Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 21 janvier 2009 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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  • militaire
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La réunion

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La commission a procédé à l'audition du général d'armée Jean-Louis Georgelin, chef d'état-major des armées, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2009-2014.

Le général d'armée Jean-Louis Georgelin, chef d'état-major des armées, a estimé que le projet de loi de programmation militaire 2009-2014 marquait le lancement d'une réforme délicate appelant de la part des armées beaucoup de constance et un travail considérable d'adaptation. Partant des acquis de la précédente loi, le projet prend en compte les orientations capacitaires découlant du Livre blanc, les réformes liées à la révision générale des politiques publiques et les retours d'expérience des engagements opérationnels récents. La future loi accompagnera une transformation de l'outil de défense au moment même où les armées sont engagées dans des missions difficiles marquées par le retour des opérations de guerre. En permanence, 13 000 soldats français sont engagés en missions extérieures, 35 000 participent aux missions de présence et de souveraineté et près de 2 000 sont engagés dans les missions quotidiennes de sûreté sur le territoire national. Il est essentiel de conserver à l'esprit que l'unique raison d'être du ministère de la défense demeure le maintien d'une armée opérationnelle.

Le général d'armée Jean-Louis Georgelin a souligné que le projet de loi de programmation militaire traduisait en termes physiques et financiers la volonté forte exprimée par le Président de la République en matière de défense. Il permettra à la France de rester parmi les puissances, peu nombreuses, capables d'assurer leur sécurité et d'appuyer leur diplomatie sur des capacités militaires crédibles, et il prolongera de façon très significative l'effort de recapitalisation de l'outil de défense entamé lors de la précédente loi de programmation.

Première étape de la mise en oeuvre de la nouvelle stratégie de sécurité nationale, la loi de programmation organisera la transformation des forces, sous-tendue par de nouveaux contrats opérationnels, tout en garantissant en permanence l'efficacité de l'outil militaire.

La priorité donnée à la fonction connaissance et anticipation se traduira, à terme, par un doublement des budgets alloués au domaine spatial. Au-delà de la poursuite des programmes en cours de réalisation, plusieurs opérations lourdes, dont les premiers effets sont attendus à partir de 2015, seront lancées, notamment le futur système d'observation spatiale Musis et le satellite d'écoute électromagnétique Ceres. Le renforcement des effectifs et la rationalisation de la chaîne de renseignement sont également programmés.

Le rôle dévolu à la fonction dissuasion est conforté. Maintenue à un niveau de stricte suffisance, la dissuasion demeure un fondement essentiel de la stratégie française. Au cours de la période 2009-2014, l'effort portera sur la modernisation des deux composantes, avec la mise en service d'un quatrième sous-marin lanceur d'engins de nouvelle génération et la livraison des missiles M51 et ASMPA. Cet effort portera également sur la préparation de l'avenir avec la poursuite du développement du programme de simulation.

Pour la fonction intervention, l'effort sera porté sur la modernisation de l'outil de combat aéro-terrestre, la modernisation progressive de l'outil de combat aérien, la projection et la mobilité, les appuis et la frappe dans la profondeur, ainsi que les structures de commandement et le renseignement. Il s'agira également de renforcer la protection des combattants et des zones de stationnement. Les études de définition des équipements à venir ont pris en compte les nouveaux besoins liés à la mobilité sur les théâtres, aux engagements dans les zones urbaines ou d'accès difficile et ceux liés à la maîtrise des effets à travers l'acquisition de munitions de précision.

Pour les deux autres fonctions stratégiques, il s'agira essentiellement de recentrer le dispositif de prévention et de développer les capacités de protection de la population et du territoire national.

Le général d'armée Jean-Louis Georgelin a estimé que, à la fin de la période de programmation, la capacité d'appréciation autonome des situations serait nettement renforcée, cinq brigades terrestres seraient entièrement numérisées et la proportion d'armes concourant à la frappe de précision serait doublée tout en étant diversifiée, grâce aux missiles de croisière équipant les frégates multi-missions puis les sous-marins d'attaque Barracuda, et à la mise en oeuvre de l'armement air-sol modulaire (AASM) sur le Rafale.

Il a ajouté qu'au cours de la période 2015-2020, l'accent serait porté sur la poursuite de la modernisation des forces terrestres, avec la livraison des blindés multirôles et de reconnaissance destinés à remplacer l'AMX 10RC et les véhicules de l'avant blindés (VAB), sur la modernisation des capacités des avions de combat, sur la poursuite du renouvellement de la flotte de surface, notamment pour les capacités amphibies et de projection maritime, et sur l'acquisition des premiers moyens dédiés à l'alerte avancée.

Le général d'armée Jean-Louis Georgelin a estimé qu'avec 185 milliards d'euros de crédits de paiement consacrés à la mission défense, hors charges de pensions, le projet de loi de programmation respectait un bon équilibre entre les effectifs, le fonctionnement, l'entraînement, les équipements et les munitions.

Il a précisé que les crédits consacrés à l'activité et au fonctionnement des armées, fixés à 11,2 milliards d'euros, seraient en diminution par rapport à la période précédente compte tenu de la réduction des effectifs et des gains attendus de la réforme en cours, mais qu'ils permettraient de maintenir les objectifs annuels d'activité en cohérence avec les standards d'entraînement de l'OTAN.

Les crédits de masse salariale, hors pensions, s'élèveront à 63 milliards d'euros, en cohérence avec la diminution attendue des effectifs. Ils permettront en particulier de poursuivre le plan d'amélioration de la condition du personnel.

Les crédits d'équipement atteindront 101 milliards d'euros sur la période, passant de 16,6 milliards d'euros en 2009 à 18 milliards d'euros en 2014, soit une augmentation de 9% au-delà de l'inflation théorique. Cette croissance se poursuivra chaque année pour atteindre 20,2 milliards d'euros en 2020.

Le général d'armée Jean-Louis Georgelin a précisé que la mobilisation de recettes exceptionnelles représenterait 3,7 milliards d'euros sur la durée prévue par la loi, près de 90% de ce montant devant être attribués au cours des trois premières années.

Il a souligné que l'ensemble des économies dégagées par la mise en oeuvre de la réforme serait entièrement réutilisé au profit de la défense, au travers des mesures d'amélioration de la condition du personnel et d'une majoration globale de 6 milliards d'euros des crédits d'équipement pour l'ensemble de la période.

Il a évoqué l'impact positif du plan de relance économique, avec notamment l'acquisition d'hélicoptères EC 725 Caracal et d'un troisième bâtiment de projection et de commandement, ainsi que la livraison plus rapide qu'initialement envisagée des véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI), des Rafale et des petits véhicules protégés (PVP). Il a précisé que ce plan constituait une avance sur les crédits des deux prochaines lois de programmation, à l'exception de 2 Caracal et de 15 véhicules blindés Aravis. Ces derniers relèvent d'acquisitions en urgence opérationnelle, tout comme certaines munitions destinées à l'artillerie, à l'hélicoptère Tigre et à l'aviation de combat. Par ailleurs, le plan de relance permet l'achat de pièces de rechange, en particulier pour les matériels aéronautiques.

Le général d'armée Jean-Louis Georgelin s'est félicité de l'effort important prévu au profit des équipements et du maintien en condition opérationnelle, en augmentation de 8% en moyenne sur 2009-2014 par rapport à 2008, et des mesures sociales d'accompagnement de la réorganisation des armées.

Il a considéré que le projet de loi permettrait de remplir les objectifs fixés à condition de réussir la « manoeuvre » des effectifs qui se déroulera au cours des sept prochaines années.

Il a ajouté que les contraintes financières conduisaient à devoir accepter des réductions temporaires de capacités dans des domaines tels que le transport aérien, le combat aéroterrestre, avec le nécessaire maintien en service d'une partie des VAB et la diminution de la capacité à tirer des missiles à longue portée à partir d'hélicoptères, la composante navale, qui sera durablement en deçà de l'objectif en termes de frégates, d'hélicoptères embarqués et de missiles anti-navires, et enfin le combat aérien, où la polyvalence des Mirage 2000D ne sera pas réalisée avant 2018/2019.

Dans ces conditions, l'intégralité de la cible finale des objectifs du Livre blanc ne pourra être atteinte qu'à l'horizon 2023-2025.

En conclusion, le général d'armée Jean-Louis Georgelin a fait part de certains sujets de préoccupation.

Il a constaté que le solde de gestion 2008 se traduisait par une encoche de 700 millions d'euros pénalisant l'entrée dans la nouvelle programmation.

Il a estimé que la réalisation de la loi de programmation reposerait en partie sur la capacité des industriels à maîtriser les coûts de production et de maintien en condition opérationnelle.

Il a souligné l'ampleur inégalée des mesures à mettre en oeuvre en matière de ressources humaines. Au cours des six prochaines années, le format des armées sera réduit de 17%, passant en 2014-2015 à 225 000 hommes et femmes, dont 192 600 militaires, soit l'équivalent des effectifs du Marine Corps américain. L'effort de déflation sera trois fois supérieur à celui de la période de professionnalisation. Sur la base d'un ratio de 75% de militaires pour 25% de civils, les effectifs diminueront de 4 000 officiers, 18 000 sous-officiers, 18 200 militaires du rang et 13 500 civils. L'effort portera essentiellement sur les soutiens qui devront représenter 75% de ces déflations.

Le général d'armée Jean-Louis Georgelin a indiqué que, pour ne pas tarir la source de recrutement des militaires, les mesures de reclassement dans la fonction publique devraient être mises en oeuvre dans des conditions optimales et les mesures d'accompagnement au départ devraient être attractives. Il faudra également que les engagements en matière de masse salariale soient effectivement respectés.

Le général d'armée Jean-Louis Georgelin a également mentionné, parmi les sources de préoccupation, la concrétisation effective des ressources planifiées, les recettes exceptionnelles, les incertitudes lourdes pesant sur certains programmes d'armement, en tout premier lieu l'avion A400M dont le retard risque de prolonger de façon inquiétante le déficit en capacité de transport aérien, et enfin les conditions de remboursement des sommes avancées dans le cadre du plan de relance économique, afin de ne pas fragiliser la cohérence capacitaire établie sur l'ensemble des deux lois de programmation. Il a observé que les facteurs de succès ne dépendaient pas uniquement du seul volontarisme du ministère de la défense mais exigeaient une véritable mobilisation entre les ministères et au sein de la fonction publique, ainsi que le soutien de la représentation nationale.

A l'issue de cet exposé, un débat s'est ouvert au sein de la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

a indiqué qu'au cours des déplacements réalisés sur les théâtres d'opérations, les membres de la commission avaient constaté le vieillissement de certains matériels, notamment les hélicoptères et avions de transport. Il s'est demandé ce qu'était, dans ces conditions, la capacité de la France à participer à d'éventuelles nouvelles opérations. Abordant le coût de ces opérations, il a relevé que la future LPM assurerait leur couverture à hauteur de 630 millions d'euros jusqu'en 2011, et que cette somme était inférieure au coût constaté en 2008. Il a souhaité savoir dans quelle mesure pouvait être escomptée une réduction du surcoût des opérations extérieures au cours des prochaines années. Il s'est enfin interrogé sur les conséquences, pour les capacités opérationnelles, de l'étalement envisagé de certains programmes, comme les hélicoptères, les frégates et les véhicules blindés, et a souhaité savoir si des solutions palliatives telles que des locations de matériel, des achats sur étagère ou des mutualisations entre pays européens étaient envisagées.

En réponse, le général d'armée Jean-Louis Georgelin a apporté les précisions suivantes :

- les effectifs militaires des trois armées, qui passeront de 245 000 hommes, aujourd'hui, à 192 000 à la fin de la prochaine LPM, permettent clairement à la France de réaliser dans de bonnes conditions les déploiements extérieurs qui s'élèvent actuellement à 13 000 hommes en moyenne ;

- ces personnels disposent d'équipements adaptés, même s'il existe certaines difficultés, particulièrement dans les capacités de transport stratégique, de transport inter-théâtres et de recueil du renseignement. Ces difficultés peuvent être compensées par les moyens fournis par d'autres pays au sein des coalitions multinationales auxquelles la France participe ;

- notre pays doit cependant s'interroger sur la pertinence du niveau actuel de ses effectifs dans certaines opérations, voire sur le maintien de ces opérations elles-mêmes. Des allègements semblent possibles en Côte d'Ivoire, au Kosovo et au Liban. La mission de l'Union européenne au Tchad va être relevée en avril prochain par les troupes de la MINURCAT, sous l'égide des Nations unies, et celle déployée en Bosnie pourrait s'achever rapidement ;

- le conseil de défense réuni en 2002 avait décidé que le surcoût des OPEX serait intégralement financé par des crédits supplémentaires qui leur seraient spécifiquement affectés, suivant l'exemple des Etats-Unis d'Amérique ou du Royaume-Uni ; cette décision n'a malheureusement pas été suivie d'effet, puisque ces surcoûts sont financés, au sein du ministère de la défense, par des apports de crédits au demeurant inférieurs aux besoins. Ces crédits sont ainsi comptabilisés comme effort de défense. En 2008, le surcoût des OPEX devrait s'élever à 833 millions d'euros, alors que 460 millions seulement ont été provisionnés à cet effet, auxquels s'ajoutent 60 millions au titre de la réserve interministérielle. En dépit de ces insuffisances, la situation actuelle est un progrès considérable par rapport à celle qui prévalait avant 2002, époque à laquelle le surcoût des OPEX était financé par les crédits d'équipements ;

- le taux de disponibilité des matériels déployés sur les théâtres extérieurs avoisine les 95 % pour les matériels terrestres, et est un peu inférieur pour les matériels aéronautiques. Certains dysfonctionnements sont apparus sur le théâtre tchadien ; il conviendra d'en rechercher les causes. En revanche, en Afghanistan, la disponibilité des matériels militaires français est la meilleure parmi toutes les nations déployées sur ce théâtre : cette disponibilité est à la mesure des risques encourus par les militaires présents dans cette région. De plus, 104 millions d'euros ont été dégagés en 2008 pour financer, en urgence opérationnelle, les programmes nécessaires à un renforcement de la protection de nos soldats. Ainsi la disponibilité globale des équipements sur les théâtres extérieurs est-elle satisfaisante, même si certains, comme les hélicoptères, y sont exposés à une usure rapide. Le plan de relance va permettre, de surcroît, l'achat de pièces de rechange supplémentaires à hauteur de 186 millions d'euros.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

a souligné que toutes les lois de programmation militaire qui se sont succédé ont été sous-exécutées, et que la LPM 2003-2008 n'échappait pas à cette constatation, comme semble l'indiquer un rapport de la Cour des comptes dont la commission n'a cependant pas été destinataire. Il s'est ensuite interrogé sur les conséquences, en termes de personnels et de financement, de la réintégration de la France dans l'OTAN, soulignant que cette organisation est caractérisée par une lourde technocratie, que notre pays devrait s'attacher à alléger. Evoquant ensuite le programme de simulation nucléaire, il s'est interrogé sur les raisons du décalage de sa réalisation. Il s'est enfin enquis des mesures prévues pour inciter les collectivités territoriales, comme la fonction publique d'Etat, à recruter certains des personnels civils et militaires qui devront quitter le ministère de la défense dans le cadre de la suppression des 54 000 emplois prévue par la RGPP (révision générale des politiques publiques).

En réponse, le général d'armée Jean-Louis Georgelin a précisé que :

- la LPM 2003-2008 est certainement celle dont l'exécution financière a été la plus satisfaisante ;

- la France n'a pas à réintégrer l'OTAN, puisqu'elle ne l'a jamais quittée : en 1966, le Général de Gaulle a décidé de retirer nos forces du dispositif militaire intégré mis en place pour faire face aux troupes du pacte de Varsovie, mais ce dispositif n'existe plus aujourd'hui où ne subsistent que des états-majors. Avec la fin de la guerre froide, l'OTAN s'est déjà fortement restructurée, avec la création d'un commandement spécifiquement dévolu à la « transformation » et la suppression de nombreux états-majors. Par ailleurs, la France compte parmi les premiers contributeurs tant financièrement qu'en participation aux interventions qui se sont succédé depuis la crise des Balkans. Un rapprochement s'est déjà opéré en 1995, avec la décision de la France de participer au comité militaire, puis avec l'insertion de personnels dans les états-majors. La situation actuelle est donc paradoxale, la France consacrant d'importants moyens aux opérations de l'OTAN, sans disposer de représentants dans les structures de commandement où s'opère la maturation des décisions. Une plus grande place dévolue à la France au sein de l'OTAN s'accompagne, ainsi que l'a exprimé le Président de la République lors de ses récents voeux aux armées, d'une réelle consolidation de la politique de défense européenne. Par ailleurs, la présence pleine et entière de notre pays au sein de l'OTAN lui permettra de contribuer à mieux réformer cette organisation.

Debut de section - PermalienPhoto de François Trucy

a souhaité savoir combien de régiments seraient supprimés dans l'armée de terre, du fait des futures réductions d'effectifs. Il s'est également interrogé sur le périmètre géographique des futures bases de défense.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

s'est interrogé sur les buts de guerre poursuivis par la coalition présente en Afghanistan, et les moyens les plus adéquats à mettre en oeuvre pour espérer remporter une victoire. Il a fait état de l'ardeur des populations animées par l'esprit du djihadisme, qu'on peut estimer à 1,2 milliard de personnes, et a exprimé le doute qu'une force d'une telle ampleur puisse être caractérisée comme « faible », par opposition à la force qui serait représentée par l'Occident. Il s'est étonné que le chef d'état-major des armées se déclare satisfait de l'état des matériels déployés en opération tout en admettant la réduction de certaines capacités comme la possibilité de délivrer des missiles à longue portée depuis les hélicoptères. Il a déploré que les capacités de frappe dans la profondeur soient réduites depuis l'abandon du lance-roquettes multiple, ainsi que l'insuffisance des blindés, ce qui constitue d'importantes défaillances dans les actions de guerre que nous avons à mener en Afghanistan, ces lacunes n'étant pas comblées par les indéniables qualités de matériels tels que le VAB ou le Caracal. Enfin, M. Jean-Pierre Chevènement a souhaité avoir confirmation que la réalisation du modèle d'armée esquissé dans la LPM 2009-2014 serait effective à l'horizon 2023-2025.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

a souligné l'importance et la difficulté présentées par la réduction d'effectifs de 54 000 personnes requise par la RGPP, et s'est interrogé sur sa faisabilité. Il a également évoqué la création des bases de défense, dont onze mises en place en 2009 à titre expérimental, déplorant la diversité des problèmes à régler pour leur bon fonctionnement, comme l'unification des systèmes de comptabilité. Il s'est également interrogé sur une prise en compte réaliste des coûts de MCO (maintien en condition opérationnelle) des matériels par la LPM 2009-2014, coûts qui ont été notablement sous-évalués par la LPM 2003-2008.

En réponse, le général d'armée Jean-Louis Georgelin a apporté les précisions suivantes :

- la réduction de 54 000 postes au sein du ministère de la défense impliquera de doubler le recrutement d'anciens militaires par chacune des trois fonctions publiques ; ces recrutements pourront se faire sous le régime de l'article 70-2, ou sous celui, nouveau, du détachement-intégration. Seules des solutions locales, appuyées par la délégation aux reconversions, seront pertinentes. L'ampleur d'une telle réduction d'effectifs requiert indéniablement une réflexion interministérielle ;

- la simulation constitue un volet important de l'effort de dissuasion, effort qui représente 20 % des crédits d'investissement de la défense, soit au total 10 % des crédits affectés à cette mission : dans le cadre de la doctrine de stricte suffisance, les crédits affectés à cette fonction stratégique sont d'une ampleur limitée. Les programmes de simulation en cours suivent le calendrier prévu ;

- le redéploiement de l'armée de terre se traduira globalement par la dissolution en métropole de 18 régiments, de 30 détachements et de 6 états-majors ; la création des bases de défense est une mesure complexe à mettre en oeuvre : elle consiste à mutualiser l'ensemble des soutiens des différents organismes de la défense stationnés sur une aire géographique donnée, d'un rayon moyen d'une trentaine de kilomètres. Cette mutualisation portera sur le règlement de soldes, la gestion des effectifs ; il s'agit d'un schéma simple mais qui ne doit pas méconnaître les spécificités de la condition militaire ; en effet, la menace majeure pesant aujourd'hui sur notre armée réside dans une banalisation du métier militaire, qui ferait obstacle à l'accomplissement des missions assignées à l'armée. Par exemple, les travaux de soutien à effectuer en opérations, qu'il s'agisse de soutien des hommes ou des matériels, ne peuvent être correctement effectués que par des militaires, et cette évidence ne doit pas être occultée. Onze bases de défense expérimentales sont mises en place à compter de janvier 2009 : cette expérience requerra une durée suffisante pour pouvoir en tirer toutes les conclusions opérationnelles ;

- la décision d'intervenir sur le théâtre afghan relève de la responsabilité des hautes autorités de l'Etat. Celle du chef d'état-major des armées consiste à assurer sa mise en oeuvre dans de bonnes conditions. Il faut souligner que les unités envoyées en juillet 2008 dans la zone estimée fort dangereuse de Kapisa viennent de rentrer en France sans aucun blessé majeur, et en ayant contribué à une notable amélioration de la sécurité locale, ce qui témoigne de la qualité de la préparation des troupes françaises. La situation sécuritaire en Afghanistan peut être qualifiée de tendue, avec l'utilisation d'engins explosifs improvisés et le recours aux attentats suicide ; les talibans ne constituent pas pour autant une armée cohérente capable de conduire de réelles opérations militaires, à l'image de celles qui ont caractérisé les combats en Indochine ou en Algérie. Les deux bataillons français présents en Afghanistan bénéficient de moyens de renseignements, nationaux ou provenant de la coalition. Ils peuvent s'appuyer sur les hélicoptères Gazelle et Caracal, qui ont un bon taux de disponibilité. Il est donc impossible de dire que les troupes françaises sont insuffisamment dotées d'appuis de précisions, puisqu'elles disposent de ceux de la coalition, ainsi que de leur matériel propre ;

- le modèle d'armée résultant du Livre blanc pourrait en effet être réalisé à l'horizon 2023-2025.

La commission a ensuite nommé rapporteurs :

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

sur le projet de loi n° 142 (2008-2009) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à la coopération transfrontalière en matière judiciaire, policière et douanière ;

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Milhau

sur le projet de loi n° 159 (2008-2009) autorisant la ratification du traité de Singapour sur le droit des marques ;

Debut de section - PermalienPhoto de Rachel Mazuir

sur le projet de loi n° 160 (2008-2009) autorisant la ratification du traité sur le droit des brevets ;

Debut de section - PermalienPhoto de Xavier Pintat

sur le projet de loi n° 1272 (AN - XIIIe législature) autorisant la ratification des protocoles au traité de l'Atlantique Nord sur l'accession de la République d'Albanie et de la République de Croatie.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Puis la commission a entendu une communication de M. Josselin de Rohan, président, et de Mme Catherine Tasca relative à leur déplacement en Turquie du 13 au 16 octobre 2008.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

a rappelé qu'à l'invitation de M. Murat Mercan, président de la commission des affaires étrangères de la Grande assemblée nationale turque, une délégation de la commission s'était rendue en Turquie.

Les relations entre la France et la Turquie s'étaient en effet profondément dégradées sous l'influence de plusieurs facteurs :

- la reconnaissance législative du génocide arménien ;

- la proposition de loi pénalisant la négation de ce génocide votée par l'Assemblée nationale ;

- l'infléchissement de la position française sur le processus d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne qui est revenue sur l'accord unanime de 2004 du Conseil européen et qui conteste la vocation européenne de ce pays ;

- et, enfin, le débat que le Sénat a eu avec l'Assemblée nationale sur la rédaction de l'article 88-5 de la Constitution sur les conditions de ratification des traités d'adhésion à venir.

Ces différents événements ont créé un climat délétère dans les relations franco-turques, que la commission avait rappelé lors du débat sur la révision constitutionnelle, s'agissant d'un pays ami et allié de la France. L'amendement présenté par l'Assemblée nationale avait alors été jugé inacceptable par le Sénat parce qu'il différenciait spécifiquement un pays candidat auquel il prétendait interdire la poursuite impartiale des négociations d'adhésion.

Les conséquences de cette situation ont été très importantes. En matière politique, la France, avec laquelle la Turquie entretient des relations historiques et affectives, est devenue, dans l'opinion publique turque et chez les élites, le « meilleur ennemi ». On estime à 5 milliards d'euros le montant des contrats qui ont échappé aux entreprises françaises systématiquement écartées des grands appels d'offres. Dans le domaine militaire, les relations ont été totalement gelées alors même que les troupes des deux pays sont engagées conjointement sur plusieurs théâtres d'opérations, au Liban, au Kosovo ou en Afghanistan. En outre, la Turquie considère avec réserve la volonté de la France de reprendre toute sa place au sein de l'OTAN.

Les positions que la commission des affaires étrangères du Sénat avait prises à ce moment-là et, d'une manière générale, la position modérée du Sénat, ont fait de notre assemblée un interlocuteur crédible et sincère vis-à-vis de nos homologues turcs.

Le premier objectif de la mission conduite avec Mme Catherine Tasca visait à conforter cette position et à contribuer, au niveau qui est le nôtre, à un certain apaisement des relations bilatérales.

Cet objectif a été atteint par la mission qui a pu lier des relations personnelles avec nos interlocuteurs turcs dans un climat de respect mutuel, qui a permis d'atténuer les oppositions et de mieux prendre en compte les préoccupations exprimées de part et d'autre.

Beaucoup de choses restent encore à faire mais la relation de confiance qui a été établie à cette occasion doit être entretenue et développée avec ce partenaire majeur de l'Europe et de la France.

a indiqué qu'il avait invité M. Murat Mercan au Sénat, conformément à sa demande de tenir des réunions régulières entre nos assemblées. Sous réserve de la confirmation de date, cette délégation de la commission des affaires étrangères de la Grande assemblée devrait se rendre en France au mois d'avril 2009.

Il a ensuite indiqué que cette visite en Turquie avait permis de rencontrer le Président de la République, M. Abduluh Gül, le ministre de la défense, M. Vecdi Gonül, le vice-président du groupe d'amitié Turquie-France, M. Sukru Elerdag, le président de la Grande assemblée nationale turque M. Koksal Tpotan, et bien évidemment, M. Murat Mercan. Il a tenu à préciser qu'au cours de cette dernière réunion les membres de l'opposition, en particulier des représentants de l'opposition kurde, étaient présents. Malheureusement, le projet de rencontre avec le Premier ministre, M. Erdogan, avait dû être annulé en raison d'une réunion de crise sur la gestion du terrorisme. Des réunions avaient également été organisées en matière économique et culturelle à Istanbul.

Le président a indiqué avoir prononcé une intervention à l'université Galatasaray, haut lieu de la francophonie turque, sur le thème « la France, l'Union européenne, l'OTAN et la gestion des crises internationales ». La délégation avait également organisé une réunion avec les représentants des milieux économiques turcs au travers de leur organisation patronale, équivalente du MEDEF, la TUSIAD.

Enfin, pour clôturer cette visite très dense, un dîner avait été organisé par M. Jak Kamhi, grand ami de la France, qui nous a permis d'approfondir les contacts, en particulier avec le ministre de la défense.

Tous ces entretiens se sont déroulés dans un climat de grande franchise et ont permis des échanges particulièrement directs permettant la manifestation de l'incompréhension turque face à la position française.

a ensuite décrit l'état des relations avec la Turquie, que ce soit dans un cadre bilatéral ou dans le cadre européen. Il a rappelé un certain nombre de faits essentiels :

- la Turquie est un partenaire politique majeur, et donc incontournable, pour la France et pour l'Europe, que ce soit à l'ONU, dans les différentes instances européennes (Conseil de l'Europe, OCDE etc.), dans les instances régionales comme celles qui concernent la mer Noire, ou bien encore évidemment à l'OTAN. Nos relations avec ce pays ne peuvent être négligées et ne devraient pas être affectées par des considérations de politique intérieure ;

- la Turquie est un partenaire économique majeur puisqu'il est le cinquième partenaire commercial de la France, avant même le Japon. Les échanges portent sur plus de 10 milliards d'euros. La position de nos entreprises, avec 290 implantations locales offrant près de 70 000 emplois, et le niveau de nos investissements directs dans ce pays (13 milliards de dollars en stock), nous placent dans une situation exceptionnelle ;

- la Turquie est un partenaire diplomatique que l'on ne peut ignorer. Sa proximité géographique avec l'Iran, l'Irak et la Syrie, ses relations particulières avec Israël, sa proximité structurelle avec les Etats-Unis d'Amérique, son influence dans le Caucase et dans les pays turcophones, son implication évidente dans les relations européennes, que ce soit avec la Grèce ou, bien évidemment, avec Chypre, en font un interlocuteur évident ;

- la Turquie est un interlocuteur militaire fondamental pour la politique extérieure française. Sa participation au sein de l'OTAN lors de la guerre froide a montré qu'elle disposait d'une force armée bien équipée, bien entraînée et efficace, et lui fait jouer naturellement un rôle stabilisateur dans l'ensemble des conflits actifs ou latents de la zone. Sa place de membre majeur de l'OTAN lui confère naturellement une fonction d'arbitre, ou tout au moins une position de pression précieuse, dans la question, fondamentale pour notre diplomatie, du rapprochement entre la PESD et l'OTAN ;

- enfin, les correspondances culturelles entre les deux pays sont évidentes. L'influence de la culture française dans les élites turques, comme en témoigne le travail exceptionnel réalisé par notre pays et par les autorités turques en matière éducative, dont l'université et le lycée Galatasaray apparaissent comme le navire amiral, mais aussi en matière de droit, doit impérativement être maintenue et préservée.

Le président a souhaité insister particulièrement sur la question de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne en tenant à souligner son caractère fondamental tant en matière de politique intérieure que de politique étrangère.

L'arrivée au pouvoir, en 2002, du Parti de la justice et du développement (AKP), le nouveau parti conservateur, qui avait décidé d'abandonner la rhétorique religieuse et refusait même d'être qualifié de parti religieux, a profondément modifié les équilibres politiques internes de la Turquie kémaliste.

Ce parti, que dirigent M. Erdogan, Premier ministre, et M. Abduluh Gül, Président de la République, a entamé et mis en oeuvre un ensemble de réformes économiques et politiques, qui ont permis de sortir de la crise financière de 2001 et de connaître un taux de croissance remarquable tout en ayant jugulé l'inflation.

Dans ce contexte, le gouvernement a également obtenu, en décembre 2004, l'ouverture de négociations en vue de l'adhésion à l'Union européenne. Il est important de comprendre que la perspective européenne constitue le grand dessein de la Turquie, non pas depuis les années 2000, mais depuis une période beaucoup plus longue. Il n'y a pas, aujourd'hui, de « grand dessein » de rechange en matière politique ou en matière économique pour le gouvernement turc. C'est dans ce sens que le Président Gul a rappelé, lors de l'entretien avec la délégation, la volonté de son pays de continuer de manière résolue dans la voie des réformes en vue de l'adhésion.

Le Premier ministre, M. Erdogan, a également souligné, le 19 janvier 2009, lors de sa visite auprès des institutions européennes, « qu'il n'y a pas d'alternative » à une adhésion pleine et entière à l'Union européenne, qui reste la « priorité numéro un » et « l'objectif stratégique » de la Turquie.

La « panne européenne » de la Turquie s'explique par la conjugaison de deux séries d'événements : si l'année 2004 a été marquée par l'acceptation à l'unanimité de la candidature turque par le Conseil européen, elle correspond également à la montée en puissance de l'euroscepticisme dans les opinions européennes, traduite ultérieurement notamment par les « non » français et néerlandais, puis irlandais respectivement au projet de constitution européenne et au traité de Lisbonne. Ce doute des opinions s'explique en partie par des sentiments irrationnels du type « plombier polonais » qu'accentuent les incertitudes économiques. Ces sentiments et ces incertitudes ont du reste été largement exploités dans le débat politique intérieur de chacun des pays européens. Plus fondamentalement, et plus rationnellement, le débat porte, en fait, sur l'équilibre entre l'élargissement et l'approfondissement.

En Turquie, après une période de réformes accélérées qui avaient permis au Conseil européen de reconnaître que les critères de Copenhague étaient « suffisamment » remplis pour que la négociation puisse commencer, avec pour « objectif commun l'adhésion », le pays est rentré, en 2007, dans une série de crises politiques qui ont conduit à l'arrêt quasi total des réformes. Ces différentes crises tournent toutes autour de la question fondamentale de la laïcité turque.

La crise initiale a eu lieu en 2007 à l'occasion de l'élection du Président de la République à laquelle l'AKP présentait la candidature de M. Abduluh Gül. Jusqu'à cette date, il existait un compromis qui réservait la présidence à la mouvance kémaliste. Cette situation pouvait s'expliquer par les pouvoirs très importants du Président de la République dans la Constitution de 1982 laquelle, il faut le souligner, avait été rédigée par le régime militaire de l'époque.

Le blocage parlementaire de l'opposition kémaliste, soutenue par l'armée, lors des différents tours de scrutin de cette élection pour la présidence, a conduit le gouvernement de M. Erdogan à provoquer des élections législatives anticipées que l'AKP a remportées à nouveau, améliorant même son score de 2002 en passant de 34 % des suffrages à 47 %.

Le parti dispose de la majorité absolue à la Grande assemblée sans pour autant atteindre la majorité des deux tiers qui lui permettrait une modification autonome de la Constitution.

La Grande assemblée, avec cette nouvelle majorité, a donc porté à la présidence de la République le principal lieutenant de M. Erdogan, M. Abduluh Gül dont le caractère modéré des opinions et la grande expérience politique (ancien Premier ministre, ancien ministre des affaires étrangères) offre des garanties sérieuses à l'opposition, même si son épouse porte le petit voile lors des cérémonies officielles.

Fort de ce succès, l'AKP s'est lancé, sans doute imprudemment, dans un second combat qui posait une nouvelle fois la question de la laïcité au travers d'un amendement constitutionnel autorisant le port du « petit voile » à l'université, qui s'est terminé par un recul du gouvernement puisque cette disposition a été annulée par la Cour constitutionnelle. Les milieux juridiques sont en Turquie l'autre bastion du kémalisme avec l'armée.

La troisième crise, encore plus grave, est la procédure lancée le 14 mars 2008 par le Procureur général pour demander à la Cour constitutionnelle la dissolution de l'AKP, considéré comme parti religieux, dont les principes et l'action seraient contraires à la Constitution de 1982, et l'interdiction de toute activité politique pour 71 hommes politiques, dont le Premier ministre et le Président de la République. Cette crise majeure, engagée par le pouvoir judiciaire, l'un des bastions du kémalisme, et soutenue par l'armée, s'est heureusement terminée puisque six juges sur 11 se sont déclarés en faveur de l'interdiction alors que celle-ci ne peut être prononcée que par 7 voix. Pourtant, 10 juges sur 11 ont accepté de condamner le parti à des sanctions financières qui vont le priver de la moitié de son financement public. Il s'agit donc d'un compromis de sagesse, sans lequel le pays aurait pu s'engager dans une voie beaucoup plus dangereuse, mais aussi d'un avertissement très sérieux donné au gouvernement et à l'AKP. De plus, le début de l'année 2009 sera consacré à la bataille pour les élections municipales qui pourraient consacrer une progression supplémentaire de l'AKP. Au total, le mouvement de réformes a été totalement bloqué depuis plus de deux ans.

La conjugaison de ces deux mouvements d'euroscepticisme européen et de crise politique intérieure en Turquie ont conduit une partie de l'opinion turque à s'éloigner du projet européen puisque le pourcentage d'opinions favorables a chuté de 70 % à moins de 40 %. Ce mouvement pourrait être accentué par l'impact de la crise économique mondiale sur la Turquie dont l'économie est principalement tournée vers l'Europe. Le ralentissement économique et la vraisemblable montée du chômage résultant de la baisse des exportations ne manqueront pas, en effet, d'influencer l'opinion publique.

De plus, l'année 2009 sera très difficile pour les négociations entre l'Union européenne et la Turquie. La réserve de chapitres ouvrables est, en effet, prématurément épuisée, en raison du gel de nombreux chapitres (huit par le Conseil européen de décembre 2006 suite au refus du gouvernement turc de mettre en oeuvre le protocole additionnel à l'accord d'Ankara ; cinq par la France qui considère que l'opposition nouvelle qu'elle a manifestée à l'adhésion de la Turquie ne permet pas d'ouvrir la discussion sur ces chapitres directement liés à cette perspective ; au moins deux par Chypre sans compter les nombreux rapports de criblage bloqués par certaines délégations, comme celui sur la libre circulation des travailleurs. Dans son intervention à Bruxelles, le 19 janvier 2009, M. Erdogan a réclamé la levée des « obstacles politiques » dans les pourparlers d'adhésion. En réponse, M. Barroso l'a assuré que la Commission soutiendra les efforts visant à dégeler tous les chapitres.

Néanmoins, le risque existe, de manière très sérieuse, que la présidence tchèque ne réussisse pas à ouvrir de nouveaux chapitres, alors même que le gouvernement turc a reconnu que la présidence française avait été impartiale et objective et en a souligné le bilan positif.

En dépit de cela, la France est toujours considérée comme le principal obstacle à la poursuite du processus d'adhésion. Nos partenaires turcs condamnent de manière extrêmement ferme le retournement de la position française et rejettent unanimement l'hypothèse d'un partenariat privilégié, comme ils avaient rejeté la proposition initiale d'Union pour la Méditerranée qu'ils considéraient comme une manoeuvre et un succédané destiné à se substituer à la perspective de l'adhésion.

S'agissant de l'argument géographique, M. Josselin de Rohan, président, a fait remarquer que les contours géographiques de l'Europe n'ont jamais été clairement définis. La question n'est donc pas de savoir si la Turquie appartient à l'Europe ou à l'Asie Mineure. Le fait est que le Conseil européen de 2004, en acceptant à l'unanimité la candidature de la Turquie, a pleinement reconnu sa vocation européenne.

Plus profondément, les parlementaires de la Grande assemblée ont clairement posé la question de savoir si le refus de la candidature de leur pays n'était pas en fait justifié par l'appartenance de plus de 99 % de sa population à la religion musulmane.

A cette question délicate, mais bien réelle, un certain nombre d'éléments de réponse peuvent être apportés. Le premier est de constater que, par contraste avec la politique violemment anticléricale de Mustapha Kemal, l'islam à progressivement retrouvé droit de cité dans la société turque depuis environ une cinquantaine d'années. Même s'il s'en défend, l'AKP ressemble à un parti religieux. Mais les événements de 2007 et 2008 ont montré la puissance du courant laïque. Même si l'armée et les kémalistes ont connu de facto des revers, ils ont clairement indiqué où se situaient les lignes rouges que le gouvernement en place ne pourrait franchir sans déclencher une réaction forte, en particulier de l'armée, dont la tradition d'intervention directe dans la vie politique est bien connue. Il faut également souligner que l'islam turc connaît une grande diversité, mais aussi que la pratique religieuse réelle de la population ne correspond en rien à ce que l'on peut constater dans d'autres pays limitrophes de la Turquie. Cela est d'ailleurs naturel dans un pays qui connaît une croissance économique forte, où l'éducation s'est puissamment développée et où les phénomènes d'urbanisation rapide et de stabilisation démographique ne vont pas dans le sens d'une radicalisation religieuse. Il est par ailleurs évident que l'AKP, qui représente 47 % des suffrages exprimés, n'est pas idéologiquement monolithique. Dans ces conditions, il est très probable qu'il n'y a pas « d'agenda caché » qui viserait à établir la charia en Turquie. Si cette tentation existait, elle conduirait très vraisemblablement à l'éclatement du parti et à la guerre civile, déclenchant une intervention de l'armée. On peut donc comprendre l'agacement de nos interlocuteurs qui nous renvoient comme argument, au travers du débat sur les valeurs, que certains, en Europe, souhaitent établir un « club chrétien ».

Pour autant, l'inquiétude devant la montée en puissance de l'AKP, qui tend à monopoliser les différents leviers du pouvoir -gouvernement, majorité absolue à la Grande assemblée, Présidence de la République, nomination à venir pour le renouvellement des juges de la Cour constitutionnelle, vraisemblable poussée aux élections municipales- est très réelle dans la société turque.

La Turquie a indiscutablement, au-delà des simples aspects juridiques, une vocation européenne. Face à la cristallisation de grands blocs régionaux au sein de la mondialisation, on peut se demander si l'Europe peut faire l'économie de l'intégration de la Turquie.

Il est pourtant évident aujourd'hui que les opinions européennes ne sont pas prêtes à un nouvel élargissement et que le fonctionnement interne de l'Union européenne, déjà extrêmement difficile, s'accommode mal de cette perspective.

Il convient, en conclusion, d'établir le dialogue avec la Turquie dans la durée. L'année 2009 risque d'être celle d'un blocage ou d'une stagnation des négociations avec la Turquie. Du côté turc il importe, comme le rappelait le président Abduluh Gül, que la Turquie poursuive de manière déterminée son processus de réforme dans le cadre des négociations avec l'Union européenne. Processus qui, même en l'absence de perspective claire d'adhésion, est nécessaire en lui-même. Il est également nécessaire que des avancées soient faites sur la question chypriote. De ce point de vue, il importe de rappeler que la Grèce comme la République de Chypre sont favorables à l'adhésion turque à l'Union européenne. Un geste de la Turquie sur la mise en oeuvre du protocole additionnel à l'accord d'Ankara permettrait immédiatement le déblocage d'un grand nombre de chapitres.

A l'inverse, tout doit être fait pour poursuivre les négociations dans un climat dépassionné et positif, notamment en ce qui concerne la PESD à laquelle il faut associer plus complètement la Turquie. Ce pays souhaite participer à la PESD dans le cadre agréé à Nice. Il convient de faire des progrès dans ce sens, même si la France désire bien évidemment dépasser le cadre de Nice, c'est-à-dire celui des accords de Berlin, que nos partenaires souhaitent voir appliqués dans tout leur potentiel avant d'envisager d'aller au-delà. De même, la Turquie se considère, à juste titre, discriminée dans sa demande de participation à l'Agence européenne de défense.

Dans un contexte de relatif blocage du processus de négociation en 2009, des progrès pourraient être fait dans ces domaines, facilitant ainsi la question des rapports entre la PESD et l'OTAN dont la Turquie peut bloquer les progrès. Il en va ainsi pour l'instant du refus turc d'accepter la proposition française d'un groupe de contact informel sur les relations OTAN-PESD. Au-delà de cela et du blocage de la candidature de Chypre à l'OTAN, on peut également lire dans cette position la crainte de la Turquie de se voir marginalisée dans une OTAN dont le pilier européen serait reconnu et opérationnel.

Enfin, M. Josselin de Rohan, président, a souhaité profiter de la saison de la Turquie en France, qui doit commencer au mois de juillet prochain pour travailler activement à mieux faire connaître ce pays et à contribuer, à notre niveau, à en changer l'image en France.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

A la suite de cette présentation, Mme Catherine Tasca est intervenue pour souligner l'accueil très positif qui avait été réservé à la délégation de la commission en raison des positions prises par le Sénat lors du débat sur la révision de la Constitution.

La société turque est aujourd'hui divisée entre un courant laïc francophone et francophile qui regroupe les milieux de l'armée et de la grande bourgeoisie cultivée, dont les membres se situent dans une tranche d'âge plus élevée, et un courant islamique plus jeune, majoritairement anglophone, pragmatique, et qui regroupe les milieux entrepreneuriaux. Face à l'attitude de la France, qui est unanimement incomprise, le premier courant exprime sa déception et sa nostalgie tandis que le second courant exprime plutôt un sentiment d'incompréhension et de colère. Elle a affirmé sa conviction que l'intégration de la Turquie dans l'Union européenne est la seule voie qui permette la conciliation de ces deux Turquie.

S'agissant de l'université et du lycée Galatasaray, elle a fait part de son inquiétude devant les décisions du ministère des affaires étrangères issues de la RGPP (Révision générale des politiques publiques), qui diminuent sans distinction les crédits de l'ensemble des établissements culturels français à l'étranger. Elle a souhaité que la commission des affaires étrangères saisisse officiellement le ministre afin de conforter la coopération française avec cette institution.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

a indiqué qu'en dépit des moments très difficiles de la relation entre les deux pays, le Sénat avait toujours été un instrument de meilleure compréhension entre les deux Parlements. Il a souligné l'importance que revêtirait la réussite de la « saison de la Turquie en France » prévue de juillet 2009 à mars 2010. Il a par ailleurs indiqué que le Comité des régions d'Europe avait proposé d'établir des liens entre les élus européens et les maires turcs. Il a regretté que, pour l'instant, le gouvernement turc ne facilite pas la mise en place d'un groupe de contacts pourtant prévu sur cette question.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

a apporté son appui à la demande de Mme Catherine Tasca en faveur de Galatasaray, faute de quoi la France disparaîtrait au profit des Etats-Unis d'Amérique et des anglophones.

S'agissant de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, il a dénoncé l'incohérence de la politique française dont le changement d'orientation vis-à-vis de ce pays avait été décidé par le Président de la République sans consultation du Parlement ou de l'opinion. Cette question ne pourra toutefois pas être réglée sans qu'une décision soit prise au préalable sur la question des frontières de l'Europe. La France et l'Europe ont-elles un intérêt réel à repousser leurs frontières jusqu'au Moyen-Orient, zone de conflits majeurs ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Guerry

tout en soutenant la coopération et l'assistance française à l'université et au lycée Galatasaray, a rappelé qu'il existait également six lycées, émanations des écoles chrétiennes, qui regroupent plus d'un millier d'élèves et qui ne bénéficient d'aucun soutien français.

En réponse à M. Robert Badinter, le président Josselin de Rohan a indiqué que le Comité des sages européens n'avait pas retenu la question des frontières de l'Europe comme l'un des objectifs de sa réflexion. Cette décision montrait clairement que les partenaires européens de la France ne souhaitaient pas que cette question fut abordée. Il a rappelé que, en France, le parti majoritaire et le Président de la République avaient pris position contre l'adhésion de la Turquie.

Il a rappelé la vivacité des discussions, notamment avec les kémalistes dont la déception par rapport aux positions françaises est d'autant plus vive que la France a joué un rôle important en matière de laïcité et de droit dans l'établissement de la République turque. Ce dépit profond explique l'accord unanime pour approuver les mesures de rétorsion qui ont été retenues en matière politique, économique et militaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

a souligné l'extrême qualité et le haut niveau de technicité des juristes turcs, en particulier en ce qui concerne les membres de la cour constitutionnelle. Il a dénoncé l'absurdité et l'anti-constitutionnalité des lois mémorielles, puisque rien n'autorise le Parlement français à légiférer dans ce domaine.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

et M. Josselin de Rohan, président, ont néanmoins souligné que les autorités turques auraient intérêt à faire un pas dans le sens de la reconnaissance des événements de 1905 en Arménie. La proposition turque d'établir une commission indépendante d'historiens, l'appel d'un certain nombre d'intellectuels à reconnaître les massacres qui ont eu lieu, l'action du Président de la République, M. Abduluh Gül, vont dans ce sens. Il appartient néanmoins aux seules autorités et au peuple turc de faire ce chemin.

S'agissant de la « saison de la Turquie en France », Mme Catherine Tasca en a souligné l'importance puisque ces événements sont de nature à faire avancer la relation bilatérale. Il convenait que le Sénat s'implique pour soutenir un certain nombre d'événements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

a constaté que la cristallisation du monde en grands blocs politiques ou économiques était encore floue et que l'Europe, comme l'ONU, en son temps, devenait de plus en plus un « machin ». Dans ce contexte, il s'est interrogé sur le point de savoir s'il ne fallait pas d'abord dissoudre l'Europe pour arriver à dissoudre la Turquie dans l'Europe.