En application de l'article 13 de la Constitution, nous entendons M. Robert Ophèle, candidat proposé par le Président de la République pour être nommé président de l'Autorité des normes comptables (ANC), en remplacement de Patrick de Cambourg, celui-ci ayant été nommé président du conseil sur le reporting de durabilité au sein du groupe consultatif européen sur l'information financière (Efrag).
L'ANC est issue de la fusion en 2009 du Conseil national de la comptabilité et du comité de la règlementation comptable. Elle intervient dans la détermination des règles comptables nationales et représente la France auprès des instances internationales chargées de l'élaboration des normes comptables internationales.
Ainsi, l'autorité donne un avis sur toute disposition législative ou réglementaire contenant des mesures de nature comptable et elle établit, en vue de leur homologation par le ministre chargé de l'économie, les règlements comptables applicables aux entreprises.
Depuis l'année dernière, un comité sur l'information de durabilité des entreprises a été formé au sein de l'ANC, chargé de répondre aux consultations européennes et internationales sur le sujet. Il s'agit à titre principal de se doter d'une formation pour travailler aux réponses à l'Efrag dans le cadre de la définition des informations exigées des entreprises en application de la directive sur le reporting de durabilité des entreprises.
En application de la loi organique et de la loi ordinaire du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, cette audition sera suivie d'un vote, qui se déroulera à bulletin secret. Je rappelle que les délégations de vote ne sont pas autorisées. Le dépouillement sera effectué après le vote, votre audition par l'Assemblée nationale s'étant déroulée plus tôt dans la matinée.
En vertu du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs exprimés dans les deux commissions représentait, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Le Président de la République m'a effectivement pressenti pour présider l'ANC à la suite de Patrick de Cambourg, que votre commission a auditionné il y a deux ans dans le même cadre qui nous réunit aujourd'hui ; ma présidence, si vous la confirmez, s'inscrira dans la continuité de ce que Patrick de Cambourg vous avait alors présenté.
L'ANC, créée en 2009, a trois grandes missions. Elle doit, d'abord, établir, sous forme de règlements, les prescriptions comptables générales et sectorielles que doivent respecter les personnes physiques ou morales soumises à l'obligation légale d'établir des documents comptables conformes aux normes de la comptabilité privée et donner un avis sur toute disposition législative ou réglementaire contenant des mesures de nature comptable applicables à ces personnes. Elle peut, ensuite, émettre, de sa propre initiative ou à la demande du ministre chargé de l'économie, des avis et prises de position dans le cadre de la procédure d'élaboration des normes comptables internationales. Elle est chargée, enfin, de coordonner et de faire la synthèse des travaux théoriques et méthodologiques conduits en matière comptable, et de proposer toute mesure dans ces domaines.
La montée en puissance des informations « extra-financières » à fournir et leur normalisation progressive sous l'appellation d'informations de durabilité ont conduit l'ANC à couvrir ce domaine, très complémentaire des informations financières. De même que l'International financial reporting standards (IFRS) a désormais deux jambes, avec l'International Accounting Standards Board (IASB) pour la comptabilité financière et l'International Sustainability Standards Board (ISSB) pour des normes et l'information sur la durabilité, l'Efrag a désormais un Financial Reporting Board et un Sustainability Reporting Board, ce qui a conduit le ministre de l'économie et des finances à demander à l'ANC de créer un Comité sur l'information de durabilité ; la transposition de la directive sur la publication d'informations en matière de durabilité des entreprises, dite CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), donne l'opportunité d'inscrire cette mission dans la loi.
L'ANC, c'est donc d'abord le normalisateur comptable français pour les quelque 5 millions d'entités qui suivent les normes nationales pour établir leurs comptes sociaux ; et le dynamisme dans l'exercice de cette mission fonde sa légitimité nationale et internationale. Au-delà du travail courant d'actualisation des normes françaises en fonction des nouveaux instruments et des nouvelles circonstances, la question se pose de poursuivre, de conclure ou d'engager des travaux plus ambitieux. Je pense à certaines approches sectorielles, par exemple dans les secteurs financiers, banques et assurances, pour qui les normes françaises sont anciennes et parfois décalées par rapport aux pratiques actuelles. Je pense également au développement d'une approche plus principielle du « plan comptable général », qui a fait l'objet d'un travail important à règles constantes par l'ANC mais dont on mesure rapidement les limites normatives lorsqu'on le compare aux approches internationales. Les débats autour de la notion de chiffres d'affaires illustrent la difficulté d'une telle démarche, en particulier son articulation avec l'approche fiscale. Le système fiscal français est « moniste » : les comptes sociaux constituent la base de détermination du résultat imposable des entreprises et, en traduisant la réalité économique de l'activité de l'entité, les normes comptables ne devraient pas conduire à des divergences significatives avec l'approche fiscale. Renforcer la connexion fiscalo-comptable doit donc rester un axe de travail majeur de l'ANC. Mais une telle démarche ne peut être fructueuse qu'en réunissant toutes les parties prenantes : l'administration fiscale mais aussi les entreprises, des plus petites, très attachées à une convergence et à une stabilité des normes à des fins de sécurité juridique et de simplification, aux plus grandes entreprises, qui établissent leurs comptes consolidés selon le référentiel comptable international de l'IASB et qui recherchent plutôt une convergence entre les règles applicables à leurs comptes annuels et celles de leurs comptes consolidés à des fins de simplification opérationnelle. La simplification ne veut donc pas dire la même chose selon la taille de l'entreprise.
Cela me conduit naturellement à évoquer ces normes internationales qui s'appliquent aux comptes consolidés des entreprises de l'Union européenne cotées sur un marché réglementé, soit environ 500 entreprises en France, contre 5 millions d'entités soumises aux normes françaises. L'UE a décidé de ne pas développer ses propres normes mais de retenir celles de l'IASB et de les intégrer au cadre réglementaire européen après une procédure d'homologation qui se fait sur avis de l'Efrag et peut, exceptionnellement, se traduire par l'introduction d'options alternatives spécifiquement européennes ; ce fut le cas récemment pour la norme IFRS 17 sur les contrats d'assurance avec la faculté (carve-out) de ne pas retenir pour certains contrats une approche en cohortes annuelles qui met à mal le principe de mutualisation des risques, l'un des fondements de nos dispositifs d'assurance.
Le défi pour l'ANC est donc d'être efficace le plus en amont possible via un dialogue nourri avec l'IASB. Mais notre force de conviction est naturellement d'autant plus forte que nos positions sont partagées par nos partenaires de l'Union puisque l'UE est le principal utilisateur de ces normes internationales. Les débats au sein de l'Efrag sont donc essentiels pour peser sur l'élaboration des normes IASB et éviter d'avoir à s'engager dans la voie toujours délicate du carve-out, de l'exception.
Or, si l'on peut considérer qu'en matière de normes comptables internationales, l'essentiel a été fait ou est clôturé - je pense en particulier à l'amortissement des survaleurs qui a été, une nouvelle fois, écarté - des dossiers sensibles restent en cours. Ainsi, la présentation des états financiers eux-mêmes, va relever d'une norme qui est cours de finalisation ; de même, le renforcement des informations à fournir dans le cadre des tests de dépréciation est à l'étude et fait suite, d'une certaine manière, à l'abandon de l'idée d'introduire un amortissement des survaleurs. Il y a également les revues périodiques à venir sur des normes récemment mises en oeuvre qui, sans contenir de changements majeurs, appellent une attention soutenue, que ce soit la norme sur le chiffre d'affaires (IFRS 15) ou sur les contrats de location (IFRS 16).
Dans tous ces travaux, nous devons bien entendu favoriser la pertinence de l'approche et promouvoir la qualité de l'information donnée aux tiers, mais il faut également mesurer l'incidence de la norme sur la compétitivité de nos acteurs économiques. L'approche de l'IFRS privilégie souvent les investisseurs, les marchés, en leur procurant des informations les plus détaillées possibles. L'approche américaine est paradoxalement plus mesurée. Il peut donc y avoir un déséquilibre concurrentiel avec des niveaux hétérogènes de détail sur les informations concernant la marche des affaires. Il convient donc d'être vigilant pour garder le bon équilibre et éviter de rendre publiques de façon inappropriée des informations commercialement ou juridiquement sensibles.
Nous devons désormais traiter le sujet nouveau et lourd de la normalisation extra-financière dans le cadre de la directive CSRD et des travaux de l'ISSB au niveau international. Les défis sont nombreux dans ce domaine. D'abord finaliser le cadre normatif européen et assurer sa bonne déclinaison en France, ensuite assurer au minimum sa compatibilité avec les normes internationales et avec les normes nationales de nos principaux partenaires.
La France a joué un rôle moteur pour développer une normalisation européenne ambitieuse. La réglementation couvre clairement et de façon homogène en Europe les trois champs de l'environnement, du social et de la gouvernance, là où certains se limitent encore à l'environnement, voire au climat - l'ISSB en est seulement à finaliser ses normes sur le climat pour mars prochain ; la réglementation européenne a une dimension prospective puisqu'il est demandé une description des objectifs, assortis d'échéances, que s'est fixé l'entreprise en matière de durabilité. La réglementation européenne prend en compte, pour l'environnement mais aussi pour le social, le concept de double matérialité - matérialité financière et matérialité d'impact - sur l'ensemble de la chaîne de valeur, donc au-delà du périmètre de la comptabilité financière, et couvre donc les besoins de l'ensemble des parties prenantes et pas seulement celles intéressées sur les risques pesant sur la valeur de l'entreprise. Elle a un périmètre qui va au-delà des entités d'intérêt public - les EIP qui sont en gros les sociétés cotées sur un marché réglementé, les banques et les assurances dès lors qu'elles ont plus de 500 salariés - et couvre l'ensemble des grandes entreprises au sens des définitions européennes, c'est-à-dire celles dont les effectifs moyens annuels sont de plus de 250 personnes, soit environ 8 000 entreprises ; cela permet de couvrir une très large part de nos activités économiques, proche des deux-tiers, et ne constitue pas une incitation supplémentaire pour les sociétés à se retirer des marchés réglementés, puisque les informations à fournir sont les mêmes. La réglementation européenne prévoit un mécanisme d'assurance sur les informations de durabilité ; certes, dans une première étape ce ne sera qu'une assurance limitée, mais l'étape de l'assurance raisonnable est d'ores et déjà prévue et tout cela sera encadré de façon homogène. Enfin, cette réglementation a une dimension extraterritoriale en s'imposant aux entités de pays tiers qui ont une activité significative dans l'UE.
La directive CSRD, qui avait fait l'objet d'un accord en trilogue sous présidence française, a été publiée au Journal Officiel de l'Union Européenne le 16 décembre dernier. Il faut encore, cependant, la transposer dans les 27 ordres juridiques nationaux et prendre des textes d'application au niveau européen, rapidement puisque les obligations pèsent sur les comptes 2024 - et il faut également prendre des dispositions de ce qu'on a coutume d'appeler le niveau 2 de l'ordre juridique de l'Union, pour donner une dimension plus opérationnelle à ces normes. Ces normes techniques sont donc proposées par l'Efrag puis prises par la Commission européenne s'il n'y a pas d'objection ; douze projets de normes ont déjà été proposés par l'Efarg, à mettre en oeuvre avant la mi-2023, c'est important. Il reste à fournir les normes sectorielles, les normes concernant les PME et les normes pour les établissements des pays tiers.
Cet effort de normalisation est considérable et mobilisera les forces vives de la place notamment lorsqu'il s'appliquera à l'ensemble des grandes entreprises, à savoir en 2026 au titre de l'exercice 2025 et qu'il conviendra d'avoir des rapports d'assurance modérée puis raisonnable d'auditeurs externes. Cependant, nombre de nos entreprises ont une activité qui dépasse le périmètre de l'UE ; il importe donc que les normes qu'elles auront à appliquer dans l'Union soient compatibles et proportionnées avec celles que peuvent imposer les autres juridictions pour éviter les approches multiples et assurer une concurrence équilibrée. Cela passe d'abord par la compatibilité et proportionnalité avec les normes internationales en cours d'élaboration à l'ISSB, les premières normes sur le climat étant attendues pour fin mars prochain. Cependant, nous ne savons pas encore quels États adopteront les normes de l'ISSB, tout en sachant d'ores et déjà que les États-Unis ne le feront pas.
Le sujet est d'autant plus sensible que la réciproque ne sera pas vraie entre les normes ISSB, européennes et états-uniennes. Le CSRD prévoit une possible équivalence des régimes de pays tiers en matière de durabilité, à l'image des régimes d'équivalence en matière d'information financière, mais cette équivalence ne peut être reconnue que si ces normes de pays tiers couvrent les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance, et qu'elles respectent le principe de double matérialité. Autant dire que ni les normes ISSB ni les normes envisagées aux États-Unis ne pourront être reconnues.
Comment relever tous ces défis ? La clef me semble être d'abord de bien structurer l'organisation de la place pour élaborer des positions argumentées, mesurer les conséquences des diverses options, mettre en évidence les difficultés d'application, proposer les clarifications utiles ; l'ANC est le lieu d'échange privilégié entre les entreprises et leurs parties prenantes, tout particulièrement les experts comptables et commissaires aux comptes. Il faut également assurer une fluidité de nos échanges avec nos partenaires de l'Union et des pays tiers afin de comprendre leurs approches et mettre en évidence des alignements d'intérêts.
L'ANC ne comptant qu'une vingtaine d'agents, elle doit, pour atteindre ses objectifs, mobiliser toutes les forces vives de la place autour de ses priorités. Sa structure actuelle avec le Collège, les deux commissions des normes privées et des normes internationales, son Forum d'application des normes comptables internationales, son Comité sur l'information de durabilité et ses divers groupes de travail sur des sujets ciblés, sont les outils d'une telle mobilisation et la participation de l'agence aux travaux des autres Autorités - Autorité des marchés financiers (AMF) et Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) en particulier - renforcent la cohérence des approches.
Pour poursuivre et amplifier cette dynamique, il nous faut disposer effectivement d'une équipe permanente d'experts de haut niveau, capables d'animer les groupes de travail ; il nous faut dépasser le cercle des très grandes entreprises car, on le voit, s'agissant des normes françaises ou des reporting de durabilité, le périmètre des sociétés concernées est très vaste, des PME pourraient être nombreuses à suivre le mouvement. Il nous faut une coordination très forte avec les diverses autorités nationales, y compris l'administration fiscale pour limiter au maximum les demandes reconventionnelles et les approches parallèles : les informations fournies par les états comptables et le reporting de durabilité doivent permettre de couvrir la quasi-totalité des besoins, n'en ajoutons pas. Nous devons également soutenir la recherche comptable ; c'est une des missions de l'ANC et il faut être ambitieux dans ce domaine car c'est en s'appuyant sur une recherche de qualité qu'on gagne le débat d'idées, en particulier sur le plan international. Nous gagnerions aussi à inscrire dans la loi la mission de l'ANC concernant les normes d'information de durabilité des entreprises, elle relève actuellement d'un courrier du ministre alors que les travaux de l'ANC en la matière concernent tout l'écosystème lié aux normes comptables. Il nous faut, enfin, élaborer un nouveau plan stratégique détaillé sur nos priorités pour les trois prochaines années ; je m'y attacherai avec le nouveau Collège si vous confirmez ma nomination. Je serai prudent aujourd'hui, car un plan stratégique n'est pas celui d'une personne mais celui du collège, qui représente les parties prenantes de la place, il faut amorcer une dynamique.
Permettez-moi d'être bref sur mes qualités pour assumer la présidence de l'ANC et être à la hauteur des enjeux que je viens d'évoquer.
J'ai réalisé l'intégralité de mon parcours professionnel dans le secteur public : j'ai rejoint la Banque de France immédiatement à la fin de mes études en février 1981 et l'ai quittée en août 2017 pour présider l'AMF avec un mandat de cinq ans non renouvelable.
Sans être un professionnel de la comptabilité, j'ai accumulé au cours de ma carrière des connaissances comptables et j'ai eu, au cours de ces dix dernières années, des interactions fréquentes avec l'ANC. J'ai passé huit années au contrôle des institutions financières, composante comptable significative, j'ai également passé une dizaine d'années à la direction financière de la Banque de France, à une époque où nous avons « normalisé » les traitements comptables de l'Institut d'émission, introduit la certification de nos comptes et réformé notre système de retraites en mettant en place un suivi rigoureux de l'engagement de retraites sur la base des normes internationales (norme IAS 19). La normalisation de la comptabilité de la Banque de France est passée par l'élaboration d'une approche comptable commune entre les banques centrales de l'Eurosystème afin de permettre notamment le partage du revenu monétaire. Mes cinq années à la présidence de l'AMF m'ont plongé dans la communication financière des émetteurs de titres, donc essentiellement sur la base des normes IFRS à l'AMF et à l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), ainsi que sur la communication extra-financière, dite désormais de durabilité, à l'AMF, à l'ESMA ainsi qu'à l'Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) qui s'est finalement saisie du sujet en 2019.
J'ajoute que j'assure aujourd'hui la responsabilité du projet français de candidature de Paris pour accueillir la future autorité européenne de lutte contre le blanchiment, l'AMLA. L'UE change de braquet en créant cette nouvelle autorité dont la vocation sera de garantir une application homogène de la réglementation contre le blanchiment d'argent.
Merci pour cette présentation, qui aurait pu faire l'économie de votre carrière tant nous connaissions déjà bien votre parcours. Nous avons en effet eu plusieurs fois l'occasion de travailler avec vous.
La dotation budgétaire de l'ANC, portée par la mission « Économie », est assez limitée : de l'ordre de 2 millions d'euros. Après l'AMF, vous prendriez la tête d'une structure bien moins imposante, que je qualifierais de « plateforme » de travail et d'échange. Considérez-vous nécessaire de renforcer les moyens de l'ANC ou bien l'autorité vous semble-t-elle parvenir de façon satisfaisante à ses objectifs avec les moyens dont elle dispose ?
Alors que la directive sur le reporting de durabilité des entreprises, dite CSRD, aura des conséquences majeures sur les obligations de publications extra-financières des entreprises, quel est, selon vous, le rôle que doit jouer l'ANC en matière de normalisation extra-financière ?
Considérez-vous que la prise en compte des enjeux sociaux et écologiques doive conduire à des évolutions des normes comptables applicables aux informations financières ? La liaison entre informations financières et informations non financières me semble indispensable - Patrick de Cambourg évoquait à ce sujet une logique de « fertilisation croisée » : qu'en pensez-vous ?
Considérez-vous que l'Union européenne et a fortiori la France, ne sont pas assez représentées au sein de l'IASB et que le cadre international des normes comptables soit encore trop déterminé sur le modèle anglo-saxon ? Quels sont les moyens de renforcer notre influence et le nombre des représentants ?
L'ANC compte une vingtaine d'experts, c'est suffisant pour mettre les différents intérêts autour de la table, sachant que l'autorité n'a pas vocation à se substituer à ces parties, elle n'est pas un superviseur et n'a aucun pouvoir de sanction, comme c'est le cas d'autorités administratives comme l'AMF. L'ANC se cantonne à un rôle de normalisation, ses moyens viennent directement du ministère et à ses côtés, il y a le collège, avec un président indépendant et des moyens abondés par le ministère et par un fonds de concours alimenté par les entreprises et les professionnels du chiffre. Ce fonds de concours devient insuffisant, car les missions augmentent mais aussi parce que des entreprises ne contribuent pas à hauteur de ce qui a été convenu, il faut donc revoir le calibrage, compte tenu des besoins nouveaux - et aussi pour financer la recherche comptable, il faut aller au-delà de ce que nous faisons aujourd'hui en la matière.
La France applique la directive sur le reporting de durabilité des entreprises, dite CSRD, plutôt qu'une norme nationale, ce choix a au moins deux conséquences : pour peser, il lui faut que la France soit influente sur le sujet au niveau européen, et que l'écosystème français soit pris en compte. Les liens avec l'information financière constituent un enjeu très bien relevé par mon prédécesseur - l'expression de « fertilisation croisée » est heureuse mais il faut bien voir que la réflexion ne fait que commencer en la matière. Les normes de durabilité ont une incidence directe et importante pour évaluer les actifs, par exemple pour savoir s'ils vont perdre ou gagner de la valeur du fait des changements liés à la réglementation ou encore à la tarification ou à la taxation du carbone, tout ceci est désormais financiarisé et nous avons besoin de cohérence. C'est pourquoi il n'est pas illégitime que ceux qui certifient les comptes, donnent aussi les informations sur la durabilité, cela n'avait rien d'évident compte tenu du débat sur le champ de l'audit et la concentration de ce marché - certains estiment qu'il ne faut pas étendre encore le champ d'intervention de l'audit, c'est un débat.
Les normes anglo-saxonnes l'emportent-elles ? Je dirais que l'influence de la France et de l'UE progressent, nous avons des débats avec l'IASB, la France fait partie, avec l'Allemagne, de groupes de travail communs et je crois que l'IASB a compris qu'elle ne pouvait négliger l'UE, qui est le principal acteur à avoir rendu les normes IFRS obligatoires, alors qu'elles sont optionnelles sur les autres continents. Il faut donc continuer ce travail fructueux avec nos alliés européens et dans le reste du monde.
Lors d'une audition devant notre commission il y a dix ans, Jérôme Haas, qui présidait l'ANC, avait marqué la différence qui existait entre les normes comptables des deux côtés de l'Atlantique, et les conséquences des nouvelles normes comptables européennes adoptées en 2002 pour le contrôle des comptes consolidés des groupes internationaux, ces règles étant différentes de celles, plus cartésiennes, que nous appliquions en France.
Je cite le compte rendu de l'audition : « Pour nous, le résultat, c'est la différence entre deux flux, ce que l'on dépense et ce que l'on gagne. C'est simple et sûr. Selon la comptabilité internationale, le résultat réside dans la différence entre deux bilans dans lesquels peuvent se trouver des choses non réalisées. On n'est plus dans un monde où les chiffres sont sûrs, mais dans un monde où ils doivent tout dire. Or, en disant tout, ils disent également des choses fausses. Ce qui n'est pas vrai, c'est ce qui porte sur l'avenir, la seule chose que l'on sache de l'avenir étant qu'on n'en sait rien ! Si on comptabilise l'avenir, on comptabilise des hypothèses. Plus il y a d'hypothèses, moins ce que l'on dit est crédible et tous ceux qui doivent prendre des décisions sur cette base risquent de se tromper. » Jérôme Haas poursuivait « Cette différence entre le réalisé et le non réalisé est un sujet très important. J'ai mis un certain temps avant de trouver que c'est ce qui nous sépare vraiment de nos amis anglo-saxons. Ils affirment que ce qui n'est pas réalisé est très important - engagement, créances etc. Ils n'ont pas tout à fait tort de vouloir tout dire, mais dire est une chose, le comptabiliser comme un résultat en est une autre. Il faut, selon nous, comptabiliser ce qui est effectivement dénoué. C'est le code civil qui le dit. On fait bien la distinction entre ce qui est sûr et ce qui est potentiel. »
Ce propos m'avait d'autant plus frappé que Jérôme Haas faisait un lien entre cette différence de normes comptables et la crise financière que nous avions vécue en 2008. Ce décalage entre les normes prévaut-il encore ? Ou bien a-t-on fait des progrès vers une harmonisation, qui devrait accompagner le fait que l'économie financière, elle, est devenue planétaire ?
Merci pour cette présentation pédagogique. L'ANC a peu d'effectifs, avec une vingtaine d'agents : comment, dans ces conditions, travailler avec les territoires ? Comment irriguer, mailler le territoire, y compris avec les experts-comptables, dont notre économie a tant besoin ? Et quid de la simplification des normes ?
Vous évoquez la lutte contre le blanchiment, mais qu'en est-il de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale ? Nous avons bien progressé ces dernières années, avec en particulier la levée du verrou de Bercy, le rapprochement avec la Chancellerie, la convention multilatérale internationale - cependant, il reste beaucoup à faire, on parle de 20 milliards d'euros à récupérer : qu'en pensez-vous ? Quelles pistes pour aller plus loin contre l'évasion fiscale ?
Je m'interroge sur l'incidence des écarts de normes comptables sur la concurrence entre les entreprises françaises et américaines. La façon de comptabiliser du crédit-bail, par exemple : nous en faisons un financement à part entière, pas les Américains, le ratio de l'aide sur les capitaux propres s'en trouve mécaniquement changé, au désavantage de nos entreprises. Quelle est la part des normes dans ces désavantages concurrentiels ? Nos normes me paraissent plus logiques, mais quel en est le préjudice pour notre économie ? Et n'avons-nous, finalement, pas d'autre alternative que de courir derrière les normes américaines, pour limiter la distorsion, ou bien peut-on réellement valoriser notre modèle plus prudent et vertueux ?
Avec l'adoption de la maquette M57 et bientôt la certification des comptes, les collectivités territoriales basculent progressivement vers un système de reporting analogue à celui des entreprises privées. Or, nous savons bien que les collectivités territoriales ont des activités que les commissaires aux comptes ont du mal à retracer, par exemple les subventions d'investissement. Les entreprises doivent faire une fiche pour chaque subvention qu'elles versent - les collectivités territoriales seraient bien en peine de devoir le faire, sauf à recruter des comptables en grand nombre juste pour faire ces fiches. Quel rôle allez-vous jouer pour que les certificateurs prennent en compte ce nouvel acteur que sont les collectivités territoriales ?
Le lien avec les territoires et les collectivités territoriales, avec le tissu économique en général, s'établit à travers des canaux privilégiés : les experts-comptables, bien sûr, et la Banque de France, présente dans les territoires et qui fait des notations, en prenant désormais en compte la durabilité, ce qui coïncide avec les critères européens. Ces indicateurs s'appliquent-ils aux collectivités territoriales ? Quand on parle de double matérialité, on vise l'incidence sur la valeur financière, mais aussi l'impact, lequel ne dépend pas de la structure juridique, donc les collectivités territoriales sont concernées. Est-ce possible, concrètement ? On ne va tout prendre en compte, car le suivi a un coût, le suivi doit donc être proportionné : si l'impact est marginal, on ne va pas le suivre. Il y a une entité spécialisée sur les normes publiques, installée dans le bâtiment voisin de celui de l'ANC, je pense que nous aurons des débats fructueux sur ces questions.
Ensuite, en matière de comptabilité des entreprises, de quelles normes parlons-nous ? Il faut comprendre qu'en Europe, les règles pour établir les comptes sociaux ne sont pas uniformes, les Allemands et les Français, par exemple, n'utilisent pas les mêmes, avec parfois des différences sensibles, dans le calcul du bénéfice social par exemple. L'IASB prend en compte les besoins des investisseurs, donc des marchés, qui s'intéressent aussi au non réalisé, avec un niveau de détails important - les informations sont très loin, alors, du simple cash flow. En France, les comptes consolidés sont établis avec le réalisé, il y a donc des écarts, l'objet n'est pas le même. Après la crise de 2008, on a voulu uniformiser les normes, nous n'y sommes pas parvenus, d'abord parce que les Américains n'en veulent pas, et nous avons constaté que les objectifs ne sont pas les mêmes quand on examine les choses de près. Il y a donc des décalages dans les normes internationales, avec des conséquences sur la concurrence et Jérôme Haas avait raison dans son expression. Les normes sont-elles pro-cycliques ? Certainement, on le voit aussi en matière boursière. C'est ce qui justifie que le président de l'ANC soit membre du conseil de stabilité financière (CSF), car le prix de marché fluctue fortement, et le mouvement va s'accentuer, voyez les titres d'État britannique. L'adhésion à des normes communes reste cependant un trésor, qu'il faut faire prospérer.