Nous accueillons M. Claude Dilain, sénateur, conseiller général de Seine-Saint-Denis, ancien maire de Clichy-sous-Bois, M. Vincent Berjot, directeur des finances de la ville de Paris, et M. Dominique Vanon, directeur général adjoint en charge des ressources, des infrastructures et du patrimoine au conseil général de la Meuse.
Quelle est, messieurs, votre expérience des agences de notation ?
sénateur, conseiller général de Seine-Seine-Denis, ancien maire de Clichy-sous-Bois. - Je m'exprimerai en tant qu'ancien maire de Clichy-sous-Bois. Notre rapport avec les agences de notation a été très singulier. Nous avons demandé à être notés dans la croisade que nous menions pour une meilleure péréquation entre villes. De fait, on nous disait souvent, même si cela n'était pas explicite, que notre pauvreté était liée à une mauvaise gestion. Pour démontrer qu'elle était structurelle, nous avons sollicité l'agence Moody's qui nous a notés en 2008, 2009 et 2010. À la surprise de tous, nous avons obtenu la note des États-Unis : AA+ ! Bien sûr, cela nous a permis d'emprunter à de meilleurs taux, mais cela -car nous recourons peu à l'endettement, et certaines années pas du tout- n'était pas la principale motivation.
Depuis plusieurs années, Paris se finance sur les marchés obligataires ; notre expérience est donc très différente de celle de Clichy-sous-Bois. L'année 2011 a été assez particulière : en raison du contexte national, nous avons eu des relations très régulières avec les agences de notation ; l'objectif étant de montrer qu'une dégradation nationale ne devait pas forcément avoir d'impact sur une collectivité locale.
La Meuse se trouve dans une situation intermédiaire. La notation a commencé en 1992 ; après une année d'interruption en 2006-2007, elle a été réactivée en 2008. Nous étions alors en grande difficulté financière. Nos élus ont donc voulu, en sus du regard de la Chambre régionale des comptes, bénéficier de celui des agences de notation.
Favorable à la péréquation, je sais aussi que la qualité de la gestion intervient. Pour revenir sur les propos de M. Dilain, je suis surpris que vous ne vous soyez pas appuyés sur votre statut de « bon élève » pour emprunter dans des conditions très intéressantes. Toutes les collectivités locales le font.
J'ai été élu en 1995. La ville était alors dans une situation financière dramatique, nous en étions au dépôt de bilan. Le préfet n'avait même pas validé le budget de mon prédécesseur, ni équilibré, ni sincère. À l'endettement de la ville, il fallait ajouter celui de deux sociétés d'économie mixte dont nous étions actionnaires à 80 %. En sus, il fallait répondre à la demande des habitants, qui sont très pauvres.
Grâce à notre travail politique, qui n'était pas simple, nous avons réussi à remettre de l'ordre. Après ce programme de réparation, qui est aujourd'hui clos, mon successeur peut maintenant lancer un programme d'investissement en se fondant, le cas échéant, sur l'emprunt.
Au moment où Clichy-sous-Bois s'apprête donc à revenir à l'emprunt, pourquoi ne recourt-elle pas aux agences de notation ? Il y a là un paradoxe.
Chat échaudé craint l'eau froide... La vile empruntera peut-être, mais dans des conditions raisonnables pour ne pas retomber dans les mêmes ornières.
En outre, nous avons cessé la notation en raison du discours politique sur les agences de notation. Certaines « collectivités amies » ont souffert.
Le recours aux agences de notation a-t-il permis de faire avancer la péréquation ?
Peu... Autre point, il faut payer pour être noté. L'an dernier, sans que nous n'ayons rien demandé, le magazine Challenge a établi un classement des villes de Seine-Saint-Denis. Ma ville a obtenu la meilleure note ! Les retombées médiatiques, dans ce cas, ont été nombreuses.
Nous avons procédé à un appel d'offres. Le coût était de 15 000 euros. Une équipe de Moody's s'est déplacée pendant plusieurs jours et a travaillé plusieurs semaines. Nous ne pensions pas obtenir une telle note !
Nous sommes notés par Fitch et Standard & Poor's. Le coût est composé d'une part forfaitaire de l'ordre de 30 000 à 60 000 euros et d'une part sur les émissions (de 30 000 à 50 000 euros par agence pour une émission de 500 millions d'euros), soit 150 000 euros par an pour des économies de l'ordre de 60 millions d'euros sur quinze ans.
Nous avons sélectionné Standard & Poor's à Paris par appel d'offres également. Un point de base environ, voilà le coût de la notation. Nous avons intérêt à cette démarche qui complète les audits à la pièce de la chambre régionale des comptes. De fait, les agences de notation s'intéressent davantage aux process, à la situation politique et aux interactions entre l'exécutif local et l'administration.
Vous tirez donc un intérêt du recours à la notation. Un gain d'un point de base sur les émissions, cela représente 5 millions d'euros d'économies par an pour Paris ! Quels sont les autres avantages ? Cela vous permet-il d'améliorer la gestion des collectivités ?
Juste ! En tirez-vous une meilleure connaissance des finances de vos villes ? Est-ce l'équivalent de consultants ?
Dans mon département, le Gers, la commune de Golfech, très riche en raison de la présence d'une centrale nucléaire, se paie une piscine olympique chauffée...
Oui, je suis pour la péréquation ! Mais pourquoi la note des collectivités locales est-elle alignée sur celle des Etats ?
Effectivement ! Nous avons beaucoup débattu de cette question avec les agences de notation, sans grand succès car elles considèrent que les collectivités françaises, contrairement aux espagnoles ou allemandes, sont très liées financièrement à l'État. Lequel contribue pour une part importante à leurs finances par ses dotations et ne se porte pas garant pour autant de façon automatique en cas de défaut.
Les agences de notation tiennent le même discours sur les grandes entreprises ; ce n'est pas cohérent ! Il y a là un vrai problème dans l'attitude des agences de notation.
Le court terme est très tendu actuellement ; or il est important pour le financement. D'où l'intérêt de la notation.
Les agences de notation ne sont pas des consultants, elles le rappellent toujours. En tant qu'auditeurs, elles demandent de nombreux documents et un investissement de 30 jours environ la première année, puis de dix jours en régime de croisière.
Le rapport à l'État ? Avant la réforme de la taxe professionnelle, notre autonomie financière était de 34 % ; elle est tombée à 17 %.
L'État est, certes, pourvoyeur des collectivités locales. Pour être complet, il faudrait aussi tenir compte de la capacité des habitants à payer. Les agences de notation le font-elles ?
Parmi leurs premiers critères, il y a effectivement le revenu par habitant.
L'environnement économique est leur point important : le chômage, le taux de création des entreprises.
Ensuite, les agences de notation avaient fait oeuvre de pédagogie ; si la note nationale est dégradée, celle des collectivités locales le sera aussi, avaient-elles prévenu. Cela dit, la note intrinsèque de Paris est restée stable. Il y a peut-être là un problème de méthodologie...
Votre objectif est-il celui d'améliorer la gestion ou d'obtenir la meilleure note ?
Notre premier objectif est la bonne gestion, quoique notre note soit automatiquement dégradée si celle de l'État l'est.
Question essentielle ! Vous faut-il modifier une politique publique pour obtenir une meilleure note ? Nous portons désormais un regard différent sur les agences de notation ; celles-ci n'ont pas le même objectif que les collectivités locales. Pour résorber une dette et obtenir AA+, cela est simple, il faut cesser l'investissement. Voulons-nous en arriver là ?
Très juste ! Certains sont même allés jusqu'à dire, dans le débat, qu'une bonne note est le reflet d'une ville gérée par un mauvais maire, un maire qui n'investirait pas. En fait, il faut naviguer entre les deux. On ne peut pas piloter l'oeil rivé sur les rentrées financières, ni les dégrader, pour ne pas insulter l'avenir.
Oui, cela n'aurait pas de sens.
Le maire a un programme de mandature et des politiques à mener.
Je serai plus radical : les objectifs du maire et ceux des agences de notation sont différents. L'idéal est de répondre aux demandes des citoyens tout en satisfaisant aux critères des agences de notation.
Maire d'une petite ville de 20 000 habitants, me financer sur le marché obligataire me semble une affaire compliquée. Quelle est la difficulté réelle d'accéder à ces marchés ? Faut-il un staff très technique pour se lancer dans cette aventure ?
La notation n'est pas une obligation juridique pour aller sur les marchés obligataires. C'est une pratique pour se faire connaître auprès des investisseurs. L'aventure est intéressante à partir d'un certain volume d'émissions.
Reste le financement bancaire. L'an dernier, la Caisse des dépôts et consignations a débloqué des crédits car les nouveaux instruments, la joint venture de La Poste et de la Caisse des dépôts et consignations, entre autres, ne sont pas encore opérationnels.
Clichy-sous-Bois s'est financé une fois sur le marché obligataire, au sein d'un pool où nous étions aux côtés de collectivités prestigieuses. Compte tenu des difficultés de trésorerie, de l'assèchement du crédit et des critères de Bâle III, les grosses collectivités devront se tourner vers les marchés plutôt que vers les banques. En revanche, je n'ai pas le sentiment que cela coûte moins cher.
Tout dépend du volume : Paris emprunte 350 millions d'euros environ par an. Nous ne pourrions pas emprunter autant aux banques actuellement. Les conditions de taux du marché obligataire nous sont plus favorables.
Il y a des cas différents : les collectivités locales peuvent s'associer en un véhicule, ce qui est plus lisible pour les investisseurs. La Meuse, bon an mal an, empruntait 15 à 20 millions d'euros ; cette année, 5 millions d'euros. D'où l'intérêt d'un véhicule pour agréger les demandes, qui est plus intéressant pour le court terme et moins cher vu les marges bancaires.
Si la grille de lecture -la note- est identique, les propositions ne sont-elles pas toutes semblables ?
Il y a un jeu de négociation en fonction de la rencontre de l'offre et de la demande. Nos taux sont très liés à ceux de l'État français et aux obligations assimilables du Trésor. Donc tout dépend de l'attitude des marchés envers la France à l'instant « t ».
En 2007-2008, quand nous étions dans le trou, aucune banque ne venait nous voir, sinon Dexia -mais c'est un autre problème. Depuis la notation, elles reviennent. Ce sont désormais elles qui demandent des rendez-vous. La notation devient le principal outil de lecture car le centre de décisions est désormais non régional, mais national.
L'agence de financement des collectivités territoriales, il faudra aussi qu'elle soit notée ? Comment faire pour qu'elle obtienne une bonne note ?
J'ai peu suivi ce sujet, je ne puis vous répondre.
Nous accueillons maintenant MM. Bertrand Badré, directeur financier du groupe Société générale, Ross McInnes, directeur général délégué en charge des finances du groupe Safran et Hervé Philippe, directeur général délégué et chief financial officer du groupe Havas, que je remercie d'être présents parmi nous.
Comme directeur financier du groupe Crédit agricole de 2007 à 2011 et dans mes fonctions actuelles, j'ai eu des relations diverses et variées avec les agences de notation. Je serai heureux d'en parler.
Le groupe Safran ne recourt pas aux agences de notation, contrairement aux groupes Thalès et Beghin-Say pour lesquels j'ai travaillé auparavant. Je sais donc les avantages et les contraintes de la notation.
Nous avons fait certaines opérations sur le marché obligataire. Je vous expliquerai pourquoi nous n'avons pas eu davantage recours aux agences de notation, même si nous ne l'excluons pas à l'avenir.
Comment vivez-vous la notation des entreprises ? Êtes-vous satisfaits des agences de notation ?
Je suis sans doute de nous trois le plus grand utilisateur des agences de notation. Celles-ci sont indispensables. Elles ont une utilité indéniable et répondent à un besoin même si le système tel qu'en partie dévoyé lors de la crise des subprimes est déséquilibré.
Travaillant pour un groupe coté, je ne saurais être hostile au marché. Cela dit, les agences de notation sont des entreprises à but lucratif, ce qui explique une partie des dévoiements constatés. En outre, les mesures d'économies au quotidien signifient que de moins en moins d'analystes déterminent leur notation de plus en plus rapidement.
La relation est déséquilibrée en raison du développement du marché, et d'une déresponsabilisation collective : tous, collectivement, nous nous sommes réfugiés, de la Banque centrale européenne au petit investisseur, derrière le confort d'une « opinion » donnée par une tiers peu évalué.
Il faut retrouver un équilibre dans le contexte d'une crise unique, qui force chacun, y compris les agences de notation, à s'adapter.
Leur méthodologie qui est un élément clé dans cette crise n'est pas stable. Trop souvent, et de plus en plus, parce qu'elles sont soumises à diverses pressions, nous ne connaissons pas la manière dont s'opèrent les contrôles que nous subissons. Exemple : Moody's a dégradé brusquement au début de l'année la notation de 114 banques européennes. Ce n'est pas anodin. Outre la notation de long terme, il y a la notation de court terme. Une vingtaine de banques sur 40 grandes peuvent passer de P1 à P2, ce qui posera un problème structurel d'accès au financement de court terme.
Sans être adepte de la théorie du complot, il y a un biais anglo-saxon très clair : leur approche est fondée sur les normes de la comptabilité d'outre-Atlantique.
Leur rôle procyclique devrait les obliger à une plus grande responsabilité.
La profession réfléchit aux agences de notation. Elles se sont construit de formidables barrières à l'entrée. Les Chinois ont essayé d'entrer sur le marché, ce n'est pas évident. De plus en plus, les agences de notation ont accès à des informations confidentielles, de la même manière que les commissaires aux comptes qui sont, eux, une profession réglementée. Entre autres données, on peut penser aux stress tests qui ne sont pas publiés ou aux refinancements auprès de la BCE. C'est en soi une barrière à l'entrée.
Cela dit, les agences de notation sont un élément structurant dans le financement des banques, donc de notre économie.
Quel paradoxe ! Vous êtes un peu schizophrène : le thermomètre est irresponsable, dites-vous, mais donnerait de la fièvre au malade. Pourquoi ont-elles seules accès à des informations confidentielles ? L'intérêt du marché n'est-il pas de multiplier le nombre des agences ?
Ne faut-il distinguer les agences de notation qui notent les entreprises de celles qui notent les États ? De fait, l'objectif d'une entreprise est le profit, ce n'est pas celui des collectivités ou de l'État.
N'y a-t-il pas une possibilité de conflit d'intérêt ? Une agence de notation qui dégrade un État ne change pas l'univers. Mais l'intérêt payé aux banques va augmenter. Peut-il y avoir connivence ?
Vous nous expliquez que les agences de notation sont indispensables. Or nous avons ici deux entreprises de grande taille qui n'y ont pas recours ! Sont-elles si indispensables ? Rencontrez-vous les mêmes problèmes de financement ?
Une banque emprunte tous les jours des milliards, contrairement à l'entreprise. Une banque est plus proche d'un État par le volume de l'endettement.
Bien sûr, il y a une forme de schizophrénie. L'évaluation par des tiers occupe tout le paysage, le thermomètre doit rester à sa place, être étalonné selon des méthodes connues pour retrouver la valeur qu'il a perdue.
Tout de même ! Les agences de notation n'ont pas hurlé avant la déconfiture de Lehman Brothers. Le silence fut-il de la pudeur ou de l'ignorance ?
Trois jours avant la faillite de Lehman Brothers, je rencontrais le président de Stantard & Poor's. « Il faudra expliquer à quoi vous servez » lui avais-je dit. Nous y sommes toujours. Je n'ai pas, moi, la réponse. Le lanceur d'alerte extérieur ne doit pas être seul.
C'était le début d'une catastrophe planétaire. Elle n'a pas été perçue en temps utile. Il est incompréhensible que les agences n'aient pas tiré la sonnette d'alarme. À moins qu'elles n'aient fait preuve de cynisme.
Il n'y a pas que les agences de notation ; il y a eu aussi les régulateurs américains, trop nombreux, entre lesquels les banques se sont faufilées. Sans parler des fraudes chez Lehman Brothers.
Sur la Grèce, on a dit que l'Europe savait, mais elle n'a rien dit ! Les agences de notation ne sont pas seules responsables
Une entreprise, pour des raisons structurelles, a recours à la dette de manière plus modeste que les États. L'endettement de Safran, avec un chiffre d'affaires de 13-14 milliards d'euros, est de l'ordre de 1 milliard.
La notation résulte de la désintermédiation. Les entreprises européennes, qui ont davantage recours au financement bancaire que les entreprises anglo-saxonnes, doivent diversifier leurs sources de financement, comme l'État et les collectivités locales. Or quand on se soumet au marché, qui est moins cher, il faut accepter le jugement d'autrui, celui des agences de notation.
Safran n'y a pas recours pour une raison très pratique : nous émettons des obligations de long terme seulement tous les deux à trois ans. Notre position est d'aller voir les investisseurs institutionnels aux États-Unis sans passer par le truchement d'une agence de notation. Car ces investisseurs ont leurs ressources pour analyser notre crédit.
Un émetteur avec un volume très important et répété doit, lui, passer sous les fourches caudines des agences de notation. Il n'est pas exclu que nous y recourions un jour.
Il importe de bien comprendre les critères utilisés par les agences de notation. Pour les pays qui ont une tradition de retraite par capitalisation, et où nous sommes présents, les changements d'évaluation ont été brutaux. Les engagements de rachats minoritaires, la trésorerie non disponible, sont des critères techniques corrects. Aux émetteurs de comprendre qu'ils en sont comptables, au sens noble du terme, durant une longue période. Mais une agence de notation ne doit pas changer les critères trop brusquement.
Havas est une société de communication qui n'émet que de manière épisodique.
Le recours à diverses formes de financement est très utile pour les entreprises, le marché obligatoire limitant la contrainte des banques.
Dans le cas de Havas, le rapport coût-avantage de la notation nous a paru défavorable. Nous aurions pu économiser 50 points de base sur notre émission. Cette notation permettait aussi un choix plus large d'investisseurs. Mais compte tenu de la taille modeste de nos opérations, ce n'était pas un problème. Nous n'avons pas voulu entrer dans un engrenage.
Nous préférons surpayer une émission que de subir ce contrôle dans la durée afin de ne pas limiter notre liberté de gestion financière. Pour exemple, l'achat de notre siège social aurait pu perturber notre notation et, donc, notre accès au financement. L'offre de rachat de nos actions aurait pu aussi être mal perçue.
Nous allons vers une période de désintermédiation, on l'a dit. Pour devenir un émetteur plus régulier et plus important, nous devrons peut-être accepter d'être notés.
Les agences de notation n'ont-elles pas inventé le « papier noté » ? Ce sont des entreprises comme les autres. Elles ont créé de toutes pièces un produit qu'elles cherchent à vendre.
Les agences de notation ont gagné en importance à mesure que l'endettement des pays développés a augmenté au début des années 1980.
La note AAA est presque devenue un mot de la langue courante. Censées noter l'émetteur, les agences de notation en sont venues à évaluer chaque produit émis.
Les taux des émissions sont-ils les mêmes pour les États et les entreprises ?
L'actif sans risque qu'était la signature de l'État est aujourd'hui remis en cause. La théorie, c'est qu'en fonction du risque de l'entreprise, le taux augmente. Résultat, certaines entreprises sont mieux notées que leurs États.
Les banques sont très proches des États, par leur volume de dette et par la régularité de leurs émissions.
Nous avons un grand programme d'émissions à court terme. Les banques ont partie liée avec les États. La notation des entreprises est très différente.
Un groupe industriel et un groupe de communication ici présents n'ont pas besoin des agences de notation. La notion de bilan coût-avantage que vous avez mentionnée est très intéressante à cet égard. Que faut-il en conclure ? Interrogeons-nous sur l'économie réelle, par rapport à l'économie financière.
Je conviens qu'elle est facile. L'activité des banques est indispensable.
Mais comment utilisez-vous les agences de notation ?
Sont-ce des consultants ou un moyen d'obtenir de l'argent à moindre coût ?
Précisons : dans l'état actuel de notre endettement et de la fréquence de nos besoins, le recours à la notation n'est pas indispensable, mais je n'exclus pas d'y avoir recours un jour.
La notation apporte de la souplesse. Tout est question de choix. Si nous décidons d'avoir la souplesse et le prix, nous devons rendre des comptes. Nous ne craignons pas le jugement d'autrui. Il importe que les émetteurs y soient préparés. Il faut un « contrat » très clair avec les agences de notation, en indiquant comment peut évoluer le profil financier de l'entreprise.
Cela ne me choque pas que des gens inventent un produit et fassent des marges !
Le péché originel, c'est la notation des produits structurés américains dans les années 2000. Fort heureusement, il y a été mis fin. Il ne me viendrait pas à l'idée de prendre les agences de notation comme consultants.
Nous empruntons tous les jours. Il y a une dimension industrielle à ce processus, comparable à celui des normes ISO. Il est indispensable, mais il doit être bien fait. Il faut réduire les dysfonctionnements.
Pour moi, l'exemple le plus frappant est la Banque centrale européenne. Elle a les moyens d'évaluer les émetteurs sans passer par des tiers. Au lieu de cela, on a conceptualisé le recours à la notation.
Chaque dégradation entraîne des conséquences économiques immédiates, en raison du nombre de contrats qui stipulent en tel cas une augmentation des garanties, y compris ceux signés par de grandes organisations internationales.
Qui utilise les agences ? Les investisseurs, qui ont de l'argent à placer. Pour eux, c'est plus simple. Mais certains font le travail d'analyse eux-mêmes. L'exemple de Safran aux États-Unis est éclairant. Le rating des agences simplifie la tâche des investisseurs, mais en France, certains fonds d'assurance vie utilisent les agences, alors que d'autres font l'effort d'analyser eux-mêmes.
Y a-t-il une différence de nature entre une agence qui évalue le risque d'une entreprise et celle qui note un État ou une collectivité ? Vous ne m'avez pas répondu sur les risques de connivence avec les banques...
Les agences de notation seraient indispensables ? Pourtant, elles n'ont vu venir ni Lehman Brothers ni Enron ni les subprimes. Vous-même avez investi en Grèce. Est-ce une conséquence de la déresponsabilisation que vous avez évoquée ?
Indispensable était peut-être un mot trop fort. Ce qui est indispensable, c'est de se soumettre à un jugement extérieur. Les agences de notation sont très utiles. Si la note d'un État baisse, celle de ses banques diminuera aussi.
C'est ainsi que fonctionne l'économie aujourd'hui. En 2008, les États ont garanti les banques.
C'était un autre contexte. Pourquoi une banque serait liée à un État, si la qualité de leur gestion est différente ?
Comparez la taille du bilan des banques et du PNB d'un pays. En France et en Allemagne, le bilan des banques représente 300 % du PNB. En 2008, c'est la puissance publique qui a mis fin à la crise. Qu'on le veuille ou non, c'est ainsi : banques et États entretiennent un lien très fort sans qu'il y ait connivence. Cela nous a d'ailleurs coûté cher !
Sur la Grèce, il faut distinguer l'État grec des entreprises grecques. Au Crédit agricole, je m'étais opposé à l'achat de dette grecque à partir de ma propre analyse.
Le banquier doit ensuite choisir à qui il prête dans l'économie grecque.
Pourquoi les agences de notation actuelles ont accès seules aux informations confidentielles ?
Cela s'est fait ainsi. Elles ne publient pas ces informations mais les utilisent pour former leur propre jugement. Nous aurions du mal à revenir sur cette règle aujourd'hui. Mais cela vaut la peine d'y réfléchir si l'on veut favoriser l'arrivée de nouveaux entrants.
Faut-il un type d'agence pour les États et les collectivités, un autre pour les entreprises ?
Pas nécessairement. Sur le fond, c'st le même travail. L'État a l'éternité pour lui, quoique l'histoire récente prouve que ce ne soit pas aussi simple. L'État, contrairement aux entreprises, ne paie pas pour sa notation.
Quid des responsabilités ? Si les Grecs sont responsables en grande partie, ils ne sont pas les seuls. Aujourd'hui, la démocratie est en jeu dans ce pays. Les institutions européennes, les banques et les agences s'éparpillent comme une volée de moineaux. Que ceux qui ont des responsabilités les assument ! Ce n'est pas ce qui transparait dans l'opinion publique.
Le contrôle parlementaire du budget, par exemple, n'a pas été fait en Grèce. L'Union européenne a aussi versé des milliards d'euros de fonds structurels pendant trente ans...
Est-ce le lieu et le moment de mener cette analyse ? Nous sommes bien au-delà de la question des agences de notation. Il y a eu un aveuglement général, une faillite collective !
M. Badré a souligné à quel point l'État et les banques ont partie liée. L'exemple de l'Irlande est significatif. La désintermédiation est une partie de la solution. C'est l'origine même des agences de notation. La désintermédiation est dans l'intérêt général. Ou si l'on veut développer la désintermédiation, l'évaluation par un tiers est nécessaire.
De fait, et ce n'est pas le moindre des paradoxes, la crise, née de la désintermédiation aux Etats-Unis, conduit à importer cette dernière en Europe. Il faut donc encadrer le processus : outre-Atlantique, 80 % de l'économie est financé par la désintermédiation.
C'est tout le problème ! Le résoudre suppose de briser la fiction selon laquelle les agences émettent une simple opinion. Si cela est, il faut garantir un droit de réponse et constituer un collège de personnalités extérieures vérifiant la méthodologie de l'évaluateur.
Un lien consubstantiel entre le système bancaire et les États ? En Europe, nous avons plutôt traversé une crise de liquidités plus que de solvabilité.
Pour les banques, quelles sont les conséquences de la dégradation de leur note ?
À très court terme, cela signifie davantage de garanties à apporter pour la banque aux investisseurs. Ensuite, le spread augmente, donc le coût de la dette est plus cher. Une réputation entachée peut également faire pression sur le cours des actions.
J'en reviens à l'effet à court terme. Une note P2 empêche purement et simplement les banques d'accéder au financement.
Prenons l'exemple le plus contre-intuitif : une note dégradée peut conduire à plusieurs milliards de profits comptables car la dette est, elle aussi, diminuée. Pour autant, ces profits représentent de futures pertes car nous conservons notre dette.
Soit dit en passant, les profits sont bienvenus car les nouvelles règles nous obligent à renforcer nos fonds propres.
Autre conséquence pratique, les coûts du refinancement des banques ont augmenté. Cela sera-t-il répercuté sur les consommateurs finaux ? Nul ne le sait encore.
Avez-vous été notés sans l'avoir demandé ? Si vous deviez recourir à une agence de notation, à qui vous adresseriez-vous ? N'y a-t-il pas une différence fondamentale entre États et entreprises ? Pour un État, d'autres éléments entrent en compte que le rating financier ; ils sont, en grande partie, subjectifs. On reproche à la France les faiblesses de la gouvernance économie européenne. L'Allemagne décide de ne plus utiliser le nucléaire ? Aucune agence de notation n'en tient compte ! Tout cela est bien nébuleux.
La gouvernance est également un critère pour les banques. Cela dit, il y a peut-être une différence de nature entre banques et États. Rigueur dans la méthodologie et dans l'application, je suis pour !
Nous avons été notés par les Canadiens (agence DBRS) et les Chinois sans l'avoir demandé. La vision des trois grandes agences reste pourtant essentielle, vu leur poids sur le marché.
Quel silence assourdissant sur la politique suicidaire énergétique de l'Allemagne ! Leur bilan carbone sera catastrophique : quand les éoliennes ne tourneront pas, ils feront marcher les centrales à charbon.
Et le démantèlement aura un coût ! C'est donc une question de subjectivité !
Si nous recourrions à une agence de notation, nous lancerions un appel d'offres en insistant sur l'élément prix, bien sûr, mais aussi et surtout sur la clarté des critères et la qualité du facteur humain. Qui évalue et comment ? Voilà la question que nous poserions.
La notation sauvage a servi à certaines agences de notation pour émerger sur le marché. Elle n'a pas prospéré car la notation suppose un dialogue continu avec les entreprises.
Si nous devions passer par la notation, nous aurions recours à deux agences. Quitte à jouer le jeu, faisons les choses comme les autres acteurs. Surtout, l'important serait un contrat clair sur les éléments financiers et les retraitements opérés par les analystes.