La commission procède à l'audition de M. François Baroin, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur la situation de la zone euro.
Monsieur le ministre, pour ne pas perdre de temps, je propose d'en venir directement aux questions. Pour ma part, je voudrais vous interroger sur la facilité d'emprunt de trois ans que la Banque centrale européenne offre au système bancaire. Cette facilité est probablement l'innovation la plus concluante de l'accord intergouvernemental du 9 décembre. Faut-il s'attendre à d'autres tranches de cette facilité ? Plus généralement, quels premiers enseignements en tirez-vous ? Cette facilité est-elle, pour le Gouvernement et la banque centrale d'un État comme le nôtre, une opportunité pour mieux dialoguer avec le système bancaire ?
Ma seconde question tient davantage au calendrier. Nous l'avons abordée avec Mme Pécresse, mais je ne vous dévoilerai pas sa réponse pour pimenter le débat... Si le Sénat, de par la Constitution, est souvent en état d'infériorité, il représentera, au moins dans la période prochaine, l'élément de continuité de la République. En tant que tel, il aimerait vous entendre, lors de la période critique du semestre européen de mi-avril, sur le programme de stabilité et de croissance. Notre voeu, que je formule sous le contrôle de Mme la rapporteure générale, est que ce programme, comme l'an dernier, fasse l'objet d'un débat au sein de la commission.
Merci, monsieur le ministre, d'avoir accepté notre invitation. Votre temps est compté, nous le savons.
Premier sujet, le Mécanisme européen de stabilité (MES). Quels sont les véhicules législatifs nécessaires à son entrée en vigueur en juillet 2012 ? Quand seront-ils examinés ?
Quel sera le montant global de la capacité de prêt ? Christine Lagarde a encouragé les Etats européens à additionner les 250 milliards du Fonds européen de stabilité financière (FESF) et les 500 milliards du MES. Qu'en pensez-vous ? L'Allemagne ne semble pas enthousiaste... Si nous ne parvenions même pas à 750 milliards, cela poserait problème. Nous avions estimé les besoins à au moins 1 000 milliards. Du reste, ce sujet sera certainement sur la table du prochain sommet européen. Question subsidiaire, l'effet de levier du FESF a curieusement disparu de l'écran radar. Comment l'expliquer ?
Qu'en est-il des versements de la France au capital du MES et de l'échéancier de ces versements ? L'Allemagne semble préférer un versement unique ; en tout cas, elle dit pouvoir le faire.
Deuxième sujet, la règle d'or. La France aurait accepté la demande allemande de lier discipline et solidarité budgétaires dans les traités. Confirmez-vous cette information ? Le point est important, car les marchés pourraient anticiper les difficultés de ratification ou de mise en oeuvre des traités dans les États en difficulté, ce qui aurait un impact direct sur la crédibilité du mécanisme de stabilité.
Pensez-vous que la règle d'or soit de nature à régler les déséquilibres macro-économiques dans la zone euro ? Mme Lagarde a parlé d'inquiétudes à propos de la croissance européenne. Et l'on murmure que le FMI serait allé jusqu'à déconseiller à l'Espagne de respecter sa trajectoire budgétaire afin de ne pas pénaliser la croissance.
Dernier point, le FMI demande 600 milliards d'euros supplémentaires. Cela vous semble-t-il justifié ?
Merci de votre invitation. Le Gouvernement, je le rappelle, est à la disposition du Parlement.
Monsieur le président, la ligne de prêt de 500 milliards à un taux préférentiel de 1 % que la BCE a mise à disposition des banques explique, à notre sens, la relative stabilité des marchés aujourd'hui. Et ce, malgré les dégradations opérées par Standard and Poor's. De fait, elle règle la question des liquidités, après que les exigences de juin sur le renforcement des fonds propres en dur ont résolu la question de la solvabilité. Incontestablement, il s'agit d'une étape importante, avec l'équilibre entre discipline et solidarité proposé dans l'accord du 9 décembre, à laquelle nous devons la restauration, petite mais réelle, de la confiance des investisseurs envers les titres d'État des membres de la zone euro. Cela dit, échaudés par les crises à répétition précédentes, nous restons vigilants. De mémoire, une deuxième tranche est prévue en février.
Quels enseignements en tirer ? Pour dire les choses, cette mesure est la réponse qu'a trouvée le BCE pour pallier son incapacité, qui découle, selon elle, du traité, de faire office de prêteur en dernier ressort. Une solution de contournement donc, mais une solution efficace pour préserver la capacité de financement des banques. Aux banques, qui bénéficient de cette facilité, de maintenir l'activité de crédit et de participer à la restauration de la confiance envers les titres d'État. Nous les y poussons.
Le dialogue avec le système bancaire ? Il est maintenu ; nous tenons des réunions de place très régulièrement avec des circuits très courts. Notre souci est d'éviter le credit crunch. La France, malgré la crise, connaît un niveau de crédit à la fin de l'exercice 2011 très supérieur à la moyenne européenne : une progression de plus 5 % contre 1,8 %. Cela dit, un resserrement du crédit est à craindre à cause du renforcement des fonds propres demandé aux banques en juin. Maintien de l'activité de crédit, nécessité de se positionner sur les emprunts d'État, voilà le message que nous faisons passer aux banques.
Je me tiens à la disposition de votre commission pour un débat sur le programme de stabilité, comme je l'avais fait une quinzaine de jours avant sa transmission lorsque j'étais, dans une autre vie, ministre du budget.
Madame la rapporteure générale, le débat est en cours sur le montant global du MES ; ce sera probablement l'un des enjeux du sommet de lundi prochain. L'Allemagne n'a pas donné son accord à la solution du FMI que la France défend. Pourquoi ? Parce que ce mécanisme a vocation, non pas seulement à régler la question grecque, mais à devenir un pare-feu pour les Etats en difficulté : l'Italie avec ses 120 % d'endettement, l'Espagne et ses 20 % de chômage qui impactent les jeunes et la classe moyenne. Concernant l'Espagne, cela éclaire certainement la position du FMI.
Pour autant, l'accord du 9 décembre 2011 lie clairement, d'une part, renforcement de la discipline budgétaire, convergence économique et mesures de sanctions et, d'autre part, progression de la solidarité au sein de la zone euro. Ce sera l'un des sujets du sommet du 30 janvier prochain.
L'échéancier des versements n'est pas arbitré, nous plaidons pour une accélération du calendrier. Deux tranches sont prévues. Le prochain texte financier...
Pour rester prudent, disons que je pourrais être en mesure de présenter un volet sur le MES dans la prochaine loi de finances rectificative si, d'aventure, le Parlement devait examiner une telle loi.
Une concrétisation rapide de nos positions européennes et internationales démontrerait la détermination et la cohérence de la France. Au reste, nous avons toujours procédé ainsi.
La règle d'or figure clairement dans l'accord européen. A la demande de l'Allemagne, il a été prévu une validation de sa compatibilité avec le traité par la Cour de justice. La règle d'or fera l'objet d'un traité, cela a été acté, et non d'un accord intergouvernemental. Quels sont ses éléments de référence ? Pour une large part, les dispositions déjà actées dans le « Six Pack » : pas de déficit structurel supérieur à 0,5 % du PIB et des sanctions immédiates en cas de déficit supérieur à 3 %. Reste un point en discussion : la référence à la dette. Les Allemands veulent des pénalités automatiques en cas de dette supérieure à 60 % du PIB, ce qui nous semble une mesure difficile pour certains pays. Notre position est minoritaire, de nombreux Etats membres défendent un parallélisme des formes avec les textes adoptés par le Parlement européen.
Le débat sur la croissance ? Le G20 l'a, pour partie, arbitré : les pays, à mesure de leurs moyens, contribuent soit à la poursuite de la consolidation budgétaire soit à la relance de la demande. La France n'est pas dans le second cas.
Un relatif consensus se dessine autour de cette demande. Les Américains ont exprimé des réserves, les Britanniques aussi. Mais ces derniers acceptent de participer à la discussion lors du G20 de Mexico.
Qu'en est-il du calendrier des traités ? On envisagerait son accélération.
Les traités sont encore à peaufiner au plan juridique. Effectivement, il y a une volonté d'accélération.
La nouvelle facilité d'emprunt de la BCE écarte-t-elle toute menace d'un resserrement du crédit ? La souscription, explique-t-on ici et là, serait constituée à deux tiers de crédits recyclés. En outre, l'émission d'octobre aurait été particulièrement faible parce que les banques s'attendaient à une nouvelle baisse de taux d'intérêt de la BCE.
Où en sommes-nous de la rédaction des mesures qui, en France, seront nécessaires pour la mise en oeuvre du futur accord ? Quelle sera la définition juridique du déficit structurel ?
Monsieur Germain, j'ai évoqué moi-même un risque. Cela dit, il serait considérablement plus élevé si la BCE n'avait pas décidé cette mesure. Le fait qu'il y ait une deuxième tranche, sans doute du même montant, est le signe qu'il y a une appétence et un besoin. Pour parer au risque, tous les ministres de la zone euro s'entendent à exercer une pression vertueuse sur les banques nationales. De fait, l'accès au crédit est la clé du soutien à l'activité et à la croissance, qui est l'un des critères sur lesquels se fondent les investisseurs, les instances internationales et les agences de notation.
Monsieur Doligé, les discussions se poursuivent sur la règle d'or avec un point d'interrogation sur le critère de la dette.
Monsieur le président, nous devrons reprendre la rédaction des dispositions nécessaires à l'application du traité par la France. Notre travail de révision de la Constitution l'été dernier était bon, mais reste en-deçà des exigences européennes. Quant à la définition du déficit structurel, qui est « le solde - l'impact de la croissance », nous devrons nous adapter à une norme internationale afin d'autoriser les comparaisons.
Mme Pécresse a naturellement une vision budgétaire ; le ministre de l'économie a une vision plus large...
Toute norme de droit, en particulier constitutionnelle, est sujette à interprétation. Il faudra donc trouver un tiers neutre et indépendant. D'où la problématique des comités budgétaires indépendants.
Vaste débat ! La question se pose aussi pour la publication des statistiques...
En d'autres temps, notre commission avait suggéré, mais elle prêchait alors dans le désert, de transformer Eurostat en une autorité comptable indépendante. Nous y viendrons peut-être...
C'est un débat !
Je lis des choses très désagréables sur la Grèce, la situation y serait épouvantable, la crise s'aggraverait. Les ministres des finances européens en ont-ils parlé ?
Naturellement ! Nous avons décidé de ne pas dévier de la trajectoire de l'accord du 9 décembre : une participation volontaire des créanciers privés pour ramener la dette grecque entre 120 % et 125 % du PIB en 2020. Les négociations ne sont pas simples. En particulier sur la rémunération du coupon, nous, nous défendions un taux de 4 %. Toute la subtilité est de savoir quand se constate le défaut. L'objectif reste d'éviter un défaut de la Grèce, qui serait un Lehman Brothers à la puissance trente, tout en rappelant aux Grecs leurs responsabilités.
La semaine dernière, le Sénat a examiné une proposition de résolution émettant des réserves sur une règle d'or qui serait imposée par un règlement communautaire. Si j'ai bien compris, cette crainte n'a plus lieu d'être.
Tout à fait.
Quels sont les Etats membres dont la situation donne le plus matière à inquiétude ?
Je vous transmettrai tous les éléments chiffrés ; vous vous ferez ainsi votre propre jugement.
Quel est le but de la coordination des programmes d'émission de dettes prévue dans le traité intergouvernemental ?
Les grands pays européens ont 240 milliards d'euros à positionner entre janvier et mars. Les besoins de financement varient d'un pays à l'autre : celui de la France est inférieur à celui de l'an passé, et moins important que celui de l'Italie. Retirer le virus du doute, restaurer la confiance des marchés passe par la convergence, y compris du traitement des émissions.
Permettez-moi une question, que j'espère très partagée en ces temps de préparation des budgets des collectivités territoriales dans lesquelles nous exerçons les responsabilités que l'on sait. La plupart d'entre nous s'inquiètent des conditions de réalisation des programmes d'emprunt. L'année 2011 a été bouclée, et très correctement d'ailleurs, grâce au dispositif spécifique mis en place par l'État et la CDC. Serait-il complètement absurde d'imaginer un relèvement, éventuellement temporaire, du plafond du livret A ? Je parle uniquement du financement des collectivités territoriales...
Les tensions observées sont apaisées grâce à la facilité de la BCE. Cela dit, les banques, qui doivent réduire leur bilan, feront porter l'effort sur les secteurs qui rapportent peu, tel celui des collectivités territoriales. D'où la décision du Premier ministre de gonfler l'enveloppe de 3 à 5 milliards d'euros, sachant qu'il reste 700 millions d'euros disponibles à la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Nous faisons tout pour accélérer la mise en place de la joint-venture entre la CDC et la Banque postale pour le nouvel établissement public dédié au financement des collectivités territoriales. Nous avons un peu de marge sur les fonds d'épargne. En bref, la situation n'impose pas un relèvement du plafond du livret A. D'ici la fin de la législature, nous trouverons les moyens de répondre aux besoins de financements des collectivités territoriales.
D'après MM. Bailly et Wahl, les négociations avec Dexia se passent mal. Cette société poserait des conditions croissantes pour mettre à disposition ses outils d'analyse et d'instruction des dossiers de crédit, ce qui créerait des retards. Nous avons retiré de cette audition une certaine inquiétude.
Dexia est un sujet compliqué par son envergure systémique. L'accord entre les trois Etats, sur lequel nous nous sommes engagés devant la représentation nationale, est intangible. Chacun ses responsabilités ; notre rôle est de tout faire pour accélérer le calendrier et rassurer.
Les besoins de financement des collectivités territoriales et assimilés s'élèveraient à 18 ou 20 milliards, un chiffre bien plus élevé que l'enveloppe de 5 milliards.
Certes, mais il ne s'agit pas de 18 milliards d'eurosen un mois. Il faut aussi compter sur les grandes banques systémiques aux côtés du nouvel établissement public pour financer les collectivités territoriales.
A propos des 700 millions d'euros restants, c'est bien le signe que les banques systémiques ne sont pas venues aux adjudications.