La commission examine le rapport de M. Josselin de Rohan, rapporteur, et le texte proposé par la commission, en deuxième lecture, sur la proposition de loi n° 3299 (AN - 13e législature) tendant à faciliter l'utilisation des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure.
Comme vous vous en souvenez, nos deux collègues, Joëlle Garriaud-Maylam et Michel Boutant, ont mené une mission sur l'utilisation des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure. Ils nous avaient présenté leur rapport le 14 décembre dernier.
Ce rapport constitue aujourd'hui un document de référence sur la situation des réserves civiles et militaires.
Il a soulevé un grand nombre de sujets qui relèvent pour l'essentiel de l'exécutif, mais il prévoyait un volet législatif avec une proposition de loi modifiant le code de la défense.
Je vous rappelle qu'il s'agit d'offrir la possibilité aux armées et aux administrations qui disposent de réservistes, telles que la police, de pouvoir mobiliser une partie de ces réservistes en cas de crise majeure.
L'actualité nous montre que les armées professionnelles aux effectifs resserrés peuvent avoir besoin des réserves pour faire face à des pics d'activités. Nous avons besoin de réservistes formés, capables de remplacer, dans les états-majors ou dans les forces de soutien, les militaires d'active partis en opération.
Les catastrophes en tout genre, Katrina aux Etats-Unis, Fukushima au Japon, nous montrent que les Etats modernes ne sont pas à l'abri d'événements majeurs qui saturent les capacités des forces actives et des services publics de secours et exigent la mobilisation de réservistes aguerris.
Nous avions adopté cette proposition de loi le 30 mars dernier. Hier, l'Assemblée Nationale a, à son tour, adopté ce dispositif. Elle a adopté six amendements qui améliorent la qualité du texte sans en modifier le fond.
Je vous propose, en conséquence, d'adopter le texte issu de l'Assemblée nationale, de sorte que ce dispositif puisse être opérationnel à la fin de l'année.
Au-delà de ce texte, je crois qu'il faut pousser le Gouvernement, le ministère de la défense, et les états-majors des armées à poursuivre la modernisation des réserves. Le rapport de nos collègues avait soulevé de vraies questions sur l'émission, les moyens, la gestion des réserves. Il faudra, à l'occasion de l'adoption de ce texte en séance publique demain matin, et au-delà dans les mois et les années qui viennent, exiger que des réponses soient apportées à ces questions.
Suivant l'avis de son rapporteur, la commission adopte la proposition de loi sans modification.
La commission entend une communication de MM. Josselin de Rohan, Xavier Pintat et Mme Dominique Voynet, suite à leur mission au Japon du 24 au 28 mai 2011.
Avec Dominique Voynet et Xavier Pintat, nous nous sommes rendus au Japon du 23 au 27 mai derniers.
Le Japon est un pays de première importance avec lequel nous partageons les valeurs de la démocratie et du respect des droits de l'homme et avec lequel nous avons une très large convergence de vue sur pratiquement tous les grands sujets internationaux. Face à la montée en puissance de la Chine et la persistance de la menace nord-coréenne, le Japon occupe une place centrale dans le rapport de forces diplomatique et militaire en Asie et donc dans le monde dont l'Asie devient l'épicentre. Ce positionnement du Japon n'est cependant pas évident tant il est vrai, qu'en dépit d'une évolution importante, les limitations constitutionnelles et l'opposition de l'opinion publique rendent apparemment difficiles une implication plus importante du Japon dans le système de défense collective.
L'objectif que notre mission s'était fixé, était donc de mieux appréhender la complexité des relations régionales, les liens particuliers du Japon avec les États-Unis et les possibilités de développer une coopération dans le domaine des programmes d'armement.
Nous avons eu un ensemble d'entretiens très complets avec en particulier deux tables rondes consacrées pour la première aux relations nippo-américaines, et pour la seconde aux relations du Japon avec ses autres voisins. Au niveau exécutif nous avons rencontré le vice-ministre de la défense et le chef adjoint de l'état-major interarmées. Un entretien très intéressant nous avait été aménagé avec l'ancien premier ministre Nakasone. Nous avons rencontré des think tanks et bien sûr l'ensemble de nos homologues du parlement.
Nous avons reçu un accueil extrêmement chaleureux de la part de nos collègues japonais de la Diète comme du Sénat. La présidente du groupe d'amitié, Mme Akiko Santo, nous a reçus chez elle en présence d'un certain nombre d'autres parlementaires. Notre ambassade avait par ailleurs organisé un dîner avec des parlementaires japonais spécialistes des questions de diplomatie et de défense.
S'agissant des relations économiques, nous avons rencontré des représentants des entreprises françaises installées au Japon ainsi que le patronat japonais, le Keidanren. Nous avons également donné une conférence à l'université de Waseda devant des étudiants en relations internationales sur la situation en Afrique et au Moyen-Orient et la position de notre pays.
Enfin, dans le cadre de la réforme de l'action extérieure de l'État que nous avons voté l'année dernière, nous avons examiné comment notre réseau culturel s'adapte, bien que le Japon ne soit pas l'un des pays qui ait été retenu dans la phase d'expérimentation.
1 - s'agissant de la politique de sécurité et de défense du Japon, ma première remarque sera pour souligner que les freins constitutionnels n'ont pas empêché le développement d'une force de défense finalement assez comparable aux forces armées occidentales, même si ses capacités d'action et de déploiement sont plus limitées.
À l'issue de la seconde guerre mondiale, la nouvelle constitution du Japon énonce un principe strict de renonciation à la guerre si l'on se réfère à la lettre de son article 9 : « Aspirant sincèrement à une paix internationale fondée sur la justice et l'ordre, le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ou à la menace, ou à l'usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux.
Pour atteindre le but fixé au paragraphe précédent, il ne sera jamais maintenu de forces terrestres, navales et aériennes, ou autre potentiel de guerre. Le droit de belligérance de l'État ne sera pas reconnu. »
Pourtant, comme pour l'Allemagne en Europe, la guerre froide avec la montée des menaces du bloc communiste en Russie et en Chine et surtout la guerre de Corée ont conduit à une interprétation plus souple de cette renonciation à la force.
Le Japon s'est ainsi doté dès 1954 de Forces d'autodéfense tournées vers la défense du territoire national et sans esprit offensif dirigé vers l'extérieur.
Les missions de ces forces sont limitativement énumérées par la loi. Leur mission principale consiste à défendre le pays contre des attaques directes ou indirectes afin de protéger sa terre, son indépendance et sa sécurité. En second lieu et, en cas de nécessité, elles peuvent contribuer au maintien de l'ordre public.
Cette évolution était du reste rendue nécessaire par le traité de sécurité nippo-américain, signé le 8 septembre 1951, qui supposait que le Japon puisse assurer seul sa propre défense. Dès le 1er janvier 1950, le général MacArthur avait indiqué que la Constitution ne devait pas être interprétée comme ayant retiré au Japon son droit naturel de légitime défense. Il faut rappeler que même ce droit de légitime défense, pourtant reconnu dans l'article 51 de la Charte de l'ONU, était initialement considéré comme anti constitutionnel.
Ainsi, progressivement, le Japon a renoué avec l'autonomie stratégique au gré d'une lecture constructive de la Constitution. Avec le traité de 1960 le Japon assume un rôle de plus en plus actif dans sa propre défense et le maintien de la sécurité régionale. Ces évolutions se sont traduites en 2006 par la création d'un ministère de la défense et d'un état-major des armées.
Aujourd'hui, les forces de l'autodéfense comptent environ 240 000 hommes qui se répartissent de la manière suivante :
· 44 400 hommes dans la marine (16 sous-marins - 9 frégates - 45 destroyers) ;
· 45 600 hommes dans l'aviation (270 avions de combat) ;
· et 148 300 hommes dans l'armée de terre (1 000 chars).
A l'exception de l'aviation, principalement d'origine américaine, les équipements des forces d'autodéfense sont d'origine nationale. Ils sont produits par une industrie de défense forte qui a bénéficié d'un marché captif, fermé aux coopérations internationales. On y trouve tous les grands noms de l'industrie japonaise comme Mitsubishi ou Sumitomo. Ces programmes d'équipement se sont appuyés sur un effort budgétaire limité à 1 % du PIB qui s'élevait pour l'exercice 2010-2011 à 52 milliards de dollars.
De plus, on a assisté à partir de 1991 à une interprétation supplémentaire qui a permis de surmonter l'interdiction de déploiement à l'étranger. La participation à des OMP est certes restrictive ; elles ne peuvent pas participer à des opérations de combats, elles n'interviennent qu'après un cessez-le-feu et dans des zones bien délimitées, sous commandement japonais. On arrivait ainsi à des situations où les troupes japonaises participant en Irak étaient protégées par des sociétés militaires privées. Ces restrictions s'expliquent par la crainte de subir des pertes et surtout d'être entraîné dans un conflit violent. Cela étant, la Japon participe de plus en plus efficacement par exemple à l'opération Atalanta et ouvre une base à Djibouti, c'est-à-dire une implantation militaire japonaise hors du territoire national.
L'un des principaux objectifs de ces évolutions est une meilleure intégration du Japon au sein de la communauté internationale, mais aussi la recherche de nouveaux vecteurs de puissance au moment où la puissance économique du Japon est en déclin, notamment par l'obtention d'un siège permanent au conseil de sécurité. Il s'agit bien sûr également pour le Japon de contrebalancer la montée en puissance de la Chine.
On se trouve donc face à une situation où le Japon agit de plus en plus en tant que puissance tout en restant limité dans ses capacités d'action par son opinion publique et par sa Constitution. Le parti libéral-démocrate avait pour projet une modification de l'article 9 de la Constitution. Le parti démocratique y a renoncé mais il est intéressant de constater que lors de l'entretien que nous avons eu avec le premier ministre Nakasone, celui-ci a déclaré que les limitations imposées par l'article 9 pouvaient sans doute être contournées par les progrès technologiques. Cette remarque est très caractéristique de la méthode japonaise.
Dans le domaine nucléaire, cette renonciation est bien sûr le fruit d'un passé douloureux. L'accident nucléaire de la centrale de Fukuyama ne permettra certainement pas de relancer le débat sur la disposition par le Japon d'une force nucléaire défensive. Le Premier ministre Sato avait défini les « trois principes non nucléaires » du Japon (non fabrication, non introduction et non détention). Il est significatif de souligner que ces trois principes n'ont pas de base légale, mais sont seulement une résolution de la Diète. Le gouvernement japonais a toujours refusé les demandes de légalisation de ces trois principes.
La dissuasion nucléaire est américaine et constitue clairement un élément vital de la dissuasion élargie qu'assurent les États-Unis au Japon. Pratiquement tous nos interlocuteurs ont d'ailleurs manifesté leur inquiétude après le discours du président Obama sur un monde sans armes nucléaires alors même que la ligne officielle du Japon est de militer pour le désarmement. De même, le gouvernement japonais s'est inquiété de la signature du traité New start et du risque de voir les arsenaux chinois rattraper les arsenaux américains. Ils ont souligné que ce chemin vers la parité risquait de renforcer chez les stratèges chinois un sentiment d'invulnérabilité très déstabilisateur pour la région.
2 - Le Japon dispose donc d'un instrument militaire performant qui conduit à s'interroger sur les objectifs qu'il assigne à sa défense. Cela suppose de répondre à deux questions : Quelle est la perception japonaise des menaces ? Quelle politique de défense le Japon adopte t-il pour y répondre ?
Le 17 décembre 2010, le gouvernement et le Parlement japonais ont adopté les nouvelles directives de défense qui comportent une analyse nouvelle des menaces auxquelles le Japon fait face. Alors que durant la guerre froide la menace était clairement identifiée et que la Chine maoïste n'en constituait pas une, trop occupée qu'elle était à détruire son économie de révolution culturelle en grand bond en avant, aujourd'hui les défis sécuritaires sont « multiples, complexes et interconnectés ».
Il y a très clairement un basculement de puissance vers l'Asie où la montée en force de la Chine ne rencontre que peu de contrepoids. Les nouvelles directives de défense identifient clairement la Chine comme étant une menace et cette affirmation a du reste entraîné de très vives protestations des autorités chinoises. L'identification officielle de cette menace et de celle de son client, la Corée du Nord, a conduit à réaffirmer et même à renforcer ce primat de la diplomatie japonaise qu'est la relation privilégiée, sinon quasi exclusive, avec les États-Unis.
En 2009, une alternance politique a amené le parti démocratique au pouvoir après 50 ans quasi ininterrompus de suprématie du parti libéral-démocrate. Le programme du parti démocratique prévoyait un rééquilibrage des relations qui auraient pris la forme d'un triangle équilatéral entre le Japon, la Chine et les États-Unis. Très rapidement un certain nombre d'événements ont conduit le nouveau gouvernement à réaffirmer l'axe prioritaire que constituent les relations avec les États-Unis. Nos interlocuteurs ont à plusieurs reprises souligné que c'était une relation forte avec les États-Unis qui permettait d'avoir une relation forte avec la Chine. Tout affaiblissement du lien entre les deux pays était interprété comme une faiblesse pouvant faire croire à la Chine que sa marge de manoeuvre était plus importante. Il en résultait inévitablement un regain de tension régionale.
Les essais nucléaires et les tirs de missiles balistiques en Corée du Nord, la politique très agressive de ce pays vis-à-vis de la Corée du Sud en 2010 à travers les deux crises de la destruction d'un navire militaire sud-coréen et du bombardement d'îlots appartenant au sud, le soutien indéfectible de la Chine à son allié dans ces circonstances, la crise des îles Senkaku, revendiquées par la Chine, les interventions et la présence de plus en plus fréquente de la marine chinoise aux pourtours de l'espace maritime japonais et, d'une manière générale, l'accroissement du budget de défense chinois et le manque de transparence de ses objectifs.... tout cela a rapidement amené le gouvernement japonais et le gouvernement des États-Unis à réaffirmer le caractère central de leur alliance. En particulier, Hillary Clinton a clairement rappelé en octobre 2010 que l'archipel des Senkaku, que revendique la Chine, était bien couvert par le traité de coopération mutuelle et de sécurité de 1960.
Les fondamentaux du lien Japon-Etats-Unis ont été mis en valeur auprès de la population lors de la catastrophe du 11 mars dernier. La crise a montré la force et le rôle de pivot de l'alliance avec les États-Unis. Ceux-ci ont déployé une aide multiforme, massive et spectaculaire qui a vu se déployer une vingtaine de navires dont un porte-avions nucléaire et 130 aéronefs. Les États-Unis ont mobilisé 16 000 hommes qui ont coopéré de manière étroite avec les forces d'autodéfense. Le peuple japonais a ainsi vu la réalité de la solidarité entre les deux pays dans un moment critique de son histoire.
La présence américaine au Japon avec ses 40 000 hommes stationnés, les bases américaines, que ce soit celle de d'Okinawa ou de Yokosuka où est basé le porte-avions nucléaire Georges Washington, sont indispensables à la sécurité de l'archipel et de l'ensemble de la région. Il ne fait pas de doute que la présence navale des Etats-Unis est un élément essentiel de la stabilité. Ce n'est du reste pas un hasard si la Chine qualifie cette présence de « politique d'encerclement ».
Le Japon se sent directement visé non seulement par l'accroissement de l'arsenal nucléaire chinois mais aussi par le développement de ses missiles à moyenne et longue portée dont les implantations couvrent l'ensemble de l'archipel nippon. De même, le développement de la marine chinoise, avec une composante de groupe aéronaval et la multiplication des patrouilles de sous-marins ou des exercices navals en mer de Chine, ne peuvent qu'inquiéter.
Les nouvelles directives de défense tirent les conséquences de ces analyses en retenant un concept de défense dynamique qui offre une capacité de dissuasion et de réponse renforcées. Elles procèdent également à un redéploiement de ses forces du Nord vers l'ouest, c'est-à-dire vers la Chine et la Corée du Nord. Le Japon développe également, en pleine coopération technique avec les Etats-Unis, un très ambitieux programme de défense antimissiles destiné à contrer la menace balistique coréenne mais surtout chinoise. Mais sur ce point, je laisserai Xavier Pintat qui vient, avec Daniel Reiner et Jacques Gautier, de remettre un rapport exhaustif sur la DAMB, vous présenter ses réflexions.
Cette identification de la menace chinoise a conduit également à une politique de rapprochement avec la Corée du Sud mais aussi avec d'autres pays comme l'Australie ou l'Inde ou encore avec le Vietnam et les pays de l'ASEAN. Il ne s'agit certes pas de réaliser une coalition qui s'opposerait à la Chine et à sa politique hégémonique, mais de développer des coopérations et des échanges. Le cas de Taïwan a également été cité par nos interlocuteurs qui ont souligné le risque d'absorption économique et politique qui ferait tomber un pion essentiel du réseau de sécurité en Asie.
Lors de nos entretiens, nos interlocuteurs ont clairement manifesté leur inquiétude devant les transitions politiques en cours en Corée du Nord et en Chine.
La crise de succession en Corée du Nord conduit à des provocations extérieures. C'est ce qui s'est passé en 2010 vis-à-vis de la Corée ou en 2009 avec un essai nucléaire et des tirs de missiles.
Plus grave sont les conséquences éventuelles de la transition politique en Chine. Hu Jintao quittera le pouvoir en 2013. Se pose donc la question de la relève du pouvoir et du risque d'une remise en cause de cette politique étrangère de rapprochement avec le Japon dont il s'était fait l'emblème. La Chine paraissait considérer alors que de bonnes relations avec l'allié japonais des Etats-Unis favorisaient le rapprochement sino-américain. Or Le successeur de M. Hu appartient à une faction politique proche des forces armées. Il appartient à l'élite militaro-politique qui pense pouvoir déconnecter le lien Japon Etats-Unis d'une négociation directe entre la Chine et l'Amérique. Nos interlocuteurs interprètent clairement les incidents de l'année 2010 aux abords des îles Senkaku comme le signe visible de ce raidissement politique intérieur. Il en va de même pour le soutien chinois à son allié coréen. De plus, ils craignent que d'éventuelles difficultés économiques et surtout sociales en Chine ne poussent à une fuite en avant nationaliste agressive vis-à-vis du Japon.
Pour autant, le Japon ne peut se contenter d'une politique qui définit la Chine comme une menace et qui ne peut conduire qu'à des tensions et des affrontements. La Chine est également le premier partenaire économique du Japon.
Le fait que la Chine ait dépassé le Japon en termes de PIB et qu'elle soit désormais la deuxième économie du monde n'inquiète pas outre mesure les japonais. Les commentateurs ont tenu à relativiser l'événement. Presque tous ont souligné qu'en termes de revenus par tête, les Japonais étaient encore 10 fois plus riches que les Chinois. Le différentiel de croissance entre les deux pays rendait par ailleurs inéluctable cette situation. L'inversion du rang économique au profit de la Chine a néanmoins conduit les Japonais à prendre conscience qu'une page de l'histoire était tournée.
Plus que jamais, les milieux économiques ont pris conscience de leur dépendance à l'égard de la Chine. La proximité du géant chinois n'est en général pas perçue comme une menace, du moins sur le plan économique. Pour le président de Panasonic, « avoir un voisin de 1,3 milliard d'habitants qui croît si vite est une chance pour nos entreprises ». Le Japon est conscient de l'atout que constitue pour lui une économie « post moderne ».
Même après la catastrophe du 11 mars, les capacités économiques du Japon sont intactes. Il reste la troisième puissance économique mondiale. Il demeure leader en matière d'innovation et de recherche-développement puisque 2 % de la population mondiale assurent 20 % des dépenses de R&D. Il consacre 3,8 % de son PIB à la R&D et il reste le premier créancier du monde. Par ailleurs, sa diplomatie, appuyée sur l'aide au développement reste un outil d'influence fondamentale notamment en Afrique.
C'est donc bien ce triangle des relations entre les trois pays : Japon, Etats-Unis et Chine qui est l'image clé des relations diplomatiques et de défense du Japon. Mais contrairement à ce qu'avait imaginé le premier ministre Hatoyama en 2009, ce n'est pas un triangle équilatéral. C'est bien la force de l'alliance avec les Etats-Unis qui permet au Japon d'avoir une politique forte vis-à-vis de la Chine. L'inquiétude des Japonais, c'est que ce soit l'Amérique qui se distancie du Japon pour se rapprocher de la Chine. Nos interlocuteurs nous ont fait remarquer que le futur ambassadeur des États-Unis à Pékin est l'ancien ministre du Commerce extérieur, ce qui montre, selon eux, l'importance que les Américains accordent aux relations commerciales et économiques avec la Chine.
3 - face à cette relation triangulaire structurante, les relations avec la Russie paraissent nettement plus simples.
La contestation territoriale qui porte sur quatre îles de l'archipel des Kouriles continue à opposer les deux pays et explique qu'un traité de paix ne soit toujours pas signé entre le Japon et la Russie depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
Dans un contexte électoral en Russie, cette question a rebondi à l'occasion de visites de M. Dmitry Medvedev et d'autres ministres russes. Ces visites ont donné lieu à des manifestations nationalistes de part et d'autre.
Au-delà des arguments juridiques qu'avancent les deux parties, le blocage de la position japonaise s'explique par l'existence d'autres contentieux territoriaux avec la Chine ou avec la Corée du Sud. Une négociation avec la Russie serait considérée comme une faiblesse dans les autres contentieux. Par ailleurs, le courant nationaliste d'extrême droite japonais s'appuie sur ce conflit pour jouer un rôle politique. L'intérêt des deux parties s'explique aussi par les ressources halieutiques de la zone ainsi que par ce que ces îles permettent à la Russie de contrôler le passage entre la future route du nord par le pôle et le Pacifique.
Pourtant, la tendance générale est plutôt à l'amélioration des relations entre les deux pays en particulier autour du développement de la Sibérie et de ses immenses ressources naturelles. C'est du reste l'un des arguments du Japon qui met en avant ses capacités financières et technologiques pour la mise en valeur de la Sibérie et qui serait sans doute prêt à un certain nombre de concessions en échange d'un geste sur les Kouriles.
La vente à la Russie de bâtiments de type Mistral inquiète le Japon en cas de déploiement de ce bâtiment de projection et de commandement au Kouriles. Comme vis-à-vis de nos interlocuteurs des pays baltes, j'ai fait remarquer que, même avec un certain nombre de transferts de technologies, la France vendait à la Russie un bâtiment multifonctions et non un système d'armes.
4 - Dans ce contexte de primauté de la relation bilatérale nippo-américaine reste t-il une place pour une coopération en matière de défense et d'armement pour la France mais aussi pour d'autres pays et notamment le Royaume Uni ?
Il est évident qu'il existe un souhait de voir se desserrer le caractère trop exclusif des relations nippo-américaines mais la réalité remet rapidement ce rêve à sa juste mesure. En matière de sécurité et de garanties, la France, le Royaume-Uni ou encore l'Europe ne constituent évidemment pas le début d'une alternative.
L'Europe, comme ailleurs, n'est pas un acteur politique au Japon. L'une des seules préoccupations de nos hôtes japonais a porté sur la levée éventuelle de l'embargo européen sur les armes vis-à-vis de la Chine. Sur ce point, j'ai indiqué que tout dépendait de la politique chinoise. Une politique de paix, de transparence et de bonnes relations avec ses voisins, pourrait conduire à une éventuelle levée de cet embargo. Mais celle-ci ne semble naturellement pas à l'ordre du jour dans la mesure où le développement militaire de la Chine pose aux pays voisins, mais aussi à la communauté internationale, un certain nombre de questions que les autorités chinoises laissent sans réponses. Cela étant, une réflexion de bon sens consiste à faire remarquer que la Chine peut développer seule les armements dont elle a besoin.
Des possibilités de coopération existent-elles en matière de programme d'armement ?
Le Japon fait face aux mêmes difficultés financières et budgétaires que la plupart des puissances économiques mondiales. Ces difficultés ne pourront que s'accentuer avec les conséquences du 11 mars dont le coût de reconstruction est estimé à 300 milliards de dollars. Si l'aide au développement a déjà été amputée de 500 M$, le budget de défense pourrait être impacté par les besoins prioritaires de la reconstruction. Par ailleurs, le Japon fait face à d'autres défis que celui de sa défense et, en particulier, celui du vieillissement de sa population. Les seniors constituent déjà 23 % de la population et la population active devait passer de 82 millions en 2010 à 52 millions en 2050. Et ceci dans un pays qui traditionnellement n'a recours à l'immigration que de manière très marginale. C'est dire qu'il existe aussi des priorités autres que celles de la défense quand la sécurité est assurée par l'alliance américaine. On retrouve la problématique de la construction d'une PSDC face au bouclier de l'OTAN en Europe.
Quoi qu'il en soit dans ce contexte, maintenir un budget aux alentours d'1 % du PIB n'est pas évident. Des marges de manoeuvre existent cependant en termes de coûts. En effet, l'industrie nippone a bénéficié depuis toujours d'un marché captif où la concurrence n'existait pratiquement pas et où les grands groupes se partageaient les marchés par entente. Les restrictions budgétaires conduiront donc probablement à des économies et donc à la possibilité, tout en maintenant l'enveloppe budgétaire, de continuer les principaux programmes.
Quoi qu'il en soit, nos interlocuteurs - que ce soit au niveau du parlement, ou du Keidanren - ont tous avancé les mêmes arguments que nous développons nous-mêmes au niveau européen pour justifier des coopérations et des mutualisations qui sont indispensables. L'exemple de la coopération entre la France et le Royaume-Uni a, en particulier, été citée.
Ces souhaits restent très largement formels pour deux raisons :
· Les marchés publics japonais sont très peu transparents dans leurs procédures et un certain nombre de barrières non tarifaires permettent d'écarter les entreprises concurrentes, surtout quand elles sont étrangères. C'est ainsi que notre pays a vu une offre de la société Eurocopter écartée au profit d'une offre nippo-américaine pour le renouvellement de la flotte d'hélicoptères de sauvetage en mer, marché qui portait sur 2 milliards d'euros. De même, Thalès a été écarté du renouvellement du système de contrôle du transport aérien au profit d'un consortium japonais. Cette remarque sur l'opacité des marchés publics ne vaut pas seulement évidemment dans le domaine des armements. Le premier ministre Nakasone nous a néanmoins indiqué qu'un projet de réforme était en cours d'examen. La clarification de ces points est un préalable au lancement définitif des négociations pour un accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Japon. Lors du Sommet UE-Japon, qui s'est tenu fin mai, les préoccupations exprimées par les Etats membres sur le volet commercial, dont la France, ont été prises en compte. Ainsi, il a été décidé que l'ouverture des négociations d'un accord de libre échange dépendrait de l'obtention d'un résultat satisfaisant dans le cadre de l'étude de paramétrage (Scoping) qui va être lancée entre la Commission et les autorités japonaises. Un mandat de négociation ne serait élaboré que si cette étude aboutissait à des résultats. La transparence des marchés publics et la suppression des barrières non tarifaires en font naturellement partie.
· La seconde raison qui rend toute coopération quasi impossible tient à la limitation stricte des possibilités d'exportation de matériels développés en commun. Le contrôle des exportations, y compris de technologies duales, est strictement encadré par les trois principes définis par le Parlement en 1967. Ces trois principes interdisent l'exportation d'armement vers des pays du bloc communiste, vers les pays où les exportations d'armement sont interdites par des résolutions des Nations unies et vers des pays qui sont impliqués, ou qui pourraient l'être, dans un conflit international. Ce principe établi par le gouvernement du premier ministre Sato a été renforcé en 1976 par le premier ministre Miki, aboutissant à une quasi impossibilité d'exporter et donc de coopérer. Le patronat japonais avait milité en 2010 pour que ces principes soient interprétés de manière plus souple dans les nouvelles directives de défense. Toutefois le parti démocratique, pour des raisons d'équilibre politique, n'a pas inscrit cette mesure.
Les représentants du patronat que nous avons rencontrés ne nous ont laissé que très peu d'espoir pour que cette adaptation soit faite à court terme. Si je cite le compte rendu de notre entretien au Keidanren, ses représentants ont déclaré : « S'agissant des projets de coopération entre entreprises françaises et entreprises japonaises, des contacts existent mais les négociations n'ont pas été poussées très loin. Il n'y a pas de projet de joint-venture car on ne peut même pas exporter la technologie japonaise en Europe. On peut par contre avoir des partenariats privés en dehors du domaine militaire. Le développement de contrat n'est pas exclu mais les trois principes limitent les possibilités d'action. Le Japon peut importer des produits français pour les utiliser mais ne peut les exporter une fois intégrés dans sa technologie. Cela exclut une véritable coopération aujourd'hui. »
Comme nous l'avait fait remarquer l'un des représentants des entreprises françaises installées au Japon, l'investissement dans ce pays s'inscrit dans le long terme. On ne peut qu'espérer que cette patience finisse par porter ses fruits.
En conclusion, et avant de passer la parole à Xavier Pintat et à Dominique Voynet, je voulais souligner que ce voyage a été extrêmement utile et intéressant et que j'ai invité nos homologues du Sénat japonais à nous rendre cette visite en 2012. La relation avec le Japon, pays avec lequel nous partageons les mêmes valeurs, suppose, comme je l'indiquais à l'instant, de l'inscrire dans le temps et la durée. Il existe je crois de réelles opportunités de travailler ensemble sur des sujets d'intérêt commun.
Le Japon est un pays fascinant qui allie tradition et modernisme. Nous ne pouvons qu'être frappés par le courage, la résilience, la solidarité dont le peuple japonais a fait preuve. Il faut également souligner le gout du travail bien fait, jusque dans les moindres détails même si celui-ci conduit parfois au protectionnisme et au repli sur soi.
L'accident nucléaire de Fukushima illustre dans une certaine mesure l'absence d'échanges auquel peut conduire une trop grande certitude. Ce fut le cas de Tepco dont tout laissait à penser qu'il avait tout prévu mais qui a été pris au dépourvu devant une catastrophe qui le dépassait.
La défense japonaise est très en avance en matière de DAMB. Ils développent une nouvelle génération du missile SM3 Bloc 2A, en pleine coopération avec les Etats-Unis qui souhaitent le mettre à disposition de l'OTAN en 2018. Cette volonté des Américains se heurte pour l'instant aux trois principes de limitation des exportations. Nous n'avons pas obtenu de réponse claire sur les possibilités d'interprétation de ces principes dans le cas de la DAMB.
Confrontés à ces principes qui limitent de facto les possibilités de coopération et au caractère peu transparent des marchés publics, les entreprises françaises de l'armement que nous avons rencontrées manifestent leur mécontentement.
Votre rapport a été assez elliptique sur l'accident de la centrale nucléaire de Fukushima et ses conséquences. N'y a-t-il pas eu une connivence entre l'entreprise, l'Etat et les autorités de sûreté qui a abouti à un contrôle insuffisant ?
Nous avons eu l'impression que les autorités japonaises avaient décliné les propositions d'aide française, notamment l'envoi de robots, au début de la catastrophe puis que cette attitude avait changé. La France peut apporter beaucoup en matière de sûreté nucléaire.
La mission de notre commission portait essentiellement sur nos domaines de compétences : défense et politique étrangère. Néanmoins nous avons abordé cette question avec presque tous nos interlocuteurs qui ont d'ailleurs fait part de leur reconnaissance pour l'aide et la solidarité françaises que ce soit celle de notre Gouvernement ou celle d'AREVA. Il me semble que les autorités japonaises ont fait leur autocritique sur la question de la sûreté et les faiblesses du contrôle. Ils envisagent la création d'une autorité publique.
C'est un évènement qui va marquer profondément la politique japonaise. Parmi nos interlocuteurs, M. Kenichi Ohmae a été très critique vis-à-vis du gouvernement et a dénoncé les liens entre le ministère, les autorités et l'entreprise Tepco. Le Premier ministre Kan a annoncé un effort important en faveur des énergies renouvelables mais les ressources du Japon en la matière sont assez limitées ce qui implique nécessairement l'existence d'une policy mix. Une sortie du nucléaire conduirait à une envolée de plus de 50 % des prix de l'électricité.
Une des leçons que je tire de notre mission est l'extraordinaire courage de la population, sa discipline et sa capacité de résilience. On imagine mal ce qui se serait passé en France dans des circonstances identiques. Il n'en demeure pas moins que cette crise a généré un profond sentiment de méfiance et une perte de confiance dans les autorités politiques. Tous les observateurs s'accordent à penser que les jours du gouvernement Kan sont comptés. La crise accentue ainsi l'instabilité politique du Japon.
Comment le Japon envisage t-il la menace nord coréenne ? Sur la catastrophes nucléaire, peut-on imaginer que les Japonais, qui sont par bien des côtés à la pointe de la technologie, aient été aussi peu informés que les Russes lors de Tchernobyl ? J'ai du mal à croire qu'avec des process aussi compliqués ils aient été si peu informés. Avec plus d'humilité, le désastre aurait il pu être évité ?
Je ne pense pas que ce soit une question de mauvaise information. Après le tsunami il y a eu une complète désorganisation et une coupure des communications. Il a fallu du temps pour évaluer la situation dans toute son ampleur.
S'agissant de la Corée du Nord, le Japon est naturellement très attentif mais le véritable problème c'est la Chine. La Corée du Nord connait une crise de succession. Le nucléaire, comme les autres provocations militaires, sont instrumentalisés à des fins de politique intérieure.
Pour le Japon, ça n'a pas été une réaction d'orgueil qui explique les retards de réaction dans le traitement de la situation mais un très réel désarroi devant le caractère imprévu de l'ampleur de la catastrophe.
Il y a un an, la DGA m'avait demandé de conduire une mission au Japon pour encourager le développement de la coopération entre entreprises françaises et japonaises et pour renforcer les contacts entre parlementaires. Les perspectives de développer des coopérations ont-elles progressé ?
Dans le domaine militaire, les coopérations seront très difficiles, en dehors de celles que le Japon développe avec les Etats-Unis en matière de DAMB. Les restrictions aux exportations en sont la cause principale. Pourtant les restrictions budgétaires qui toucheront la défense rendent logique la recherche de mutualisation. Il existe plus de possibilités de coopérations dans le domaine civil, dans le nucléaire en particulier.
Les contacts entre parlementaires sont très utiles comme l'a montré notre mission et c'est la raison pour laquelle j'ai invité nos homologues du Sénat japonais à nous rendre notre visite en 2012.
Vis-à-vis de la menace chinoise, il est probable que le Japon a la capacité de produire des armes nucléaires dans un délai très court. Existe-t-il un risque de conflit avec la Chine sur la question des terres rares ?
L'analyse japonaise vis-à-vis de la Chine est ambivalente : elle est identifiée à la fois comme une menace mais aussi comme un immense marché. Dans les deux cas il faut faire de la Chine un partenaire et non un adversaire. Je ne crois pas que la Chine soit impérialiste, tout au moins au sens où nous l'entendions pour le Japon dans les années 30. Sur le nucléaire militaire il est évident que le Japon a tous les moyens et toutes les compétences pour produire des armes atomiques.
Pouvez-vous nous préciser quels sont les enjeux du conflit des Kouriles entre la Russie et le Japon ?
Même s'il existe une grande sensibilité sur cette question, les Kouriles ne sont pas l'Alsace Lorraine du Japon. Cette question empêche la conclusion d'un traité de paix entre les deux pays. Les Japonais estiment que la Russie a une attitude humiliante et provocatrice par les visites de haut niveau effectuées. Ils n'oublient pas la victoire du détroit de Tsushima en 1905 où la flotte impériale russe avait été coulée par la marine japonaise, ce qui fut l'un des principaux facteurs de la défaite russe dans la guerre qui opposait les deux pays. Ces évènements ont joué un rôle important dans l'effondrement progressif du tsarisme.