Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission a procédé à l'audition de M. Didier Lombard, président-directeur général de France Télécom.
a rappelé aux commissaires qu'à la demande d'Annie David, la commission avait prévu en janvier dernier d'engager en 2009 une réflexion d'ensemble sur la pénibilité, les conditions de travail et la santé physique et mentale dans le milieu professionnel. L'audition du président Didier Lombard s'inscrit dans ce cadre, qui sera formalisé lors de la réunion du bureau de la commission, le 7 octobre prochain.
L'annonce d'un vingt-quatrième suicide parmi les salariés de France Télécom constitue une nouvelle épreuve pour l'entreprise, ses salariés et ses dirigeants et accroît l'émotion ressentie par l'ensemble de l'opinion publique. Il est important de comprendre comment on a pu arriver à cette situation dramatique, qui a également touché d'autres entreprises au cours des dernières années.
Si le suicide comporte nécessairement une part irréductiblement personnelle, il est incontestable que plusieurs passages à l'acte ont été motivés par les conditions de travail au sein de l'entreprise. Ceci semble être l'illustration tragique d'un mouvement plus vaste marqué par la perte des repères, la montée des incertitudes et de la précarité liées à la mutation de l'économie, et donc des entreprises. Se pose donc la question de savoir quelle place accorder à l'Homme dans le passage de l'économie des usines à celle des réseaux.
Une fois le diagnostic posé, des mesures doivent sans doute être prises, notamment à l'occasion de l'examen du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, pour remédier aux insuffisances du plan « santé au travail » 2005-2009, trop peu décliné au niveau des entreprises, et accompagner l'élaboration du plan suivant destiné à couvrir la période 2009-2014.
Des négociations ont été engagées entre les partenaires sociaux de France Télécom sur la question du stress au travail, qui serviront de base à un nouveau « pacte social » pour l'entreprise. Au-delà des mesures immédiates annoncées par l'entreprise, quels sont les choix stratégiques envisageables à moyen et long termes ? Quel pourrait être en la matière le rôle des pouvoirs publics, notamment celui du Parlement ?
a souligné l'émotion qui est la sienne et celle de toute l'entreprise suscitée par les événements tragiques qu'elle a vécus, et à nouveau renforcée par le terrible drame survenu la veille à Annecy. Il s'est d'ailleurs immédiatement rendu sur place afin de présenter ses condoléances et celles du groupe à la famille et aux collègues du salarié.
Il lui paraît essentiel d'exposer aux sénateurs les actions mises en oeuvre pour tenter d'enrayer la crise actuelle car le législateur peut jouer un rôle majeur en aidant les entreprises à améliorer les conditions de travail des salariés et à mieux les former tout au long de leur carrière. Au-delà du cas de France Télécom, c'est la question de la place de l'humain dans la société qui est ici abordée. Cette question lui paraît d'autant plus cruciale qu'il a consacré pratiquement quarante ans de sa vie professionnelle à cette entreprise exceptionnelle qu'est France Télécom. Avec les hommes et les femmes qui la constituent, celle-ci saura faire à nouveau face à la crise.
Une triple promesse a été faite aux salariés : celle de tirer les leçons de cette épreuve ensemble et non pas simplement au niveau de la direction, celle de se mobiliser pour préserver la valeur du travail et celle de continuer à construire l'édifice qui fait de France Télécom un acteur majeur sur le marché mondial des télécommunications. Cette triple promesse repose sur une priorité absolue : la santé et le bien-être des salariés.
Un bref retour en arrière permet de mesurer la vitesse du changement qu'a connu l'entreprise. En 2002, celle-ci se trouvait dans une situation extrêmement difficile, avec une dette de 70 milliards et une concurrence chaque jour plus intense. Il a fait le choix avec Thierry Breton, alors président-directeur général de France Télécom, de maintenir l'emploi de tous les salariés du groupe, contrairement à la politique suivie par ses grands concurrents européens. Tous les salariés n'ont pas appréhendé la mutation de l'entreprise de façon similaire ni au même rythme. Néanmoins, M. Didier Lombard a insisté sur le fait que l'absence de plan social est un choix qu'il assume et qu'il referait. Ceci étant, des erreurs ont forcément été commises, notamment sur l'accompagnement du changement et sur la nécessité de veiller en permanence à ce que les évolutions d'organisation soient expliquées et effectivement intégrées par tous les salariés. Cela explique peut-être une partie de la situation actuelle bien que le diagnostic reste insuffisant.
Des mesures d'urgence ont été prises ces dernières semaines et un dispositif de dialogue social renouvelé a été instauré afin de prendre un nouveau départ. La première urgence était de stopper ce phénomène de « contagion », cette « spirale infernale » qui s'est enclenchée et qui a endeuillé les familles. C'est pourquoi, en coordination avec les médecins du travail, des conférences sanitaires ont été organisées, réunissant managers et équipes médicales pour identifier, dans le respect du secret médical, les personnes les plus en difficulté.
Parallèlement, une « ligne de dialogue » a été mise en place, qui permet aux salariés d'entrer en relation avec un cabinet de psychologues indépendants. D'ores et déjà, près de deux cents personnes ont contacté ce service et une vingtaine va bénéficier d'entretiens en face à face. Ce dispositif vient compléter les espaces d'écoute qui existent au sein de France Télécom et qui ont, depuis leur création en 2007, entendu plus de cinq cent cinquante cas pour lesquels des actions ont été engagées soit pour soutenir les personnes, soit pour suggérer une autre organisation du travail.
Toutes les mobilités liées à des réorganisations ont été suspendues jusqu'au 31 octobre. D'ici cette date, l'ensemble des mobilités en cours seront étudiées pour repérer celles qui posent des problèmes. Leurs modalités d'accompagnement doivent également être revues. Par ailleurs le 28 septembre, à Annecy-le-Vieux, a été annoncée la fin du principe de mobilité systématique des cadres tous les trois ans.
Le sujet des mobilités constitue l'un des thèmes des cinq groupes de négociations qui ont été mis en place. Les quatre autres portent sur les conditions de travail, l'organisation du travail, l'équilibre vie familiale-vie professionnelle, ce qui est un sujet nouveau, et, enfin, l'efficacité et l'organisation des instances de représentation du personnel qui ont sans doute pâti du passage du statut public au statut privé de l'entreprise. Le travail est engagé avec l'ensemble des organisations syndicales pour que cette négociation avance vite et qu'elle apporte des solutions concrètes et réalistes aux salariés du groupe. Pour faire face à l'urgence de la situation, les groupes de négociation se réunissent dès cette semaine et leurs séances plénières se dérouleront sur le rythme d'une réunion toutes les deux semaines.
Un effort sera également fait en faveur des équipes de ressources humaines de proximité qui jouent un rôle central dans la vie quotidienne des salariés sur le terrain : cent postes supplémentaires vont être créés ; près de soixante postes ont déjà été identifiés et seront pourvus rapidement. Parallèlement, le réseau des médecins du travail sera renforcé. Le cas de la dernière personne qui s'est suicidée est malheureusement exemplaire : elle avait demandé un rendez-vous au médecin du travail le jeudi et n'en avait obtenu un que pour le lundi de la semaine suivante.
Afin de préserver le moral de l'ensemble des personnels qui ne sont pas en situation de risque, les partenaires syndicaux ont chargé le cabinet Technologia de réaliser un audit complet de la situation de l'entreprise à partir d'un questionnaire, adressé à tous les salariés du groupe sur les conditions de travail et les améliorations à apporter, et d'une étude qualitative.
La formation managériale sera aussi améliorée. Les cadres de France Télécom sont recrutés sur leurs compétences professionnelles et non pas sur leur aptitude managériale. Or, celle-ci ne s'improvise pas. La direction des ressources humaines du groupe doit travailler rapidement à un dispositif répondant à la nécessité d'améliorer la qualité managériale des dirigeants de proximité et M. Didier Lombard a indiqué qu'il s'impliquera personnellement dans sa mise en oeuvre.
Le Parlement pourrait contribuer de manière importante à aider les salariés tout au long de leur carrière, notamment pour rendre plus simples certains changements de métier. Par ailleurs, la question du passage d'un congé de maladie à un congé de longue durée a un lien direct avec les suicides en entreprise et mérite d'être approfondie.
Depuis la semaine dernière, des réunions de terrain ont commencé afin de libérer la parole des salariés qui sont en état de choc. Les négociations en cours s'achèveront en décembre. Elles serviront de base à l'annonce d'un nouveau grand projet pour l'entreprise susceptible de mobiliser l'ensemble de ses personnels. La communauté d'hommes et de femmes qui est la force de France Télécom et qui a permis à l'entreprise de se transformer entièrement au cours des dix dernières années repartira de l'avant une fois le sujet réglé. Ainsi, France Télécom conservera sa place mondiale.
s'est déclaré choqué que Didier Lombard ait utilisé le terme d'« individu » et non de « serviteur de France Télécom » pour parler de la personne qui s'est suicidée à Annecy-le-Vieux alors que l'ensemble du personnel constitue une richesse essentielle de l'entreprise et doit être considéré comme tel. Par ailleurs, la question des suicides n'est pas un simple « sujet » à traiter.
Il a considéré que la vision trop technocratique du management à France Télécom se constate également dans l'aménagement de l'immeuble Balthazar où ont été décidées la fermeture des fenêtres et la pose de rambardes plus hautes sur les passerelles. Ses convictions de gaulliste social ne peuvent qu'être heurtées par un pareil comportement, et ce d'autant plus que le malaise dans l'entreprise est ancien et que les mesures préventives ont été insuffisantes.
L'évolution technologique sans doute nécessaire n'a pas été accompagnée sur le plan humain. Aujourd'hui encore, de nombreux employés désireux d'entrer en contact avec la direction des ressources humaines ou le médecin du travail n'obtiennent pas de rendez-vous. L'ensemble des personnels a été bousculé par le drame que connaît l'entreprise et il leur faut une réponse rapide, solidaire et humaine.
a jugé pertinente et utile la création de cent postes dans les directions des ressources humaines. Elle s'est inquiétée toutefois du dispositif dit TTM, « time to move », qui oblige les cadres à des mobilités régulières et qui semble n'avoir été suspendu que jusqu'au 31 octobre, alors qu'il produirait des effets négatifs sur les salariés et leur famille.
a précisé avoir suspendu l'ensemble des mobilités jusqu'au 31 octobre, pour toutes les catégories de personnels.
a indiqué qu'une décision sera prise après réexamen de l'ensemble des mobilités envisagées. Pour ce qui concerne précisément le TTM, qui entraînait pour les cadres une perspective de mobilité obligatoire tous les trois ans, il a été jugé facteur d'un stress inutile car les évolutions technologiques n'imposent pas un tel rythme et a donc été supprimé. Cette pratique, d'ailleurs, n'avait pas été imposée par le siège mais par la hiérarchie intermédiaire au sein de l'entreprise.
On ne peut cependant négliger l'importance stratégique des évolutions technologiques pour France Télécom. A titre d'exemple, il avait été demandé à l'entreprise, en 2002, de vendre ses activités de téléphonie mobile pour rembourser sa dette. Elle s'y était refusée, ce qui lui a permis de survivre, contrairement à d'autres opérateurs. De même, en 2006, il a fallu imposer le choix de la voix sur IP, c'est-à-dire la téléphonie gratuite par Internet, à laquelle 60 % des abonnés de France Télécom ont aujourd'hui souscrit. Ces évolutions technologiques ont des conséquences importantes sur les métiers au sein de l'entreprise : travailler dans un centre d'appels traitant de la téléphonie classique requiert des compétences moindres que répondre à des questions beaucoup plus techniques portant sur une Livebox ; de même, d'ici trois ans, une nouvelle mutation technologique est prévisible en matière de téléphonie mobile.
s'est déclaré d'autant moins inquiet sur les conséquences pour l'entreprise de la fin du TTM qu'en réalité, seuls 20 % à un tiers des cadres changeaient réellement d'affectation tous les trois ans.
En réponse à Alain Gournac, il a déclaré n'avoir pas utilisé le terme « individu » pour minimiser l'importance de la personne mais pour signifier que son comportement très individuel n'avait malheureusement pas permis à ses collègues de percevoir l'ampleur du malaise qui était le sien.
a ensuite indiqué que l'immeuble Balthazar est en cours d'aménagement et que, comme c'est systématiquement le cas à France Télécom, celui-ci s'effectue en liaison étroite avec le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). C'est à la demande de celui-ci qu'ont été effectués les aménagements destinés à rendre les locaux aussi sûrs que possible.
A M. Jean Desessard, qui souhaitait savoir si la notion de sécurité recouvre ici celle de rendre impossibles les suicides, M. Jean-Yves Larrouturou a indiqué que l'aménagement vise d'abord à garantir les meilleures conditions de travail possibles et la sécurité des salariés au-delà des obligations légales.
a fait valoir l'émotion et la colère suscitées par les vingt-quatre suicides survenus à France Télécom. Il serait d'ailleurs très utile que les représentants des salariés soient également auditionnés par la commission des affaires sociales à ce sujet. La volonté de redonner le moral aux employés et la reconnaissance des erreurs d'accompagnement dans les mutations de l'entreprise contredisent, à son sens, l'objectif affiché de continuer à construire l'édifice qu'est France Télécom, ce qui lui laisse à penser que le président Didier Lombard ne semble pas conscient de la gravité de la situation. Il faut savoir que le TTM est connu des salariés sous une forme plus expéditive : « Tire-toi maintenant ». Or, la volonté de les faire bouger régulièrement et rapidement ne peut que les déstabiliser. Il est essentiel que les moyens de parole soient coordonnés et que la ligne de dialogue qui a été ouverte soit accessible à tous les salariés et soit en lien avec la médecine du travail et le CHSCT.
Elle a par ailleurs indiqué qu'une note apportant des réponses préparées d'avance aux questions susceptibles d'être posées aux employés sur les suicides circule actuellement au sein de l'entreprise. On peut s'interroger sur le caractère opportun de cette forme de dirigisme en période de malaise.
La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (Gpec) a été un échec au sein de France Télécom puisque la dernière s'est soldée par un constat de carence et que la précédente n'avait obtenu qu'une seule signature syndicale. Dès juillet 2007, une alerte avait été lancée par les organisations syndicales sur le risque en matière de santé posé par les conditions de travail dans l'entreprise. Il s'est donc passé beaucoup de temps avant que le sujet ne soit traité.
Enfin, les conditions d'emploi avec, notamment, le non-remplacement de tous les départs à la retraite, le recours à des contrats précaires et la mise à temps partiel des seniors ont contribué à déstabiliser les salariés.
a répondu que l'ouverture des lignes de dialogue a été l'une des premières mesures prises. Elles sont accessibles à tous et plus de deux cents personnes les ont déjà utilisées. Ces appels s'effectuent en lien avec la médecine du travail, si le salarié le souhaite. Pour les cas de détresse qui nécessitent une réaction managériale, des moyens doivent être trouvés pour permettre cette interaction. Par ailleurs, il est faux de dire que France Télécom n'a rien fait depuis 2007 pour tenir compte des difficultés au sein du personnel de l'entreprise.
a précisé que le prestataire en charge des lignes d'écoute peut orienter les appelants vers la médecine du travail ou, pour des raisons de confidentialité, vers un psychologue extérieur, comme c'est le cas pour une vingtaine de personnes qui se sont d'ores et déjà engagées dans cette démarche. Dans ce cadre, l'entreprise n'intervient qu'au titre de la mise à disposition de cinq séances de dialogue avec le thérapeute.
L'alerte lancée en juillet 2007 par les syndicats n'est pas restée sans suite puisque onze espaces d'écoute et d'accompagnement ont été créés dès cette époque. Ils réunissent des responsables des ressources humaines, des managers et des représentants des employés pour répondre aux cas où il a été impossible pour un salarié de trouver une solution avec sa hiérarchie. Cinq cent soixante cas ont ainsi été étudiés et deux cent cinquante réglés. Le numéro vert a été créé à la suite de la vague de suicides pour répondre aux craintes d'une insuffisante confidentialité des espaces d'écoute et de parole.
Si les Gpec n'ont pas abouti, deux mesures ont toutefois été appliquées au sein de l'entreprise : une carte des perspectives d'emploi a été créée pour informer les salariés sur le nombre et la situation des postes prévus dans chacun des métiers de l'entreprise ; l'accompagnement des mobilités a été renforcé avec une aide au déménagement, une aide à la recherche d'emploi pour le conjoint et des formations. A titre d'exemple, deux cent cinquante techniciens ont bénéficié d'une formation longue en matière de voix sur IP.
Parmi les cinq chantiers ouverts à la négociation figure évidemment la Gpec avec l'actualisation des cartes de perspectives d'emploi. Comme ses concurrents, France Télécom ne remplace pas tous les départs et fait évoluer les effectifs au sein des différents métiers. Néanmoins, six mille recrutements ont été effectués entre 2006 et 2009 dans les nouveaux métiers et le rythme des départs a été divisé par trois.
En matière d'emploi des seniors, des négociations sont en cours. Elles avaient commencé avant l'ouverture des cinq nouveaux chantiers et devraient aboutir en même temps. Certains seniors souhaitent partir progressivement à la retraite et ont donc recours au mi-temps. Mais il faut certainement adapter les conditions de travail à leur situation, notamment en allégeant leurs obligations de mobilité.
a constaté que le fait que le président de France Télécom ait reçu, en 2008, deux prix de management n'a pas empêché que vingt-quatre suicides surviennent au sein du personnel de l'entreprise en seulement dix-huit mois : si la mutation de l'entreprise a été bien réussie sur le plan technique, il semble que l'accompagnement humain ait été, en revanche, déficient. Cet accompagnement, qui est certes coûteux, devrait primer sur les considérations financières et concerner aussi les salariés qui ne demandent rien mais qui vivent mal les transformations de leur entreprise : l'expérience montre que ceux qui se taisent sont souvent plus vulnérables que ceux qui demandent de l'aide. Il est de la responsabilité des dirigeants d'une entreprise de s'engager dans une telle démarche faute de quoi la question de leur maintien en poste ne manquera pas de se poser.
a répondu que la dimension humaine n'est pas absente de la politique de l'entreprise, comme en témoignent les programmes NexT (Nouvelle expérience des télécommunications), dont le volet principal portait sur les ressources humaines, et ACT (anticipation et compétence pour la transformation), qui a concerné dix mille cadres. Il est effectivement plus difficile de détecter les situations de souffrance des salariés qui restent silencieux mais la société va s'efforcer de travailler dans ce sens.
a estimé que cette audition révèle l'échec d'une entreprise, d'une direction, d'une politique et d'une gestion des ressources humaines. Si France Télécom a décidé, en 2002, de garder tout son personnel, vingt-quatre salariés ont néanmoins quitté l'entreprise dans la période récente, sans même compter les tentatives de suicide... Pour l'opinion publique, France Télécom est désormais une entreprise en situation d'échec et son image est durablement ternie. Si l'accompagnement des personnes en difficulté relève de la responsabilité de l'entreprise, il ne doit pas occulter la nécessité de réduire la pénibilité du travail demandé aux salariés. Quand un salarié commet l'irréparable, est-ce parce qu'il est fragile ou parce que le travail qui lui est demandé est inhumain ?
La direction de France Télécom doit s'interroger sur les finalités, la nature et la structure de l'entreprise et ne pas se préoccuper uniquement du nombre de portables vendus et du chiffre d'affaires. Si ces suicides s'étaient produits dans les armées, le ministre en charge aurait démissionné depuis longtemps ; le président Didier Lombard a-t-il l'intention d'en faire autant ?
a répondu que cette dernière question relève de la compétence du conseil d'administration de France Télécom. Pour sortir de la crise actuelle, la direction s'efforce de modifier les méthodes de travail, notamment dans le domaine des relations avec la clientèle, qui ont pris une tournure trop « industrielle » et sont un facteur de stress.
s'est enquis du nombre de médecins du travail employés par France Télécom et du taux d'absentéisme des salariés. Il a souhaité savoir si l'entreprise fait procéder à un contrôle lorsqu'un salarié s'absente pour cause de maladie.
a souligné que l'entreprise se situe plutôt en dessous de la moyenne nationale en ce qui concerne le nombre de suicides rapporté au nombre de salariés. Par ailleurs, la société compte soixante-dix médecins du travail et cinquante assistantes sociales, ce qui est supérieur à l'effectif requis par le code du travail. Certains médecins sont cependant en charge d'un territoire trop étendu, ce qui justifie que France Télécom renforce aujourd'hui son réseau en recrutant une dizaine de médecins supplémentaires. Enfin, il a affirmé que l'entreprise ne fait que très exceptionnellement procéder à des contrôles en cas d'absence d'un salarié.
a ajouté que ses concurrents Deutsche Telekom ou Vodafone sont confrontés à des problèmes analogues, sinon plus graves, que ceux de France Télécom. Il s'est toutefois refusé à mettre en avant ces données statistiques, chaque vie humaine étant inestimable.
a fait part de son étonnement devant le caractère « clinique » des réponses apportées au début de l'audition. Les problèmes de France Télécom s'inscrivent à son sens dans le contexte plus général du nouveau « taylorisme des services », qui se caractérise par la pratique du travail en « flux tendu », le manque de travail d'équipe, la faible qualité du service rendu, qui crée chez les salariés un sentiment d'inutilité, l'obligation de changer fréquemment de poste ou encore l'impossibilité de personnaliser son lieu de travail, qui affaiblissent le sentiment d'appartenance à un collectif. Ces méthodes entraînent une souffrance psychologique chez les salariés et peuvent conduire à de véritables dépressions.
a indiqué que les télé-conseillers sont notamment confrontés au stress lorsqu'ils sont dans l'incapacité de répondre à un client qui leur pose une question trop technique, qui déborde leur champ de compétences. Il est important qu'ils puissent avoir accès, dans ce cas, à l'aide de techniciens plus spécialisés.
a rappelé avoir déjà abordé la question des suicides à France Télécom dans une question orale, posée en séance publique le 17 septembre dernier, et a demandé que la commission mène un travail de fond sur le sujet de la santé au travail. Il a considéré que la volonté de transformer France Télécom, dans un temps très court, en une entreprise dégageant le maximum de profits est en lien avec la souffrance des salariés, dont certains ont commis l'irréparable. Dans la fonction publique, les suppressions de poste conduiront aux mêmes situations dramatiques. L'individualisation de la gestion des salariés, auxquels sont parfois imposés des horaires incompatibles avec la vie familiale, pose également un problème. Il est enfin revenu sur la note de service évoquée par Annie David et a demandé une réponse à ce sujet.
a indiqué que cette note vise simplement à fournir aux salariés des éléments de réponse afin de les aider à faire face aux questions que leur posent les clients. Pour autant, elle ne présente aucun caractère obligatoire de discours officiel à tenir vis-à-vis de l'opinion publique.
a confirmé que cette note, dont il connaît l'existence mais qu'il n'a pas vue, a été élaborée à la demande de certains salariés qui se sentaient démunis face aux questions des clients.
a exposé le cas d'une salariée de France Télécom résidant dans son canton et qui travaille sur une plate-forme téléphonique où elle était soumise à une pression quotidienne pour atteindre des résultats toujours meilleurs ; ne pouvant plus résister à cette pression, elle a fini par se mettre en arrêt de travail et, au moment de reprendre son emploi, elle souhaite désormais changer de poste. S'il est légitime que l'entreprise veuille améliorer la productivité de ses agents, y a-t-il eu une concertation avec les syndicats ou les représentants du personnel sur ce point, notamment pour fixer une limite aux exigences imposées aux salariés ?
a répondu que ce qui a été mis en place dans les centres d'appel de France Télécom provoque pourtant moins de stress que ce qui est pratiqué dans ceux d'autres entreprises.
a ajouté que cette question fait partie des sujets qui vont être abordés à l'automne avec les représentants du personnel.
est convenu que le travail dans les centres d'appel manque de convivialité et qu'il convient d'évaluer les équipes de façon plus collective. L'appréciation individuelle des performances constitue à l'évidence un facteur de stress supplémentaire pour les salariés.
a indiqué que dans le département du Lot, dont il est l'élu, des agents vont être délocalisés vers une plate-forme plus importante. En dépit de leur motivation au travail, ils ne comprennent pas les raisons de ce déménagement et le perçoivent comme une manière de faire pression sur eux pour les pousser à démissionner.
a souligné que ces mouvements sont toujours décidés de façon réfléchie. Alors que ses concurrents ont installé leurs sites dans des pays à bas coûts salariaux, France Télécom a conservé cinq cents plates-formes téléphoniques sur le territoire national. Elles sont cependant excessivement dispersées et des regroupements sont donc indispensables. La direction va toutefois examiner comment ce site pourrait être réaménagé, en ayant recours notamment au télétravail, afin d'éviter ce déménagement.
En conclusion, Mme Muguette Dini, présidente, a proposé à la commission d'organiser une nouvelle audition l'an prochain, afin d'évaluer les résultats des mesures annoncées.