Je vous présente les excuses du président Patriat, qui anime cette mission sur la RGPP et que je tenterai de remplacer aujourd'hui. Monsieur le secrétaire général, nous vous avons demandé de venir nous exposer les conséquences de la RGPP sur le monde judiciaire. Nous en avons déjà quelques aperçus après notre visite auprès de juridictions de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur. La Première présidente, le parquet et le bâtonnier nous ont déjà donné quelques avis.
Nous adresserons au Sénat, à la fin de la semaine prochaine, la réponse écrite, et notamment chiffrée, au questionnaire que vous nous avez envoyé. A la différence des autres ministères, à la Justice, la RGPP n'avait pas pour objectif premier de réduire les effectifs mais plutôt de rationaliser leur répartition. Si elle a surtout concerné les fonctions support, les trois secteurs du ministère que sont le monde judiciaire, l'administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), ont été diversement affectés. L'administration pénitentiaire bénéficie d'un programme de construction d'établissements et, dans le monde judiciaire, compte tenu de la nécessité de renforcer les juridictions, la RGPP, n'a pas eu pour objectif la règle du « un sur deux ». La réduction des effectifs a donc été partielle.
Passés la première réaction et les commentaires suscités par la réforme de la carte judiciaire, la RGPP est nonobstant perçue aujourd'hui de manière parfaitement positive. J'ai pris mes fonctions il y a neuf mois et je constate que parmi les professionnels, chefs de cour et de juridiction, les données macroéconomiques comme la nécessité de maîtriser la dépense publique, de rationaliser et d'améliorer le service rendu et, sinon l'efficience, du moins l'efficacité, sont maintenant beaucoup mieux admises. Il n'en va pas de même dans toutes les organisations syndicales...
Les chefs de cour portent désormais un jugement positif sur la réforme de cette carte, estimant qu'elle a permis un indispensable recalibrage des moyens humains affectés à certains tribunaux d'instance et de grande instance, et de mieux les répartir là où ils étaient nécessaires. Cette approbation n'est pas forcément exprimée publiquement, mais, dans les discours de rentrée de TGI ou de cour d'appel, on ne discerne plus de désapprobation de principe, alors même que 170 tribunaux d'instance ou de proximité ont été supprimés, ainsi que 23 TGI. Nous n'avons pas encore pu mesurer le gain en termes d'efficacité, c'est-à-dire de raccourcissement des délais de jugement dans les juridictions qui ont été renforcées, car la réforme de la carte des tribunaux de grande instance n'a été achevée qu'à la fin de 2010. Pour quelques uns des tribunaux d'instance, dont la réforme a été terminée un an auparavant, je pourrai vous fournir l'évolution des délais de traitement des dossiers au civil et au pénal.
La majorité des élus que nous avons rencontrés nous ont dit avoir souffert du manque de concertation : ils ont subi la RGPP. J'ai entendu des maires, des présidents d'intercommunalité s'offusquer de la fermeture de leur TGI ; lorsqu'elle s'est ajoutée à celles résultant de la réforme des cartes sanitaire et militaire, ils considéraient que leur collectivité était sinistrée. En réalité, comment cela s'est-il passé avec les élus ?
On avait mis en place un dispositif à deux étages. En interne, les chefs de cour avaient mission de se concerter avec leurs personnels et avec les professions judiciaires. Quant aux préfets, ils ont été chargés d'organiser la concertation avec les élus et les chambres consulaires. Cela a été fait, avec plus ou moins de zèle selon les cours et selon les régions administratives. La suppression des tribunaux d'instance a en effet pu poser des problèmes d'accès au droit auxquels le ministère tente de remédier en installant, en liaison avec les collectivités locales. Nous créons des Maisons de la justice et du droit dans les communes éloignées des TGI. Je n'irai pas jusqu'à dire que cela constitue une compensation, une contrepartie ; simplement, nous mettons en place ces Maisons « nouvelle génération », travaillant avec les 94 centres départementaux d'accès au droit, là où elles paraissent nécessaires et dans la mesure du possible. Actuellement il y a 196 de ces Maisons : les nouvelles sont mieux informatisées, les collectivités locales leur fournissent le local, le ministère finance à 85% les travaux et aménage les dispositifs informatiques. Les tribunaux d'instance ont été supprimés lorsque leurs magistrats étaient trop peu nombreux donc trop peu spécialisés pour organiser un service suffisant. Il y avait des raisons objectives, indépendantes de la RGPP.
Si je comprends la réaction des élus locaux, je ne peux personnellement qualifier le processus de concertation dans son ensemble.
En quoi la carte judiciaire, la visioconférence et la dématérialisation des procédures ont-elles simplifié et amélioré la vie du justiciable ? Les différentes cartes (judiciaire, sanitaire, etc.) se chevauchent. Lors de l'élaboration de la carte judicaire y a-t-il eu des échanges avec les autres ministères ?
J'ai cru comprendre que le transfèrement des détenus serait désormais assuré par l'administration pénitentiaire. Où en est-on ? Et les moyens autrefois affectés à la police et à la gendarmerie pour cette mission ont-ils été transférés à la Justice ?
Quelles mesures de mutualisation le ministère envisage-t-il pour les cours d'appel et les autres juridictions ? On n'a pas beaucoup touché aux cours d'appel. Leur organisation était-elle parfaite ?
Pour l'usager, l'intérêt de la RGPP, c'est-à-dire du renforcement et du regroupement des juridictions, de leurs effectifs et de leurs moyens se mesure à la rapidité des jugements rendus. On ne peut en revanche quantifier ce qui a été perdu en termes de qualité du fait des suppressions. Cassiopée, qui n'est pas une chaîne applicative dématérialisée, n'a pas d'impact direct sur les usagers ; elle vise seulement à mieux organiser les données de base de la procédure pénale et à ainsi permettre aux acteurs des juridictions de mieux fonctionner. Elle n'a donc que des effets indirects en termes de capacité de traitement des dossiers et de diminution du stock de peines à exécuter - Le ministre M. Michel Mercier y est très vigilant.
Nous faisons un gros effort pour équiper les établissements pénitentiaires et les juridictions pour la visioconférence, qui améliore sensiblement le travail entre la justice et les professionnels, entre les juridictions et la police, la gendarmerie ou l'administration pénitentiaire. Les professions judiciaires pourraient également l'utiliser, mais magistrats et avocats ont une réticence culturelle à l'encontre de la visioconférence à laquelle ils reprochent de supprimer le contact avec le détenu, qui est parfois nécessaire. Pour l'instant, cette pratique n'a pas eu d'effet direct sur les usagers. En revanche, nous mettons en place des dispositifs informatiques, par exemple dans la gestion des majeurs protégés sous tutelle, afin d'échanger les informations nécessaires. Et nous préparons un portail grand public d'accès aux juridictions qui permettra aux usagers d'avoir toutes informations sur le fonctionnement de ces juridictions et sur les procédures. Un GIP a été créé avec la Caisse des dépôts et consignations. Nous tentons de le programmer pour 2013 mais le budget ne suit pas. Ce portail serait pourtant d'autant plus nécessaire que l'Union européenne a le projet d'en faire un pour les usagers des justices européennes et que la France est pilote dans cette affaire.
La carte judiciaire ne correspond pas à la carte administrative puisqu'il y a en métropole 30 cours d'appel contre 22 régions. La carte de l'administration pénitentiaire et de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) est différente de celle de droit commun. Pour l'administration pénitentiaire, il y a 9 Directions interrégionales (c'est le niveau zonal), mais pas de structure départementale, le nombre d'établissements étant variable selon les départements. La RGPP a rationalisé la carte de la PJJ en supprimant les petites directions départementales qui étaient sous le seuil critique : maintenant, il n'y a plus que 50 directions départementales ou interdépartementales pour la PJJ. Les services de probation et d'insertion sont départementalisés.
La carte des cours d'appel a été étudiée place Vendôme. On a décidé de ne pas en réduire le nombre en raison de l'impact que cela aurait sur les personnels et sur la charge de travail qui retomberait sur les cours d'appel appelées à grossir ; à cela s'ajouterait le coût de l'immobilier et les frais de fonctionnement de grosses cours d'appel, soit de 800 millions à 900 millions. Si on ne prévoit pas de réorganiser leur carte pour la rapprocher des 22 régions administratives, on a, en revanche, créé 18 plateformes Chorus pour les 35 cours d'appel. Et il n'est pas exclu que nous réduisions aussi le nombre de centres Chorus pour les services judiciaires, en mettant en place des plateformes interrégionales de service pour mutualiser les moyens et effectifs dans les fonctions immobilier, ressources humaines, action sociale, formation et handicap. Sur les fonctions budgétaires et comptables, il y aura une seule plate-forme Chorus pour gérer les quatre grands programmes du ministère.
Il n'y a pas adéquation principielle entre Justice et Santé. Ces ministères n'ont pas travaillé à coordonner les cartes judiciaire et sanitaire.
Un arbitrage a prévu qu'à partir de 2011, les transfèrements et extractions seraient assurés par l'administration pénitentiaire, ce qui a des conséquences sur les moyens et effectifs, sur l'organisation entre établissements pénitentiaires et juridictions, et sur l'utilisation de la visioconférence. Les ministères de la Justice et de l'Intérieur diffèrent dan l'appréciation des moyens et effectifs nécessaires pour ces transfèrements. Le chiffre acté est de 800 ETP, ce qui nous semble un peu sous-évalué. Le nouveau dispositif sera mis en place dans les cours d'appel de Metz, Nancy, Riom et, en fin d'année, à Caen. Depuis avril une expérimentation est en cours à Épinal et entre Moulins et Cusset, qui permettra d'apprécier les chiffres réels.
Votre ministère, avez-vous dit, n'est pas affecté par la règle du « un sur deux ».
Sauf pour les fonctions support.
Donc, vous conservez vos effectifs. Aurez-vous 800 ETP supplémentaires pour le transfèrement ? Si ce chiffre est sous-évalué, vous serez obligés de prendre le différentiel sur vos effectifs actuels.
Il s'agit de 800 postes transférés. Pour ces extractions judiciaires, la situation en matière d'ETP est tendue. L'utilisation de la visioconférence éviterait des transfèrements inutiles. Mais cela exige de sensibiliser les magistrats qui n'y sont pas tous favorables. Et cette nouvelle tâche de l'administration pénitentiaire exige un très lourd travail d'organisation et de planification entre cette administration, les juridictions et les magistrats instructeurs. C'est une lourde charge pour les responsables de juridiction qui doivent estimer la longueur de chaque audience.
Les élus locaux jugent que la nouvelle carte prive les justiciables de services de justice de proximité. Les justiciables doivent faire des kilomètres pour répondre à une convocation, alors même qu'ils sont déjà dans une situation sociale précaire. On s'expose à constater de plus en plus de non-réponse aux convocations.
Le ministère, conscient du problème, envisage en compensation de densifier le réseau des Maisons de la justice et du droit dans les communes éloignées d'un tribunal d'instance ou de grande instance. Mais on ne peut nier que c'est une compensation insuffisante. L'objectif est de trouver le bon équilibre entre taille critique des juridictions et accessibilité à la justice pour tout usager. En 2010 et 2011, nous créons 16 nouvelles Maisons. Les services de probation et d'insertion, eux, sont organisés sur une base départementale depuis 1999 et la RGPP n'a pas eu d'impact sur eux.
Mais ils sont rattachés à des tribunaux. Et ces tribunaux sont transférés ! Par exemple, on a fermé le tribunal d'instance de Morlaix. Il faut désormais aller à Brest, et on a invité les antennes du Service pénitentiaire d'insertion et de probation à suivre le tribunal d'instance à Brest, ce qu'elles ont fait. Les bornes interactives sont installées dans des locaux multiservices. C'est une difficulté supplémentaire pour les justiciables. Finalement, les frais économisés par les tribunaux sont maintenant payés par l'usager. Le manque de contact nuit à l'essentiel, la relation du justiciable avec le juge et l'avocat.
C'est pour cela que nous tentons de mettre en place la visioconférence de façon mesurée car, en effet, à certains stades de la procédure, il faut un contact direct entre magistrat et prévenu. La Cour européenne des droits de l'homme a émis une prescription à ce sujet. Mais il y a certaines autres étapes de la procédure où il est vraiment inutile d'extraire le détenu, d'autant qu'il peut, pour donner un renseignement, rester une journée entière dans l'enceinte du tribunal dans un lieu guère plus agréable que sa cellule ; sans parler des risques que comporte toute extraction. Même s'ils ne fétichisent pas la visioconférence, les services judiciaires sont beaucoup plus équipés en la matière que les commissariats - ce qui, d'ailleurs, pose un problème pour la réforme de la garde à vue.
Citoyen et justiciable, je constate qu'on reproche à la justice d'être lente et d'utiliser un galimatias tel que le justiciable moyen devient un Béotien ne comprenant ni pourquoi il est condamné, ni pourquoi il est acquitté. D'autant que l'immense majorité des prévenus est souvent d'un bas niveau socioculturel. Ya-t-il eu amélioration sur ces deux points ?
Sur les transferts : serait-il inconcevable de déplacer les magistrats, plutôt que les détenus ? Il y aurait dans chaque maison d'arrêt une pièce prévue pour cela, qui ferait office d'annexe du tribunal. Et on n'aurait pas besoin du concours de forces de police ou de gendarmerie. Je m'étonne qu'on n'ait pas pensé à faire cette économie...
Il y a la procédure judiciaire et les perceptions subjectives. Le droit imposant une technique, le vocabulaire juridique restera toujours décalé par rapport aux connaissances des justiciables. Dans les procès pénaux, certains magistrats font l'effort d'expliquer la logique de la décision, afin qu'elle soit bien comprise. Mais il est vrai que l'explicitation des décisions de justice pourrait être améliorée afin qu'elles soient traduites dans un langage plus accessible au commun des mortels.
Cet effort a été fait récemment pour le classement sans suite : on a conservé les termes juridiques mais on les a aussi traduits. C'est maintenant systématique.
L'élu que je suis reçoit souvent en mairie des justiciables qui me présentent leur courrier en me disant : « je n'y comprends rien ! ».
Un gros effort a été fait pour l'accueil des justiciables dans les juridictions. On les renseigne sur l'aide juridictionnelle, sur les délais avant une convocation etc. Des ETP sont consacrés à cette tâche. J'ai constaté la semaine dernière qu'au TGI de Mulhouse quatre personnes sont employées en permanence à aiguiller le justiciable.
Déplacer les magistrats dans les prisons plutôt que les détenus dans les tribunaux ? Le juge d'application des peines se déplace dans les établissements pénitentiaires parce que c'est consubstantiel à sa mission. Mais ce serait beaucoup plus difficile à obtenir des magistrats instructeurs. A l'heure actuelle, c'est peu envisageable...
Et les déplacements prendraient au magistrat instructeur un temps précieux, ce qui réduirait considérablement son rendement et sa capacité à traiter rapidement les dossiers.
Les avocats, tout autant concernés, restent aussi au tribunal. Le déplacement en prison est étranger à leur pratique professionnelle. Leurs objections d'organisation et de principe sont les mêmes que pour les magistrats.
La proposition est un peu provocatrice pour la culture professionnelle des magistrats, mais quelles conséquences la RGPP a-t-elle eues sur les avocats. ? Et comment voyez-vous la suite de cette RGPP dans le monde judiciaire ?
Un gros chantier est actuellement engagé dans les services judiciaires. Il vise à décomposer et rationaliser les processus de gestion des affaires civiles, sociales, pénales, commerciales, etc., pour les rendre plus efficaces et parvenir à des économies. Soutenu par la Direction générale de la modernisation de l'Etat, il n'est pas spécifique au ministère de la justice. Engagé en 2010 dans les cours d'appel de Poitier, Rouen et Montpellier, il sera étendu en 2011 et 2012 à une quinzaine d'autres cours d'appel et à une trentaine de TGI. Ces processus visent à expertiser la façon dont le travail se fait dans les juridictions et, dans les trois cours d'appel expérimentales, il a permis d'économiser 20% du temps de travail. Ce chantier d'envergure qui permet d'améliorer la rapidité des services, suppose la remise en cause des pratiques professionnelles, notamment dans le sens d'un travail plus collectif entre les magistrats et les greffes comme entre les différentes chambres. Au final, cela peut bénéficier au justiciable du fait que cela permet de traiter plus rapidement les dossiers et d'économiser des emplois lesquels peuvent être mieux utilisés ailleurs. Au départ, les magistrats des cours d'appel et des TGI étaient un peu réservés, considérant qu'il s'agissait là d'une application technocratique de méthodes pensées pour le privé par des cabinets de conseil. Avec le temps, leur avis devient plutôt positif et c'est pourquoi nous avons étendu l'expérimentation. Le bilan sera plus net à la fin de 2012.
La réforme de la carte judiciaire est terminée.
Il faudra maintenant mesurer les apports de Cassiopée et autres dispositifs informatiques. Le portail grand public, encore soumis à des arbitrages budgétaires, pourrait avoir des effets très importants pour le grand public.