Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission a procédé à l'audition de M. Michel Didier, directeur général de Rexecode, de M. Jean-Pierre Petit, directeur de la recherche économique d'Exane, et de M. Jean-Paul Betbèze, directeur des études économiques et financières du Crédit Agricole.
Après avoir remercié M. Michel Didier d'avoir répondu à l'invitation de la commission, M. Jean Arthuis, président, a rappelé que celui-ci avait été auditionné à plusieurs reprises par la commission sur diverses questions tenant à la conjoncture économique.
a souligné le contraste, depuis deux ans, entre la croissance exceptionnellement forte de l'économie mondiale et les performances relativement décevantes de l'économie européenne. Il a considéré que des phénomènes analogues à l'OPA de Mittal Steel sur Arcelor se reproduiraient nécessairement dans les prochaines années, alors que les pays émergents se rapprocheraient du niveau de développement économique de l'OCDE.
Il a considéré que l'économie de la zone euro, et donc de la France, aurait du mal à avoir un taux de croissance supérieur à 2 % en 2006, du fait en particulier de la poursuite prévisible du ralentissement de l'économie américaine. Il a estimé que la croissance de l'économie française serait, en 2006, de l'ordre de 1,7 %. Il a déclaré que la question essentielle pour la croissance de l'économie française en 2006 était de savoir si le rebond de l'activité, actuellement en cours, allait se transmettre à l'investissement sur le territoire national et à l'emploi marchand, soulignant à cet égard que les entreprises françaises déterminaient leurs investissements à l'échelle mondiale, et que l'emploi marchand était en stagnation, malgré l'augmentation de l'emploi total.
Il a souligné qu'une faiblesse structurelle de l'économie française depuis l'an 2000 était qu'elle perdait systématiquement des parts de marché à l'exportation par rapport aux autres Etats membres de la zone euro. Il a considéré que ce phénomène de perte de parts de marché avait un impact important sur la croissance du PIB et sur la création d'emplois, estimant qu'en son absence, l'économie française compterait 500.000 emplois supplémentaires. Il a considéré que la politique économique menée par les gouvernements successifs présentait l'inconvénient de concerner essentiellement la redistribution des produits de la faible croissance, sans s'attaquer aux causes de cette dernière.
s'est interrogé sur les secteurs les plus touchés par les pertes de parts de marché de la France, et sur les raisons de la situation plus favorable de l'Allemagne.
a indiqué qu'il avait été frappé par le ton et la justesse des propos de M. Michel Didier. Il a souligné le décalage entre le diagnostic et l'action en matière de politique économique, et a considéré que la société française était aujourd'hui plus injuste qu'après la Seconde Guerre Mondiale.
s'est interrogé sur le rôle de la dénatalité dans la faible croissance de l'économie européenne, sur la capacité des Etats-Unis à financer durablement leur économie par l'endettement, et sur les perspectives d'évolution du cours du pétrole et des taux d'intérêt.
En réponse, M. Michel Didier a indiqué que les pertes de parts de marché de la France concernaient l'ensemble des zones et des produits, et provenaient en grande partie de la désorganisation des entreprises suscitées par le passage aux 35 heures, et par le fait que les PME étaient moins développées en France que dans des pays comme l'Allemagne. Il a considéré, en outre, que le progrès permis par la LOLF en matière d'efficacité de la dépense publique n'était que potentiel, du fait notamment de l'insuffisance du système d'information statistique sur les administrations publiques.
a abondé en ce sens, estimant que l'efficacité de la LOLF exigeait une volonté politique forte et un système d'information performant.
a considéré que l'ensemble des dépenses publiques destinées à réparer les erreurs de politique économique passées était quatre ou cinq fois supérieur au budget de l'enseignement supérieur, et qu'il serait donc nécessaire de redéployer plusieurs dizaines de milliards d'euros afin que la France retrouve un « budget de croissance ».
La commission a alors entendu M. Jean-Pierre Petit, directeur de la recherche économique d'Exane.
après avoir rappelé que M. Jean-Pierre Petit avait déjà été auditionné par la commission en janvier 2005, a indiqué que sa prévision de croissance de l'économie française en 2006 était de 1,7 %, soit un niveau identique à celui prévu par M. Michel Didier.
a considéré que, si l'on prenait en compte l'endettement public et privé, c'était non les seuls Etats-Unis, mais bien l'ensemble du monde, qui vivait à crédit. Il a évalué le stock de dette publique et privée au niveau mondial à 141 % du PIB annuel. Il s'est déclaré plus inquiet du niveau atteint par la dette privée que par celui atteint par la dette publique, et s'est en particulier interrogé sur l'endettement des ménages consécutif à la hausse du prix de l'immobilier. Il a estimé que l'une des différences essentielles de l'économie contemporaine par rapport à celle des « Trente Glorieuses » était que le niveau élevé de la consommation provenait de la croissance des patrimoines, notamment immobiliers, plus rapide que celle des revenus. Il a considéré que l'emploi était peu dynamique, y compris aux Etats-Unis. Il a souligné que l'efficacité de la politique monétaire était réduite par le fait que l'évolution des taux d'intérêt à court terme n'avait plus d'impact sur celle des taux d'intérêt à long terme, ces derniers, très bas, ayant contribué à la hausse des prix de l'immobilier. Il a considéré que les taux d'intérêt à long terme augmenteraient progressivement au cours des prochaines années. Il s'est interrogé sur les conséquences d'une telle augmentation pour le « capitalisme patrimonial » actuel. Il a considéré que le vieillissement de la population, qui toucherait successivement le Japon, l'Europe occidentale et les Etats-Unis, réduirait de manière significative la croissance potentielle des pays concernés.
a estimé qu'il fallait être prudent sur les perspectives de croissance à long terme de l'économie française.
a considéré que l'environnement international en 2006 se caractériserait par une forte croissance de l'économie mondiale, un baril de pétrole à 65 dollars en moyenne, une appréciation du taux de change de l'euro passant de 1,18 dollar à 1,24 dollar, et une augmentation des taux d'intérêt à court et long termes.
s'est interrogé sur les perspectives de remontée des taux d'intérêt à long terme en 2006.
a indiqué que, du fait notamment de cet environnement international, la croissance de l'économie française serait probablement de 1,7 % en 2006.
s'est interrogé sur les conséquences de l'aplatissement de la courbe des taux sur le secteur bancaire, et sur l'opportunité d'accroître l'endettement des ménages afin de soutenir la consommation.
s'est inquiété de l'endettement des acteurs économiques, et a rappelé qu'une inversion de la courbe des taux était traditionnellement considérée comme un indicateur avancé du ralentissement de l'économie.
a considéré que l'aplatissement de la courbe des taux pouvait en partie s'expliquer par les placements financiers des pays exportateurs de pétrole.
En réponse, M. Jean-Pierre Petit a estimé que le financement du déficit extérieur des Etats-Unis par les pays exportateurs de pétrole, ainsi que par les pays émergents, contribuait fortement à la bulle obligataire.
a considéré que les lourds investissements nécessaires dans le secteur du pétrole allaient absorber une part significative des liquidités de ces pays.
En réponse, M. Jean-Pierre Petit a estimé qu'à moyen terme le prix du pétrole demeurerait élevé, son prix d'équilibre ne devant être réduit par les nouveaux investissements qu'à partir de 2008 ou 2009. Il a jugé que les investisseurs ne croyaient pas à un retour de l'inflation, demeurée faible malgré l'augmentation du prix du pétrole, ce qui expliquait le faible niveau des taux d'intérêt à long terme. Il a estimé que ce dernier phénomène provenait également des normes prudentielles, qui poussaient les investisseurs à surpondérer les obligations publiques dans leur portefeuille. Il a considéré que l'inversion de la courbe des taux ne constituait pas, aujourd'hui, un bon indicateur avancé de la conjoncture, du fait en particulier du faible niveau des taux d'intérêt. Il a jugé que l'aplatissement de la courbe des taux n'était pas une bonne nouvelle pour les banques.
La commission a alors entendu M. Jean-Paul Betbèze, directeur des études économiques et financières du Crédit Agricole.
a indiqué que les principaux pays pouvaient schématiquement être répartis entre trois zones : une zone à 8 % de croissance, comprenant la Chine et l'Inde ; une zone à 4 % de croissance, comprenant les Etats-Unis ; et une zone à 2 % de croissance, comprenant l'Europe occidentale. Il a souligné que 70 % des brevets déposés dans le monde l'étaient aux Etats-Unis. Il a considéré que le faible taux de change de la monnaie chinoise et la contribution de la Chine au financement du déficit extérieur des Etats-Unis formaient un tout indissociable.
Il a indiqué que sa prévision de croissance de l'économie française en 2006, de 1,9 %, s'appuyait sur l'hypothèse d'une flexibilité accrue du marché de l'emploi, dont l'impact sur la croissance était évalué à environ 0,2 point.
Il a considéré que si l'Europe faisait partie de la zone à 2 % de croissance, c'était en particulier à cause du faible développement de ses PME, à l'origine d'une faible innovation.
a déclaré que les grandes entreprises créaient d'autant moins d'emplois en France qu'elles se délocalisaient.
a considéré que les PME étaient les entreprises sur lesquelles la politique économique pouvait avoir le plus de prise, et qu'elles jouaient un rôle essentiel au niveau local. Il a jugé qu'elles devaient accroître leur rentabilité, en particulier grâce à des délocalisations, afin de créer des emplois et de la valeur ajoutée en France.
a souligné que la commission n'entendait pas « criminaliser » les délocalisations.
Se référant à un rapport qu'il avait rédigé pour le Conseil d'analyse économique (« Financer la R&D », 11 février 2005), M. Jean-Paul Betbèze a considéré que, pour les PME, « la délocalisation n'est pas une option ». Les pouvoirs publics devaient les aider à franchir les seuils successifs de leur développement, tout en leur garantissant un environnement juridique et fiscal stable. Il a ainsi déclaré que « la croissance, ce sont les PME » et rappelé que les entreprises cotées au CAC 40 n'étaient détenues qu'à 40 % par des investisseurs nationaux.
s'est interrogé sur les origines psychologiques et culturelles de la faiblesse des PME en France, et sur les secteurs dans lesquels la Chine et l'Inde pourraient devenir importatrices à moyen terme.
a déclaré trouver l'analyse de M. Jean-Paul Betbèze plus intéressante, parce que plus concrète, que celle des deux autres économistes auditionnés. Elle a contesté l'analyse de M. Michel Didier, directeur général de Rexecode, selon laquelle la perte de parts de marché de la France par rapport aux autres Etats de la zone euro provenait, pour partie, du passage aux 35 heures. Elle a considéré que les PME ne pourraient investir que si le partage de la valeur ajoutée se faisait de façon satisfaisante, et a estimé que le taux d'emploi des « seniors » était insuffisant.
a déclaré partager l'analyse de la commission sur les délocalisations.
a considéré qu'une des conditions de l'efficacité des « pôles de compétitivité » était la stabilité de l'environnement juridique des entreprises.
s'est interrogé sur le sens de l'affirmation de M. Jean-Paul Betbèze selon laquelle 70 % des brevets étaient déposés aux Etats-Unis.
a considéré que la faiblesse des PME provenait en grande partie de l'insuffisance de leur alimentation en fonds propres au début de leur développement.
En réponse, M. Jean-Paul Betbèze a considéré que l'on avait trop tendance en France à considérer qu'une petite entreprise n'avait pas vocation à se développer. Il a répété que, selon lui, l'essentiel, pour qu'une entreprise investisse, résidait dans « les règles du jeu », qui devaient être stabilisées. En ce qui concerne le financement des PME en fonds propres, il a indiqué qu'en France, le capital-investissement n'était que minoritairement orienté vers l'innovation, contrairement à ce qui était le cas aux Etats-Unis. Se référant à un récent rapport du Conseil d'analyse économique qu'il venait de cosigner avec MM. Antoine d'Autume et Jean-Olivier Hairault (« Les seniors et l'emploi en France », 18 janvier 2006), il a considéré que le taux d'activité des personnes de plus de 55 ans pouvait être accru, notamment, en permettant la « retraite choisie ». Il s'est déclaré favorable à la suppression de la « contribution Delalande », qui selon lui est un frein à l'emploi de personnes de plus de 55 ans. Se référant à un autre rapport, précité, du Conseil d'analyse économique, dont il est l'auteur (« Financer la R&D », 11 février 2005), il a souligné que toutes les réformes préconisées par ce rapport n'avaient pas été mises en oeuvre. Il a considéré que les « pôles de compétitivité » seraient probablement moins nombreux dans dix ans. Il a indiqué que le concept de brevetabilité était plus large aux Etats-Unis que dans le reste du monde, ce qui contribuait à expliquer que 70 % des brevets déposés dans le monde le soient aux Etats-Unis.
a considéré, pour le déplorer, qu'en France, les pouvoirs publics étaient plus susceptibles d'aider une entreprise « qui allait mal qu'une entreprise qui allait bien ».
a alors jugé plus que jamais nécessaire de « réveiller les innovations dormantes ».
Puis, sous réserve de son adoption par l'Assemblée nationale et de sa transmission, la commission a décidé de se saisir pour avis du projet de loi n° 2787 (AN - XIIe législature) pour l'égalité des chances et a désigné M. Philippe Dallier comme rapporteur pour avis.