d'une compétence en matière d'environnement et n'exerçant pas une gestion en propre de son aéroport. Nous avons également été sollicités par le Département de la Guadeloupe, qui affiche une forte volonté d'évolution institutionnelle.
En retour, nous pourrions également apprendre de certains territoires, parmi lesquels Saint-Pierre-et-Miquelon (dont le statut est proche du nôtre), autour de sujets tels que la gestion d'une marque de territoire.
Le cas échéant, la Délégation sénatoriale aux outre-mer pourrait favoriser ces échanges entre les territoires, pour que les écueils ou difficultés rencontrés par certains puissent être évités aux autres.
Il serait utile que nous puissions échanger autour de ces sujets avec les présidents de l'ensemble des collectivités.
En Polynésie française, nous bénéficions d'une autonomie pleine. Toutes les compétences nous ont été transférées, à l'exception des compétences régaliennes. Dans ce cadre, il nous faut trouver une articulation entre l'État, la collectivité territoriale et les communes du territoire. En matière de sécurité, par exemple, nous nous appuyons ainsi sur la police nationale, la gendarmerie et les polices municipales.
Ne pourrions-nous pas tous nous aligner ainsi sur l'article 74 de la Constitution, pour exercer toutes les compétences à l'exception des compétences régaliennes ?
En Polynésie française, nous sommes satisfaits de ce statut, dont certains éléments pourraient simplement être mis à jour.
Un alignement de toutes les collectivités sur l'article 74 ne me choquerait pas. L'enjeu serait toutefois de veiller à ce que les spécificités de chacun des territoires puissent être prises en compte. Nous pourrions avoir un article unique laissant cette souplesse d'adaptation aux territoires. Dans ce cadre, l'État pourrait conserver l'exercice de ses compétences régaliennes, dans une relation de proximité avec les territoires.
Les évolutions envisagées agitent les opinions en Guadeloupe. A cet endroit, il conviendrait de ne pas reproduire les erreurs faites en 2003. Il y a là un enjeu de confiance et de capacité à convaincre les opinions.
En 2003, j'étais favorable à l'autonomie de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin et défavorable à la constitution d'une assemblée unique. Les Guadeloupéens ont rejeté cette assemblée unique à 73 %. Aujourd'hui, je serais toujours opposé à une telle proposition.
En revanche, si nous posons la question comme l'a fait le président Lédée - en définissant l'autonomie comme une dynamique s'inscrivant dans un dialogue permanent avec l'État et comme une pratique consistant à confier la compétence au mieux placé pour agir (en cohérence avec le principe de subsidiarité prévu par les textes européens et la constitution française) -, peut-être pourrons nous convaincre les opinions.
À cet égard, l'expérience de Saint-Barthélemy apparait réussie. En assumant les compétences qu'elle peut mieux exercer que l'État et en procédant aux adaptations nécessaires à l'usage, la collectivité de Saint-Barthélemy est aujourd'hui l'une des seules à remettre de l'argent à l'État. La collectivité de Saint-Barthélemy demande même désormais à exercer la compétence en matière de sécurité sociale.
Nous pourrions nous inspirer de cette expérience et la mettre en avant pour distiller de la confiance aux populations des territoires.
En Guadeloupe, je ne parle pas aujourd'hui d'évolution statutaire, car la population ne comprend pas ce discours. Je parle d'une révision constitutionnelle, de nature à ouvrir le champ des possibles, en donnant aux populations et à leurs représentants la capacité de choisir.
Tel est aujourd'hui l'esprit de l'article 74, qui permet une autonomie à la carte. Le statut de Saint-Martin n'est pas aujourd'hui celui de Saint-Barthélemy, ni celui de la Polynésie française.
Si nous arrivons à expliquer que rien ne saurait contraindre au changement et que l'autonomie ne saurait être l'antichambre de l'indépendance, mais que des évolutions pourraient être choisies, nous pourrons convaincre les populations.
Du reste, il me semble que les collectivités ont bien la capacité de saisir le tribunal administratif pour une interprétation des statuts.
En effet, cette prérogative relève uniquement du préfet pour les textes autres que le statut.
La collectivité reste un justiciable. Elle doit donc avoir la possibilité de saisir le tribunal administratif ou le Conseil d'État. Vis-à-vis de la loi organique, le Conseil constitutionnel pourrait également être intéressé. Cette égalité devant la justice est un élément essentiel pour faire adapter les normes.
Cela étant, à Saint-Barthélemy, qui exerce la compétence en matière de police administrative ? Les dispositions pénales prises par la collectivité ont-elles toujours vocation à être exécutées par le préfet ?
En Guadeloupe, l'Agence des 50 pas géométriques n'a pas la possibilité de se doter d'agents assermentés. Lorsqu'une maison construite indument fait l'objet d'une décision de justice, il appartient donc au préfet d'autoriser le recours à la force publique pour procéder à la démolition. La collectivité est elle-même en incapacité de le faire. Or le Préfet met régulièrement en avant des risques de troubles de l'ordre public.
À cet égard, la proposition du rapport de Michel Magras en 2020 était de transférer aux collectivités le droit pénal spécial. Cette proposition peut faire peur. Néanmoins, une telle disposition pourrait permettre de répondre à un certain nombre de problématiques, notamment celle du plafonnement des sanctions évoquées par le président Lédée.
Par ailleurs, vis-à-vis des normes, quelles habilitations ont été demandées par la collectivité de Saint-Barthélemy ? Avez-vous par exemple adopté une règlementation thermique pour les constructions ? En Guadeloupe, nous avons obtenu une telle habilitation, sans pour autant bénéficier d'un transfert des ressources correspondantes. L'autonomie peut ainsi avoir un coût.
L'attractivité de la collectivité de Saint-Barthélemy lui confère aujourd'hui des ressources, ce qui pourrait justifier l'obtention de nouveaux pouvoirs en matière fiscale. En Guadeloupe, la population craint davantage que l'autonomie aboutisse à une diminution des dotations de l'État, alors même qu'au sein de la République, l'égalité a vocation à transcender les statuts.
Si demain, à Saint-Barthélemy ou à Saint-Pierre-et-Miquelon, l'autonomie commence à coûter trop cher à la collectivité, les populations risquent de contester le statut, en arguant que la solidarité nationale ne joue plus son rôle. Il nous faut tenir compte de cela.
Pour répondre à cet enjeu, je défends en Guadeloupe l'idée d'une révision constitutionnelle n'obligeant pas au changement mais permettant d'envisager, dans le débat, des évolutions. Dans le contexte institutionnel actuel, où le débat parlementaire est appelé à jouer son rôle en l'absence de majorité présidentielle, j'invite les élus guadeloupéens à saisir cette opportunité.
Du reste, je félicite le président Lédée pour la continuité qu'il a su imprimer et la confiance qui règne à Saint-Barthélemy.
Le transfert de la compétence en matière de sécurité sociale n'est pas nécessairement le plus sensible à Saint-Barthélemy, car l'exercice de cette compétence s'accompagne de recettes. La sécurité sociale est excédentaire à Saint-Barthélemy ; il nous faut trouver la bonne formule, pour que chacun y trouve son compte. Saint-Barthélemy n'entend pas contester sa contribution à la solidarité nationale.
De manière générale, pour réussir l'autonomie, la compétence doit ainsi aller avec le financement. Il doit y avoir une cohérence entre celui qui l'exerce et celui qui la finance.
Je partage le sentiment exprimé par Victorin Lurel. Quoi qu'on en dise, cette révision constitutionnelle a avant tout vocation à ouvrir le champ des possibles. Il nous faudra ensuite la décliner, dans le respect des identités propres et des réalités locales. Il s'agit de la voie de la sagesse et le Sénat continuera à porter ce message, dans le prolongement du rapport de Michel Magras.
Le Sénat demeurera également au côté des collectivités pour les accompagner dans les évolutions possibles. À cet égard, il devrait être possible d'ouvrir le champ des possibles pour les collectivités outre-mer, sans la conditionner à la création de valeur comme le ministre a pu le dire. Nous y veillerons.
Je ne sens pas encore aujourd'hui au niveau du Gouvernement la volonté politique exprimée à l'Élysée par le Président de la République. Au-delà des propos du ministre sur la création de valeur, il a été fait état d'une volonté d'attendre le mois de mars 2023 pour poursuivre les travaux de révision. Il conviendrait d'engager la démarche, dans un cadre clair. Pour le moment, ce n'est pas clair. Je tiendrai ce discours au ministre en charge des outre-mer.
Je pense que nous serons plusieurs à tenir ce discours. Nous avons tous entendu la parole du Président de la République devant l'ensemble des parlementaires ultramarins. Il a été annoncé la création de groupes de travail pilotés par le Gouvernement, qui donnent l'impression de temporiser. Quoi qu'il en soit, le Sénat poursuivra ses travaux, dans le cadre de son groupe de travail sur la décentralisation notamment.
Je propose à présent de clore cette audition.
Nous remercions le président Lédée, ainsi que l'ensemble des sénateurs ayant participé à cette audition, dont j'espère qu'elle permettra d'ouvrir et d'éclairer les débats à venir.