Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a procédé à l'audition de M. Marc Tessier sur son rapport sur la numérisation du patrimoine écrit remis au ministre de la culture et de la communication.
a présenté les grandes lignes de son rapport en abordant les points suivants :
- la mission est née de la question de l'opportunité d'un engagement avec un partenaire américain - Google - pour la numérisation du patrimoine. Cet objet initial, qui visait à réfléchir au type d'accord souhaitable, a ensuite évolué avec la confirmation de la décision du Président de la République d'accorder des financements extrêmement significatifs à la numérisation de l'ensemble du patrimoine. La réflexion s'est donc orientée vers la question de la meilleure organisation possible pour saisir cette opportunité de financement et sur l'intérêt ou non à poursuivre les contacts engagés avec le moteur de recherche américain ;
- le rythme qu'a imposé Google à l'ensemble de ses partenaires a bouleversé la vision de la Bibliothèque nationale de France (BnF) qui, partie d'un processus long et très élaboré visant le monde universitaire et de la recherche et ayant débouché sur la création du site Gallica, a été confrontée à la logique de l'accès au grand public et donc de la numérisation de masse. Cette évolution a fait apparaître des enjeux techniques, comme celui du référencement des ouvrages de Gallica qui ne sont pas repérables par Google, n'apparaissant pas dans la première couche de contacts de ce moteur de recherche ;
- de nombreux accords passés avec les bibliothèques d'universités américaines sont similaires à celui de la bibliothèque de Lyon prévoyant vingt-cinq ans d'exclusivité en faveur de Google en contrepartie de la numérisation. Malgré les réserves du président de la librairie de l'université de Harvard, le processus a été ainsi lancé aux Etats-Unis d'Amérique, l'essentiel pour les bibliothèques concernées étant de permettre aux étudiants et chercheurs de trouver tous les ouvrages depuis les terminaux mis à disposition. La numérisation concerne 800 000 ouvrages en langue française, et 1,5 million en incluant les ouvrages de bibliothèques francophones telles que celle de Gand, en Belgique. Le défi du ministère de la culture et de la communication aujourd'hui est d'offrir aux étudiants un accès rapide et facile à ces ouvrages dans leur version française d'origine, le risque étant de laisser aux traductions américaines une place prépondérante dans les moteurs de recherche et en particulier Google ;
- la proposition de la mission vise, tout en confiant l'acte de numérisation à la BnF, à créer une plateforme commune de référence du livre français consultable sur une base mondiale, des accords avec tous les partenaires permettant de prévoir une indexation sur tous les moteurs de recherche, afin d'en optimiser l'accessibilité. Cette plateforme devrait concerner l'ensemble des ouvrages, qu'ils soient sous droits ou hors droits. Les ouvrages épuisés, les oeuvres orphelines - dont les recettes iraient à un fonds spécial - ou en début de commercialisation chez les libraires seraient traités selon des modalités différentes. Cette plateforme regrouperait tous les acteurs qui pourraient parallèlement avoir leur propre site, et devrait être pilotée par une structure mixte (public-privé), la BnF n'ayant pas l'expérience nécessaire pour en assurer la gestion.
a indiqué qu'un texte était en préparation sur le sujet des oeuvres orphelines.
a poursuivi en abordant la deuxième question clé de la mission que sont les partenariats avec Google. La mission a considéré qu'une discussion devait être entamée afin de proposer à cette société une autre forme de partenariat, fondé sur l'échange équilibré de fichiers numérisés, sans clause d'exclusivité. L'optimisation de la présence des ouvrages français reste une priorité pour Google Livres dans la mesure où ce moteur de recherche est utilisé par 50 % de la population mondiale hors Chine et par 90 % des Français. Un échange sur la base d'un fichier numérisé par la BnF contre un fichier numérisé par Google permettrait la diffusion de 500 000 à 600 000 ouvrages supplémentaires. Google n'aurait pas l'exclusivité d'accès aux livres de la BnF, qui resteraient la propriété de cette dernière ; cela permettrait de les proposer aussi aux autres moteurs de recherche.
Les autres bibliothèques européennes recherchent un accord avec Google car le manque de financements publics ne leur laisse pas d'alternative. Il est donc important de créer une plateforme multilingue et de nouer des partenariats avec ces bibliothèques. Il pourrait également leur être proposé de faire appel à la chaîne de numérisation de la BnF.
En acceptant ce type de partenariat, Google aurait ainsi l'occasion de prouver qu'il ne cherche pas à être hégémonique et à accaparer notre patrimoine ; à défaut, la France pourrait continuer à développer sa plateforme.
a ensuite évoqué la question de la commercialisation des ouvrages numérisés, sachant qu'il existe trois façons de les valoriser :
- la lecture sur tablette ;
- l'impression à la demande, à domicile ou dans une librairie, lorsque l'ouvrage est épuisé ;
- la commande en version papier.
Après avoir souligné que l'oeuvre écrite (presse ou livre) est très adaptée à la numérisation, compte tenu de sa structuration, M. Marc Tessier a évoqué la question essentielle du rôle des éditeurs dans la fixation du prix du livre numérique, selon qu'il est sous droits ou dans le domaine public.
Dans le cas d'un livre sous droits, il existe différents cas de figure :
- Amazon met une forte pression sur les éditeurs et fixe le prix des fichiers numérisés ;
- Apple prélève 30 % du prix de vente mais ne le fixe pas lui-même, ce rôle étant joué par l'éditeur, ce qui est plus conforme à la logique française ;
- Google s'est engagé à commercialiser exclusivement les fichiers numérisés de livres dont les versions papier ne sont plus en librairie.
S'agissant de la politique de prix, pour un ouvrage tombé dans le domaine public, il semblerait logique que la consultation et le feuilletage d'un livre numérique accessible par la plateforme soient gratuits, comme l'est aujourd'hui la consultation d'un livre papier en bibliothèque. En revanche, il paraîtrait logique de facturer une demande d'impression, ce qui permettrait d'ailleurs de rémunérer les fonds issus de l'emprunt national. Le débat n'est cependant pas clos.
a également relevé qu'il conviendra de s'interroger sur la question du stockage des oeuvres.
a indiqué que, au cours du débat du 16 février 2010 sur le collectif budgétaire, M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, a confirmé -ainsi que M. Jean-Claude Etienne, rapporteur de la commission, l'a demandé- que 750 millions d'euros seront bien consacrés à la numérisation des contenus culturels, éducatifs et scientifiques. La commission de la culture s'est cependant interrogée sur le cadre très strict fixé pour l'allocation de ces crédits, 25 % seulement étant consomptibles, c'est-à-dire versés notamment sous forme de subventions.
a rappelé qu'il ne fallait pas résumer le livre à un « stock écrit ». Il représente également des métiers d'art auxquels il faut apporter une attention particulière, sous peine de laisser le mouvement en faveur de la numérisation balayer le patrimoine qu'il incarne.
a noté que le débat lancé en 2004 semblait apaisé par le rapport de M. Marc Tessier tout en rappelant que la crainte de la commission de la culture du Sénat est relative à la question de la pérennité du patrimoine écrit et de l'accès à la culture, l'indexation étant un élément crucial pour accompagner le lecteur vers les bons résultats. Il s'est demandé ce qu'aurait été la solution proposée par la mission si le Gouvernement n'avait pas opté pour un financement d'un montant de 140 millions en faveur de la politique de numérisation de la BnF dans le cadre du grand emprunt. Cette dotation permet aujourd'hui de trancher la question entre exhaustivité et pertinence en faveur de la première dimension. Il a abordé le thème de la défaillance de l'OCRisation en estimant qu'il appartient aujourd'hui à la BnF d'exiger de Google des caractéristiques techniques acceptables sur le long terme, et en saluant la proposition d'échanges de fichiers qui favorisera la qualité de la numérisation. Enfin, il a demandé quels seraient les délais pour atteindre des objectifs de numérisation de masse, où en est l'idée de changement du nom de Gallica et comment les travaux actuellement menés par Mme Christine Albanel s'articulent avec la mission de M. Marc Tessier.
Après avoir appelé à la vigilance sur l'utilisation des crédits du grand emprunt dont les règles sont particulièrement complexes, M. Jack Ralite a rappelé la nécessité d'agir pour résoudre le problème de la fiscalité dans le cas de Google qui court-circuite les législations nationales. Il a également jugé que Google, en raison de sa situation de monopole, est un problème spécifique qu'il convient d'aborder avec beaucoup de vigilance et de rigueur parallèlement au sujet de la numérisation par ailleurs souhaitable.
a annoncé que la commission approfondirait sa réflexion à travers l'organisation d'une table ronde sur la numérisation du livre, le 28 avril 2010.
Après avoir félicité l'intervenant, M. Jean-Claude Etienne lui a demandé d'évaluer le coût de la politique de numérisation du livre, selon qu'elle serait conduite avec ou sans un partenariat avec Google. Puis, relayant les propos du président de la commission, il a souhaité connaître l'avis de M. Marc Tessier sur la capacité de conduire les projets envisagés dans un tel cadre budgétaire.
a estimé les propositions avancées très intéressantes mais les moyens modestes, compte tenu de l'importance de la part non consomptible des crédits et de l'étalement des financements dans le temps, ce qui rendra le rôle de suivi de la commission d'autant plus important.
Il a regretté le manque de réaction de l'Union européenne sur le dossier de la numérisation et a souhaité qu'elle s'engage davantage, y compris par le biais d'une contribution financière.
Puis il a évoqué la crise très importante que subissent les libraires et a appelé la commission à la vigilance sur cette question.
a indiqué qu'un déplacement d'une délégation de la commission à Bruxelles serait organisé au début du mois d'avril.
a apporté aux orateurs les éléments de réponse suivants :
- en cas d'absence de crédits dans le cadre de l'emprunt national, le rapport en aurait invoqué la nécessité, au moins pour lancer la plateforme et numériser les livres en commençant par les oeuvres sous droits ;
- il ne faut pas résumer la politique de numérisation à une politique d'exhaustivité et à cette plateforme. Outre Gallica, il conviendra de développer des logiciels plus élaborés, tel qu'un site francophone dédié à la philosophie ;
- il convient de cesser l'auto-flagellation et de se rappeler que la France a démarré la numérisation de son patrimoine avant Google ;
- la question de l'utilisation des crédits de l'emprunt national est complexe. 140 millions d'euros devraient être consacrés au livre, dont 40 millions au stockage et à l'entretien. Il convient de conduire cette politique intelligemment et la BnF dispose d'un plan de numérisation ;
- la seule bibliothèque publique disposant du dépôt légal et ayant négocié avec Google est celle de Bavière ;
- la proposition de la BnF de laisser Google accéder aux oeuvres en doublon est étrange ;
- il conviendrait de numériser prioritairement les oeuvres du vingtième siècle, qui sont les plus consultées. En outre, cela permettrait d'atteindre assez vite le seuil de pertinence et de susciter une rémunération de nature à satisfaire aux conditions de l'emprunt, la numérisation des oeuvres tombées dans le domaine public relevant, quant à elle, plutôt de la subvention car étant peu susceptible de procurer des ressources significatives ;
- il est important de trouver le moyen de faire vivre le patrimoine car on découvre sans cesse des pépites dont il faut éviter la disparition ;
- s'agissant de la fiscalité applicable à Google, il faut distinguer le cas de la presse de celui du livre :
. Google news est dans une situation de concurrence anormale avec ceux qui lui apportent l'information, ce qui entraîne une forme d'intégration verticale pouvant aboutir à un monopole de l'information intolérable ;
. pour ce qui concerne le livre, Google exerce une activité commerciale que l'on peut encadrer plus aisément. De ce point de vue, la ligne est plutôt tracée par les instances américaines compétentes en matière de concurrence, même si leurs homologues européennes peuvent intervenir.
a souhaité faire partager son analyse du danger que représentent les méthodes telles que celle de Wikipédia dont les contenus contiennent de nombreuses erreurs.
a reconnu que Google devra faire appels à des correcteurs professionnels et renforcer ainsi ses standards dans la mesure où les problèmes d'OCRisation entraînent de très nombreuses fautes qui rendent difficile une impression des livres en ligne.