Commission des affaires européennes

Réunion du 17 janvier 2024 à 13h40

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Mes chers collègues, Monsieur l'Ambassadeur, je vous présente tout d'abord mes meilleurs voeux pour cette année qui s'ouvre. C'est une grande année pour la Belgique et aussi celle des élections européennes. 2024 sera donc particulièrement décisive pour l'Union européenne et pour notre commission qui en suit les développements, en informe le Sénat et lui permet de faire entendre sa voix à Bruxelles. Souhaitons que les débats qui vont s'ouvrir à l'occasion du prochain scrutin permettent à nos concitoyens comme à nos collègues parlementaires de mieux s'approprier les enjeux européens, pour que la réponse européenne aux nombreux défis du moment soit vraiment la leur.

Il est heureux que, durant ce semestre menant aux élections européennes, la présidence du Conseil de l'Union européenne revienne à la Belgique, ce pays fondateur - parmi d'autres comme vous le soulignez - et profondément attaché à la construction européenne, qui a tant apporté au projet européen. Je remercie Son Excellence Monsieur Jo Indekeu, Ambassadeur de Belgique à Paris, d'avoir accepté de venir aujourd'hui présenter à notre commission les priorités de cette présidence. Je le disais avant-hier à Namur où je participais à la COSAC des présidents, dont je souligne au passage l'organisation absolument remarquable - cela a réellement été un coup de maître : bien que votre présidence soit contrainte par les prochaines élections européennes mais aussi par votre calendrier électoral national, je sais que nous pouvons compter sur le professionnalisme et l'esprit de compromis précieux des Belges pour que ce semestre ne soit pas perdu. Vous saurez faire avancer les nombreux dossiers en instance, achever autant que possible l'actuel programme législatif, et préparer les défis futurs. Je pense notamment à l'élaboration du programme stratégique de l'UE pour les cinq ans à venir, à la préparation de l'Union aux futurs élargissements envisagés ou encore à la révision du cadre financier pluriannuel et des politiques communes.

Les rapporteurs de la commission vous interrogeront sans doute à ce propos. Pour ma part, avant de vous céder la parole, je veux faire part de ma préoccupation au regard de la défiance envers l'Europe que nous voyons grandir dans de nombreux pays, y compris le nôtre : il me paraît essentiel de rapprocher l'Union européenne des citoyens. Je pense en particulier à la nécessité de renforcer les règles d'éthique et de transparence au niveau européen à la suite de l'affaire dite du « Qatargate ». À cet égard, nous regrettons le manque d'ambition de la Commission européenne dans ce domaine si important pour la confiance des citoyens dans les institutions européennes. Est-ce que cette question sera une priorité pour la présidence belge, Monsieur l'Ambassadeur ?

Debut de section - Permalien
Son Excellence M. Jo Indekeu, ambassadeur de Belgique en France et à Monaco

Je me félicite d'être parmi vous et suis honoré de pouvoir vous présenter le programme de la Présidence belge du Conseil de l'Union européenne. C'est la première fois que je participe à une audition dans une assemblée parlementaire et je fais observer que les diplomates ne sont que très rarement conviés au Parlement belge. Votre démarche témoigne donc de d'intérêt du pouvoir législatif à l'égard de cette étape importante pour l'Union européenne.

Je rappelle tout d'abord que c'est la treizième fois que la Belgique va occuper la présidence de l'Union européenne - j'espère que ce chiffre ne portera pas malheur ... - et nous sommes appelés à exercer cette fonction à un moment critique au plan international avec l'invasion russe en Ukraine, la situation à Gaza, le changement climatique et la montée de la désinformation. Il ne faut donc pas exclure que l'actualité européenne puisse à nouveau être fortement influencée par des événements imprévus.

En deuxième lieu, la présidence belge interviendra en fin de législature européenne. Les élections européennes auront lieu le 9 juin en France comme dans l'ensemble de l'Union européenne mais je signale qu'en Belgique, les élections nationales et régionales se tiendront à la même date, suivies, en octobre 2024, des élections municipales : on peut dire, si vous permettez, que c'est, pour les électeurs belges « la totale » et cela suscite des débats très intéressants dans notre politique intérieure.

Au niveau européen, nous prenons le relai de la présidence espagnole et nous nous félicitons que celle-ci ait permis de faire avancer de nombreux dossiers. Avant de détailler nos grands objectifs, je rebondis sur votre interrogation portant sur la connexion entre l'Europe et ses citoyens : nous pensons l'améliorer en offrant une meilleure protection aux citoyens européens et en renforçant la coopération non seulement intra-européenne mais également avec nos partenaires extérieurs. Nous entendons également préparer notre avenir commun en posant les jalons des débats futurs et en préparant le cycle législatif 2024-2029. Parallèlement, nous souhaitons affirmer notre soutien indéfectible à l'Ukraine, ce qui doit se traduire par le franchissement de plusieurs étapes importantes qui devront faire l'objet de décisions dans les mois à venir.

Notre stratégie va s'articuler autour des six thématiques suivantes : défendre l'État de droit, la démocratie et l'unité dans l'Union européenne ; renforcer notre compétitivité ; poursuivre une transition écologique juste ; renforcer notre agenda social et sanitaire ; protéger les personnes ainsi que les frontières ; et enfin, promouvoir une Europe mondiale.

En ce qui concerne le premier axe, il est primordial de continuer à promouvoir et à défendre le respect des droits fondamentaux, l'État de droit ainsi que les valeurs démocratiques. Il est également important de continuer à investir dans l'autonomisation et l'inclusion des citoyens, tout particulièrement en faveur des jeunes, à travers une éducation de qualité et davantage axée sur la mobilité ainsi que sur le sport. S'y ajoutent la consolidation des garanties en matière de pluralisme des médias, de transformation numérique et de lien avec la culture dont nous avons besoin et qui s'exprime de façon très diversifiée en Europe.

En deuxième lieu, nous envisageons d'accorder une priorité à la compétitivité et à la politique industrielle en renforçant les garanties de concurrence équitable, non seulement pour les grandes entreprises mais aussi pour les PME. Nous veillerons à apporter un cadre réglementaire cohérent, stable et simplifié. Nous serons également attentifs à la création d'un écosystème numérique durable, innovant et résilient. Il faudra également consolider le marché intérieur - comme celui des marchés des capitaux et de l'énergie - ainsi que l'avenir industriel de l'Union européenne en réduisant la dépendance dans les secteurs critiques, avec une attention particulière portée à notre autonomie stratégique, au niveau des matières premières essentielles et de la production alimentaire. Simultanément, nous devons également accroitre notre effort de recherche et d'innovation, tout en favorisant l'équilibre du marché du travail et l'augmentation des taux d'emploi grâce à la formation continue. L'ensemble de ces actions devra s'inscrire dans la poursuite d'une transition écologique juste en accordant une place centrale à la transition énergétique accélérée et inclusive - en faveur des citoyens et des entreprises - et en garantissant également la sécurité de nos approvisionnements guidés par l'objectif de neutralité climatique. Pour ce faire, il faudra accroître nos investissements de nature à aménager un réseau énergétique intégré et adapté aux évolutions futures. Au niveau environnemental, il faudra également favoriser l'économie circulaire et la gestion durable de l'eau.

Afin de renforcer le volet social et sanitaire, la Belgique s'efforcera de doter l'Union européenne d'un programme social ambitieux pour favoriser une société européenne plus inclusive, plus égalitaire et plus juste. Il s'agit de renforcer le dialogue social, de promouvoir une mobilité équitable de la main-d'oeuvre, de défendre la santé mentale au travail et d'améliorer l'accès à une protection sociale durable. J'ajoute que les ministres belges plaident fortement, d'abord, pour une action européenne commune en faveur d'un logement décent et abordable pour tous, ensuite, pour le renforcement de la sécurité d'approvisionnement en médicaments - sur ce point, une première étape a été enclenchée hier - et enfin pour une meilleure gestion des médicaments à des coûts abordables ainsi qu'une stratégie d'accroissement des effectifs des secteurs de la santé et des soins où l'on constate aujourd'hui des pénuries de personnel dans un certain nombre de pays.

Au titre de la protection des individus et des frontières, la première priorité va au traitement du dossier législatif en suspens sur la migration et l'asile. Comme vous le savez, lors des derniers jours de décembre 2023, la présidence espagnole a pu réunir un accord sur ce point : il revient donc à la Belgique de finaliser le trilogue et d'assurer le suivi du projet de texte jusqu'à la décision du Parlement européen. Nous prévoyons également de renforcer la dimension extérieure de notre politique en matière d'asile et d'immigration sur la base d'un partenariat mutuellement bénéfique avec tous les pays dont sont issues les principales vagues d'immigration. Par ailleurs, il faudra lutter contre la criminalité organisée en améliorant la prévention et la répression non seulement du terrorisme ainsi que de l'extrémisme violent mais aussi des trafics de drogue ou d'êtres humains. La discussion sur l'avenir de la sécurité et de la défense européenne devra également être poursuivie en mettant l'accent sur la consolidation de la base industrielle et technologique de notre industrie.

Enfin, il nous revient de promouvoir une « Europe mondiale » : face aux défis actuels, nous devons poursuivre les efforts pour renforcer notre résilience et notre autonomie, en défendant nos intérêts ainsi que nos valeurs. Il convient à ce titre d'utiliser et d'harmoniser tous les outils à notre disposition, au niveau sécuritaire, économique, dans le domaine du développement, de l'aide humanitaire et de la politique commerciale.

S'agissant du calendrier, selon le dernier décompte, 515 événements informels seront organisés par notre Présidence à tous les niveaux, ce chiffre n'incluant pas toutes les réunions liées au Conseil, dont les réunions des groupes de travail. À l'intérieur de ce total, notre Présidence tiendra près de 23 Conseils. Comme vous le savez, la Belgique est un pays fédéral, donc certaines réunions du Conseil de l'UE seront présidées, au nom de la Belgique, par des ministres régionaux. Pour leur part, les Conseils européens seront naturellement présidés par le président du Conseil européen, Charles Michel. En pratique, nous avons essayé de concentrer le plus possible les réunions prévues à Bruxelles dans les bâtiments situés autour du rond-point Schuman ou au Palais d'Egmont, qui s'apparente au Quai d'Orsay.

La présidence belge devrait connaître quelques moments forts, avec tout d'abord le Conseil européen du 1?? février prochain, suivi d'un Conseil européen ordinaire en mars puis de celui de juin où sera débattu l'agenda stratégique destiné à poser les jalons de la direction future de l'Union européenne : il s'agit en particulier de définir les priorités de la prochaine mandature 2024-2029. Je rappelle que les élections européennes seront suivies du renouvellement de la Commission européenne, de la désignation du nouveau bureau du Parlement européen ainsi que de l'élection du nouveau président du Conseil européen dont le mandat vient également à échéance en 2024. Les élections européennes seront un test significatif pour mesurer l'attachement de la population aux valeurs de l'UE et il est important pour tous les gouvernements des États membres de s'assurer non seulement que la construction européenne se poursuit mais aussi que l'UE est efficace pour gérer les événements de politique étrangère ainsi que le quotidien des personnes en respectant, bien entendu, le principe fondamental de la subsidiarité. Je signale enfin que nous avons mis en place un site internet dédié à la présidence belge (belgium24.eu) et je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Merci Monsieur l'Ambassadeur pour votre propos introductif et la projection de cette photographie historique du premier Conseil européen qui s'est réuni le 25 janvier 1958.

Vous avez évoqué un sujet important pour la subsidiarité en indiquant que la présidence belge souhaitait prendre des initiatives en matière de logement, ce qui constitue une innovation. Au-delà du plaidoyer de principe, comment comptez-vous décliner une telle politique européenne du logement ?

Debut de section - Permalien
Jo Indekeu

Nous partons d'un double constat : celui de la pénurie de logements qui sévit dans certains pays de l'Union et du besoin de transition écologique de ces logements, en particulier pour le bâti ancien. En Belgique, nous avons introduit des dispositifs obligatoires de mise aux normes écologiques des logements pour isoler les fenêtres, les toits et parfois les façades. Nous formulons des suggestions sur la base des méthodes de travail que nous avons mises en place dans le respect du principe de subsidiarité puisqu'en Belgique les dispositifs de rénovation des logements ainsi que les aides associées relèvent de la compétence régionale. Il nous semble important de réguler la construction de nouveaux bureaux ou logements et de veiller, en matière d'aménagement du territoire, à éviter par exemple de construire en zone inondable et à favoriser les transports publics permettant d'accéder aux territoires très urbanisés.

Debut de section - PermalienPhoto de Marta de Cidrac

Merci Monsieur l'Ambassadeur de nous avoir exposé votre impressionnant programme pour les six mois à venir et qui se décline en six items. Je préside la maison de l'Europe dans les Yvelines et je souhaite vous interroger plus précisément sur la défense de l'État de droit que vous avez évoquée. Qu'entendez-vous par ce terme : s'agit-il de défendre l'État de droit au sein de l'Union Européenne ou cela concerne-t-il plus largement d'autres pays et, en particulier, les candidats futurs à l'adhésion comme ceux des Balkans occidentaux sur lesquels notre commission travaille.

Ma deuxième question porte sur le volet inclusion et « autonomisation » - selon la formule que vous avez employée - des citoyens ; notre maison de l'Europe des Yvelines a également intégré ce sujet dans son cahier des charges : envisagez-vous de travailler avec ce réseau des maisons de l'Europe présentes un peu partout dans les États membres et tout particulièrement en France ?

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Marie

À mon tour de vous remercier, Monsieur l'Ambassadeur pour vos propos introductifs. Parmi les priorités que vous avez mises en avant, je souhaiterais plus particulièrement vous interroger sur deux sujets. Le premier concerne votre action en faveur du climat et le projet de pacte vert. Une trentaine de textes ont déjà été adoptés mais certains ont malheureusement vu leur portée réduite : tel est le cas pour celui qui porte sur les produits chimiques dangereux - qui a été abandonné - et celui qui concerne les systèmes alimentaires durables. J'ajoute que vous allez devoir porter deux textes particulièrement importants, l'un sur la qualité de l'air et l'autre sur les emballages. Envisagez-vous de réactiver les discussions sur les textes qui ont été mis de côté ? Quelles sont, d'autre part, vos ambitions pour les deux textes qui restent en suspens et devraient être adoptés d'ici le mois d'avril ? Dans le même esprit, la Commission a lancé des travaux pour définir une nouvelle cible de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre à l'horizon 2040, qui constitue une étape intermédiaire avant de parvenir à la neutralité climatique en 2050. Pouvez-vous nous indiquer si la présidence belge a d'ores et déjà une idée du niveau de réduction des gaz à effet de serre qu'elle souhaiterait voir adopter ?

Ma deuxième interrogation concerne votre volonté de réactiver l'Europe sociale. Vous avez prévu le 31 janvier prochain de réunir un sommet social avec les partenaires sociaux à Val Duchesse. Parmi les textes sociaux attendus, celui sur la directive des travailleurs des plateformes numériques - dont les effectifs sont évalués à 28 millions d'Européens au total - qui pourrait bénéficier directement à 5,5 millions d'entre eux. Or ce texte a fait l'objet d'un blocage, notamment de la France, qui limite la portée de la présomption légale de salariat et risque de continuer à priver les « faux indépendants » de protection sociale adéquate. Quelle est la position de la présidence belge à ce sujet et quels moyens pourriez-vous utiliser pour relancer les discussions et aboutir à un texte ambitieux ?

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Kern

Je vous remercie pour votre présentation de la stratégie très ambitieuse de la présidence belge. Ma première question porte sur la sécurité. Nous savons que l'Europe est sujette au retour du terrorisme, compte tenu de ce qui se passe notamment au Proche-Orient : quel est votre point de vue à ce sujet et pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce volet de votre programme ? Ma seconde interrogation concerne votre très intéressante proposition de promouvoir une Europe mondiale face aux États-Unis et aux autres puissances : quelle est votre vision dans ce domaine et ne pensez-vous pas qu'il faut aussi, si on veut une Europe mondiale, disposer d'une armée européenne ?

Debut de section - Permalien
Jo Indekeu

Merci pour vos questions très intéressantes et parfois très techniques. Tout d'abord, j'aurais dû commencer par souligner qu'exercer la présidence du Conseil de l'Union européenne ne confère pas un droit d'initiative dans tous les domaines. On peut faire avancer certains sujets mais, dans les circonstances actuelles, la priorité est plutôt d'essayer de faire en sorte d'aboutir à des accords au niveau européen, ce qui demande beaucoup de travail ; l'exercice de notre présidence nous invite non pas à oublier nos intérêts, mais à les mettre au service de tous afin de pouvoir dégager des solutions consensuelles. Je fais observer que, compte tenu du calendrier électoral, nous ne disposerons pas, en pratique, de la durée habituelle de six mois dont bénéficie normalement la présidence mais plutôt de trois ou quatre mois pour faire avancer les trilogues pendant lesquels la présidence, la Commission et le Conseil discutent avec le Parlement européen, ce qui permet, ou pas, de parvenir à des accords. Il a été pour nous particulièrement instructif et fructueux que la présidence espagnole nous associe aux négociations en tant que présidence entrante. Ainsi, bien loin d'avoir découvert les dossiers européens en cours au 1er janvier, nous avons suivi le déroulement des négociations et connaissons les points de vue des uns et des autres. Notre ambition est de pouvoir faire avancer le plus grand nombre des initiatives législatives en cours : tel est en particulier le cas des textes que vous avez évoqués. Pour aboutir à un vote positif du Parlement, nous négocions dans différentes enceintes et à des niveaux très divers. Il en va ainsi du travail que nous accomplissons sur le projet de directive sur les travailleurs des plateformes sur lequel vous m'avez interrogé : le Comité des représentants permanents (Coreper) prévu le 24 janvier prochain devrait permettre d'aboutir à un accord qui servira de base au trilogue qui débutera le 30 janvier afin de garantir une adoption de ce texte avant la fin de cette mandature. Nous sommes en discussion avec les instances françaises compétentes afin de trouver une solution aux divergences qui subsistent et des pistes sont testées en ce moment pour y parvenir. Le remaniement ministériel en France a constitué une difficulté supplémentaire : le secteur a changé de titulaire et il faut reconstruire les contacts qui avaient été noués ainsi que la relation de confiance qui s'était établie ; nous nous attelons à la tâche pour parvenir à un accord.

En ce qui concerne votre question sur l'État de droit, j'indique que cette notion renvoie tout d'abord à un processus institué depuis longtemps et qui est aujourd'hui appliqué, par exemple à la Hongrie et à la Pologne : des décisions ont été prises, des propositions ont été formulées et nous continuons à suivre ce dossier en apportant notre concours aux négociations. Il demeure important d'affirmer que nos valeurs démocratiques et de conformité à l'État de droit restent intactes. En ce qui concerne les candidats à l'adhésion, comme la Moldavie et l'Ukraine et, à plus long terme, la Bosnie-Herzégovine - qui soulève encore certaines interrogations du point de vue de l'État de droit -, nous allons rédiger un rapport afin de déterminer si les critères de conformité à l'État de droit nous permettent de démarrer les négociations sur la candidature à l'adhésion à l'Union européenne. Ces négociations durent toujours un certain temps et passent par plusieurs étapes ; dans ce cadre, le respect des critères de Copenhague - à la fois économiques et politiques - doit être examiné dès à présent.

Pour préciser la signification concrète que nous donnons à l'autonomisation des citoyens européens, je ferai le lien avec les négociations sociales qui auront lieu à Val Duchesse et avec les développements que je vous ai présentés sur le premier axe de notre programme visant à mieux protéger les citoyens. Face au sentiment d'éloignement de l'Europe par rapport aux citoyens - celle-ci étant perçue comme imposant un grand nombre de réglementations -, nous voulons promouvoir un discours et une action permettant de réconcilier le citoyen avec l'Europe en garantissant ses droits sociaux ainsi que dans le domaine de l'emploi et du logement. Il s'agit d'assurer un traitement équitable des personnes au niveau européen ; il s'agit en particulier de réduire les distorsions sur le marché du travail que l'on a connues. Nous voulons à la fois maintenir le principe de la mobilité des travailleurs et leur donner des garanties permettant d'éviter des phénomènes de concurrence déloyale sur le marché du travail en instituant des seuils de protection sociale ainsi que de revenus applicables à tous ceux qui travaillent dans l'Union européenne.

La sécurité et le terrorisme reviennent au-devant de la scène en raison des tensions internationales actuelles mais ce sujet est toujours resté un point d'attention majeur pour les présidences qui nous ont précédés. Dans ce domaine, la présidence belge travaille, notamment sur proposition de la Commission, à faire progresser les mécanismes de partage d'informations et de travail commun entre les différents services concernés. La très bonne collaboration entre les services de police, de renseignement ainsi que les parquets belges et français peut être citée comme un exemple de bonnes pratiques. Celles-ci se sont développées sur la base d'instruments bilatéraux mais il nous manque un cadre européen pour les généraliser. Les dispositifs existants comme Europol et Eurojust méritent également d'être renforcés pour fluidifier et sécuriser le partage d'informations. L'ambition de la Belgique est aussi de convaincre le plus de pays possible à participer à cet échange de données en leur apportant des garanties de sécurité et de protection de la vie privée, conformément au Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD).

S'agissant des États-Unis et des grandes puissances que vous avez évoquées à travers votre question sur l'Europe mondiale, je rappelle qu'un certain nombre d'élections interviendront en 2024 et que les événements internationaux récents nous ont confirmé que l'on n'est jamais aussi bien servi que par soi-même dans de nombreux domaines. La construction - qui se déroulera en plusieurs étapes - d'une armée européenne est à ce titre important. La crise en Ukraine a mis en évidence le besoin de réarmement au niveau européen, ce qui nécessite la création de capacités de production d'armements permettant de dépendre le moins possible de pays tiers. Plusieurs initiatives européennes ont été lancées et certaines se mettent en place ; il faut faire observer que, dans ce domaine, beaucoup d'États membres jouent la carte de la souveraineté. Les événements extérieurs vont sans doute nous inciter à avancer dans le sens d'actions communes et il faut souligner que les instruments européens déjà prévus permettent de faire beaucoup : je citerai à cet égard la facilité européenne pour la paix (FEP) ainsi que les différentes sortes de missions civiles et humanitaires ciblées dans certaines zones géographiques et gérées ou coordonnées au niveau européen. Ces outils peuvent contribuer à renforcer la vigueur de nos actions au niveau européen.

Enfin, à mon grand regret, je ne dispose pas des éléments précis permettant de répondre à vos questions très spécifiques sur la réactualisation des niveaux souhaitables d'émissions de gaz à effet de serre ; nous pourrons peut-être vous les fournir par la suite.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Monsieur l'Ambassadeur, votre programme prévoit à juste titre de permettre à l'Europe de retrouver son autonomie stratégique, notamment par le biais du développement d'un écosystème durable et efficace pour le numérique. Les deux règlements existants que sont le DMA (Digital Markets Act) et le DSA (Digital Services Act) doivent être complétés par l'IA (Intelligence Artificielle) Act qui est en cours de discussion. Pouvez-vous nous dire où nous en sommes dans le calendrier de finalisation de ce texte très important et extrêmement débattu, en France ainsi que chez nos voisins, pour trouver - nous l'espérons - un juste équilibre entre innovation et transparence ?

S'agissant de la consolidation de l'écosystème numérique, pouvez-vous nous dire comment la Belgique entend fortement encourager la mise en place d'une vraie politique industrielle - qui, à mon avis, reste encore assez déficiente - en l'assortissant d'une redéfinition des conditions générales de concurrence afin de les rendre plus loyales et plus facilitatrices pour nos entreprises européennes, ce qui n'est toujours pas le cas. Le débat sur le Data Act va d'ailleurs soulever la question des avantages acquis - qui me paraissent excessifs - par les grandes plateformes américaines. Dans ces conditions, pour réduire notre dépendance, il faut avant tout soutenir de manière préférentielle le développement d'un écosystème européen. Quelles mesures pourraient-elles être envisagées ou adoptées à ce titre dans d'éventuels textes comme un Small Business Act ou un Bio-European Act ? Il me semble important d'approfondir la réflexion dans ce domaine car réguler l'écosystème numérique, c'est aussi garantir le pluralisme, en particulier dans les médias, ce qui est un facteur important de préservation de la démocratie. Je souhaite également vous interroger sur le calendrier de finalisation du projet de règlement « Media Freedom Act ». Nous avons étés extrêmement attentifs, avec mes collègues, aux enjeux de subsidiarité qu'emporte ce texte : pouvez-vous nous donner votre point de vue à cet égard ?

Je trouve réellement très astucieux le logo « be EU » choisi par la présidence belge mais je ne peux m'empêcher, en cette année où nous allons fêter en France les quarante ans de la loi Toubon, de me demander pourquoi on n'y fait pas apparaître les deux autres langues officielles de l'Europe que sont l'allemand et le français, d'autant que la Belgique est un pays francophone. Je formule cette remarque en rappelant que le pluralisme des médias et la diversité culturelle passent aussi par le respect de la diversité linguistique et notamment l'usage des langues officielles de l'Europe. Le Royaume-Uni ayant quitté l'Union européenne, restent Malte et l'Irlande qui parlent anglais. La diversité culturelle, c'est la diversité linguistique et nous devons promouvoir cette dernière.

Debut de section - PermalienPhoto de Mathilde OLLIVIER

Ma première question porte sur la réforme de l'Union européenne. Un sommet sur l'élargissement est prévu le 19 avril prochain pour célébrer le vingtième anniversaire de l'élargissement de 2004 et ce sera aussi l'occasion d'avancer sur la réforme de l'UE. Il a été souligné que les débats ne porteront pas sur le vote à l'unanimité ou sur l'extension de l'utilisation du vote à la majorité qualifiée, ni sur la composition future du collège des commissaires. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions sur les mesures plus consensuelles que la présidence belge souhaite voire inscrites à l'ordre du jour de ce sommet sur l'élargissement ?

S'agissant du Green Deal, la Belgique devrait être en mesure de porter les priorités du pacte vert lors de l'élaboration du programme stratégique quinquennal du Conseil européen. Quelles propositions la présidence belge entend-t-elle mettre en avant dans ce cadre ?

Debut de section - PermalienPhoto de Amel Gacquerre

Parmi les grands chantiers, je souhaite également évoquer celui de l'élargissement de l'Union européenne à de nouveaux États membres. On constate aujourd'hui deux positions distinctes au sein du Conseil européen : certains États membres souhaitent qu'une réforme profonde des institutions de l'Union européenne intervienne préalablement à l'ouverture de négociations avec de nouveaux entrants, tandis que d'autres États membres sont favorables à mener ces deux tâches en même temps, en donnant la priorité aux négociations avec l'Ukraine et la Moldavie. Pouvez-vous rappeler la position de la Belgique dans ce domaine et surtout quelle est votre ambition, sachant que la prochaine présidence du Conseil de l'Union européenne sera exercée par la Hongrie dont on connaît les positions ?

Par ailleurs, je partage pleinement vos ambitions en matière de logement et, plus largement, d'aménagement du territoire car nous avons des enjeux communs de pénurie de logement, de massification de la rénovation énergétique et de réduction de l'artificialisation des sols pour lutter contre le dérèglement climatique. Je serai donc particulièrement attentive à votre action dans ce domaine et je suis très en attente de savoir sous quel angle vous allez aborder ces sujets sur lesquels le Parlement français s'investit pleinement.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Cuypers

Ma question porte sur un sujet d'actualité : les attaques terroristes de navires en mer Rouge par les Houthis. Elles ont pour effet de fragiliser les approvisionnements de l'Europe comme l'illustre, par exemple, la fermeture temporaire des usines Tesla en Allemagne et Volvo en Belgique. Quelles mesures ou solutions pensez-vous que l'Europe puisse proposer pour remédier à ces inconvénients ?

Debut de section - PermalienPhoto de Louis-Jean de Nicolay

Tout d'abord, je me félicite que, dans votre présentation, vous ayez souligné l'importance de la culture dans les préoccupations de l'Europe car ce domaine était jusqu'à présent plutôt réservé aux États membres : j'espère qu'il y aura une véritable impulsion pour que l'UE se saisisse de la culture européenne, en incluant sa dimension patrimoniale.

Je me limiterai ensuite à deux questions. La première concerne le rapprochement avec le Royaume-Uni post-Brexit pour inclure ce pays dans le programme Erasmus : la Belgique a-t-elle l'intention de travailler sur ce point qui constitue un enjeu important pour nos jeunes, même si la diffusion du français doit bien entendu rester une préoccupation majeure ? En second lieu, l'Europe va-t-elle, vis-à-vis de Taïwan et des élections qui viennent d'avoir lieu, exprimer une position pour s'affirmer face à la Chine, comme l'ont fait les Américains qui ont envoyé deux diplomates dès le lendemain de l'élection ? Je sais que les Allemands sont un peu hésitants à ce sujet et je souhaite vous interroger sur les réflexions en cours au niveau européen.

Debut de section - Permalien
Jo Indekeu

En ce qui concerne l'élargissement, la décision d'ouvrir les négociations d'adhésion avec l'Ukraine et la Moldavie a été prise par l'UE en décembre dernier. Sur cette base, la Belgique s'inscrit dans les principes et la méthodologie qui régissent traditionnellement ce processus incluant, en particulier, le respect des critères de Copenhague ainsi qu'un traitement successif de chacun des chapitres, comme cela a été fait par le passé. Une attention particulière sera bien entendu accordée à certains sujets qui prêtent aujourd'hui à confusion ou inquiétude et aux considérations géopolitiques qui pourraient également influencer les débats au Conseil européen.

De façon plus générale, pour préparer le débat prévu à la fin de sa présidence du Conseil, la Belgique devra élaborer des idées afin de dessiner le trajet stratégique de l'Europe pour les années à venir. Il portera non seulement sur le positionnement de l'Europe en matière de sécurité et de défense, mais également sur l'organisation interne de l'UE à 27 États membres. Il faudra par exemple se demander quelles sont les ambitions européennes pour aller plus loin dans l'intégration ou s'il convient de réaffirmer la subsidiarité dans certaines matières : telles sont les questions difficiles auxquelles le Conseil européen de juin pourrait apporter des propositions de réponses.

En second lieu, l'éventuel élargissement de l'UE amène à se demander quels choix d'organisation pourraient être retenus au niveau de la gestion du Conseil européen, des conseil techniques, de la Commission et du Parlement européen. S'agissant de ce dernier, il faudra intégrer de nouveaux parlementaires et décider si on maintient les effectifs ou si on les diminue. Là aussi, j'espère que nous pourrons, au terme de négociations avec les parties prenantes, soumettre une proposition qui pourrait être adoptée lors du Conseil de juin.

Vous avez ensuite mentionné la présidence suivante et je fais observer que celle-ci rencontrera des défis un peu similaires aux nôtres avec une législature un peu particulière. En effet, le Parlement européen se réunira le 15 juillet 2024 pour la première fois et procèdera ensuite à la mise en place de son bureau qui sera suivie de la constitution des commissions parlementaires. Il est possible que la présidence hongroise ne puisse pleinement démarrer ses activités qu'à partir du 15 septembre ou du 1er octobre prochains. Sur le fond, nous connaissons bien les positions prise par la Hongrie sur certains dossiers particuliers mais, sur d'autres sujets, les Hongrois sont tout aussi européens que nous et partagent nos intérêts communs. En tout état de cause, nous nous efforçons de préparer au mieux la législature suivante, avec des trames d'idées et des stratégies qui dessineront les contours des débats à venir.

Par ailleurs, la politique industrielle est un objectif majeur pour le Premier ministre belge. Les événements liés au Covid et à l'Ukraine ont démontré la nécessité de garantir l'autonomie stratégique de l'Europe dans plusieurs domaines et, en particulier, de stimuler sa fibre industrielle tout en respectant le Green Deal. Il est essentiel de placer l'UE dans une situation aussi favorable que celle dont bénéficient ses partenaires ou concurrents extra-européens en trouvant un juste équilibre entre le développement industriel, la recherche et le respect des transitions écologiques. La présidence doit également veiller à ce que la course aux subsides ainsi que les avantages accordés à certains secteurs économiques ne perturbent pas le fonctionnement du marché unique. Il nous faut un « level playing field » (« règles du jeu équitables » garantissant une concurrence loyale et l'égalité des chances dans la compétition) tant vis-à-vis des partenaires de l'UE qu'à l'intérieur de celle-ci.

Simultanément, les ambitions du pacte vert restent inchangées : un certain nombre de mesures ont d'ores et déjà été adoptées et nous continuons à travailler sur des initiatives comme la révision des normes d'émissions des poids lourds ainsi que la directive sur l'emballage. Ces deux projets ont été retenus comme prioritaires parmi les multiples dispositions qui restent à adopter avant la fin de cette mandature et le renouvellement du Parlement européen - encore faudra-t-il être attentifs au déroulement des trilogues.

En ce qui concerne les attaques de navires en mer Rouge, la situation est effectivement inquiétante et pourrait sérieusement perturber l'économie européenne. Nous avons pris l'initiative d'organiser des discussions qui se déroulent en ce moment même à Bruxelles pour déterminer la manière dont nous pouvons nous mobiliser pour gérer cette menace à la circulation des biens vers l'Europe.

S'agissant d'Erasmus, des discussions sont également en cours avec la Grande-Bretagne. Ce n'est pas toujours une chose facile car celle-ci s'est retirée de l'UE mais elle reste intéressée par plusieurs aspects de notre coopération : il en va ainsi du programme-cadre de recherche et d'innovation « Horizon Europe », pour lequel la participation du Royaume-Uni a fait l'objet d'un accord politique de principe. Le dialogue porte également sur les solutions à apporter à la question de l'Irlande du Nord. J'ajoute que les prochaines élections en Grande-Bretagne risquent de rendre les discussions un peu plus compliquées au regard des promesses formulées par les gouvernements britanniques précédents. En tous cas, la présidence belge et surtout la Commission européenne travaillent pour pouvoir parvenir à des résultats positifs avec nos amis britanniques ; il reste que les Britanniques doivent accepter les conséquences de leur décision de quitter l'Union européenne même si cela est compatible avec des possibilités d'ouverture et d'accès à certains programmes européens, sous réserve de négociations.

En ce qui concerne l'intelligence artificielle, nous sommes satisfaits du compromis qui a été trouvé entre le Conseil et le Parlement, sachant que les trilogues n'ont pas toujours été très faciles et qu'il a fallu tenir compte des évolutions spectaculaires de l'IA. Nous visons à atteindre un équilibre entre innovation et régulation tout en préservant, au plan économique, les possibilités de développement d'applications et en protégeant la vie privée des citoyens. Nous entendons également éviter tout usage abusif de l'intelligence artificielle dans des domaines comme la désinformation, ce qui implique également une régulation ainsi qu'une supervision des médias sociaux et pour préserver la diversité dans le paysage médiatique.

Enfin, la culture est, pour nous, un sujet important au niveau européen. Je rappelle qu'en Belgique, la culture - y compris dans sa dimension patrimoniale - fait partie, comme l'éducation, des compétences régionalisées et nos ministres de la culture sont très attachés à agir dans ce domaine pour que les spécificités culturelles européennes puissent continuer à s'épanouir. Je peux également vous garantir que nous défendons énergiquement la place du français au sein de l'Union européenne ; mon propre exemple est d'ailleurs illustratif puisque je suis néerlandophone. Le logo que nous avons adopté en conseil ministériel belge s'inscrit dans un contexte où un certain nombre d'États membres ont choisi de designer leur pays en anglais mais nous sommes néanmoins très attachés, en Belgique, à préserver l'utilisation de nos trois langues nationales.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Merci beaucoup, Monsieur l'Ambassadeur.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 14 h 50.