Nous poursuivons nos travaux sur le bilan de la mise en place des ARS. Pour établir un diagnostic des enjeux et tracer des perspectives d'adaptation pour les années à venir, nous recevons aujourd'hui les trois fédérations hospitalières : la FHF, la FHP et la Fehap, que je remercie d'avoir accepté de participer à cette table ronde.
Contrairement à la médecine de ville ou au médico-social, le secteur hospitalier relevait déjà des agences régionales de l'hospitalisation (ARH), prédécesseurs des agences régionales de santé (ARS). Pour autant, les compétences et les moyens d'action des ARS diffèrent sensiblement.
En septembre dernier, la Cour des comptes a salué la mise en place rapide et satisfaisante des ARS, mais elle a également estimé que le pilotage national du réseau demeure insuffisamment stratégique et que les administrations centrales et déconcentrées ainsi que l'assurance maladie n'ont pas encore pleinement tiré les conséquences de la création des agences.
Par ailleurs, dans notre rapport de l'an passé sur le financement des établissements de santé, nous faisions état du fait que beaucoup d'établissements avaient le sentiment que les ARS s'immisçaient trop dans leur gestion quotidienne et ne se limitaient pas, là non plus, à fixer des perspectives stratégiques.
Autonomie des ARS par rapport aux administrations centrales, autonomie des établissements par rapport aux ARS : telle est certainement une problématique pour nos travaux.
Je vous remercie de nous avoir invités à cette table ronde. J'aimerais, de manière liminaire, réaffirmer la position de la FHF, qui a toujours été favorable à la création des ARS. Il nous semble nécessaire d'avoir des structures permettant d'assurer une cohérence entre la médecine hospitalière, la médecine de ville et le secteur médico-social.
Du rapport Fourcade au rapport Couty, en passant par le rapport de la mission Hôpital coordonnée par Frédéric Boiron, président de l'Association des directeurs d'hôpital (ADH), et Francis Fellinger, ancien président de la Conférence des présidents de commission médicale d'établissement (CME) de centres hospitaliers, les constats dressés par la Cour des comptes dans son rapport de septembre 2012 apparaissent largement partagés. Les ARS ont une vraie utilité ; c'est pourquoi il est nécessaire de développer leurs moyens d'action et leur autonomie par rapport aux administrations centrales. Mais elles présentent également des insuffisances et leur fonctionnement doit évoluer.
Le fonctionnement des ARS est marqué par un excès de bureaucratie. Celui-ci se manifeste d'abord dans leurs relations avec les administrations centrales, comme en témoigne le rythme de publication des instructions (plus d'une par jour ouvrable) auxquelles s'ajoutent les multiples communications par voie électronique. Ce fonctionnement bureaucratique se répercute sur les relations entre les ARS et les établissements. L'exemple des projets régionaux de santé (PRS), qui font en moyenne plus de 1 000 pages et qui sont détaillés à l'extrême, est à ce titre éloquent. Afin de répondre à l'enjeu de contrainte budgétaire, les ARS vont très loin dans leurs relations avec les établissements. J'ai en tête l'exemple d'un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM) conclu entre une ARS et un hôpital qui contenait 1 000 objectifs et 200 indicateurs, parmi lesquels le taux d'allaitement dans la maternité : c'est une quasi-instruction ! Dans le cadre de l'amélioration de la performance de la politique d'achats des établissements, qui avait été souhaitée à juste titre par le ministère, les ARS sont allées jusqu'à proposer de créer des dispositifs d'achats placés sous leur contrôle. C'est aller trop loin.
Les hôpitaux ont ainsi le sentiment d'une intrusion constante dans leur management et leur gestion. Il est nécessaire de recentrer les ARS sur leurs missions d'animation, d'accompagnement et de stratégie. Elles doivent intervenir quand c'est nécessaire, par exemple lorsqu'une initiative volontariste doit être prise sur la question des équilibres financiers des établissements ou lorsque surviennent des situations de blocage. Il faut cependant introduire davantage de discussion lorsqu'elles interviennent dans la gestion quotidienne des établissements. Il est légitime que les ARS puissent définir une stratégie, une orientation, un cap. Mais elles doivent laisser aux professionnels le choix des voies et moyens pour atteindre ces objectifs.
Ce modèle de management s'explique peut-être par les conditions d'installation des ARS, qui ont réuni les moyens des administrations préexistantes dont elles ont repris les compétences. Il n'est pas certain qu'il aurait fallu procéder autrement mais, de fait, les ARS ont adopté un modèle plutôt bureaucratique. Le problème du management des ARS prend donc peut-être sa source dans les conditions - rapides - de leur mise en place, mais il est temps maintenant de faire évoluer le dispositif.
Par ailleurs, le fonctionnement des ARS, qui devrait associer pleinement l'Etat et l'assurance maladie, est en réalité hémiplégique. L'assurance maladie et l'Etat semblent procéder de logiques parallèles qui ne se rejoignent pas, à tel point que, selon le sentiment exprimé par certaines ARS, l'une peut parfois apparaître comme parasite de l'autre. Autrement dit, les ARS ne sont pas encore totalement installées. Là encore, nous relevons un problème de mise en place, sans contester le dispositif lui-même.
En résumé, et comme l'ont préconisé les différents rapports que j'ai évoqués, les ARS doivent privilégier leurs missions de stratégie, d'accompagnement et d'appui à la communication quasi quotidienne d'instructions et à la remontée d'indicateurs dont on ne sait pas ce qu'ils deviennent. A cet égard, les ARS sont de véritables cimetières d'indicateurs...
Une enquête réalisée par la FHF auprès de ses adhérents, à l'occasion de laquelle une région a utilisé cette expression, a montré que les ARS demandent de très nombreuses informations dont on ne sait jamais ce qu'elles deviennent. Il y a à la fois un problème de sélection des indicateurs retenus, qui semblent plus nombreux que pertinents pour faire du contrôle ou de la stratégie, et un problème de retour sur les données qui sont ainsi communiquées. Les ARS pourraient exercer leur fonction d'accompagnement en effectuant un travail d'analyse sur ces informations, afin de permettre aux acteurs de terrain d'évoluer et d'ajuster leur stratégie interne.
On a le sentiment que les directeurs généraux des ARS sont quasiment devenus les directeurs généraux des hôpitaux et que les ARS se muent ainsi en une forme de holding hospitalier régional.
Le système est en outre asymétrique puisque, par construction, ce n'est pas la même logique qui est à l'oeuvre dans les relations entre les ARS et les cliniques privées.
La Fehap était largement favorable à la mise en place des ARS. Trois ans après celle-ci, des évolutions nous paraissent cependant souhaitables.
Des modifications sont urgentes s'agissant du pilotage national. Un effort d'intégration est indispensable afin d'améliorer les politiques de santé sur les territoires. Les ARS s'efforcent de travailler au quotidien sur la transversalité, qui n'est cependant pas favorisée en amont par le pilotage national. Malgré le filtre du secrétariat général, et même s'il peut y avoir des rédactions croisées entre ministères, l'élaboration des instructions reste très cloisonnée au niveau ministériel, en amont du comité national de pilotage. De ce fait, il n'y a pas non plus de transversalité au quotidien au niveau des ARS.
Par exemple, alors que l'on parle beaucoup de parcours de soins et de santé, ce sont des administrations différentes qui travaillent sur les services d'aide à domicile et les services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) d'une part, et sur l'hospitalisation à domicile (HAD) d'autre part. Cette organisation ne permet pas d'assurer la complémentarité entre les différents secteurs, ce qui conduit à créer des zones de rupture.
Il y a également eu un manque de coopération initial entre l'Etat et l'assurance maladie sur les missions de gestion du risque. Dans les deux premières années de la mise en place des ARS, leurs thématiques étaient communes mais leurs outils étaient différents. Les établissements étaient ainsi démarchés séparément par des représentants de l'Etat et de l'assurance maladie qui ignoraient eux-mêmes le travail de leurs collègues. Ce manque de coordination est source de confusion pour les établissements, qui ne savent pas qui ils doivent écouter. La situation s'est quelque peu améliorée depuis lors.
Il faut donner plus d'autonomie aux ARS en contrepartie de davantage de transparence et de concertation. Cette autonomie doit notamment être financière afin de leur permettre de développer des projets. Elle doit également se traduire au niveau du pilotage national, qui doit porter sur les objectifs à atteindre, et non passer par des cahiers des charges fixant les moyens à employer, qui ne peuvent pas tenir compte de l'ensemble des spécificités des territoires.
Les ARS sont aujourd'hui légitimes dans le rôle d'animateur de territoires. Elles le sont notamment pour faire travailler ensemble sur certaines de leurs missions des administrations qui n'entrent pas dans le champ des ARS, par exemple les conseils généraux, les directions régionales de la cohésion sociale ou l'éducation nationale. On ne peut pas construire une offre sanitaire sans prendre en compte les offres médico-sociale et sociale et sans travailler avec les partenaires des autres institutions.
Sur la question de la démocratie sanitaire, à laquelle nous somme très attachés, des pistes sont à approfondir sur le rôle des conférences régionales de la santé et de l'autonomie (CRSA), notamment par rapport aux conférences de territoire, et sur le développement des formations pour les personnes qui siègent en CRSA.
Le passage des ARH aux ARS a pu entraîner des difficultés d'identification des acteurs de la part de leurs partenaires. Le rôle des délégations territoriales par rapport au siège est, de notre point de vue, très hétérogène. Par rapport aux relations qui existaient du temps des ARH, les rapports avec les établissements sont moins fréquents et moins simples pour les plus petits d'entre eux.
Enfin, nous sommes très attachés à ce que les ARS jouent le rôle de régulateur et non celui d'opérateur.
Je vous remercie de nous permettre d'évoquer ce sujet important dans cette configuration qui rassemble les différentes fédérations, ce qui n'est pas si fréquent. Il serait heureux - et je porte ici la voix de mon président, M. Jean-Loup Durrousset - que nous puissions échanger en présence de nos présidents respectifs sur un certain nombre de sujets-clés, au-delà de celui qui nous intéresse aujourd'hui.
Selon une enquête réalisée par la FHP pour recueillir le point de vue de nos adhérents sur le terrain, les ARS sont perçues comme des interlocuteurs légitimes. Certaines difficultés nous ont toutefois été rapportées.
La première est l'organisation du système en tuyaux d'orgue. Là où les ARS doivent apporter de la flexibilité, de la transversalité, et créer un espace d'échange entre les acteurs, on peut avoir l'impression que des rigidités d'organisation sont venues invalider le projet initial.
La deuxième difficulté mise en avant concerne la capacité à échanger sur le terrain. Sont rapportés un turn-over important des personnels et une faible visibilité sur les projets. Les acteurs semblent condamnés à se rencontrer au cas par cas et, le plus souvent, seulement à l'occasion de problèmes. De nombreuses observations qui nous ont été transmises regrettent ainsi la méconnaissance des acteurs entre eux et souhaiteraient la création d'espaces d'échange. La question est d'ailleurs posée de savoir si les ARS constituent réellement un instrument de démocratie sanitaire.
Sur l'ensemble de ces sujets, ce n'est pas le modèle de l'ARS qui est mis en cause, mais sa mise en oeuvre et la façon dont les agences, qui sont encore jeunes, conçoivent leur rôle.
Nous regrettons également que les ARS ne soient pas en position d'être neutres dans leurs fonctions de régulateur. Elles sont juge et partie, notamment lorsqu'il s'agit d'arbitrer sur l'allocation de ressources dans un contexte financier contraint. Nos adhérents ont parfois le sentiment que ces arbitrages se font systématiquement en faveur des acteurs publics, du fait de la consanguinité entre l'ARS et l'Etat.
On peut également regretter un déficit évident en matière de recherche et développement. Les ARS pourraient être un lieu légitime et fécond pour la création ou l'expérimentation de nouveaux modèles soit d'organisation, soit de prise en charge des patients. Le secteur privé, condamné à devoir fourmiller d'idées pour pouvoir survivre, regrette de trouver peu de répondant de ce point de vue du côté des ARS.
Nous regrettons enfin un déficit d'articulation entre les niveaux national et régional, ce qui pose la question du pilotage et du lien avec le niveau politique. Les prises de position des ministres sont bien relayées dans les administrations centrales mais ne nous semblent pas reprises au plan régional par les ARS.
Vos fédérations respectives estiment-elles que les ARS s'éloignent ou au contraire sont en congruence avec les missions qui leur ont été assignées par le législateur ?
Le rapport que l'Igas a consacré en 2012 à l'hôpital, après avoir constaté que les objectifs assignés aux ARS apparaissent difficiles à concilier, s'interrogeait en ces termes : « est-il souhaitable de donner au même acteur un rôle de régulation de l'offre de soins, de contrôle/inspection de tous les établissements de santé et de redressement financier des seuls hôpitaux publics ? ». Partagez-vous cette interrogation ?
Diriez-vous que les ARS considèrent vos fédérations respectives comme des partenaires régulièrement et suffisamment consultés en amont des décisions qui impliquent directement vos établissements adhérents ?
Enfin, il semble que le Conseil national de pilotage (CNP) ne joue pas son rôle de filtre des instructions. Quelle est votre analyse sur ce point ?
Vous semblez tous d'accord pour considérer que la création des ARS était nécessaire, que la régionalisation était le but poursuivi par la loi HPST, mais que le nombre très important d'instructions (plus de 240 par an) constitue l'expression d'une reprise en main du fonctionnement des ARS par l'Etat central. De ce fait, estimez-vous que l'esprit de la loi HPST est aujourd'hui appliqué ?
Nous avons le sentiment que les ARS s'éloignent progressivement de la mission qui leur a été confiée par le législateur, tandis que s'installe un fossé d'incompréhension entre les ARS et les établissements. Ce constat renvoie à plusieurs problématiques.
On peut d'abord s'interroger sur la nature des relations entre les ARS et les établissements hospitaliers. Je ne reviens pas ici sur les comportements individuels dommageables de certaines personnes au sein des ARS, qui sont heureusement très minoritaires mais n'ont pas contribué à instaurer un climat de confiance. On constate que les équipes des ARS, en dépit de leur mission de régulation, privilégient une intervention directe. Selon nous, la loi a au contraire conçu les ARS comme des autorités devant s'appuyer sur les acteurs de santé et soutenir leurs projets dans le cadre d'une politique partenariale. C'est d'ailleurs ce qui avait fait tout le succès des ARH : celles-ci travaillaient avec les acteurs sans se substituer à eux.
Des ARH aux ARS, on est passé d'équipes d'état-major composées de 15 à 20 personnes à des équipes de 200 à 300 personnes travaillant presque uniquement sur l'hôpital. Les acteurs ont aujourd'hui un sentiment d'étranglement qui est dû notamment au nombre très important de circulaires, que nous avons évoqué, et d'inspections. Un grand CHU de l'Est a ainsi fait l'objet de 30 inspections en une année et a du mobiliser quatre ETP simplement pour les coordonner.
On relève ensuite une asymétrie dans la tutelle exercée par les ARS. Ma collègue de la FHP évoquait tout à l'heure la consanguinité entre les ARS et les établissements publics. Cette consanguinité, nous la ressentons parfois comme une contrainte : les ARS, qui connaissent très bien l'hôpital public, s'en occupent beaucoup, et même beaucoup trop. Le travail de coordination doit concerner tous les acteurs, y compris les acteurs privés.
Tout ceci renvoie au point de savoir si les ARS entretiennent avec les acteurs une relation partenariale et de confiance ou une relation de tutelle. En raison du modèle génétique des ARS, c'est plutôt un rapport de tutelle que l'on constate malheureusement sur le terrain : les ARS ayant à la fois une mission de contrôle et une mission de régulation, l'une l'emporte nécessairement sur l'autre. Des équipes de direction nous ont rapporté leurs difficultés de positionnement vis-à-vis des ARS : il est difficile de manifester des désaccords dans un cadre partenarial lorsque l'on doit ensuite être évalué par la même autorité dans un cadre de tutelle.
Les ARS sont avant tout victimes du pilotage national. Investies de très nombreuses missions par le législateur, elles sont aussi bombardées de circulaires. Il est nécessaire de recentrer le pilotage pour lui conférer une dimension plus stratégique. Nous avons noté avec satisfaction les déclarations de la ministre et les prises de position du secrétaire général des ministères des affaires sociales, et nous appelons à une évolution très forte dans ce sens.
Les ARS sont des organismes jeunes et encore en crise de croissance. Leur mission est de faire bouger les lignes dans les jeux d'acteurs traditionnels, par exemple en rapprochant le sanitaire et le médico-social. De ce fait, elles ne peuvent faire immédiatement consensus.
Sommes-nous dans une phase transitoire, ou peut-on d'ores et déjà constater l'échec du modèle des ARS ? Nous sommes très prudents sur ce point : nos adhérents ne remettent pas en cause le modèle, mais s'interrogent sur la façon dont les agences exercent leurs missions. A ce stade, des aménagements sont nécessaires, mais on ne peut pas considérer de façon définitive que les ARS se sont éloignées de la philosophie et des missions qui ont été définies par la loi.
Une difficulté de fond, qui est soulevée par nos trois fédérations et par l'Igas, est celle de la neutralité du régulateur.
La FHP n'a pas le sentiment que les ARS la considèrent comme un partenaire. Nous ne nous sentons pas associés au pilotage sur le plan national. Nous avons demandé à plusieurs reprises à intervenir devant le CNP pour exposer, en tant qu'acteurs hospitaliers, notre cap et notre positionnement ; cette démarche n'a jamais été possible. Nous ne nous sentons pas davantage associés au plan local : lorsqu'un directeur général d'ARS prend une décision, il est très rare qu'il prenne la précaution de contacter auparavant la fédération ou les acteurs de terrain. Cette situation nous paraît regrettable, et nous souhaitons pouvoir oeuvrer davantage ensemble.
Le CNP pourrait travailler avec les fédérations à élaborer de nouveaux modèles d'exercice du pouvoir dans le cadre hospitalier. A l'heure actuelle, les ARS reproduisent un modèle étatique : elles privilégient la norme et le contrôle à la contractualisation et au partenariat. Il faut entreprendre un travail de fond pour sortir de ce schéma, qui ne fonctionne pas dans un univers hospitalier très complexe.
Nous avons en effet le sentiment que les ARS s'éloignent de leurs missions premières. Ce n'est certainement pas un choix délibéré de leur part mais rien n'est fait au niveau du pilotage national pour empêcher cela. Le CNP n'est pas en mesure de filtrer les instructions délivrées aux ARS. Il serait nécessaire que ces instructions soient définies en amont de façon commune et transversale. Tant que les choses resteront en l'état, les recloisonnements se poursuivront au niveau des ARS.
Cette situation a des conséquences multiples, notamment au niveau de l'organisation interne des agences. Les établissements sont en outre relativement nostalgiques des partenariats qu'ils avaient pu nouer avec les ARH. Ils ont le sentiment que les ARS s'impliquent davantage dans l'édiction de normes et dans le contrôle que dans l'accompagnement.
On pourrait imaginer des ARS plus autonomes, plus à même de travailler à l'évaluation des besoins avec les acteurs de terrain et à une mise en musique de l'offre sanitaire et médico-sociale. Elles pourraient continuer d'exercer leurs fonctions de contrôle afin de garantir une certaine harmonisation des pratiques mais en étant davantage accompagnatrices de l'ensemble des établissements. Il faut que les ARS entrent dans une logique de construction qui ne soit pas polluée par certains des objectifs fixés aux directeurs généraux dans les CPOM. Il est important de travailler à la restructuration de l'ensemble des établissements en difficulté et pas simplement d'un certain type de structures.
Des progrès restent donc à accomplir en termes de pilotage pour que les ARS disposent de davantage de marges de manoeuvre et retrouvent la dynamique positive qu'avaient les ARH. J'ajouterai que les délais contraints d'élaboration des PRS n'ont certainement pas favorisé l'appropriation par les acteurs des nouvelles missions des ARS.
Je suis président de conseil général et siège au conseil de surveillance de plusieurs établissements de santé. Les présidents de conseils généraux ressentent, dans le secteur médico-social, la même impression que les fédérations d'établissements. Il y a un sentiment d'ingérence de la part des ARS et de complications supplémentaires alors que l'objectif de la loi HPST était d'abord de garantir davantage de coordination : les PRS sont particulièrement longs ; la région Champagne-Ardenne, pourtant de taille modeste, compte deux CRSA...
Je travaille actuellement à un projet de maison de santé. Lorsqu'on observe la situation sur le territoire, le besoin d'une telle structure est évident. Mais le projet est très difficile à monter car rien n'a été prévu dans les schémas régionaux. Les ARS sont davantage sources d'inertie que de synergies.
Il convient de recadrer leurs compétences afin d'éviter les dérives. De ce point de vue, la révision générale des politiques publiques (RGPP) et maintenant la modernisation de l'action publique (MAP) devraient avoir pour conséquence naturelle un recentrage des agences sur leurs missions centrales.
Je souhaiterais également évoquer le problème que pose sur le terrain la mise en oeuvre des CPOM : les objectifs fixés ne sont pas accompagnés des moyens adéquats, ce qui, au lieu de susciter un effet d'entraînement, freine les avancées ; en outre, ces moyens arrivent tardivement dans l'année, plusieurs mois après la fixation des objectifs...
Si j'essaie d'interpréter de façon très personnelle ce que vous nous avez exposé, on pourrait caricaturer la situation de la façon suivante : « donnez du pouvoir à un imbécile, vous en ferez un tyran ». Renforcer l'autonomie des ARS, n'est-ce pas également leur donner plus de pouvoir ?
La question de l'autonomie conduit à celle du périmètre qu'il convient de donner au fonds d'intervention régional (FIR). Quelle est votre analyse sur ce point ? Dans son rapport sur l'hôpital, l'Igas estime qu'il faudrait aller vers une fongibilité complète des enveloppes sanitaires et médico-sociales. Qu'en pensez-vous ?
Une réforme du pilotage national est indispensable car l'autonomie ne peut s'envisager que dans le cadre d'un contrôle national adapté. Pour le moment, les acteurs réunis au sein du CNP sont engagés dans une forme de course à l'élaboration de circulaires. Il faudrait mettre en place un dispositif de pilotage associant les représentants des professionnels et permettant d'analyser les circulaires suffisamment en amont. L'autonomie, que nous souhaitons tous, ne se mérite qu'une fois réformé le pilotage national.
La création d'une agence nationale de santé (ANS) a été envisagée à une époque. Sur le principe, et à titre personnel, je partage cette option. Mais cela revient à créer une agence supplémentaire dans un contexte budgétaire contraint, ce qui n'est envisageable qu'à la condition que l'Etat se réorganise en profondeur.
Concernant le parcours de santé, personne ne sait véritablement comment le mettre en oeuvre. Sans doute faudrait-il qu'une région se porte volontaire pour entreprendre une expérimentation. Le parcours de santé permet de dépasser les structures pour mieux mettre en commun les compétences : la méthode expérimentale me semble être la seule voie pour atteindre ce but.
En d'autres termes, il faut quitter l'incantatoire et s'engager dans l'expérimentation.
L'expérimentation du parcours de soins pour les personnes âgées qui est actuellement en cours me semble tronquée dans la mesure où tous les partenaires ne sont pas associés. Pour mener à bien une telle expérimentation, les ARS ont un rôle essentiel d'animation et de mise en confiance de l'ensemble des acteurs. Cela implique de s'éloigner d'une pure relation de tutelle, telle que peuvent l'exercer certaines ARS, qui traduit plutôt une méfiance vis-à-vis des établissements.
Oui à l'autonomie, mais dans le cadre d'un pilotage national rénové. La Fehap a elle aussi été favorable à la création d'une agence nationale de santé. Il faut aller vers ce type de pilotage au niveau national. L'autonomie n'est par ailleurs envisageable qu'alliée à plus de transparence, de concertation et davantage de marges de manoeuvre financières.
La question du parcours de santé n'est sans doute pas traitée de la meilleure façon. Les patients veulent être guidés, qu'il s'agisse de prévention, d'éducation ou de soins. La France dispose d'une excellente boîte à outils pour accompagner les patients. Mais les missions de chaque intervenant sont difficiles à identifier et les secteurs sanitaire et médico-social ne se connaissent pas suffisamment. Par ailleurs, les besoins varient en fonction des territoires : il faut identifier les manques pour les compenser ensuite. Tous les acteurs doivent être impliqués, des services de premier recours aux structures hospitalières. Les conseils généraux, qui travaillent beaucoup sur les questions de prévention et d'éducation, les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) et les communes sont également des partenaires importants. Enfin, le parcours de santé ne doit pas concerner uniquement les personnes âgées et handicapées : les maladies chroniques et la psychiatrie sont également à prendre en compte.
Je rejoins les positions exprimées sur le lien entre autonomie et pilotage, ainsi que sur l'expérimentation et les outils de mise en oeuvre du parcours de santé. J'ajoute qu'il ne faut pas perdre de vue les difficultés que rencontrent les ARS du fait de leur déficit de neutralité qui les place en situation de quasi-injonction. Je pense également que la création d'une agence nationale de santé ne serait pas nécessairement la solution la plus adaptée. Dans ma carrière antérieure, j'ai exercé la tutelle administrative et financière d'agences de sécurité sanitaire : ce modèle d'agences ne résout pas la question de la coordination des acteurs. Mettre en oeuvre les politiques publiques sanitaires aujourd'hui ne peut se faire sans une remise en cause des modes d'action classiques de l'Etat, centrés sur la norme et le contrôle : il faut réfléchir à une nouvelle forme d'exercice du pouvoir, davantage tournée vers la création d'outils adaptés, le partenariat et la contractualisation.
Il faut se poser la question de l'exercice de la gouvernance. Quel management mettre en place ? Doit-il être incitatif ou directif ? J'ai le sentiment que les pratiques varient selon les territoires et la personnalité des acteurs. N'y a-t-il pas une ambigüité dans ce que nous recherchons ? L'esprit de la loi HPST me semble très clair : les ARS sont le bras séculier du ministre. Il n'y aura jamais d'autonomie par rapport à un ministre qui s'estime légitimement en droit d'exercer son influence. Il n'y a donc pas seulement un problème de pratique mais une difficulté dans ce que dit la loi sur la gouvernance et le rôle des ARS. A titre personnel, je suis favorable à davantage de décentralisation plutôt qu'à une déconcentration. Les régions et les hôpitaux ne se ressemblent pas. Sans aller jusqu'à l'incohérence, il faut laisser de l'autonomie.
A l'origine, la création des ARS a suscité un fort engouement. On a cependant vite compris que les enjeux financiers seraient prédominants et que le directeur général de l'ARS est avant tout un commissaire du gouvernement chargé de gérer une enveloppe fermée et doté pour cela de pouvoirs importants. Face aux présidents de conseils généraux, les directeurs généraux d'ARS sont particulièrement puissants, qu'il s'agisse de la gestion des aides à l'investissement, des appels à projets ou des conventions tripartites dans les Ehpad. Si l'on veut avancer, il faut légiférer. Créer une agence nationale de santé ne changerait pas grand-chose.
Ce n'est pas parce que la Mecss réfléchit sur les ARS qu'il faut tout remettre en cause. Les ARS ne sont après tout opérationnelles que depuis trois ans. L'esprit de la loi HPST était de promouvoir la régionalisation ainsi que la coordination entre médecine de ville et hôpital et entre secteur sanitaire et secteur médico-social : ce sont les ARS qui ont permis d'avancer sur ces sujets. Certes, des défauts sont apparus dans la mise en application de la loi mais l'esprit est le bon. Au-delà de la remise en cause de ce qui ne fonctionne pas, j'aimerais que vous nous disiez quel doit être le rôle des ARS.
Il n'est pas question de remettre en cause l'existence des ARS mais de voir quelles sont les améliorations à apporter. Des ARS se sont parfois engagées dans une gestion quasiment directe de certains établissements : il faut trouver le moyen de canaliser ces tendances.
Dans l'esprit de la loi HPST, les PRS devaient permettre la rencontre entre politiques nationales et préoccupations régionales. Pourtant, la FHF a demandé un moratoire sur leur élaboration. Que faudrait-il faire pour améliorer les choses ? Les questions de planification se posent également dans le secteur médico-social, qu'il s'agisse des personnes âgées ou handicapées.
Au final, comment améliorer l'articulation entre le niveau national et les territoires ? Comment aller au-delà d'un simple processus de déconcentration dans lequel les directeurs généraux d'ARS joueraient le rôle de préfets ? Cela pose la question du fonctionnement de la démocratie sanitaire au sens large.
Certes, l'élaboration des PRS a permis d'associer de nombreux acteurs, mais certains éléments extérieurs ont également eu une influence. Je pense notamment à l'impact des zonages définis au niveau national par profession sur les schémas régionaux pluriprofessionnels d'organisation des soins de premier recours ou à celui des objectifs de réduction des déficits des hôpitaux publics sur l'adaptation de l'offre hospitalière en général. Sur le zonage, les ARS qui étaient avancées dans la préparation de leur PRS ont dû remettre l'ouvrage sur le métier parce qu'une décision prise au niveau national est entrée en contradiction avec les pistes avancées localement.
La création du FIR a suscité une satisfaction relativement générale. L'annonce de son montant et le fait qu'il ne s'agisse en réalité que de la réunion d'enveloppes déjà existantes a entraîné un certain désenchantement. Le FIR regroupant la permanence des soins ambulatoire et en établissement, il a fallu adapter les PRS en conséquence. Au final, certaines orientations des PRS ont été déterminées par l'enveloppe plutôt que par les besoins.
Le mode d'organisation actuel des ARS n'est pas décentralisé mais il ne s'agit pas non plus réellement d'une déconcentration en raison de l'histoire de ce secteur. Pourtant, l'autonomie est une richesse. Quel pourrait être alors le rôle des ARS ? Il faut que, sans aller jusqu'à une remise en cause complète, un signal politique clair soit envoyé qui témoigne d'une volonté de faire évoluer les choses. La demande de moratoire sur les PRS était une mesure de bon sens : les ARS se sont précipitées dans une démarche qu'elles voulaient exhaustive sans se donner le temps d'effectuer les concertations nécessaires.
Les méthodes de travail doivent être davantage partenariales. On observe aujourd'hui différents modèles d'ARS. Certaines fonctionnent réellement à la façon de préfectures, d'autres ont conservé l'esprit d'agences de mission. Sans changer grand-chose, on peut faire évoluer les méthodes de travail pour revenir à une animation politique et moins administrative. Se pose en particulier la question de savoir si le préfet de région doit continuer de présider les ARS. Cette mission ne pourrait-elle pas revenir à un élu, par exemple le président de région ?
Justement, la FHF regrette que la santé soit totalement absente du projet de loi de décentralisation. Il faut pourtant mettre en place un véritable travail partenarial qui inclue les élus et les fédérations. En d'autres termes, faisons confiance à l'intelligence du terrain. L'ARS est là pour initier, débloquer les situations, mettre en oeuvre et adapter les objectifs et outils nationaux.
L'investissement est une question importante qui échappe déjà en partie à la compétence des ARS. Qui plus est, c'est le ministère des finances qui devrait maintenant instruire et valider les projets d'investissement. Il faudrait plutôt s'orienter vers des schémas régionaux d'investissement, pensés avec les acteurs. Cela implique en contrepartie une certaine maturité du milieu professionnel ainsi qu'une confiance réciproque.
Enfin, un toilettage des compétences des ARS est sans doute nécessaire. Je pense notamment à la médecine de ville, domaine dans lequel les agences ont très peu de moyens d'action.
Cette table ronde a montré que les fédérations sont d'accord sur de nombreux points et gagnent à travailler ensemble. Il y aurait matière à prolonger les échanges entre nous afin de dégager à partir du terrain des propositions innovantes et constructives à adresser aux ministères.
Vous vous demandiez tout à l'heure pourquoi le mot de « santé » ne figurait pas dans l'acte III de la décentralisation. Je crois que la réponse se trouve dans la question elle-même...
La question des investissements représente un enjeu considérable. La ministre a annoncé à plusieurs reprises des mesures sur ce point. Il est nécessaire de créer un modèle différent afin que les investissements correspondent bien aux besoins. C'est pourquoi il nous faudra peut-être nous montrer iconoclastes dans nos propositions.