La commission examine le rapport pour avis sur la proposition de loi n° 33 (2011-2012), adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives.
Pour la quatrième fois depuis 2007, le Sénat est saisi d'une proposition de loi de simplification du droit élaborée par Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Notre commission est saisie pour avis d'une quarantaine d'articles qui touchent essentiellement au droit du travail et au droit de la sécurité sociale.
Le dépôt de cette proposition de loi, le 28 juillet dernier, a été précédé d'une longue phase de concertation et d'une analyse technique approfondie. Dès janvier, Jean-Luc Warsmann avait été chargé par le Président de la République d'une mission de réflexion sur la simplification des normes applicables aux acteurs économiques et sur l'allégement des formalités administratives. Dans ce cadre, il a mené près de soixante-dix auditions. Son rapport final, riche de deux cent quatre-vingts propositions, a été remis en juillet 2011. En parallèle, le secrétariat d'Etat en charge du commerce, des PME et de l'artisanat a organisé vingt-deux assises régionales de la simplification de la réglementation, puis des assises nationales le 29 avril dernier. La proposition de loi est le fruit de ce travail, qui a associé les acteurs de terrain. Enfin, le président de l'Assemblée nationale a soumis le texte au Conseil d'Etat. Une partie des amendements adoptés par l'Assemblée en première lecture s'inspirent directement de son avis, rendu le 19 septembre.
Les articles dont nous sommes saisis sont d'importance inégale. Je commencerai par ceux relatifs au droit du travail. La proposition de loi comporte d'abord plusieurs mesures ponctuelles de nature à améliorer la situation des salariés.
Aujourd'hui, les salariés licenciés en raison d'une inaptitude d'origine non professionnelle peuvent se retrouver privés de revenus pendant plusieurs mois. Pour résoudre ce problème, l'article 41 prévoit que le contrat de travail soit rompu dès la notification du licenciement, ce qui permettra au salarié d'être indemnisé sans délai par l'assurance chômage. L'article 42 simplifie les conditions pour que le salaire soit maintenu pendant les jours fériés chômés : il suffira que le salarié ait trois mois d'ancienneté dans l'entreprise. L'article 43 supprime la condition d'ancienneté minimale de dix jours à laquelle est subordonnée l'ouverture du droit à congés payés ; cette mesure, indispensable pour nous conformer au droit européen, bénéficiera essentiellement aux salariés précaires, en CDD ou en intérim.
Ces dispositions apportent donc davantage de sécurité au salarié. Tel n'est pas le cas de l'article 46, qui rend moins fréquente l'actualisation du document unique d'évaluation des risques professionnels dans les très petites entreprises (TPE). Cette mesure enverrait un mauvais signal aux chefs d'entreprise. Il ne faut pas relâcher l'effort de prévention des risques professionnels, notamment dans les petites structures. En conséquence, je vous proposerai un amendement de suppression de cet article.
Sept articles visent à harmoniser les seuils d'effectifs qui conditionnent le déclenchement de certaines obligations à la charge des entreprises. Si la plupart des modifications proposées sont purement formelles, certaines auraient eu pour effet d'amoindrir légèrement les recettes des collectivités territoriales ou de la sécurité sociale, ce qui a conduit l'Assemblée nationale à les supprimer. Compte tenu de la situation des finances locales et sociales, je vous proposerai d'en confirmer la suppression.
D'autres mesures visent à conforter la place de la négociation collective. L'article 39 bis introduit une obligation de négocier lorsqu'une convention collective prévoit des minima salariaux inférieurs au Smic, afin de lutter contre « l'écrasement » de la grille des salaires au voisinage du Smic. L'article 40 précise que la mise en oeuvre d'un accord de modulation du temps de travail n'entraîne pas de modification du contrat de travail, ce qui facilitera l'application des accords conclus en matière d'aménagement du temps du travail. L'article 75 autorise le mandatement dans les très petites entreprises de presse afin qu'elles puissent conclure des accords sur les droits d'exploitation des oeuvres des journalistes, question qui relève de la négociation collective.
L'article 49 précise les obligations de certification des comptes qui incombent aux partenaires sociaux : il revient sur la différence de traitement, injustifiée, entre les organisations qui établissent des comptes consolidés et celles qui optent pour l'« agrafage », qui consiste à annexer à leurs propres comptes ceux des entités qu'elles contrôlent. Je vous proposerai, par amendement, de soumettre les comités d'entreprise, au-delà d'un certain budget, à des obligations de publication et de certification des comptes analogues à celles applicables aux syndicats. Leur gestion en sera plus transparente et les doutes que certaines affaires récentes ont pu susciter seront dissipés.
En matière de contrôle des infractions à la législation du travail, l'article 48 prévoit qu'avant de transmettre son procès-verbal au procureur de la République, l'inspecteur du travail informe l'employeur des faits susceptibles de constituer une infraction pénale, ainsi que des sanctions encourues. Cela renforcerait le caractère contradictoire de la procédure et aurait aussi une vertu pédagogique.
Le télétravail, qui concerne des centaines de milliers de personnes, est sans doute appelé à se développer. Or le code du travail est muet sur le sujet. La proposition de loi reprend donc la définition élaborée par les partenaires sociaux dans leur accord national interprofessionnel de 2005 et précise les obligations de l'employeur, qui devra notamment prendre en charge les frais afférents et organiser au moins un entretien annuel avec le salarié.
Les articles 64 à 66 étendent aux employeurs agricoles et à leurs salariés des droits ou obligations qui existent déjà dans le régime général : possibilité d'acquérir des droits à retraite complémentaire au titre des congés pour événements familiaux, obligation de s'assurer que les sous-traitants se sont acquittés de leurs cotisations et contributions sociales afin de lutter contre le travail au noir, extension de l'intéressement au conjoint collaborateur. Je vous proposerai d'approuver ces mesures d'harmonisation, sous réserve de quelques améliorations rédactionnelles.
J'en arrive aux mesures qui concernent la sécurité sociale, dont l'objectif est de simplifier la vie des entreprises en dématérialisant les procédures, en allégeant leurs obligations déclaratives et en renforçant la sécurité juridique.
Les articles 37 et 37 bis, qui concernent respectivement le régime général et le régime agricole, étendent l'obligation de déclarer et de payer leurs cotisations sociales par voie électronique aux entreprises qui versent plus de 50 000 euros de cotisations dans l'année, contre 150 000 euros aujourd'hui. L'article 30 met en place, en deux étapes, au 1er janvier 2013 et au 1er janvier 2016, une déclaration sociale nominative (DSN) regroupant l'essentiel des déclarations effectuées par les employeurs auprès des organismes de protection sociale ; l'article 44 harmonise les définitions relatives aux assiettes et aux taux des cotisations et contributions sociales, ce qui permettra également de simplifier le bulletin de paie des salariés. Les articles 36 et 36 bis favorisent le recours au rescrit social, qui permet à une entreprise d'obtenir d'un organisme de recouvrement une décision explicite sur l'application de la législation à sa situation, l'organisme étant lié par la position qu'il a prise. Les entreprises seraient autorisées à interroger les organismes de recouvrement sur de nouveaux sujets, dont les règles de déclaration et de paiement des cotisations. Passé un certain délai, le silence de l'organisme de recouvrement vaudrait acceptation. Enfin, l'article 36 ter exclut tout nouveau contrôle des administrations de sécurité sociale pour des périodes et sur des points de législation ayant déjà donné lieu à un contrôle, hormis en cas de réponses inexactes ou incomplètes, de fraude, de travail dissimulé ou de demande de l'autorité judiciaire.
J'en viens aux articles relatifs à la politique de la famille et de l'enfance. L'article 93 bis A consacre dans la loi l'existence des unions régionales des associations familiales (Uraf). Cette mesure est attendue depuis longtemps par les associations familiales : nous avons tous été sollicités ! J'observe toutefois que l'article adopté par les députés modifie aussi les modalités de désignation des membres des unions départementales, les Udaf, ce qui pourrait avoir pour effet d'en exclure certaines associations. Cette disposition ne me paraît pas opportune ; je vous proposerai de la supprimer.
Enfin, j'en termine en évoquant la situation complexe des moniteurs de colonies de vacances, titulaires d'un contrat d'engagement éducatif qui déroge, sur certains points, au code du travail. Ainsi, ils ne bénéficient pas des onze heures de repos quotidien garanties par le code du travail et par la directive de 2003 relative à l'aménagement du temps de travail. La Cour de justice de l'Union européenne a jugé cette situation contraire au droit européen ; elle a aussi considéré que, compte tenu des contraintes de fonctionnement propres aux colonies, le repos quotidien pouvait être remplacé, par dérogation, par un repos compensateur. L'article 92 bis A introduit donc dans notre législation un tel régime dérogatoire : chaque moniteur aurait droit à onze heures de repos quotidien mais ce repos pourrait être remplacé, en tout ou partie, par un repos compensateur, pris pendant ou à la fin du séjour.
Faute d'un tel article, les colonies de vacances seraient tenues d'appliquer le droit commun, ce qui les obligerait à embaucher un grand nombre de moniteurs supplémentaires. Outre qu'elles trouveront difficilement suffisamment de personnel qualifié, une telle obligation entraînerait une hausse considérable de leurs frais de fonctionnement, qui se répercuterait inévitablement sur les familles et sur les collectivités locales qui financent des départs en vacances. In fine, ce sont les enfants qui seraient pénalisés. Il est donc urgent d'adopter ce régime dérogatoire, compromis entre le droit au repos, les réalités du fonctionnement des colonies et les contraintes budgétaires de ceux qui les financent.
Cette proposition de loi, même si elle tient parfois de l'inventaire à la Prévert, s'attache à résoudre des problèmes concrets, qui intéressent la vie quotidienne de nos concitoyens. Je vous invite à l'adopter, sous réserve d'un certain nombre de modifications et de compléments que je vous présenterai. D'ores et déjà, je vous remercie de m'avoir accordé votre confiance en me nommant rapporteur. J'y vois un signe d'ouverture de la majorité sénatoriale. Compte tenu du caractère technique de ce texte, je ne doute pas que nous parvenions à un large accord. Celui-ci est nécessaire si nous voulons éviter certaines conséquences fâcheuses.
Au nom du groupe socialiste, je donne acte à Mme Procaccia de son rapport, et la remercie de son travail, qui s'est apparenté à un véritable ouvrage de mercerie...
Cette proposition de loi, inscrite à l'ordre du jour d'une semaine gouvernementale, est manifestement un projet de loi affublé d'un faux-nez. Il s'agit de la quatrième proposition de loi Warsmann, mais du sixième texte du genre - sans compter la loi de modernisation de l'économie et la loi de protection des consommateurs, en cours d'examen. Cela fait beaucoup pour une seule législature !
Ce texte modifie une vingtaine de codes, ainsi que des lois non codifiées. C'est dire la complexité des thèmes qu'il aborde. La commission des lois a dû saisir pas moins de quatre commissions pour avis ! Le Conseil constitutionnel, qui a pourtant interdit les lois portant « diverses dispositions », n'a manifestement pas été entendu : si l'intitulé du texte à changé, le fond reste tout aussi incohérent.
Le nombre d'articles du texte est passé de 93 à 146 après examen par l'Assemblée nationale. Combien après la lecture au Sénat ? Ces textes enflent démesurément sous un triple effet : l'administration s'en sert comme véhicule législatif pour vider ses fonds de tiroirs ; le Gouvernement en profite pour revenir sur des arrêts de la Cour de cassation qui lui déplaisent ; les lobbies nous harcèlent pour y faire inscrire leurs préoccupations. On demande aux parlementaires de sauter d'un sujet à l'autre pour bricoler des dispositifs sans aucune vision d'ensemble. Cette façon de légiférer n'est ni sérieuse, ni pertinente. Si certaines simplifications sont anodines, d'autres emportent de lourdes conséquences, notamment en matière de droit des salariés ou de santé.
Enfin, on nous demande d'examiner ce texte dans la précipitation. Quelle que soit la qualité du rapport - excellent au demeurant - je déplore ces conditions de travail. Nous restons à la surface des choses, sans pouvoir mesurer les conséquences de dispositions adoptées à l'aveugle. Ce n'est plus un travail de parlementaire, mais de presse-bouton ! Malgré les efforts de clarification du rapporteur, nous jugeons cette manière de travailler incompatible avec la démocratie représentative. Je propose donc de rejeter l'ensemble du texte, sans rentrer dans la discussion des articles.
Mme Procaccia a en effet fourni un travail important, dans un laps de temps très court. Même si je ne partage pas toujours ses propositions, je reconnais qu'elle a été au bout de sa mission, dans des conditions difficiles.
Contrairement à M. Jeannerot, j'aurais souhaité rentrer dans le vif du sujet... Je suis très impressionné par la remarquable synthèse opérée par Catherine Procaccia.
Nous avons l'habitude de travailler avec les Udaf au niveau départemental. Ne craignez-vous pas que rajouter un échelon régional ne complexifie les choses ? Quelle sera la répartition des compétences entre Uraf et Udaf ? Quid de la coordination entre les différentes associations, qui oeuvrent dans des domaines parfois complémentaires, mais aussi parfois identiques ? Les questions familiales relèvent a priori du département. Quel est l'intérêt de créer un échelon supplémentaire ? Est-ce une demande des associations ?
Au nom du groupe UMP, je salue le travail de Catherine Procaccia, ainsi que son courage : elle a été la seule à accepter ce rapport ! Une proposition de loi de simplification du droit, par définition, touche à mille sujets. L'allégement des démarches administratives facilitera la vie de nos concitoyens. Nous voterons bien entendu le rapport et les amendements proposés par notre rapporteur.
Je me joins aux compliments qui ont été faits : le rapport de Mme Procaccia est très équilibré. Reste que cette proposition de loi fourre-tout, loin de simplifier, complexifie ! Et c'est le sixième texte de ce type à rendre notre droit illisible !
C'est d'autant plus regrettable qu'il comportait des propositions intéressantes. Ainsi, si les Uraf sont souhaitées au niveau régional, elles sont contestées au niveau départemental car la représentation des associations est modifiée. Ce sujet mériterait un vrai débat, dans un autre contexte. Mais ce texte fourre-tout est inutilisable. Nous n'avons aucun moyen de mesurer les conséquences des dispositions qu'il comporte, notamment en matière de droit du travail. Je voterai résolument l'admirable rapport de Mme Procaccia, mais c'est tout aussi résolument que je voterai contre cette proposition de loi !
Les Uraf existent depuis 1986 : il s'agit seulement d'en reconnaître légalement l'existence. Pour ma part, je ne vois pas de raison à ce que seules certaines associations y soient représentées.
Je n'ai pas le sentiment d'avoir travaillé dans l'urgence. Les délais ont été bien moins contraignants que pour nombre de textes que j'ai rapportés ces dernières années ; je pense à la recodification du code du travail par exemple. Les propositions de loi Warsmann servent aussi à corriger des points de droit qui se révèlent problématiques. Notre commission n'était saisie que de quarante articles. J'ai eu le temps d'organiser des auditions, ouvertes à tous les sénateurs. Sans doute les choses ont-elles été moins faciles pour le rapporteur au fond...
Certes, ce texte est celui des « lobbies », quoique je me demande si l'on doit considérer comme tels les associations et les syndicats... Ceux-ci sont venus me faire part des problèmes qu'ils rencontrent. J'ai écarté les propositions qui ne relevaient pas, à mon sens, de la simplification du droit et me suis efforcée de maintenir la cohérence du texte.
La mesure la plus attendue est celle relative aux moniteurs de colonies de vacances. Si elle n'est pas adoptée avant janvier, je ne sais pas comment les collectivités locales feront pour organiser les colonies. On ne peut appliquer partout les onze heures de repos quotidien.
Les inscriptions sont déjà lancées : qu'allons-nous faire des enfants ? Cette mesure est vitale pour les collectivités. D'autres améliorent le sort des salariés. Je vous mets face à vos responsabilités.
A mon tour de remercier Catherine Procaccia. Certes, ce texte est un catalogue de mesures, mais c'est difficilement évitable... Il est dommage de le balayer d'un revers de manche, alors que la vie est faite de détails.
Je vous rappelle que la session s'achève le 25 février : comment fera-t-on pour régler les problèmes d'ici là ?
Il y aura d'autres occasions pour régler le problème des moniteurs de colonie, tout n'est pas figé. J'entends vos préoccupations, et nous les partageons, mais ce texte n'est pas le véhicule approprié.
Si nous considérons que ce texte n'est pas améliorable, il convient, comme l'a proposé M. Jeannerot, de le rejeter d'emblée, sans aborder le détail des articles ni l'examen des amendements préparés par le rapporteur. Une commission saisie pour avis peut émettre un avis défavorable à l'adoption de l'ensemble des articles qu'elle examine. Je mets aux voix cette proposition.
La commission donne un avis défavorable à l'adoption des articles dont elle était saisie pour avis.