La commission procède, en commun avec la commission des affaires économiques, à l'audition de membres du Conseil économique, social et environnemental sur le thème de l'énergie :
- Mme Catherine Tissot-Colle et M. Jean Jouzel, rapporteurs de l'avis « La transition énergétique 2020-2050 : un avenir à bâtir, une voie à tracer » ;
- Mme Anne de Béthencourt et M. Jacky Chorin, rapporteurs de l'avis « Efficacité énergétique : un gisement d'économies ; un objectif prioritaire ».
Nous sommes heureux de recevoir ce matin quatre membres du Conseil économique, social et environnemental (CESE) qui viennent nous présenter deux rapports, l'un portant sur la transition énergétique, l'autre sur l'efficacité énergétique. Je salue par ailleurs Mme Anne-Marie Ducroux, présidente de la section de l'environnement du CESE. Il me paraît essentiel que les rapports du CESE nous concernant soient présentés devant nos commissions et je souhaite que les relations entre nos deux institutions s'intensifient. Permettez-moi enfin de présenter nos félicitations à M. Jean Jouzel pour la distinction prestigieuse qu'il vient d'obtenir.
(Applaudissements sur tous les bancs)
Je m'associe aux propos du président Daniel Raoul. Je tiens à vous indiquer que Jean Jouzel anime un festival au mois d'août à Fleurance, dans le Gers. La jeune commission du développement durable souhaite elle aussi que le Sénat intensifie ses relations avec le CESE.
rapporteur, membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE). - Merci pour cet accueil. La Conférence environnementale de septembre dernier a illustré l'engagement du Président de la République en matière de transition écologique. Les deux avis du CESE avaient été prévus bien avant. Ils sont de nature à nourrir le débat sur la transition énergétique. Ils évoquent les problématiques énergétique et climatique, mais aussi des questions économiques, géopolitiques et sociales.
Le contexte est marqué par le changement climatique, la raréfaction des ressources fossiles, l'augmentation du coût de l'énergie, mais aussi, bien entendu, l'exigence de sûreté dans l'industrie nucléaire - suite à l'accident de Fukushima. Il y a un lien très fort entre climat et énergie : les trois quarts du réchauffement climatique au niveau mondial sont dus à la consommation de ressources fossiles. On est également dans le contexte d'accords internationaux marqués par des paroles très fortes - maintenir le réchauffement climatique en dessous de deux degrés - auxquelles tous les pays ont adhéré. Mais ces paroles ne semblent pas suivies d'effets : en 2020, on devrait comptabiliser 10 à 15 % d'émissions en trop pour respecter cette trajectoire et le défi d'une société sobre en carbone. Du point de vue du climatologue, ce n'est pas un choix, c'est un impératif.
Une politique européenne se dessine, marquée par l'objectif des « trois fois vingt » à l'horizon 2020 et une directive sur l'efficacité énergétique. Au niveau national, la loi sur l'énergie de 2005 prévoit la division par quatre des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050. Le « Grenelle de l'environnement » a jeté les bases d'une prise de décision collective qui se poursuit dans le débat sur la transition énergétique. Je suis persuadé que la transition énergétique peut s'accompagner de créations d'emplois et d'un nouveau mode de développement.
Pour cet avis, nous avons travaillé dans la perspective du débat actuel et de la préparation d'une loi. Nous avons souhaité formuler des recommandations à l'attention du Gouvernement et des parlementaires, que nous avons essayé de « phaser ». Nous nous concentrerons aujourd'hui sur les recommandations les plus immédiates. Notre rapport est organisé en quatre parties d'égale importance et commence par une idée partagée par l'ensemble des membres du CESE : la transition énergétique doit être au service de la performance économique et sociale. Nous souhaitons une économie décarbonée, mais aussi compétitive et écologique.
Nous souhaitons qu'une clarification soit faite sur la notion de sobriété énergétique. Il s'agit d'un enjeu de fond : jusqu'où veut-on aller ? Y a-t-il des niveaux de contrainte ? Quand ? Comment ? Il faut ensuite intégrer l'ensemble des facteurs : le débat ne se limite pas à l'électricité et encore moins au nucléaire. Il concerne aussi les problématiques de chaleur et de transport. Nous reconnaissons que nous n'avons pas eu le temps de traiter complètement la question des transports. Nous avons néanmoins pu lire et étudier des scenarii divers, consulter des experts extrêmement compétents, avec des visions parfois radicalement différentes. Ces scenarii pêchent en général sur un point : ils ne traitent pas suffisamment l'impact en matière d'emplois. Il faut réaliser des études d'impact environnemental et socio-économique de l'ensemble des scenarii avant de prendre des décisions.
D'ici 2020, nous souhaitons préserver un service de l'électricité à coûts de production réduits, privilégier les énergies renouvelables qui ont un vrai potentiel de développement économique, anticiper l'évolution des métiers et structurer aux niveaux national et européen les filières de recyclage.
L'offre fait aussi partie de ce débat. En France, on souffre d'un manque d'optimisation de l'offre par rapport à la demande. Nous nous sommes tirés une balle dans le pied pour certains aspects, en particulier les problèmes de pointe, dans la fourniture d'électricité.
Nous souhaitons un véritable débat sur le nucléaire. En terme de mix énergétique, d'ici 2020, il faut étudier des scenarii qui répondent aux objectifs et aux engagements de la France. Sur les énergies renouvelables, il faut concentrer les aides sur celles qui sont déjà matures, comme l'éolien terrestre ou la biomasse. Les problèmes de réseaux de transport sont essentiels : leur modernisation est indispensable. Il faut également développer les moteurs électriques et les moteurs hybrides : c'est un moyen d'essayer de diminuer la production de gaz à effet de serre. On manque d'une véritable vision en matière de production d'énergie au-delà de cinq ans. D'ici 2030, il faut mener des actions permettant l'électrification des transports individuels collectifs et poursuivre le soutien à l'émergence de filières dans ce domaine.
Le troisième chapitre de notre travail porte sur la mobilisation des acteurs et sur les moyens. Notre première recommandation concerne les acteurs publics : le rôle de chacun doit être clarifié dès le début. Nous avons eu l'occasion de rencontrer des élus de territoires qui gèrent des initiatives intéressantes. Pour autant, une cohérence doit exister entre ces initiatives locales et la vision générale. Nous souhaitons qu'il y ait deux acteurs : l'État qui doit rester le garant de la cohérence générale et la région qui doit coordonner et gérer ce qui se passe sur son territoire - sans que cela signifie pour autant l'absence d'initiative à l'échelon communal ou intercommunal. Quand cette clarification aura eu lieu, il faudra renforcer les programmes opérationnels territoriaux qui traitent les différents aspects en matière d'énergie, et notamment la maîtrise de la demande. Une de nos recommandations fortes est d'identifier les acteurs et de leur donner les moyens de travailler ensemble efficacement.
Au plan international, le CESE soutient l'engagement de la France pour un accord international équitable en matière de climat et d'énergie. Nous recommandons aussi un développement de la politique européenne de l'énergie: l'Europe ne travaille pas comme elle devrait le faire sur l'énergie.
En matière de financement, il faut conserver le marché des quotas, même s'il n'a pas bien fonctionné, le revoir et le réguler. Nous demandons également au législateur de remettre à plat l'ensemble des mécanismes fiscaux dans une perspective d'efficacité, notamment s'agissant des problèmes climatiques et environnementaux.
Une fois que les acteurs et les moyens associés auront été clarifiés, étant entendu que nous souhaitons qu'il y ait le moins possible de financements publics, puisqu'il s'agit de soutenir des filières destinées à devenir autonomes économiquement le plus rapidement, il faut ensuite faire partager cette stratégie et cette politique à l'ensemble des acteurs. Il faut expliquer et accompagner. Il convient d'associer l'Éducation nationale dès le début du débat et dans les actions. On recommande aussi de s'appuyer sur toutes les structures de formation et d'éducation au développement durable qui existent. Il conviendra enfin de financer des campagnes de communication une fois que des décisions auront été prises, en associant les acteurs territoriaux.
A l'horizon 2020, nous souhaitons que le secteur bancaire soit davantage incité à accompagner les acteurs vers cette transition énergétique.
La recherche et l'innovation sont un des moteurs de la transition énergétique. Si on veut créer des emplois et rendre cette transition énergétique véritablement « enthousiasmante » du point de vue économique et écologique, les innovations sont indispensables. Un audit sérieux de la recherche sur l'énergie devra être conduit en France.
Nous attachons beaucoup d'importance aux sciences humaines et sociales et il convient d'encourager une recherche pluridisciplinaire et pluraliste sur la sobriété énergétique.
Il faut également effectuer une expertise de l'ensemble des financements, depuis la recherche jusqu'au développement.
Les acteurs français doivent rechercher des rapprochements au niveau européen sur ces sujets. Nous sommes assez favorables à explorer toutes les pistes de transformation et de valorisation du CO2.
Nous avons donc travaillé en essayant d'analyser tous les aspects de ce sujet majeur pour la société. Il faut repenser nos fondamentaux pour sortir de cette crise systémique. Cette transition doit être pertinente, réfléchie et partagée, ce que notre rapport considère possible. Nous devons associer volontarisme et progressivité. Il faut donner un prix raisonnable au carbone, permettre l'adaptation de tous les acteurs, améliorer la gouvernance, faire évoluer en profondeur la fiscalité, bâtir une véritable Europe de l'énergie, investir dans la recherche et développement (R&D) et dans la transition entre celle-ci et l'industrialisation, développer des filières économiques pérennes. Nous avons confiance dans le fait que notre pays peut le faire à son bénéfice.
Merci pour votre exposé, mes collègues vont à présent vous interroger sur les aspects « économie » et « emploi ». Je vous pose la première question : vos préconisations étaient centrées sur une dimension nationale ; quelles pourraient être les ambitions à l'échelle européenne ?
Une véritable politique européenne doit être menée à partir des investissements à l'horizon 2050, en tenant compte des objectifs d'efficacité énergétique ; on ne les atteindra pas si nous n'avons pas une vision commune en matière d'offre d'énergie.
Vous préconisez d'accélérer l'électrification des transports d'ici 2030. Or, l'impact en termes de consommation électrique serait extrêmement important, d'après les projections réalisées par les économistes. Comment appréhendez-vous cette contradiction apparente en termes d'efficacité énergétique ?
L'aspect européen de cette problématique me semble majeur ; or, c'est un grave échec, puisqu'il n'existe pas de politique commune de l'énergie. Seule allusion à l'Europe en ce domaine : le « e » de EPR, qui signifiait initialement European Pressurized Reactor...
S'agissant du véhicule électrique, nous avons un problème du fait des périodes de pointe de consommation. Il faut donc développer la recherche sur le stockage de l'énergie électrique.
Par ailleurs, l'enjeu de la formation est essentiel : il nous faut réfléchir collectivement aux types d'emplois dont nous avons besoin.
Ne pensez-vous pas que le secteur des transports - 130 millions de tonnes de CO2 émises contre 87 pour le résidentiel tertiaire - a été le grand oublié du Grenelle de l'environnement et qu'il doit être une priorité désormais ?
Le développement des énergies renouvelables doit-il obligatoirement passer par un tarif de rachat attractif ? Que penser de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) actuelle : faut-il la réformer en élargissant son assiette et envisager des financements complémentaires pour les énergies renouvelables ?
La fiscalité française est très en retard dans la prise en compte de l'environnement : pas assez verte, elle prévoit trop d'exonérations. Pour financer la transition énergétique dans un contexte de crise, faut-il faire appel à la Banque publique d'investissement (BPI) ? Donner la priorité à des très petites entreprises (TPE) et à des petites et moyennes entreprises (PME) spécialisées dans le secteur ? Prévoir des participations citoyennes dans les projets locaux ?
Enfin, peut-il y avoir une politique européenne climatique, sans politique européenne de l'énergie ?
Ne pensez-vous pas que les responsables politiques font peser trop de responsabilité sur le citoyen dans les stratégies mises en place ?
Vous avez évoqué la réforme du marché du carbone ; voyez-vous d'autres outils auxquels il pourrait être fait appel, sachant que ce système a été peu efficace jusqu'à présent ? Vous avez également parlé d'une réduction du transport individuel ; si c'est possible dans les agglomérations, cela semble difficile dans les zones rurales.
N'estimez-vous pas enfin que la recherche à tout prix de nouvelles ressources carbonées soit contraire à la transition énergétique ?
Vous avez insisté sur la nécessité d'investir dans les sciences humaines et la communication ; je suis entièrement d'accord avec vous, et intéressée par tout élément dont vous disposeriez à ce sujet.
Les politiques en matière d'efficacité énergétique sont étroitement imbriquées à l'échelle nationale, européenne et mondiale. Au niveau communautaire, des distorsions se font sentir toutefois. Ne peut-on envisager un saut qualitatif en associant les États membres les plus avancés ?
La consommation totale d'énergie nous est présentée comme appelée à croître de façon exponentielle au cours des prochaines décennies ; je ne me satisfais pas de ce fatalisme !
Afin de surmonter les blocages européens, ne peut-on envisager de créer une sorte d'« EADS de la transition énergétique » ?
Vous préconisez, pour les transports en commun, le recours aux énergies renouvelables, et notamment aux biocarburants de deuxième et troisième génération, et le tout électrique pour le transport individuel. Comment appliquer cet objectif aux villes ou agglomérations moyennes ?
Vos commentaires et vos questions illustrent un grand intérêt pour toutes ces problématiques, et nous poussent à en approfondir certains aspects, par exemple concernant les transports, sur lesquels nous ne sommes pas allés assez loin.
L'appel à une plus grande intervention à l'échelle communautaire est finalement une bonne nouvelle : il signifie que nous, société civile, sommes convaincus de l'importance d'approfondir l'approche européenne du sujet. Le fait que le ministre des affaires européennes devienne, suite au remaniement du Gouvernement, ministre du budget, constitue un élément intéressant à cet égard.
La fiscalité doit en effet davantage prendre en compte les paramètres environnementaux. Plutôt que de créer de nouveaux dispositifs et d'alourdir la pression fiscale, il serait judicieux de rééquilibrer ceux existants en ce sens.
Enfin, pour ce qui est d'un « EADS de la transition énergétique », pourquoi pas, en effet ?
Nous n'avons pas suffisamment travaillé sur la problématique des transports, c'est vrai.
Sur le volet européen, la définition d'une position commune avec l'Allemagne serait très mobilisatrice ; il est indispensable aujourd'hui que notre continent agisse et exerce un effet d'entraînement sur le reste du monde. En matière de fiscalité, il faut donner un prix significatif au carbone.
Les gaz de schiste ont fait l'objet de beaucoup de discussions. Ils ne s'apparentent pas au gaz naturel et sont émetteurs de gaz à effet de serre si l'on prend en compte l'ensemble du processus. Le gain environnemental d'un passage du pétrole ou du charbon au gaz ne vaut donc pas pour eux. Nous sommes favorables à la mise en place d'un grand débat sur ce sujet.
C'est le problème technique qui est le plus important : produire localement du gaz ne représente pas d'émissions supplémentaires par rapport à l'importation de ce gaz.
Je vous propose de passer à notre second sujet : le rapport de M. Jacky Chorin et Mme Anne de Béthencourt sur l'efficacité énergétique.
rapporteur, membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE). - En introduction, je souhaite préciser que la consommation d'énergie double à chaque génération.
Nous avons traité de la question de l'efficacité énergétique : comment consommer moins d'énergie pour un même service rendu ? Je rappelle le contexte : le paquet climat énergie avec un objectif « 3 fois 20 » - dans lequel l'efficacité énergétique est le seul domaine qui ne soit pas contraignant -, le Grenelle de l'environnement, la directive européenne sur l'efficacité énergétique - qu'il faut transposer prochainement -, et le débat sur la transition énergétique. Si l'objectif communautaire de 20 % d'économie d'énergie par rapport à 1990, prévu par ladite directive, et les objectifs du Grenelle sont atteints, alors l'efficacité énergétique deviendra la première source d'énergie domestique à l'horizon 2020. Il y a donc là un enjeu considérable, mais souvent méconnu. Les objectifs sont très ambitieux, mais extrêmement difficiles à atteindre.
Nous n'avons pas traité de la question du transport, mais avons proposé que le CESE s'en saisisse, car il s'agit d'une problématique très importante. Nous avons traité du bâtiment résidentiel et tertiaire (44 % de la consommation d'énergie) et de l'industrie (21 %), ainsi que de l'agriculture. 55 % du parc résidentiel ont été construits avant toute réglementation thermique, avant 1974. 75 % du parc de 2050 sont déjà construits, ce qui illustre l'inertie et la lenteur de son renouvellement. 88 % des objectifs du Grenelle concernent le bâtiment, 12 % le transport, et aucun l'industrie.
Le Gouvernement a annoncé 500 000 rénovations par an à compter de cette année. 400 000 étaient prévues dans le Grenelle, il y en a eu 160 000 en 2011 : il y a donc un différentiel très marqué qu'il nous faudra combler. 100 000 à 150 000 emplois seraient générés par l'atteinte de cet objectif de 500 000 rénovations annuelles.
Nous avons formulé, dans notre avis, adopté à plus de 90 % des voix, un certain nombre de propositions :
- confirmer l'efficacité énergétique comme priorité nationale. Dès lors que le Président de la République est venu au CESE nous redire que la politique de rénovation était l'une des grandes priorités de son programme, le passage de la TVA sur la rénovation de 7,5 à 10 %, après une première augmentation peu de temps auparavant, était un contresignal. Nous avons proposé de la baisser à 5 % au titre des biens et services de première nécessité ;
- publier le décret sur la rénovation du tertiaire, public comme privé, attendu depuis 2010, car cette carence n'incite pas les acteurs du bâtiment à s'engager ;
- développer l'efficacité active, c'est-à-dire la gestion intelligente de l'immobilier. Tous les travaux ont été menés jusqu'à présent sur la seule réhabilitation des bâtiments. Or, nous avons des leaders mondiaux, tels que Schneider Electric, qui mettent au point des techniques permettant d'obtenir une réduction de la consommation d'énergie de l'ordre de 20 % avec des coûts moindres et une efficacité accrue ;
- tendre vers une garantie de performance énergétique des travaux de rénovation. Des débats, dans le cadre du plan Bâtiment durable, ont lieu sur la nature des garanties juridiques à apporter. En tout état de cause, il faudra donner aux particuliers, qui investissent financièrement, des assurances sur l'efficacité de leur engagement en matière d'économie d'énergie ;
- développer la formation des professionnels. Nous avons beaucoup travaillé avec les artisans de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), notamment. 98 % des entreprises du bâtiment ont moins de 10 salariés : rien ne pourra se faire sans elles. Il faudra mieux rééquilibrer les efforts entre construction et rénovation, là où des gains importants sont encore envisageables ;
- réaffirmer l'éco-conditionnalité des aides publiques. L'éco-prêt à taux zéro doit être accordé pour des travaux réalisés avec des entreprises labellisées. Nous souhaitons encourager l'amélioration de la qualité : si l'on veut que les artisans se forment, il faut qu'ils obtiennent des contreparties ;
- mieux informer et impliquer les citoyens. Le Gouvernement actuel, comme le précédent, a décidé la généralisation des compteurs communicants pour l'électricité, mais le problème du financement est encore en discussion pour sécuriser l'investissement par ErDF. Des tests ont été réalisés sur les moyens d'informer les consommateurs. Un projet d'expérimentation existe pour les compteurs de gaz ;
- généraliser l'individualisation des charges de chauffage dans les logements à chauffage collectif, conformément à la réglementation européenne, à l'horizon 2017. Actuellement, seulement 10 % des 5 millions de logements au chauffage collectif ont des charges de chauffage individualisées ;
- rendre plus significatif pour le grand public le diagnostic de performance énergétique, en l'exprimant en euros par m² au lieu des KWh en énergie primaire par m². Il a été très critiqué lors du débat parlementaire sur la proposition de loi Brottes visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre. Si le CESE est partagé sur le bien-fondé de la tarification progressive, en revanche, nous sommes tous d'accord pour estimer que le mécanisme retenu dans le texte n'est pas adapté à un objectif de justice sociale.
Pour un objectif de 500 000 rénovations par an, à raison de 20 000 à 30 000 euros par logement, le coût annuel serait d'environ 10 à 15 milliards d'euros. L'État y consacre actuellement deux milliards d'euros. Nous proposons de flécher une partie des investissements de la Banque publique d'investissement (BPI) vers les entreprises intervenant dans le secteur de l'efficacité énergétique. Le tiers investissement ne réglera pas tous les problèmes, mais il doit être développé dans le tertiaire privé et public : on n'est pas allé au bout des expérimentations.
Le système des certificats d'économie d'énergie devient complexe et peu transparent, avec des frais de gestion élevés. Il ne faut pas le supprimer, mais évaluer son mécanisme et le recentrer sur des programmes et des actions spécifiques et compréhensibles.
Nous avons proposé que soit lancée une étude sur la possibilité pour la Caisse des dépôts de soutenir l'efficacité énergétique. Une lettre de mission vient d'être signée en ce sens. Il faudrait, comme dans d'autres pays européens, créer un fonds dédié qui permettrait notamment d'obtenir des financements au niveau européen. Je rappelle que 60 milliards d'euros sont prévus au niveau européen pour l'efficacité énergétique.
La précarité énergétique concerne 3,8 millions de ménages, la moitié d'entre eux étant âgés, propriétaires et vivant dans des maisons individuelles en dehors des villes. Nous proposons d'intégrer la performance énergétique parmi les critères de décence des logements et de généraliser l'aide au chauffage à l'ensemble des énergies afin de supprimer une vraie inégalité.
L'industrie, qui représente 21 % de la consommation d'énergie, a beaucoup fait pour réduire sa consommation d'électricité, mais des études montrent qu'il reste encore des gisements d'économie sur les processus. Des organisations non gouvernementales et des industries se sont adressées ensemble à l'Union européenne afin de progresser dans les normes d'éco-conception, qui permettent de réduire la consommation d'énergie et les émissions de CO2, avec également un intérêt en termes de compétitivité.
L'efficacité énergétique constitue, nous en sommes convaincus, un réel marché du futur et une filière créatrice d'innovation. Cela dépendra de la volonté de l'ensemble des acteurs.
Concernant le décret sur l'obligation de travaux dans le tertiaire public et privé, nous avons reçu récemment la Fédération française du bâtiment (FFB) et la CAPEB. On constate un cercle vicieux : les professionnels attendent la publication du décret pour connaître les profils d'employés dont ils auront besoin, à moins qu'il ne s'agisse parfois d'un prétexte.
La formation est en effet cruciale, notamment pour les diagnostiqueurs. Je crois qu'il faut aussi revoir la formation initiale pour les artisans. De plus, un lien devrait être mis en place entre la qualité du travail réalisé et l'attribution des aides. Mais les incitations ne jouent-elles pas parfois un rôle pervers, dans la mesure où elles se traduisent par une augmentation du prix des travaux ? Peut-être faudrait-il plutôt lancer des campagnes de communication.
Comment peut-on parler d'une Europe de l'énergie alors que la France discute de son côté de l'avenir de son parc nucléaire tandis que l'Allemagne l'abandonne pour relancer ses centrales à charbon tout en finançant la recherche sur les gaz de schiste en Pologne ! Pour revenir à la CAPEB, il convient de relativiser les chiffres relatifs à l'artisanat : les grandes entreprises représentent tout de même 30 % des effectifs et 70 % des effectifs de la CAPEB sont des sous-traitants de ces grands groupes. Enfin, pourquoi ne pas envisager de maintenir le niveau de la TVA, compte tenu de la situation financière du pays, et de mettre fin aux aides publiques pour des secteurs qui doivent trouver un équilibre économique sans l'argent des contribuables.
L'innovation s'accompagne d'un accroissement de la complexité : les particuliers ont du mal à maîtriser les nouveaux équipements. Il en est de même pour les petites collectivités. Quant aux personnes âgées, elles ont besoin qu'on les accompagne dans leurs choix, sans se limiter à l'aspect financier.
Il faut former les artisans, y compris les technico-commerciaux. S'agissant du compteur Linky, il est important que tous nos concitoyens puissent avoir une connaissance précise de leur consommation ; ErDF devait le financer et se rémunérer sur les économies obtenues. Le projet, préparé par le précédent gouvernement, doit désormais être lancé.
Le plus grand gisement d'économies d'énergie est bien l'efficacité énergétique : l'énergie la plus propre est celle qu'on ne consomme pas. Il s'agit aussi d'une source d'emplois. Les économies d'énergie nécessitent toutefois beaucoup de volonté et de pédagogie sur le long terme afin d'offrir une visibilité. S'agissant enfin de la précarité énergétique, je rappelle l'extension des tarifs sociaux pour l'électricité et le gaz ; les autres énergies devraient être traitées dans le cadre de la prochaine loi sur la transition énergétique.
Comment calibrer le volet pédagogique afin d'éviter une rupture entre une élite intellectuelle, qui pourrait s'offrir les équipements les plus économes, et ceux qui ne peuvent s'offrir la dernière automobile hybride ? Or ces derniers se voient en plus traités comme des coupables.
M. Hérisson, votre intervention rejoint les souhaits que nous avons exprimés dans notre avis : être économes des deniers publics en matière de transition énergétique, favoriser les filières économiquement viables, procéder à toutes les analyses socioéconomiques et environnementales nécessaires avant de prendre une décision.
Nous vous remercions de l'intérêt que vous manifestez pour nos travaux. La question de la formation est effectivement centrale. Le problème des diagnostiqueurs doit être traité à part. Un arrêté du 1er janvier 2013 est venu renforcer leurs obligations : il ne sera plus possible, par exemple, de faire un diagnostic à distance sans se déplacer. Il conviendra de faire un bilan en fin d'année pour voir si les écarts dans les pratiques se sont réduits.
En ce qui concerne les artisans, nous comprenons bien que les grandes entreprises existent aussi. Nous avons auditionné également la FFB. La vraie question est de savoir comment les faire travailler ensemble, sans passer obligatoirement par des relations de sous-traitance. Dans notre rapport, nous faisons référence aux travaux de l'ADEME et au plan Bâtiment durable.
Les contrôles, qu'ils soient exercés par l'État ou par d'autres, apparaissent de plus en plus nécessaires à mesure que les exigences de qualité s'accroissent. On a demandé aux banques d'être les garantes de la qualité des travaux financés par le prêt à taux zéro : c'est un non-sens. Nous avons suggéré que ce soient des artisans qualifiés qui s'en chargent.
L'effet pervers de certains dispositifs incitatifs est une réalité. On l'a vu pour les panneaux photovoltaïques. Si on met beaucoup d'argent public et privé dans la rénovation, l'ensemble de la chaîne devra faire un effort pour maîtriser ses coûts.
En ce qui concerne la TVA, nous ne faisons que préconiser un retour à la situation d'il y a deux ans, où le taux pour les travaux de rénovation était de 5,5 % seulement, avant d'être porté à 7,5 % puis annoncé à 10 % au 1er janvier 2014. L'une des conséquences de cette évolution, selon la CAPEB, est le développement du travail au noir. La hausse de la TVA risque de détruire 17 000 emplois, alors que la rénovation et l'efficacité énergétique étaient jusqu'à présent les seuls segments du secteur du bâtiment créateurs d'emplois. C'est un contre-signal majeur. Il semblerait que le Gouvernement soit susceptible de bouger, au moins pour le logement social. Ce que nous disons, c'est que ce n'est pas en augmentant la TVA que nous allons inciter les acteurs à se mobiliser. Nous ne pouvons pas dire autre chose, même si nous n'avons pas à arbitrer entre les différentes manières d'accroître les recettes fiscales.
En ce qui concerne le compteur intelligent Linky, les financements sont prévus. Néanmoins, des difficultés existent toujours avec la Commission de régulation de l'énergie (CRE). La question est de savoir si l'on peut s'engager sur vingt ans avec des tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE) fixés pour quatre ans ?
Dans tout changement, il y a inévitablement de la complexité. La vraie question est l'accompagnement au changement. En matière de précarité énergétique, il existe déjà des programmes pour aider au financement de la rénovation des logements, mais il manque un accompagnement. C'est un vrai sujet, surtout pour ces populations qui n'ont pas le réflexe de venir au guichet unique. On estime que pour un euro investi dans l'efficacité énergétique, 42 centimes sont économisés sur les frais de santé. C'est une étude faite au plan européen. Il n'y a jamais eu d'étude macroéconomique de l'efficacité énergétique en France.
Vous avez évoqué les comportements. Le plus répandu demeure celui du gaspillage. Il existe d'énormes gisements d'économies. Par exemple, on estime que 70 % de l'électricité consommée dans le secteur de l'industrie sert à faire tourner des moteurs. Or, quasiment tous ces moteurs sont surdimensionnés. Nous parlons du comportement de tous les acteurs, face à une énergie encore relativement peu chère aujourd'hui, par rapport à son prix dans le futur. Il n'y a pas forcément besoin d'être très restrictif. Regardons ensemble, de manière très pragmatique, comment faire pour parvenir à une forme de sobriété.
Je vous remercie au nom de tous mes collègues. Je voudrais vous signaler que le volet de l'énergie dans le bâtiment a été abordé lors d'une audition que nous avons faite récemment des responsables nationaux du plan Bâtiment durable. La filière souffre d'un manque de crédibilité, depuis la formation jusqu'au diagnostic. Les responsables du plan national Bâtiment durable sont d'ailleurs à la disposition des élus pour se rendre dans les départements et en exposer le détail. Sur la question de la TVA, nous sommes en partie d'accord. Il faudra sans doute faire un geste, alors que près de 40 000 emplois sont menacés pour 2013. Je voudrais maintenant donner la parole à Mme Anne-Marie Ducroux, présidente de la section de l'environnement du Conseil économique, social, et environnemental.
Je ne me risquerai pas à faire la conclusion ou la synthèse de cette audition. Je voudrais simplement vous remercier de votre intérêt pour nos travaux. Il est important que nous ayons des relations spontanées et naturelles entre assemblées. Au CESE, nous essayons de réunir des consensus, tout ce que nous disons est collectif. Je constate que vous avez le même type de coopération entre commissions permanentes que nous pouvons avoir entre sections. Nous sommes très attachés à cette transversalité, et je m'en réjouis.
Je vous remercie tout particulièrement d'avoir donné la parole à la section de l'environnement, la dernière née du CESE, dont le mandat est très vaste : biodiversité, climat, transition énergétique, risques environnementaux, protection de l'environnement, mer et océan, qualité de l'habitat. Nous avons des avis en cours sur la gestion durable des océans, les inégalités socio-environnementales et l'adaptation climatique. Essayons d'enrichir nos réflexions communes chaque fois que cela est possible.