La commission a procédé à l'audition de M. Jean-Pierre Jouyet, co-président de la Commission sur l'économie de l'immatériel.
a indiqué avoir pris connaissance avec intérêt du rapport remis par cette commission à M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur sa demande. Il a indiqué que l'organisation d'une audition commune par les commissions des affaires culturelles et des affaires économiques montrait l'étendue du champ de la réflexion conduite par la Commission sur l'économie de l'immatériel.
Puis M. Jean-Pierre Jouyet a exposé l'origine de ce rapport et la méthode suivie par cette commission :
- cette dernière est née d'une intuition du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie relative à l'évolution des moteurs de la croissance, caractérisée par la place croissante des idées, de l'innovation, des marques et des brevets. Sa mission devait la conduire à embrasser largement cette question, à recourir à des comparaisons internationales et à faire oeuvre de pédagogie ;
- s'agissant de la méthode, le ministre a souhaité que soit noué un partenariat public-privé, en associant à un inspecteur des finances une personnalité emblématique de cette « économie immatérielle », en la personne de M. Maurice Lévy, qui a apporté son recul et son expérience professionnelle. En outre, la commission a réuni des personnalités venant de différents secteurs intéressés par cette évolution économique (la recherche, les secteurs universitaire, culturel, financier, audiovisuel, des nouvelles technologies et d'Internet). Enfin, elle a procédé à l'audition de nombreux acteurs économiques.
a souligné l'originalité de cette démarche, qui a permis de conduire une réflexion collective associant des professionnels qui, même s'ils n'ont pas tous adhéré aux conclusions du rapport, en ont partagé la démarche et le constat.
Il a fait part du souhait de la commission de faire prendre conscience aux représentants politiques, économiques et aux citoyens français, de la rupture économique qui traduit l'entrée dans l'économie de l'immatériel, avec :
- l'innovation, devenue le principal moteur des économies développées, quels que soient les secteurs économiques ;
- le développement massif des technologies de l'information et de la communication, qui conduit les entreprises à se recentrer sur des activités à très forte valeur ajoutée ;
- la place centrale du secteur des services et la financiarisation de l'économie mondiale, qui favorisaient les activités les plus créatrices de valeur, c'est-à-dire l'immatériel.
a relevé que ces évolutions imposaient imagination et créativité pour valoriser au mieux les actifs immatériels, mais qu'elles reposaient parfois sur une vision de court terme.
Puis il a défini cette économie de l'immatériel qui, sans fondement physique, modifie les rapports économiques et sociaux, fonctionne en réseau, s'exonère des limites de temps et d'espace et dépasse les cadres hiérarchiques et géographiques habituels. Il a souligné que cette économie était paradoxalement mal appréhendée par les systèmes de mesure, en particulier statistiques. Il a estimé cependant qu'elle représentait, au minimum, 20 % de la valeur ajoutée et 15 % de l'emploi en France.
Il a souligné que l'économie de l'immatériel ne rendait pas caduque pour autant l'économie industrielle, mais qu'elle multipliait les opportunités d'investir, d'entreprendre et de créer des emplois, indépendamment des facteurs physiques ou liés aux ressources naturelles.
Evoquant ensuite la situation de la France dans ce contexte, M. Jean-Pierre Jouyet a estimé que notre pays ne souffrait pas de handicap objectif, qu'il disposait d'atouts (tels que des marques solides, une image reconnue, un patrimoine, une tradition historique et sa culture), mais qu'il convenait d'alléger les pesanteurs de tous ordres qui empêchaient les talents de s'épanouir. A cette fin, il a jugé nécessaire que la France change de réflexes, d'échelle et de modèle.
Evoquant tout d'abord le changement de réflexes, il a jugé nécessaire de renoncer à certaines habitudes favorisant les situations acquises et un « protectionnisme de l'intérieur ». Après avoir cité l'exemple du spectre hertzien, des professions réglementées ou des droits d'auteur, il a proposé de dynamiser la création et de valoriser le savoir-faire culturel ainsi que les droits immatériels de l'Etat et de ses ressources rares, notamment en révisant le mode de gestion des fréquences hertziennes et en modifiant les règles régissant les droits d'auteur.
Il a évoqué ensuite la nécessité de changer d'échelle, le cadre de l'action publique devant se situer au moins au niveau européen, en vue notamment d'améliorer la gestion des brevets et de conduire de grands projets technologiques.
Quant au changement de modèle, il a considéré qu'il imposait lucidité et courage, une meilleure exploitation du potentiel français nécessitant d'audacieux changements. Il a estimé ainsi indispensable :
- d'augmenter les moyens consacrés à l'enseignement supérieur et de réformer le système, l'éducation et la formation étant essentielles pour l'économie de l'immatériel, puisqu'elles reposent sur le capital humain ;
- de créer une agence des actifs immatériels publics et de mieux valoriser les marques dans le bilan des entreprises ;
- d'initier une démarche tendant à renforcer la coopération internationale en vue de lutter contre la contrefaçon ;
- d'utiliser la fiscalité comme un instrument d'incitation plutôt que de contrainte. Les acteurs de l'économie immatérielle doivent conduire avec confiance leurs projets, ce qui implique de réformer notre système fiscal, de privilégier une logique d'encouragement et de supprimer les distorsions entre la fiscalité applicable aux prestations matérielles et celle applicable aux services immatériels (le commerce électronique, par exemple).
s'est déclaré convaincu de la nécessité de revoir les législations et réglementations contraignantes et uniformes, qui ne répondent plus aux besoins actuels. Il a cité, par exemple, la faculté de cumuler emploi et retraite, celle pour les chercheurs de poursuivre leurs activités dans le secteur public, ou encore l'organisation du temps de travail.
Après s'être réjoui de ce que les propositions du rapport de la commission aient été reprises par le ministre et fassent l'objet d'études au sein des services, il a énoncé cinq priorités pour que la France occupe une position favorable dans ce nouveau contexte économique :
- renforcer les moyens de l'enseignement supérieur et réformer les structures, notamment en consacrant l'autonomie des établissements ;
- rénover en profondeur l'organisation de la recherche publique, notamment en privilégiant un financement par projet - à côté de la logique du financement des structures - et en améliorant la valorisation des travaux de recherche, et renforcer l'effort de recherche du secteur privé, en particulier celui des petites et moyennes entreprises ;
- établir des priorités technologiques (paiement électronique, logiciels libres, contenus numériques, traçabilité...) ;
- identifier et mieux valoriser les actifs immatériels de l'Etat, et améliorer l'allocation et la gestion de ces actifs ;
- adapter les structures économiques, sociales et fiscales, créer une économie relationnelle, et non « confrontationnelle » et hiérarchique, et accorder à l'économie immatérielle la même attention que celle dont a fait l'objet le capital physique ces dernières années.
a demandé quel socle indispensable d'économie industrielle il convenait, selon M. Jouyet, de préserver dans notre pays.
a répondu en insistant sur la nécessité de ne pas opposer l'économie immatérielle à l'économie industrielle. Même si la part des services va croissant dans la valeur ajoutée, conserver un potentiel industriel important permettra d'assurer la présence française dans l'économie immatérielle, dans la mesure où le socle industriel représente un levier d'innovation et de progrès technologique, comme l'atteste l'avance française dans l'industrie des télécommunications, notamment dans le haut débit.
a jugé que la part de l'immatériel dans le matériel était fondamentale et s'est interrogé sur le moyen de faire converger les deux de façon moderne.
a reconnu que l'importance des brevets était aussi grande dans des secteurs industriels, comme l'énergie ou les transports, que dans des secteurs de création, comme l'audiovisuel. Il a donc préconisé que l'industrie fasse appel à des chercheurs et se dote d'outils de protection, de la même manière que le font les services.
s'est dit perplexe quant au choix du terme « immatériel », auquel il a suggéré de préférer les mots « pensée » ou « intelligence », qui sont la première ressource de la « vieille Europe ». Il a souligné les exigences contradictoires auxquelles notre société était confrontée :
- d'une part, les chercheurs sont amenés à repenser leurs relations avec la société en répondant par leurs travaux à une demande sociale et en communiquant sur leurs travaux, et, en même temps, il leur faut conserver leur autonomie pour ne pas être instrumentalisés ;
- d'autre part, la production de connaissances devient de plus en plus accessible à tous, mais la protection des connaissances est source de nouvelles inégalités dans l'accès au savoir.
Il a conclu que les questions ici soulevées étaient d'ordre éminemment politique, au-delà de leur dimension technique, comme d'ailleurs celles abordées par le récent rapport sur la valorisation de la recherche, élaboré par l'inspection générale des finances et par l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche.
a fait part de sa passion depuis plus de 40 ans pour l'immatériel et l'innovation. Il s'est demandé si l'un des objectifs concrets du rapport de MM. Jouyet et Lévy était de modifier les structures comptables afin que la place des investissements immatériels soit mieux considérée, notamment par certaines professions, parmi lesquelles les notaires ou banquiers, qui appliquent des règles anciennes. Il a également souligné les conséquences considérables, et pourtant mal appréciées financièrement, que la maîtrise de l'immatériel pouvait avoir dans les domaines du commerce, de l'industrie et du transport, faisant observer, à ce sujet, le rôle-clé de la logistique.
s'est interrogé sur les moyens d'orienter la mise en réseau de l'économie matérielle et immatérielle, se demandant si la finalité des pôles de compétitivité n'était pas précisément d'assurer cette interface. Il a relevé, par ailleurs, que la taille critique dans le domaine immatériel dépassait le périmètre national.
a souhaité d'abord mettre en perspective le rapport présenté par M. Jouyet, se référant, d'une part, à l'intuition de l'économiste Davenant qui, au XVIIe siècle, estimait que la richesse des nations ne dépendait pas de la seule richesse naturelle, mais de la faculté de les exploiter, et d'autre part, à la thèse d'Alain Peyrefitte sur « le facteur manquant de la productivité ». Ainsi, il a estimé que le développement dépendait surtout de la mentalité, déplorant à cet égard que l'économie de marché soit si mal considérée par les Français. Il a insisté, ensuite, sur les connexions entre les économies matérielle et immatérielle, dans la mesure où la recherche privée était à 75 % appuyée par l'industrie.
Il a posé ensuite deux questions, la première sur les difficultés de mesure des actifs immatériels, la seconde sur les contreparties exigibles pour l'occupation privée du domaine public hertzien.
après avoir salué tout spécialement MM. Ivan Renar et Pierre Laffitte qu'il avait connus dans d'autres fonctions, a précisé que le concept d'« immatériel » n'avait pas la prétention de rompre avec l'histoire, dans la mesure où l'intelligence avait toujours fondé la croissance. Toutefois, il a jugé que la nouveauté résidait aujourd'hui dans l'interaction entre trois phénomènes : le facteur humain, le rythme de l'innovation technologique et l'emprise croissante des activités de service. Revenant sur les propos de M. Retailleau, il a confirmé que la mentalité était un facteur important, ce qui attestait du nécessaire changement de modèle culturel pour la France, bien que cette dernière ne souffre pas d'un handicap objectif.
En réponse à M. Ivan Renar, il est convenu que la conciliation entre indépendance et utilité sociale était délicate pour les chercheurs. Sans opposer recherche fondamentale et valorisation, il a déploré que la France n'ait pas amélioré la valorisation, notamment dans le système universitaire, de sa recherche, pourtant de grande qualité. De même, il a jugé fondamental de rendre plus efficace la protection du savoir, spécialement en renforçant l'Office européen des brevets, et il s'est félicité en même temps que le progrès technologique permette un accès rapide aux connaissances.
En réponse à M. Pierre Laffitte, M. Jean-Pierre Jouyet a reconnu que les systèmes comptable et juridique n'étaient pas adaptés à l'économie de l'immatériel -marques, brevets, apports immatériels...- et que leur adaptation débordait du cadre français et pourrait constituer un sujet opportun pour la prochaine présidence française de l'Union européenne. Il a considéré que diverses professions, les notaires, mais aussi les banques, par exemple, devaient faire des progrès en ce sens, regrettant notamment que des garanties personnelles soient exigées des entrepreneurs pour obtenir des financements.
En réponse à M. Jean-Paul Emin, il a confirmé qu'il n'y avait pas d'opposition entre un socle industriel fort et une économie immatérielle, l'effort dans l'immatériel permettant paradoxalement de consolider notre industrie. A cet égard, la démarche initiée dans les pôles de compétitivité et visant à assurer la jonction entre l'immatériel et l'industrie lui a semblé devoir être encouragée. Evoquant les atouts immatériels de la France - identité culturelle, patrimoniale, appellations d'origine contrôlée... -, il a jugé qu'ils représentaient une opportunité pour développer notre identité nationale dans une économie mondialisée.
En réponse à M. Bruno Retailleau, il a reconnu la nécessité d'une amélioration du système de mesure de la richesse immatérielle. Concernant la gestion du spectre hertzien, il a expliqué que le rapport proposait aussi bien une contrepartie monétaire qu'une contrepartie en nature à l'occupation des fréquences et il s'est interrogé sur le moyen de mesurer la proportionnalité de ces contreparties. Il a jugé souhaitable la mise en concurrence des fréquences et la neutralité dans leur affectation pour permettre à l'innovation technologique de jouer pleinement.
En réponse à M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles, qui évoquait les réactions de la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) à la publication du rapport de la commission, il a indiqué que celui-ci ne remettait pas en cause le système de gestion collective des droits des auteurs, mais soulevait la nécessité d'une part, de réfléchir sur le degré de liberté, parfois limité, dont disposent les auteurs, et, d'autre part, d'être vigilant sur les coûts de gestion de ce système, ainsi que l'a d'ailleurs souligné un récent rapport de la Cour des comptes.
a relevé que cette dernière partageait également ce type de préoccupations.