a tout d'abord indiqué que le transport aérien restait l'un des rares secteurs où la nationalité emportait, sous la forme des droits de trafic, des conséquences juridiques. Le droit de desservir des grandes villes dans un pays étranger est en effet accordé à la suite de négociations entre les Etats intéressés. En l'occurrence, les droits de trafic sont formellement accordés par un Etat à un autre Etat, puis rétrocédés obligatoirement par ce dernier à une compagnie de sa propre nationalité, définie en fonction de la nationalité des actionnaires.
Parallèlement à cet arrière-plan juridique international issu de la convention de Chicago du 7 décembre 1944, la construction européenne tend à effacer la notion de nationalité entre les Etats membres de l'Union. C'est ainsi que le Marché Unique a supprimé les droits de trafic aériens entre les Etats membres de l'Union entre eux et également entre ces derniers, la Suisse et le Maroc qui y sont assimilés par convention.
Dans le prolongement de la construction du marché unique, la Cour de justice des communautés européennes a jugé illicite, en 2002, la clause de nationalité figurant dans les accords sur les droits de trafic passés avec la Chine. Les droits accordés par la Chine sont donc, du point de vue européen, qui n'est pas celui de la Chine, accessibles à l'ensemble des compagnies aériennes européennes.
Cette contradiction devra un jour être résolue. De façon générale, la tendance est à la liberté d'accès : c'est dans cette logique que s'inscrivent les négociations « Ciel ouvert » en cours avec les Etats-Unis, qui tendent à reconnaitre l'Union Européenne comme une réalité juridique se substituant aux Etats membres.
Evoquant ensuite la privatisation d'Air France, M. Jean-Cyril Spinetta a indiqué que la loi avait réglementé de façon précise l'évolution de la composition du capital d'Air France afin de protéger la nationalité et par voie de conséquence les droits de trafic de la Compagnie. Lorsque le seuil de 40 % du capital ou des droits de vote a été franchi par les actionnaires non français, le conseil d'administration doit décider d'abaisser le seuil de mise au nominatif obligatoire. Par ailleurs, lorsque les actionnaires autres que français détiennent 45 % du capital ou des droits de vote de la compagnie, le conseil d'administration doit décider d'imposer la forme exclusivement nominative des actions de la société et peut décider de mettre en oeuvre une procédure de cession forcée. D'autres formes de protection de l'actionnariat national des compagnies aériennes existent dans les pays européens.
Pour préserver les droits de trafic de KLM, il a été décidé, lors de la fusion, de dissocier, dans le capital, le droit économique, lié au versement du dividende, du droit de contrôle, lié au vote en assemblée générale. Cette solution, autorisée par le droit néerlandais, a abouti à un équilibre où Air France KLM détient 49 % des droits de vote de KLM, tout en possédant la totalité de ses droits économiques. Cette formule permet de protéger les droits de trafic détenus par KLM avant la fusion.
Quand la tendance générale à l'alignement du transport aérien sur les règles applicables aux autres activités aura atteint son aboutissement, les transporteurs auront à choisir entre deux stratégies : continuer à relier leur pays d'origine au reste du monde ou être présents sur le trafic entre pays extra-européens tout en conservant de fortes racines nationales. Il leur appartient d'anticiper sur cette évolution.
a ensuite estimé que la notion de nationalité de l'entreprise conservait une portée considérable, en dépit de la difficulté à définir la nationalité par un critère objectif. La nationalité des actionnaires, a-t-il estimé, ne joue pas un rôle déterminant, sauf dans le transport aérien et dans les entreprises à capital familial. La nationalité des dirigeants n'est plus centrale, comme le montre le cas de l'Oréal, longtemps dirigée par un Gallois. La langue est en revanche un élément important. A Air France KLM, la langue officielle est le français : les documents faisant foi sont rédigés en français mais chacun s'exprime dans sa propre langue lors des réunions du Conseil d'Administration. La langue de travail est cependant l'anglais, comme tel est le cas depuis longtemps dans l'ensemble du transport aérien. Le lieu du siège social, la France pour Air France KLM, est un critère intéressant, mais le facteur le plus important de la nationalité d'une entreprise est le recrutement des cadres dirigeants, toujours marqué par une dominante nationale.
La nationalité de l'entreprise conserve un intérêt majeur, dans la mesure où elle est un vecteur essentiel de l'influence d'un pays et du maintien de son autonomie. En effet, un pays qui perd ses centres de décision économique voit son influence diminuer. A titre d'exemple, il n'est pas indifférent pour la localisation des centres de recherche que Sanofi Aventis, dont le budget de recherche est supérieur à celui du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), ait un encadrement français.
a ensuite évoqué le remarquable succès de la politique des « Champions nationaux » menée en France depuis trente ans par l'Etat et par les actionnaires des grands groupes. Cette politique, qu'il faut saluer et encourager, est l'un des instruments de préservation de l'influence française.
a alors précisé que la mission recherchait les moyens de favoriser l'attractivité du territoire français pour les centres de décision économique et a souhaité savoir quelles étaient les possibilités existant en ce sens dans le monde d'aujourd'hui.
a rappelé que l'ouverture des marchés européens et mondiaux avait plutôt joué en faveur des entreprises françaises. Les échecs, tel celui de Pechiney par exemple, sont moins nombreux que les réussites. Il est intéressant de rappeler à ce propos qu'au moment où éclatait en France une polémique sur l'éventuel rachat de Danone par des intérêts étrangers, Saint-Gobain rachetait le leader mondial du plâtre. Ce qui importe en définitive est de distinguer à quel moment l'ouverture internationale pourrait être défavorable à nos intérêts nationaux. En tout état de cause, il convient de mettre en oeuvre de façon discrète les éventuelles mesures de défense contre des initiatives étrangères jugées inopportunes. Dans le cas d'Arcelor, dont la prise de contrôle est sans doute une mauvaise affaire pour l'économie européenne, il aurait été souhaitable de recourir discrètement à des mesures de protection, pour autant que la prise de contrôle ait pu être évitée.
a aussi remarqué que dans le passé les entreprises étaient menacées quand elles échouaient, alors qu'elles le sont maintenant quand elles réussissent. Les « agresseurs » sont souvent issus du capitalisme familial des pays émergents, alors que les entreprises de ces pays sont souvent protégées contre les « agressions » extérieures. Des mesures protectrices fondées sur la réciprocité des règles régissant l'ouverture du capital des entreprises nationales à des intérêts extra-européens sont mises en place en Europe, mais leur efficacité n'est pas assurée.
a demandé si la protection offerte par le droit néerlandais avait été l'un des éléments conditionnant la mise en place de la holding Air France KLM.
a précisé que la holding était de droit français et que ce choix avait été fait afin d'assurer l'acceptation de la fusion par le corps social d'Air France, nonobstant toute comparaison des législations fiscales en France et aux Pays-Bas.
a demandé comment coexistaient, au sein de la holding, les cultures d'Air France et de KLM.
a répondu que la définition des moyens de conserver l'équilibre entre les intérêts nationaux français et néerlandais avait été l'un des éléments délicats précédant la fusion. Alors que le rapport entre Air France et KLM était au départ très déséquilibré en faveur d'AIR FRANCE en termes de valeur de marché, il a été décidé que les deux nationalités seraient représentées à parité au sein de l'encadrement, le Président possédant une voix prépondérante. Le gouvernement néerlandais, de son côté, a souhaité que KLM reste constituée pour une durée minimale de huit ans sous la forme d'une société de droit néerlandais. Il est intervenu dans le processus de fusion en tant que « partie prenante », « stakeholder », qualité juridique que la loi néerlandaise lui accorde, comme à toute autre partie prenante intéressée au fonctionnement d'une société de droit néerlandais. En l'occurrence, il s'agissait pour le gouvernement d'obtenir des garanties sur la stratégie de la nouvelle entreprise dans le but de maintenir la desserte aérienne d'Amsterdam.
a considéré cette approche néerlandaise comme un aspect important de la notion de développement durable. Au cours de la fusion, l'aéroport d'Amsterdam a été un second « stakeholder ».
De leur côté, les salariés possèdent une influence cruciale sur la stratégie des entreprises néerlandaises, par le biais des représentants proposés par les syndicats dans les « work councils », où ces personnalités, indépendantes des syndicats qui les ont présentées, possèdent un droit de veto sur les fusions. Seul, le juge peut passer outre au vote négatif de ces représentants sur un projet de fusion.
Air France KLM, qui réfléchit en ce moment à une réforme possible de son fonctionnement, devra ainsi solliciter l'accord du « work council », le moment venu.
a estimé ce système actuellement inapplicable en France, compte tenu de la nature des relations sociales dans notre pays.
a remarqué que les comités d'entreprise européens ne pouvaient guère jouer un rôle identique à celui des « work councils ».
a confirmé que ces comités ne jouaient pas un rôle décisionnel équivalant à celui des « work councils ». A Mme Nicole Bricq, il a ensuite indiqué qu'il serait intéressant d'intégrer la notion de « stakeholder » dans la loi française, faisant cependant observer la difficulté de transposer en France le système de relations sociales de l'Europe du Nord, où les partenaires sociaux considèrent la grève comme un échec et tentent d'épuiser jusqu'au bout les possibilités offertes par les procédures de conciliation.
A titre d'exemple, les pilotes de KLM n'ont fait grève que pendant trois heures depuis 1919, date de la création de l'entreprise.
En ce qui concerne la protection de l'actionnariat national des entreprises, l'Etat doit être attentif aux règles qui régissent les OPA. Le droit anglais institue en ce domaine des délais destinés à maximiser les droits des actionnaires en favorisant l'augmentation du prix des actions. Il conviendrait, au contraire, d'infléchir le système vers la protection de l'entreprise contre les offres publiques d'achat (OPA) hostiles.
La présence de l'Etat dans l'entreprise, à un seuil situé en dessous de 20 % du capital, comme tel est le cas pour Air France ou Renault, est un puissant élément de protection contre les éventuels « prédateurs ». Par ailleurs, il est bon que l'Etat encourage au maximum l'actionnariat salarié. Le capital d'Air France est détenu à 15 % par les salariés. Au-delà de la protection qu'elle apporte contre les OPA hostiles, cette solution oblige l'encadrement à faire le nécessaire pour expliquer sa stratégie aux salariés et les convaincre de la pertinence de ses choix. Il faut donc favoriser la constitution et le renouvellement de l'actionnariat salarié.
La fiducie peut être un énorme progrès par rapport à la titrisation, extrêmement complexe à mettre en place, comme Air France a pu le vérifier en se lançant après le 1er septembre 2001 dans une opération de titrisation destinée à sécuriser son actif.
De façon générale, il est préférable de miser sur une grande diversité des moyens de protection du capital des entreprises plutôt que sur un seul système.
Au-delà de cette constatation, il est intéressant de s'interroger sur la raison pour laquelle les relations entre les entreprises et le système bancaire sont guidées en France par le souci de la valorisation de l'actif financier, les réalités économiques et industrielles étant perdues de vue, alors que la situation est différente en Allemagne, où une grande cohésion subsiste entre la sphère bancaire et la sphère économique.
a demandé où étaient installés les centres de décision économique d'Air France KLM, si la stratégie de mondialisation du groupe pouvait conduire à une délocalisation de ces centres et quels étaient les atouts et les handicaps de la France pour demeurer un lieu de décision économique.
a répondu que les problèmes de délocalisation des centres opérationnels étaient marginaux dans le transport aérien, mais que se posera forcément un jour, pour tout groupe industriel, la question de l'implantation du siège, compte tenu des écarts de législation fiscale entre les pays européens. Il est de fait que le bas taux de l'impôt sur les sociétés aux Pays-Bas est un élément qui pourrait inciter à transférer à Amsterdam le siège de la compagnie, ce qui aurait des conséquences sur l'influence économique de la France. Le jour où les « Champions européens » seront tous formés dans le transport aérien, les responsables de ces entreprises examineront nécessairement les législations sociales et fiscales des différents Etats membres.
a demandé de quelle façon les « Champions nationaux » communiquaient pour faire passer dans le public une autre image que celle de leurs résultats financiers.
notant que le dialogue entre les grandes entreprises et les pouvoirs publics était de plus en plus marqué par l'incompréhension réciproque, a rappelé que les groupes qui ont le mieux réussi leur mondialisation sont ceux qui ont maintenu des centres de décision en France. Il a mis en avant l'exemple des banques françaises, qui ont réussi leur internationalisation et qui embauchent beaucoup en France, à l'heure actuelle.