Mes chers collègues, nous allons entendre la présentation par Catherine Deroche et Yves Daudigny de leur rapport d'information sur la fiscalité comportementale.
Rapporteur. - Nous sommes heureux de vous présenter aujourd'hui le résultat des travaux que nous avons menés au cours de ces derniers mois sur la question de la fiscalité comportementale.
Vous savez qu'il s'agit d'un sujet qui me tient à coeur et sur lequel, avant le début de cette mission, j'ai eu l'occasion de m'exprimer à double titre : en tant que simple citoyen, dans la mesure où, concerné par des problèmes cardio-vasculaires, j'ai été très sensibilisé aux conséquences néfastes de certaines habitudes alimentaires sur la santé ; en tant que rapporteur général de la commission, puisque j'ai été à l'initiative d'un amendement visant à augmenter le niveau de taxation des huiles de palme, de coprah et de palmiste dans le cadre de la discussion du PLFSS pour 2013. Les discussions qui ont entouré cet amendement ont influencé mon choix de proposer à la Mecss de traiter un sujet situé aux confins du champ social et du champ financier.
L'impact médiatique de l'amendement « Nutella », le débat de société qu'il a suscité autour de la consommation des produits palmés mais aussi et surtout les incertitudes entourant l'efficacité d'une taxe destinée à influencer les habitudes de consommation et de production, justifiaient un travail approfondi sur le sujet.
Au-delà de ces motivations personnelles, le travail que nous vous présentons aujourd'hui fait écho à la multiplication des initiatives gouvernementales et parlementaires visant à instaurer de nouvelles taxes de santé publique ou à augmenter le taux des taxes existantes. La taxe sur les boissons sucrées, celle sur les boissons édulcorées, la hausse des droits applicables aux produits du tabac, aux spiritueux, aux bières, le prélèvement sur les boissons énergisantes, la taxe sur l'aspartame, la contribution additionnelle sur l'huile de palme ont ainsi été examinés dans l'hémicycle au cours des trois dernières années.
La situation dégradée de nos finances publiques, qui appelle la multiplication des bases taxables, le niveau élevé des prélèvements pesant sur les facteurs de production traditionnels, qui conduit à explorer des assiettes alternatives, et le lien fréquemment établi entre consommation et dépenses de santé, qui appelle la participation des consommateurs au financement des régimes sociaux, sont sans doute à l'origine d'un tel foisonnement.
Ce travail vise enfin à remédier au nombre limité et au caractère parcellaire des travaux administratifs publiés sur ce sujet. A cette date, aucun document ne traite en effet de la fiscalité comportementale en tant que telle. Si nous avons pu nous appuyer sur quelques rapports consacrés spécifiquement au tabac, à l'alcool ou aux taxes nutritionnelles, aucun d'entre eux n'a cherché à établir de diagnostic global au moment où l'emploi du terme « fiscalité comportementale » suggère qu'il pourrait exister des points communs entre les différentes taxes qu'il désigne.
En ce sens, il s'agit d'un travail précurseur pour lequel nous nous sommes heurtés à d'importantes difficultés.
Ces difficultés tiennent en premier lieu au faible nombre d'études réalisées sur la situation française. Ce qui est vrai pour les rapports administratifs l'est aussi pour les études économiques, ce qui est beaucoup plus inquiétant. Contrairement à leurs homologues anglo-saxons, nos chercheurs produisent ainsi très peu d'études consacrées aux élasticités du tabac, de l'alcool, des produits gras, sucrés et salés... qui mesurent l'évolution du prix de ces produits en fonction d'une hausse des taxes ou l'évolution de leur consommation en fonction de l'évolution de leur prix. Ces études sont pourtant indispensables à l'évaluation des politiques publiques faisant appel, à titre essentiel ou accessoire, à des outils fiscaux. Chacun comprendra qu'il est en effet problématique de transposer à la France des résultats obtenus pour des pays dont les réactions des consommateurs et des producteurs dépendent par définition de facteurs économiques, sociaux ou culturels tout à fait spécifiques.
Dans le même esprit, la recherche française produit très peu d'études destinées à quantifier le coût global, pour la société, des pratiques addictives. Au cours des dix dernières années, une seule équipe de chercheurs s'est lancée dans ce type de travail. Il est pourtant utile de disposer de plusieurs évaluations des dépenses liées aux différents risques sanitaires afin de définir les politiques les plus adéquates pour les prendre en charge.
Enfin, nous avons été déçus par le contenu des auditions réalisées. Certes, nous n'avons pas été surpris par l'opposition de principe des représentants des différents lobbies à l'utilisation de la fiscalité pour diminuer la consommation des produits dont ils sont chargés de promouvoir l'image. Mais aucun d'entre eux n'a cherché à aller au-delà de cette posture pour alimenter une réflexion qui nous paraît légitime.
Le caractère précurseur du travail entrepris dans le cadre de cette mission est illustré par les incertitudes entourant le sens de l'expression « fiscalité comportementale ».
Régulièrement employée dans le discours politique ces dernières années, abondamment utilisée par les médias, cette notion n'a, pour l'heure, aucune existence juridique ou théorique.
La fiscalité comportementale désigne en effet des taxes disparates dont on a simplement souhaité souligner l'effet sur les habitudes de production ou de consommation. Elle se compose ainsi majoritairement de prélèvements indirects, notamment des accises sur les produits du tabac et sur les différentes boissons alcoolisées, dont on a changé l'objectif et l'affectation.
Symbolisant autrefois les taxes de rendement destinées à abonder les caisses du Royaume puis à alimenter le budget de l'Etat, ces accises sont désormais mobilisées pour réduire la consommation des produits concernés et financer les dépenses de sécurité sociale.
Entre parenthèses, l'idée que la fiscalité puisse agir sur la consommation par le biais des prix, tout comme l'hypothèse qu'une taxe puisse poursuivre des objectifs en matière d'hygiène et de santé publique ne sont pas nouvelles. Un manuel publié en 1866 considérait ainsi que le tabac « est un objet de luxe et d'agrément dont les taxes enrichissent le trésor sans aggraver d'une manière sérieuse la charge de l'existence. On peut même regarder l'impôt sur le tabac comme d'une certaine utilité hygiénique. L'augmentation de l'impôt sur le tabac qui a été réalisée en 1860 en France n'a pas été seulement légale, elle a dû être considérée avec ferveur, le tabac étant regardé par quelques-uns comme presque aussi nuisible que l'alcool à la santé publique ».
Si les accises composent aujourd'hui l'essentiel de cette fiscalité comportementale, elles n'en sont toutefois qu'une composante. Littéralement, tous les outils fiscaux utilisés par les pouvoirs publics pour inciter les redevables à adopter des comportements conformes à des objectifs d'intérêt général devraient entrer dans le champ d'une telle fiscalité. L'expression désignerait alors non seulement les accises mais aussi les taxes mobilisées pour lutter contre les dommages causés à l'environnement ou celles destinées à lutter contre le bruit engendré par le trafic aérien. Ce terme pourrait même s'appliquer à la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles visant à inciter les entreprises à améliorer leur comportement de prévention des risques professionnels.
Au regard des attributions de la Mecss, du champ de compétences de la commission des affaires sociales et de l'objet des amendements se revendiquant de la fiscalité comportementale déposés lors des derniers PLFSS, nous avons cependant décidé de concentrer notre propos sur les taxes et impositions poursuivant des objectifs de santé publique.
Cette définition restreinte qui correspond à un périmètre proche de nos préoccupations couvrirait aujourd'hui onze prélèvements générant un produit fiscal estimé à 15,3 milliards d'euros en 2014, intégralement affecté aux comptes sociaux.
Le poids de la fiscalité comportementale dans la fiscalité française et a fortiori dans le financement des comptes sociaux doit donc être relativisé. Il représente à peine plus de 3 % des recettes de l'ensemble des régimes obligatoires de sécurité sociale - estimées à 464,7 milliards d'euros par la loi de financement pour 2014.
Nous avons par ailleurs décidé d'inclure dans ce périmètre deux taxes assises sur des dépenses de promotion qui s'inscrivent dans une démarche de santé publique : la contribution due par les laboratoires pharmaceutiques et la contribution perçue au profit de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES).
Comme Yves Daudigny l'a souligné à titre liminaire, la plupart des lobbies que nous avons eu l'occasion d'auditionner dans le cadre de nos travaux - alcool, tabac, industrie agro-alimentaire - ont non seulement contesté l'efficacité de ce type de taxes mais aussi souligné leur absence de légitimité. Certains ont mis en avant la rationalité du consommateur pour dénoncer l'intervention de l'Etat sur les habitudes de consommation. Selon une telle idée, chacun d'entre nous serait en mesure de savoir, à tout instant, ce qui est bon et ce qui ne l'est pas pour sa santé. D'autres, comme les fabricants de tabac, ont insisté sur le fait que les cigarettes étaient destinées à des adultes libres de consommer des produits dont le caractère nocif pour la santé n'est plus à démontrer. Les pouvoirs publics devraient selon ceux-ci s'en tenir à assurer le respect de la réglementation afin de limiter l'accès des mineurs aux produits du tabac et à lutter contre la contrebande. Enfin, certains ont affirmé qu'il n'y avait aucun lien entre leur produit et le risque considéré et qu'une taxation de santé publique n'avait par conséquent aucun fondement.
Ces arguments peuvent, dans certains cas, être entendus. Mais les faits justifient néanmoins une intervention résolue des pouvoirs publics en matière de tabagisme, d'alcoolisme ou d'obésité.
Il convient de rappeler que ces trois risques ont aujourd'hui un coût humain bien connu auquel, au sein de notre commission, nous pouvons difficilement rester insensibles.
Le tabagisme représente la première cause de mortalité évitable dans notre pays avec 73 000 décès annuels soit 22 % de la mortalité masculine et 11 % de la mortalité féminine.
L'alcool serait quant à lui responsable de 49 000 décès par an, dont un tiers par cancer et un quart par maladie cardiovasculaire.
Enfin, l'évolution des habitudes alimentaires, combinée à la diminution des dépenses d'énergie liée à la sédentarité de nos modes de vie, pourrait constituer le principal facteur de risque des décennies à venir. La dernière enquête ObEpi révèle que près d'un Français sur deux souffre désormais de surpoids ou d'obésité et met en évidence un très net effet générationnel dans ce domaine. Plus les générations sont récentes et plus le taux d'obésité de 10 % est atteint précocement : la génération née entre 1980 et 1986 atteint 10 % d'obésité vers 28 ans alors que la génération née 20 ans plus tôt atteignait 10 % d'obésité vers 41 ans seulement.
Le coût humain de ces trois risques se double d'un coût financier considérable pour la société.
Avec toutes les précautions méthodologiques qui s'imposent, les études réalisées par Pierre Kopp et Philippe Fénoglio offrent une vision globale des conséquences financières de certaines addictions. Selon ces travaux, le coût social du tabagisme en France s'élèverait à 47,7 milliards d'euros par an, soit 3,05 % du PIB. Cette estimation est à rapprocher de l'évaluation réalisée par la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), selon laquelle la prise en charge des différentes pathologies dues au tabac atteindrait 12 milliards d'euros en 2012, dus pour moitié aux pathologies respiratoires, pour un peu moins d'un tiers aux cancers, et pour un cinquième aux pathologies cardiovasculaires. La caisse tient cependant à préciser que « le résultat fourni constitue une borne basse : d'une part certains coûts n'ont pu être intégrés faute de disponibilité des informations à un niveau de finesse suffisant ; d'autre part, n'ont été retenues que les pathologies pour lesquelles la fraction attribuable au tabac fait l'objet d'une évidence scientifique solidement établie ». Enfin cette estimation laisse volontairement de côté les dépenses relevant des organismes complémentaires et les restes à charge supportés par les patients notamment pendant la phase précédant le diagnostic et l'entrée en affection de longue durée.
Si les coûts liés à l'alcoolisme n'ont fait l'objet d'aucune évaluation par la Cnam, ils s'élèveraient, selon Pierre Kopp et Philippe Fenoglio, à 37 milliards d'euros par an.
L'évaluation du coût des pathologies liées à l'alimentation se heurte quant à elle à des difficultés méthodologiques importantes. Il est en effet particulièrement délicat d'établir avec certitude :
- la part attribuable aux déséquilibres de la nutrition dans l'apparition des pathologies par rapport aux autres facteurs de risque ;
- les parts respectivement attribuables à l'exercice physique et à l'alimentation dans les déséquilibres nutritionnels ;
- la part imputable à la consommation excessive de sel, de sucre et de lipides dans l'apparition de ces pathologies.
Le rapport consacré à la pertinence et à la faisabilité d'une taxe nutritionnelle établi conjointement par l'Inspection générale des finances et l'Inspection générale des affaires sociales en 2008 met en évidence ces difficultés en proposant des évaluations divergentes des dépenses d'assurance maladie liées aux déséquilibres de l'alimentation. L'Inspection générale des finances estime toutefois que le montant de ces dépenses s'établirait à 14,5 milliards d'euros pour 2006. Ce montant atteindrait 34,5 milliards d'euros si l'on tenait compte de la part des dépenses d'affection de longue durée directement imputable à des patients ayant une alimentation déséquilibrée.
Au regard des coûts humains et financiers liés au tabagisme, à l'alcoolisme et aux pathologies liées aux habitudes alimentaires, la légitimité de l'intervention des pouvoirs publics paraît difficilement contestable.
En revanche, les modalités de cette intervention et en particulier l'opportunité de recourir à l'outil fiscal pour atteindre les objectifs de santé publique poursuivis appellent plus de réserves.
L'évaluation de l'impact des politiques de taxation sur les décisions des individus a fait l'objet d'abondants travaux empiriques dont la méthodologie n'a cessé de s'affiner pour tenir compte d'un nombre croissant de facteurs et limiter les effets de contexte.
La plupart des travaux relatifs aux élasticités portant sur le tabac, l'alcool et les produits alimentaires identifient un lien significatif entre l'évolution du prix et l'évolution de la consommation de ces biens.
Les résultats sont toutefois plus nuancés lorsqu'il s'agit d'établir l'impact du prix sur le comportement de chacune des catégories de consommateurs et, a fortiori, lorsqu'il s'agit d'établir un lien entre l'évolution de ce prix et l'état de santé des populations.
Ainsi, les études montrent que l'effet d'une hausse des prix sur la décision d'arrêter de fumer est tout à fait significatif. En revanche, celles consacrées à l'effet du prix du tabac sur l'initiation tabagique sont contradictoires.
Les études publiées en matière d'alcool concluent au fait que les adolescents et jeunes adultes sont très sensibles au prix des boissons alcoolisées tandis que la taxation semble peu efficace pour lutter contre l'alcoolisme.
En matière alimentaire, les simulations réalisées à partir d'une hausse des prix mettent en évidence une baisse des achats. Mais ce comportement est à nuancer selon la classe sociale du ménage et le groupe d'aliments.
Les réactions stratégiques des différents acteurs de marché - producteurs et consommateurs - face à l'évolution des prix limitent en effet considérablement l'efficacité d'une intervention publique exclusivement fondée sur les prix.
L'efficacité de la mise en place d'une fiscalité comportementale dépend d'abord de la réaction des entreprises face à l'altération du prix de marché décidée par les pouvoirs publics par le biais d'une hausse de taxe. L'expérience montre que la transmission des taxes au prix de vente est loin d'être assurée, les entreprises préférant parfois réduire leurs marges pour minimiser la hausse des prix imposée aux consommateurs et éviter, le cas échéant, de perdre des parts de marchés face à leurs concurrents.
Mais l'efficacité de la mise en place d'une fiscalité comportementale dépend aussi et surtout de la réaction des consommateurs face à la hausse des prix résultant d'une taxation des produits qu'ils ont l'habitude de consommer. Une hausse des prix peut ainsi inciter ceux-ci, dans la limite de leurs goûts et de leur budget, à substituer un produit par un autre. La hausse du prix du paquet de cigarettes incite ainsi certains fumeurs à se tourner vers le tabac à rouler tandis que la hausse du prix des sodas peut les conduire à réorienter une partie de leurs dépenses vers les jus de fruits ou les eaux minérales. Cette hausse de prix peut également les conduire à substituer certaines variétés de produits entre elles, en allant par exemple reporter son choix d'une marque premium vers une marque distributeur. L'augmentation des prix peut enfin conduire les consommateurs à chercher à contourner l'effet de la taxe en se procurant les produits au-delà des frontières ou en recourant au marché parallèle. On estime que 20 % des achats de tabac dans notre pays sont réalisés en dehors du réseau des buralistes, ce qui constitue une perte sèche non négligeable pour les recettes de la sécurité sociale. A l'inverse, les Britanniques achètent une grande part de leur alcool en France pour bénéficier des écarts de prix, augmentant le produit des droits sur les alcools que nous percevons.
J'attire toutefois votre attention sur le fait que, dans un pays comme la France qui affiche une préférence pour l'égalité et la redistribution bien supérieure à celle affichée dans certains pays anglo-saxons, l'efficacité économique - à savoir celle liée au prix - ne peut constituer le seul critère d'évaluation ex ante d'une politique publique.
A ce titre, il nous a semblé particulièrement important de tenir compte des critères d'équité, voire d'égalité dans notre évaluation, afin de mesurer l'effet de ces politiques sur nos concitoyens les plus démunis. Or, les différentes études menées sur les droits indirects suggèrent que les politiques basées sur une augmentation des droits d'accises sont fondamentalement régressives - le taux moyen de ces impositions diminuant à mesure de la hausse des revenus. Les accises sur le tabac et les alcools représenteraient ainsi 4,3 % des revenus des ménages pour le premier décile de population et seulement 1,3 % de ceux du dernier. En matière alimentaire, certaines études indiquent qu'une taxe nutritionnelle se traduisant par une hausse de 10 % du prix de produits comme le fromage, le beurre ou les plats préparés aurait un effet monétaire bien plus important pour les ménages à revenu modeste que pour les ménages aisés.
A l'aune de ces données issues de la littérature scientifique et économique, doit-on conclure au caractère inopportun ou inopérant d'une action par les prix sur les habitudes de consommation ?
La réponse n'est pas simple.
D'une part, les limites de ces taxes sont sans doute nombreuses et leur caractère potentiellement pénalisant pour les ménages aux revenus les plus modestes doit faire réfléchir, tout particulièrement en période de crise économique.
D'autre part, leur efficacité parait difficilement contestable sur certains des publics particulièrement visés par les politiques sanitaires, en particulier les jeunes et les consommateurs occasionnels.
Surtout, au-delà d'un « effet prix » conditionné par de nombreux facteurs exogènes, « l'effet signal » lié à certaines taxes peut jouer un rôle essentiel sur les comportements. En mettant en lumière les caractéristiques des produits visés, cet « effet signal » participe à l'information du consommateur et facilite la redéfinition ou l'évolution des process de production mis en oeuvre par les industriels.
On peut d'ailleurs s'interroger sur la part attribuable à chacun de ces effets lorsque la hausse du prix des sodas ou des bières, limitée à quelques centimes d'euros suite à une hausse de taxe, se traduit par une baisse de leur consommation de plusieurs points de pourcentages. A fortiori lorsque la baisse de consommation fait suite au rejet de la taxe présentée devant le Parlement ...
En tenant compte de l'ensemble des aspects théoriques présentés par Catherine Deroche, nous avons cherché, de manière empirique, à évaluer l'aspect « comportemental » de la fiscalité française applicable au tabac, à l'alcool et à certains produits alimentaires. Nous avons souhaité ainsi mesurer la prise en compte - ou pas - des préoccupations sanitaires dans la politique fiscale menée au cours des dernières années.
D'un point de vue sanitaire, la politique menée en matière de fiscalité du tabac a suscité un grand nombre d'interrogations et d'incompréhensions.
En effet, en dépit du rôle « fortement directeur » de la fiscalité sur les prix du tabac, nous avons constaté que le barème fiscal applicable aux cigarettes n'avait été modifié qu'à quatre reprises au cours des quatorze dernières années, celui du tabac à rouler et des cigares qu'à deux reprises. Durant cette période, les pouvoirs publics ont préféré laisser les fabricants décider « spontanément » du rythme d'augmentation du prix de leurs produits, se contentant d'augmenter régulièrement les minima de perception afin de contraindre les produits les moins chers à suivre l'évolution du reste du marché. L'Etat et le réseau des buralistes ont ainsi opportunément bénéficié des hausses modérées - entre 5 % et 6 % - proposées par les fabricants pour optimiser leurs recettes fiscales et leur rémunération.
Cette optimisation des recettes fiscales - aux dépens des préoccupations de santé publique - est illustrée par l'évolution du marché des cigarettes au cours des dix dernières années. D'une part, les hausses de prix décidées par les fabricants n'ont entraîné aucune diminution du nombre de cigarettes vendues dans le réseau entre 2004 et la fin 2011.
D'autre part, ces hausses spontanées ont favorisé une croissance régulière du marché de la cigarette en valeur. Entre 2004 et 2012, celui-ci est en effet passé de 13 milliards d'euros à 15,5 milliards d'euros, soit une progression de plus de 18 % favorable au chiffre d'affaires des fabricants et aux recettes budgétaires de l'Etat.
Ces remarques se vérifient a fortiori pour le tabac à rouler, dont le barème des droits de consommation n'a été augmenté que deux fois au cours des quatorze dernières années. Les ventes de ce produit ont en effet progressé de 13 % sur la période en dépit d'une augmentation du prix de vente du paquet de tabac à rouler de près de 190 %. Cette progression confirme d'abord l'existence d'un effet de substitution entre ce produit et les cigarettes lorsque le prix de ces dernières s'élève. Elle illustre d'autre part le « laisser faire » des pouvoirs publics en matière sanitaire, ces produits étant aussi nocifs pour la santé que la cigarette.
Ce constat est-il encore pertinent aujourd'hui ? Nous nous garderons de tirer des conclusions hâtives sur une politique publique qui s'appréhende nécessairement dans la durée. Nous nous contenterons de réaliser trois constats positifs quant aux décisions prises et aux résultats obtenus en matière de fiscalité du tabac au cours des deux dernières années.
D'une part, et pour la première fois depuis 2004, la hausse de barème des produits du tabac opérée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 est explicitement motivée par des préoccupations de santé publique.
D'autre part, cette hausse de barème concerne, pour la première fois depuis le début des années 2000, l'ensemble des produits du tabac. Elle permet donc de limiter les éventuels effets de substitution liés à l'accroissement du différentiel de prix existant entre les cigarettes et le tabac à rouler.
Enfin, si la succession de hausses « spontanées » d'ampleur limitée intervenue depuis l'automne 2012 se situe dans le droit fil de la politique menée par le précédent gouvernement, elle semble porter ses fruits en matière de réduction de la consommation. Après une première diminution en 2012, le nombre de cigarettes vendues sur le marché français devrait à nouveau baisser en 2013. Surtout, cette diminution en volume devrait s'accompagner par une diminution en valeur du marché des cigarettes.
Je tiens à préciser, pour être tout à fait exact, que l'évolution des prix n'est sans doute pas le seul facteur responsable de la diminution des ventes de tabac sur le territoire. Celle-ci est sans doute pour une part liée à un déport de l'achat d'une partie du tabac du circuit officiel vers le marché noir et, surtout, dans les départements frontaliers, vers des achats à l'étranger. L'ampleur exacte du phénomène devra être mesurée dans les mois à venir. Mais cette diminution tient aussi au succès croissant de la cigarette électronique parmi les fumeurs français. Commercialisée en 2012 sur l'ensemble du territoire, le succès de ce produit semble fulgurant, au point de devenir un véritable phénomène de société.
S'agissant de l'alcool, nous avons constaté que la structure des prélèvements en vigueur ne privilégiait ni des objectifs de rendement, ni des considérations de santé publique. Elle reflète une juxtaposition de taxes parfois ancestrales sans véritable cohérence et dont les niveaux sont restés très longtemps invariables.
Des objectifs de rendements devraient en effet conduire à taxer en priorité la boisson alcoolisée la plus consommée à l'échelle nationale. On constate pourtant que notre système fiscal reste largement étranger à la part respective de chaque type de boisson dans la consommation d'alcool des ménages. Le vin, qui représente pourtant plus de la moitié de la consommation d'alcool pur des ménages français, ne compte que pour moins de 4 % du produit des taxes sur les boissons alcoolisées. A contrario, les spiritueux, qui ne représentent qu'un cinquième de la consommation d'alcool pur des ménages, assurent plus de 80 % de ces recettes.
Des objectifs de santé publique devraient quant à eux conduire à privilégier une taxation des différents produits par unité d'alcool, à l'image des barèmes fiscaux mis en oeuvre en Suède ou en Irlande. Or, la charge fiscale applicable à chaque boisson selon ce critère est là encore extrêmement disparate. Pour 10 grammes d'alcool, correspondant à des volumes différents selon qu'il s'agisse de bière, de vin, d'apéritif ou d'alcool fort, cette charge varie entre 0,37 centimes d'euros pour le vin tranquille et 22,9 centimes d'euros pour les spiritueux, soit un rapport de 1 à 62.
Cette fiscalité, comme celle applicable aux produits du tabac, se désintéresse-t-elle pour autant les préoccupations sanitaires ? Ce n'est plus complétement le cas.
D'une part, il existe aujourd'hui des taxes à visées explicitement comportementales pour les boissons prémix et les alcools de plus de 18°.
D'autre part, les lois de financement de la sécurité sociale pour 2012 et 2013 ont considérablement alourdi les prélèvements assis sur les spiritueux et les bières, aux motifs de renchérir leur coût pour en diminuer la consommation et d'aligner leur prix sur la moyenne communautaire. Cette modification des barèmes a entrainé, selon l'Insee une hausse des prix de vente de ces deux produits à compter de janvier 2012 pour l'un et de janvier 2013 pour l'autre.
L'effet de ces mesures en termes de volume de ventes est plus délicat à établir, l'évolution de ce critère étant par définition sujette à d'autres déterminants que le prix tels que les effets de stocks, la météo ou le contexte économique. Nous avons toutefois noté qu'en 2012, les ventes de spiritueux en volume se sont contractées dans la grande distribution (- 4 % des ventes) brisant le mouvement haussier constaté les années précédentes. Le marché de la bière devrait quant à lui reculer de 3 % en 2013 en grande distribution, la chute dans les cafés, hôtels, restaurants atteignant 8 % selon l'Association des brasseurs de France.
Reste l'épineuse question de la fiscalité applicable au vin qui, au regard du traitement fiscal appliqué aux autres boissons, fait figure d'exception et nous a valu une levée de boucliers aussi soudaine qu'injustifiée. Il semble que la fiscalité du vin constitue un sujet tabou sur lequel les marges de manoeuvre soient limitées.
Cette situation reflète sans doute la place de ce produit dans notre économie, son caractère structurant pour nos territoires et son importance dans notre imaginaire collectif. Elle traduit aussi le fait que 80 départements métropolitains soient des départements viticoles. Elle tient compte, enfin, d'une division par trois de sa consommation au cours des cinquante dernières années et de la diminution importante du nombre de consommateurs réguliers.
Au regard de ces éléments, nous avons décidé de nous prononcer contre une taxation au degré dont l'effet sanitaire serait incertain et donc l'impact économique et social serait en revanche considérable.
Pour conclure ce panorama national, j'en viens aux taxes nutritionnelles ou plutôt à la taxe nutritionnelle. En effet, en dépit de l'intérêt porté ces dernières années à ce type de taxe, notre fiscalité ne comporte qu'un seul prélèvement pouvant faire partie de cette catégorie, à savoir celui sur les boissons sucrées adopté fin 2011.
Après deux années de mise en oeuvre, nous avons constaté que cette taxe avait eu d'importants effets sur le marché des boissons rafraichissantes sans alcool et des jus de fruits.
Comme attendu, elle a d'abord été largement répercutée sur les prix de vente au détail des boissons concernées. Les analyses de marché suggèrent en effet que le prix des produits « premiers prix » aurait augmenté de 25 %, celui des « marques distributeurs » de 10 % et celui des « marques nationales » de 5 %.
L'introduction de la taxe s'est par ailleurs accompagnée d'une diminution des ventes de l'ensemble des boissons concernées (sodas, nectars, tonics, limonades ...) rompant la dynamique de croissance régulière observée les années précédentes. L'impact de cette taxe sur l'obésité, si tant est qu'il soit mesurable, n'a quant à lui fait l'objet d'aucune évaluation scientifique.
Si la taxe sur les boissons sucrées constitue à ce jour le seul exemple de taxe nutritionnelle créée à des fins comportementales, la fiscalité française comporte néanmoins d'autres prélèvements susceptibles de faire l'objet d'une attention particulière en matière de santé publique.
Parmi ces prélèvements, la mission s'est d'abord arrêtée sur le cas de la taxe spéciale sur les huiles prévue à l'article 1609 vicies du code général des impôts qui fixe des taux très hétérogènes pour chacune des catégories d'huiles végétales.
Un kilo d'huile d'olives est aujourd'hui taxé 53 % de plus qu'un kilo d'huile de colza, 42 % de plus que qu'un kilo d'huile de palme et 40 % de plus qu'un kilo d'huile de coprah ou de palmiste. De même, l'huile de tournesol est taxée 40 % de plus que l'huile de pépins de raisins, près de 25 % de plus que l'huile de palme et 23 % de plus que les huiles de coprah ou de palmistes.
Au regard de la composition nutritionnelle de certaines des huiles les moins taxées, en particulier celle des huiles de palme, de coprah et de palmistes, la cohérence de ce barème nous interpelle. Nous nous interrogeons sur l'opportunité d'assurer à certaines huiles un avantage compétitif désormais injustifié en terme économique, commercial et sanitaire.
Pour finir, nous nous sommes intéressés à la mise en oeuvre de la taxe sur les dépenses de promotion prévue l'article L 2133-1 du code de la santé publique.
Adoptée à l'initiative de notre commission dans le cadre de l'examen de la loi de santé publique du 11 août 2004, cette taxe s'inscrivait dans un dispositif ambitieux visant à contraindre l'industrie agro-alimentaire à communiquer sur les repères nutritionnels issus du programme national nutrition santé et à participer à la prévention des maladies liées à une alimentation déséquilibrée et à une mauvaise hygiène de vie.
Sept ans après sa mise en place effective, nous avons constaté que ce dispositif avait quelque peu été « oublié » par les pouvoirs publics. Evalué une seule fois - sept mois après son entrée en application, il n'a malheureusement jamais été actualisé en dépit des doutes récurrents sur son influence sur les comportements alimentaires des consommateurs.
Le premier test réalisé sur les messages sanitaire en octobre 2007 révélait en effet des résultats mitigés. Si l'enquête mettait en évidence de bons résultats en matière de connaissance et de mémorisation des messages sanitaires par les téléspectateurs, elle proposait des résultats beaucoup moins convaincants concernant leur efficacité sur les habitudes des consommateurs.
Cette étude pointait surtout des problèmes de confusion entre le message sanitaire et le produit promu. Interrogés sur des publicités précises comme par exemple un yaourt aux fruits avec le message « pour votre santé, mangez au moins 5 fruits et légumes par jour », 44 % des personnes interrogées pensaient à tort que ce yaourt fournissait une portion de fruits pour la journée. Au total, une majorité des sondés de 15 ans et plus pensaient que les messages affichés étaient adaptés au produit.
Une autre étude menée depuis lors montre, quant à elle, que l'exposition des téléspectateurs aux messages sanitaires pourrait même avoir un effet contraire à celui recherché. Elle suggère que la présence d'un message sanitaire sur les écrans publicitaires pour ces « aliments plaisir » limiterait le sentiment de culpabilité des téléspectateurs. Plus précisément, ces messages activeraient chez le consommateur un mécanisme de compensation du type « la consommation de 5 fruits et légumes par jour ouvre droit à un aliment plaisir ».
Dans ces conditions, il nous semble urgent de faire évoluer un dispositif qui semble plus que jamais entretenir la confusion entre messages et produits, voire justifier la consommation des aliments les plus gras, sucrés et salés.
Nous souhaiterions conclure notre propos par quelques préconisations générales.
Il nous semblerait d'abord opportun de substituer à l'expression de fiscalité comportementale une notion à la fois plus précise, moins stigmatisante et faisant référence à l'affectation des prélèvements qui la composent. Nous sommes certes ici dans le registre lexical mais celui-ci nous paraît, dans le cas précis, relativement important. En effet, le terme comportemental peut s'appliquer à des prélèvements qui dépassent largement le champ de la santé publique et il jette sur les produits concernés, en particulier les produits alimentaires, et, indirectement, sur leurs consommateurs, un discrédit parfois injustifié au regard de leurs caractéristiques.
Nous suggérons l'utilisation de l'expression contribution de santé publique pour définir de tels prélèvements. Cette expression permettrait d'établir un lien entre la taxation et le coût sanitaire et financier lié à l'acte d'achat. Elle permettrait par ailleurs de rompre avec l'aspect moral et culpabilisant souvent associé au terme comportemental pour mettre en avant l'aspect objectif et responsabilisant d'une telle contribution.
Cette redéfinition du concept doit, selon nous, s'accompagner d'une clarification des objectifs assignés à ce type de contribution. Comme l'a démontré l'exemple de la politique fiscale menée en matière de tabac, la poursuite de plusieurs objectifs se réalise généralement aux dépens des préoccupations de santé publique. Cette situation nourrit par ailleurs la défiance, voire le rejet, de ces taxes par nos concitoyens. Constatant en effet une ambiguïté dans le message, ils reprochent aux pouvoirs publics, à juste titre, de déguiser des taxes de poches en taxes de santé publique.
A cet égard, le discours tenu par Bernard Cazeneuve à l'occasion des discussions sur le projet de loi de financement et sur le projet de loi de finances nous paraît aller dans le bon sens. En se félicitant de la diminution du produit des taxes sur le tabac, il donne du crédit à une politique sanitaire qui n'est plus exclusivement l'apanage du ministère des affaires sociales et de la santé.
Cette redéfinition du concept doit également s'accompagner d'une évolution des modalités de mise en oeuvre de ce type de contribution. En lieu et place des créations de taxes ou des augmentations de taux réalisées à l'occasion de la discussion d'un texte législatif, voire au détour de l'actualisation d'un texte règlementaire, il serait préférable d'insérer un volet fiscal, lorsque c'est opportun, dans chacune des stratégies pluriannuelles de santé publique définies par le Gouvernement. En prévoyant des hausses de taux assumées, régulières et prévisibles, les pouvoirs publics laisseraient ainsi aux consommateurs le temps de modifier leurs habitudes et aux industriels l'opportunité de changer leurs méthodes de production avant toute hausse de prix.
S'agissant plus particulièrement du tabac, nous suggérons que le Programme national de réduction du tabagisme, qui doit être finalisé avant l'été dans le cadre du Plan cancer, prévoie une hausse de 10 % par an du prix des différents produits du tabac sur les cinq prochaines années. Il s'agit, selon nous, du niveau minimum permettant d'agir efficacement sur l'entrée dans le tabagisme et sur l'arrêt de la consommation, en accompagnement des mesures relatives à l'aide au sevrage.
Au-delà de ces questions de méthode, il nous semblerait nécessaire de remédier aux incohérences de notre système fiscal. Nous avons déjà mentionné le barème de la taxe applicable aux huiles végétales. Il convient également de citer l'homogénéisation du barème fiscal applicable aux différents produits du tabac, en particulier concernant les cigarettes et le tabac à rouler compte tenu des reports de consommation constatés entre ces deux produits.
Parmi ces incohérences, les taux de TVA tiennent une place particulière. Il ne nous paraît pas logique de faire bénéficier d'un taux réduit de TVA les produits faisant par ailleurs l'objet d'une contribution de santé publique. Tel est pourtant le cas des sodas qui bénéficient du même taux que les eaux minérales ou les jus de fruits frais.
Plus largement, l'application du taux réduit de TVA à tous les produits alimentaires à l'exception des produits de confiserie, des produits composés contenant du chocolat ou du cacao (à l'exception du chocolat de table), des margarines et graisses végétales et du caviar, devrait être revue pour tenir compte des caractéristiques nutritionnelles des différents produits.
Nous nous interrogeons enfin sur l'intérêt de taxer les produits susceptibles de se substituer à ceux dont l'excès est déconseillé pour la santé. Cette réflexion est aujourd'hui valable pour les boissons édulcorées dont l'innocuité vient d'être à nouveau confirmée par l'Agence européenne de sécurité alimentaire. Elle le sera demain pour la cigarette électronique qui semble constituer un substitut moins dangereux aux produits du tabac traditionnels.
Si la mise en cohérence des taxes au niveau national semble envisageable, une action similaire au niveau européen, pourtant indispensable, semble en revanche totalement illusoire. A titre d'exemple, la directive définissant la structure et les taux applicables au tabac, pourtant renégociée en 2011, ne devrait pas pouvoir contribuer à réduire les disparités de taxes et de prix constatées à l'échelle de l'Union, favorisant de ce fait les transferts de ressources fiscales entre pays limitrophes et limitant l'efficacité des politiques de santé basées essentiellement sur les prix.
C'est pourquoi nous privilégions, pour chacun des risques considérés, une approche globale et cohérente, articulant prévention, sensibilisation, prise en charge et, le cas échéant, taxation. Seule une telle approche permettra de limiter ces risques et d'inciter nos concitoyens à modifier leurs habitudes.
Je tiens à remercier les rapporteurs pour cette présentation intéressante, complète et réaliste.
Il convient d'abord de souligner que l'assujettissement d'un produit comme le vin à une taxe comportementale, compte tenu du caractère péjoratif associé à cette expression, rend difficile sa promotion au-delà de nos frontières. Je suis donc satisfait que les rapporteurs soient enclins à relativiser la pertinence et l'efficacité de telles taxes.
Faut-il pour autant les rebaptiser « contributions de santé publique ». Je plaide en ce domaine pour une simplification et une vision purement fiscale de ce type de prélèvements.
Je suis en revanche très attaché à la multiplication des actions de sensibilisation et d'information sur les dangers de l'alcoolisme.
Je considère par ailleurs nécessaire de dissocier le traitement réservé au tabac de celui réservé aux différents produits alimentaires. D'une part, la consommation modérée de ces derniers ne comporte aucun risque en matière sanitaire. D'autre part, les effets de cette consommation ne peuvent être évalués qu'au regard de l'activité physique pratiquée par les individus.
Il faut enfin garantir une stabilité fiscale à nos concitoyens en renonçant à créer des taxes à l'occasion de l'examen de chaque nouveau texte financier. La stratégie pluriannuelle évoquée par les rapporteurs me paraît à cet égard aller dans le bon sens.
Je voudrais à mon tour féliciter les rapporteurs pour leur présentation. Il s'agit d'un rapport très attendu dont le caractère précis et nuancé réussit à distinguer la « fiscalité comportementale » des taxes destinées à parer aux difficultés de financement de notre protection sociale.
La multiplication des débats relatifs à la création de taxes comportementales au cours des dernières années a largement contribué au développement d'une certaine méfiance des consommateurs à l'égard des produits alimentaires mis sur le marché.
Il me paraît regrettable que l'administration ne puisse pas justifier le niveau actuel de certaines taxes, ce niveau correspondant sans doute à des préoccupations spécifiques.
Ce travail débouchera-t-il sur une proposition de loi ou sur le dépôt d'amendement dans le cadre de l'examen d'un prochain texte législatif ?
Connaissez-vous la part prise respectivement par le vin et les autres boissons alcoolisées dans la cadre des pratiques de binge drinking ?
Ce rapport a le mérite de mettre en évidence la contradiction existant entre la nécessité pour les pouvoirs publics de trouver de nouvelles recettes fiscales destinées à alimenter les budgets de l'Etat ou de la sécurité sociale et les préoccupations de santé publique.
Il fait oeuvre utile en proposant une analyse pertinente dans un domaine encore peu étudié. Je rappelle à ce sujet que les problèmes psychologiques et psychiatriques liés à l'alcool ont une incidence importante en matière de politique de santé publique et de politique de l'emploi.
Je suis en revanche surprise que l'on abdique aussi facilement en matière de fiscalité du vin. Il me semble que les principes appliqués à la bière lors du PLFSS pour 2013 devraient également s'appliquer à ce produit.
S'agissant des boisons « prémix », je pense que nous aurions dû prendre la décision d'interdire leur consommation. Il me paraît en effet scandaleux de vendre de l'alcool de manière déguisée.
Je suis très triste qu'une démarche d'harmonisation des taxes au niveau européen vous paraisse vouée à l'échec. Je pense en effet qu'il s'agit de la seule initiative efficace pour limiter le développement du commerce transfrontalier.
La proposition visant à insérer un volet fiscal dans les différentes stratégies de santé publique me paraît intéressante.
J'estime enfin que nous sommes sur des enjeux qui méritent la définition de politiques de santé publique plus incisives s'appuyant sur le sens des responsabilités de nos concitoyens, en particulier les plus jeunes.
L'expérience montre que les fonctionnaires du ministère des finances ont une imagination féconde pour trouver de nouvelles ressources. A la lecture de votre rapport, je me demande toutefois si la solution permettant de prendre en compte les préoccupations de santé publique en matière fiscale ne passe pas par une remise à plat des taxes existantes.
C'est un sujet passionnant qui aurait pu être étendu aux taxes environnementales.
La mise en place de politiques de santé publique est d'autant plus nécessaire que les pathologies évoquées dans le rapport touchent tout particulièrement les catégories de population les moins favorisées.
Par ailleurs, estimez-vous judicieux de cibler les contributions de santé publique sur des produits identifiés comme nocifs et de privilégier une action par le biais d'un taux de TVA réduit sur les produits bénéfiques ?
En matière d'alcool, il me semble important de durcir la règlementation en vigueur. J'avais d'ailleurs défendu un amendement proposant la mise en place d'une taxation au premier degré d'alcool.
S'agissant de la cigarette électronique, je pense que le Parlement devrait s'informer sur les caractéristiques des produits mis sur le marché et leurs conditions de fabrication.
Les hausses répétées de taxes sur le tabac dans les zones frontalières posent d'importants problèmes. Elles encouragent le développement d'une consommation transfrontalière qui transite de plus en plus fréquemment par des réseaux mafieux.
Le terme de contribution de santé publique permet de faire référence à l'affectation aux comptes sociaux des différentes taxes étudiées dans le rapport. Il nous paraît à cet égard logique que les consommateurs des produits entraînant des charges spécifiques pour la société contribuent au financement de ces dépenses additionnelles.
Concernant le tabac, nous sommes favorables à une action résolue des pouvoirs publics en matière fiscale. Les décisions prises en 2002 et 2003 ont permis de constater l'efficacité d'une politique axée sur la hausse des prix de vente. Le Plan cancer présenté par le Président de la République représente à cet égard une excellente opportunité de remobiliser l'outil fiscal pour peser sur la consommation de tabac de nos concitoyens.
Il faut bien entendu être particulièrement vigilant sur la composition du liquide alimentant les cigarettes électroniques. Ce produit doit être considéré comme un produit de sevrage efficace éminemment moins toxique que le tabac traditionnel.
Le niveau de taxe applicable aux boissons prémix est tel qu'il a un effet semblable à celui obtenu par le biais d'une mesure d'interdiction.
La loi de santé publique en cours de préparation nous semble être le véhicule législatif approprié pour discuter des conclusions d'un rapport qui a pour principal intérêt d'ouvrir le débat sur des sujets sensibles.
La fiscalité sur le vin constitue un véritable tabou dans notre pays. Le simple fait de travailler sur le sujet a suscité une large mobilisation de la filière contre une éventuelle hausse des droits existants. Après une analyse approfondie de la question, nous avons estimé qu'il n'était pas souhaitable de taxer le vin pour des raisons de santé publique. Il appartiendra cependant au Gouvernement de prendre ses responsabilités sur le sujet.
La TVA ne répond aujourd'hui à aucune logique sanitaire particulière. Bien qu'il paraisse difficile d'en modifier les taux au regard de ce dernier critère, il nous semble indispensable d'en dénoncer les incohérences et d'essayer de les corriger.
La commission, à l'unanimité, autorise la publication du rapport d'information.
- Présidence de Mme Catherine Génisson, vice-présidente -
Nous allons à présent étudier le second rapport de la matinée, qui devait être conjointement présenté par MM. Alain Milon et Jacky Le Menn, rapporteurs. Je vous prie d'accepter les excuses de M. Milon pour son absence, qui est due à un empêchement d'ordre familial.
Après une vingtaine d'auditions, quatre tables rondes, une soixantaine de personnes rencontrées à Paris, deux déplacements en province, en Corse et dans les pays de la Loire, nous vous rendons compte aujourd'hui des résultats d'une année de travaux consacrés aux agences régionales de santé (ARS). La Mecss souhaitait en effet, je vous le rappelle, dresser le bilan des ARS trois ans après leur mise en place effective et proposer des pistes d'évolution.
Même si des débats avaient eu lieu sur certaines modalités de mise en oeuvre ou de gouvernance, le principe de la création des agences n'a pas constitué le point de friction le plus important de la loi HPST. Dans ce même esprit, nous n'avons pas entendu remettre en cause cette réforme mais en évaluer la mise en oeuvre.
Revenons tout d'abord et en quelques minutes sur l'histoire, sur les objectifs et sur le champ de compétences des ARS.
Tout en représentant un changement profond dans l'organisation du système de santé et la régulation des dépenses d'assurance maladie, la création des ARS est le fruit d'une évolution administrative engagée de longue date. Dès les années 1970 et la naissance de la carte sanitaire, des outils ont été mis en place pour planifier et réguler l'offre de soins sur les territoires, plus spécialement en ce qui concerne les établissements de santé.
En 1991, la création des schémas régionaux d'organisation sanitaire, les Sros, a contribué à faire de la région le territoire de référence pour l'organisation du système de santé. A la même époque, le rapport « Hôpital 2010 », rédigé par un groupe de travail présidé par Raymond Soubie pour le compte du Commissariat général au plan, préconisait la création d'agences régionales des services de santé qui auraient été chargées d'assurer au niveau local la régulation des dépenses d'assurance maladie, considérée comme indispensable pour réduire efficacement les inégalités sociales et territoriales de santé.
Nombre des enjeux relatifs au fonctionnement actuel des ARS étaient déjà abordés dans ce rapport : les relations entre le directeur de l'agence et le conseil d'administration, ainsi que la façon dont tous deux auraient été amenés à rendre compte de leurs actions ; le recentrage des administrations centrales sur des missions de pilotage stratégique ; l'accompagnement et la formation des personnels ; le partage des compétences entre les agences et le préfet de région... Plus globalement, le rapport appelait à une clarification des responsabilités respectives de l'Etat et de l'assurance maladie ainsi qu'à une démocratisation du pilotage du système de soins, préoccupations qui trouveront un premier écho dans la révision constitutionnelle du 22 février 1996 créant les lois de financement de la sécurité sociale.
Cette même année, les ordonnances Juppé ont consacré encore un peu plus l'échelon régional avec la création des unions régionales des caisses d'assurance maladie (Urcam), des conférences régionales de santé et des agences régionales de l'hospitalisation (ARH). Ces dernières étaient organisées sous la forme de groupements d'intérêt public devant assurer une représentation paritaire de l'Etat et de l'assurance maladie. Conçues comme des structures légères et souples, les ARH étaient davantage dotées d'un rôle d'impulsion et de coordination que d'une réelle capacité de pilotage sur les territoires. Elles ont rencontré de ce fait d'importantes difficultés pour mobiliser les moyens humains nécessaires à l'exercice de leurs missions.
La loi HPST du 21 juillet 2009 a donc opéré une réforme longuement mûrie mais d'une tout autre ampleur que les précédentes. Mise en oeuvre dans le contexte de la révision générale des politiques publiques et de la réorganisation de l'administration territoriale de l'Etat, elle visait trois objectifs principaux :
- garantir davantage d'efficience dans la mise en oeuvre des politiques de santé ; il s'agissait en particulier d'assurer le respect de l'Ondam voté chaque année en loi de financement ;
- renforcer la territorialisation de ces politiques dans une perspective de réduction des inégalités : les territoires de santé, qui avaient été créés en 2003, ont pour cela été redéfinis sur des bases nouvelles devant prendre en compte les spécificités de chaque région ;
- assurer le décloisonnement des prises en charge grâce à un pilotage unifié de quatre secteurs : l'hôpital, les soins de ville, le médico-social et la santé publique, à laquelle ont été associées les missions de veille et de sécurité sanitaires. Cet objectif de décloisonnement constitue la pierre angulaire de la réforme des ARS qui doivent prendre en charge de manière transversale et globale des politiques auparavant éparpillées.
La loi a prévu la création de deux commissions de coordination au sein des ARS, chargées d'assurer « la cohérence et la complémentarité » des politiques menées par les différents partenaires. L'une est compétente dans le secteur médico-social, l'autre sur les sujets de prévention, de santé scolaire, de santé au travail et de protection maternelle et infantile.
Les ARS ont été constituées à partir de la réunion de sept services ou organes préexistants. Les ARH et les Urcam ont ainsi été regroupées avec les groupements régionaux de santé publique (GRSP), créés en 2004 pour associer l'Etat, les collectivités territoriales et l'assurance maladie autour d'enjeux relatifs à la prévention et à la santé publique, ainsi qu'avec les missions régionales de santé (MRS), constituées la même année entre les ARH et les Urcam pour traiter de sujets communs, tels que la gestion du risque ou la démographie médicale. S'y sont adjointes une partie des directions départementales et régionales des affaires sanitaires et sociales - Ddass et Drass - ainsi que des caisses régionales d'assurance maladie (Cram). On voit bien ici que les ARS ont largement simplifié le « paysage » administratif.
Regroupant des personnels et des financements d'origines diverses - Etat et assurance maladie - les ARS ont été dotées du statut d'établissement public administratif, qui devait en outre leur permettre de disposer d'une autonomie administrative et financière.
Leurs relations avec l'administration centrale ont été formalisées dans le cadre de contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (Cpom) structurés autour de trois grands objectifs : améliorer l'espérance de vie en bonne santé ; promouvoir l'égalité devant la santé ; développer un système de santé de qualité, accessible et efficient. La première génération des Cpom, conclue pour la période 2011-2013, a fixé des objectifs et indicateurs très nombreux et peu différenciés selon les ARS. Peut-être était-ce inévitable dans un premier temps. Il serait cependant utile, à l'avenir, de recentrer les Cpom sur des objectifs plus stratégiques et prenant davantage en compte les spécificités territoriales auxquelles sont confrontées les agences.
Placée sous la houlette du secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales et confiée à des responsables préfigurateurs sélectionnés par appel à candidature, la phase de préfiguration destinée à préparer la mise en place des 26 ARS a été particulièrement rapide. Elle s'est en effet étendue du mois d'octobre 2009 à la fin du mois de mars 2010, s'achevant même trois mois avant le butoir défini par la loi HPST, le 1er juillet. L'ensemble des responsables préfigurateurs ont alors été confirmés en tant que directeurs généraux et les ARS ont été officiellement créées au 1er avril 2010.
S'en est suivie jusqu'à la fin de l'année 2012 l'élaboration des projets régionaux de santé (PRS), première étape importante dans l'appropriation par les ARS de leur champ de compétences et dans la construction de leurs relations avec les professionnels de santé, les élus et les représentants des usagers. Cette période de démocratie sanitaire, menée tambour battant, semble avoir laissé un sentiment mitigé chez beaucoup d'interlocuteurs. Les concertations ont été nombreuses - peut-être trop ? - mais il demeure difficile de mesurer quelle a été leur portée réelle dans le processus d'élaboration et de définition des documents.
Désormais achevés, les PRS qui, rappelons-le, sont composés d'un plan stratégique, de trois schémas thématiques et d'un grand nombre de programmes destinés à appliquer ces schémas, constituent des documents exhaustifs mais particulièrement lourds, qui peuvent difficilement constituer des outils d'aide à la décision et d'accompagnement des ARS dans l'exercice de leurs missions. En outre, leur articulation avec les autres documents de programmation, notamment dans le secteur médico-social, demeure perfectible. Il serait nécessaire à l'avenir d'allonger les délais d'élaboration des PRS ainsi que leur durée d'application et d'envisager des procédures de révision simplifiées qui ne conduisent pas à une remise en question des documents dans leur ensemble.
Au final, a-t-on confondu volontarisme et précipitation dans cette phase de démarrage des ARS ? Peut-être était-il indispensable d'agir ainsi pour assurer la mise en oeuvre de la réforme et éviter tout risque d'enlisement. Mais il nous semble cependant que cette installation « à la hussarde », selon les termes que l'on a pu entendre lors des auditions, contribue aujourd'hui à expliquer une partie des difficultés auxquelles sont confrontées les agences ainsi que la déstabilisation qu'elles ont pu susciter chez leurs partenaires.
La loi HPST était en effet porteuse de bouleversements profonds dont la portée a été insuffisamment anticipée au moment de la conception puis de la mise en oeuvre de la réforme.
Il en est ainsi du rôle confié au directeur général de l'ARS.
Alors qu'un grand nombre des décisions prises par les ARH nécessitaient une délibération ou un avis de leurs commissions exécutives, c'est le directeur général de l'ARS, nommé par décret en conseil des ministres, qui assume seul l'essentiel des décisions relevant de son champ de compétences. S'il doit bien rendre compte de son action devant le conseil de surveillance et la conférence régionale de la santé et de l'autonomie (CRSA), il n'est pleinement responsable que devant son ministre de tutelle, chargé d'évaluer chaque année son action sur la base des objectifs inscrits dans sa lettre de mission. L'expression de « préfet sanitaire » avait d'ailleurs été répétée à l'envi au moment de la loi HPSTet le récent renvoi du directeur général de l'ARS de Rhône-Alpes lui donne de la substance.
Une telle situation suscite des questionnements voire des inquiétudes. Alors que la création des ARS devait constituer une étape nouvelle vers un pilotage des politiques de santé plus déconcentré, elle peut être paradoxalement vécue comme une forme de recentralisation d'un système qui continue d'apparaître rigide et hiérarchisé. Autre difficulté, la concentration des pouvoirs dans les mains d'une seule personne conduit à identifier de façon plus ou moins systématique l'action globale de l'agence avec la personnalité de son directeur général. Nous avons ainsi été frappés de noter, au cours de nos auditions, que les appréciations portées sur telle ou telle politique menée par une ARS dépendaient très largement de la relation de confiance qu'avaient pu nouer les acteurs concernés, qu'il s'agisse des établissements, des personnels ou des élus, avec le directeur général.
Faut-il pour autant remettre en cause le rôle des directeurs généraux, alors que la plupart des difficultés que nous avons identifiées ressortent en fait de « bonnes pratiques », voire des simples relations humaines ? Il nous semble à tout le moins nécessaire d'aller vers davantage de concertation interne - nous évoquerons un peu plus loin la nécessité de renforcer les contre-pouvoirs « externes ».
Des comités exécutifs (Comex) et des comités de direction (Codir), qui regroupent les personnels dirigeants travaillant directement auprès du directeur général, existent dans chaque agence. Leur rôle gagnerait à être davantage formalisé, tout en respectant l'autonomie dont doivent disposer les ARS pour leur organisation interne. Sans toucher à l'étendue des pouvoirs dont disposent les directeurs généraux, des gains substantiels pourraient être réalisés en termes de transparence. La politique menée par l'agence serait par exemple bien plus lisible et par conséquent mieux comprise si la lettre de mission délivrée à chaque directeur général était systématiquement rendue publique. Dans le contexte particulièrement contraint de nos finances publiques, il apparaît d'autant plus nécessaire de montrer que l'action des directeurs généraux des ARS va bien au-delà de la seule maîtrise de la masse salariale et des enveloppes de financement.
La gestion des ressources humaines, dans un contexte de restructuration administrative et d'évolution des missions, constitue un autre bouleversement qui a été trop peu anticipé.
En la matière, il est frappant de constater la coexistence de deux discours antagonistes : alors que la plupart des personnels de direction témoignent de leur enthousiasme pour l'exercice de missions rénovées au sein de structures administratives innovantes, nombreux sont les salariés qui expriment au contraire le malaise profond engendré par la création et le mode de fonctionnement des ARS.
L'enjeu était de taille puisqu'il s'agissait de faire travailler ensemble des personnels de l'Etat et de l'assurance maladie aux cultures professionnelles diverses. La création d'un statut propre aux ARS, jugée prématurée au moment du vote de la loi, n'a pas été retenue. Les agents ont donc été transférés au sein des ARS tout en demeurant régis soit par le statut de la fonction publique d'Etat, soit par l'une des neuf conventions collectives applicables aux personnels de la sécurité sociale. En pratique, cela signifie que la plupart des agents n'ont pas fait le choix d'intégrer les ARS : ils y travaillent parce que leurs missions ont été transférées vers les nouvelles agences.
Au-delà de la grande complexité pour les directions des ressources humaines des agences de suivre au quotidien l'ensemble des statuts et conventions, cette situation crée deux types de difficultés qui se cumulent et s'alimentent. D'une part, des différences de salaires ou d'organisation du temps de travail persistent entre personnels d'origine différente, même lorsqu'ils exercent des missions équivalentes. D'autre part, les marges de manoeuvre dont pourraient disposer les ARS pour limiter ces divergences et plus largement mener une politique de ressources humaines autonome sont fortement limitées par les règles qui entourent le statut de la fonction publique et le cadre conventionnel. Ces difficultés cumulées sont inévitablement sources de frustration, les différences de traitement entre agents étant légitimement perçues comme des inégalités. De surcroît, certains personnels, en particulier de l'assurance maladie, coupés de leur structure d'origine, peinent à véritablement percevoir leur intégration au sein des ARS comme une opportunité de carrière.
Le malaise est accentué pour les personnels dont les missions ont profondément évolué avec la création des ARS. Il s'agit en particulier des médecins et des pharmaciens inspecteurs de santé publique. Alors qu'ils avaient pris l'habitude de développer de façon relativement autonome une expertise propre dans des domaines précis, ils sont aujourd'hui amenés à exercer des missions beaucoup plus transversales de conduite de projet. Tous les métiers des ARS sont touchés à un degré plus ou moins important par cette évolution qui ne fait en réalité que refléter la logique même qui a présidé à la création des agences. Une mutation profonde est en cours dans la manière même d'exercer les missions et les métiers ; or les personnels, déjà affectés par le changement de structure, n'ont pas été préparés ou accompagnés en ce sens.
Le souci de décloisonnement et de transversalité se retrouve d'ailleurs dans les organigrammes de quelques ARS, notamment celle des Pays de la Loire, où les principales directions ne sont plus organisées par secteur mais par type de métier. L'on peut d'abord se féliciter que l'administration centrale ait laissé les directeurs généraux libres de leur organisation interne, qui varie donc selon les ARS. Mais cet exemple est aussi révélateur des attentes contradictoires vis-à-vis des agences : les organigrammes par secteur - sanitaire, médico-social - sont critiqués, car reproduisant les cloisonnements souvent décriés, mais les autres organigrammes sont plus difficilement compris par les acteurs, notamment les établissements, qui ne sont plus suivis par un interlocuteur spécifique au sein de l'agence.
Ces difficultés interviennent, en outre, dans une phase de réduction progressive du plafond d'emplois des ARS. Fixé à 9 591 équivalents temps plein (ETP) en 2010, il était de 9 281 ETP en 2012, soit une diminution de plus de 3 % sur la période. Comme l'ont souligné plusieurs directeurs généraux d'ARS, ces dernières, à peine créées, doivent déjà faire mieux avec moins de moyens...
Une enquête a été lancée en 2011 pour mesurer le degré d'exposition des personnels aux risques psychosociaux. Ses résultats sont édifiants : 42 % des agents ayant répondu au questionnaire avaient le sentiment de manquer de reconnaissance au travail et plus de la moitié d'entre eux estimaient avoir besoin d'une formation.
Comment répondre à ce mal-être, à cette « perte de repères » pour reprendre une expression que nous avons régulièrement entendue ? La création d'un statut propre aux ARS, si elle peut apparaître comme la solution la plus rationnelle à long terme, risquerait dans l'immédiat de déstabiliser encore plus des personnels qui demeurent très attachés à leur structure d'origine. Il faut donc agir à partir de l'existant : travailler de façon poussée à l'harmonisation des conditions de travail, engager une véritable politique de prévention des risques psychosociaux, renforcer la formation des personnels et améliorer la fluidité des parcours. Ces chantiers doivent être impulsés par le niveau national : le comité national de concertation, qui regroupe des représentants du personnel de l'ensemble des ARS, doit devenir une instance d'orientation et ne plus être cantonné à un rôle d'information et de débat. De telles évolutions apparaissent indispensables pour faire véritablement des ARS les « maisons communes » dans lesquelles l'ensemble des personnels puissent se sentir valorisés et correctement intégrés.
Un dernier enjeu est lié au champ de compétences des ARS.
Cette question a régulièrement été soulevée au cours de nos auditions. Leur champ de compétences est certes très large mais il nous apparaît, malgré tout, doté d'une certaine cohérence. L'extension au secteur médico-social et à la médecine ambulatoire est par exemple indispensable dans une perspective d'organisation du système de santé autour du parcours des patients. L'intégration du secteur médico-social, concomitante avec la mise en oeuvre de la procédure d'appels à projets, a constitué un bouleversement que ne semblent pas regretter les acteurs, malgré les ajustements et simplifications qui pourraient être envisagés, notamment en matière d'autorisation et de financement. Si la création des ARS constitue donc un progrès, il faut aller plus loin pour rendre effectif le décloisonnement des secteurs et donner aux parcours une dimension autre qu'expérimentale.
Nous nous sommes beaucoup interrogés sur les missions de veille et de sécurité sanitaires, qui sont assez facilement « détachables » du coeur des compétences des agences, celles liées à l'organisation du système sanitaire et médico-social. Elles posent en effet des difficultés d'articulation avec le préfet, qui continue de détenir le pouvoir de décision et les responsabilités afférentes, en particulier en cas de crise, mais pas l'autorité sur les services opérationnels. C'est le constat que dresse un rapport de l'Igas en décembre 2011 ; il y est par exemple indiqué que « la rupture créée dans la chaîne de décision se double d'un problème de responsabilité ».
Pour autant, les protocoles conclus entre les préfets et les ARS semblent fonctionner et revenir en arrière sur cette question ne nous apparaît finalement pas comme un bon signal alors que nos auditions ont bien montré l'impérieux besoin de stabilité. En outre, les missions de veille et de sécurité peuvent être légitimes pour les ARS, mais à la condition de les articuler correctement avec leurs compétences en matière de prévention et de santé publique.
Nous privilégions donc une stabilité dans le champ de compétences des ARS, tant dans le sens de sa diminution que de son accroissement. Toutefois, il est nécessaire d'agir sur les modalités d'exercice de ces compétences.
D'un côté, il faut simplifier les procédures, par exemple en matière de contrôle des établissements ou d'appels à projets dans le secteur médico-social. Certaines tâches purement administratives, notamment dans les domaines de la veille et de la sécurité sanitaires ou dans le contrôle des formations des professionnels de santé, pourraient être abandonnées. Tout cela nécessite une remise à plat qui a été entamée avec le programme de simplification et transformation des ARS, dénommé « Stars »... Il faut aller plus loin et préférer, encore une fois, le pilotage et la stratégie aux procédures trop administratives et tatillonnes.
De l'autre côté, les ARS ne doivent pas elles-mêmes élargir leur champ de compétences en s'immisçant dans la gestion des établissements. Durant les auditions, certains exemples d'intrusion des ARS dans la vie des établissements nous ont été rapportés ; il s'agit naturellement de cas précis qui ne constituent pas une généralité. Cependant, il s'agit d'un point important : si nous demandons à l'administration centrale - nous allons en parler à l'instant - de développer une vision stratégique et non procédurière dans ses relations avec les agences, ces dernières doivent également « jouer ce jeu » avec les acteurs locaux et faire confiance à leurs partenaires extérieurs.
Cet exemple pose la question de la nature des relations que nouent les ARS avec les établissements de santé et médico-sociaux. Comme elles le font elles-mêmes avec l'administration centrale, elles concluent des Cpom avec chaque structure. Cela signifie-t-il pour autant que s'instaure une relation de type partenarial ? Il est permis d'en douter, notamment au regard de la précision de certains contrats qui les font davantage ressembler à des instructions. Plus fondamentalement, l'Igas s'est interrogée dans son rapport de 2012 consacré à l'hôpital sur la coexistence de missions de régulation avec celles d'inspection/contrôle, voire de tutelle s'agissant des établissements publics. La question s'est posée à plusieurs reprises au cours de nos travaux. Elle est particulièrement prégnante s'agissant des pouvoirs dont dispose l'ARS concernant les procédures de nomination et d'évaluation des directeurs d'hôpitaux. Y répondre implique de clarifier les rôles et responsabilités de chacun en veillant à ce que les ARS ne puissent pas être assimilées à des « holdings hospitaliers régionaux », pour reprendre l'expression employée par l'une des personnes que nous avons auditionnées.
Enfin, en ce qui concerne l'exercice de leurs missions par les ARS, il sera nécessaire de faciliter leur accès aux données de santé, notamment celles de l'assurance maladie, car développer leurs politiques implique un niveau élevé d'informations. Toutefois, le législateur devra, à notre sens, fixer un cadre sécurisé et protecteur des libertés publiques car la manipulation de données médicales ne peut être anodine même si elle est indispensable.
L'administration centrale n'a pas connu une évolution parallèle à celle de l'échelon territorial.
On l'a vu, les ARS résultent de la fusion de sept structures préexistantes. Or, parallèlement, les administrations centrales ont conservé le même format, principalement autour de la DGS pour la santé publique, de la DGOS pour « l'offre de soins », de la DGCS pour le médico-social et de la DSS pour les équilibres financiers, sans pour autant que ces frontières soient aussi clairement définies... Dans le secteur médico-social, s'ajoute le partage des compétences et des responsabilités entre la DGCS et la CNSA.
Certes, la loi HPST a prévu la création d'un conseil national de pilotage (CNP). Tous les quinze jours, il réunit les directions durant une heure et demie à un niveau de responsabilité élevé puisque les directeurs ne peuvent pas s'y faire représenter. Il dispose de compétences larges : il veille à la cohérence des politiques menées par les ARS, leur fixe des objectifs, anime le réseau et évalue leur action. Théoriquement présidé par les ministres compétents, le CNP l'est en pratique par le secrétaire général des ministères sociaux.
Elément innovant, les directeurs des organismes de sécurité sociale participent au CNP, ce qui en fait potentiellement le creuset d'une coopération étroite entre l'Etat et l'assurance maladie. Nous conclurons notre intervention sur cette question. Il nous semble que les agences sanitaires - HAS, ANSM, Anses... - qui sont des autorités autonomes voire indépendantes, devraient participer au CNP. Cela ne pourrait que renforcer la concertation et l'élaboration collective des politiques menées.
Si le CNP constitue donc une avancée intéressante, force est de constater qu'il n'a pas encore trouvé sa place : il joue un rôle de filtre entre les directions d'administration centrale et les ARS, alors qu'il devrait plutôt avoir celui de catalyseur. Comme l'avait déjà relevé la Cour des comptes, toutes les conséquences n'ont pas été tirées, sur ce point, de la création des ARS. La question se situe en fait en amont du CNP. Malgré ce que nous ont répété les directeurs d'administration centrale, il y a très peu de coordination entre les directions et chacune développe sa politique qu'elle « fait passer » en CNP... Le CNP constitue ainsi une instance collégiale mais hybride, qui n'est ni purement consultative, ni réellement délibérative.
Pour contrer ce phénomène de « tuyaux d'orgues », nous proposons la nomination d'un secrétaire général à la santé et à l'autonomie, chargé de présider le CNP et disposant d'un pouvoir hiérarchique sur les directions « métiers » du ministère.
L'actuel secrétariat général des ministères sociaux, qui dépend de quatre ministres de plein exercice - Marisol Touraine mais aussi Michel Sapin, Valérie Fourneyron et Najat Vallaud-Belkacem - est d'abord chargé, pour ces ministères, des missions « support » -ressources humaines, affaires juridiques et financières. C'est la loi HPST qui lui a adjoint la fonction de pilotage des ARS qui n'a que peu à voir, au fond, avec ses missions traditionnelles. Si les différents secrétaires généraux ont pris à coeur de mener l'ensemble de leurs missions à bien, force est de constater qu'institutionnellement, il serait préférable de désigner un secrétaire général doté de compétences élargies et chargé de mener la politique de santé et médico-sociale décidée par le Gouvernement.
Cette proposition nous semble meilleure que celle d'inciter plus fortement les ministres à présider le CNP, car ce dernier reste une instance administrative et ses réunions régulières ne peuvent pas coïncider avec les obligations des différents ministres potentiellement concernés - santé, assurance maladie, médico-social.
Au-delà de cet aspect institutionnel, toutes les conséquences de la création des ARS n'ont pas été tirées en termes de méthodes. Ainsi, l'administration centrale reste trop dans le registre de l'instruction adressée à des services déconcentrés, alors qu'elle devrait s'orienter vers le « pilotage » stratégique des politiques publiques. De manière symbolique, on ne peut que regretter le grand nombre d'instructions envoyées chaque année aux ARS, autour de 300, même si le vaste champ de leurs compétences explique largement ce phénomène. Surtout, ces instructions sont beaucoup trop prescriptives, détaillées, et ne laissent pas suffisamment de marges de manoeuvre aux ARS pour l'adaptation territoriale.
Autre aspect dont nous avons commencé de parler : la faiblesse des contre-pouvoirs, pourtant indispensables au regard du champ d'action des ARS.
On l'a vu, le directeur général de l'agence est nommé en conseil des ministres et dispose de compétences étendues. Cette responsabilisation n'est pertinente que si elle est accompagnée de la mise en place de contre-pouvoirs qui, sans bloquer l'action publique, sont à même de peser sur les principales orientations. Or, tant le conseil de surveillance que la Conférence régionale de la santé et de l'autonomie (CRSA) n'ont pas encore trouvé cette place.
Composé de quatre représentants de l'Etat, de six représentants de l'assurance maladie, de quatre représentants des collectivités locales, de trois représentants des associations d'usagers et de quatre représentants de personnalités qualifiées, le conseil de surveillance est présidé de droit par le préfet de région. Grâce à un droit de vote triple pour les représentants de l'Etat, ce dernier est aisément majoritaire en son sein.
De toute manière, les compétences du conseil sont très limitées : par exemple, il approuve le budget de l'agence, « sauf majorité contraire des deux tiers », ce qui est pour le moins étrange car les délégués de l'Etat y pèsent à eux seuls 36 % et même 42 % en Ile-de-France du fait de la présence du préfet de police... En outre, le conseil émet des avis, limitativement énumérés, sur la politique menée par l'ARS. En pratique, certains conseils de surveillance se sont d'ailleurs saisis de sujets qui n'étaient pas explicitement prévus par la loi.
Nous proposons, d'une part, d'améliorer la composition du conseil de surveillance, d'autre part, d'élargir son champ de compétences. Ainsi, le conseil pourrait être composé de quatre collèges composés d'un nombre égal de membres : Etat ; assurance maladie ; collectivités locales ; usagers et personnalités qualifiées. Chaque membre du conseil ne serait doté que d'une voix et son président serait élu parmi les membres du conseil représentant les collectivités territoriales afin de disposer d'une légitimité démocratique à même de peser effectivement à côté du directeur général de l'agence. Cette solution permettrait en outre de replacer les élus au coeur de la concertation et de l'élaboration de politiques publiques qui les concernent directement.
Au-delà, la mise en oeuvre de la politique sanitaire et médico-sociale doit reposer sur une démocratie sanitaire forte et indépendante. Au niveau territorial, la loi HPST a conforté les instances préexistantes en créant une conférence régionale de la santé et de l'autonomie (CRSA). Si le nombre de membres de la CRSA - entre 91 et 100 selon les régions - peut apparaître pléthorique, il est aussi gage de la diversité de représentation et d'opinion. Ainsi, elle est composée de huit collèges : au minimum 10 représentants des collectivités territoriales, 16 représentants des usagers, 4 représentants des conférences de territoires, 10 représentants des partenaires sociaux, 6 représentants des autres branches de la sécurité sociale et de la mutualité française, 9 représentants des acteurs de la prévention et de l'éducation pour la santé, et 34 représentants des offreurs de soins, auxquels s'ajoutent 2 personnalités qualifiées.
Contrairement au conseil de surveillance, les compétences de la CRSA sont vastes, puisqu'elle peut notamment faire toute proposition au directeur général de l'ARS sur l'élaboration, la mise en oeuvre et l'évaluation de la politique de santé dans la région. En outre, elle peut organiser des débats publics sur les questions de santé de son choix.
Il nous a semblé, à la suite des auditions et des déplacements que nous avons effectués, que les CRSA ont trouvé leur place à côté des ARS pour faire entendre leur voix, même si les situations sont très variables selon les régions. Certes, toutes les CRSA ont été largement « asphyxiées » par le travail lié au projet régional de santé qui constituait un exercice nouveau et gigantesque, au moment même où elles se mettaient en place. Sans qu'il soit aisé de l'évaluer précisément, un certain nombre de leurs avis ou recommandations ont été finalement pris en compte dans le PRS. Ce n'est toutefois pas vrai partout.
Maintenant que nous sommes sortis de cette phase de démarrage, il nous semble indispensable de conforter les CRSA, lieux privilégiés de la démocratie sanitaire.
Pour cela, elles doivent disposer librement de moyens financiers pour organiser elles-mêmes leurs travaux et les débats publics qu'elles sont chargées d'animer. Le président de la CRSA du Nord-Pas-de-Calais nous a par exemple indiqué, lors de son audition, qu'une ARS avait refusé de donner à la CRSA les moyens nécessaires à l'organisation d'un débat public. Il existait peut-être des arguments pertinents du point de vue de l'ARS mais, sur le principe, ce sont les CRSA qui sont chargées d'organiser ces débats et elles doivent le faire en toute indépendance. D'autant que ces débats sont justement des moments essentiels de cette vie démocratique que nous souhaitons tous, à la fois pour diffuser la culture sanitaire et médico-sociale, mais surtout pour entendre les opinions et sentiments de la population.
Les ARS devraient également donner aux CRSA un temps suffisant entre la transmission des documents - souvent volumineux et techniques - sur lesquels elles sont amenées à délibérer et l'adoption de leur avis.
Par ailleurs, nous devons nous interroger sur l'intérêt réel de prévoir obligatoirement dans chaque territoire de santé une conférence de territoire, sorte de CRSA miniature. Aujourd'hui, les textes n'envisagent quasiment aucune articulation entre CRSA et conférences de territoire. En outre, l'existence de multiples instances tend à décourager les bonnes volontés car, il faut le rappeler, la démocratie sanitaire fonctionne sur la base du bénévolat. Si nous voulons que ces différentes conférences regroupent une diversité de profils et apportent réellement une valeur ajoutée à la réflexion, nous devons tenter une certaine rationalisation qui permette de renforcer le poids des avis ainsi adoptés.
Pour autant, une conférence des acteurs concernés est particulièrement pertinente sur le territoire d'un contrat local de santé. Nous pourrions ainsi rendre facultative la réunion des conférences de territoire mais la prévoir en cas de conclusion d'un contrat local de santé, ce qui n'existe pas aujourd'hui.
Si la démocratie sanitaire doit jouer son rôle, il faut également que les élus locaux soient en mesure d'échanger d'égal à égal avec l'ARS. Or les témoignages que nous avons pu recueillir prouvent qu'il n'en est pas toujours ainsi, notamment dans des régions étendues où le siège de l'ARS apparaît bien éloigné des réalités auxquelles font face les élus sur leurs territoires. Les propositions que nous formulons concernant la composition du conseil de surveillance vont dans le sens d'une affirmation de la place des élus dans le fonctionnement et la prise de décision. Mais il convient également de fluidifier les relations quotidiennes, d'améliorer le transfert et le partage d'informations entre collectivités territoriales et ARS. Le rôle des délégations territoriales est à ce titre essentiel. Elles constituent en effet le maillon indispensable à la construction de relations de confiance entre élus et ARS, en particulier dans le secteur médico-social où les compétences des agences et des conseils généraux sont inextricablement liées. En arriver à la situation rencontrée récemment en Rhône-Alpes n'est satisfaisant pour personne. Eviter cette difficulté passe par plus de concertation et de dialogue en amont.
En définitive, on peut estimer que la mise en place des agences régionales de santé s'est réalisée sans rupture dans l'accomplissement des missions qui leur étaient transférées, ce qui n'était pas le moindre des défis. Elles ont toutes adopté leur projet régional de santé, processus qu'il faudra certainement alléger et rendre plus opérationnel pour la population et les acteurs. Malgré les difficultés de fonctionnement, la démocratie sanitaire se met progressivement en place.
Diverses critiques ont été émises à l'encontre des ARS, nous les avons entendues lors de nos auditions. Elles relèvent souvent de la pratique plus que de l'environnement législatif ou réglementaire et découlent notamment de la manière dont les responsabilités sont exercées. Au-delà des « bonnes pratiques », voire du bon sens, nous avons proposé un certain nombre de mesures pour mieux équilibrer les pouvoirs et faciliter la gestion des ressources humaines.
Mais l'une de nos recommandations principales ne peut se traduire dans un texte : il s'agit de la simplification ! Il faut absolument alléger et simplifier les procédures, le fonctionnement, les instructions, etc.... Certes, des tentatives de synthèse et de vulgarisation des projets régionaux de santé ont été menées, mais le PRS lui-même fait souvent autour de... 1 000 pages ! Qui peut utiliser un tel document alors même que son élaboration a mobilisé tant de personnes, au sein comme à l'extérieur de l'ARS ? Il est vrai que le législateur n'est pas exempt de tout reproche en la matière puisqu'il a décidé que le PRS se décomposait en multiples schémas ou programmes...
Cette simplification est indispensable pour accompagner le profond changement de paradigme que les ARS doivent représenter : d'une administration classique qui définit en détail les voies et moyens pour mettre en place une politique publique, nous devons progressivement nous orienter vers une administration plus stratégique qui définit les objectifs de cette politique en laissant aux acteurs locaux le soin de mettre en oeuvre les moyens adaptés. D'une obligation de moyens, nous devons donc passer à une obligation de résultat. Or aujourd'hui, l'administration centrale n'est pas entrée dans cette nouvelle logique de la subsidiarité, c'est-à-dire finalement de la confiance.
Ceci pose la question plus générale du niveau de l'autonomie qui doit être accordée aux ARS. Après des débats nourris, la loi HPST a fait le choix de confier aux agences la définition et la mise en oeuvre d'actions concourant à la réalisation des objectifs de la politique nationale de santé. Il n'est donc pas question de politiques régionales, mais de la mise en oeuvre, au niveau régional, d'une politique nationale. Pour autant, jusqu'à quel point de liberté cette mise en oeuvre peut-elle aller ? La réponse ne peut être que pragmatique et se décliner au cas par cas.
Par exemple en matière financière, il a souvent été souligné que les ARS ne disposaient que de très peu de marges de manoeuvre au regard des enveloppes globales. Depuis, le Fonds d'intervention régional (FIR) a été mis en place et représente un montant d'un peu plus de 3 milliards d'euros en 2013, après 1,3 milliard en 2012, année de sa création. Il regroupe de nombreuses lignes de crédits précédemment indépendantes et cloisonnées : permanence des soins en établissement et ambulatoire, prévention, modernisation des établissements de santé, missions d'intérêt général (MIG) - éducation thérapeutique, centres périnataux, soins palliatifs, addictologie, télé santé, équipes mobiles de gériatrie... -, démocratie sanitaire - 192 000 euros par région en 2013 -, etc.
L'intérêt du FIR réside dans la fongibilité, c'est-à-dire la capacité pour l'ARS de réaffecter des crédits d'une ligne à l'autre dans certaines conditions. Toutefois, il ne faut pas surestimer l'importance de cette fongibilité : elle ne peut s'appliquer que sur une toute petite partie des enveloppes puisque les structures, programmes ou acteurs existants doivent bien continuer de recevoir des crédits. Les ARS ne peuvent pas chaque année faire table rase du passé.
En outre, dans ce débat sur la régionalisation des financements - l'Assemblée nationale a beaucoup travaillé par exemple sur la notion d'Ordam pour décliner l'Ondam dans les régions - soyons bien conscients que la très grande majorité des crédits de l'assurance maladie correspondent à des tarifs, à des prix, à des honoraires fixés nationalement. Donner plus de marges de manoeuvre aux ARS signifie-t-il fixer des tarifs hospitaliers, des prix de médicaments ou des honoraires médicaux différents selon les régions ? Les esprits ne nous semblent pas prêts pour nous engager sur cette voie !
En ce qui concerne le FIR, nous proposons, à la demande des directeurs généraux d'ARS, de stabiliser son champ à court terme pour le mettre en place correctement et évaluer les opportunités qu'il dégage. Sur le plan technique, il nous semblerait moins coûteux et plus efficace de transférer complètement la gestion des crédits aux ARS, alors qu'aujourd'hui beaucoup de dépenses sont encore liquidées et effectivement payées par l'assurance maladie, ce qui complique les circuits de financement. Enfin, contrairement aux procédures classiques de l'Etat et de l'assurance maladie, il est nécessaire de donner une perspective pluriannuelle au FIR : il serait plus aisé pour les agences de financer des expérimentations ou des projets innovants si elles pouvaient s'engager sur plusieurs années auprès de leurs partenaires.
Le dernier point que nous voulons soulever concerne la dichotomie persistante entre l'assurance maladie et l'Etat, vaste question s'il en est ! Les ARS ont largement bénéficié d'une politique développée par la Cnam, à savoir la gestion du risque. Cette notion large recoupe l'ensemble des actions mises en oeuvre pour améliorer l'efficience du système de santé, c'est-à-dire le rapport entre sa qualité et son coût : sur la période 2010-2013, le programme national porte notamment sur l'insuffisance rénale chronique, « l'efficience » dans les Ehpad, la chirurgie ambulatoire, les transports sanitaires, les prescriptions hospitalières exécutées en ville, l'imagerie ou la pertinence des actes et des séjours... Déployée de manière volontariste par la Cnam à compter de la réforme de l'assurance maladie de 2004, cette politique est maintenant partagée avec l'Etat.
Même si on nous a affirmé que la Cnam et l'Etat se coordonnent quasi parfaitement, on peut s'interroger sur la complémentarité ou la concurrence entre les acteurs, voire sur la confusion qui peut apparaître dans les priorités politiques.
Au-delà de cet exemple, se pose de manière plus prégnante la question de la régulation des soins de ville. Une répartition des rôles s'est historiquement imposée en France : l'Etat régule le secteur hospitalier ; l'assurance maladie l'ambulatoire. Les ARS disposent ainsi de très peu d'outils pour organiser le volet soins de ville du système de santé. Or, cette dichotomie n'est plus acceptable au moment où la mise en place de parcours de santé est si importante, non seulement pour des raisons financières mais surtout pour des questions de qualité de la prise en charge et de bien-être des patients.
Les relations entre l'assurance maladie et les professionnels de santé passent principalement par la négociation des conventions qui fixent les tarifs mais organisent aussi d'autres éléments, que ce soit en matière de prévention, de prise en charge de malades chroniques, d'organisation du cabinet, d'objectifs de santé publique, voire de répartition sur le territoire pour les infirmières et les masseurs kinésithérapeutes. Or, nous assistons à un déplacement progressif des enveloppes financières du paiement de l'acte vers des rémunérations plus forfaitaires ou liées à des objectifs de santé publique. On pourrait donc imaginer a minima que l'Uncam continue de négocier les conventions qui fixeraient les tarifs et honoraires, mais qui définiraient en outre une enveloppe globale pour les autres types de rémunérations, enveloppe qui pourrait être gérée en tout ou partie par les ARS selon les besoins de santé propres au territoire. Cette solution, qui ne manquerait pas de compliquer la tâche de négociateur de l'Uncam car elle aurait peu de visibilité sur la répartition de cette enveloppe, entraînerait des différences de rémunérations entre professionnels selon le lieu d'exercice ce qui n'aurait pas nécessairement la faveur des syndicats représentatifs, mais elle serait neutre pour le patient. Elle mérite donc d'être expertisée plus avant dans le cadre de la préparation de la prochaine loi de financement.
Après une phase d'installation certainement précipitée, les ARS ont besoin de stabilité et de temps pour « métaboliser » les innovations qu'elles constituent. Nous ne proposons donc pas un bouleversement mais une amélioration des procédures existantes. Ce sujet nous permet malgré tout d'ouvrir le débat sur deux questions de nature différente :
- la subsidiarité, c'est-à-dire la manière dont un acteur fait confiance à ses partenaires pour réaliser un objectif défini ;
- le lien entre l'Etat et l'assurance maladie. Ce thème, ancien mais qui a été relancé par deux études publiées récemment, l'une de Didier Tabuteau, dans son dernier livre sur la démocratie sanitaire, l'autre du think tank présidé par Gérard Larcher, devra être abordé dans la future loi sur la stratégie nationale de santé. L'assurance maladie doit-elle se cantonner strictement à un rôle de payeur des prestations ? Comment doivent se répartir les compétences de régulation du système, notamment pour l'ambulatoire ?
Nous concluons donc notre présentation par des questions, ce qui n'est pas très conventionnel...
On parle de simplification, mais avec un PRS de mille pages, on en est loin ! D'ailleurs, la partie corrélée à la politique de l'ARS représente une part considérable du courrier d'un responsable de collectivité...
Je voudrais intervenir à propos de la culture du personnel. Les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ont rencontré des difficultés similaires. On demande à des personnels qui n'ont pas la même culture, les mêmes statuts, voire le même objectif professionnel de travailler ensemble. On voit bien les problèmes que cela peut engendrer, ainsi que les répercussions que cela peut avoir sur les usagers, les personnels n'ayant pas été préparés à exercer d'autres métiers que le leur !
Par ailleurs, vous parlez de progrès dans l'articulation entre le sanitaire et le médico-social, notamment grâce aux appels à projets. Depuis la création des ARS, il y en a eu très peu dans mon département ! Les crédits consacrés à la création d'établissements et services médico-sociaux sont encore donnés à la petite semaine. Je trouve qu'il n'y a pas eu d'améliorations dans ce domaine et qu'il s'agit plutôt d'une complication par rapport à ce qui existait.
Troisième remarque : les difficultés d'articulation entre ARS et préfets sur les questions de sécurité sanitaire sont les mêmes que celles rencontrées entre services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) et préfets. Il faut travailler à une meilleure collaboration entre l'administration d'un établissement et les décisions opérationnelles. On arrive en effet à une confusion des genres, qui n'est guère facile et qui peut s'avérer préjudiciable.
Les Cpom posent un problème de fond : l'ARS fixe les objectifs, mais les moyens viennent en fin d'année. On n'a donc pas les moyens de notre politique et il faut améliorer cette situation.
Le fait que les élus aient davantage de poids au conseil de surveillance de l'ARS et que l'un d'entre eux le préside peut constituer une bonne proposition. Cela permettrait de reprendre la main et de mener une politique territoriale !
Le rapport ne me semble toutefois pas avoir réglé un problème qui me semble devoir être travaillé : il s'agit de l'articulation entre sanitaire et médico-social. Le sanitaire se traite en effet sur le plan régional, un CHU étant un élément essentiel. Quant au médico-social, il relève à 90 % de l'échelon départemental. La future loi sur l'autonomie va apporter de nouvelles modifications. Des conférences de financeurs vont être créées pour financer des mesures de prévention, notamment des aides techniques. Voilà un véritable enjeu qui peut permettre de différencier le sanitaire du médico-social.
Il s'agit en tout cas d'un très bon rapport !
Je fais mienne la conclusion de René-Paul Savary à propos du rapport : il est excellent. Il s'agit là d'un sujet compliqué compte tenu du caractère encore récent des ARS. Nous avons bien ressenti que les pratiques étaient très variables. J'insisterai peut-être plus que vous ne l'avez fait - mais c'était délicat - sur l'importance du management.
La qualité des hommes a en effet été primordiale durant la phase d'installation des ARS. Certaines personnes venaient de l'administration, du médico-social, de l'assurance maladie ou du secteur privé. Dans notre région, le directeur général de l'ARS est dorénavant un médecin, que je trouve excellent dans son approche. La qualité du directeur général influe beaucoup sur les relations avec le personnel, sur l'organisation et sur l'application du principe de subsidiarité et de confiance. On n'insistera jamais assez sur ce point.
En second lieu, vous l'avez dit - et nous étions déjà intervenus à ce sujet au moment de l'examen de la loi HPST - le conseil de surveillance, présidé par le préfet, est très mal équilibré. Selon moi, ce n'est pas l'outil qui convient. Vous faites donc bien de le souligner et de faire des propositions que, pour ma part, j'approuve !
Enfin, vous ouvrez un vaste champ de réflexion sur la dichotomie entre l'assurance maladie et l'Etat. Cet aspect des choses sera-t-il véritablement traité dans la future loi sur la stratégie de santé ? On peut le souhaiter ; dans le cas contraire, voilà un beau sujet pour la Mecss dans les prochains mois...
Une question prospective, au-delà du rapport, que je salue également pour sa qualité : pour les Franciliens, quel va être le rôle de l'ARS dans l'hypothèse de la disparition des départements, qui sont au coeur de l'action sociale ? Il n'y aura plus qu'une seule agglomération - la métropole - et plus de départements : comment articule-t-on les politiques sociales et quel va être le rôle de l'ARS en l'absence de structures intermédiaires ?
Je pose la question pour l'avenir proche, la métropole étant prévue pour le 1er janvier 2016 et la disparition des départements franciliens pouvant intervenir à tout moment !
Vous avez beaucoup insisté, monsieur le rapporteur, sur l'importance que revêtent les qualités humaines des directeurs généraux d'ARS, compte tenu de la diversité de leurs profils, ainsi que sur la solitude à laquelle ils sont confrontés. Vous avez d'ailleurs insisté pour que le Comex et le Codir puissent voir leurs prérogatives réaffirmées et approfondies. Ces questions me semblent aussi importantes que celles relatives aux statuts des personnels.
Je voulais évoquer la situation particulière de la région Nord-Pas de Calais, qui a utilisé la possibilité pour les conseils régionaux de participer aux Comex des ARH. Cette expérience a été extrêmement positive, par exemple pour l'aménagement du territoire en matière d'équipement d'imagerie médicale, et pour la prise en compte du développement des pathologies cancéreuses. Cette idée pourrait-elle être reprise ?
L'administration française produit beaucoup de règles et de normes. Nous-mêmes, en tant que législateurs, ne sommes pas exempts de critiques. On voudrait tout maîtriser ; or, on ne le peut pas. A force, on risque de décourager ceux qui sont obligés de faire appliquer les règles, à commencer par le personnel !
Il n'existe pas encore de culture commune, on l'a bien senti lors des tables rondes auxquelles nous avons participé ou lorsque nous avons rencontré les différents responsables, hiérarchiques ou syndicaux. Hormis dans la haute administration, la fusion n'a pas encore eu lieu. Il est vrai qu'il en allait de même dans les MDPH, où l'origine professionnelle conditionnait beaucoup de choses et posait des problèmes de gestion, ne serait-ce qu'en matière d'organisation des congés. La même chose eut lieu à Pôle emploi, où il existait des cultures très différentes. Tout ceci demande de la formation et de l'écoute à l'échelon central et local. Il s'agit d'un travail énorme, très pénalisant en temps, mais dont dépend l'efficacité du nouvel ensemble.
Le problème de l'articulation avec le préfet est en effet le même que celui qu'on rencontre dans les SDIS : les uns décident et les autres paient. Cela peut convenir un temps mais, même dans un couple, ce n'est pas ainsi que les choses se passent en général !
Par ailleurs, la loi HPST a été beaucoup critiquée quant à la place qu'elle avait donnée aux élus, qui se sont sentis écartés...
Ce n'est pas le mot que j'emploierais mais j'y souscris. Or les élus ont une certaine connaissance du terrain !
L'articulation entre le sanitaire et le médico-social va continuer d'évoluer. La loi sur le vieillissement sera le moment d'ajuster les choses. Les travaux doivent être menés de manière concertée avec les services des départements, qui disposent d'une grande expertise en la matière : un plan gérontologique départemental, ce n'est pas rien. On va parfois rechercher les mêmes documents, et ceci irrite les uns et les autres.
Certes, la qualité du management est essentielle, mais un effet système se créée à partir de la personnalité du directeur de l'ARS. La qualité de l'homme emporte donc effectivement l'ambiance, la manière de travailler, de décider. C'est une question de confiance. C'est un problème humain que l'on rencontre de manière générale, mais qui est ici particulièrement sensible. Ce n'est en effet pas anodin de passer d'une culture perpendiculaire à une culture horizontale. Nous l'avons bien ressenti lors de nos rencontres avec les médecins inspecteurs, par exemple. Pour certains, on niait leurs compétences en mettant en cause leur identité professionnelle, alors que le but était de « changer de focale ». À partir du moment où on instaure un parcours de soins, on ne peut plus fonctionner de la même manière. Encore faut-il qu'il y ait de la formation, de l'écoute, etc.
La disparition des départements constituera un aspect des discussions sur la réforme de la décentralisation en Ile-de-France mais je ne peux pas imaginer qu'il n'y ait pas d'échelon de proximité pour gérer les questions sociales...
Félicitations pour ce rapport très complet ! Vous parlez de faciliter l'accès aux données de santé, et vous dites qu'il faut fixer un cadre sécurisé et protecteur. Ceci m'amène à vous poser une question parallèle : avez-vous une évaluation de la situation du dossier médical personnel (DMP) ? Quel est leur nombre, et qu'en est-il en matière de confidentialité ?
Vous le savez, la Cour des comptes a dressé un bilan très sombre sur cette politique qui s'apparente à un fiasco. Le Gouvernement est en train de le revoir entièrement, notamment en resserrant le public qui sera visé dans un premier temps. Beaucoup d'argent a été dépensé à ce sujet, assez largement en vain... Pourtant, un DMP pleinement opérationnel est très important pour préparer cette révolution intellectuelle et culturelle qui consiste à assurer la prise en charge du parcours de soins.
Le problème de la confidentialité se pose déjà dans le codage des actes dans le cadre de la T2A. Dans certains établissements, ce codage est sous-traité à des sociétés privées qui font relativement fi de ce problème. Selon moi, sans confidentialité, on rompt la confiance du patient dans son médecin !
Le DMP remonte à dix ans. On peut se demander comment une idée aussi simple n'arrive pas se concrétiser !
Je voulais, au nom du groupe socialiste, souligner l'opportunité de ce rapport de la Mecss ainsi que la qualité, la perspicacité, la pertinence et la densité des travaux menés par nos deux rapporteurs, qui sont fortement imprégnés, l'un et l'autre, même s'ils n'ont pas la même sensibilité, par les questions de santé.
Votre rapport met fort justement en lumière la question de l'évolution des relations entre l'Etat et l'assurance maladie à travers une interrogation toute simple : qui dirige, dans notre pays, la politique de santé ? Si l'on pose la question de cette façon, il n'y a qu'une seule réponse possible : c'est le ministre de la santé ! Il existe cependant des mécanismes qu'il conviendra de faire évoluer dans les mois ou les années à venir. Peut-être faudra-t-il redessiner les compétences des uns et des autres. Nous mesurons tous, et sur tous les bancs, la difficulté d'aborder ce sujet !
Je rends également hommage aux rapporteurs pour la richesse du dossier qu'ils nous ont présenté. Il y a tant d'argent en jeu que la Cnamts ne peut plus être autonome. C'est donc l'affaire de l'Etat, qui a créé les ARS, mais laissé à la Cnamts les questions relatives à la rémunération des professionnels libéraux.
Des contre-pouvoirs ont été mis en place ; ils ne sont pas tout à fait efficaces et n'ont guère d'influence... Les gouvernements n'y ont peut-être pas intérêt...
Beaucoup de protagonistes tournent autour de ce rempart que constitue l'ARS. Il y a d'abord les médecins, certains de façon très honorable, pour défendre la qualité de leur travail, d'autres pour défendre simplement leurs privilèges. Il y a les syndicats de personnels des structures hospitalières, qui sont à bout et exsangues. Il y a les élus que nous sommes, en particulier lorsqu'ils exercent des compétences dans le secteur médico-social. Sur ce dernier point, il convient malgré tout d'indiquer que nous avons été fort bien associés aux travaux préparatoires du projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement. Il y a enfin les malades, qui n'ont pas assez accès à la parole.
Le travail est immense et nous ne ferons pas l'économie, dans les années à venir, d'une loi pour remanier tout cela !
Au nom de l'ensemble de la commission, je renouvelle nos félicitations à nos deux rapporteurs.
La commission, à l'unanimité, autorise la publication du rapport d'information.
La commission nomme :
Jean-Pierre Godefroy rapporteur sur la proposition de loi n° 1701 (AN - XIVe) tendant au développement, à l'encadrement des stages et à l'amélioration du statut des stagiaires ;
Anne Emery-Dumas rapporteure sur la proposition de loi n° 1686 (AN - XIVe) visant à renforcer la responsabilité des maîtres d'ouvrage et des donneurs d'ordre dans le cadre de la sous-traitance et à lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale ;
Claire-Lise Campion rapporteure sur le projet de loi d'habilitation en matière d'accessibilité (sous réserve de son dépôt).
La commission soumet au Sénat la candidature de Mme Catherine Deroche comme membre titulaire appelé à siéger au sein du conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine.
La réunion est levée à 12 h 15