La commission entend, lors d'une réunion conjointe avec la commission des affaires européennes, Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur.
Nous sommes particulièrement heureux de vous accueillir, conjointement avec la commission des affaires européennes, dans cette maison qui reste la vôtre. Je vous rappelle, tout d'abord, que le 5 juin dernier, nous avons adopté la proposition de résolution européenne portant sur un partenariat transatlantique. Certains ont pu faire observer que nous avons travaillé dans des conditions acrobatiques, mais l'enjeu le justifiait puisque l'Union européenne (UE) et les États-Unis d'Amérique représentent ensemble près de la moitié du PIB mondial et un tiers des échanges mondiaux. Nos deux commissions ont ainsi tout mis en oeuvre pour que le Sénat puisse renforcer le poids du Gouvernement français lors du prochain Conseil de l'Union européenne consacré à ce sujet. Simultanément, il semblerait que nos relations avec la zone Asie - Pacifique prennent un nouveau visage et vous pourrez peut-être nous en dire plus sur le « partenariat d'exception » avec le Japon annoncé lors du déplacement du Président de la République dans ce pays. Enfin, nos rapporteurs et l'ensemble des commissaires ne manqueront pas de vous poser diverses questions, y compris, peut-être, en abordant la question particulièrement sensible des chevauchements de compétences entre les divers ministères et des initiatives lancées ici où là qui témoignent à tout le moins d'une volonté partagée de relever le défi de la compétitivité et de l'offensive à l'exportation.
Je voudrais tout d'abord excuser le président Simon Sutour, qui se trouve actuellement en déplacement à l'étranger. Je souhaiterais ensuite remercier madame la ministre d'avoir permis que cette réunion se tienne en temps opportun, quelques jours avant la réunion du Conseil qui doit se prononcer sur le mandat de négociation du Partenariat transatlantique. La perspective de cette négociation a inquiété tous ceux qui sont attachés à la spécificité européenne, et surtout française, en matière de politique culturelle dans les services audiovisuels. Préserver la diversité culturelle est un objectif permanent, mais il est particulièrement nécessaire de le mettre en avant quand il s'agit des relations avec les États-Unis, compte tenu de leur prépondérance en matière de services audiovisuels. Les premières propositions de résolution déposées au Sénat - l'une par la présidente de la commission des affaires culturelles, Marie-Christine Blandin, l'autre par le groupe communiste, républicain et citoyen - portaient exclusivement sur ce thème. La commission des affaires européennes, qui en était saisie, a cependant souhaité que le Sénat se prononce sur l'ensemble du mandat de négociation et la commission des affaires économiques a ensuite confirmé et complété cette approche.
Nous adhérons tous à l'idée que les services audiovisuels doivent être clairement exclus des négociations. En effet, il ne s'agit pas seulement pour nous, comme semble le considérer la Commission européenne, de défendre les systèmes d'aide existants. Il s'agit pour l'ensemble des Européens de pouvoir définir eux-mêmes leur politique dans un domaine en pleine évolution technologique. Ce préalable étant posé, il n'est pas souhaitable que la position française apparaisse uniquement défensive et négative. À supposer que les limites en soient bien fixées dès le départ, le Partenariat transatlantique peut représenter une opportunité majeure. Compte tenu de l'importance des deux partenaires, un tel accord pourrait favoriser une meilleure régulation du commerce mondial. A cet égard, nous avons des objectifs positifs à mettre en avant, comme la protection des droits de propriété intellectuelle, la réciprocité dans l'ouverture des marchés publics ou encore la protection des données personnelles et la convergence des règles prudentielles. Il n'en est pas moins nécessaire de rester extrêmement vigilants sur les aspects qui concernent nos valeurs fondamentales : nous refusons le nivellement par le bas des règles sociales et environnementales, nous préconisons le respect des préférences collectives qu'exprime la législation européenne en matière d'agriculture et d'alimentation et je ne reviens pas sur le thème de « l'exception culturelle ». Dans cette optique, madame la ministre, que peut-on attendre de la réunion du 14 juin ? On peut lire, dans la presse spécialisée, que la Commission européenne aurait réaménagé son projet de mandat de négociation. Qu'en est-il ? Nos partenaires européens sont-ils nombreux à partager nos préoccupations ou bien y a-t-il des approches très différentes au sein du Conseil ? Il nous serait très utile d'avoir des précisions sur ces points pour guider nos choix parlementaires ultérieurs.
Merci de votre accueil. Comme vous le savez, dès vendredi, je présenterai la position de la France aux 26 autres ministres du commerce extérieur des pays de l'Union européenne. Ces négociations entre l'Union européenne et les Etats-Unis, qui concernent 40 % du commerce mondial et les deux tiers des investissements innovants du monde, pourraient être plus longues et difficiles que certains l'envisagent. Je fais observer que, dans les négociations avec le Canada, nous étions partis d'un mandat relativement imprécis et les discussions se poursuivent encore au bout de cinq ans avec de nombreuses questions nouvelles.
Je rappelle également que les États-Unis sont organisés selon un mode fédéral et plusieurs États ne sont juridiquement pas liés par les choix du gouvernement central et, d'après les rencontres que j'ai pu faire lors de mon déplacement aux Etats-Unis, nous aurons affaire à forte partie. En parallèle, les États-Unis négocient l'accord de partenariat transpacifique et leur intérêt pour cette zone mérite d'être souligné. J'observe que le succès de l'accord transatlantique serait de nature à faire réfléchir les grands pays émergents : la Chine et le Brésil, pour ne pas se trouver exclus de certaines normes, pourraient alors être tentés d'affermir leur position dans le multilatéralisme, lequel serait indirectement favorisé par ces accords.
La France a un intérêt global à la réussite de ce partenariat et la majorité de nos entreprises y sont favorables. Celles de l'agro-alimentaire sont cependant partagées, car les perspectives diffèrent selon les types de produits envisagés et nous devrons peut-être invoquer une clause de sauvegarde pour certains d'entre eux. Nous avons des intérêts offensifs dans des secteurs tels que la chimie, la pharmacie, le textile et l'habillement, les marchés publics, les transports maritimes et aériens. S'agissant de l'accès aux marchés publics, le règlement européen en cours d'élaboration vise à inclure une clause de réciprocité dans ce domaine ; je regrette que l'Allemagne s'oppose à l'introduction d'un tel mécanisme, qu'elle estime à tort protectionniste, alors qu'il pourrait nous être très utile dans nos négociations avec les États-Unis. Je remercie, à cet égard, le Sénat d'avoir adopté une résolution qui soutient l'introduction de cette réciprocité.
Nous avons également des intérêts défensifs. Nous souhaitons d'abord protéger les indications géographiques mais nous ne sommes pas les seuls dans ce cas, comme en témoigne, du reste, mon récent déplacement en Malaisie et en Indonésie. S'agissant de l'industrie de la défense, avec le soutien du Royaume-Uni et de la Suède, la Commission a accepté de ne pas inclure ce secteur dans le mandat de négociation. Avec l'Allemagne, nous avons demandé que le mandat de négociation encadre le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États : si le contentieux des relations commerciales est étendu aux entreprises contre les États, nous craignons que les avocats et les compagnies américaines ne s'en emparent, comme on l'a observé dans le cadre de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), à l'encontre du Mexique. En ce qui concerne nos préférences collectives, la France réaffirme son refus des OGM ainsi que du boeuf aux hormones et de la décontamination des carcasses : sur ces points nous avons obtenu des avancées.
Nous maintenons une position très ferme sur les services audiovisuels et culturels : ils doivent être exclus du mandat de négociation, conformément à la pratique constamment suivie. De nombreux pays nous indiquent qu'ils sont d'accord avec nous, mais ils craignent, si ces services étaient exclus du mandat de négociation, que les États-Unis ne demandent eux aussi l'exclusion de certains secteurs. Je crois cependant qu'ils pourraient plaider, de toute manière, pour l'exclusion de certains services. La France doit prendre l'initiative sur cette question, même si elle peut paraître un peu isolée au début des négociations : je ne veux pas que la culture fasse l'objet d'un marchandage.
L'actualité m'amène aussi à évoquer la politique commerciale à l'égard de la Chine. La France est favorable aux mesures de défense commerciale. Elles relèvent cependant de la compétence exclusive de la Commission européenne qui a proposé le lancement d'une procédure anti-dumping à l'encontre de la Chine sur les ventes de panneaux photovoltaïques ; je rappelle qu'elle avait été saisie par des entreprises françaises et allemandes, pour un intérêt qui concerne surtout ces dernières. Des taxes sont instituées de manière provisoire, pour une durée d'un an, en attendant les résultats de l'enquête. La Commission s'est également autosaisie dans le domaine des télécommunications, sur le cas des subventions versées aux deux entreprises qui dominent ce secteur en Chine. La Commission se met ainsi en position de négocier avec ce pays et, en réalité, ni l'Union européenne, ni la Chine n'ont intérêt à une guerre commerciale. Les différents contentieux ne représentent d'ailleurs que 1 % de nos échanges et nous soutenons la Commission pour parvenir à un compromis. Par un « effet miroir », la Chine a annoncé l'ouverture d'une enquête sur le vin.
Je conclus sur les responsabilités du commerce mondial en matière de respect des normes sociales et environnementales. L'accident survenu dans une usine au Bangladesh a fait plus de 1000 victimes et des entreprises européennes et nord-américaines ont été indirectement impliquées en tant que clientes à travers des chaînes d'approvisionnement complexes. J'ai récemment attiré l'attention de l'OCDE sur l'importance du respect des normes sociales et environnementales et des entreprises françaises se sont ralliées à la charte sur la sécurité des bâtiments au Bangladesh élaborées par des ONG. J'ai également sensibilisé à cet égard le commissaire Karel De Gucht, qui m'a indiqué qu'il prendrait des initiatives au mois de juillet, et le Premier ministre m'a confié la promotion de la responsabilité sociale et environnementale dans le commerce international. Le commerce international a besoin de règles et de normes environnementales et sociales : c'est le devoir de la France de les promouvoir.
Merci, Madame la ministre, pour cette présentation. J'observe que la proposition de résolution que nous avons adoptée comporte un volet environnemental et aborde également la protection des données individuelles.
Vous ne vous étonnerez pas que je revienne sur la mise en place de droits anti-dumping provisoires de 11 %, sur les panneaux photovoltaïques en provenance de Chine, qui devraient être portés à 47 % à partir du mois d'aout prochain. Même si nous soutenons cette démarche, nous sommes inquiets des représailles qu'elle suscite puisque Pékin a lancé une enquête antidumping sur les vins importés d'Europe, avec une menace de taxation si ces investigations se révélaient positives. Or, la Chine est le troisième marché à l'exportation pour nos produits viticoles et représente 800 millions d'euros de chiffre d'affaires. Vous venez, Madame la ministre, de nous apporter des informations rassurantes sur ce point. Par ailleurs, le chef de l'État a évoqué un projet de réunion des 27 membres de l'Union européenne « pour dégager une solidarité de points de vue dans les négociation avec la Chine ». Où en est, concrètement, cette initiative ?
La réciprocité est un principe essentiel du commerce international, mais il convient, à mon sens, de se demander quels sont nos véritables objectifs dans cette négociation. Avons-nous intérêt à négocier alors que notre position s'est affaiblie, comme en témoigne le déclin relatif de la compétitivité économique de l'Union européenne, et de la France en particulier. Vous avez ensuite mentionné le volet agricole, domaine dans lequel il est souhaitable de clarifier des règles qui restent aujourd'hui un peu confuses, puisque nous importons très largement du soja OGM en provenance du Brésil. Je souligne également l'importance de la question des normes comptables - encore très différentes d'un pays à l'autre - qui ne doit pas être négligée. J'ajoute que les subventions et autres soutiens financiers aux exportations donnent lieu à des conflits, en particulier dans le domaine de la construction aéronautique. Enfin, pour prolonger les travaux que vous aviez conduits en tant que Rapporteure générale de la commission des finances, il parait opportun de travailler à la diminution des distorsions fiscales qui bénéficient aux grandes entreprises américaines du numérique. L'Irlande et le Luxembourg ont, sur ce point, pris des positions très différentes de la nôtre : ne faudrait-il pas que l'Union européenne puisse parler d'une seule voix en s'accordant, au préalable, sur une position fiscale commune ?
Madame la ministre, vous venez de présenter une position de la France qui, au sein de l'Union européenne, met en avant la clause de sauvegarde de certains secteurs et nos préférences collectives dans le domaine agro-alimentaire. J'apprécie particulièrement que vous ayez pu souligner que cette négociation n'est pas facile et qu'il n'est pas exclu que la France puisse opérer un retrait. Je rappelle à ce sujet que les États-Unis font régulièrement l'objet de procédures relatives à des entorses aux règles de l'OMC et qu'ils disposent, avec la Chine, de l'arme très puissante du maniement des taux de change, cette dernière ayant une influence déterminante sur l'équilibre des échanges.
Je me félicite de votre intervention qui démontre que la France va, à la fois, adopter une position dynamique et défendre nos valeurs spécifiques. Ce n'est pas simple, car si l'Europe reste le premier marché du monde, son unité politique est inachevée alors qu'elle doit faire face à la première puissance du monde qui s'efforce d'obtenir l'ouverture des marchés tout en n'hésitant pas à appliquer certaines mesures protectionnistes. Je rappelle, par exemple, que les États-Unis ont taxé très sévèrement, un an avant l'initiative européenne, les panneaux photovoltaïques en provenance de Chine.
Je reviens à mon tour sur le « coup de colère » de la Chine en faisant observer que ce pays n'a pas attendu le résultat des négociations internationales pour prendre des mesures de rétorsion dans le secteur viticole.
Je souhaite vous interroger sur la problématique des transferts de technologie : comme vous avez pu le constater lors de vos déplacements à l'étranger, certains pays émergents exigent, pour importer nos produits, un « ticket d'entrée » sous forme de transfert de compétences ou d'implantations : la négociation va-t-elle aborder ce sujet ?
Après que l'année 2012 ait marqué une diminution de notre déficit commercial, j'observe enfin que, d'après les dernières statistiques de notre commerce extérieur, un net recul de nos exportations semble se dessiner au premier trimestre 2013 : quelle est votre analyse de cette évolution ?
Je souligne l'importance du partenariat transatlantique et j'apprécie particulièrement les propos que vous avez tenus sur la nécessité pour la France, qui demeure la cinquième puissance économique mondiale, de continuer à porter un message universel. Les événements tragiques qui ont frappé le Bengladesh soulèvent la question des pays qui bénéficient d'une participation à l'OMC sans pour autant respecter les normes de l'Organisation internationale du travail (OIT), laissant ainsi perdurer des situations inacceptables en matière de travail des enfants et des femmes.
Je souligne également que, dans l'hypothèse où le partenariat transatlantique serait signé, il s'imposerait à tous les pays de l'Union européenne mais pas à l'ensemble des cinquante et un États des États-Unis : est-ce logique et n'y a-t-il pas là une forme de concurrence déloyale au plan économique ?
Nous avons, dans le Bordelais, la preuve formelle que les autorités chinoises ont déjà pris des mesures coercitives. La ministre a très opportunément évoqué les accords concernant les indications géographiques et j'en souligne l'importance. Je signale également que le Chili semble tirer parti des mesures de rétorsion à l'égard des vins français pour abaisser ses droits de douanes et lancer une offensive à l'exportation des produits viticoles chiliens. Je souhaite enfin évoquer le cas d'Ubifrance, qui est sous votre tutelle et dans lequel j'ai l'honneur de représenter le Sénat : avez-vous l'intention de soutenir l'action de cet organisme, qui rend des services précieux aux PME, à travers les crédits qui lui seront alloués en 2014 ?
Je me réjouis de ce processus contractuel de libre-échange entre les États-Unis et l'Union européenne qui devrait permettre de recentrer le commerce international vers la zone européenne alors qu'il a tendance à se déplacer vers la zone Asie-Pacifique. Je suis toutefois assez déçu de l'attitude excessivement défensive de la France et de l'Union européenne. J'ai voté la résolution qui comporte un volet culturel mais il me semble nécessaire de ne pas mélanger les contenus et les contenants : personne ne sait quelle forme prendrons ces derniers à l'horizon de dix ou quinze ans, comme vous l'avez d'ailleurs justement souligné. L'essentiel est de ne pas laisser la France à l'écart des grands courants de l'évolution technologique.
Je reconnais une honnêteté intellectuelle tardive de l'Union européenne sur la question des hormones : leur dangerosité n'ayant pas pu être mise en évidence sur le plan scientifique, il est effectivement préférable d'aborder ce sujet sous l'angle du respect des préférences collectives.
Je complète mon propos par trois observations. Tout d'abord, on peut se réjouir de la désignation d'un nouveau directeur général de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) : M. Pascal Lamy a rempli brillamment ses fonctions mais son mandat ne pouvait plus être reconduit. L'occasion n'est-elle pas propice à l'accélération de la dématérialisation des procédures administratives relatives aux échanges commerciaux ? En effet, si certains tarifs douaniers semblent avoir atteint un seuil incompressible de l'ordre de 4 à 5 %, ces procédures administratives qui engendrent des coûts élevés peuvent en revanche être allégées. Ensuite, cet accord bilatéral devrait se conformer aux principes fondamentaux de l'OMC - vous pourrez sans doute nous le confirmer - et ne doit pas rester en marge des dispositifs multilatéraux. Enfin, vous avez évoqué les passerelles entre l'OMC et les instances environnementales internationales et nous attendons des résultats concrets dans ce domaine. Pour avancer sur cette question, il faut prendre en considération le fait que, parmi les 155 pays de l'OMC, beaucoup n'ont pas encore atteint un stade d'évolution avancé et il est également souhaitable de redéfinir la notion de pays en voie de développement.
J'ai deux questions qui sont à la fois au centre et à la marge de nos préoccupations. La première concerne les études d'impact régional des grands traités de libre échange que nous négocions. Pour l'accord qui concerne le Canada, je n'ai rien trouvé en France et l'Union européenne n'a rien fait non plus, alors que l'Assemblée nationale du Québec a dépensé 7 millions de dollars pour une étude d'impact de ce traité sur la seule province du Québec. L'autre aspect qui m'étonne, dans ce même domaine, c'est le poids de l'acceptation ou non par les différentes provinces des accords signés. La question se posera à la puissance dix pour les États-Unis. Je voudrais savoir si nous allons engager des études d'impact de ce traité sur l'économie française comme le préconise la résolution du Sénat. Nous n'en avons aucune idée précise, même si on nous parle de 0,5 % de croissance supplémentaire.
Un autre point me surprend beaucoup : il s'agit de la dissociation de notre diplomatie économique entre, d'une part, les conseillers économiques des ambassades et, de l'autre, celle d'Ubifrance dont dépendent les PMI-PME. Pour les besoins d'un rapport que je prépare sur l'industrie des jeux vidéo, et s'agissant de l'entreprise Ubisoft, j'ai eu affaire au conseiller économique qui traite les « grands comptes » alors que les PME-PMI qui travaillent avec Ubisoft dépendent d'Ubifrance. Je mets en garde contre un réel un manque de coordination sectorielle, ce qui ne favorise pas l'implantation de nos entreprises.
Je souligne une difficulté pratique : une entreprise vendéenne en affaire avec une entreprise chinoise ne parvient pas à obtenir des visas dans des délais raisonnables pour des cadres chinois qui viennent en formation dans l'entreprise française. Que comptez-vous faire pour régler le problème lancinant des délais trop longs pour les visas, qui ne facilitent pas les échanges ?
Beaucoup de questions ont été posées sur le vin et je reconnais bien là notre tradition française et sénatoriale. Je serai à Vinexpo le 17 juin et m'exprimerai à ce sujet pour rappeler que je soutiens les producteurs français. Le commissaire Karel De Gucht lui-même a reconnu qu'il n'y avait pas de vin subventionné en France - pas plus qu'ailleurs. Mais la Chine va suivre la même procédure que la Commission : engager une enquête qui peut durer jusqu'à 18 mois et peut-être prendre des mesures provisoires. Ce que vous évoquez, le blocage en douane, est hélas une pratique courante. J'étais à Cognac il y a quelques semaines et j'ai appris que la Chine bloquait des caisses de Cognac. Cela fait partie des aléas du commerce : c'est une mesure préventive et une forme de patriotisme.
Je souligne que les produits haut de gamme n'ont rien à craindre : ils sont hors marché, et en Chine, il n'y a pas de moyenne gamme. Le secteur qui va souffrir, c'est le vin en vrac. La Chine, aujourd'hui, prétend que le dumping s'élèverait à 21 % sur ces produits, en incluant dans le calcul les aides octroyées dans le cadre de l'Organisation commune de marché (OCM), l'aide à la distillation, les aides à la promotion, les assurances agricoles, les aides au développement rural, et les aides régionales. Quoi qu'il en soit, je suis résolument au côté des producteurs dans cette affaire.
M. de Montesquiou indique que nous discutons en position de faiblesse mais je réponds au contraire, que nous sommes 500 millions de consommateurs européens, ce qui renforce notre pouvoir de négociation.
M. Bourquin a bien illustré le concept de réciprocité en évoquant les marchés publics. Les marchés publics sont plus fermés aux Etats-Unis qu'en Europe et nous souhaitons simplement demander que les éventuels assouplissements soient réciproques. C'est l'objet de la négociation et c'est l'idée que j'ai défendue auprès de nos amis allemands. M. Bourquin a aussi évoqué la parité dollar/euro, mais la monnaie ne fait pas partie des négociations puisque, dans l'Union européenne, tous les États ne sont pas dans la zone euro. Rappelons que les dévaluations monétaires peuvent influencer la demande intérieure mais on ne doit pas les utiliser pour faire de la dévaluation compétitive vis-à-vis des autres partenaires commerciaux.
Mme Lamure a parlé des transferts de technologie et je vous confirme qu'ils ne sont pas couverts par cet accord. Elle a justement mentionné la problématique du « ticket d'entrée » : effectivement, nous ne sommes plus dans cette ancienne relation vis-à-vis des grands émergents qui consistait à arriver dans un pays avec l'idée que la seule qualité de nos produits permet de les exporter facilement. Aujourd'hui, soit nous avons un produit de niche et alors la question ne se pose pas, soit le marché est concurrentiel, ce qui est le cas le plus fréquent, et alors les pays acheteurs nous demandent de nous internationaliser et de produire localement. En même temps, ces pays demandent des transferts de compétences, de savoir-faire et de technologie. Il faut désormais admettre que l'acheteur de nos produits doit être aussi un partenaire. Dans certains secteurs, l'État aura naturellement son mot à dire : il s'agit des secteurs stratégiques comme le nucléaire où il faut encadrer les transferts. Mais ce partenaire émergent peut devenir un concurrent, ce qui nous incite à garder une longueur d'avance pour conserver une attractivité suffisante. Mme Lamure m'interroge également sur les chiffres du commerce extérieur et fait très précisément référence aux dernières statistiques douanières. Il est vrai que le déficit s'élevait à environ 67 milliards en 2012, ce qui s'explique essentiellement par le poids de notre facture énergétique. J'ai pour objectif de rééquilibrer nos échanges hors énergie, car il est impossible de maîtriser le coût de cette dernière : tout ce que nous pouvons faire, c'est favoriser l'efficacité énergétique. Les chiffres de notre commerce extérieur s'améliorent, mais nous avons toujours un problème avec notre marché de proximité, c'est-à-dire l'Europe et plus particulièrement l'Espagne et l'Italie, comme en témoigne la chute des ventes d'automobiles dans ces deux pays du sud de l'Europe. En avril, nos exportations ont progressé de 4 %, mais nos importations repartent aussi à la hausse.
M. Vaugrenard, M. Bizet et M. Gattolin ont évoqué la question des normes sociales. J'ai reçu les neuf candidats à la succession de Pascal Lamy et j'ai posé à chacun d'entre eux la même question sur le rapprochement de l'OMC des autres organisations internationales comme l'OIT. Ce sont des domaines différents, mais les normes sociales sont une source de concurrence déloyale, au-delà de la problématique essentielle des droits de l'Homme.
Je remercie M. Bizet d'avoir rendu hommage à Pascal Lamy qui a soutenu les grands principes du libre-échange. Je souligne que le commerce Sud-Sud mondial, représente aujourd'hui un tiers du commerce international. Les règles traditionnelles sont mises à mal et certains considèrent que le multilatéralisme est en panne. Certes, plusieurs échéances se profilent pour remédier à cette situation et tenter de relancer le cycle de Doha. Cependant, les grands émergents ont bouleversé les règles habituelles du commerce mondial parce qu'ils sont devenus des puissances de premier ordre mais ils n'assument pas leurs responsabilités de puissance commerciale vis-à-vis du reste du monde, et c'est cela qui crée de la distorsion. Les accords de libre-échange qui se négocient aujourd'hui dans le Pacifique et l'Atlantique vont mettre ces nouvelles puissances au pied du mur. Le Brésil se présente tantôt comme un pays riche avec les pauvres et tantôt un pays pauvre avec des riches : en jouant sur les deux tableaux, il parvient à rendre son marché très difficile d'accès. La qualité essentielle d'un bon directeur de l'OMC réside dans sa capacité à rallier les Etats-Unis et les grands émergents au multilatéralisme.
Le sénateur César, administrateur d'Ubifrance, exerce sa vigilance et je l'en remercie. Je réponds par la même occasion à M. Gattolin : en 2008, le Gouvernement a pratiqué la « dévolution » : les services compétents pour les grands contrats, qui sont des services du Trésor, sont implantés dans les ambassades sans pour autant relever du ministère des affaires étrangères. Ubifrance se consacre à l'essentiel du commerce, assuré par les PME, PMI et ETI. Le commerce extérieur de la France s'élève à 440 milliards dont 8 % sont assurés par les grands contrats comme l'aéronautique. Tout le reste correspond au commerce courant dont le « navire amiral » que constitue le luxe. Quant à la question des visas, j'y vois le signe que les PME se mobilisent de plus en plus pour conquérir les marchés lointains. Nous réorganisons nos services sur le territoire et à l'étranger pour soutenir cet effort. Dans le cadre de la modernisation de l'action publique, je suis chargée d'évaluer notre dispositif à l'exportation pour le rendre plus lisible.
Oui, c'est vrai, il faudrait s'organiser comme les Allemands et les Italiens, mais les acteurs concernés ne souhaitent pas toujours se fédérer. Aujourd'hui, l'État doit faire des économies. Le budget d'Ubifrance est modeste, mais ma ligne est claire : il s'agit de privilégier l'accompagnement des entreprises dans la durée. Je vais donc privilégier la montée en gamme du personnel par rapport aux dépenses d'intervention. Ma proposition de réforme consiste en des économies de structure importantes pour mieux servir les entreprises.
C'est évidemment très important et je reviendrai devant vous sur ce sujet.
M. Merceron m'a interrogée sur les visas. Nous avons très vite identifié le problème et le Gouvernement travaille à la création d'un « visa entrepreneur » de longue durée qui renforcera l'attractivité du territoire. En tout état de cause, un délai de six mois d'attente me semble inadmissible. Je pense aussi à une labellisation des entreprises françaises exportatrices afin qu'elles bénéficient d'un traitement particulier. Après expertise, ce dispositif, s'il est concluant, pourrait être opérationnel en 2014.
Je précise à M. Yung que les brevets ne font pas partie de la négociation. J'observe que certaines entreprises, très innovantes, ne déposent plus de brevets parce qu'elles considèrent qu'elles seront inéluctablement copiées : en conséquence, elles s'efforcent de maintenir une avance technique constante.
Nous devons aussi faire des progrès dans l'Union douanière européenne : M. Yung est chargé par le Premier ministre de cette mission. Il s'agit de faire avancer la lutte contre la contrefaçon qui nous cause un préjudice d'un montant de 6 milliards par an. Juridiquement, la jurisprudence Nokia nous empêche de contrôler les marchandises en transit sur le territoire de l'Union. Je rends à cette occasion hommage aux douaniers qui font d'énormes efforts de productivité depuis plusieurs années. Je souligne enfin la nécessité d'améliorer notre logistique portuaire et aéroportuaire.