Commission des affaires sociales

Réunion du 25 juin 2014 : 3ème réunion

Résumé de la réunion

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La réunion

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Au cours d'une deuxième réunion tenue dans l'après-midi, sous la présidence de Mme Annie David, présidente, la commission procède à la présentation du rapport d'information n° 388 (2013-2014) de M. Yannick Vaugrenard, « Comment enrayer le cycle de la pauvreté ? Osons la fraternité ! » fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Suite au débat intervenu en séance le 20 mai dernier, il m'a semblé particulièrement intéressant pour notre commission d'entendre notre collègue Yannick Vaugrenard sur le rapport établi au nom de la délégation à la prospective, qui comporte de nombreuses préconisations concernant directement notre commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Madame la présidente, mes chers collègues, je suis très heureux de me retrouver parmi vous et je vous remercie de m'avoir convié à vous présenter le rapport d'information sur la pauvreté que j'ai élaboré au nom de la délégation à la prospective du Sénat.

C'est moi qui ai proposé à la délégation à la prospective la réalisation d'un rapport d'information consacré à la pauvreté et aux actions à mettre en place pour enrayer le cercle vicieux de la permanence et de l'intensification de ce phénomène dans notre pays.

Tout ce travail, j'y insiste, a été nourri par l'écoute, l'attention, le respect et l'échange, notamment avec les associations, dont je veux saluer le formidable travail ainsi que l'engagement quotidien sur le terrain. J'ai rencontré également des élus, des universitaires et des chercheurs.

Nous nous sommes inspirés du travail des uns et des autres et nous nous sommes efforcés de faire des propositions les plus concrètes, cohérentes et précises possible.

La première partie de mon intervention s'attachera, au travers d'éléments statistiques, à dresser le constat de la juste réalité d'aujourd'hui, pour souligner l'ampleur de la pauvreté dans notre pays, la complexité de ce phénomène et son caractère multidimensionnel.

Deux citations résument bien l'état des lieux actuel. Tout d'abord Julien Lauprêtre, président du Secours populaire français qui décrit « un raz-de-marée de la misère » et celle de Nicolas Duvoux, maître de conférence en sociologie qui explicite cette image en indiquant que « les pauvres sont de plus en plus nombreux et de plus en plus pauvres. »

Le seuil de pauvreté s'établit à 60 % du revenu médian soit 977 euros par mois. 14,3 % de la population soit 8,3 millions de personnes sont actuellement en dessous ou atteignent ce seuil, c'est le niveau le plus élevé depuis 1997 voire depuis 1970. 4,9 millions de personnes sont en situation de grande pauvreté avec moins de 814 euros par mois et 2,2 millions de personnes dans notre pays sont en situation de très grande pauvreté avec moins de 651 euros par mois pour vivre.

Loin de diminuer, la pauvreté est un phénomène aux multiples visages, qui se durcit, s'intensifie, se transforme et s'étend à de nouvelles populations. La pauvreté touche les jeunes, les familles, les chômeurs, les banlieues des grandes villes mais également et de plus en plus, les personnes âgées, les mères isolées avec enfants, les travailleurs et les territoires ruraux.

Il faut se rendre à l'évidence : notre modèle social, malgré la part importante des dépenses sociales dans le produit intérieur brut, ne protège plus contre l'exclusion et nous ne pouvons plus nous résigner à ce « raz-de-marée de la misère », d'autant plus dramatique qu'il est devenu très silencieux.

Plusieurs facteurs sont particulièrement marquants.

Le premier d'entre eux est la banalisation de l'hérédité de la pauvreté et donc de sa transmission de génération en génération. C'est à la fois inadmissible et insupportable.

Si des enfants, trois millions soit un enfant sur cinq et un sur deux en zone urbaine sensible, sont pauvres, c'est parce qu'ils vivent dans des familles pauvres, lesquelles sont de plus en plus souvent monoparentales.

A la tête de ces familles monoparentales, on trouve essentiellement des femmes.

Celles-ci subissent une double précarisation :

- parce qu'elles occupent très souvent des emplois sous-qualifiés, qu'elles subissent des temps partiels contraints, morcelés et peu rémunérés ;

- mais aussi en raison des versements irréguliers, aléatoires, voire totalement inexistants de la pension alimentaire.

Je voudrais insister sur un autre facteur, le coût du logement, qu'a mis en évidence Christophe Robert, délégué général adjoint de la Fondation Abbé Pierre, qui nous a aimablement transmis des graphiques très parlants. On y voit l'évolution du prix de l'immobilier en France, en Espagne, en Italie et en Allemagne depuis 2000. Alors que ces prix sont restés quasiment stables en Allemagne, ils ont augmenté dans les autres pays mais nulle part autant qu'en France qui se situe même depuis 2011 à un niveau supérieur à celui de l'Espagne. Parallèlement, sur la même période, le nombre de bénéficiaires des aides personnelles au logement a décru.

Pauvreté et inégalités sont indissolublement liées.

Les deux dernières décennies ont été marquées par une augmentation à la fois des inégalités de revenus et du nombre de pauvres. Les 10 % les plus riches accaparent 50 % de la fortune nationale tandis que les 50 % les moins fortunés s'en partagent 7 %. Par conséquent, la lutte contre la pauvreté ne peut s'exonérer d'une réflexion sur les inégalités.

D'autant que les inégalités ne sont pas que financières.

A ce stade, je voudrais souligner un point essentiel : la France apparaît comme l'un des pays où l'origine familiale et sociale des élèves pèse le plus lourdement sur leur réussite scolaire. Comme le souligne le sociologue Camille Peugny, aujourd'hui, en France, 7 enfants d'ouvriers sur 10 sont ouvriers et 7 enfants de cadres sur 10 sont cadres.

L'aspect déterminant de l'origine sociale dans la réussite scolaire est ainsi pointée par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), au travers de l'enquête Pisa (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) menée pour la dernière fois en 2012. Ce qui fait dire à l'OCDE : « En France, aujourd'hui, lorsque l'on appartient à un milieu défavorisé, on a clairement moins de chances de réussir qu'en 2003. »

J'en viens aux objectifs que je vise et aux préconisations que je souhaite formuler.

Si rien n'est fait, c'est à une prolongation de la situation actuelle que nous assisterons. Nous ne pouvons plus nous voiler ainsi la face.

Or l'objet même de la démarche prospective, c'est d'ouvrir l'horizon vers des futurs souhaitables. Il faut donc privilégier un scénario de rupture.

Nous sommes confrontés à la difficulté de disposer de données chiffrées.

Nous devons imposer des chiffres crédibles, formels, sur lesquels nous pouvons travailler. Sinon, nous risquons de parler dans le vide. Il y a actuellement deux ans de retard dans la publication des statistiques, c'est trop. Les techniques de microsimulation développées sont à cet égard prometteuses. Elles sont d'ores et déjà appliquées, au niveau de l'Union européenne, dans une dizaine d'Etats membres, dont le Royaume-Uni, l'Irlande, la Suède, l'Autriche, la Belgique. Ce qui est réalisable ailleurs l'est bien évidemment en France. C'est une question de volonté.

Nous devons également mobiliser les leviers fiscaux encore disponibles. Reconnaissons-le, notre système fiscal ne permet pas une redistribution suffisante des richesses.

Enfin, il conviendrait d'intégrer au calcul du PIB le niveau de bien-être, de protection sociale, la qualité du vivre-ensemble ainsi que les progrès réalisés en termes de développement durable.

Ce rapport a une dimension éminemment politique. C'est donc le volontarisme qui domine dans le cadre de ma démarche prospective.

« Europe 2020 » est le nom de la stratégie de croissance de l'Union européenne adoptée le 17 juin 2010. Elle énonce cinq objectifs ambitieux à atteindre d'ici à 2020 en matière d'emploi, d'innovation, d'éducation, d'inclusion sociale et d'énergie, parmi lesquels s'attacher « à ce que 20 millions de personnes au moins cessent d'être confrontées au risque de pauvreté et d'exclusion ». Or, depuis 2010, le nombre de pauvres en Europe, au lieu de se réduire, a augmenté de 7 millions. Il faut remédier à cet échec.

En France, le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale lancé en juillet 2013 prévoit notamment la revalorisation des minima sociaux, l'instauration d'une « garantie jeunes », l'aide aux familles ainsi que l'investissement dans l'hébergement et l'accès au logement.

Il faut instaurer la confiance, parce qu'il ne saurait être question de se résigner à l'irréversibilité de la pauvreté.

Dans une démocratie comme la nôtre, dans une République comme la nôtre, dans un pays des droits de l'homme comme le nôtre, je considère qu'il n'y a pas d'assistés : il faut en finir avec la stigmatisation et automatiser le versement des prestations sociales.

Une comparaison chiffrée pour battre en brèche les idées reçues : la fraude sociale est évaluée à 4 milliards d'euros tandis que la fraude fiscale est évaluée à 60 milliards d'euros.

Sur le non-recours, je voudrais citer deux statistiques particulièrement éclairantes. En matière d'allocations familiales, Philippe Warin, directeur de recherche au CNRS et responsable scientifique de l'Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore), rappelle que « pour 1 euro d'indu ou de trop versé, on a 3 euros de rappel de droits, c'est-à-dire des sommes non versées en temps et en heure ». S'agissant du montant total des non-dépenses consécutives au non-recours, Etienne Pinte, président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE), l'estime à 10 milliards d'euros.

Il faut que nous nous rendions compte que les personnes en situation de pauvreté sont des victimes et des ayants droit. Nous pouvons remédier au moins en partie au non-recours en leur faisant confiance et en passant d'un contrôle a priori des dossiers à un contrôle a posteriori.

Nous devons agir en priorité en faveur des enfants.

Bien que généreuse et redistributive, la politique familiale française, conçue après la Libération, reste fondée sur une structure familiale qui ne correspond plus à la réalité en termes de stabilité des mariages, de monoparentalité des mères. D'où la nécessité, à mes yeux, de verser les allocations familiales dès le premier enfant, quitte à introduire une condition de ressources.

Il faut également mettre en place des dispositifs pour les enfants en situation de grande détresse. Je pense notamment à un numéro spécial « 115 enfants » pour les familles à la rue. On doit favoriser un hébergement durable dans un même lieu pour les familles sans logement, pour favoriser la scolarisation. Enfin il faut réduire à six mois le délai d'examen des demandes d'asile. 66 000 demandes d'asiles ont été enregistrées en 2013, en hausse de 83 % depuis six ans. Or 80 % des demandeurs d'asile sont déboutés. Le projet de réforme en cours table sur une réduction à 9 mois. C'est déjà un progrès important par rapport aux deux années qui sont parfois nécessaires à l'heure actuelle et qui rendent très difficile l'expulsion de personnes qui ont commencé à faire leur vie sur notre territoire.

Une trop large part de la jeunesse vit dans un état d'insécurité sociale généralisée. Il est donc impératif de faire coïncider majorité légale et majorité sociale, ouvrant droit aux aides.

Un militant d'ATD-Quart Monde nous a raconté sa propre expérience d'une prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance. Placé enfant, comme tous ses frères et soeurs, dans une famille d'accueil, balloté de foyer en foyer, il s'est retrouvé à dix-huit ans, à la rue, car, désormais majeur, il était considéré comme capable de se débrouiller tout seul. Alors qu'aucun droit ne lui était ouvert, toutes les portes se sont refermées.

Je préconise également le recours aux bons de formation sur le modèle danois. Ils offrent jusqu'à cinq années de formation rémunérées et peuvent être utilisés de manière continue ou fractionnée. Je veux insister sur un point : il ne s'agit pas du tout de laxisme. Ces bons sont accordés sous des conditions très strictes de suivi effectif d'une formation.

Je pense qu'il est essentiel d'instituer un référent unique pour l'accompagnement des personnes en détresse. Les personnes en situation de pauvreté doivent sans cesse répéter leur parcours, trois fois, cinq fois, dix fois. A tel point que nombreux sont les jeunes qui se retirent complètement des soutiens financiers qu'ils pourraient recevoir et privilégient la « débrouille ». Cette personne référente pourrait donc être : un agent de la CAF, un assistant social du conseil général, un bénévole - pourquoi pas ? -, un conseiller de Pôle emploi, etc. Cet interlocuteur unique serait également le référent de toutes les administrations.

Certes, la décentralisation permet d'agir au plus près des personnes et des situations locales, mais du fait de l'enchevêtrement des compétences et d'un millefeuille de dispositifs devenus illisibles, on constate un accroissement des inégalités de traitement entre les bénéficiaires dans les territoires.

Aujourd'hui on doit passer de l'Etat « infirmier » à l'Etat « investisseur », considérer la protection sociale comme un investissement d'avenir et passer de la réparation a posteriori à la prévention a priori.

C'est à l'Etat qu'il appartient de veiller à l'égalité de traitement partout sur le territoire. Parallèlement, il est nécessaire de mieux mobiliser pour aller au plus près des populations concernées et pour adapter les dispositifs aux besoins réels.

Il convient également de généraliser le principe de participation des personnes pauvres aux politiques qui leur sont destinées. Comme le disait Nelson Mandela : « Tout ce qui est fait pour moi, sans moi, est fait contre moi. »

Les « experts du vécu » mis en place en Belgique sont des professionnels de l'inclusion sociale. Leur mission première est d'être des « passeurs de savoirs » entre les personnes démunies, celles qui prennent des mesures et celles qui les exécutent. Ayant fait eux-mêmes l'expérience de la pauvreté dans leur parcours de vie, ces experts d'un genre nouveau sont formés et intégrés au sein de différents services en vue d'y impulser des changements « de l'intérieur ».

Je me félicite qu'un huitième collège du conseil national de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE), comprenant les personnes en situation d'exclusion, soit aujourd'hui pérennisé.

Je souhaite que nous nous inspirions de la Banque carrefour de la sécurité sociale en Belgique. C'est une banque de données dématérialisées, qui permet de fluidifier et d'accélérer l'échange de données à caractère personnel entre les institutions de sécurité sociale, lesquelles, de ce fait, n'ont plus à demander plusieurs fois à la même personne toujours les mêmes renseignements.

Le service rendu s'en trouve considérablement amélioré, tandis que la protection de la vie privée reste totalement garantie par les procédures d'accès aux informations. Il aura fallu dix ans à nos voisins belges pour finaliser cet ambitieux projet. Qu'attendons-nous pour nous en inspirer ? Il va de soi qu'il appartiendra à la Commission nationale de l'informatique et des libertés de contrôler l'intégrité d'un tel système et le respect de la confidentialité.

Il est également nécessaire de simplifier les formulaires et le langage administratifs.

Enfin, face au maquis des minima sociaux une mesure de simplification pourrait être la fusion du RSA et de la prime pour l'emploi.

Il faut laisser les acteurs de terrain innover contre la pauvreté.

Une précision : une expérimentation est actuellement en cours, en Loire-Atlantique et en Seine-et-Marne, sur la mise en place d'un dossier unique destiné à simplifier les démarches administratives des personnes en difficultés.

Cependant, permettez-moi d'avoir des doutes sur la réelle portée simplificatrice de ce dispositif, qui me paraît encore bien trop compliqué.

L'expérimentation n'est rien sans l'évaluation Il s'agit là de briser un tabou. Mais l'intérêt de s'assigner des objectifs n'a de valeur que s'il est possible de vérifier, à intervalles réguliers, les tendances qui permettent de les atteindre et d'analyser les raisons des écarts constatés.

Il va de soi que l'évaluation des professionnels, mais aussi des bénévoles, doit se mettre en place avec toute la finesse et la diplomatie qu'il convient.

J'en arrive à ma conclusion.

Nous ne pouvons plus nous mettre la tête dans le sable et nous habituer au scandale de la pauvreté.

Lors de notre rencontre avec des membres d'ATD-Quart Monde, l'un des intervenants, pourtant en situation de grande pauvreté, n'a pas un instant évoqué ses problèmes financiers, mais a insisté sur les notions de respect, de regard, de dignité.

C'est pour cette raison que je soutiens le projet de pénaliser la discrimination pour précarité sociale.

Faisons nôtre cette belle phrase de Victor Hugo : « L'homme est fait non pas pour traîner des chaînes mais pour ouvrir des ailes. »

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Merci pour votre présentation qui me rappelle sur certains points nos débats de ce matin sur la protection de l'enfance. Certaines de vos propositions rejoignent celles formulées par Muguette Dini et Michelle Meunier. S'agissant de la meilleure connaissance statistique des phénomènes de pauvreté, de la mise en réseau des informations et des contrôles que pourrait vouloir exercer la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), les préoccupations sont également proches.

Comme vous le soulignez, il est scandaleux de s'habituer au scandale que constitue la pauvreté. Une vidéo diffusée récemment sur internet montre un jeune homme simulant un malaise dans la rue : lorsqu'il est habillé en sans domicile fixe, il reste par terre dans l'indifférence générale ; lorsqu'il est habillé en costume, les gens courent le secourir. Nous devons en effet changer notre regard.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Merci d'être venu présenter ce rapport devant notre commission. S'il est difficile de faire un raccourci avec le thème de la protection de l'enfance, qui ne concerne pas que les familles pauvres, des parallèles peuvent malgré tout être établis. Lors du débat qui s'est tenu en séance plénière sur votre rapport, j'ai insisté sur les familles monoparentales, sujet qui concerne plus particulièrement les femmes. Ces dernières font face à des discriminations particulières et les statistiques dont vous préconisez la publication devraient prendre en compte cet élément. Les inégalités se retrouvent dans les territoires : une femme a deux fois plus de risques d'être touchée par le chômage lorsqu'elle vit en zone urbaine sensible (ZUS) que lorsqu'elle vit dans un autre quartier.

Votre rapport tord le cou à un certain nombre d'idées reçues. On parle beaucoup des fraudes mais trop peu du non-recours aux droits. Il s'agit pourtant d'une réalité qui commence à être prise en compte par les collectivités.

S'agissant des jeunes se pose en effet la question des ruptures de prise en charge lorsque prennent fin les dispositifs d'accompagnement pour jeunes majeurs. De telles situations conduisent directement à la précarité.

Mais si certains constats sont accablants, votre rapport conserve une vision optimiste, humaine et digne de ces personnes en situation de pauvreté. Comment envisagez-vous les suites qui pourraient lui être données ?

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Watrin

Ayant longtemps été adjoint au maire, chargé de la solidarité, d'une commune comptant 28 % de demandeurs d'emplois, je connais bien le sujet de la pauvreté. Celle-ci touche d'ailleurs de plus en plus des personnes qui ont un emploi, en particulier des jeunes. Ces derniers, dont les parcours professionnels sont souvent hachés, ne sont pas toujours éligibles aux dispositifs d'aide et finissent par renoncer à faire valoir leurs droits.

Les plus âgés sont quant à eux confrontés à un certain nombre de reculs des politiques sociales qui conduisent notamment à la diminution du taux de remplacement lorsqu'ils partent à la retraite. La suppression de l'allocation équivalent retraite (AER) pose elle aussi des questions de fond dans la mesure où elle plonge dans la pauvreté des personnes qui ont pourtant travaillé toute leur vie. Beaucoup, confrontées à des restes à vivre qui diminuent, sont prises dans une spirale du déclassement.

Dans une société où les plus fortunés voient leur niveau de vie s'améliorer toujours davantage tandis que celui des plus pauvres diminue, la question de l'impôt sur la fortune (ISF) doit également être posée de façon à dégager de nouvelles marges de manoeuvre pour la mise en place de politiques sociales qui puissent répondre aux besoins que vous avez identifiés.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Génisson

Merci beaucoup pour ce rapport qui interpelle sur bien des points. Je pense en particulier aux allocations familiales. Sans remettre en cause la qualité de l'engagement des Caf, qui font face à des charges de travail lourdes, on ne peut que s'inquiéter du fait qu'à un euro d'indus correspondent trois euros de rappels de droits. La perte d'une aide peut rapidement conduire certaines familles dans une spirale de l'endettement. L'idée du correspondant unique est fondamentale, non seulement pour aider les personnes à se retrouver dans le maquis des prestations sociales, mais également pour leur permettre tout simplement d'avoir un interlocuteur à qui se confier.

Vous proposez de verser les allocations familiales dès la naissance du premier enfant. Il s'agit en effet d'une mesure à envisager, même si le contexte de nos finances publiques est particulièrement contraint. Pour ma part, je ne verrais pas d'inconvénient à ce que le montant de celles-ci soit dégressif en fonction des revenus.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Votre rapport nous interpelle à double titre : dans nos consciences individuelles mais également en tant qu'acteurs politiques.

Nos dépenses sociales représentent un tiers de notre PIB. En Allemagne, cette part ne s'élève qu'à un peu plus d'un quart. Comment expliquer qu'un tel écart ne conduise pas à des performances bien meilleures que dans les autres pays ?

De la même façon, les dispositifs d'aide, notamment ceux proposés par les conseils généraux, sont très nombreux et variés. Comment expliquer qu'ils ne puissent apporter de corrections suffisantes ?

Je suis frappé par le nombre de personnes que nous voyons dans la rue, en particulier à Paris. Il s'agit souvent de jeunes mères de familles avec leurs enfants. Quel regard a-t-on sur cette situation ?

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Ce phénomène existe à Paris mais également dans nos territoires. J'ai récemment été frappée par le nombre de jeunes SDF à Grenoble.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

On croise en effet de plus en plus d'enfants, le plus souvent avec une femme seule. La présence de réseaux n'est pas le seul facteur explicatif mais elle est réelle. Lors d'une maraude à laquelle j'ai participé avec lui, l'ancien président du Samu social, Eric Molinié, m'a expliqué que si nous n'agissions pas, les trottoirs de Paris ressembleraient à ceux de Manille d'ici quelques années. C'est pour cette raison que j'insiste sur la nécessité de mettre en place un « 115 enfants ». Le 115 effectue un travail remarquable mais il est aujourd'hui surchargé.

Certains dispositifs d'aide doivent être repensés globalement. Cela implique en parallèle de revoir la formation des travailleurs sociaux. Le poids du secret professionnel empêche parfois la mise en relation entre les structures d'aide, ce qui freine l'accompagnement. Il serait préférable de parler de « discrétion professionnelle ».

S'agissant des comparaisons avec l'Allemagne, n'oublions pas que le prix des logements n'a pas du tout suivi la même évolution dans ces deux pays au cours des dix dernières années. Comme je vous l'ai indiqué, en France, ceux-ci ont quasiment doublé alors que, dans le même temps, le niveau des aides diminuait.

S'agissant du versement des prestations, il faut faire davantage confiance. Prévoir des contrôles a posteriori et non plus a priori serait bénéfique, non seulement pour les bénéficiaires des aides, mais également pour les deniers publics car les contrôles seraient simplifiés. La mise en place d'un correspondant unique serait, elle aussi, source d'économies. Cela suppose de clarifier le rôle de chacune des structures amenée à intervenir auprès des personnes en situation de pauvreté.

En ce qui concerne les allocations familiales, je trouve en effet injuste qu'un couple aisé ayant deux enfants touche les allocations familiales quand une femme seule avec un enfant n'y a pas droit. Il faut remettre les choses à plat en tenant compte des évolutions sociétales intervenues depuis 1945, par exemple de la part plus importante des divorces et séparations et de leurs conséquences financières.

Le phénomène des travailleurs pauvres s'est développé depuis vingt à trente ans. S'y ajoutent aujourd'hui des retraités pauvres. Ces phénomènes doivent conduire à se poser la question centrale de la juste répartition de la richesse nationale. Entre 2008 et 2011, les 10 % les plus pauvres ont vu leur pouvoir d'achat diminuer de 3,4 % tandis que celui des 5 % les plus riches augmentait de 3,5 %. En pleine crise économique dans les années 1930, le président Roosevelt avait mis en place une tranche d'imposition à 95 %. En 1985, en France, il existait une tranche d'imposition à 85 %. Ces exemples historiques montrent que, au-delà de la taxation du capital, il faut également se poser la question de la création de tranches d'impositions supplémentaires pour les revenus les plus élevés.

Quelles seront les suites données à mon rapport ? Je souhaite tout d'abord le présenter à un maximum d'interlocuteurs. Je me suis par exemple rendu devant le CNLE ainsi qu'auprès de Ségolène Neuville, secrétaire d'Etat en charge de la lutte contre les exclusions. J'ai également alerté notre président afin que le Sénat participe à la journée mondiale de la misère qui se tiendra le 17 octobre prochain. Toutes ces actions visent à permettre une prise de conscience réelle chez les élus. Les sujets traités dans le rapport concernent toutes les commissions du Sénat. Il faudra qu'elles se les approprient et que, année après année, nous nous assurions que les enjeux soulevés sont bien pris en compte.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Tout ne relève pas du domaine de la loi. Sans doute faudra-t-il lancer un travail de généralisation des bonnes pratiques qui ont pu être repérées sur les territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Patricia Schillinger

Il faut prendre en compte les différences de niveaux de vie entre territoires à travers une grille nationale. J'aimerais qu'on m'explique une fois pour toutes ce qui définit un logement social ! Leurs prix sont parfois démesurés et les aides trop peu adaptées aux situations individuelles. En outre, il est trop souvent difficile de trouver les bons interlocuteurs, ce qui fait perdre beaucoup de temps.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Printz

Utiliser le levier fiscal est une chose. Mais il faut être sûr que les recettes supplémentaires sont redistribuées aux personnes qui en ont le plus besoin.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Pour votre information, une journée est organisée au Sénat, le jeudi 3 juillet, avec la fondation Abbé Pierre, pour permettre à une centaine de personnes en difficulté d'exprimer leurs préoccupations et d'être écoutées. Voilà un exemple d'actions qui permettent de changer le regard de la société et encouragent les institutions à s'impliquer vraiment dans la lutte contre la pauvreté.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Je souhaite souligner l'excellent travail réalisé par Aline Archimbaud sur l'accès aux droits en matière de santé.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Nous vous remercions à nouveau pour vos travaux.

La réunion est levée à 16 h 05.

La réunion est ouverte à 17 h 35.