Au cours d'une première réunion tenue le matin, la commission procède à l'examen du rapport de Mme Michèle André, rapporteure, sur le projet de loi n° 706 (2013-2014) autorisant l'approbation de l'accord entre la France et les États-Unis d'Amérique en vue d'améliorer le respect des obligations fiscales à l'échelle internationale et de mettre en oeuvre la loi relative au respect des obligations fiscales concernant les comptes étrangers (dite « loi FATCA »)
Le projet de loi autorise la ratification de l'accord signé le 14 novembre 2013 entre la France et les États-Unis en vue d'appliquer la loi « FATCA » (Foreign Account Tax Compliance Act), auquel notre commission avait consacré des auditions le 3 juillet 2013 et le 12 février 2014. Nicole Bricq, rapporteure générale, en avait perçu les principaux enjeux dès l'année 2011, alors que la mode était aux accords « Rubik ». Désormais, les choses deviennent concrètes, et trouvent une traduction directe sur les relevés de compte adressés par les banques françaises à leur clientèle.
La loi FATCA, adopté en 2010, fait obligation aux banques et établissements financiers du monde entier de transmettre aux États-Unis les informations dont ils disposent sur les contribuables américains, sous peine d'une retenue à la source dissuasive de 30 % des flux concernés. Il a déclenché des progrès considérables dans la lutte contre l'évasion fiscale internationale. Dans le sillage de l'initiative américaine, l'Union européenne et l'OCDE se sont lancées dans l'élaboration de standards d'échange automatique d'informations, bien plus efficaces que l'actuel échange à la demande, ou plutôt « à la carte », tant il dépend de la bonne volonté des partenaires... Avec l'échange automatique, il ne sera plus possible de s'abriter derrière une demande mal formulée ou un quelconque vice de procédure pour ne pas révéler l'identité des contribuables indélicats. L'échange automatique d'informations, autre nom de la transparence fiscale, n'aurait jamais vu le jour sans la loi FATCA.
Comme l'a reconnu Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique fiscale de l'OCDE, le standard de l'OCDE, qui sera présenté au G20 à l'automne prochain, s'inspire directement de FATCA. Il en va de même pour la révision en cours de la directive européenne sur la coopération administrative de 2011. La directive « Épargne » de 2003 a quant à elle fait l'objet d'un accord sur sa révision le 24 mars dernier, à la suite de la levée du veto du Luxembourg et de l'Autriche - eux aussi poussés par l'« aiguillon » de la loi FATCA.
Certes, la méthode employée par les États-Unis est un peu cavalière. Tel que voté en 2010, FATCA était un dispositif unilatéral et extraterritorial, ne laissant aucun choix aux autres pays et à leurs établissements financiers : aucune grande banque, en effet, n'est prête à prendre le risque de perdre l'accès au marché américain, le plus grand du monde.
Mais l'objet de l'accord est très précisément de transformer ce dispositif unilatéral en un accord bilatéral, négocié entre Etats souverains, réciproque et assorti de multiples garanties. Grâce à l'action de la France et de ses principaux partenaires européens du « G5 », la loi FATCA a véritablement changé de nature.
L'accord signé par la France instaure une mise en oeuvre centralisée de FATCA : les données transiteront par la direction générale des finances publiques (DGFiP) au lieu d'être transmises directement par les banques. Cela diminue considérablement les surcoûts financiers, les complications techniques et les incertitudes juridiques qu'impliquait le dispositif d'origine. De plus, les entités et produits soumis à l'échange automatique reçoivent une définition compatible avec le droit français.
Grâce à la « clause de la nation la plus favorisée », la France et ses banques bénéficieront de toute stipulation plus favorable que les États-Unis accorderaient à un autre pays. De plus, nous pourrons toujours invoquer les dispositions du code fiscal américain si celles-ci sont plus favorables. Ainsi, l'accord FATCA sera susceptible d'évoluer dans un sens plus favorable, mais jamais dans un sens moins favorable.
Une incertitude demeure toutefois : la question de la réciprocité de l'accord, et donc de sa compatibilité avec le standard international qui est, lui, parfaitement réciproque. En effet, les élus républicains du Congrès bloquent la transmission du solde des comptes bancaires dans le cadre du dispositif, même si toutes les autres informations (identité du contribuable, revenus versés, banque concernée etc.) pourront être fournies par les États-Unis.
Ne surestimons pas les conséquences de ce blocage. La France pourra toujours solliciter les informations manquantes par l'échange à la demande. Mais la réciprocité est aussi une question de principe : alors que l'Union européenne et l'OCDE mettent chaque pays sur un pied d'égalité, il ne serait pas acceptable que les États-Unis puissent déroger à cette règle. L'article 6 engage explicitement les États-Unis à mettre en oeuvre une réciprocité complète dès que leur droit interne les y autorisera. Le ministre nous rendra certainement compte, en séance, des avancées en la matière - et nous en reparlerons si nécessaire à l'occasion du prochain projet de loi de finances.
Pour sa part, la France doit continuer à soutenir l'adoption d'un standard mondial unique, réciproque et harmonisé, seule réponse viable, à long terme, à la menace que l'évasion fiscale fait peser sur notre souveraineté.
Le chemin parcouru, cependant, est considérable : nous partions d'un dispositif imposé, nous avons un accord négocié, largement réciproque et assorti de multiples garanties. Comme toute négociation internationale, il s'agit d'un rapport de force : quand on se bat, il est possible de faire changer les choses. L'année dernière, par exemple, le commissaire Michel Barnier a obtenu, après d'âpres négociations, que les réglementations américaines - au départ extraterritoriales et unilatérales - et les réglementations européennes en matière de produits dérivés soient considérées comme strictement équivalentes. Surtout, il faut reconnaître à l'initiative américaine le mérite d'avoir provoqué un sursaut international en faveur de l'échange automatique. La loi FATCA n'est pas pour rien dans le changement d'attitude des banques suisses, qui encouragent leurs clients à régulariser leur situation, avec un succès qu'attestent les excellents résultats du « service de traitement des déclarations rectificatives » (STDR) mis en place en juin 2013.
Je vous recommande, pour toutes ces raisons, d'adopter sans modification le projet de loi de ratification.
Votre présentation montre le rôle d'aiguillon du FATCA. Je me réjouis des avancées sur le traitement des dossiers, l'allègement des procédures, le rapprochement des définitions. Reste la question de la réciprocité, sujet que nous avions abordé lors de notre séminaire de juin dernier à Orléans. Des évolutions sont possibles. Comme Michèle André, je me prononce en faveur de la ratification de l'accord.
Pascal Saint-Amans nous avait présenté ce premier vrai mécanisme de lutte contre l'évasion fiscale, grâce auquel les banques suisses ont changé d'attitude. Si l'on ne peut que le soutenir, il ne prendra toute sa signification que le jour où nous disposerons d'un système fiscal similaire pour les expatriés français. Un expatrié américain doit, en effet, déclarer au fisc américain l'ensemble de ses revenus, quel que soit le pays où il les a perçus, l'impôt dû au fisc américain étant égal la différence entre l'impôt qu'il devrait payer s'il avait perçu ses revenus aux États-Unis et le montant des impositions acquittées dans les autres pays. Nous devons lancer une réforme fiscale pour être aussi efficaces. Avoir les informations, c'est bien, mais ce n'est rien sans réforme fiscale. Or Bercy n'y est pas très favorable. Des 30 milliards d'euros escomptés d'un changement de réglementation fiscale, il n'y a que 15 milliards d'euros inscrits dans la loi de finances rectificative : une partie de l'écart tient à l'évasion fiscale. Les Américains sont très attachés à leur nationalité. Ils préfèrent respecter la loi plutôt que de courir le risque de la perdre. Leur système repose là-dessus. Avons-nous le même attachement ?
Le débat est récurrent. En France la fiscalité est territoriale, perçue à l'endroit où sont produits les revenus. Passer au système américain impliquerait de renégocier les conventions fiscales que nous avons signées avec près de 150 pays. Les Etats-Unis s'appuient sur leur puissance.
Notre inquiétude concerne le déséquilibre entre les parties à l'accord. Les Etats-Unis nous forcent la main. Nous signons. Puis il suffit que d'obscurs élus au Congrès se prononcent contre la transmission des soldes bancaires pour bloquer la réciprocité. Nous devons être vigilants. Ce texte constitue néanmoins un progrès. Il facilitera l'harmonisation au niveau européen de la lutte contre l'évasion fiscale.
Quel est le périmètre des produits d'épargne qui doivent être déclarés ? Les contrats d'assurances-vie en font-ils partie ? En outre, envisage-t-on d'aller plus loin, en mettant en place un « FATCA européen » ? L'exposé des motifs de la loi FATCA votée en 2010 est clair : il s'agit de soutenir la création des emplois aux Etats-Unis.
La présentation de notre rapporteure montre des avancées sur des points que nous avions identifiés comme importants. Toutefois, nous devrons réfléchir à l'évolution de nos conventions fiscales. Il faut surtout traiter ce problème au niveau européen. Les Pays-Bas ont par exemple des régimes fiscaux remarquablement accueillants. Nous voterons ce texte mais serons vigilants aux autres questions qui se posent. Les conclusions de notre commission d'enquête sur l'évasion fiscale restent d'actualité.
Comme je suis viscéralement attaché à la réciprocité, je ne voterai pas cette loi de ratification. Malgré des objectifs louables, la loi FATCA s'inscrit dans le cadre plus large de l'expansion du droit américain à l'ensemble du monde financier. Qu'il s'agisse de la régulation bancaire, de l'édiction de mesures contraignantes à l'égard d'une banque européenne pour l'autoriser à continuer à développer ses activités aux Etats-Unis, ou encore de l'encadrement des mouvements financiers en dollars compensables aux États-Unis, l'approche américaine s'appuie sur la puissance. Ceux qui n'en disposent pas restent toutefois encore libres de ne pas se lier les mains juridiquement.
Dans ce cas, c'est la version 2010 de FATCA qui s'appliquerait, et le couperet serait une retenue à la source de 30 % des flux concernés. Je n'envisage pas que la France ne ratifie pas.
Je connais vos doutes. Mais nous avons tout à gagner. L'accord est quasiment réciproque. À l'exception du solde des comptes, toutes les informations sont couvertes : l'identité des contribuables, les revenus, le nom de la banque, etc.
Les deux élus républicains qui font obstacle sont connus : Rand Paul, sénateur du Kentucky, et Bill Posey, représentant de l'État de Floride. Nous pouvons toutefois obtenir communication des soldes par l'échange à la demande. L'expérience montre que la coopération avec les États-Unis se passe très bien.
On y est presque. Surtout, plutôt que de regretter la méthode, il faut se réjouir du fond, car il n'y a pas de blocage.
Pour répondre à Richard Yung, le périmètre vise les personnes physiques comme les sociétés, les assurances-vie comme les comptes bancaires.
Pour répondre à Marie-France Beaufils, un « FATCA européen » est en préparation, à l'initiative du G5. Il serait impensable que les pays européens n'aient pas accès, comme les Américains, aux informations de la Suisse - comme au rugby, il faut saisir les ouvertures pour avancer. La directive « Épargne » de 2003 a fait l'objet d'un accord de révision le 24 mars dernier. La directive sur la coopération administrative de 2011 est en cours de révision. Par ailleurs, l'Union européenne négocie avec cinq États tiers : la Suisse, le Liechtenstein, Andorre, Monaco et Saint-Marin.
En réponse à Francis Delattre, il faut rappeler que les systèmes fiscaux fondés sur la territorialité (imposition sur les revenus perçus sur un territoire) et sur la nationalité (imposition sur les revenus mondiaux après déduction de ceux perçus sur d'autres territoires) reviennent in fine à peu près au même. L'enjeu de l'échange automatique est plutôt la transparence de l'information : il s'agit de savoir où l'argent est déposé - ou caché -, et non où il est gagné. Enfin, si nous tenons notre feuille de route et si l'Europe est unie, les États-Unis finiront bien par céder sur la réciprocité.
Si la réciprocité n'existait pas, nous partagerions l'analyse de Philippe Marini. Comme vous, nous constatons qu'une crise américaine née avec la faillite de Lehman Brothers a eu ses effets les plus désastreux en Europe. Le G20 s'est efforcé de réguler. Selon l'OCDE, organisme sérieux, soixante pays sont déjà d'accord sur l'échange d'informations : nous avançons. Nous avons besoin de l'échange d'informations, nous sommes un pays avec des acteurs importants, notamment les entreprises du CAC 40. En outre, les États-Unis sont véritablement sévères à l'égard de leurs banques, ce qui tranche avec notre attitude à l'égard du Crédit Lyonnais par exemple. Le G20 a travaillé ; l'OCDE est son bras séculier. Même des Gaulois incontrôlables peuvent avoir des analyses nuancées ; il n'y a pas d'autre solution que mondiale...
J'hésitais entre voter contre le texte et m'abstenir. Vous m'avez convaincu : je me réfugie dans l'abstention.
Les Américains sanctionnent aussi sévèrement des banques américaines impliquées dans les subprimes. Citigroup, très durement frappée, s'acquittera d'une amende certes inférieure à celle qui a été infligée à BNP Paribas mais qui se chiffre en milliards de dollars. Nous avons bien vu combien les Américains se préoccupent de l'évasion fiscale, qui est bien plus importante chez eux que chez nous. Ils souhaitent y mettre un terme et leurs juges ne sont pas tendres...
Le document que je vous ai distribué indique simplement que les clients de BNP Paribas sont informés, sur leur relevé de compte, de l'entrée en vigueur de la loi FATCA.
Le document indique la date 1er juillet 2014, alors que l'accord n'a pas encore été ratifié.
La date du 1er juillet 2014 est la date du début de la collecte des données. Celles-ci seront transmises aux États-Unis à partir de 2015, une fois l'accord ratifié.
La commission adopte le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d'Amérique en vue d'améliorer le respect des obligations fiscales à l'échelle internationale et de mettre en oeuvre la loi relative au respect des obligations fiscales concernant les comptes étrangers (dite « loi FATCA »).
Notre déplacement aux États-Unis, l'année dernière, nous a permis de comprendre beaucoup de choses. En fin de compte, nous devrions effectuer chaque année une mission à Washington, où tout se décide...
- Présidence de Mme Marie-France Beaufils, vice-présidente -
La commission entend une communication de Mme Michèle André, rapporteure spéciale, sur l'avenir des préfectures
Rapporteure spéciale de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » (AGTE) depuis 2008, je vous ai rendu compte chaque année de son évolution. Mes conclusions sont le fruit du contrôle budgétaire que j'ai mené durant ces dernières semaines autant que de six ans de contrôle et de suivi.
Les préfectures et les sous-préfectures ont connu ces dernières années, une véritable révolution, silencieuse mais tangible, et qui n'est pas achevée. Elles ont fait de considérables efforts d'adaptation et ont rencontré de réelles difficultés. En quelques années, leur environnement administratif a été bouleversé. Depuis le 1er janvier 2010, la réorganisation de l'administration territoriale de l'État (RéATE) a régionalisé la plupart des services déconcentrés de l'État, désormais regroupés en huit, et non plus vingt, grandes entités régionales : les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF), de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL)...
des affaires culturelles (DRAC), de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS), des finances publiques (DRFiP), les services du rectorat et les agences régionales de santé (ARS).
Des directions départementales interministérielles (les DDI) sont apparues. Les directions départementales des territoires (DDT) regroupent les anciennes directions départementales de l'agriculture et de la forêt (DDAF) et de l'équipement (DDE). Les directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) reprennent les compétences des anciennes directions départementales de la jeunesse et des sports (DDJS), des affaires sanitaires et sociales (DDASS) en matière d'affaires sociales, des unités départementales de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (UDCCRF) et des services vétérinaires. Dans les départements les plus peuplés, une direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) et une direction départementale de la protection des populations (DDPP) se substituent à la DDCSPP.
Les préfets, surtout de région, ont dû s'adapter à cette nouvelle architecture. Leurs prérogatives budgétaires se sont étendues : le préfet de région identifie avec les directeurs régionaux les besoins des territoires et coordonne au niveau des budgets opérationnels de programme (les BOP) la ventilation des crédits entre les départements. Il apprécie les besoins en personnel dans les départements et arbitre les suppressions, les créations ou les redéploiements d'effectifs. Il lui revient d'optimiser l'allocation des moyens. Pour cela, il s'appuie de plus en plus sur un acteur relativement récent : le secrétaire général aux affaires régionales. Bien connu en région, et malheureusement moins en département, le SGAR coordonne l'action des services régionaux de l'État, s'assure de leur articulation avec les services départementaux, et met en oeuvre certaines politiques européennes. Les équipes de chargés de mission auprès des SGAR se sont rapidement étoffées. Veillons à ce qu'ils ne doublonnent pas les secrétaires généraux des préfectures départementales.
Les préfectures ont connu des évolutions technologiques majeures : passeport biométrique, nouveau système d'immatriculation des véhicules (SIV) et, depuis septembre 2013, nouveau permis de conduire (FAETON). Des difficultés d'organisation et des dysfonctionnements informatiques ont dû être surmontés. Ainsi, la mise en place du passeport biométrique a occasionné des files d'attente en mairie à l'été 2009. Saluons le sens du service public, l'engagement et la résistance des personnels des préfectures qui ont traversé des moments difficiles, aux guichets, face à des usagers parfois impatients. Sans leur abnégation, la modernisation des préfectures aurait pu tourner à l'échec.
Pari hasardeux, au lieu d'évaluer d'abord les gains de productivité qu'apporteraient les nouvelles technologies, les effectifs, ont été considérablement diminués dès 2008, d'où des tensions extrêmement fortes dans les préfectures. Voilà bien les effets pervers de la révision générale des politiques publiques (RGPP), dont le seul effet sensible aura été la réduction des emplois. Ainsi, la préfecture du Rhône a supprimé 50 emplois temps plein sur un total de 2 090 en 2014, en créant en contrepartie 54 de vacataires et de contractuels. Des emplois précaires prennent ainsi en charge des activités de guichet, alors que les personnels vacataires n'ont ni la formation professionnelle, ni l'expérience ou le sens du service public du personnel qu'ils remplacent.
Certaines réformes aideraient sans doute les préfets. La loi organique relative aux lois de finances (LOLF), qui a atteint ses limites, doit être améliorée. Pourquoi, pour certains travaux immobiliers, le préfet de la région Aquitaine doit-il faire avec trois ou quatre BOP et comptes d'affectation spéciale (CAS) ? Pourquoi ne pas créer un BOP commun « Support immobilier régional » ? La gestion des agents en préfecture et dans les DDI est un casse-tête en raison des différences de statut. Les commissions administratives paritaires (CAP) sont organisées par l'administration centrale à des dates différentes selon les ministères et les catégories. Déconcentrons la gestion des CAP pour les agents de catégorie B et C.
Quel est l'avenir des sous-préfectures ? Mieux aurait valu leur laisser l'activité de délivrance de titres plutôt que de confier les passeports aux mairies, sur la base d'un volontariat sujet à caution.
Comme tel n'a pas été le choix retenu, la question de la pérennité de certaines sous-préfectures doit être abordée dans la concertation et en tenant compte des spécificités des territoires, notamment ruraux ou de montagne. La fusion de plusieurs arrondissements et le regroupement des services de l'État dans le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle ont été annoncés le 4 juillet. D'ici 2016, le nombre d'arrondissements dans le Bas-Rhin passera ainsi de treize à huit. La sous-préfecture de Wissembourg sera absorbée par celle de Haguenau. Les anciens chefs-lieux d'arrondissement accueilleront des permanences de service public et les bâtiments des sous-préfectures supprimées pourront accueillir des centres d'action sociale (CAS) ou des structures de formation. Les agents des sous-préfectures qui disparaissent seront redéployés, pour une économie, modeste, de 50 000 à 65 000 euros par an et par sous-préfecture. Les salaires des sous-préfets économisés seront reversés au budget général de l'État.
Que voulons-nous faire de nos préfectures, quelles missions doivent incomber aux préfets ? Un effort de redéfinition des missions de l'État est nécessaire. Le malaise qu'éprouve le personnel des préfectures trouve aussi sa cause dans l'absence d'une ligne d'horizon claire. La réforme en cours de la carte de nos régions ajoute à la complexité de cette réflexion. Elle implique en effet une adaptation des structures de l'État déconcentré. Remettra-t-elle en question la place et le rôle des préfets de département ? Après le président de la République, le ministre de l'intérieur a récemment évoqué leur montée en gamme. L'accroissement de la taille des régions pourrait conduire à un renforcement de la présence de l'État à l'échelon départemental. Mais, comme l'a souligné Daniel Canepa, ancien préfet de la région Île-de-France, ce renforcement réclamera des moyens, y compris humains. Il en va de même des directions départementales : la direction de la cohésion sociale souffre depuis l'origine du départ des médecins vers les ARS.
Ainsi, la modernisation des préfectures est loin d'être achevée. Leur évolution est nécessaire pour garantir une présence forte et dynamique de l'État dans les territoires. Leurs moyens et leurs missions doivent donc demeurer l'objet des travaux de notre commission.
- Présidence de M. Philippe Marini, président -
Merci pour la continuité avec laquelle vous conduisez, avec ardeur, le contrôle de la mission « AGTE ».
Je vous remercie de nous faire partager votre intérêt pour cette mission que vous suivez depuis des années. J'ai appris avec surprise que le Bas-Rhin comportait treize arrondissements.
Au fil des années, le préfet de département perd de son pouvoir. Il est mis de côté par les directions régionales et autres ARS, qu'il maîtrise de moins en moins et qui prennent leurs instructions à Paris. Résultat : il n'a plus la main sur les dossiers sensibles, et il est devenu difficile d'obtenir, comme autrefois, des réponses claires et rapides. C'est inquiétant. D'ailleurs, comment s'étonner que les agents des préfectures vivent dans un grand malaise, puisqu'on parle de supprimer les départements ? Les cadres de haut niveau partent pour d'autres collectivités territoriales, alors qu'ils sont indispensables.
La réforme de 2010 a été catastrophique pour les départements d'Île-de-France, puisqu'elle a entraîné la quasi-disparition des DDE. Les membres du Conseil général des ponts et chaussées sont tous à la Défense, alors qu'ils seraient plus utiles à conduire les nombreux projets en cours...
Le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve annonce une montée en gamme des préfets et projette de faire disparaître les départements, curieux... Dans les grandes régions, il faudra de bons départements.
Qu'attendons-nous des préfets ? S'ils sont porteurs des orientations de la politique de l'État, ils ont de vraies missions. Pour la délivrance des passeports, par exemple, les sous-préfectures demeurent l'échelon pertinent. Les préfets ont-ils gagné ou perdu du pouvoir par rapport aux directions régionales ? La baisse des moyens des directions départementales, qui a conféré plus de poids aux directions régionales, pose problème sur le terrain : celles-ci se renforcent par leur technicité, ce qui pèse parfois les orientations politiques. Le renforcement des régions accroîtra le rôle des préfets, parce que l'État voudra regagner du terrain.
En effet, nous avons souvent le sentiment que le préfet de département n'a plus la même capacité de décision. Lui qui était le chef des services déconcentrés de l'État et dont le rôle avait été renforcé pendant des années, semble désormais n'avoir plus qu'à mettre en oeuvre les options prises par le préfet de région, voire par les directions régionales. Si un préfet de région n'intervient pas dans un dossier, il laisse un directeur régional imposer bureaucratiquement son avis au préfet de département, pourtant en prise avec les élus, d'où des allers retours, des délais plus longs. Sans prendre parti sur la RGPP, que vous avez critiquée et à laquelle j'ai participé, comment voyez-vous l'avenir des préfets de département ?
Les préfets de département ont en effet connu un moment difficile lors de la décision, en 2008, de donner plus de pouvoir aux préfets de région. Qu'allaient-ils perdre ? Eux qui étaient les patrons dans leur département, comment allaient-t-il faire face à la montée en puissance, parfois brutale, de certaines directions régionales ? Certains préfets de région s'entourent systématiquement des avis de leurs préfets de département quand d'autres tranchent systématiquement. Les ministères sont-ils capables de laisser les préfets les représenter à l'échelle du département ? En d'autres termes, les ministres sont-ils prêts à déconcentrer leur pouvoir ? Dans mon département, un projet préparé par la DREAL sans consulter les élus a été interrompu par le préfet de région à leur demande. Certains DRAC imposent une autorité très lourde. La solution passe sans doute par la mise en place d'unités territoriales des directions régionales. Quand certaines ARS ont pris des initiatives éloignées de l'intérêt public, le préfet de région les a ramenées dans la ligne objective d'un travail collectif.
Les SGAR et leurs cabinets concurrencent fortement les secrétaires généraux des préfectures, alors que ceux-ci sont confrontés au quotidien et à l'accueil du public. Savons-nous faire une réforme à froid ? Michel Rocard disait qu'en France, nous ne savons évoluer qu'avec un conflit et une loi. Nous devons réfléchir aux missions régaliennes de l'État, que le préfet doit assurer. Une précision enfin : la suppression des départements comme circonscription administrative n'a jamais été évoquée. Il est question de transformer le rôle des conseils départementaux.
Si des méga-régions se réalisent, il y aura inévitablement des méga-DIRECCTE, des méga-DREAL : l'organisation déconcentrée de l'État s'adaptera aux nouveaux schémas. Les préfets de région, moins nombreux, seront d'essence supérieure...
Directement issus de la cuisse de Jupiter tonnant, ces méga-préfets contrasteront avec des préfets de département minorés, qui demeureront les interlocuteurs des élus, mais dans un rapport de force dégradé avec les services déconcentrés sectoriels : le ministre démentira rarement ceux-ci.
Si nous sommes capables de définir une répartition utile des tâches, ces évolutions offrent une opportunité de renforcer le rôle de chacun. L'opinion des élus sur les préfets de département varie ; il reste que ceux-ci sont leurs interlocuteurs naturels, au nom de l'État, sur les problématiques des territoires.
Si le conseil général disparaît, les maires, surtout ceux des petites communes, se retrouveront orphelins. Conséquence immédiate de ces turbulences, les sénateurs pourront regagner auprès d'eux une audience et une importance qu'ils avaient perdues ces dernières années. Le préfet de département, et à plus forte raison celui de région, sont trop lointains...
Il n'y aura pas de suppression de départements, mais nous nous orientons vraisemblablement vers un regroupement, dans chaque grande région, de plusieurs départements entre eux.
Pour être équilibrée, la réorganisation territoriale doit entourer des préfets de région forts de préfets de département renforcés. C'est possible, si l'on regroupe des départements qui ont l'habitude de travailler ensemble, par exemple le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, ou encore l'Ardèche et la Drôme. Les autorités territoriales de l'État gagneront ainsi en efficacité.
Une France de cinquante départements, pourquoi pas ? Philippe Dallier avait proposé quelque chose d'analogue pour la petite couronne parisienne...
La commission a donné acte de sa communication à Mme Michèle André, rapporteure spéciale, et en a autorisé la publication sous forme d'un rapport d'information.
La réunion est levée à 12 h 20.
Présidence de Mme Michèle André, vice-présidente -
La réunion est ouverte à 14 h 36