La commission a procédé à l'audition de M. Jean-Marie Bertrand, secrétaire général des ministères chargés des affaires sociales, sur le projet de loi n° 1210 (AN - XIIIe législature) portant réforme de l'hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, dont M. Alain Milon est le rapporteur.
a indiqué qu'il a été associé à la rédaction du titre IV du projet de loi, qui traite des agences régionales de santé (ARS). Pour cette raison, son propos sera centré sur ces nouvelles structures.
La feuille de route fixée par le Gouvernement prévoit que les ARS doivent être opérationnelles au 1er janvier 2010. Nouvelle étape dans l'évolution du système de santé français, la création de ces agences vise à responsabiliser davantage les décideurs locaux et à mieux prendre en compte les spécificités des territoires. Les ARS s'inscrivent en effet dans une démarche de mise en cohérence du pilotage du système de santé, qui a connu un développement important à la fin des années quatre-vingt-dix avec la création des agences régionales de l'hospitalisation (ARH). Ces nouvelles agences auront toutefois une compétence plus large que les ARH, puisque le terme « santé » s'entend au sens de la définition donnée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui inclut le système de soins à proprement parler, mais aussi la veille et la sécurité sanitaires, la prévention, la gestion du risque, le secteur médico-social. Les ARS se caractériseront donc par la transversalité de leurs domaines de compétences. Elles regrouperont sept entités : les directions départementales (Ddass) et régionales (Drass) des affaires sanitaires et sociales, pour l'Etat ; l'union régionale des caisses d'assurance maladie (Urcam) et les caisses régionales d'assurance maladie (Cram) pour l'assurance maladie ; enfin, au titre des organismes communs à l'Etat et à l'assurance maladie, les ARH, les missions régionales de santé (MRS) et les groupements régionaux de santé publique (GRSP).
La création des ARS poursuit trois objectifs :
- l'efficacité, c'est-à-dire l'amélioration de l'état de santé de la population et la réduction des inégalités de santé ;
- l'efficience, qui consiste à rendre le système de santé plus performant, au meilleur coût ;
- la démocratie sanitaire, qui appelle une gouvernance renouvelée, grâce à une plus large association des acteurs du système de santé, notamment des partenaires sociaux.
Pour atteindre ces objectifs, les agences seront chargées, d'une part, de l'élaboration et de la mise en oeuvre de la politique régionale de santé, d'autre part, de la régulation médico-économique. Il faut noter que l'association de ces deux champs d'action n'était pas, à première vue, évidente.
Conscient des faiblesses actuelles du système de santé et de la nécessité de mieux répondre aux besoins de la population, le Gouvernement entend, par cette réforme, réduire les inégalités de santé, qu'elles soient territoriales ou sociales. Dans ce domaine, la France ne peut se targuer de ses résultats : elle est en effet située seulement dans la moyenne des pays de l'Union européenne.
A M. Jean Desessard, qui souhaitait savoir si l'objectif est de tendre à l'égalité sociale ou à l'égalité territoriale, M. Jean-Marie Bertrand a répondu que les deux sont visées, d'autant plus que les inégalités sociales et territoriales se recoupent fréquemment. Enfin, a-t-il ajouté, le dernier objectif du projet de loi est d'accorder une place plus importante à la prévention car le système de santé français se caractérise encore par une prépondérance du curatif. Aussi convient-il de trouver un équilibre entre curatif et préventif.
Le périmètre large des ARS devrait également contribuer au décloisonnement entre le secteur sanitaire et le secteur médico-social qui sont en effet deux volets d'un même parcours de soins et de vie. En attribuant des compétences médico-sociales aux ARS, le projet de loi contribuera à une meilleure transversalité.
En résumé, les ARS seront un outil de régulation à l'échelon régional, qui devrait améliorer la performance du système de santé et permettre son retour à l'équilibre financier, tout en garantissant une offre de soins comparable sur l'ensemble du territoire.
a fait valoir que les différents acteurs du système de santé qu'il a auditionnés approuvent la création des ARS dans leur principe mais sont plus réservés sur les modalités concrètes de leur mise en oeuvre. Il a tout d'abord demandé des précisions sur l'organisation de la régulation des dépenses hospitalières au niveau régional, ainsi que sur l'articulation des compétences entre les ARS et l'assurance maladie sur ce sujet. Il a ensuite souhaité savoir quel sera le rôle exact du comité de coordination des agences régionales de santé. Transmettra-t-il des recommandations aux ARS ? Enfin, il a fait observer que, s'il est prévu de consulter la commission de coordination dans le secteur de la prise en charge et de l'accompagnement médico-social sur le schéma régional de l'organisation médico-sociale, tel n'est pas le cas dans le secteur de la prévention pour le schéma régional de prévention.
a fait valoir que la création des ARS constituera une étape importante dans le système de régulation des dépenses hospitalières. Les agences disposeront de deux leviers d'action dans ce domaine : la tutelle des établissements publics de santé, compétence actuellement exercée par les ARH, et la gestion du risque, activité exercée partiellement par l'assurance maladie aujourd'hui. Concernant ce second levier, il est important d'indiquer que le projet de loi prévoit une extension du champ de compétences de l'assurance maladie en matière de gestion du risque. Présente au sein des ARS, l'assurance maladie participera en effet au programme de gestion du risque au niveau local.
a indiqué qu'il prévoit d'organiser une table ronde sur ce sujet, les modalités concrètes du dialogue entre les ARS et l'assurance maladie à l'échelon régional étant particulièrement difficiles à cerner.
a regretté que les relations entre les ARS et l'assurance maladie au niveau local ne soient pas précisément explicitées dans le texte. Il a souhaité savoir qui décidera exactement de quoi.
a demandé quelles activités, actuellement exercées par l'assurance maladie, demeurent dans son champ de compétences et quelles sont celles attribuées désormais aux ARS.
Se disant sensible aux incertitudes ainsi exprimées, M. Jean-Marie Bertrand a tenu à préciser la logique du système. Il faut tout d'abord rappeler que les ARS sont une union des services de l'Etat et des organismes de l'assurance maladie, représentés à parité au sein de la nouvelle structure. En ce qui concerne la gestion du risque, ensuite, deux missions sont à distinguer : d'un côté, les ARS seront chargées de la « maîtrise d'ouvrage » ; de l'autre, les organismes de l'assurance maladie assureront la « maîtrise d'oeuvre ». Cette distinction ne doit pas être interprétée comme signifiant que le rôle des organismes d'assurance maladie se limitera à un rôle d'exécution. En effet, le « pilotage » sera entre les mains d'entités associant l'Etat et les organismes d'assurance maladie, qui prépareront donc en commun le programme régional de gestion du risque.
Concrètement, au sein des ARS, la gestion du risque sera assurée conjointement par :
- des personnels de l'Etat, tels des médecins, des pharmaciens, des ingénieurs, des administrateurs ;
- des personnels de l'assurance maladie (administrateurs, médecins conseils...) qui viendront pour partie des Urcam, pour partie des Cram.
Ces différentes catégories de personnels conserveront leur statut initial. En tant qu'employeur, l'ARS est en effet à la fois un établissement public de l'Etat et un organisme de l'assurance maladie. L'objectif de ce système est d'assurer une fluidité des carrières pour les personnels des ARS. Par ailleurs, il faut indiquer que le texte ne prévoit pas d'obligation de mobilité géographique : une personne exerçant actuellement son activité à la Cram d'une région ne pourra se voir obligée de travailler à l'ARS d'une autre région.
a estimé que la question des personnels est essentielle car les ARS ne pourront fonctionner sans eux. L'exemple des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) montre qu'il n'est pas si évident de faire travailler ensemble des personnes venant d'horizons professionnels différents. Il faudra sans doute du temps pour que les personnels des ARS apprennent à coopérer et que ces structures soient opérationnelles.
a dit craindre, avec cette réforme, la fermeture de caisses locales d'assurance maladie. Elle a également demandé une définition claire de l'expression « gestion du risque ».
lui a répondu qu'elle se rapporte au risque financier et non au risque sanitaire.
Sur la question des personnels des ARS, M. Jean-Marie Bertrand a considéré que les MDPH ne représentent pas un modèle car elles sont constituées sous la forme de groupements d'intérêt public (Gip), statut qui peut effectivement poser les problèmes évoqués. Les ARS seront des établissements publics. Elles emploieront des personnels ayant deux statuts différents, selon qu'ils relèvent de l'Etat ou de l'assurance maladie. Il s'agit de la solution la plus pragmatique et la plus efficace possible. En réponse à Mme Samia Ghali, il a indiqué que la création des ARS n'entraînera pas de fermeture de caisses. L'opération sera neutre. L'activité des caisses d'assurance maladie devrait même augmenter en raison de l'extension de leur champ de compétences en matière de gestion du risque.
s'est demandé si les ARS ne constitueront pas l'outil privilégié pour favoriser le regroupement des établissements de santé ou des établissements médico-sociaux, et entraîner ainsi la fermeture de certains hôpitaux locaux.
lui a répondu que les ARS contribueront sans doute au regroupement d'établissements sanitaires, notamment via les communautés hospitalières de territoire. Ces regroupements permettront d'optimiser l'offre de soins. Concernant les établissements médico-sociaux, la question du regroupement n'est pas à l'ordre du jour puisqu'il existe une insuffisance chronique de l'offre.
A son tour, M. Yves Daudigny a demandé une définition précise de la « gestion du risque ».
a précisé que celle-ci s'apparente à l'activité d'assureur. L'assureur est celui qui cherche à optimiser sa dépense en insistant sur la prévention. Les ARS seront à la fois actionnaires et gestionnaires du risque financier. En tant qu'actionnaires, elles procèderont à un contrôle de gestion et tâcheront de rétablir l'équilibre financier du système de santé. En tant que gestionnaires, elles analyseront le risque et adopteront une démarche assurantielle.
Revenant sur la question du comité de coordination des ARS, il a indiqué que celui-ci sera chargé d'assurer le pilotage de l'ensemble des agences. Il sera composé des ministres chargés de la santé, de l'assurance maladie, des personnes handicapées et des personnes âgées, du directeur du budget, des directeurs des trois régimes d'assurance maladie, ainsi que du directeur de la caisse de la mutualité sociale agricole (CMSA). Un fonctionnement efficace du comité de coordination supposera tout d'abord une bonne coordination entre les différentes directions des ministères concernés. Le comité fixera une feuille de route aux directeurs généraux des ARS via les contrats de gestion et de moyens passés avec eux. Ensuite, il conviendra d'instaurer une coopération entre les représentants de l'Etat et ceux de l'assurance maladie.
Sur les commissions de coordination créées par le projet de loi, il a précisé que l'une sera compétente dans le secteur de la prise en charge et l'accompagnement médico-social, l'autre dans le secteur de la prévention. S'agissant du médico-social, il faut rappeler que, dans ce domaine, les compétences seront partagées entre les ARS et les conseils généraux. La commission de coordination sera donc un outil de dialogue entre ces acteurs. Elle permettra également d'assurer la cohérence entre le schéma régional d'organisation médico-sociale et les schémas départementaux. En matière de prévention, le but de la commission de coordination est de réunir, au sein d'une même structure, les autorités publiques et para-publiques compétentes. Il s'agit de faire émerger une vision commune de la politique régionale de prévention.
a souhaité savoir quelles seront les modalités de financement pour la permanence des soins, comment seront conciliées les interventions des collectivités locales et celles des ARS en matière d'installation dans les zones sous-médicalisées ainsi que les modalités de gestion du fonds d'intervention pour la qualité et la coordination des soins (Fiqcs). Il a également demandé comment le secteur médico-social sera intégré à la réforme des ARS et quelle sera la participation des assureurs complémentaires à la gestion du système de soins régionalisé.
a répondu que l'autorité unique pour mettre en place la permanence des soins sera le directeur général de l'ARS et qu'il disposera à cette fin de l'ensemble des leviers utilisables en la matière. Il disposera donc des crédits de l'assurance maladie. Seule la réquisition restera entre les mains du préfet. En matière de financement de la prévention, il s'agit de réunir la masse des fonds en provenance de l'assurance maladie ainsi que ceux de l'Etat. La création d'un fonds unique n'est pas forcément nécessaire.
a indiqué que le projet de loi est sous-tendu par une approche régionale, y compris en matière de financement. L'ARS a vocation à être le lieu de décision de l'ensemble des politiques menées au niveau régional même si les acteurs de l'assurance maladie conserveront une certaine autonomie dans la mise en oeuvre de leur politique, notamment en matière de prévention en ce domaine. De ce point de vue, on peut penser qu'un fonds unique regroupant les fonds de l'Etat et de l'assurance maladie n'est pas la meilleure solution. Il convient de souligner encore une fois à cette occasion que les relations entre les ARS et l'assurance maladie ne se limiteront pas à la gestion du risque mais que la prévention sera un sujet particulièrement important. Une contractualisation entre les ARS et chacun des acteurs de l'assurance maladie sera nécessaire.
a souhaité savoir si une gestion commune des fonds de l'Etat et de l'assurance maladie n'entraînerait pas nécessairement une fongibilité des enveloppes et donc la fin des différentes pratiques mises en oeuvre par les acteurs.
a insisté sur le fait que les ARS devront s'appuyer sur les acteurs les plus dynamiques du territoire et qu'il ne peut être question d'uniformiser les pratiques selon une logique purement financière.
En ce qui concerne la place des assurances complémentaires dans la gestion du risque, cette question n'est pas, à l'heure actuelle, prévue dans le texte mais une évolution est possible sur ce point.
Par ailleurs, l'articulation avec le secteur médico-social sera améliorée au travers de la mise en oeuvre des ARS, avec l'objectif de parvenir à coordonner schémas départementaux et schémas régionaux de soins. Il ne peut être question d'ignorer les compétences des conseils généraux même si une meilleure organisation régionale d'ensemble est nécessaire.
Dans le secteur médico-social, la question des appels à projet a suscité de nombreuses inquiétudes car cette procédure augmente la mise en concurrence. Il s'agit néanmoins d'un progrès car, à l'heure actuelle, de nombreux projets qui bénéficient d'un agrément ne se réalisent jamais, ce qui est frustrant pour les associations du secteur.
a insisté sur le caractère souvent novateur des expériences conduites par les associations du secteur médico-social sur le terrain. Ne peut-on craindre que les appels à projet ne tarissent ce secteur riche en propositions ?
a déclaré que, face à l'ampleur des besoins à satisfaire, les ARS seraient toujours à la recherche de solutions originales et adaptées faisant une place aux expériences de terrain conduites par les associations.
a regretté que le projet de loi semble procéder à un effacement des compétences des conseils généraux qui seront consultés pour avis sur les décisions prises par le directeur général de l'ARS sans véritable concertation. La formule du projet de loi selon laquelle on agira dans le « respect des compétences » est, à son sens, trop défensive. Un « maintien des compétences » paraîtrait plus adéquat. Au-delà même des conseils généraux, un certain nombre d'associations d'usagers voient au travers de ce texte une prise en main du secteur médico-social par les ARS.
a précisé que la rédaction de l'article 28 du projet de loi a été considérée avec attention par le Conseil d'Etat afin de ne pas remettre en cause la garantie constitutionnelle de libre administration des collectivités locales. La gestion des schémas est effectivement difficile dans la mesure où décideurs et financeurs ne sont pas les mêmes entités.
a insisté sur le caractère particulièrement complexe du problème dans le secteur médico-social qui fait intervenir, selon les cas, des fonds de l'assurance maladie ou de l'Etat, avec une compétence du conseil général.
En conclusion de ce débat, M. François Autain, président, a proposé qu'une seconde audition de Jean-Marie Bertrand soit éventuellement organisée pour compléter l'information de la commission sur ces questions très complexes.