Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui nos auditions sur le service civique avec Mme Béatrice Angrand et M. David Knecht, respectivement présidente et directeur général de l'Agence du service civique (ANSC), que je remercie en notre nom à tous pour leur disponibilité.
Madame la Présidente, nous vous avons entendue avec beaucoup d'intérêt au cours de la précédente session, dans le cadre de la mission d'information sur la vie étudiante, puis dans celui de la commission de la culture. Je ne doute pas que l'audition d'aujourd'hui va être, comme les précédentes, très éclairante.
Le service civique est, en effet, au coeur du sujet de notre mission qui s'intéresse aux politiques publiques qui, en stimulant l'engagement des jeunes, contribuent à les former à la citoyenneté.
Pour l'information de Mme Angrand et de M. Knecht, je précise que notre mission d'information s'est mise en place dans le cadre du « droit de tirage des groupes », à l'initiative du groupe RDSE, et que notre collègue Henri Cabanel, membre de ce groupe, en est le rapporteur. J'indique également que notre mission est composée de 21 sénateurs issus de tous les groupes politiques, et que notre rapport, assorti de recommandations, devrait être rendu public au début du mois de juin 2022.
Je rappelle aussi que cette audition donnera lieu à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport.
Ce cycle d'auditions sur le service civique nous a permis d'entendre hier Mme Marie Trellu-Kane, présidente d'Unis-Cité, accompagnée d'une dizaine de jeunes volontaires avec lesquels nous avons eu un échange stimulant. Nous entendrons également au mois de mars Martin Hirsch, autre pionnier du service civique. Parallèlement à ces auditions, nous avons demandé à des élus locaux faisant appel à des volontaires du service civique de partager avec nous leur expérience et leur ressenti à l'égard du service civique, sur la plateforme du Sénat dédiée à ces consultations. Dans le même temps, des jeunes ont été appelés à témoigner sur le service civique sur les réseaux sociaux. Ces divers témoignages enrichiront notre réflexion.
Avant de vous donner la parole, le rapporteur de la mission d'information, Henri Cabanel, va vous poser quelques questions pour situer les attentes de cette mission d'information. Puis nous aurons un temps d'échanges avec nos collègues présents dans cette salle ou connectés à distance.
Monsieur le Président, mes chers collègues, je remercie également Mme Angrand et M. Knecht de s'être rendus disponibles pour nous.
Pourriez-vous, dans un premier temps, nous présenter un bilan du service civique, plus de dix ans après sa création : éléments statistiques, champs d'intervention, organismes d'accueil, profil des volontaires - y compris leurs nationalités, quand il s'agit d'étrangers -, conséquences de la crise sanitaire.
Disposez-vous de données chiffrées relatives à la part des volontaires issus de territoires ruraux ou dans les outre-mer ? Y a-t-il des spécificités dans leurs profils ou la nature des missions qui leur sont confiées ? S'agissant des territoires ruraux, les réponses qui nous ont été adressées sur la plateforme de consultation font état de manière récurrente du frein que constitue le défi de la mobilité pour ces jeunes. Ce point ne fait pas partie des questions qui vous ont été envoyées en amont de cette réunion, mais avez-vous des pistes pour faciliter leur accès au service civique ?
Le plan de relance a prévu la création de 100 000 nouvelles missions en 2020-2021, en plus des 140 000 missions annuelles. Cet objectif a-t-il été atteint ? Quelles ont été les principales difficultés rencontrées ? Disposez-vous d'informations sur la pérennité de ces missions supplémentaires ? Quant aux missions qui sont confiées aux jeunes, sont-elles en cohérence avec les motivations des volontaires ?
La loi prévoit une formation citoyenne obligatoire de deux jours pour les volontaires. Qui est en charge de cette formation et comment se déroule-t-elle ? Quel en est le contenu ? De que façon l'Agence du service civique vérifie-t-elle l'effectivité de cette formation ?
Opérez-vous un suivi des jeunes après le service civique ? Si oui, êtes-vous en mesure d'évaluer la conséquence du service civique sur l'engagement des jeunes ? En particulier, la réalisation d'une mission de service civique entraîne-t-elle un engagement plus important des anciens volontaires par rapport au reste de la population ?
Le service national universel (SNU) prévoit dans sa troisième phase la possibilité d'un service civique. Comment l'Agence du service civique prépare-t-elle cette troisième phase du SNU ? De manière générale, quel regard portez-vous sur l'articulation entre service civique et SNU ?
Quel est, en outre, le lien entre l'agence et l'Institut de l'engagement présidé par Martin Hirsch ?
De nombreuses réponses d'élus locaux consultés sur la plateforme du Sénat font état de difficultés d'ordre administratif et de la nécessité qu'ils ressentent de simplifier les démarches s'imposant aux organismes d'accueil. Qu'en pensez-vous ? Comment pourrait-on, selon vous, concilier cette exigence de simplification et la nécessité de prévoir un cadre rigoureux, dans l'intérêt des jeunes ?
D'autres réponses reçues via la plateforme de consultation des élus locaux évoquent des difficultés liées à des démissions brutales de volontaires, à l'insuffisance de candidats ou à une motivation problématique de certains jeunes. Qu'en pensez-vous ?
Nous pourrons peut-être, après les exposés de Mme Angrand et de M. Knecht, échanger sur d'autres remarques adressées au Sénat par des élus via la plateforme de consultation. Certains nous ont envoyé, outre les suggestions que j'ai précédemment évoquées, les pistes suivantes afin d'améliorer le service civique :
- davantage communiquer, car il reste trop peu connu ;
- prolonger sa durée pour permettre de confier aux jeunes des missions plus élaborées ;
- le rendre plus attractif par une rémunération plus élevée ;
- assouplir les conditions d'âge (dans les deux sens) ;
- travailler à une meilleure intégration professionnelle à l'issue du service ;
- rendre possible le renouvellement de la mission ;
- autoriser la mutualisation de volontaires par les petites communes ;
- valoriser les acquis des volontaires dans leurs études et leur parcours professionnel (validation de cours pour les étudiants, passerelles vers les concours administratifs, par exemple) ;
- simplifier les démarches s'imposant aux organismes d'accueil (difficultés avec la CPAM pour avoir un numéro de Sécurité Sociale, dossier de labellisation considéré comme un frein pour le recrutement de services civiques).
Sur ce dernier point, peut-on, selon vous, simplifier les formalités ou mieux accompagner les collectivités territoriales en la matière ?
Madame la Présidente, Monsieur le Directeur général, je vous laisse vous organiser à votre gré pour répondre aux questions du rapporteur.
Je vous remercie de ne pas dépasser le temps de parole de vingt minutes (à vous partager) qui vous a été indiqué en amont, car à 15 heures nous devons nous rendre dans l'hémicycle pour les questions d'actualité au Gouvernement.
Des réponses écrites pourront nous être adressées par la suite si nous ne pouvons, faute de temps, aborder tous ces points.
Je vous remercie, Monsieur le rapporteur, pour ces questions stimulantes. C'est toujours un plaisir de venir parler de cette mission passionnante que nous exerçons, David Knecht, comme directeur général, et moi-même, en tant que présidente, à la tête de l'Agence. Nous allons répondre ensemble à vos questions et vous faire part de nos réflexions sur le sujet de la culture citoyenne.
Le service civique a été créé en mars 2010 par la loi qui porte son nom. Il a permis d'agréger un certain nombre d'initiatives qui existaient ou préexistaient au sein de la vie associative, dans le secteur administratif ou dans les grandes associations dédiées à la solidarité. Le service civique a permis l'émergence d'un dispositif permettant à des jeunes de donner du temps à des causes, en échange de quoi ils touchent une indemnité et bénéficient d'un tutorat. La création du service civique est donc allée de pair avec celle de l'agence du même nom, chargée de mettre en oeuvre ce service et d'accompagner depuis 2016 la gestion de fonds européens consacrés au programme Erasmus + Jeunesse & Sports et, depuis 2018, au Corps européen de solidarité.
Il me semble important de le rappeler, 2022 étant l'année européenne de la jeunesse et alors que la France préside l'Union européenne jusqu'à la fin du mois de juin 2022. Je souhaite cet après-midi vous exposer le travail de l'Agence du Service civique. J'ai pris connaissance des propos tenus hier devant vous sur l'agence et je ferai une mise au point.
L'agence a pour mission de déployer la politique publique dédiée au service civique et de faire en sorte que le plus grand nombre de jeunes puissent accéder à des missions, dans le cadre du budget alloué par la représentation nationale. L'agence est également chargée de communiquer sur le service civique et sur les programmes européens. Vous me posez la question des 100 000 missions supplémentaires mises en oeuvre dans le cadre du plan de relance : cette cible de 100 000 missions supplémentaires s'est heureusement accompagnée d'un relèvement de notre tableau des emplois : l'agence compte aujourd'hui 100 ETP.
Depuis sa création, l'agence n'a cessé de voir son activité croître. Ainsi, en 2010, elle avait signé 6 000 contrats ; en 2021, elle en a signé 90 000. Elle doit à présent s'adapter à ce format. Elle doit ajuster son fonctionnement à l'effectif des volontaires et à la masse des acteurs qu'elle doit toucher. Par ailleurs, comme présidente de l'agence, je préside aussi le Comité stratégique du service civique dans lequel sont discutées les grandes orientations. Ce comité a a toute son importance parce qu'on y compte des sénateurs, des députés ainsi que des représentants des services publics de l'État, des collectivités territoriales et évidemment des associations. Les membres semblent tout à fait satisfaits de la qualité des échanges et de la prise au sérieux de leurs impulsions et recommandations.
Depuis sa création, le service civique a accueilli un peu plus de 600 000 volontaires. Il constitue une politique publique à part entière. Le service civique a pris une importance toujours plus grande dans la société et auprès de tous les jeunes. À l'heure où je vous parle, ce sont plus de 65 000 jeunes qui sont engagés « sur le terrain ». Dans quelles structures ? Pour 82 % d'entre eux, il s'agit d'associations, pour 12 %, de collectivités territoriales, et pour 3 % de services de l'État ou d'établissements publics.
De quelle façon se déploie le service civique ? L'agence agrée des organismes nationaux, lesquels représentent 5 % des organismes agrées, mais où 65 % des jeunes effectuant un service. De plus, la présidente de l'agence délègue sa signature aux préfets de région qui, en lien avec les recteurs de régions académiques, déploient le service civique en y agrégeant des organismes qui sont de diverses natures (associations, collectivités territoriales, universités etc.).
On nous a fait part du temps nécessaire à ces agréments, qui peut paraître long.
Je ne nie pas du tout la longueur de ces agréments, notamment parce que le nombre de jeunes et d'agréments a considérablement augmenté depuis deux ans. Il en est résulté un allongement des circuits de validation administrative que je ne nie pas. Qui plus est, en 2021, les services déconcentrés de l'État ont été absorbés par la mise en place de la réforme de l'organisation territoriale de l'État (« OTE »), qui prévoit le rapprochement de ce que l'on appelait par le passé les Directions régionales de la jeunesse, de la cohésion sociale et des sports. Ces structures intègrent désormais les rectorats d'académies régionales pour devenir des DRAJES (Délégations régionales académiques à la jeunesse, à l'engagement et aux sports). Cette réforme a du sens parce qu'elle permettra de travailler sur les parcours des jeunes, en créant notamment des synergies entre le temps scolaire et le temps extrascolaire. La mise en place de l'OTE a généré d'importants chantiers qui peuvent avoir eu une répercussion sur la durée d'instruction des agréments, mais les choses se normalisent actuellement. Les services déconcentrés de l'État ont pu bénéficier d'une augmentation des effectifs d'agents dans le cadre du SNU. J'espère que cela aura un impact favorable en délestant certains agents qui étaient en charge à la fois du service civique et du SNU !
Je voudrais compléter le propos de la Mme la présidente sur les délais d'agréments. Ces délais varient selon qu'il s'agit de l'échelon national ou de l'échelon local. À l'échelon national, on ne saurait considérer qu'il y a, en la matière, des retards. Nous sommes tenus par un délai maximal de trois mois que nous respectons scrupuleusement. Comme l'a dit la présidente, en sus des agréments traités à l'échelon national, d'autres sont examinés localement. Dès lors, nous n'avons pas d'impact sur les délais. Précisons aussi que le volume de ces agréments a crû de façon conséquente l'an passé : en 2020, les agréments concernaient 105 000 postes ; en 2021, on en recensait 145 000. Cet accroissement génère un allongement des délais bien compréhensible.
Nous avons mis en place une dématérialisation complète du contrat de recrutement du jeune en service civique en 2021, ce qui va permettre d'accélérer le traitement des dossiers. Cela étant dit, le traitement administratif de ces dossiers peut prendre du temps, notamment quand ce traitement est opéré à l'échelon d'organismes nouveaux. Des contrôles restent nécessaires pour s'assurer que l'on est bien dans un cadre de mission d'intérêt général. Les délais peuvent aussi s'expliquer par des processus d'itération liés au souci d'être en conformité avec les fondamentaux du service civique.
Vous m'avez également interrogée sur la durée moyenne d'une mission : elle est de huit mois. Cette moyenne permet, selon les besoins et les capacités des organismes qui accueillent les jeunes, de faire varier la durée d'une mission de six à douze mois en réalité. Quant aux domaines de missions, ils sont très variés et relèvent principalement de la solidarité, de l'éducation pour tous et des sports auxquels s'ajoutent la culture, l'environnement, la santé, etc. et depuis peu la citoyenneté européenne.
Les jeunes ont en moyenne 21 ans, sachant que les missions proposées par l'agence sont ouvertes aux jeunes âgés de 16 à 25 ans. Les personnes en situation de handicap peuvent candidater jusqu'à 30 ans : il est essentiel de le rappeler. La majorité des volontaires (61 %) sont des femmes ; 43 % des volontaires effectuent une mission juste après avoir obtenu leur baccalauréat.
S'agissant des motifs de rupture de contrat, nous en constatons d'abord au moment du recrutement des jeunes. Certains d'entre eux s'inscrivent au service civique mais ne donnent pas suite à la procédure initiée. Nous assistons, en effet, à un phénomène de « volatilité » chez certains jeunes, qui disposent désormais d'un certain nombre de possibilités, dans le cadre par exemple du programme 1 jeune, 1 solution.
Mais certaines ruptures interviennent aussi durant la mission proprement dite. 20 % des missions ne sont pas menées à leur terme. Dans 40 % des cas, cette rupture est motivée par une embauche (CDI ou CDD) ou par une reprise d'étude. Dans 31 %, la rupture de la mission intervient d'un commun accord avec l'organisme accueillant. Les abandons de poste à proprement parler ne représentent, en réalité, que 18 % des 20 % que j'évoquais tout à l'heure.
Dans la majorité des cas, les ruptures interviennent pour des raisons positives, mais certaines ruptures peuvent également être motivées par des déceptions ou par une mauvaise relation avec le tuteur, mais cette difficulté doit selon moi être relativisée.
La raison qui pousse les jeunes à s'inscrire est au coeur de nos préoccupations. Elle a fait l'objet d'une enquête de l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (INJEP) menée en 2021 auprès des jeunes ayant effectué une mission. Ces jeunes ont été interrogés entre six et dix-huit mois après leur mission. Parmi ces facteurs d'engagement, on trouve (53 %) l'acquisition de compétences pouvant être utiles dans le parcours de carrière, l'indemnité (39 %), la découverte d'une nouvelle activité (27 %) ou l'opportunité d'une activité exercée à temps partiel indépendamment de certaines autres (26 %). Il convient d'être prudent dans l'appréhension des chiffres que je vous communique. Considérer le service civique comme une passerelle vers l'emploi serait réducteur ; les jeunes sont en général motivés par un faisceau de raisons. Les éléments d'attractivité du service civique sont multiples. Le service civique permet d'exercer des missions d'intérêt général et de citoyenneté ou de développement de la cohésion sociale. L'engagement pour autrui est une motivation sous-jacente de base. S'y ajoutent tous les éléments d'attractivité du service civique. Il permet aussi d'acquérir des compétences dans une perspective d'accès à l'emploi.
Pour certains jeunes, l'intérêt réside dans le domaine d'activité dans lequel il va exercer dans le cadre du service civique. Certains sont en recherche d'expérience ou peuvent avoir des doutes sur leur orientation. Le service civique permet au jeune de découvrir sa place dans la société. En la matière, le tutorat est essentiel, de même que les formations civiques et citoyennes, et le respect du jeune durant sa mission. S'il a le sentiment que sa mission se substitue à un emploi, si le jeune ne se sent pas à sa place, ne se sent pas considéré, le succès n'est pas au rendez-vous. J'insiste vraiment sur le rôle éminent du tuteur. Sa contribution est essentielle. De même, les formations civiques et citoyennes peuvent produire un déclic, mais celui-ci ne saurait « tomber du ciel ». L'intérêt de l'action du jeune au service des autres fait découvrir l'engagement. Comme le dit souvent Martin Hirsch, « Il n'y a pas de mauvaise raison de s'engager ». Tous ces éléments doivent être, en conséquence, pris en compte dans l'appréhension de la mission exercée par le jeune.
Nous avons bien compris, d'après les témoignages des jeunes que nous avons entendus hier, l'intérêt que représente pour eux le service civique, notamment en termes de mixité sociale. Se pose cependant, me semble-t-il, un problème d'information sur l'existence même de ce dispositif. Ne croyez-vous pas que l'agence devrait envisager un réel effort en termes de communication ?
Je suis assez partagée sur ce point. Tous les jeunes témoignent de l'impact du bouche-à-oreille dans la découverte du service civique. 96 % des jeunes se disent satisfaits de cette expérience et en témoignent autour d'eux. Je crois que ce vecteur de communication est le plus approprié. L'enjeu me semble davantage d'accroître la reconnaissance du service civique, en particulier auprès des parents ou du monde du travail et de l'enseignement supérieur. Dès lors, la priorité est, à mon avis, que l'on parle du service civique, en amont, dès l'école. Ce n'est pas encore suffisamment le cas, même si de vrais efforts ont été accomplis depuis un ou deux ans. La présence du service civique dans les divers salons ou forums d'orientation est, à cette fin, capitale.
Les témoignages des jeunes volontaires que nous avons accueillis hier sont assez significatifs. Leur niveau de connaissance du fonctionnement des institutions de la Ve République en fin de cycle secondaire est très problématique. J'ai constaté très directement cette ignorance récemment, lors d'un échange avec d'autres jeunes de 19 à 20 ans.
Je voudrais également évoquer l'effort considérable que nous avons accompli en termes de communication globale (réseaux sociaux, notamment). Nous venons ainsi de lancer une nouvelle campagne, qui va courir sur plusieurs années, sur des canaux qui touchent plus particulièrement les jeunes. Nous effectuons également un travail très conséquent avec la DJEPVA, notre tutelle, en termes d'information à destination de la jeunesse et auprès des missions locales - l'Union nationale des missions locales est un partenaire de longue date. Évoquons aussi ParcourSup qui constitue également une voie d'information importante, plus particulièrement pour les jeunes qui viennent d'avoir le bac. Nous travaillons d'ailleurs avec les services du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation afin de développer l'information sur le service civique dans le cadre de ParcourSup. Le service civique peut être pris comme une année de césure utile et non pénalisante dans le parcours du jeune bachelier. L'enjeu est de lever les représentations dont peut souffrir le service civique, parfois pris comme « un plan B », alors que le service civique peut aussi s'inscrire dans un parcours universitaire très réussi.
Évoquons ensuite la formation civique et citoyenne dispensée à tous nos jeunes : elle dure deux jours, auxquels s'ajoute une journée spécifiquement dédiée à l'apprentissage des gestes de premiers secours. Elle est dispensée dans l'esprit de l'éducation populaire, de la pédagogie active. Un nouveau référentiel de cette formation a été institué. Il s'articule autour de la devise de la République Française. Cependant, aux trois mots caractérisant cette devise, nous y avons adjoint celui de laïcité. Nous cherchons à renforcer l'apprentissage et la bonne compréhension de nos institutions et de la citoyenneté, notamment, autour d'enjeux tels que la lutte contre les discriminations et la protection de l'environnement. Le service civique peut aussi servir de relais à l'apprentissage de la citoyenneté républicaine.
Évoquons ensuite la question des conséquences du service civique sur l'engagement des jeunes.
Sur ce point spécifique, une investigation a également été conduite dans le cadre de l'enquête que j'évoquais précédemment. La fréquence d'activités bénévoles est assez stable avant et après la mission pour une majorité de volontaires (69 %) ; 14 % ont augmenté l'intensité de leur engagement après leur mission ; à l'inverse, 17 % l'ont diminuée. Le service civique joue le rôle de sas vers un autre projet, professionnel notamment. Il n'est donc pas étonnant que la part dévolue au bénévolat diminue car ces jeunes sont mobilisés par une activité exigeante. 42 % des jeunes ont donné du temps au cours de l'année précédant leur mission à une association. Le service civique attire les jeunes qui présentent une prédisposition à l'engagement. Concernant les effets à long terme du service civique, ils ne sont pas encore clairement appréhendés.
Je voudrais évoquer à présent la forte croissance des jeunes du service civique depuis les annonces du Président de la République du 14 juillet 2020. 100 000 missions nouvelles ont été annoncées : c'est considérable ! Comme nous l'avons dit, elles ont entraîné un accroissement de nos moyens budgétaires et RH. Nous en sommes à la moitié du parcours. Ce rythme correspond notamment à l'intensité de l'activité associative. Or depuis deux ans, celle-ci est particulièrement contrainte par la crise sanitaire. L'essentiel est que notre action s'inscrive dans une dynamique positive et croissante, ce qui est le cas. La création de ces nombreuses missions nouvelles implique un travail important des organismes d'accueil, pour élaborer les parcours proposés aux nouveaux volontaires, mettre en place ces missions et former les tuteurs. Nous notons par ailleurs une augmentation sensible du nombre de jeunes accueillis par des collectivités territoriales (50 % de collectivités agrées de plus), ce qui est encourageant.
Pour accompagner cette montée en charge, nous avons déployé une démarche en quatre axes. Le premier axe consiste à proposer aux organismes d'accueil déjà agréés d'accueillir davantage de jeunes. Le deuxième axe consiste à solliciter d'autres organismes et à les inviter à rejoindre le service civique. Quant au troisième axe, il consiste à investir de nouveaux champs de mission (notamment l'environnement). Le quatrième axe consiste à outiller les organismes locaux, à accompagner le travail des référents territoriaux et à les doter des instruments leur permettant d'accomplir leur mission.
Je considère que le service civique constitue un outil de soutien adapté à l'enjeu de la cohésion nationale. Son adaptation aux besoins urgents en temps de crise est tout à fait satisfaisante, si l'on se réfère à sa capacité à déployer rapidement des missions dans le domaine de la santé et, plus particulièrement, en lien avec l'installation et le fonctionnement des centres de vaccination. Il convient cependant que les disponibilités budgétaires soient maintenues. Un retour en arrière serait particulièrement dommageable, alors que de nombreux organismes se sont mobilisés et organisés pour accueillir tous ces jeunes.
Je voudrais à présent évoquer la formation civique et citoyenne (FCC). Elle s'inscrit dans le cadre d'une instruction de l'Agence du service civique du 30 avril 2021 qui a révisé le cadre de cette formation. C'est une obligation pour les organismes agréés ; cette formation peut être dispensée à l'intention des seuls volontaires de l'organisme ou - nous promouvons cette formule - être élargie à l'externe, ce qui permet des croisements d'expériences et constitue un facteur d'ouverture entre jeunes effectuant un service civique en même temps dans des organismes différents. La formation est consolidée par les référents territoriaux de l'agence sous la forme de catalogues régionaux et délivrée par des organismes dédiés. Elle dure au moins deux jours et est effectuée en une ou en deux fois ; elle vise à promouvoir l'engagement, à favoriser un sentiment de cohésion chez les volontaires du service civique, volontaires qui viennent d'horizons différents, et à encourager une réflexion sur des problèmes de société. Le dispositif est contrôlé par les services déconcentrés de l'État. Les organismes agréés doivent certifier que cette formation a bien été dispensée, cette déclaration faisant foi. Des contrôles peuvent être opérés. Une évolution du système d'information permettant de recueillir au sein d'un outil dédié les déclarations des organismes est inscrite à l'agenda de l'agence.
Cette formation est centrale. Son référentiel étant maintenant solide, le nombre de jours obligatoires de formation devrait sans doute être revu à la hausse. Cette évolution, dont la décision ne dépend pas de nous, me semblerait très positive. Rappelons que la FCC est financée par l'agence.
Je voudrais évoquer les profils des volontaires, notamment du point de vue de la ruralité. Les jeunes issus de la ruralité représentent entre 20 et 25 % des volontaires (23 % en 2020). Nous avons cependant identifié des freins, liés à l'insuffisance de l'offre des missions dans les territoires ruraux et aux questions de mobilité (logement et transports). Une piste permettant d'accroître la part des jeunes ruraux dans le volume des volontaires consisterait à déployer des projets locaux, avec des financements complémentaires. Les collectivités territoriales pourraient apporter une contribution financière au titre du logement ou d'aides à la mobilité. C'est une perspective intéressante. L'agence intervient par le financement de la FCC, de l'indemnité et du tutorat et n'est pas en mesure de subventionner ce type de dépense.
Les initiatives mises en place avec des volontaires du service civique sont nombreuses sur le plan local (organisation d'événements tels que des festivals, épiceries solidaires, recueil de la parole des citoyens...). Aller encore plus loin sur le plan local fait partie de nos priorités. Cela permettrait à des jeunes ruraux - ou autres - de saisir de réelles opportunités.
S'agissant des territoires ultramarins, les volontaires y représentent 10 % des jeunes. Cette proportion favorable s'explique par la jeunesse de ces territoires et aussi par le fait que, pour nombre d'entre eux, le service civique représente une solution indispensable pour l'insertion des jeunes, notamment en termes d'obtention d'un revenu. Les missions qui sont proposées aux jeunes dans ces territoires ultramarins sont, de manière plus importante, concentrées dans les administrations de l'État ou dans les services publics, notamment au sein de l'Éducation nationale. Les missions portent sur l'éducation, la solidarité, la transition énergétique ou le changement climatique, dans les départements français des Antilles, à La Réunion ou en Nouvelle-Calédonie.
Vous avez, Madame la Présidente, évoqué certains sujets de fonds qui méritent d'être approfondis, notamment concernant la qualification du parcours autour du service civique. Un certain nombre de structures accueillent des jeunes, non pas pour assurer des tâches en corrélation avec l'esprit du service civique, mais pour effectuer des missions qui, selon moi, s'apparentent clairement à celles d'un contrat de travail. Il y en a beaucoup ! Ce sujet suscite des interrogations. La qualité professionnelle de ces contrats de travail est un sujet de fond. Cela renvoie aussi à la notion d'agrément. Vous nous avez dit vouloir multiplier les structures d'agrément. Je suis favorable à cette proposition, mais elle m'inspire une certaine réserve. On peut vouloir démultiplier les acteurs, mais encore faut-il que ceux-ci soient agréés et qualifiés. Si on multiplie le nombre d'agréments, l'agence s'expose au risque de ne plus respecter la qualité de mise en oeuvre du parcours. Le service civique peut être un élément d'un parcours d'insertion sociale et professionnelle dans le cadre des dispositifs d'État. Dans ce cas, l'indemnité est suspendue. Il serait donc intéressant de procéder à un audit du réseau des missions locales, dont l'expérience mériterait, selon moi, d'être appréciée dans le cadre de nos travaux.
Je vous remercie, Madame la Présidente, pour votre intervention. Comment l'information sur le service civique est-elle délivrée auprès des collectivités territoriales ? L'est-elle sous forme de plaquette ? Vous rendez-vous dans les petites villes, notamment dans les plus petites communes ? Le service civique est-il pris en compte pour la retraite ?
Bien sûr.
Je voudrais enfin évoquer la formation civique et citoyenne. Vous nous avez dit qu'elle durait deux jours, avec une extension à trois jours, le troisième jour étant dédié à la formation aux gestes de premiers secours. Je suis d'accord avec vous : cette durée devrait être augmentée.
Madame la Présidente, à mon tour de vous remercier pour votre présentation. Vous avez évoqué la part des collectivités territoriales, qui s'établit à 12 %. Cela me semble bien peu. Dans le Bas-Rhin dont je suis élue, nous recrutons beaucoup de jeunes au sein du service civique, y compris dans de petites communes. Je ne m'attendais pas à ce que le taux global soit si faible. Vous avez indiqué, en outre, que la part des jeunes effectuant une expérience au sein du service civique après le baccalauréat était de 43 %. Qu'en est-il des autres ? Avez-vous enfin des informations sur le profil social des jeunes qui s'engagent dans le service civique ?
Je m'interroge sur l'impact de la crise sanitaire et des divers confinements sur l'activité de l'agence. Je suis moi-même présidente d'une association et j'ai été confrontée à un problème durant le premier confinement : j'avais embauché une jeune du service civique et n'ai pas été en mesure de l'accompagner.
Madame la Présidente, je porte à votre connaissance une question qui émane du groupe de travail du Sénat sur les jeunes et la vie associative. À l'aune de l'impact des confinements et de la crise sanitaire sur le fonctionnement des associations, ce groupe de travail a formulé une préconisation : permettre d'être détaché au sein d'une mission d'urgence alors que l'on est engagé dans une autre mission. Je sais que l'Agence du service civique s'est penchée sur le sujet.
Sur les collectivités territoriales, je vous rappelle les chiffres : elles représentent à elles seules 12 % des organismes agréés et 5 % des jeunes engagés. Ces taux traduisent, selon moi, un recours particulièrement bas des collectivités territoriales au service civique. Par conséquent, nous avons publié une plaquette dédiée, édité des vidéos et créé une page spécifique sur notre site Internet. Les résultats se font ressentir : nous constatons en 2021 un accroissement des postes agréés dans ces collectivités locales. 500 à 600 collectivités territoriales ont rejoint le réseau du service civique en 2021. C'est un motif de très grande satisfaction.
Il faut aussi rappeler que l'accueil d'un volontaire du service civique représente un coût estimé à 107 euros par mois et par jeune. Ce montant est-il dissuasif ? Nous travaillons en tout cas à les convaincre de la pertinence d'accueillir des jeunes.
Précisons enfin que l'Agence du service civique et l'État ont innové en 2021 en instituant, à la suite du Comité interministériel des ruralités de novembre 2020, un appel à manifestation d'intérêt qui a été adressé à de nombreux territoires. Cet appel à manifestation d'intérêt a permis de financer vingt-quatre projets d'EPCI visant de manière très prospective à financer un ETP de prospecteur, de monteur et de concepteur d'une future mission de service civique dans ces EPCI situés en zone rurale. Hier d'ailleurs, nous assurions une animation à destination de ces EPCI et des référents territoriaux visant à développer le service civique au sein des territoires ruraux.
Concernant la question de la qualification, précisons aussi que le fait de prendre des jeunes issus du service civique dans un contexte de tension des ressources humaines au sein d'une collectivité territoriale, pour accomplir le travail qui est normalement effectué par des agents territoriaux, est formellement interdit. Comme je vous le disais tout à l'heure, je me félicite de l'augmentation du nombre de collectivités territoriales qui recourent au service civique, mais il convient de se laisser du temps pour le déploiement et pour l'accroissement des missions confiées à des volontaires du service civique dans les collectivités territoriales.
Concernant les contrôles, je précise aussi que nous avons contrôlé 11 % des organismes d'accueil en 2021. En 2020, le taux de contrôle s'établissait à 8 %. Je crois que la formation des tuteurs, le bon déroulement des formations civiques et citoyennes et le respect des droits des volontaires du service civique sont des éléments pertinents pour apprécier le bon déroulement des missions.
Au sujet de la concentration des acteurs, elle comporte certains risques et peut poser un problème. Je suis tout à fait sensible à votre remarque sur la question de la qualification, Monsieur le Sénateur.
J'ai aussi été interrogée sur la retraite : je vous confirme que le service civique donne accès à des points retraite. Sur les profils des jeunes accueillis au sein du service civique, 43 % présentent un niveau baccalauréat, 35 % présentent un niveau Bac+ et 22 % ont un niveau CAP ou BEP.
Nous avons aussi 17 % de décrocheurs scolaires, c'est-à-dire des jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en formation. Cette proportion est le double de celle que l'on observe dans la population générale. Nous comptons en outre 7 % de mineurs.
Je voudrais évoquer aussi un point important : l'articulation entre le SNU et le service civique. Au cours des séjours de cohésion, les jeunes doivent tous être informés de l'existence du service civique. L'idéal serait qu'ils puissent, en conséquence, à cette occasion, rencontrer des jeunes effectuant un service civique.
Les jeunes du Service national universel (SNU) sont âgés en moyenne de 16 ans. Il conviendrait qu'ils se « souviennent » du service civique suffisamment longtemps pour que, le moment venu, ils s'engagent dans cette expérience. Nous devons savoir comment nous pouvons garantir cette cohésion entre le SNU et l'Agence du service civique. Inversement, le SNU pourrait faire venir au service civique des mineurs : la transition entre ces deux formules va être un point crucial.
Vous m'avez également interrogée sur d'éventuelles pistes relatives au développement de la culture citoyenne et de l'engagement des jeunes. Il convient que l'Agence du service civique soit davantage soutenue et qu'elle puisse « inciter plus fortement » les organismes à organiser des missions, à recruter des jeunes en binôme et à favoriser l'organisation de missions collectives, afin que la mixité sociale soit privilégiée. L'organisation de la formation civique et citoyenne de manière à regrouper des volontaires effectuant leur service civique dans des organismes différents, dont j'ai parlé tout à l'heure, s'inscrit dans cette logique de cohésion que nous encourageons. Enfin, la citoyenneté consiste à respecter les autres. Nous devons, à cette fin, nous appuyer sur des tuteurs mieux formés et peut-être plus motivés. Je note que le dispositif actuel ne prévoit aucun dispositif de reconnaissance pour ces tuteurs. Il serait intéressant de réfléchir à un mode de reconnaissance.
Enfin se pose la question de la reconnaissance des expériences et des compétences ayant été acquises grâce à l'engagement dans le service civique et dans le cadre d'activités bénévoles. Nous avons à cette fin engagé un très important travail avec l'Association nationale des DRH et je dois rencontrer prochainement la commission « Jeunesse » du Medef. La reconnaissance du service civique dans le monde du travail et la prise en compte des compétences ayant été acquises par les jeunes dans le cadre du service civique sont aussi des éléments de motivation.
Madame la Ministre, merci de vous être rendue disponible malgré un agenda que je sais extrêmement contraint.
Pour votre information, je précise que notre mission est composée de 21 sénateurs issus de tous les groupes politiques. Elle doit sa création à l'initiative du groupe RDSE, qui a désigné comme rapporteur l'un de ses membres, Henri Cabanel. Notre rapport, avec ses préconisations, sera rendu public au mois de juin.
Les sujets que nous avons abordés à ce jour concernent l'éducation à la citoyenneté, plus particulièrement dans le cadre scolaire, mais aussi lors de la Journée défense citoyenneté. Nous nous intéressons notamment au rôle de la transmission de la mémoire dans l'éducation des futurs citoyens : nous avons ainsi entendu votre collègue Geneviève Darrieussecq et nous accueillerons prochainement la directrice générale de l'ONAC.
Parallèlement à l'éducation des futurs citoyens, nous attachons beaucoup d'importance aux politiques publiques susceptibles d'encourager l'engagement des jeunes. Le service civique occupe une place décisive dans notre réflexion. Nous avons échangé hier avec des jeunes volontaires accompagnés par Unis-Cité et nous entendions tout à l'heure la présidente de l'Agence du service civique (ANSC). D'autres séquences suivront sur le service national universel.
Enfin, le troisième axe de notre réflexion est lié à l'abstention, qui concerne tout particulièrement les jeunes électeurs.
Madame la Ministre, je joins mes remerciements à ceux du président pour votre disponibilité.
Il existe de nombreuses actions en faveur des jeunes dans un objectif de citoyenneté : le Service national universel (SNU), le service civique, les conseils de jeunes auprès des collectivités territoriales et l'enseignement moral et civique. Ne serait-il pas possible de coordonner toutes ces actions au sein d'un même ministère, ce qui offrirait davantage de lisibilité ?
Estimez-vous envisageable, voire souhaitable, de valoriser l'engagement citoyen des jeunes en leur attribuant des avantages dans le cadre de leurs études, tels que des points supplémentaires aux examens, une baisse des droits d'inscription dans l'enseignement supérieur... ?
Pouvez-vous présenter un bilan du dispositif d'accès à la nationalité pour les ressortissants étrangers mobilisés pendant la crise Covid et nous parler des cérémonies de naturalisation qui ont été organisées dans ce contexte ?
Nous entendions la semaine dernière la sociologue Anne Muxel sur la perception de la vie politique par nos jeunes concitoyens. Selon certaines analyses sociologiques, les jeunes sont particulièrement concernés par l'abstention, mais ils ne sont pas pour autant dépolitisés. Ils sont très intéressés par des engagements au profit de la collectivité, par exemple dans le cadre associatif. Les jeunes que nous avons entendus hier nous l'ont confirmé. Comment, selon vous, donner envie à cette génération de participer davantage aux élections, tant nationales que locales ?
Enfin, êtes-vous en mesure d'évoquer avec nous les conseils de jeunes ? D'après les témoignages d'élus locaux, les remontées de terrain sont pour la plupart positives en termes d'éducation citoyenne. Ces dispositifs offrent aux jeunes une bien meilleure connaissance des institutions que ce qu'ils apprennent en éducation morale et civique dans le cadre scolaire. Toutefois, il semble que dans ce domaine, la marge de progrès soit considérable. Avez-vous des pistes pour encourager ces conseils qui peuvent, s'ils sont bien accompagnés, jouer un rôle très positif pour donner envie aux jeunes de participer à notre vie démocratique ?
Je suis très heureuse d'être auditionnée dans le cadre de votre mission sur la culture citoyenne. Les actions de culture citoyenne qui sont menées au ministère de l'intérieur s'inscrivent pleinement dans la feuille de route que j'ai présentée lors de ma nomination, notamment sur l'incarnation de la République qui protège et la manière de faire vivre les valeurs de la République. Ce sont deux fondamentaux qui se répondent et qui sont extrêmement importants. Incarner cette République qui protège, c'est aussi affirmer à chacun que sa citoyenneté constitue une part de son identité et lui garantit un socle important de droits et de devoirs. Nous avons la chance, en France, d'avoir une citoyenneté qui a du sens et qui peut s'incarner par des accomplissements concrets.
Toutes et tous, ici, nous sommes engagés. J'ai présidé une association pendant dix ans puis j'ai été élue locale avant d'être membre du Gouvernement. Ce sont des actions de citoyenneté. Nous devons pouvoir transmettre aux jeunes cette envie de s'engager dans la vie démocratique.
Vous vous intéressez au rôle de la transmission de la mémoire dans l'éducation des futurs citoyens : la transmission des mémoires est en effet fondamentale. À mon niveau, j'ai organisé un certain nombre d'évènements mémoriels qui ont permis de travailler sur le sujet. Je pense notamment à l'hommage que j'ai rendu récemment à Renée Périni-Pagès, qui a été la première femme élue dans un conseil municipal après avoir été engagée dans la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale. Il est important de rendre hommage à ces héros et héroïnes que l'histoire a parfois oubliés.
Concernant les atteintes aux élus, je déplore que l'expression métaphorique selon laquelle un maire doit être « à portée de baffe » soit de plus en plus souvent prise au pied de la lettre. Je pense à la violence physique, mais également aux menaces sur les réseaux sociaux ou aux courriers racistes, misogynes et menaçants. Cette violence contribue à détourner un certain nombre de générations du combat public. Beaucoup de jeunes femmes qui sont engagées dans des associations me disent qu'elles n'ont pas envie de cette vie de violence. Elles estiment que le jeu n'en vaut pas la chandelle. Je rencontre beaucoup de personnes qui ne veulent pas s'engager dans la vie démocratique en raison de cette violence. C'est pour cela que nous sommes mobilisés, avec le ministre de l'intérieur, pour lutter contre ces actes inqualifiables. Beaucoup d'élus sont sous protection policière : je le déplore ! Nous ne devrions pas avoir à en arriver là. Le débat, y compris vigoureux, fait partie de la vie politique, mais pas la violence. Il est important de le rappeler et de s'indigner à chaque fois.
Vous connaissez mon attachement à la laïcité en tant que principe structurant qui permet d'être citoyen. Nous avons voulu, avec le Premier Ministre et le Président de la République, développer cette culture de la laïcité, avec notamment des référents laïcité, la création d'un bureau de la laïcité au ministère de l'intérieur, conjoint du bureau des cultes, et un comité interministériel à la laïcité. La laïcité n'a pas la définition que certains lui donnent. Il s'agit d'un principe lié à la citoyenneté qui nous permet d'être ensemble et de partager un même espace de vie.
Pour diffuser la culture de la citoyenneté, nous avons créé une Unité de contre-discours républicain (UCDR), qui permet à la fois de lutter contre les discours islamistes et, surtout, de partager les valeurs de la République sur les réseaux sociaux. Lancée en septembre dernier sur toutes les plateformes, cette unité permet, par exemple, de rappeler comment la Constitution a été construite, de présenter les coulisse du Sénat, de l'Assemblée nationale ou de l'Élysée, d'expliquer comment on fabrique une loi. Nous avons demandé à des associations de nous accompagner. J'ai créé le fonds Marianne, doté de deux millions d'euros. Il nous permet de diffuser ces discours d'adhésion à ce qu'est la République avec dix-sept acteurs associatifs.
Vous avez évoqué la naturalisation des travailleurs étrangers ayant été en première et deuxième ligne pendant le confinement : ce sujet me tient particulièrement à coeur. Pour des raisons qui m'échappent, la presse ne s'en empare pas du tout. Nous avons du mal à mettre en avant ces beaux parcours d'intégration, alors que ces personnes ont permis au pays de tenir ! Plus de 17 000 personnes ont obtenu la nationalité française par ce biais. Nous avons organisé quelques cérémonies. Je pense notamment à la cérémonie au Panthéon présidée par le Président de la République. Une nouvelle cérémonie de naturalisation sera bientôt organisée avec le ministre de l'intérieur à Paris, dans un lieu culturel éminent.
Dans le même état d'esprit visant à valoriser des beaux profils citoyens, j'ai créé le programme des « 109 Mariannes ». Y participent, notamment, une générale de gendarmerie, une astrophysicienne candidate pour une expédition sur la Lune, une jeune pompière volontaire le jour et aide-soignante la nuit, une maire, une intervenante sociale en gendarmerie, une auxiliaire en EHPAD ou encore une avocate en droits humains. On s'inspire en général, pour incarner Marianne, de visages d'actrices : ces femmes disent quelque chose du visage de la France d'aujourd'hui. Marianne est aujourd'hui plurielle. Ces portraits, visibles sur le site du ministère de l'intérieur, ont été exposés devant le Panthéon, où j'ai accompagné les visites de plusieurs groupes scolaires afin que des jeunes puissent s'identifier à ces modèles positifs. C'était très émouvant. J'ai également accompagné un certain nombre d'associations issues de quartiers difficiles à l'occasion de leur visite du Panthéon.
La question de la jeunesse est fondamentale. Les jeunes sont très engagés dans leur vie quotidienne. Pourtant, ils ne se rendent pas aux urnes. Nous avons créé le dispositif Les prodiges de la République dans l'objectif de valoriser des citoyens, jeunes et moins jeunes, qui se sont engagés et ont incarné la citoyenneté, notamment pendant la crise sanitaire. Il m'a semblé important de récompenser le meilleur de la nature humaine. Je pense à une couturière qui a confectionné des masques pour tout son village lorsqu'il était difficile d'en trouver, à un jeune homme qui s'est présenté spontanément pour être bénévole à l'hôpital, à un autre jeune homme qui s'est organisé pour monter leurs courses aux personnes âgées qui vivaient à des étages élevées, à des étudiants qui ont mis en place une épicerie solidaire ouverte... Ce sont quelques exemples parmi beaucoup d'autres. À la suite de l'appel à candidatures que j'ai lancé, 20 000 dossiers nous ont été proposés par les préfets et les services de préfecture. Cela démontre à quel point il existe, dans notre pays, une force vive qui a envie de s'engager pour les autres, au service du bien commun. Les « prodiges » ont été sélectionnés par un jury. Là encore, cela n'a pas beaucoup intéressé la presse nationale et les chaînes de télévision, au contraire de la presse quotidienne régionale. Ce dispositif montre pourtant un autre modèle de jeunesse, engagé, loin des clichés que l'on peut parfois présenter.
Il est tout à fait possible de repenser les périmètres ministériels afin de couvrir l'entièreté des sujets même si, dans le même temps, les sujets liés à la citoyenneté sont profondément interministériels. Ils sont liés au ministère de la culture, au ministère de la jeunesse, au ministère chargé de la mémoire et des anciens combattants, au ministère de l'éducation nationale... Cette politique est profondément interministérielle, comme l'est d'ailleurs le SNU, dont les objectifs consistent à renforcer la cohésion nationale, à garantir un brassage social et territorial de l'ensemble des jeunes d'une classe d'âge, à accompagner l'insertion sociale et professionnelle des jeunes et à valoriser les territoires et le patrimoine culturel. Le ministère de l'intérieur participe activement à ce dispositif, qui est piloté par la secrétaire d'État en charge de la jeunesse et de l'engagement. Les policiers et les gendarmes sont pleinement mobilisés. Plus de 2 000 missions d'intérêt général ont été proposées aux jeunes dans des services de police, de gendarmerie et d'incendie et de secours. En 2021, 15 000 jeunes, dont 56 % de jeunes filles, ont été accueillis dans les 122 centres de cohésion. Ils y ont vécu une expérience unique qui leur a permis de sortir de leur vie habituelle. Je pense à un jeune homme harcelé au quotidien qui s'est, pour la première fois, senti valorisé et considéré par un groupe.
La citoyenneté passe aussi par le respect et la reconnaissance de celles et ceux qui risquent leurs vies tous les jours pour nous protéger. Nous avons soutenu et financé des initiatives qui visent à faire se rencontrer les policiers et le reste de la population, notamment dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Ces actions sont fondamentales car elles contribuent à déconstruire les stéréotypes de part et d'autre.
Les taux de participation aux élections sont en baisse, ce qui est dramatique. Il est essentiel que la démocratie ne soit pas un privilège. Il y a deux générations encore, les femmes ne pouvaient pas voter. Des femmes se sont battues pour obtenir ce droit. Célébrer les combats féministes implique aussi d'aller voter. Cela illustre les avancées qui ont été réalisées pour les droits des femmes en matière de citoyenneté. Les jeunes s'engagent mais cet engagement ne se traduit pas toujours par un vote. Cette situation est préoccupante. Nous devons absolument identifier les ressorts de l'abstention et les mesures qui permettraient de la réduire.
Les cérémonies de remise officielle de la carte d'électeur à 18 ans pourraient être systématisées. D'ailleurs, nous avons fait évoluer les cartes électorales, puisqu'elles contiennent désormais un QR Code qui permet notamment de s'assurer de son inscription et de connaître les dates des prochaines élections. Cela ne suffit évidemment pas pour convaincre d'aller voter. L'engouement pour le vote relève du rôle des candidats et des partis politiques. J'ai aussi demandé aux plateformes de se mobiliser pour communiquer les dates des élections ou en diffuser les résultats. Cela contribuera à installer le vote et la démocratie comme faisant partie de la vie quotidienne. Nous avons repoussé la date limite d'inscription sur les listes électorales au début du mois de mars. Il n'est donc pas trop tard pour s'inscrire !
J'ai toujours un peu de mal lorsque j'entends des gens dire qu'ils ne seront pas disponibles pour aller voter parce qu'ils ont prévu autre chose. Le vote est un droit civique, mais c'est également un devoir citoyen. Malheureusement, ce discours est difficile à transmettre à une partie de la population.
Enfin, le Président de la République a souhaité faire de la lecture une grande cause nationale de cette année. J'ai saisi cette occasion pour créer, en partenariat avec le ministère de la culture, le premier festival du livre citoyen. Il se tiendra le vendredi 11 février à la Bibliothèque nationale de France. Il s'agit d'un événement gratuit, ouvert à tous, qui a pour but de faire se rencontrer les idées autour du livre et de valoriser le rôle de la lecture dans la construction citoyenne. Nous avons constitué un jury afin de remettre un prix du livre citoyen. Beaucoup de Français possèdent des manuscrits dans leurs tiroirs, mais ne savent pas comment les soumettre à un éditeur. Ce festival leur permettra d'en rencontrer. Enfin, des tables rondes rassembleront des écrivains et des jeunes pratiquant l'art oratoire.
Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
J'ai vous ai écoutée avec beaucoup d'intérêt présenter toutes les initiatives que vous avez prises pour accompagner des jeunes sur le chemin de la citoyenneté. Compte tenu des constats très alarmants que nous faisons tous, d'une véritable « sécession » de certains jeunes vis-à-vis de la démocratie, au point qu'ils verraient de manière presque naturelle un régime autoritaire s'installer dans notre pays, ne pensez-vous pas qu'il est temps de reprendre à la base et de manière systématique une véritable éducation à la citoyenneté, pour tous les jeunes et dans la durée ? Ne pensez-vous pas que l'école est la mieux placée pour mener à bien cette mission ?
Les nombreuses auditions que j'ai menées sur ce sujet me font dire que cette éducation à la citoyenneté ne représente qu'une portion congrue de l'enseignement de l'Histoire. Ne pensez-vous pas qu'il s'agit d'une carence importante de notre système éducatif ? Ne conviendrait-il pas de mettre en place quelque chose de solide au sein de l'Éducation nationale, de manière complémentaire à votre ministère ou aux associations ?
Nous avons tous fait le même constat que vous dans nos différents territoires. Nous l'avons également entendu au cours de nos auditions.
Souvent, les enfants qui sont récompensés dans le cadre des diverses initiatives qui sont mises en place pour encourager l'engagement citoyen ont des parents déjà engagés. Ils ont donc déjà été imprégnés de la notion de citoyenneté. Ce sont ces jeunes que nous retrouvons dans le SNU. Comment entraîner les autres jeunes, ceux qui ne sont pas entourés de familles investies, que ce soit au niveau politique ou associatif ? La communication que nous mettons en place n'arrive pas jusqu'aux jeunes. Les interventions de deux heures dans les missions locales pour parler de citoyenneté ne suffisent pas. Il existe un éloignement entre ce qu'est un homme ou une femme politique et ce que ces jeunes en perçoivent.
J'ai entendu au cours d'une de nos auditions un jeune dire qu'il ne voyait pas l'intérêt de déposer un « bout de papier » dans une urne. Or le vote ne se résume pas à cela, il n'est que l'issue d'un processus nettement plus long. Les jeunes savent s'engager pour des causes de manière ponctuelle, mais ils voient moins d'intérêt à s'engager sur le long terme. C'est probablement une culture à faire acquérir dès le plus jeune âge par l'Éducation nationale. Il y a quelque chose à reconstruire dans ce domaine. Il y a quelques décennies, les jeunes étaient extrêmement mobilisés politiquement parce qu'il existait des ennemis communs et ils s'identifiaient par rapport à eux. Aujourd'hui, ces repères se sont effondrés et nous vivons dans un certain confort. Pourtant, la démocratie peut disparaître ! Nous avons presque l'impression que certains jeunes aspirent à des régimes autoritaires. Je trouve cela dramatique, alors même qu'il y a quelques décennies, des jeunes se sont battus pour la démocratie.
Les jeunes ne sont pas désintéressés de la politique. Ils ne sont pas dépolitisés. Nous voyons, dans les expériences que nous menons dans nos territoires, l'intérêt qu'ils ont à rencontrer des élus. Vous avez évoqué le rôle des partis politiques. Souvent, les jeunes y trouvent porte close, alors qu'ils attendent d'être écoutés. Cela fait longtemps que les partis politiques ne jouent plus le jeu. Ils sont devenus des machines électorales. Ils ne cherchent plus à attirer les jeunes à eux. Les partis politiques ont oublié leur rôle fondamental, qui est le débat d'idées afin de tendre vers un idéal de société. Comment intégrer les jeunes si nous ne les regardons même pas ?
Je partage votre constat. Au-delà des partis, c'est aux candidats de faire voter. Je peux mettre des choses en place en tant que ministre chargée de la citoyenneté, mais ce n'est pas mon rôle de donner aux électeurs envie de voter pour quelqu'un. Si aucun candidat n'est en capacité de donner envie aux gens d'aller voter, alors la question de l'utilité des élections se pose...
En 2017, j'ai fait partie de celles et ceux qui ont estimé nécessaire de construire une nouvelle offre politique, plus à l'écoute des uns et des autres. Nous avons ouvert la représentation à de nouvelles personnes, qui n'étaient pas engagées précédemment. Nous sommes allés chercher de nouvelles personnes, y compris des jeunes. 30 000 jeunes ont été mobilisés par le parti politique auquel j'appartiens. C'est colossal ! De nouvelles personnes ont ainsi été attirées vers la vie politique. Une amorce a été réussie. L'Assemblée nationale a été considérablement renouvelée, féminisée et rajeunie en 2017. Cela suffit-il à reconstruire le lien entre les citoyens et le politique ? Évidemment non. Je n'ai pas la réponse pour lutter contre l'abstention, personne ne l'a ! En revanche, il est important que nous nous posions cette question et que nous menions un travail de conviction.
Entre la sécurité routière, la sensibilisation à l'écologie, les séances d'égalité femmes-hommes et la prévention du Covid, on en demande beaucoup à l'école, comme le dit souvent à juste titre ministre de l'éducation nationale. Dans le même temps, ces sujets permettent de faire évoluer les jeunes, mais aussi leurs parents. Je pense donc qu'il serait très positif de dispenser une éducation à la citoyenneté qui permette au moins de rappeler le rôle et les missions des institutions. Je suis étonnée du nombre de personnes qui, après une décision de justice, écrivent à un membre du Gouvernement pour demander de la casser. Ces citoyens en détresse pensent, probablement de manière très sincère, qu'un ministre a le droit de faire cela, ce qui n'est évidemment pas le cas ! L'éducation à la citoyenneté serait également très utile pour les adultes... Au-delà, les responsables politiques ont probablement des efforts à faire pour retisser un lien de confiance avec les jeunes, dont beaucoup se sentent éloignés de leurs représentants.
Il existe 200 000 sapeurs-pompiers volontaires : je veux les saluer car, il s'agit d'une manière, très belle et très forte, de s'engager pour les autres. D'ailleurs, il existe des personnes « multi-engagées ». Cette culture de l'engagement doit être davantage partagée. Toutes les actions que je vous ai présentées y contribuent modestement. Toutefois, la vraie question que nous devons nous poser est celle de l'avenir de la démocratie.
Nous devons pouvoir poser cette question lucidement aux nouvelles générations, et j'espère que leur réponse sera positive.
Nous l'espérons aussi. Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.