La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Nous reprenons les auditions de notre commission d'enquête en recevant Mme le professeur Francelyne Marano, vice-présidente de la commission spécialisée risques liés à l'environnement du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) et experte des effets de la pollution de l'air sur la santé, ainsi que Mme Kiran Ramgolam, conseillère scientifique. Je rappelle que cette audition est publique et donnera lieu à enregistrement et à compte rendu.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mmes Francelyne Marano et Kiran Ramgolam prêtent serment.

Debut de section - Permalien
Francelyne Marano, vice-présidente de la commission spécialisée risques liés à l'environnement du Haut Conseil de la santé publique

Le Haut Conseil de la santé publique, auquel j'appartiens en tant que personnalité qualifiée, a été créé par la loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004. C'est une instance d'expertise sur toute question relative à la prévention, à la sécurité sanitaire ou à la performance du système de santé. Il peut être consulté par les ministres intéressés, les présidents des commissions compétentes du Parlement, le président de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé. Le HCSP contribue à la définition des objectifs pluriannuels de santé publique, évalue leur réalisation et contribue à leur suivi ; à ce titre, nous sommes amenés à évaluer le Plan national santé environnement (PNSE) 3. Il fournit aux pouvoirs publics l'expertise nécessaire à la gestion des risques sanitaires et à la conception et à l'évaluation des politiques et stratégies de prévention et de sécurité sanitaire. Enfin, il fournit des réflexions prospectives et des conseils sur les questions de santé publique.

Le HCSP compte deux comités techniques et six commissions, dont la commission qui traite des risques liés à l'environnement, que préside le professeur Denis Zmirou-Navier. Notre commission compte dix-neuf personnalités qualifiées, essentiellement des experts du secteur public et des universitaires aux profils diversifiés et aux champs de compétence allant de la toxicologie aux aspects socio-économiques - domaine dans lequel la France manque malheureusement d'experts. L'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), l'Institut de veille sanitaire (InVS) et l'Institut national du cancer (INCa) y sont représentés de droit.

Nos missions sont larges : expertise d'aide à la gestion des expositions liées à l'environnement (pollution de l'air extérieur et intérieur, amiante, plomb, niveaux sonores élevés, etc.) ; avis sur les textes réglementaires, évaluation des politiques publiques. Ayant participé à l'élaboration du PNSE 3 en tant que personnalité qualifiée, comme je l'avais fait pour le PNSE 2, je ne prendrai pas part à son évaluation, pour éviter tout conflit d'intérêts, sachant que la commission spécialisée risques liés à l'environnement a été saisie sur les indicateurs d'objectifs et d'efficacité.

Vous m'interrogez sur la part des pathologies ORL, cardiaques ou cancers, attribuables à la pollution de l'air. Difficile de vous répondre, car les études épidémiologiques menées en France portent sur la mortalité, pas sur la morbidité. Mme Agnès Lefranc, que vous avez auditionnée, vous a sans doute présenté les données obtenues par l'InVS et ses homologues européens.

Je m'en tiendrai donc à mon domaine de compétence, la toxicologie et l'étude des mécanismes d'action des polluants environnementaux. Quels sont les polluants présents dans l'air et quelle est leur origine ? Outre les pollutions naturelles, continues ou ponctuelles, comme celles associées à des éruptions volcaniques par exemple, il y a les pollutions d'origine humaine, dans les zones urbaines et industrielles essentiellement, qui peuvent avoir des conséquences planétaires, comme dans les espaces clos, avec des échanges importants entre les deux. Parmi les sources anthropiques, citons celles qui résultent des combustions : centrales thermiques, combustions industrielles, trafic automobile mais aussi combustion du bois. L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) attire ainsi l'attention sur la pollution aux particules fines dans les régions où l'on se chauffe beaucoup au bois.

Parmi les polluants dits réglementés, il y a les oxydes et dioxydes d'azote, le monoxyde de carbone, les hydrocarbures, le dioxyde de souffre, les particules. Les polluants d'origine métallique - plomb, fluor, dioxine - sont parmi les plus problématiques. Citons aussi les polluants dits secondaires, liés à l'évaporation, notamment dans les stations-essence, les composés organiques volatils, l'ozone ou certaines aldéhydes.

Les études épidémiologiques récentes ont mis en évidence le rôle des particules atmosphériques fines dans les pathologies respiratoires, cardiovasculaires ou les cancers, notamment pulmonaires. Ces particules sont très complexes : s'y mélangent des particules d'origine naturelle, provenant des éruptions volcaniques, de l'océan ou des végétaux, celles qui sont d'origine anthropique et ce qui est remis en suspension. C'est cet aérosol que nous respirons, ces composés gazeux qui entrent en contact avec nos voies respiratoires. Les études épidémiologiques mettent en évidence le lien avec l'asthme, les manifestations bronchiques et, de façon plus étonnante, avec l'augmentation de maladies cardiovasculaires et d'infarctus du myocarde. Des études ont été menées à partir des années 1980, notamment par des toxicologues qui avaient travaillé sur des polluants atmosphériques en milieu industriel comme la silice.

Les polluants pénètrent dans l'appareil respiratoire et s'y déposent à différents niveaux en fonction de leurs propriétés physico-chimiques et de leur taille. La région naso-pharyngée est surtout concernée par les vapeurs d'acide : c'est le phénomène des pluies acides et des « fumées noires » qui ont causé des pics épidémiologiques intenses et une mortalité conséquente à Londres dans les années 1950. Cette question du dioxyde de soufre est aujourd'hui quasiment résolue, du moins en France, par la réglementation sur les véhicules à essence et sur les échappements industriels.

Si les vapeurs de soufre se déposent très haut, l'ozone et les oxydes d'azote, en revanche, descendent jusqu'aux alvéoles, où se produit l'échange gazeux. C'est pourquoi ces deux produits doivent être suivis de façon rigoureuse. Leur diminution est insuffisante, et est arrivée à un palier depuis dix ans. Les particules se répartissent dans l'appareil respiratoire en fonction de leur taille. Les plus grosses, d'un diamètre de 5 à 30 micromètres, comme celles associées à l'usure des routes ou des bâtiments, restent au niveau du nez. C'est aussi le cas des particules d'origine biologique telles que les grains de pollens ou les moisissures, au contraire des bactéries qui, elles, rentrent plus profondément dans le poumon.

Celles qui posent réellement problème sont les particules dites fines et ultrafines : non pas les PM10, dont le diamètre est inférieur à 10 microns, mais les PM2,5, d'un diamètre inférieur à 2,5 microns, qui sont désormais également mesurées par les réseaux de surveillance de la qualité de l'air. Il s'agit de particules associées à l'incinération, provenant du diesel, de la combustion du bois ou de l'incinération des déchets.

Les systèmes de protection permettant d'évacuer ces polluants fonctionnent bien chez un adulte en bonne santé respiratoire, mais pas chez les populations fragiles : bébés et jeunes enfants, personnes souffrant d'asthme ou de bronchite chronique, personne âgées. C'est pourquoi les messages sanitaires ciblent plus particulièrement ces catégories. Les systèmes de protection sont différents selon le niveau : tapis roulants rapides dans les voies de conduction de l'air, systèmes plus lents dans les alvéoles, où les macrophages - qui s'attaquent normalement aux bactéries - absorbent les particules mais ne savent pas qu'en faire. Plus l'atmosphère est polluée, plus il y a un risque de stagnation de ces particules au niveau alvéolaire.

Une particule diesel est constituée de nanoparticules formant des grappes, avec un coeur de carbone inorganique, peu réactif, et, en surface, des molécules organiques : ce sont les imbrûlés du diesel. Dans cette fraction organique se trouvent des molécules classées comme cancérigènes, en particulier les hydrocarbures aromatiques polycycliques, dont le benzo(a)pyrène. Ces molécules sont en faible quantité, mais si elles s'accumulent et ne sont pas bien éliminées, elles peuvent, sur le long terme, entraîner un risque. C'est pourquoi le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ont été conduits à classer le diesel comme cancérigène certain, au même titre, sinon dans les mêmes proportions, que la fumée de cigarette : tout le monde n'y est pas sujet, les quantités de substance ne sont pas comparables avec celles auxquelles est exposé un gros fumeur, mais le mécanisme est le même.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Avez-vous conduit des études sur les personnes surexposées, celles travaillant dans des stations-essence par exemple, ou les policiers en faction dans des zones particulièrement polluées ?

Debut de section - Permalien
Francelyne Marano, vice-présidente de la commission spécialisée risques liés à l'environnement du Haut Conseil de la santé publique

Les études épidémiologiques sont tout à fait claires, notamment celle portant sur des mineurs aux Etats-Unis, exposés aux échappements de diesel dans les mines, qui montre une prévalence du cancer du poumon bien supérieure à celle observée chez une population témoin, même en tenant compte des facteurs de confusion. Les études portant sur les pompistes ou les policiers exposés à une circulation intense vont dans le même sens. Même chose pour les particules atmosphériques : une étude réalisée en collaboration avec des chimistes de l'atmosphère à partir des données de la station Airparif d'Auteuil, en bordure du périphérique, a révélé entre 60 ou 90 % de particules de suie associées au trafic.

Les particules se modifient dans l'atmosphère. Leur composition à la sortie du pot d'échappement n'est pas stable : certains composés volatiles s'évaporent, d'autres s'absorbent sur les particules, notamment des fractions organiques provenant de pollens, de champignons ou de bactéries, mais aussi des métaux. A l'inverse, certaines particules viennent s'absorber sur les grains de pollen ou les spores de champignon. Ce que nous inhalons n'est donc pas ce qui est émis par le véhicule ou la station d'incinération.

La recherche actuelle se concentre sur l'identification des sources des particules et leurs caractéristiques spécifiques, afin de savoir sur lesquelles agir préférentiellement. On a ainsi identifié des molécules spécifiques servant de marqueur pour les particules émises par la combustion du bois. Autre volet de la recherche : les particules secondaires, fractions ultrafines que nous inhalons, difficiles à mettre en évidence, dont il faut mieux connaître la taille et les effets biologiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Les pouvoirs publics s'y intéressent-ils suffisamment ?

Debut de section - Permalien
Francelyne Marano, vice-présidente de la commission spécialisée risques liés à l'environnement du Haut Conseil de la santé publique

Depuis vingt ans, c'est essentiellement le ministère de l'écologie qui finance les recherches sur la pollution atmosphérique, avec le programme Primequal (Programme de recherche inter-organisme pour une meilleure qualité de l'air à l'échelle locale), qui étudie notamment la pollution de l'air intérieur. Un programme orienté sur les effets sanitaires des polluants environnementaux a été transféré à l'AFSE et existe toujours à l'Anses. Cependant, les programmes spécifiques de l'Agence nationale de la recherche (ANR) mis en place au moment du Grenelle n'existent plus, peut-être à cause de la préférence pour des appels d'offre larges. C'est préoccupant, car les financements sont indispensables si l'on veut préserver la communauté française qui s'est constituée dans ce domaine.

La composition des particules varie selon leur taille. Les polluants provoquent dans l'appareil respiratoire des mécanismes inflammatoires à cause de leur composition propre ou de leur association avec un gaz. Les effets cocktail jouent un rôle majeur, avec l'émission de radicaux libres produits par l'interaction entre le milieu biologique et l'ozone, les oxydes d'azote mais aussi les particules. Ces trois principaux polluants s'associent pour provoquer la réponse, dont l'ampleur varie selon la capacité des individus à se protéger de ce stress oxydant. La réponse inflammatoire a lieu à tous les niveaux de l'appareil respiratoire. Les pathologies sont provoquées par une exposition sur le long terme, par l'effet chronique de ces réponses. C'est pourquoi il nous faut avant tout réduire la pollution de fond, car c'est ainsi que l'on réduira l'apparition des pics de pollution.

Le rôle de l'inflammation est bien connu : il est associé à l'asthme, à la bronchite chronique, aux maladies cardio-vasculaires et à l'évolution possible vers la maladie cancéreuse. L'inflammation en elle-même est une réponse saine ; mais c'est son maintien sur la durée qui engendre la pathologie. Il y a bien une explication causale aux données épidémiologiques observées.

Les particules ultrafines et les nanoparticules manufacturées posent des problèmes comparables : le transfert au niveau alvéolaire. Des études ont été réalisées sur des particules modèles - oxyde de titane, or colloïdal, silice - mais pas sur des particules atmosphériques, même si elles sont de taille équivalente. La barrière alvéolo-capillaire est très mince ; si les particules passent dans le sang, elles peuvent circuler dans tout l'organisme et s'accumuler dans différents organes. C'est, avec l'inflammation chronique, l'un des liens de causalité entre la pollution et les maladies cardio-vasculaires chez les populations à risque, souffrant par exemple de plaques d'athérome.

La recherche est en plein développement sur les franchissements de barrière, notamment sur les nanoparticules intentionnelles produites par l'industrie, nombreuses dans les aérosols mais aussi dans l'alimentation, susceptibles dans ce cas de passer la barrière intestinale. Une étude sur les effets sanitaires à long terme comparant des femmes non fumeuses de Vancouver et de Mexico a révélé dix fois plus de particules dans le parenchyme pulmonaire de ces dernières, comparable à celui de fumeurs ou de mineurs. Il faut dire que les concentrations moyennes en particules à Mexico sont du niveau de celles enregistrées à Londres dans les années 1950. Cette étude est ancienne mais très parlante.

Il n'y a pas d'étude générale concluant au caractère cancérigène du diesel ; seulement des études sur les travailleurs exposés ou des études de mutagénèse ou chez l'animal. L'étude Aphekom est, à ce titre, très intéressante. Elle montre que le seuil de concentration de particules PM2,5 proposé par l'OMS pour réduire les pathologies associées à la pollution atmosphérique, soit une moyenne de 10 microgrammes par mètre cube d'air, apporte un gain d'espérance de vie considérable. L'étude aborde aussi le coût économique de la pollution atmosphérique. J'étais récemment à Marseille pour présenter le PNSE 3 ; j'ai rappelé au maire-adjoint que sa ville était la métropole française la plus polluée, et qu'il faudrait agir... Cela ne lui a pas plu !

Le niveau moyen d'exposition que fixe la directive européenne 2008/50/CE est de 40 microgrammes par mètre cube pour les PM10 - ce qui est beaucoup - avec l'obligation de ne pas dépasser plus de 35 jours par an un niveau de 50 microgrammes. Ces seuils ne sont pas respectés sur 30 % du territoire français, avec des dépassements enregistrés dans quinze agglomérations de plus de 100 000 habitants en 2010 - contre 26 en 2007. Pour les PM2,5, le seuil devrait être fixé à 25 microgrammes par mètre cube, loin de la recommandation de l'OMS, qui est de 10 microgrammes par mètre cube. En 2010, quarante agglomérations françaises dépassaient le seuil des 15 microgrammes. Il reste donc beaucoup à faire.

Le HCSP donne des avis de gestion à partir de données fournies par d'autres organismes, l'évaluation des risques étant du domaine de l'Anses et de l'InVS. Dans son rapport 2012, disponible sur son site Internet, le HCSP fixe des objectifs de qualité de l'air, en moyenne annuelle, de 15 microgrammes par mètre cube pour les PM2,5 et de 25 microgrammes par mètre cube pour les PM10. Les seuils d'information en moyenne journalière, qui déclenchent les messages sanitaires, sont fixés à 30 microgrammes pour les PM2,5 et 50 microgrammes pour les PM10 ; les seuils d'alerte, à 50 microgrammes pour les PM2,5 et 80 microgrammes pour les PM10. Ces seuils sont devenus réglementaires et nous constatons qu'il y a de plus en plus de messages d'information et d'alerte. Si nous parvenons à diminuer les particules, les émissions d'oxyde d'azote et d'ozone diminueront aussi, car les sources sont les mêmes : l'association de polluants, de soleil et d'absence de vent. Il faut agir sur l'ensemble des polluants et diminuer leur niveau moyen pour obtenir un gain sanitaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Sur quel sujet portent les dernières saisines de votre commission ?

Debut de section - Permalien
Kiran Ramgolam, conseillère scientifique

La dernière porte sur les messages sanitaires à produire et à diffuser à la population en cas de dépassement des seuils.

Debut de section - Permalien
Francelyne Marano, vice-présidente de la commission spécialisée risques liés à l'environnement du Haut Conseil de la santé publique

Plus largement, nous venons d'être saisis sur les indicateurs associés au PNSE 3, ce qui dépasse la seule question de la pollution atmosphérique.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

L'impact de l'effet cocktail sur les cancers n'est guère évalué. Pensez-vous que cette situation évoluera, ou la complexité du problème empêche-t-elle des études sur le sujet ?

Debut de section - Permalien
Francelyne Marano, vice-présidente de la commission spécialisée risques liés à l'environnement du Haut Conseil de la santé publique

Dans le PNSE 3, nous posons très précisément cette problématique à travers le concept d'exposome. L'idée est qu'un individu est exposé à un ensemble de polluants environnementaux, avec des effets physiques et biologiques - je pense aux ondes électromagnétiques - qu'il faut prendre en compte pour mesurer l'impact de l'environnement sur la santé. Christopher Wild, le directeur du CIRC, a beaucoup insisté sur ce concept, qui expliquerait l'émergence et l'augmentation de certains cancers. La pollution atmosphérique n'est qu'un élément parmi d'autres. Alimentation, cosmétiques, produits de la vie courante, milieu de travail : les facteurs à prendre en compte sont nombreux. Ce concept d'exposome est au coeur des études pluridisciplinaires sur les effets cocktail ; il figure dans le PNSE 3 et dans la loi de Santé. Il prend aussi en compte l'exposition au cours de périodes déterminantes de la vie : vie foetale, petite enfance, maladie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Nous allons procéder à l'audition commune de MM. Jean-Christophe Bureau, professeur d'économie à AgroParisTech, et Jean-Christophe Vergnaud, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). M. Stéphane Luchini, chargé de recherche au CNRS, n'a pas honoré notre convocation pour cette audition ; il nous appartiendra de décider des suites à donner à cette absence. Messieurs, votre audition doit nous permettre d'approfondir l'approche économique de la pollution atmosphérique, qu'il s'agisse de son impact général ou plus spécifique sur l'agriculture.

Cette audition est publique et ouverte à la presse. Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je vous informe qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Jean-Christophe Bureau et Jean-Christophe Vergnaud prêtent serment.

Debut de section - Permalien
Jean-Christophe Bureau, professeur d'économie à AgroParisTech

J'évoquerai l'agriculture, sur laquelle mon laboratoire travaille. Elle joue un rôle très important dans la pollution, par le biais de trois facteurs : les grosses particules ; certaines particules secondaires, issues d'une combinaison de molécules, ammoniaque en particulier, même si d'autres secteurs, routier ou industriel, sont impliqués dans l'émission d'une partie des éléments nécessaires ; enfin, les produits phytosanitaires.

Je voudrais également citer des éléments plus marginaux, comme l'ozone, dont la concentration n'est pas due à ce secteur, mais qui pèsera fortement sur son équilibre en réduisant les rendements, notamment du blé, à l'horizon 2030. En outre, si l'agriculture est peu impliquée dans l'émission de composés organiques volatiles, elle est un gros émetteur de gaz à effet de serre tels que le méthane et le protoxyde d'azote (N2O). Elle véhicule aussi certains polluants organiques qu'elle n'émet pas, tels que la dioxine contenue dans le lait. Ce polluant s'accumule dans l'organisme humain sans être éliminé.

Les grosses particules, ou particules primaires, sont une source non négligeable de pollution, par exemple en Ile-de-France. Elles proviennent de l'érosion ou des poussières dues au travail du sol, au stockage ou au séchage. L'agriculture est responsable de 48 % de leurs émissions - ainsi que de 18 % des émissions de PM10 et de 10 % des émissions de PM2,5. Celles-ci provoquent de l'asthme, des allergies, des bronchites fréquentes, des cancers et des maladies cardio-vasculaires. Elles véhiculent aussi d'autres polluants et ont un coût économique pour l'agriculture en diminuant les rendements, notamment en abîmant les stomates, les organes respiratoires des plantes.

Les particules secondaires, deuxième facteur, sont issues d'une recombinaison de molécules plus fines, notamment des PM10 et des PM2,5. Elles contiennent de l'azote et surtout de l'ammoniaque - plus de 90 % de celui qui est présent dans l'air est issu de l'agriculture. En se combinant avec du dioxyde de soufre ou des oxydes d'azote, il forme ces microparticules. On ne saurait incriminer l'agriculture uniquement, puisque la combinaison nécessite des éléments issus d'autres secteurs. Néanmoins, 60 % des PM10 mesurées en Ile-de-France ces dernières années sont issues de l'agriculture.

Les dépôts d'ammoniaque favorisent l'acidification ou l'eutrophisation des milieux naturels, y compris marins, et nuisent aux rendements. Les sols acides doivent alors être traités, avec du calcaire ou de la chaux, ce qui est très coûteux et a des conséquences environnementales très importantes. Voyez la controverse que suscite le prélèvement de sable dans la baie de Lannion, pour compenser l'acidité des sols bretons.

Le troisième facteur est constitué par les produits phytosanitaires, insecticides, herbicides et fongicides. La France en est le troisième utilisateur mondial, très loin devant l'Allemagne ou le Royaume-Uni. Or 20 à 40 % de ce qui est épandu ne va pas sur la plante mais part directement dans l'air en microbulles. Je précise que les pommes subissent couramment une vingtaine voire une trentaine de traitements, les céréales aussi...

Les effets varient selon les catégories. Les insecticides touchent beaucoup les organes respiratoires, comme les néo-pyrèthrinoïdes, présentés à tort comme écologiques parce que les pyrèthres existent à l'état naturel. Les composés organophosphorés agissent sur le système neurologique - les maladies d'Alzheimer et de Parkinson pourraient y être liées. Ils pourraient également être cancérogènes, mais nous avons moins de certitudes à ce sujet. Dans certains secteurs, les lobbies produisent des contre-études qui provoquent un bruit statistique, donc un flou dans les méta-analyses. Il est probable que ce soit le cas ici.

Les herbicides - en la matière, les effets sont assez bien prouvés - irritent la peau. Ils agissent aussi sur les organes respiratoires, comme les fongicides, qui provoquent également des allergies. Nous soupçonnons l'influence des cocktails de produits sur les cancers et les perturbations endocriniennes, comme l'avancement de l'âge de la puberté - dans certains pays particulièrement exposés, on a relevé des signes de puberté chez des enfants de quatre ans. Ces phénomènes sont toutefois mal étudiés et nous devons rester prudents.

Pour en revenir à l'ozone, il est l'un des principaux polluants présents lors des pics de pollution en Ile-de-France. L'inquiétude qu'il fait naître porte également sur les rendements agricoles, dont la baisse pourrait atteindre 10 à 20 % d'ici 2030. Mais il est difficile d'isoler l'impact de la hausse de la concentration en ozone dans les basses couches atmosphériques de la hausse des températures ou de l'émergence de nouvelles maladies. Les ormes sont morts, les buis, les platanes et les marronniers sont menacés, comme dans la forêt de Vierzon, et les hêtres et les chênes vont disparaître de France, sauf dans les Ardennes, d'ici à 2050. Le blé est menacé lui aussi.

Debut de section - Permalien
Jean-Christophe Vergnaud, directeur de recherche au CNRS

Je serai bref car vous avez déjà auditionné M. Olivier Chanel, qui vous a donné l'état de la science sur l'évaluation des coûts économiques des particules. Je me pencherai sur la méthodologie employée pour arriver au chiffrage des coûts d'un polluant. Les particules, les oxydes d'azote (NOx) et l'ozone représentent des cas particuliers puisqu'ils ont fait l'objet de nombreux travaux, ce qui a permis de parvenir à un chiffrage. Pour nombre d'autres polluants, cela n'est pas possible, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) ne disposant pas des données d'exposition ni d'épidémiologie.

Les différences d'évaluation du coût pour la société peuvent être très importantes. L'OCDE a estimé le coût des particules à 30 milliards d'euros pour la France, contre trois à quatre millions d'euros par an selon l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Le coût sociétal est obtenu en dégageant des cas à partir des données épidémiologiques d'exposition et des données des doses-réponses, puis en valorisant ces cas selon la méthode du « consentement à payer ». Or nous ne connaissons pas la valeur que les gens sont prêts à dépenser pour réduire la pollution. Il n'existe pas de marché où s'exprimerait ce montant. Il faut donc mener des enquêtes particulières - M. Luchini aurait pu vous dire comment sont construites ces valeurs. Les gens paient en revanche pour être soignés : mais ce coût, fourni par la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) ou l'AP-HP, inclut seulement ce qui se consomme à court terme.

Le second fossé entre les données chiffrées est dû la différence entre les effets de court et de long terme. Les chiffres de l'AP-HP portaient sur les conséquences des pics de pollution, bronchites ou crises d'asthme nécessitant une hospitalisation, soit une petite partie des coûts de l'asthme ou des maladies cardio-vasculaires à long terme. Une étude menée sur trois pays, à laquelle j'ai participé, a montré que le coût de la mortalité était mille fois plus élevé que le coût de l'asthme en période d'exacerbation.

Je voudrais également souligner que depuis l'époque de ces premières études, la France a connu une série de non-décisions. En 2000, environ 40 % des véhicules neufs utilisaient du diesel. En 2008-2009, cette proportion avait atteint 70, voire 80 %. Il y a eu une incitation continuelle à acheter du diesel malgré les études à ce sujet. Un travail de lobbying a probablement fait valoir les doutes sur les liens de causalité.

A l'inverse, au début des années 2000, on était certain que les évolutions technologiques des pots d'échappement, telles que les filtres à particules, seraient favorables à l'environnement. Personne ne soulevait d'incertitude sur leur efficacité. Or celle-ci a été bien moindre dans les conditions réelles qu'en laboratoire. Le rapport de la commission Boiteux évaluait à 9 % par an la baisse de la pollution par les particules grâce aux évolutions technologiques. A ce rythme, elle aurait dû disparaître en dix ans. Or selon Airparif, la diminution des particules n'a été que de 15 % en dix ou quinze ans. Les incertitudes ont été utilisées pour faire valoir des intérêts particuliers.

J'en terminerai en soulignant l'opposition entre court et long termes. Le coût d'une exposition répétée, jour après jour, est moins visible mais plus lourd. Gérer uniquement les pics de pollution est très coûteux et n'apporte pas grand-chose.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Quel est le coût économique de la gestion d'un pic de pollution ?

Debut de section - Permalien
Jean-Christophe Vergnaud, directeur de recherche au CNRS

Je n'ai pas mené d'étude sur ce point.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Vous venez d'affirmer que c'est « très coûteux ». Il est important pour nous d'évaluer ce coût.

Debut de section - Permalien
Jean-Christophe Vergnaud, directeur de recherche au CNRS

C'est très coûteux en matière d'impact sur le consommateur, puisque ses habitudes sont affectées. Olivier Chanel vous a parlé des mesures structurelles et des incitations, taxe, péage urbain, etc. Si chacun modifiait son organisation de vie, on n'aurait plus besoin de gérer des pics de pollution au coup par coup. Il est plus efficace d'inciter les gens à changer dans la durée leurs habitudes de vie. Les chiffres montrent que le bilan des politiques structurelles est positif.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Dans vos travaux les plus récents, quelle méthodologie de calcul utilisez-vous pour mesurer l'impact de la pollution de l'air ?

Debut de section - Permalien
Jean-Christophe Vergnaud, directeur de recherche au CNRS

Mon étude la plus récente est celle que j'ai menée avec Olivier Chanel sous l'égide de l'OMS. Les études réalisées pour le programme Aphekom font apparaître des résultats étonnamment stables. Celle de 1995, lorsqu'ont été constituées les premières cohortes sur la mortalité, donnait des chiffres énormes. Les études suivantes ont adopté des méthodologies différentes. En 2002, on a ainsi donné une attention particulière aux particules ; d'autres critères d'évaluation ont également été introduits, comme la proximité des axes de circulation. Dans tous les cas, les résultats sont restés stables, la perte d'espérance de vie - six mois - s'est confirmée.

Debut de section - Permalien
Jean-Christophe Vergnaud, directeur de recherche au CNRS

A force de chercher, on aurait pu trouver des effets de pollution supplémentaires qui auraient occasionné davantage de coûts. En fait, les expositions sont restées les mêmes. D'étude en étude, les résultats se sont confirmés. C'est à la fois surprenant et rassurant. A l'époque, ces résultats avaient constitué un tel choc que la ministre de l'environnement avait envisagé de ne pas les publier. Le succès de Daniel Cohn-Bendit aux élections européennes l'y avait finalement incitée à le faire. Les travaux que je mène dans le cadre de l'Anses portent sur d'autres polluants. Faute de données scientifiques, les chiffrages sont difficiles.

Debut de section - Permalien
Jean-Christophe Bureau, professeur d'économie à AgroParisTech

Nous chiffrons surtout des effets basiques, essentiellement les pertes de rendements agricoles liés aux polluants. Dès lors que nous élargissons cet objectif concret, qu'il s'agisse d'étudier la forêt ou l'impact des pesticides, nos études sur les écosystèmes deviennent plus ou moins incertaines. Si des chiffrages approximatifs sont possibles sur la pollinisation ou la contribution des chauves-souris à la disparition des insectes, on ne peut guère aller au-delà. Nous disposons de chiffres pour évaluer les services récréatifs de l'écosystème : on sait par exemple ce qu'il advient lorsqu'il n'y a plus d'insectes, plus de larves dans les rivières, plus de poissons. C'est important si l'on pense que l'industrie du tourisme dans un département comme la Dordogne représente 40 % du PIB. En revanche, la valorisation de l'écosystème à plus long terme, la constitution de réserves de molécules contre les maladies par exemple, est difficilement chiffrable. Nous pouvons tout au plus fixer des bornes inférieures.

En 2011, un article de la revue Nature a fait état d'une étude intéressante sur l'azote qui intervient dans la pollution de l'eau et de l'air. Les effets bénéfiques de ce gaz sont connus depuis la fameuse déclaration de 1900, à la Chambre des Lords, selon laquelle l'utilisation de l'azote dans l'agriculture, compte tenu de la capacité des plantes à l'absorber, permettrait de nourrir des millions d'habitants supplémentaires. Peu après, Fritz Haber a reçu le prix Nobel de chimie pour ses travaux sur la synthèse de l'azote de l'air - qui débouche aussi sur la fabrication des explosifs... S'il est incontestable que les épandages d'engrais azotés présentent un certain avantage, ils ont un coût en termes de pollution de l'eau et de risques pour la santé : les bénéfices sont de l'ordre de 25 à 130 milliards de dollars, alors que les coûts oscillent entre 70 et 320 milliards de dollars. L'analyse d'un tel paradoxe reste délicate, car l'azote permet de nourrir une partie de la planète. L'importance des coûts suscite néanmoins des questions. Sur ce type de sujet, nous disposons de méthodes pour déterminer des bornes basses, guère mieux.

J'ai surtout travaillé sur des méthodes de valorisation des coûts humains, notamment dans le cas des contaminations bactériologiques. Il est alors très difficile de faire l'économie d'une métrique monétaire. Certaines études s'y sont essayées, en imaginant par exemple une contribution au bonheur. Dans l'ensemble, nous nous appuyons sur des calculs artisanaux, du type règle de trois. L'approche méthodologique peut être directe, mesurant le coût de la santé selon les standards pratiqués aux Etats-Unis - dépenses pour les soins, pour la prévention, perte de productivité des employés malades, etc. Elle peut être indirecte lorsqu'elle vise le consentement à payer, en prenant en compte le coût de la douleur et la valorisation subjective de la maladie. Quant au coût de la mortalité, on parle de « valeur de la vie statistique » ou de « gain à éviter un décès ». Les chiffres sont élevés : 1 700 milliards de dollars pour la pollution de l'air dans les pays de l'OCDE, 3 500 pour la Chine et l'Inde. Si les normes basses sont clairement fixées, les méthodes de consentement à payer offrent des résultats plus incertains, qui affinent néanmoins l'approche en termes d'ordres de grandeur. L'OCDE utilise 3,6 millions de dollars par vie statistiquement épargnée. Les pouvoirs publics français établissent le même type de chiffrage en matière de mesures de sécurité routière. Bien sûr, les incertitudes scientifiques pèsent davantage en ce qui concerne le rôle des particules ou des perturbateurs endocriniens dans le développement des cancers et des maladies cardio-vasculaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Pouvez-vous préciser ce que vous nous avez dit sur les baisses de rendements en nous donnant des éléments quantifiés en euros ? Si les rendements baissent de 10 %, l'effet ne sera pas le même en Ile-de-France et dans les autres régions, où les rendements sont inférieurs de 50 à 60 %. Nous souhaiterions également connaître les coûts en euros des impacts forestiers - je songe aux pluies acides, bien que le phénomène ait pu être endigué, des solutions ayant été trouvées. Enfin, avez-vous observé des différences d'impact pour les populations en zones urbaine et rurale ? En mars, bien que les pics de pollution aient été causés par des pratiques agricoles, ce sont surtout les populations urbaines qui ont été touchées.

Debut de section - Permalien
Jean-Christophe Bureau, professeur d'économie à AgroParisTech

Tout dépend du type de polluants. Les particules empêchent la photosynthèse, mais ont peu d'impact sur le milieu forestier. L'Inra a beaucoup travaillé sur la réduction de l'impact des particules primaires et secondaires.

Les chiffres indiquent clairement que certaines baisses de rendements sont liées à l'ozone, avec des variations selon les régions. L'ozone est un polluant rural que l'ensoleillement favorise. Il touche les forêts et l'agriculture. La forêt de Rambouillet, par exemple, a été ces derniers mois plus polluée à l'ozone que le centre de Paris. En chiffrant ces baisses de rendements, l'Inra a constaté que le blé était plus affecté que l'orge. On prévoit ainsi qu'en 2030, la production de blé aura baissé de 30 %, alors que celle de l'orge aura augmenté de 15 %. Mes collègues de Nancy ont constaté des baisses de rendements assez fortes en milieu forestier. Des stratégies d'évitement consistent à planter de nouvelles espèces pour anticiper les pertes. Dans la projection du milieu forestier en 2050-2070 effectuée par l'université de Paris-Saclay, le chêne aura été repoussé dans les Ardennes et il n'y aura plus de hêtres en France. Bien sûr, il n'y a pas seulement l'ozone : la chaleur et la pollution jouent aussi un rôle dans ces évolutions. Des chiffres existent peut-être, que je ne connais pas.

Quant à l'ammoniaque, un gros programme de l'Inra lui est consacré. Une grande partie des émissions sont contrôlables. Les épandages enfouis peuvent les limiter de 40 à 60 %. Des solutions faciles à mettre en oeuvre existent.

Debut de section - Permalien
Jean-Christophe Vergnaud, directeur de recherche au CNRS

C'est la concentration des polluants qui est nocive et le milieu urbain favorise les effets de stockage. Une disparité d'expositions existe entre milieu urbain et rural, mais aussi entre les habitations d'arrière-cour et celles bordant les grands axes de circulation. Des mesures de protection sont possibles en cas de pic de pollution : il faut rester confiné en aérant au petit matin seulement. En ce qui concerne les nouvelles méthodes, Olivier Chanel et Stéphane Luchini ont testé des scénarios de consentement à payer par rapport à la pollution de l'air. Les résultats ont donné des valeurs cohérentes avec celles de scénarios liées à d'autres sources de mortalité. C'est rassurant. Enfin, il faut tenir compte des délais de latence lorsque des mesures sont prises : deux ou trois ans avant une amélioration pour les maladies cardio-vasculaires, et un peu plus longtemps pour les maladies respiratoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Quelles seraient les principales incertitudes liées à la monétarisation de ces impacts ?

Debut de section - Permalien
Jean-Christophe Vergnaud, directeur de recherche au CNRS

Même si les méthodes de consentement à payer aboutissent à des valeurs rassurantes, celles-ci restent déclaratives. On constate une certaine schizophrénie chez les consommateurs qui se disent préoccupés par la pollution tout en refusant le principe d'une taxe écologique environnementale. Un travail de pédagogie reste à faire. Une approche internalisée par les droits de propriété contribuerait également à rendre ces valeurs économiquement crédibles, en créant un marché des droits à ne pas être pollué. La responsabilité des entreprises est beaucoup trop limitée. Bref, peu de consentements à payer s'accompagnent d'un rendu économique efficace. Une solution pourrait être que les ONG qui en ont les moyens fassent entendre une voix différente de celle de l'industrie en lançant leurs propres études toxicologiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Dans une société devenue complexe, les demandes des uns et des autres sont forcément paradoxales. La méthodologie que vous utilisez pour le calcul des bénéfices dans les projets d'infrastructures est-elle la même que sur les consentements à payer ? A quoi faites-vous référence quand vous parlez de « non-décisions » ? Cela concerne-t-il uniquement le diesel ? Un certain nombre d'experts nous ont expliqué que la pollution liée au trafic routier était de l'ordre de 15 % au pire de la situation. La fameuse règle des 80/20 est loin d'être atteinte. Quel est votre point de vue ?

Debut de section - Permalien
Jean-Christophe Vergnaud, directeur de recherche au CNRS

Pour le calcul des bénéfices, les biens sont valorisés de manière standard sur des méthodes de consentement à payer. En France, dans le secteur des transports, le dernier rapport Quinet a donné comme valeur de référence le chiffre de 2 millions d'euros, en se fondant sur une méta-analyse d'études de consentements à payer. Cette valeur nous fait rattraper le léger retard que nous avions sur nos voisins européens. A partir du moment où une étude se réfère à cette valeur du rapport Quinet, on peut considérer qu'elle fonctionne selon la méthode du consentement à payer. D'autres façons de faire existent, comme en atteste l'étude de Pierre Kopp sur la pollution de l'air qui parvient à des résultats similaires par une méthode différente. Quant aux transports, il faut distinguer entre les émissions sur le territoire national et l'exposition aux émissions. D'un côté, le calcul se fait en kilos par mètre cube, de l'autre en kilos par mètre cube par habitant. Le modèle de diffusion (Chimère) sur lequel se fonde l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) considère la diffusion locale - ce qui ne vaut pas pour le gaz à effet de serre, un polluant global. Une carte d'Airparif montre clairement que les niveaux de concentration et d'exposition sont liés aux axes de circulation. La part des transports dans l'exposition est certainement plus élevée que les 15 % constatés dans les émissions. Le chiffre de 30 à 40 % ne me paraît pas incohérent.

Debut de section - Permalien
Jean-Christophe Bureau, professeur d'économie à AgroParisTech

Une étude menée aux Etats-Unis a pu constater une différence de 1 à 2 000 dollars en termes de coûts pour la pollution. Ces écarts s'expliquent par la différence des critères pris en compte. Un consensus existe autour des 2 millions du rapport Quinet, des 4 millions pour un enfant selon le rapport Caffet au niveau européen, ou des 190 000 euros par cas de bronchite chronique. Ces valeurs ont l'avantage de prendre en compte les coûts directs et indirects. Cependant, des incertitudes physiques demeurent sur les fonctions de réponse. Il nous manque une information scientifique de base sur les pesticides et sur les particules. L'impact irréversible des particules sur les écosystèmes est difficile à prendre en compte. On sait que des espèces vont disparaître : comment valoriser cela ? Tous ces facteurs expliquent que nous soyons tentés de prendre des bornes basses.

Debut de section - Permalien
Jean-Christophe Vergnaud, directeur de recherche au CNRS

Fixer des normes est irréversible. La rurbanisation est également un processus tout à fait irréversible.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Oui et non. La désertification est une preuve de sa réversibilité.

Debut de section - Permalien
Jean-Christophe Vergnaud, directeur de recherche au CNRS

Il suffirait de changer les habitudes des gens en les incitant à prendre les transports en commun plutôt que leur voiture pour nous alléger d'un certain nombre d'incertitudes technologiques. Par ailleurs, les transports ont d'autres inconvénients que la pollution au CO2 : chaleur, bruit, césure, accidents... Tous ces éléments sont aussi à prendre en compte.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Je vous remercie pour vos réponses qui nous ont permis de mieux apprécier ce sujet.

La réunion, suspendue à 17 h 35, reprend à 18 h 05.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Nous recevons M. Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles, et M. Matthieu Beaulaton, directeur de la production des semences de grandes cultures de la société Monsanto.

Cette audition est publique et ouverte à la presse. Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je vous informe qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Yann Fichet et M. Matthieu Beaulaton prêtent serment.

Debut de section - Permalien
Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles de Monsanto

Monsanto est une société semencière avec trois activités principales en France : les semences de grandes cultures comme le maïs et le colza, les semences maraîchères ou potagères et la protection des plantes, à savoir l'utilisation des produits phytosanitaires. Elle comprend également des activités annexes ou en cours de développement comme le biocontrôle, c'est-à-dire la recherche et la mise sur le marché de produits naturels utiles à l'agriculture. Monsanto est présente en France depuis quarante ans, et se consacre à 100 % à l'agriculture. L'entreprise compte six cents personnes en France sur onze sites, principalement des stations de recherche, et deux sites industriels de production de semences. Elle possède des implantations dans 57 pays. Entreprise de recherche et de développement, elle a investi en 2014 1,7 milliard de dollars, soit 11 % de son chiffre d'affaires mondial, et cet investissement est réalisé à 95 % dans le domaine des semences. Dans le domaine des phytosanitaires, elle propose des produits anciens et connus mais n'effectue plus de recherches.

M. Beaulaton présentera les outils industriels en France et leur impact éventuel sur l'air, tandis que j'évoquerai les produits phytosanitaires, et en particulier le glyphosate, deux sujets qui intéressent particulièrement votre commission d'enquête.

Le règlement européen 1107-2009, extrêmement exigeant, requiert le dépôt d'une demande d'homologation par les entreprises de production de produits phytosanitaires avant toute commercialisation. L'autorisation de mise sur le marché est ensuite délivrée pour dix ans. La demande de ré-homologation du glyphosate a été soumise en 2012, avec un dossier de renouvellement décennal. Ce dernier contient des centaines d'études scientifiques, qu'elles émanent d'entreprises ou de sources publiques. En l'espèce, environ 25 entreprises sont pétitionnaires car la matière active étant tombée dans le domaine public, plusieurs entreprises sont intéressées et ont déposé un dossier commun. Chacune devra ensuite présenter un dossier concernant spécifiquement la préparation ou la formulation qu'elle souhaite commercialiser.

La procédure d'autorisation de mise sur le marché comprend donc deux niveaux : l'autorisation de la matière active à l'échelle européenne et l'autorisation de commercialiser un produit qui est déposée par chaque entreprise dans tout Etat-membre concerné. Un rapporteur examine scientifiquement l'ensemble du dossier soumis à autorisation de l'Union européenne ; en l'espèce, c'est l'Allemagne avec le Bundesinstitut für Risikobewertung (BFR), l'institut fédéral d'évaluation des risques, qui a réalisé l'évaluation des matières actives et a soumis son compte rendu à l'Efsa, l'autorité européenne de sécurité des aliments chargée de produire un rapport.

Récemment le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a publié dans le journal anglais The Lancet un article de deux pages sur plusieurs matières actives dont le glyphosate - soit peu de choses sur le glyphosate en tant que tel ! L'article le classe en catégorie 2A, soit cancérigène « probable » selon les normes du Circ. Cette opinion doit être resituée par rapport au processus de renouvellement décennal européen. Le document du BFR du 23 mars 2015 - j'en cite la traduction française réalisée par une experte traductrice assermentée auprès de la Cour d'appel - établit que « dans le cadre de la réévaluation de la substance du glyphosate par l'Union européenne, l'Allemagne étant l'Etat-membre rapporteur, l'Institut fédéral allemand pour l'évaluation des risques a été chargé de l'évaluation des risques pour la santé humaine et a déclaré que le glyphosate n'était pas cancérogène ». Il est appuyé en ce sens par d'autres institutions compétentes nationales, européennes et internationales d'évaluation sanitaire, notamment la réunion conjointe FAO-OMS sur les résidus de pesticides, qui a évalué le glyphosate à un autre moment.

Par ailleurs, le BFR indique que « la classification du glyphosate en tant qu'agent cancérogène du groupe 2A, telle que publiée le 20 mars 2015 dans la revue Lancet est surprenante » et que « la base de données sur laquelle repose l'évaluation par le Circ n'est malheureusement pas connue », car la publication du Lancet, seulement deux pages, comporte très peu d'éléments pour juger des bases de l'évaluation. Selon le BFR, pour l'heure, un examen global et scientifiquement sain des données et des arguments ayant débouché sur la conclusion du Circ est donc tout simplement impossible.

Le BFR a compilé « la base de données toxicologiques la plus complète au niveau mondial » concernant le glyphosate. Il estime qu'aux fins d'évaluation toxicologique et des risques d'une substance « il convient de prendre en compte l'ensemble de la base de données et non une sélection plus ou moins arbitraire d'études ». Selon lui, le risque évalué par le Circ s'appuie sur trois études épidémiologiques, alors que, « fondé sur l'évaluation de plus de trente études épidémiologiques, le rapport actuel du BFR à l'Union européenne est parvenu à la conclusion globale qu'il n'existe aucune relation validée ou significative entre l'exposition au glyphosate et un risque accru de lymphome non hodgkinien ou d'autres types de cancer ». Je ne suis pas cancérologue, je ne commenterai donc pas ces conclusions. Le BFR termine en indiquant qu'il procèdera à « un examen rigoureux de la classification publiée par le Circ une fois que la monographie sera mise à disposition ».

Quant à la présence de produits phytosanitaires dans l'air, les mesures de pollution de l'air ne sont pas systématiques dans les dossiers d'autorisation de mise sur le marché. Nos informations proviennent de l'interprofession. Depuis 2002, sur environ 150 000 analyses relatives à la présence de phytosanitaires, 90 % n'ont révélé aucune trace de produit dans l'air. Le syndicat interprofessionnel indique que dans les 10 % restants, le niveau s'élevait entre 0,01 et 0,04 nanogramme par mètre cube, sachant qu'un nanogramme correspond à un milliardième de gramme. Le taux est donc très faible, entre cent à mille fois plus faible que les taux des polluants existant par ailleurs dans l'air.

Plus spécifiquement, le glyphosate a quelques propriétés physico-chimiques mentionnées dans le dossier d'homologation comme la non-volatilité et la solubilité dans l'eau. Les chances d'en retrouver des traces dans l'air sont par conséquent très minces, à moins d'effectuer un relevé à proximité immédiate d'une pulvérisation sur un champ, car le produit se dégrade par oxydation photochimique. La demi-vie, mesurée par le temps de dégradation de la moitié de la quantité de glyphosate initialement présente, est d'une heure et six minutes, selon le dossier. Ces sujets sont également discutés dans le contenu même du dossier d'homologation soumis aux autorités compétentes européennes, allemandes en l'occurrence. Toutes les autorités compétentes des divers Etats-membres ont également la possibilité de consulter le dossier et de formuler leurs remarques pour enrichir le dossier et pour que nous y répondions, opportunité qu'a saisie l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) pour la France.

Debut de section - Permalien
Matthieu Beaulaton, directeur de la production des semences de grandes cultures de Monsanto

Monsanto compte onze sites de recherche et de production en France, mais le Roundup est fabriqué dans une usine dans le port d'Anvers, en Belgique, qui approvisionne tout le marché européen. Il n'y a donc pas de production de Roundup en France. En France, Monsanto produit des semences conventionnelles de maïs, de colza et de plantes potagères grâce aux deux unités principales de Peyrehorade, dans les Landes, et de Trèbes, près de Carcassonne, dans l'Aude.

Nos usines sont encadrées, à la demande de l'entreprise, par des certifications pour limiter les pollutions : certifications ISO 9001 relative à la qualité, OHSAS 18001 pour la sécurité des opérateurs et de nos opérations et ISO 14001 pour la protection de l'environnement. L'usine de Peyrehorade, notre centre de production principal, respecte les trois certifications, de même que l'usine d'Anvers pour le Roundup.

Quelques initiatives connues complètent ces certifications. Le plan qualité poussières est une certification française des outils industriels pour garantir l'absence d'émission de poussières nocives lors de la plantation ; l'Esta (European seed treatment assurance) est une certification européenne pour le traitement des semences. Enfin, Certiphyto sanctionne la formation des opérateurs aux bonnes pratiques d'utilisation des produits.

Nous sommes approvisionnés par un réseau d'agriculteurs multiplicateurs sous contrat avec Monsanto. Une fois séchées, sélectionnées et triées, et pour certaines enrobées de produits fongicides ou insecticides, les semences sont conditionnées dans des sacs en papier. Le process de triage est sec et repose sur un calibrage mécanique ; nous commençons également à utiliser des outils optiques, qui sont une voie d'avenir. L'enrobage s'accompagne d'un ajout d'eau pour l'application sur les semences, mais dans des quantités très limitées. Il s'agit donc d'un process propre, sans déchets.

Pour en venir aux émissions dans l'air, tous nos process sont sous aspiration. La dépression créée permet la collecte des poussières, y compris naturelles, qui sont ensuite aspirées vers des filtres à manche. Tous nos points d'émission d'air ou d'aspiration sont soumis à des tests annuels dont les modalités sont encadrées par un arrêté préfectoral. Les résultats sont publiés annuellement pour l'ensemble de nos usines.

Le plan qualité poussières a été lancé voici une dizaine d'années à l'initiative de l'Union française des semenciers (UFS), démontrant ainsi la volonté des professionnels d'assurer la maîtrise du risque d'émission de poussières pour les semences traitées aux phytosanitaires. Il comporte deux objectifs : renforcer les bonnes pratiques industrielles, et s'imposer un haut niveau d'exigence, afin de protéger l'environnement aussi bien que la santé des opérateurs dans nos usines.

Un audit annuel est conduit par le Groupement national interprofessionnel des semences et plants, le Gnis, à travers son organisme certificateur, le Service officiel de contrôle et certification (SOC), pour garantir le respect de ce référentiel. Les derniers audits, menés en février à Peyrehorade et en avril à Trèbes, ont donné lieu à la reconduction de la certification. Sont contrôlés la compétence du personnel, l'application des différents standards, les fiches de sécurité, les tests sur les poussières, la traçabilité et l'étiquetage, l'analyse des risques, le niveau de poussière dans les semences, etc. Chaque audit donne lieu à des recommandations et des observations, pour améliorer encore les process.

La société Monsanto a investi dans des outils performants en matière de protection de l'environnement. Je ne citerai qu'un exemple : à Peyrehorade, une chaudière biomasse permet de brûler les rafles de maïs, auparavant traitées comme des déchets, et de produire ainsi 15 000 mégawatts par an. Grâce à cela, nous diminuons notre consommation de gaz et notre empreinte écologique.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Pour commencer, pensez-vous que cette commission d'enquête - dont l'objet est le coût économique et financier de la pollution de l'air - vous concerne ? Je vous rappelle, pour la forme, que tout faux témoignage devant cette commission vous exposerait à des poursuites dans le cadre prévu par les articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Estimez-vous que certains des pesticides que vous vendez sont cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques ? Se retrouvent-ils dans l'air et dans les aliments ?

Vous avez écarté d'un revers de main les analyses du Circ. A vous entendre, on pourrait presque consommer du glyphosate, principal composant du Roundup, sans danger ! Je rappelle qu'entre 2008 et 2013, 138 392 tonnes de cette substance ont été épandues en France, ce qui en fait le pesticide le plus fréquemment utilisé, très loin devant le soufre, 37 822 tonnes. Pouvez-vous affirmer devant cette commission d'enquête que ces 138 392 tonnes d'une molécule considérée comme cancérigène par le Circ, utilisée dans l'agriculture mais aussi dans un cadre domestique, ne présentent aucun danger pour nos concitoyens ? Le taux de cancers est particulièrement élevé dans le Sud de la France, où l'activité agricole est importante. De plus, nous avons entendu au cours de nos auditions qu'un grand nombre de pesticides présentaient des effets cancérigènes. Je suis donc étonnée de votre présentation. Veuillez nous préciser votre position sur ce point, plutôt que de nous expliquer l'organisation de l'entreprise. Je rappelle que nous nous intéressons au coût économique et financier de la pollution de l'air.

Vous avez affirmé que d'après votre syndicat interprofessionnel, 90 % des 150 000 analyses conduites concluent à un très faible taux de pesticides dans l'air. Or l'ensemble des personnes que nous avons entendues attribuent la pollution atmosphérique pour un tiers à la circulation automobile, pour un tiers au chauffage et pour un tiers aux pesticides, qui ont joué un rôle particulièrement important dans le pic de pollution récemment constaté en Ile-de-France. Quel est le nom de ce syndicat ?

Debut de section - Permalien
Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles de Monsanto

Vous me demandez si le produit est mutagène, cancérigène ou reprotoxique...

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Je souhaite savoir si certains des pesticides que vous vendez présentent de tels effets.

Debut de section - Permalien
Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles de Monsanto

N'étant pas scientifique, je ne prétends pas me prononcer. Toutefois, notre entreprise demande des autorisations de mise sur le marché auprès des autorités compétentes de l'Union européenne et de ses Etats membres, comme de pays tiers. Ces autorités sollicitent l'avis scientifique de commissions d'experts. En l'occurrence, les conclusions du BFR sur le glyphosate sont tout à fait claires.

Nous utilisons le glyphosate depuis quarante ans. Les autorités compétentes et les comités scientifiques ont toujours conclu à l'absence d'effets cancérigènes et reprotoxiques. Même l'Anses, l'Efsa et, aux Etats-Unis, l'EPA (Environmental Protection Agency) ont rendu des avis en ce sens.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Dans ce cas, pourquoi observe-t-on en France un taux de cancers plus important parmi les agriculteurs qui utilisent des pesticides que dans le reste de la population ?

Debut de section - Permalien
Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles de Monsanto

Il existe une étude épidémiologique, dont je vous donnerai la référence, qui met en évidence une prévalence moins importante des cancers chez les agriculteurs que dans l'ensemble de la population. Notre syndicat interprofessionnel, pour les produits phytosanitaires, est l'Union des industries de la protection des plantes (UIPP).

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Vous avez affirmé que d'après 90 % des études, l'impact des pesticides dans la pollution de l'air était infime.

Debut de section - Permalien
Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles de Monsanto

J'ai signalé que d'après les chiffres fournis par l'UIPP, 90 % des 150 000 analyses conduites depuis 2002 mettent en évidence un impact infime des substances phytosanitaires dans la pollution de l'air.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Une étude conduite en 2011 par l'US Geological Survey Office a détecté des traces de pesticides dans 86 % des échantillons collectés dans le bassin du Mississippi. Confirmez-vous ces données ? Connaissez-vous le taux de présence du glyphosate dans l'air en France ?

Debut de section - Permalien
Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles de Monsanto

L'étude américaine que vous citez figure dans le dossier d'homologation que nous avons présenté aux autorités compétentes de l'Union européenne. Elle est donc partie intégrante de la discussion. Je précise néanmoins que les conditions sont très différentes entre nos deux pays. Ainsi, le traitement aérien est encore pratiqué aux Etats-Unis, mais pas en France.

Debut de section - Permalien
Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles de Monsanto

Ce n'est pas le cas pour le glyphosate. D'après des spécialistes, dans cette étude de 2011, le protocole et les méthodes d'analyse seraient critiquables. La méthode n'a pas été validée, notamment au point de vue de sa reproductibilité. Enfin, la pulvérisation des produits phytosanitaires doit respecter un certain nombre de bonnes pratiques, équipements et manipulation correcte afin que les gouttes aient une taille suffisante pour tomber sur la plante ou la mauvaise herbe à traiter.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Pourquoi ces précautions, si le produit n'est pas nocif ? Pour utiliser du sucre, je n'ai besoin ni de gants ni de masque. Pourquoi faut-il mettre en oeuvre un dispositif particulier lors de la manipulation de votre produit ?

Debut de section - Permalien
Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles de Monsanto

Les produits phytosanitaires ne sont pas anodins, ce qui nécessite de bonnes pratiques d'utilisation.

Debut de section - Permalien
Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles de Monsanto

Tout produit chimique qui n'est pas utilisé dans de bonnes conditions peut produire des effets.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Quels sont ces effets ? Je vous rappelle que vous avez la responsabilité d'informer les consommateurs sur les produits que vous vendez.

Debut de section - Permalien
Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles de Monsanto

Nous assumons cette responsabilité. L'étiquetage précise comment le produit doit être utilisé et stocké. Nous mettons également des outils d'information à la disposition des utilisateurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Vous ne répondez pas à ma question. Quels sont les effets de cette substance ? Monsanto vend des produits dont certains sont considérés comme toxiques. Vous évoquez des protocoles d'utilisation, tout en nous assurant de l'absence de toxicité du glyphosate. Quels sont les effets de cette substance ? En tant que professionnel, vous devez le savoir et informer les utilisateurs.

Debut de section - Permalien
Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles de Monsanto

Il existe de très nombreuses manières de mal utiliser un produit phytosanitaire. Il faut appliquer la bonne dose au bon moment. Si les doses sont excessives, cela produit naturellement des effets indésirables.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Lesquels ? Vous consacrez 11 % de votre chiffre d'affaires à la recherche-développement. Vous êtes sans doute en mesure de déterminer ces effets.

Debut de section - Permalien
Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles de Monsanto

C'est une question très générale. Les effets sont spécifiques à un produit et à un type d'utilisation.

Debut de section - Permalien
Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles de Monsanto

La pulvérisation du Roundup répond à des règles précises. Il faut bien régler le pulvérisateur. L'agriculteur doit utiliser une combinaison et des gants.

Debut de section - Permalien
Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles de Monsanto

Tout produit phytosanitaire doit être utilisé avec précaution. De la même façon, un médicament mal utilisé peut produire des effets inattendus.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Quels sont les effets sur l'environnement d'une mauvaise utilisation du Roundup ?

Debut de section - Permalien
Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles de Monsanto

Si un pulvérisateur est mal réglé, le glyphosate peut se retrouver dans l'air, ce qui n'est pas souhaitable.

Debut de section - Permalien
Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles de Monsanto

Le produit n'est pas fait pour se retrouver dans l'air.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Mais il n'a pas d'effets cancérigènes, comme vous l'avez souligné.

Debut de section - Permalien
Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles de Monsanto

S'il n'est pas utilisé correctement, il peut avoir d'autres effets, comme des irritations de la peau.

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Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles de Monsanto

C'est le cas de tous les produits, chimiques mais aussi naturels.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Vous êtes la première des personnes auditionnées à affirmer que, si le pulvérisateur est bien réglé, le produit se dépose à 100 % sur la plante. En réalité, jusqu'à 40 % du produit n'atteint pas la plante...

Je m'apprêtais à vous demander quelles actions votre entreprise mettait en oeuvre pour limiter les effets polluants du produit mais à vous entendre j'ai le sentiment que ces effets n'existent pas. Confirmez-vous cette interprétation ?

Enfin, mesurez-vous la qualité de l'air sur vos sites, dont certains sont confinés ? Vos collaborateurs qui manipulent les semences portent-ils des masques ?

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Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles de Monsanto

Je dois préciser mon propos. Un bon réglage du pulvérisateur assure que l'essentiel de la matière se dépose sur la plante. Mais le Roundup est un désherbant, appliqué sur des plantes dispersées. Il peut donc naturellement se retrouver sur le sol.

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Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles de Monsanto

Il est recommandé de traiter un champ lorsque le vent est nul ou peu important. Il existe trois voies par lesquelles le glyphosate peut passer dans l'air : un coup de vent inapproprié ; la volatilité, qui est une propriété physico-chimique ; une érosion du sol, qui favorise la dispersion des particules. Dans ces conditions, la présence de glyphosate dans l'atmosphère est toujours possible.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Vous n'avez pas toujours dit cela au cours de l'heure qui vient de s'écouler...

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Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles de Monsanto

Je me suis peut-être mal exprimé. Concernant la mesure de la présence de produits phytosanitaires dans l'atmosphère, le protocole utilisé joue un grand rôle. Si la mesure est effectuée à proximité de la source et juste après la pulvérisation, il existe de fortes chances que le glyphosate soit présent. Trois jours après, ces chances sont bien moindres.

Quant aux effets polluants, les autorités compétentes s'intéressent particulièrement à la présence du produit dans les eaux de surface. Quand le produit est pulvérisé dans un champ, l'érosion ou un déplacement de la pulvérisation peuvent entraîner une pénétration dans les eaux de surface, comme une rivière ou des ruisseaux à proximité.

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Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles de Monsanto

Ce risque existe pour les eaux de surface.

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Matthieu Beaulaton, directeur de la production des semences de grandes cultures de Monsanto

Ils sont confinés et nous utilisions un processus simple, sec et reposant sur l'aspiration. Néanmoins, nos opérateurs portent un équipement de protection individuel composé d'un casque, de lunettes et de chaussures de sécurité. Ils sont munis d'un masque lors des opérations de nettoyage. Ces équipements sont portés sept jours sur sept et toute l'année. Le taux de poussières dans l'air et la composition de celles-ci sont régulièrement analysés, je l'ai dit. La période des récoltes donne lieu à des arrivées importantes de semences sur les sites. Nous procédons alors à des piégeages de poussières à la périphérie de nos sites, afin d'éviter la pollution des environs.

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Matthieu Beaulaton, directeur de la production des semences de grandes cultures de Monsanto

Nous installons aux limites de propriété des boîtes dont la forme est analogue à celle des boîtes de Petri.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Encore deux questions. Quel chiffre d'affaires avez-vous réalisé en France en 2014 ? Et conseilleriez-vous à des femmes enceintes et à des enfants en bas âge de rester présents pendant les épandages de Roundup, ou de déjeuner à proximité ?

Debut de section - Permalien
Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles de Monsanto

Je ne conseillerais à personne de rester près des chantiers d'épandage. Des distances sont du reste ménagées par certains agriculteurs durant toute l'opération.

Notre chiffre d'affaires n'est pas consolidé au niveau français. En 2014, il était de 15 milliards de dollars dans le monde. Dans notre découpage interne, la région Union européenne, Moyen-Orient et Afrique représente 15 % de ce total. La France a un poids important dans ce sous-ensemble.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Les semences que vous recevez de vos agriculteurs présentent-elles des traces de glyphosate ? Les piégeages que vous effectuez, en intérieur et en extérieur, doivent vous permettre de le déterminer ?

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Matthieu Beaulaton, directeur de la production des semences de grandes cultures de Monsanto

Nous n'en avons pas retrouvé.

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Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles de Monsanto

Le glyphosate étant un désherbant systémique, il ne doit pas être appliqué sur les cultures qui produisent les semences.

Debut de section - Permalien
Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles et industrielles de Monsanto

Si cela devait arriver, les traces seraient extrêmement faibles.

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Matthieu Beaulaton, directeur de la production des semences de grandes cultures de Monsanto

Le glyphosate appliqué avant le semis s'inactive au contact du sol. Il est très peu probable d'en retrouver des traces, d'autant plus que la récolte intervient au moins quatre mois après la plantation des semences.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Je vous remercie de votre collaboration.

La réunion est levée à 19 heures.