La réunion est ouverte à 9 h 30.
Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective depuis le 1er mai 2013.
Je rappelle que France Stratégie est un organisme de réflexion, d'expertise et de concertation placé auprès du Premier ministre, qui se veut à la fois un outil de concertation au service du débat social et citoyen, et un outil de pilotage stratégique au service de l'exécutif. Vous êtes donc au coeur du travail de réflexion sur la stratégie de développement de notre pays, à la croisée des problématiques économiques, sociales et environnementales.
Monsieur le commissaire général, nous souhaiterions vous entendre sur certaines questions qui relèvent plus particulièrement du champ de compétence de notre commission :
- tout d'abord, le sujet de la réindustrialisation de la France. Quels sont les atouts et les handicaps du pays dans ce domaine. Le mouvement de désindustrialisation en cours depuis trente ans peut-il s'inverser ? Les politiques menées dans ce domaine par les pouvoirs publics depuis plusieurs années portent-elles des fruits ?
- ensuite, les perspectives de l'économie française à moyen-long terme : quel niveau de croissance alors que le Fonds monétaire international (FMI) prévoit désormais un taux de croissance d'1,5 % pour 2016 ? Quelles perspectives pour l'emploi ? Quels changements majeurs dans les modes de production, de distribution et de consommation ? Quelle place pour la France dans l'économie mondiale ? A-t-on une idée de ce que sera la France économique de 2020-2030 ?
Merci monsieur le Président. Comme vous l'avez dit, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, ou « France Stratégie » pour l'appeler par son nom d'usage qui a le mérite d'être plus ramassé, est un organisme de concertation et de réflexion qui a pour but de nourrir le débat mais qui est aussi au service des assemblées parlementaires ; c'est pourquoi je suis heureux et honoré d'être devant vous ce matin.
La désindustrialisation, c'est-à-dire la baisse de la part de l'industrie dans la valeur ajoutée ou dans l'emploi total, est un phénomène général qui touche toutes les économies, en particulier les économies avancées. Les causes en sont largement communes : la demande se tourne davantage vers les services sous l'effet de l'évolution démographique, de la hausse du revenu par habitant et de l'évolution des modes de vie ; les gains de productivité plus rapides dans l'industrie, phénomène séculaire, réduisent progressivement la part des emplois industriels ; enfin, une part du recul tient à des facteurs partiellement « artificiels » liés à l'externalisation de certains services. Avec l'abandon du modèle d'entreprise intégrée, de nombreux services sont désormais confiés à des sous-traitants, ce qui a pour effet de faire passer un certain nombre d'activités, en comptabilité nationale, de la branche de l'industrie vers celle des services. Or, ce reclassement comptable ne correspond pas, en réalité, à une véritable désindustrialisation.
Si le phénomène est général, la tendance est néanmoins plus marquée en France : l'indice de la production industrielle est en deçà de son niveau de 2007 et proche du niveau d'il y a vingt ou vingt-cinq ans. Il s'agit là d'une stagnation prolongée, après la chute importante - de l'ordre de quinze points - que nous avons connue avant la crise financière. Dans le même temps, l'Allemagne a aussi connu une baisse de la part de l'industrie dans l'emploi total mais dans des proportions moindres : au cours des vingt dernières années, la baisse a atteint 5 points en France contre 3,5 en Allemagne mais en partant d'un niveau nettement plus élevé, de l'ordre de 17 % à 18 % de l'emploi total. Quant à la part de l'industrie dans la valeur ajoutée, elle est stable en Allemagne mais déclinante en France. On observe ainsi une concentration de l'activité industrielle dans la zone euro qui bénéficie tout particulièrement à l'Allemagne. Toujours par comparaison, la tendance française est assez proche de ce que l'on constate aux États-Unis, encore que l'évolution récente de l'industrie américaine soit un peu plus favorable sous l'effet, notamment, de la disponibilité d'une énergie à bas coût.
Si la baisse de la part de l'industrie française a été marquée au cours de la décennie 2000, on observe depuis 2010 une certaine stabilisation. Des efforts de redressement ont été engagés au cours du quinquennat précédent et poursuivis au cours du quinquennat actuel, qu'il s'agisse de la mise en oeuvre du crédit d'impôt recherche (CIR), des efforts d'organisation au travers du Conseil national de l'industrie, du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ou du plan industriel. Mais la raison de la spécificité française en la matière, c'est évidemment la compétitivité.
Ce phénomène est-il inquiétant ? Je n'ai pas la religion de l'industrie, c'est-à-dire que je ne crois pas que la production de biens industriels soit, par nature, préférable à la production de services. Néanmoins, l'industrie reste un secteur décisif pour nos exportations ; c'est aussi un secteur d'innovations à l'origine de gains de productivité et facteur de progrès pour l'ensemble de l'économie. Or, notre industrie est aujourd'hui menacée par une sorte d'« effet de seuil » : à force de reculer, c'est le tissu d'entreprises spécialisées, de sous-traitants et plus généralement de compétences qui disparaît. Une fois passé sous un seuil critique, il sera difficile de revenir en arrière, ne serait-ce qu'en termes de formation, le risque de désaffection pour les métiers industriels étant réel. Au total, il s'agit donc d'une situation inquiétante sur laquelle il nous faut agir.
Il est particulièrement bienvenu que le thème de la compétitivité figure désormais au coeur du débat public. La compétitivité revêt plusieurs dimensions : pour la mesurer, le solde extérieur ne constitue pas nécessairement un bon indicateur - il n'est qu'à voir le cas de l'Espagne dont le passage d'un déficit courant de dix points à un excédent est largement dû à une forte compression de la demande intérieure. À cet égard, l'évolution des parts de marché à l'international est un meilleur indicateur lorsqu'on l'apprécie au regard des performances des autres économies avancées, dès lors que leur part de marché globale baisse inévitablement au profit des économies émergentes.
La compétitivité coût et la compétitivité hors coût sont par ailleurs très fortement liées. En la matière, l'Allemagne fait figure de modèle puisque ses positions dominantes sur de nombreux biens manufacturés lui permettent d'imposer ses prix. C'est aussi le cas en France mais dans un nombre beaucoup plus restreint de secteurs. Il faut donc faire en sorte de renforcer la singularité de nos produits. En effet, lorsqu'une entreprise a une rentabilité insuffisante, elle n'est pas en position de créer, d'innover ; sa gamme de produits est alors davantage concurrencée sur les prix, sa capacité à innover réduite d'autant et ainsi de suite. C'est ce cercle vicieux que l'on observe dans un certain nombre de secteurs industriels.
Lorsque l'on cherche à expliquer notre déficit de compétitivité, on pense immédiatement aux différences de coûts salariaux. Cette analyse est en fait trop étroite car le coût d'un produit industriel résulte aussi d'autres facteurs : coût des matières premières, valeur ajoutée ou encore coût des intrants que sont les services fournis à l'industrie. Or, si les coûts salariaux dans l'industrie manufacturière sont aujourd'hui au même niveau en Allemagne et en France, le coût des intrants en France est nettement plus élevé, qu'il s'agisse des services les plus basiques, tels que le nettoyage des locaux, aux services à plus forte valeur ajoutée, tels que les services comptables. Ce renchérissement des coûts ne vient donc pas de l'industrie elle-même mais de son environnement économique. S'y ajoutent un prix du foncier élevé ainsi que des prix de l'énergie qui, s'ils nous ont longtemps été plus favorables, le sont moins désormais. Sur ce dernier point, la transition énergétique allemande a certes augmenté fortement les prix de l'énergie dans le pays mais les surcoûts y sont essentiellement payés par les ménages, ce qui a permis de préserver l'industrie.
La distribution des salaires dans l'industrie diffère aussi sensiblement entre l'Allemagne et la France : les salariés allemands très qualifiés, à l'origine de la compétitivité hors coût, y sont mieux payés que leurs homologues français ; à l'inverse, les salariés peu qualifiés sont moins bien rémunérés que chez nous. En outre, les salaires relatifs entre l'industrie et les autres secteurs sont à l'avantage du secteur industriel en Allemagne alors que c'est l'inverse en France.
Aussi notre analyse nous conduit-elle à mettre l'accent sur la distinction entre les secteurs potentiellement exportateurs, qu'il faut encourager, et les secteurs non exportateurs que nous avons sans doute trop privilégiés alors qu'il s'agit d'activités moins risquées, moins sujettes à des mutations technologiques, où la concurrence est moins vive et où, par conséquent, les marges sont spontanément plus favorables. À l'opposé, pour développer les secteurs exportateurs, où la bataille est plus rude et où les risques sont plus grands, il faut favoriser l'allocation du travail et du capital dans ces secteurs en les rendant plus attractifs. C'est pourquoi nous pensons qu'il faut opérer ce rééquilibrage entre secteurs exportateurs et non exportateurs.
Se pose aussi la question du socle de compétitivité de notre économie. À vrai dire, je serais très surpris si l'on parvenait à revenir au niveau de part de l'industrie dans la valeur et dans l'emploi d'il y a vingt ans, ni même à retrouver le même ratio qu'en Allemagne aujourd'hui. Il ne faut pas se nourrir d'illusions. En revanche, il est indispensable de réfléchir à un élargissement de notre socle de compétitivité ; je pense en particulier à des services qui n'étaient traditionnellement pas exportables mais qui, sous l'effet des bouleversements technologiques, le deviennent, y compris dans les secteurs de la santé ou de l'éducation. Il ne faut pas raisonner simplement sur l'industrie ou sur l'agro-alimentaire.
S'agissant du CICE, j'ai été chargé de présider le comité de suivi prévu par la loi et composé de partenaires sociaux, de représentants de l'administration ainsi que de quatre parlementaires - deux députés et deux sénateurs, de la majorité et de l'opposition. Nous avons remis en septembre notre troisième rapport avec pour ambition de nourrir la réflexion sur l'évolution du dispositif et de fournir des éléments factuels. Simplement, nous sommes aujourd'hui encore tributaires des données : or, les informations individuelles sur les entreprises pour l'année 2013, première année d'application du CICE, ne seront disponibles que l'an prochain. À défaut, nous avons donc conduit des enquêtes sur les intentions des chefs d'entreprises et sur la façon dont ils s'approprient le dispositif mais il ne s'agit encore que d'éléments très partiels et non de faits.
En matière de perspectives de croissance, le FMI vient de publier, comme vous l'avez rappelé monsieur le Président, ses prévisions. Encore une fois, la croissance mondiale déçoit en raison du ralentissement observé dans les économies émergentes, notamment en Amérique latine, avec un Brésil en récession, ou en Russie. Or, la contribution des pays émergents à la croissance mondiale n'a cessé d'augmenter au point d'en être devenu le moteur principal : dans les années 1990, les économies avancées représentaient la moitié de la croissance mondiale et les économies émergentes l'autre moitié ; entre 2000 et 2007, les premières n'en représentaient plus qu'un tiers et les secondes les deux tiers ; entre 2012 et 2015, une fois passé le choc lié à la crise financière, les pays émergents sont désormais à l'origine de 80 % de la croissance mondiale. Pourquoi ce moteur s'essouffle-t-il ? Alors que les gains de productivité, le développement du commerce mondial et l'ouverture des chaînes de valeur internationale avaient tiré leur croissance dans les dernières décennies, ces différents facteurs s'épuisent : le commerce mondial croît moins rapidement, les phénomènes de redistribution des chaînes de valeur ont probablement atteint un « plateau » et les gains de productivité ralentissent. L'attention se porte tout particulièrement sur la Chine pour laquelle le FMI prévoit encore 6,8 % de croissance, ce qui est encore relativement optimiste bien que le gouvernement chinois tente par tous les moyens, y compris les plus artificiels, de retarder un ralentissement qui semble pourtant structurel.
Jusqu'à présent, la France bénéficie des effets positifs liés à la baisse du prix du pétrole et des matières premières mais subira aussi le contrecoup du ralentissement de la croissance mondiale.
S'agissant des économies avancées et de l'évolution de leurs gains de productivité, personne ne comprend aujourd'hui véritablement ce qui se passe. Ces économies ont connu un ralentissement assez général, bien que d'inégale intensité, de leurs gains de productivité qui a commencé, aux États-Unis, dès avant le choc de 2008 après la grande vague de productivité des années 2000 à 2005. Après 2008, on observe des évolutions très curieuses : au Royaume-Uni, la croissance crée beaucoup d'emplois mais pas de gains productivité ; en Espagne, le secteur de la construction s'est effondré donc les gains ont été mécaniquement importants ; aux États-Unis, en Allemagne et en France, les gains de productivité sont limités, ce qui est paradoxal dès lors que l'on assiste dans le même temps à l'apparition de nouveaux services et à une vague de progrès technologiques qui devraient logiquement se traduire par des destructions d'emplois et des gains de productivité importants. Il est possible que la difficulté à expliquer ce paradoxe résulte de problèmes de mesure de la productivité ; l'OCDE défend quant à elle la thèse d'un ralentissement de la diffusion des innovations dans l'économie, les entreprises leaders faisant toujours des gains importants de productivité mais l'écart avec les autres ayant tendance à s'accroître.
C'est pourquoi les prévisions de croissance doivent être considérées avec prudence. Elles s'appuient sur les tendances récentes observées pour les gains de productivité, qui sont faibles, mais qui comportent une marge d'incertitude forte, à la hausse comme à la baisse. Sur un certain nombre de questions, comme celle de la détermination du potentiel de croissance à moyen terme ou du seuil à partir duquel la croissance économique crée de l'emploi, nous n'avons pas de certitudes robustes.
Quelques mots pour finir sur l'économie française. En se basant sur les derniers chiffres trimestriels disponibles, on observe, sur un an, une accélération de la croissance, qui atteint 1% cette année. C'est mieux que lors des années précédentes, mais cela reste inférieur à la croissance observée dans les pays voisins. Et est-il insuffisant ? Après des années de stagnation, parvenir à 1 ou 1,5 % de croissance est appréciable. Toutefois, nous connaissons un niveau de chômage encore important et la croissance reste encore trop faible au regard d'un tel niveau.
Je souhaiterais revenir sur la mesure de l'impact du CICE. Vous avez souligné qu'elle est encore embryonnaire, bien que nous arrivions au terme de la troisième année de la mise en oeuvre du dispositif, car on ne dispose pas encore des données individuelles qui permettraient une évaluation complète et rigoureuse. Compte tenu des sommes en jeu, de l'ordre de 12 à 13 milliards d'euros par an, nous avons cependant besoin de connaître les tendances rapidement. Les entreprises utilisent-elles ces sommes pour investir, embaucher ou pour renforcer leurs marges ? Sans attendre encore plusieurs années une évaluation complète, je peux déjà indiquer que nous remontent des chefs d'entreprises certaines doléances concernant la lourdeur administrative du dispositif, ainsi que le sentiment d'une duperie, dans la mesure où les sommes reçues au titre du CICE sont en quelque sorte reprises par l'État par le biais d'autres dispositifs -je pense notamment à la taxe additionnelle à l'impôt sur les sociétés. Donc les entreprises nous disent qu'il aurait été plus simple de baisser les charges.
Je souhaite aussi revenir sur la notion de seuil critique que vous avez utilisée concernant la désindustrialisation. Parmi les compétences dont l'absence ou l'insuffisance rend la poursuite d'une activité industrielle impossible, il y a bien sûr la qualification de la main-d'oeuvre. Il faut un vivier de jeunes formés aux métiers de l'industrie pour que des industriels s'installent ou restent en France. Or, comme l'a rappelé une table-ronde récente organisée par la délégation aux entreprises du Sénat, la France souffre d'un déficit dans le domaine de l'apprentissage, singulièrement dans les métiers qui intéressent l'industrie. Selon l'économiste Bertrand Martinot, il y a ce qu'on pourrait appeler une règle des « trois » : il y a trois fois plus d'apprentis en France en Allemagne ; le coût par apprenti est trois fois plus élevé chez nous que chez notre voisin d'outre-Rhin et il y a trois fois plus de jeunes au chômage en France qu'en Allemagne. Le développement de l'apprentissage me paraît donc constituer un enjeu stratégique. Est-ce un sujet dont France stratégie est saisie ?
Dans une interview désormais ancienne, vous faisiez remarquer que si 60 % de la création de richesses se fait dans les métropoles, les territoires hors métropole représentent néanmoins une part importante de la production nationale. Parmi des exemples d'organisation économique possibles pour les territoires, vous citiez le cas de l'aéronautique où les donneurs d'ordre travaillent avec des sous-traitants répartis sur le territoire hors-métropoles. Cette organisation territoriale de la production est-elle encore pertinente ? Quelle est la vision de France stratégie concernant les territoires ruraux et hyper ruraux ?
Concernant l'impact sur l'emploi des technologies émergentes, je pense à la numérisation, à la robotisation, à l'intelligence artificielle, certains spécialistes anticipent la disparition de millions d'emplois. Quelles préconisations faites-vous pour appréhender ces transformations ?
Concernant la mesure de la richesse, votre haut-commissariat préconise de recourir à un tableau de bord comprenant dix indicateurs pour compléter la mesure du PIB. Comment faire pour que ces indicateurs deviennent des outils incontournables de pilotage de l'action économique et sociale.
Je souhaite revenir sur la tonalité pessimiste de vos propos concernant l'avenir industriel de la France. Je suis convaincu que notre avenir est lié à notre industrie. Considérez que les pays qui ont le mieux surmonté la crise financière de 2007-2008 sont ceux qui avaient un socle industriel solide. Il faut miser sur les industries de l'avenir bien sûr, investir sur les secteurs industriels moteurs. L'effort d'investissement dans ce domaine doit être une priorité absolue. Pensez-vous que le CICE devrait être fléché sur cet effort d'investissement justement ?
S'agissant des PME, pensez-vous que notre politique est assez marquée ? Les grands groupes, de plus en plus présents sur les marchés émergents, suppriment de nombreux emplois chez nous, alors que les PME, qui sont les principales créatrices d'emplois, rencontrent des problèmes structurels. Comment aller plus loin pour soutenir le développement de ces entreprises ?
Enfin, sur les entreprises innovantes, en faisons-nous assez ?
Comme mon collègue, je regrette de ne pas percevoir dans vos propos le caractère d'absolue nécessité de la reconquête industrielle.
Concernant la formation, je rejoins les interrogations d'Élisabeth Lamure. Comment donner l'envie aux jeunes de se tourner vers les formations industrielles ?
Je voudrais également vous interroger sur l'assise territoriale de la compétitivité. Il n'y a pas d'entreprise durablement compétitive qui ne s'appuie sur la compétitivité d'un territoire, car ses propres performances dépendent de la disponibilité d'une main-d'oeuvre qualifiée et efficace, d'infrastructures collectives de transport ou d'énergie, etc. Prenez-vous en compte cet enjeu ?
Enfin, pourriez-vous nous parler de la relocalisation. Y a-t-il une tendance de fond à la relocalisation au-delà de quelques exemples de réussites mis en avant par les médias ? A-t-on des données sur la question ?
Concernant la réduction des dépenses publiques, le programme de stabilité 2014-2017 prévoit une baisse des dépenses publiques de trois points de PIB sur la période. Dans une récente étude, vous avez indiqué qu'il est préférable, pour réduire les dépenses publiques, de faire des arbitrages stratégiques plutôt que d'utiliser la technique du rabot, c'est-à-dire d'opérer une baisse uniforme des dépenses. Quels seraient selon vous ces choix stratégiques ?
Concernant la mesure de la qualité de la croissance, vous avez défini un tableau de bord de dix indicateurs. Comment va-t-il être utilisé ?
Je n'ai pas senti dans vos propos que la priorité industrielle était un credo. Or, le dynamisme économique repose sur la production matérielle. Permettez que je prenne l'exemple de Morez. Trois mille emplois dans la lunetterie il y a quelques années, à peine mille à mille cinq cents aujourd'hui. Derrière, c'est triste... Donc il faut sauvegarder tous les secteurs d'activité. Même la transformation de nos produits se fait de plus en plus souvent dans les pays voisins. Abattoirs, meunerie, transformation du bois dont nous sommes de gros producteur : toutes ces activités partent de plus en plus souvent à l'étranger. Est-ce cela la France de demain ?
Ma première question porte sur le CICE : à défaut d'évaluation complète, dispose-t-on de tendances concernant son utilisation par les entreprises ? Y a-t-il des différences sectorielles ? Stimule-t-il le développement des exportations ?
Concernant le domaine de l'énergie, vous avez récemment parlé de crise de l'énergie en Europe et soulevé le problème posé par l'absence d'une politique européenne de l'énergie commune. Quelles sont les voies pour sortir de cette crise et avancer vers une politique de l'énergie intégrée ?
Je suis saisi de vertige devant les perspectives qui attendent notre économie. La contrainte de compétitivité pousse au développement de l'innovation, de l'automatisation, de la robotisation non seulement en agriculture, mais plus largement dans toute l'économie. Le secteur agricole perd vingt mille emplois par an. Une étude menée par l'Université d'Oxford estime que 42 % des emplois français sont soumis à une probabilité forte d'automatisation. Les robots de nouvelle génération pourraient traiter 25 % des tâches automatisables d'ici 2025, ce qui engendrerait la perte de trois millions d'emplois à cet horizon. Comment répondre à cette problématique ?
Monsieur Pisani-Ferry, comme plusieurs de mes collègues, j'ai ressenti dans votre intervention devant la commission un certain pessimisme par rapport à l'industrie, que je ne partage pas : c'est toujours la production de biens qui crée de la richesse. Mais nous payons aujourd'hui les choix du passé, lorsque l'on nous a expliqué que notre pays n'était plus destiné à l'industrie et qu'il devait se concentrer sur le tourisme, les services et la finance ; on en constate aujourd'hui les dégâts, car ce faisant, on a encouragé le départ de notre industrie vers d'autres cieux où les coûts de main d'oeuvre étaient les moins élevés.
On ne peut que déplorer que la seule réflexion qui soit menée depuis plusieurs dizaines d'années porte sur le coût du travail. Or, la part des salaires et des cotisations sociales, qui était de 74 % en 1982, est tombée à 60 % aujourd'hui, la différence ayant été répercutée sur les profits. Ne faut-il pas mener une réflexion sur les autres moyens d'aider l'industrie, notamment en facilitant son financement ? Il faut s'interroger sur le rôle des banques, qui doivent aider les PME à financer les achats de machines qui vont ensuite leur permettre de créer des emplois. Y a-t-il une réflexion actuelle sur la capacité de consommer des gens ? La question se pose en France comme à l'étranger.
Par ailleurs, l'industrie évolue évidemment en permanence et l'on ne saurait prôner un retour à l'industrie du passé. Mais n'y a-t-il pas une réflexion à mener sur les gisements d'emplois liés à la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique, notamment dans les secteurs du bâtiment et des transports ?
Je rejoins ce qui a été dit précédemment par mes collègues : le sentiment que nous partageons est que le constat que vous nous proposez est celui d'une société « peace and love ». Je ne conteste pas la pertinence de votre analyse sur la compétitivité et la croissance, mais il n'y a, dans votre présentation, rien qui peut nous permettre d'agir. Cela est décourageant pour dresser des perspectives. Alors, faites-nous part de votre avis d'expert sur les trois ou quatre axes stratégiques que vous proposez aux politiques pour prendre les décisions les plus pertinentes.
Je suis sur la même tonalité que mon collègue : les élus des territoires que nous sommes sont résolument optimistes et déterminés à accompagner une évolution industrielle qui doit être soutenue et défendue, plutôt que de renoncer purement et simplement à la réindustrialisation de notre pays. Nous avons conscience que l'industrie de demain ne ressemblera pas à celle d'hier, mais la France, comme tous les pays qui ont l'intention de rester des grands pays en matière économique, doit se poser la question de savoir quelle sera demain son industrie.
Dans le Nord, l'industrie est certes beaucoup plus présente que dans d'autres territoires de métropole ; mais l'avenir de l'industrie s'y pose aussi. Prenez l'exemple de l'entreprise Vallourec, qui fournit des biens pour un secteur en difficulté, l'industrie pétrolière, et qui de ce fait risque de voir son périmètre d'activité décliner : cette entreprise compte 1 000 emplois, mais fait également appel à un réseau de 250 PME sous-traitantes ou qui lui fournissent des services. Dire que l'industrie n'a plus sa place dans notre pays, c'est mettre en péril un pan significatif de notre économie. Si l'activité de production actuelle ne pourra sans doute pas se maintenir dans les mêmes conditions, eu égard aux coûts de production dans d'autres pays, on voit bien malgré tout que les enjeux environnementaux, la réalité climatique, notamment discutés dans le cadre de la COP 21, vont conduire à remettre à l'ordre du jour l'idée que le lieu de production doit être proche du lieu de consommation.
Dans ce cadre, l'idée d'une taxe carbone est-elle définitivement abandonnée ? Aujourd'hui, on abandonne peu à peu notre filière acier : doit-on l'abandonner totalement ou au contraire conserver un socle minimum de notre tissu industriel et de nos outils de production sur le territoire national, quitte à le restructurer afin de le rendre plus compétitif et mutualisé, pour conserver une capacité à produire et notre ingénierie ? A force de fermer nos aciéries, on risque de perdre totalement nos capacités en matière de recherche et d'innovation, alors que nous en aurons sans doute besoin à l'avenir. C'est peut-être difficile d'assurer aujourd'hui ce socle minimum, mais il ne faut pas capituler. Alors, comment garder une industrie axée sur des niches à forte valeur ajoutée, qui permettront de conserver notre savoir-faire et notre excellence nationale sur des domaines fondamentaux ?
J'ai eu l'occasion d'assister à l'une de vos interventions antérieures, M. Pisani-Ferry, au cours de laquelle vous indiquiez que le seul avenir était dans les métropoles et les concentrations urbaines ; cela m'avait semblé, à l'époque, très éloigné de la réalité. Je serai donc heureux aujourd'hui d'entendre votre réponse aux interrogations soulevées par notre collègue M. Montaugé sur l'avenir industriel des territoires ruraux.
Je reconnais, comme mes collègues, la qualité de votre expertise, mais nous sommes très demandeurs des pistes d'évolution que vous pourriez suggérer, étant entendu que des mesures ont déjà été prises en la matière, comme le CICE. Votre travail d'expertise doit vous conduire à préconiser des pistes d'évolution dont, le cas échéant, nous serons les relais au plan politique.
Nous avons abandonné certaines productions parce qu'à un moment donné, les produits français étaient plus chers que les produits importés. C'est le cas, par exemple, des cannes à pêche : nous avons abandonné ce marché il y a environ 25 ans car des produits importés moins chers étaient disponibles ; mais aujourd'hui, ces produits étrangers sont devenus eux-mêmes très coûteux. Or, il y a certainement une place en France pour des industries qui produiraient des produits de même qualité et au même prix, et qui trouveront sans difficulté une clientèle.
Les rôles de l'expert et du politique sont évidemment différents : il appartient aux politiques de prendre des décisions, dans l'intérêt général de la nation, mais il est indispensable que les experts formulent des orientations qui sont autant d'outils d'aide à la décision stratégique.
Lorsque l'on regarde la situation de la France, il ne faut pas oublier que nous avons une évolution démographique favorable à moyen terme, mais qui peut être pénalisante à court terme. Ainsi, dans notre pays, le taux de chômage baisse moins, pour cette raison, que dans d'autres pays comme l'Allemagne, qui ne connaît pas la même situation démographique. Il faut donc en tenir compte dans l'analyse afin que celle-ci soit pleinement objective.
Dans le domaine de l'industrie, le principe de confiance est fondamental. Dans la région de Saint-Nazaire, par exemple, l'on a des entreprises tournées vers l'avenir, notamment dans les domaines de la construction navale ou de l'aéronautique. Ces entreprises, pour être performantes, doivent toujours anticiper par rapport aux productions étrangères, et seuls la formation et les investissements dans des produits nouveaux à forte valeur ajoutée peuvent permettre une telle anticipation. Mais pour cela, il faut croire en l'industrie et communiquer auprès des jeunes pour leur faire prendre conscience que l'industrie n'est plus ce qu'elle était il y a cinquante ans.
En outre, dans notre pays, entre 80 et 90 % des emplois proviennent des PME, PMI et des ETI. Il faut un « big bang stratégique » en faveur de ces entreprises, associant les banques et les collectivités territoriales, afin de faciliter leur trésorerie. Elles rencontrent en effet aujourd'hui trop de difficultés à obtenir des financements, alors même que leurs carnets de commande sont remplis.
Je ne peux que marquer mon accord avec la vision qu'ont mes collègues du monde de l'entreprise et de l'industrie.
S'agissant de la question de l'égalité des salaires entre la France et l'Allemagne, nous avions constaté dans le cadre de nos travaux d'information antérieurs, que l'on se situait à une moyenne de 30 € de l'heure dans les deux pays. Mais ce qu'il faut rappeler, c'est que les charges sur les salaires y sont complètement différentes et qu'il existe un écart très important avec l'Allemagne, ce qui explique que les ETI allemandes ont trois fois plus de marge que les ETI françaises et que les PME françaises ont quatre fois moins de marge que les PME allemandes. Il y a également un fort différentiel de fiscalité : les PME ont une fiscalité disproportionnée par rapport à celle des grands groupes, qui peuvent défiscaliser à l'étranger. Il faut mettre un terme à cette inégalité flagrante, et il est regrettable que vous ne l'ayez pas souligné dans votre intervention.
Les contraintes réglementaires qui pèsent sur les entreprises sont également un frein très important à leur développement. La réglementation sur le pyrèthre en est un exemple parmi d'autres : les entreprises qui produisent des insecticides à base de pyrèthre sont entravées dans leur développement par des règles mises en place afin de lutter contre des produits originaires des États-Unis. De même, les entreprises de meunerie doivent supporter un versement de 15,5 € par tonne au profit de la mutualité sociale agricole, alors que les farines provenant d'entreprises implantées en Allemagne et en Espagne, qui représentent 40 % du marché français, n'y sont pas soumises. Ainsi, 250 moulins ont dû arrêter leur activité dans les six dernières années. Il faut sauver les PME qui valorisent notamment le patrimoine agricole français.
Compte tenu de la mission de France Stratégie en matière de prospective, des liens sont-ils établis avec le commissariat général à l'investissement, qui gère les 36 milliards d'euros d'investissements d'avenir ?
S'agissant des exportations des produits agricoles et agro-alimentaires, je rappelle qu'il y a six ans, les gains que nous avions dans ce secteur s'élevaient à 12 milliards d'euros ; désormais, ces gains se montent seulement à 9,2 milliards d'euros. Par ailleurs, on comptait 5,2 millions d'emplois industriels en 1980 et aujourd'hui 2,2 millions. Ces chiffres sont inquiétants et devraient vous inquiéter.
Appliquons enfin les bons remèdes ! La bonne solution, ce ne sont pas les aides d'État, les aides financières aux entreprises : les chefs d'entreprises n'ont pas besoin d'être assistés. Il faut au contraire alléger le coût du travail, mettre fin aux seuils, permettre au chef d'entreprise d'embaucher ou de débaucher selon son activité. Il faut être réaliste et donner au chef d'entreprise la possibilité de remplir sa fonction : gagner de l'argent pour investir et embaucher. C'est à contrecoeur qu'un chef d'entreprise doit débaucher.
Il faut tout remettre à plat et faire de véritables propositions : nous avons la chance d'avoir des PME exceptionnelles, des employés très qualifiés, il faut les soutenir par les bonnes mesures, pour que la France ne perde pas tout ce potentiel.
Je refuse également tout pessimisme par rapport à la situation actuelle. L'industrie se transforme et l'on a parfois la nostalgie de l'industrie lourde, qui employait de nombreux salariés peu qualifiés. Aujourd'hui, nous avons une industrie de pointe, qui emploie des personnes très qualifiées, quoique peut-être pas aussi bien rémunérées qu'en Allemagne. Et je ne regrette pas, contrairement à certains de nos collègues, les industries d'antan, par exemple dans les usines Renault, où les ouvriers travaillaient à la chaîne dans des conditions particulièrement pénibles. La robotisation a grandement amélioré la qualité du travail, et il est encore nécessaire que des employés, désormais plus qualifiés, soient présents aux côtés des machines robotisées.
Aussi, avez-vous examiné la capacité de la France à former des employés susceptibles d'être embauchés dans des industries de pointe ?
Vous n'avez pas évoqué, dans votre présentation, l'économie participative ainsi que le rôle des start up. Quelle est l'apport de ces secteurs sur la compétitivité de notre économie ?
L'aménagement du territoire est aujourd'hui en souffrance. On assiste en effet au départ de nombreuses entreprises installées dans des zones rurales pour s'établir dans les agglomérations et les zones urbanisées. Cette situation de concentration géographique est propre à notre pays ; l'Allemagne et l'Italie du nord comportent un tissu industriel beaucoup plus diffus, et de nombreuses entreprises, parfois de 200 à 300 salariés, restent présentes dans la moyenne montagne. Comment enrayer ce phénomène ?
Il existe également un problème d'acceptation sociale de la production industrielle. Dans le secteur de l'énergie, on saborde volontairement notre industrie nucléaire et dans le même temps, on refuse systématiquement toute recherche pour l'extraction du gaz de schiste. Or, dans d'autres pays, comme aux États-Unis et en Australie, où une délégation de la commission s'est rendue il y a quelques semaines, l'utilisation d'autres sources d'énergie fossile, comme le gaz de schiste et le gaz de houille, est en train de bouleverser la donne. Et la baisse du prix du pétrole provient en grande partie de ces nouvelles ressources. Aujourd'hui, l'on assiste dans notre pays à des situations de blocage compte tenu de l'existence d'opposants résolus à des projets pourtant susceptibles de favoriser l'essor économique et de créer des emplois.
je remercie les membres de la commission pour l'intérêt qu'ils portent à ces sujets, pour leurs réactions et leur franchise.
S'agissant du pessimisme industriel, quand on vous dépeint la réalité, certains d'entre vous me disent que ce n'est pas celle-là et que je devrais reconnaître qu'elle est différente. Or, j'ajoute en complément de ce que j'ai précédemment dit que les classements internationaux montrent que nous sommes en queue de peloton des pays de l'OCDE, après la Pologne. Notre appareil de formation professionnelle ne fonctionne pas bien. Nous avons des problèmes de formation initiale, de formation professionnelle. C'est un handicap pour les entreprises ! J'invite ceux qui disent que nombre de PME sont potentiellement brillantes à regarder le taux d'équipement en robots de l'industrie, ils verront que celui-ci est inférieur à celui de l'Allemagne. Nous avons un handicap du point de vue des outils de la compétitivité. De même, regardez notre indice de production industrielle, il est 15 points en dessous du niveau de 2007 !
Je partage votre souhait de ne pas faire de pessimisme industriel, mais la lucidité sur la situation industrielle est nécessaire. Le constat reste très inquiétant. Je n'ai pas dit que l'industrie n'avait pas d'avenir, mais qu'on ne pourra pas uniquement compter sur elle pour redresser nos performances en matière de commerce international. Il faut élargir le socle de compétitivité. Faut-il négliger le tourisme, les services ? La réponse est non.
Nous avons fait des choix sur lesquels il convient de s'interroger. Ainsi, nous avons refusé les délocalisations contrairement à l'Allemagne qui a choisi de délocaliser les activités dans lesquelles elle n'avait pas d'avantages afin de se concentrer sur les secteurs dans lesquels elle est la meilleure. Les grands groupes français ont quant à eux investi dans des chaînes complètes de production dans d'autres pays. Nous avons nécessairement affaibli notre industrie.
Certains insistent sur la nécessité de faire vivre le tissu de PME. Cela signifie qu'il faut accepter que certaines PME meurent et d'autres vivent. Autant nous avons besoin d'une politique de la croissance des entreprises, autant une politique spécifique pour les entreprises d'une certaine taille est une erreur.
Les secteurs exportateurs ont été objectivement défavorisés par rapport aux secteurs tournés vers les marchés intérieurs. Si on compare les évolutions de salaires, de prix, de la rentabilité, les secteurs porteurs de développement international ont été défavorisés. Nous avons choisi de favoriser les secteurs de rente, nous en subissons les conséquences. On ne peut pas vouloir modifier cette situation sans en accepter les conséquences.
Sur les aspects territoriaux, il est vrai que le nord de l'Italie ou le Bade-Wurtemberg se caractérisent par la présence d'entreprises de taille intermédiaire dans des secteurs localisés et qui réussissent au niveau international. Nous, nous avons choisi de mettre en place des grands groupes. Faut-il le regretter ? La réponse est non. Nous avons plus d'entreprises de taille mondiale que n'importe quel pays européen, y compris l'Allemagne. C'est un atout. Effectivement, nous avons un déficit d'ETI et il faut aider ces dernières à se développer.
Les relations entre les grands groupes et les PME ne sont-elles pas le problème ? J'observe que les grands groupes bénéficient d'une avance de trésorerie sous forme de crédits inter-entreprises à hauteur de 13 milliards d'euros par an. C'est un problème sur lequel on se penche depuis plusieurs années.
Avoir des grands groupes est une force !
Sur la question des territoires, nous avons des métropoles qui sont des pôles de dynamisme, de croissance. Il faut miser sur ces incubateurs de développement. Le risque, c'est que tout s'y concentre. Cependant, ces métropoles sont un atout pour le développement de l'économie française. Ce n'est pas un jeu à somme nulle. Je ne dis pas que certains territoires ne souffrent pas du développement des métropoles, mais globalement l'économie y gagne. Comment organiser ces activités ? Il faut une politique de transport, une politique d'infrastructure numérique, une politique de la mobilité. On ne peut pas dire qu'on va redresser l'industrie, reconstruire une économie tournée vers l'extérieur, sans accepter des transformations.
Parmi les axes d'interventions, il y a la formation, la recherche, l'innovation. Nous avons consacré des moyens significatifs à cette dernière, il faut s'interroger sur ce qui est efficace et ce qui ne l'est pas. Une politique de concurrence est également nécessaire. La différence entre une économie développée et une économie en développement du point de vue de la productivité, c'est que dans les pays en développement l'écart est important entre l'entreprise la plus performante et celle la moins performante. Le développement consiste à réduire cet écart. Ça passe par une politique de concurrence.
S'agissant du CICE, je partage votre impatience quant aux résultats de ce dispositif. Je rappelle que sont concernées un million d'entreprises dont certaines clôturent leurs comptes après le 31 décembre et qui doivent déclarer leur créance auprès de l'administration fiscale. Pour évaluer correctement le dispositif, je dois examiner pour chacune d'elles leur comportement par rapport à l'emploi, à l'investissement, au commerce extérieur, au salaire...Trois équipes de recherches sont prêtes à travailler sur ces questions et n'attendent que les données.
En attendant, je peux seulement vous donner les résultats des enquêtes que nous avons menées. Ainsi, un tiers des entreprises du secteur industriel indiquent consacrer le CICE à augmenter l'emploi, un autre tiers à augmenter les salaires et pour le dernier tiers à diminuer les prix de vente. Pour les entreprises de services, elles consacrent le CICE à l'emploi, un peu aux salaires et très peu à une diminution du prix de vente. Ce sont des tendances. Il y a souvent un décalage entre les déclarations d'intention des entreprises et la réalité, c'est pourquoi je m'interdis à ce stade de conclure. Pour prendre des décisions, vous avez besoins de mesures et pas seulement de tendances. Je vous serai plus utile quand j'aurais des données factuelles.
Sur les indicateurs complémentaires au PIB, nous avons travaillé avec le CESE. L'objectif est d'avoir un petit nombre d'indicateurs. Il a fallu se concentrer sur les dix indicateurs les plus importants, ce qui a été difficile. Ce tableau de bord servira pour les études d'impact ou les évaluations des textes existants. Les administrations publiques devraient dans leur rapport annuel d'activité pouvoir rendre compte de leurs actions au regard de ces indicateurs. La réflexion sur la responsabilité sociale des entreprises devra également être liée à ces indicateurs.
Je reviens sur le CICE et ses lourdeurs. Il y a eu un temps d'apprentissage en 2013, notamment sur le plan comptable. Aujourd'hui, les entreprises se sont approprié ce dispositif. Quand le bénéfice de ce dispositif est marginal, les entreprises peuvent décliner ce CICE, mais il s'agit toutefois de cas marginaux.
Je partage vos constats sur l'apprentissage. Le Gouvernement a d'ailleurs mis en avant la nécessité de faire des efforts dans ce domaine. Notre système ne fonctionne pas bien alors même qu'il existe des moyens publics. Le système allemand est éloigné du nôtre. En Allemagne, l'orientation est précoce, l'apprentissage fait partie de la norme sociale tandis qu'il demeure dévalorisé en France. Parmi les éléments positifs, je souhaiterais rappeler que nous avons progressé dans la formation des nouvelles générations, 40 % d'entre elles vont à l'université.
S'agissant de la réduction des dépenses publiques, la méthode du rabot est largement employée en France : on contient les dépenses plutôt que d'opérer des choix. Dans certains domaines, les dépenses publiques doivent être restreintes tandis que dans d'autres, l'intervention publique demeure nécessaire. Il faut opérer des choix, en faisant par exemple des revues stratégiques de dépenses. Par ailleurs, certaines dépenses servent à pallier les dysfonctionnements du marché. Je pense par exemple au logement pour lequel nous consacrons deux points de PIB, avec des résultats médiocres. La construction étant dans une situation difficile, on ne souhaite pas réduire les efforts, mais structurellement ce n'est peut-être pas la meilleure manière d'utiliser l'argent public.
Nous ne ferons pas les mêmes choix que les États-Unis et l'Australie sur les politiques en matière de gaz de schiste. Nous n'avons pas le même environnement. Avons-nous raison d'interdire toute expérimentation ? Ça peut se discuter. Il ne faut pas croire que sur ce sujet nous aurions des mutations qui nous mettraient à égalité avec des pays qui disposent d'un potentiel énergétique considérable et qui peuvent reconstruire une stratégie de réindustrialisation sur le faible coût de l'énergie. Nous avons bénéficié des coûts faibles d'énergie avec le nucléaire. Cependant ce facteur de compétitivité s'érode.
S'agissant du programme d'investissements d'avenir (PIA), le commissariat général à l'investissement nous a demandé d'examiner les performances des PIA 1 et PIA 2 afin de faciliter les choix lors de l'élaboration du PIA 3. J'ai mis en place une commission présidée par M. Philippe Maystadt, ancien président de la Banque européenne d'investissement, qui est chargée de donner des éléments de diagnostic d'ici février-mars 2016. Comme pour le CICE, des évaluations du PIA ne pourront être réalisées que lorsque les programmes auront complètement produit leurs effets, soit d'ici cinq à dix ans.
Sur la baisse du coût du travail, la France se caractérise par des exonérations de cotisations sociales, pour avoir à la fois un salaire minimum net relativement élevé, une protection sociale et un coût du travail qui ne nous pénalisent pas. L'effort budgétaire est en conséquence considérable.
S'agissant des start-up et de l'innovation, nous avons une culture d'ingénieur, d'inventeur mais nous ne sommes pas un pays de « perfectionneurs ». Nous avons une tradition d'innovation radicale qui se revivifie quand on voit le nombre de diplômés qui choisissent l'aventure des start-up. Les dispositifs de soutien sont importants, foisonnants. Il faut ici encore s'interroger pour savoir lesquels sont les plus efficaces. Il faut permettre aux start-up de se développer rapidement. La vitesse de développement est en effet un facteur essentiel du succès. La France est bien positionnée sur la première phase de création d'entreprise, cependant la phase de croissance demeure problématique.
Enfin, sur l'impact des technologies sur l'emploi, les études menées aux États-Unis montrent que le progrès technique crée des emplois très qualifiés, des emplois peu qualifiés et détruit des emplois intermédiaires. C'est très différent de ce qu'on pouvait observer il y vingt -trente ans où l'emploi qualifié augmentait tandis que l'emploi peu qualifié diminuait. On n'observe pas exactement ce phénomène en France, mais je pense qu'on est qualitativement dans le même type d'évolution.
La commission nomme Mme Sophie Primas, rapporteur sur le projet de loi n° 665 (2014-2015), ratifiant l'ordonnance n° 2015-615 du 4 juin 2015 relative à la mise sur le marché et à l'utilisation de matières fertilisantes, des adjuvants pour matières fertilisantes et des supports de culture.
La commission nomme Mme Sophie Primas, rapporteur sur le projet de loi n° 666 (2014-2015), ratifiant l'ordonnance n° 2015-616 du 4 juin 2015 modifiant le code rural et de la pêche maritime en vue d'assurer la conformité de ses dispositions avec le droit de l'Union européenne et modifiant les dispositions relatives à la recherche et à la constatation des infractions aux dispositions de son livre II.
La commission nomme M. Daniel Gremillet, rapporteur sur le projet de loi n° 707 (2014-2015), ratifiant l'ordonnance n° 2015-953 du 31 juillet 2015 relative à la réforme de l'ordre des vétérinaires.
Gérard César est proposé à la désignation du Sénat pour siéger au sein du conseil d'administration de l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer).
Joël Labbé est proposé à la désignation du Sénat pour siéger comme titulaire au sein de l'Observatoire des espaces naturels agricoles et forestiers.
La commission a procédé à la désignation de rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2016.
MM. Gérard César, Jean-Jacques Lasserre et Mme Frédérique Espagnac sont désignés rapporteurs pour avis de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».
Bruno Sido est désigné rapporteur pour avis de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » (énergie).
Michel Le Scouarnec est désigné rapporteur pour avis de la mission « Écologie » (pêche et aquaculture).
MM. Philippe Leroy, Martial Bourquin et Mme Élisabeth Lamure sont désignés rapporteurs pour avis de la mission « Économie ».
Serge Larcher est désigné rapporteur pour avis de la mission « Outre-mer ».
Henri Tandonnet est désigné rapporteur pour avis de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».
Dominique Estrosi Sassone est désignée rapporteur pour avis de la mission « Egalite des territoires et Logement ».
Annie Guillemot est désignée rapporteure pour avis de la mission « Politique des territoires » (ville).
Alain Chatillon est désigné rapporteur pour avis du compte spécial « Participations financières de l'État ».
MM. Ladislas Poniatowski et Roland Courteau sont désignés rapporteurs pour assurer le suivi de l'application de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
La réunion est levée à 12 h 00.