La commission entend une communication de Mme Annie David, présidente, sur l'application des lois.
Conformément aux instructions du Bureau du Sénat, les commissions permanentes présentent, chaque année, un bilan de l'application des lois intervenues dans leur domaine de compétences. La synthèse de leurs travaux fait traditionnellement l'objet d'une communication du Président du Sénat en conférence des présidents et est annexée au compte rendu des commissions. Ceci étant, la création récente d'une nouvelle commission spécifiquement chargée de l'application des lois a conduit la conférence des présidents à organiser une procédure différente cette année : le 7 février prochain, nous aurons un débat en séance publique au cours duquel s'exprimeront notamment tous les présidents de commission.
Permettez-moi de rappeler combien cet exercice est fondamental, d'abord pour mesurer le degré de difficulté pratique d'application de la législation que nous votons mais, plus encore, pour savoir si les lois adoptées cette année et au cours des précédentes sessions s'appliquent réellement. Cela devrait aller de soi, mais qu'en est-il exactement ?
Au cours de la session ordinaire 2010-2011, le bilan de l'année parlementaire écoulée s'établit ainsi : quarante-huit lois adoptées par le Parlement, contre cinquante-neuf l'an passé. Sur ces quarante-huit lois, sept ont été examinées, au fond, par notre commission, c'est-à-dire deux de plus que l'an dernier : la loi complétant les dispositions relatives à la démocratie sociale ; la loi portant réforme des retraites ; la loi relative à la gestion de la dette sociale ; la loi de financement pour 2011 ; la loi portant adaptation au droit européen en matière de santé, de travail et de communications électroniques ; la loi relative aux soins psychiatriques ; la loi relative à la bioéthique.
Vous le constaterez avec moi, il ne s'agit que de textes lourds, portant sur des sujets essentiels.
Qui plus est, les commissaires déjà élus avant septembre dernier se rappellent sans doute combien l'activité législative s'est poursuivie de manière intense au cours de la session extraordinaire, puisque cinq autres lois ont été alors adoptées dans notre secteur : la médecine du travail, le développement de l'alternance, le premier collectif social de notre histoire financière, la proposition de loi Blanc sur les MDPH et la proposition de loi Fourcade sur l'adaptation de la loi HPST. Là encore, des textes fondamentaux mais qui sont hors champ de ces statistiques. Nous les retrouverons dans celles de l'année prochaine.
Pour être complet, il faut ajouter à notre plan de charge : les huit rapports que nous publions au titre de notre contribution à l'examen de la loi de finances ; le rapport de mission consacré à la situation sanitaire et du logement en Martinique et en Guyane ; les quatre textes sur lesquels nous étions saisis pour avis (« simplification du droit - Warsmann III », « finances publiques 2011-2014 », « lutte contre l'habitat indigne » et le projet de loi constitutionnel relatif à l'équilibre des finances publiques) ; les quatre propositions de loi étudiées à l'initiative des groupes : « recherches sur la personne » dont la CMP s'est tenue hier et a abouti, « aide active à mourir », « expulsions locatives » et « congé maternité ».
Enfin, n'oublions pas que la commission a largement contribué à deux missions communes d'information, respectivement sur Pôle emploi et sur le Mediator, et qu'elle a publié cette année sept rapports d'information.
Bref, notre sentiment d'une activité intensive l'an dernier était plus que largement fondé.
J'en viens maintenant à l'application des lois proprement dite.
Première observation, vraiment encourageante : le taux d'application des textes votés l'an dernier est bien plus satisfaisant que celui de l'année précédente. Sur les sept lois que j'ai mentionnées, deux sont entièrement en vigueur : (« dette sociale », qui était d'application directe, et « démocratie sociale », celle-ci ayant déjà reçu les six mesures qu'elle appelait) ; quatre le sont en partie, à hauteur de 81 % en moyenne, taux particulièrement élevé qu'il convient de souligner car c'est notamment le cas de la loi de financement pour 2011 (à 72 %) et de la réforme des retraites (à 84 %) ; en revanche, la dernière loi, « bioéthique », n'est pas du tout applicable mais cette situation était attendue car, en raison de la complexité des mesures réglementaires à prendre, il avait été annoncé par le secrétariat général du Gouvernement, le SGG, qu'elles ne commenceraient d'intervenir qu'à compter de mars 2012.
Globalement, les lois votées cette année appelaient 168 mesures d'application, soit presque trois fois plus que celles votées l'an dernier (61 mesures) et elles constituent le tiers des mesures appelées par l'ensemble des lois adoptées par le Parlement durant cette session (543 mesures).
Sur cet objectif de 168 mesures, les services en ont publié 130, soit un taux de 78 %. C'est un résultat très spectaculaire et le record jamais atteint en la matière. Le précédent, établi en 2008, était de 45 % et l'année dernière avait présenté la meilleure contre-performance en n'enregistrant que 16 % seulement des mesures d'application nécessaires.
Il convient toutefois de nuancer notre satisfaction. En effet, toutes ces comparaisons se trouvent biaisées par le fait que le bilan est établi cette année à la date du 31 décembre tandis que la pratique habituelle arrêtait les compteurs au 30 septembre. Ce délai supplémentaire de trois mois a naturellement contribué à améliorer la situation d'ensemble.
Enfin, dernier élément positif : les mesures effectivement publiées ont respecté, dans 62 % des cas, le délai de six mois prévu par la circulaire du Premier ministre du 1er juillet 2004. Ce taux n'était que de 50 % l'an dernier, ce que nous avions déploré.
J'en viens maintenant aux lois plus anciennes pour lesquelles la situation est également plutôt favorable.
Cette année, 73 nouvelles mesures réglementaires ont été prises pour les lois votées lors de sessions antérieures. C'est moins qu'en 2010 (192 mesures) mais bien plus que lors des deux années précédentes où l'on en comptait respectivement 57 et 58. La diminution par rapport à l'an dernier s'explique par l'effet volume important suscité par la loi HPST qui, à elle seule, avait entraîné la parution de 105 mesures et dont le taux d'application s'établit désormais à 77 %.
Toujours au titre des bonnes nouvelles, j'évoquerai la loi « formation professionnelle », promulguée en novembre 2009 et applicable à 87 % et deux lois devenues désormais pleinement applicables : la loi en faveur des revenus du travail du 3 décembre 2008 et celle relative à l'accompagnement d'une personne en fin de vie du 2 mars 2010.
J'en viens à des considérations moins favorables car, après cette présentation louangeuse, je me dois de vous indiquer quelques motifs d'insatisfaction.
D'abord, quelques lois récentes restent insuffisamment applicables :
- aucun des trois décrets attendus depuis presque deux ans sur la loi « maisons d'assistants maternels » n'a encore été pris. Certes, ces maisons n'en ont pas besoin pour fonctionner mais c'est fâcheux s'agissant d'un dispositif législatif issu d'une véritable initiative parlementaire ;
- les lois de financement pour 2007, 2008 et 2009 ne sont toujours pas pleinement applicables, leur taux s'établissant respectivement à 77 %, à 92 % - soit aucun progrès en un an - et à 84 %, contre 80 % l'an dernier. Il est très regrettable que, pour des textes aussi fondamentaux, le travail ne soit pas achevé.
Ensuite, j'ai le sentiment que si le Gouvernement porte son effort sur certaines lois emblématiques, je citerai « HPST » ou « formation professionnelle » notamment, c'est aux dépens d'autres, qu'il semble avoir oubliées.
Cette situation est manifeste pour la loi « participation et actionnariat salarié », votée le 30 septembre 2006 et qui plafonne à 71 % d'applicabilité depuis octobre 2008, aucune activité nouvelle n'ayant été décelée sur ce texte à ce jour.
En ce qui concerne les délais de parution de ce stock de mesures en attente, la situation est infiniment moins satisfaisante que pour les lois récentes : les textes parus dans un délai inférieur à un an ne représentent que 30 % du total, soit deux fois moins bien que l'an dernier où il s'établissait à 58 %. Il en résulte que 70 % des décrets parus sur des lois antérieures à 2011 le sont au bout d'un an, voire plus.
Si cet exercice, certes laborieux, de statistique est toujours instructif, permettez-moi tout de même de souligner cette année les limites de l'exercice.
Notre source d'information est le site Légifrance, qui retrace les échéanciers de parution des textes réglementaires établis à partir des informations transmises par le SGG. Or, bien que très utile, il demeure imparfait car il ne reflète que l'état de parution des décrets, simples ou en Conseil d'Etat : or, il faut rappeler que le Gouvernement a, le plus souvent, le choix du bon vecteur, par exemple en recourant à des arrêtés qui, eux, ne seront pas recensés.
En sens inverse, il arrive parfois que la parution d'une mesure ne corresponde qu'imparfaitement aux souhaits du législateur et ne suffise pas à rendre la loi applicable.
Sur le plan pratique, certaines mesures réglementaires ne précisent pas l'article de la loi auquel elles se rapportent, ce qui trouble l'exactitude statistique. Pire encore, il arrive que des décrets soient d'un volume si considérable qu'ils restent d'une appréciation impossible pour les parlementaires que nous sommes, sans parler du citoyen qui ambitionnerait de s'y retrouver.
Nous faisons traditionnellement un petit point sur l'urgence - on doit dire désormais « procédure accélérée » - afin de contrôler si elle se traduit justement par un effet d'accélération sur les délais de parution des mesures réglementaires. Cet exercice n'était pas probant car, depuis 2006, nous avions observé qu'elle produisait l'effet inverse, avec des performances plus médiocres encore qu'en procédure classique. Cette année, nous rompons avec cette tradition : on constate une performance bien meilleure des lois votées selon cette procédure qu'en mode classique (83 % contre 63 %).
J'en viens au suivi réglementaire des dispositions législatives issues d'initiatives sénatoriales votées en 2010-2011. Leur taux d'application s'établit cette année au niveau honorable de 72 %, certes inférieur à celui des mesures proposées par le Gouvernement ou par les députés (79 %) mais heureusement supérieur aux 12 % de l'an dernier, ce qui n'avait pas manqué de nous stupéfier. Il est visible que, désormais, les services ministériels prêtent une attention plus soutenue aux mesures proposées par les sénateurs ou les députés.
Ceci étant, on constatera, pour le déplorer, qu'aucune loi adoptée cette année ne provenait d'initiatives parlementaires, quelle que soit l'assemblée en cause, et ce malgré les modalités de répartition de l'ordre du jour résultant de la révision constitutionnelle de juillet 2008. J'ajoute aussitôt que nos statistiques seront meilleures l'an prochain puisque trois propositions de loi ont été adoptées en session extraordinaire à l'initiative du Sénat (médecine du travail, MDPH et HPST).
Je finirai par les fameux rapports régulièrement demandés au Gouvernement, et les statistiques confirment notre sentiment : ils sont bien peu opérants. Sur les 167 rapports réclamés par les lois adoptées entre 1997 et 2011, 69 seulement ont été effectivement remis au Parlement. Ce taux illustre de lui-même les limites de la méthode, même si l'on comprend qu'il s'agisse parfois de la seule façon, pour les parlementaires, d'attirer l'attention du Gouvernement sur un sujet sans encourir les foudres de l'article 40.
Pour cette raison, nous avions réduit nos exigences au fil des ans : les vingt-sept rapports demandés par notre commission en 2004 n'étaient plus que huit en 2009, mais la loi retraites, notamment, a fait flamber nos statistiques : nous sommes remontés à trente-huit rapports sur les textes sociaux, dont quinze demandés à notre initiative.
Ceci étant, je vous signale que six rapports demandés en 2010 ont bien été remis dans l'année : trois au titre de la loi retraites et trois pour la loi de financement pour 2011. C'est assez rare pour être souligné.
J'indique enfin que le Gouvernement a effectivement rendu, dans les délais, les rapports sur l'application des lois que lui impose la loi de simplification de 2004 et que les travaux de l'Assemblée nationale complètent utilement ces études. On peut souhaiter que notre nouvelle commission contribuera, à son tour, à cette lourde tâche de suivi de l'effectivité de la législation.
Telles sont, mes chers collègues, les quelques observations générales que je souhaitais vous présenter. Le rapport complet peut être consulté auprès de notre secrétariat.
En l'absence des décrets d'application, les maisons d'assistants maternels se mettent en place selon des modalités et des accompagnements disparates en fonction des territoires. Leur publication uniformiserait leur fonctionnement.
Si le rapport que vous venez de nous présenter établit un bilan quantitatif de l'application des lois, l'approche qualitative y fait défaut. Nous ne sommes pas, à ce jour, en mesure d'apprécier la conformité du contenu des mesures réglementaires avec l'esprit de la loi.
Je saisis l'occasion de cette présentation, très instructive, pour vous donner quelques renseignements sur cette nouvelle commission chargée de l'application des lois, dont je fais partie. Lors de la première audition qu'elle a organisée, à laquelle tous les sénateurs étaient invités, le SGG a réaffirmé la semaine dernière sa volonté de donner un coup d'accélérateur pour que les lois soient mieux appliquées.
Comme l'a indiqué Catherine Génisson, il existe un vide sur l'appréciation qualitative du suivi réglementaire de la loi, ce qui constitue précisément l'objectif de notre nouvelle commission. Nous allons ainsi étudier dans le détail l'application de sept lois en collaboration étroite avec les commissions permanentes qui les ont examinées.
Par ailleurs, j'ai interrogé le représentant du SGG sur le retard de publication des décrets d'application de la loi relative aux maisons d'assistants maternels : ils vont sortir prochainement.
Nous demandons trop de rapports. Nous soumettons à forte pression les services ministériels qui ont déjà un travail réglementaire considérable à accomplir. Ne peut-on trouver d'autres modalités pour contourner l'article 40 que d'inonder la loi de demandes de rapports ? Si nous voulons un travail sérieux des services, c'est la question que nous devons nous poser. En outre, ces rapports seront-ils tous lus ? J'en doute. Il revient aux parlementaires demandeurs d'être raisonnables et d'ajuster leurs demandes.
Je regrette que l'on attende encore les décrets d'application de la loi relative aux maisons d'assistants maternels. Il y a un manque de volonté de la part des services des ministères, mais aussi parfois de ceux de la protection maternelle infantile (PMI) dans nos départements qui ne sont pas favorables à cette formule de garde. Ces structures constituent pourtant, dans les territoires de grande ruralité, le mode d'accueil idéal des jeunes enfants.
Comme je l'ai indiqué, les maisons d'assistants maternels peuvent fonctionner sans les décrets d'application attendus, lesquels portent plutôt sur les relations entre les assistants maternels et les parents employeurs. La situation n'est pas satisfaisante, mais devrait être améliorée rapidement.
La commission pour l'application des lois aura pour mission d'examiner qualitativement le suivi réglementaire des lois. Elle pourra à cet effet s'appuyer sur notre étude statistique, aussi frustrante soit-elle...
Je partage vos observations relatives à la multiplication des demandes de rapport. Nous devons trouver d'autres modalités pour contourner le couperet de l'article 40 qui empêche les parlementaires de faire valoir leurs propositions.
Je voudrais revenir sur la non-applicabilité actuelle de la loi de bioéthique. Sans les mesures réglementaires d'application de la loi votée l'an dernier, des points de non-droit sont apparus pour certaines activités de recherche liées à la bioéthique, jusqu'alors régies par des mesures transitoires. Il est nécessaire d'accélérer la publication de ces textes afin de faciliter le travail des équipes de chercheurs.
C'est effectivement le texte pour lequel les retards sont les plus étonnants. Je ne manquerai pas d'interroger le Gouvernement à ce sujet à l'occasion du débat sur l'application des lois prévu en séance publique le 8 février prochain.
La commission procède ensuite à la désignation d'un rapporteur sur la proposition de loi n° 4105 (AN - XIIIe législature) relative à l'exercice des professions de médecin, chirurgien-dentiste, pharmacien et sage-femme pour les professionnels titulaires d'un diplôme obtenu dans un État non membre de l'Union européenne.
La commission désigne Yves Daudigny, rapporteur général, en qualité de rapporteur.