Nous nous retrouvons aujourd'hui pour évoquer, non pas les Agences régionales de santé, chères à nos collègues Jacky Le Menn et Alain Milon, mais la fiscalité comportementale, qui constitue notre second thème de contrôle pour l'année 2013.
Afin de traiter ce sujet, Catherine Deroche et moi-même avons souhaité organiser, à intervalles réguliers, des auditions « thématiques » autour de trois ou quatre intervenants. Ces auditions permettront à tous les commissaires d'entendre l'avis d'industriels, de professionnels de santé publique et d'économistes, concernant l'opportunité de mobiliser l'outil fiscal pour influencer la consommation de nos concitoyens en matière de produits du tabac, de boissons alcoolisées et de produits alimentaires communément considérés comme trop gras, trop sucrés ou trop salés.
Pour ouvrir cette séance consacrée à la fiscalité des produits du tabac, nous accueillons M. Christian Ben Lakhdar, qui, en tant qu'enseignant-chercheur en économie des drogues et addictions à la Faculté de Lille, nous présentera un bilan coût - avantage du tabac en France. Je rappelle que ce produit a la particularité de représenter une manne financière non négligeable pour l'Etat tout en pesant très lourdement sur les comptes de la sécurité sociale, en particulier ceux de la branche maladie.
M. Ben Lakhdar a par ailleurs étroitement collaboré à l'élaboration de l'avis du Haut Conseil de la santé publique, publié en janvier 2012 et relatif « à l'augmentation des taxes sur le tabac en vue de réduire la prévalence du tabagisme en France ». Je lui propose de nous donner les motivations de cet avis qui se trouve au coeur de nos préoccupations du jour.
Monsieur le Président, je tiens à vous remercier de m'avoir invité pour vous dresser un panorama de l'économie du tabac en France.
Je vais m'attacher à présenter en premier lieu les coûts et les bénéfices liés à la consommation de ce produit dans notre pays. Pour ce faire, je vais m'appuyer sur les travaux réalisés par Pierre Kopp et Philipe Fenoglio, publiés en 2006, qui démentent la thèse cynique consistant à penser que le tabac rapporte plus qu'il ne coûte à la collectivité. Je tiens à préciser que ces travaux sont déjà anciens : ils portent sur l'année 2003 et devraient faire l'objet, à la demande des pouvoirs publics, d'une prochaine actualisation.
Le coût social du tabac, entendu comme le coût lié à la consommation de ce produit pour la collectivité, est évalué à 47,7 milliards d'euros pour 2003. Les dépenses de santé et les pertes de productivité des entreprises liées aux décès attribuables au tabac, estimées à 18 milliards d'euros par an chacune, représentent les deux principales composantes de ce coût. Ce coût social représente trois points de produit intérieur brut (PIB) et 772 euros par habitant et par an. Il est supérieur à celui de l'alcool, estimé à 2,37 points de PIB ainsi qu'à celui des drogues illicites, estimé à 0,18 point de PIB.
Des travaux plus récents montrent que le tabac dégrade également le solde des comptes publics à hauteur de 3,9 milliards d'euros par an. Contrairement à une croyance largement répandue, les économies issues des retraites non versées aux fumeurs décédés prématurément ne permettent donc pas de compenser les dépenses de santé liées aux pathologies du tabac.
De la même manière, l'impact du tabac sur le bien-être collectif, mesuré comme la différence entre le plaisir dégagé par le consommateur de tabac et le coût social du produit pour la collectivité, se révèle négatif.
La dégradation des comptes publics et du bien-être collectif, due à la consommation de tabac, incite par conséquent les économistes à préconiser la mise en place de politiques publiques destinées à lutter contre le tabagisme.
Dans ce domaine, la loi Evin a marqué les esprits par le biais de deux mesures importantes : l'encadrement de la publicité sur les produits du tabac et le retrait de ces derniers du panier de consommation des ménages, utilisé pour le calcul de l'inflation. Cette dernière mesure a permis aux décideurs publics d'augmenter les taxes applicables au tabac sans entraîner d'augmentation mécanique du niveau général des prix.
Plus récemment, les mesures prises par les pouvoirs publics pour réduire la prévalence tabagique ont donné des résultats inégaux.
L'impact de l'interdiction de fumer dans les lieux publics, qui vise à dénormaliser l'usage du tabac et à protéger les non-fumeurs, est à ce jour difficilement quantifiable.
L'interdiction de la vente des produits du tabac aux individus de moins de 18 ans, qui constitue une mesure symbolique forte, rencontre de son côté de sérieuses difficultés d'application. L'enquête ESPAD de 2007 montre en effet qu'une grande majorité des fumeurs âgés de moins de dix-huit ans se procurent leurs cigarettes dans le réseau des débitants de tabac.
L'utilisation de pictogrammes sur les paquets de tabac, destinée à dissuader la consommation de tabac, n'atteint quant à elle qu'une partie de sa cible en se révélant particulièrement efficace chez les non-fumeurs. Il paraît toutefois important que les politiques de lutte contre le tabagisme confortent les non-fumeurs dans leur choix.
Enfin, le remboursement des substituts nicotiniques à hauteur de 50 euros par an et par fumeur dans le cadre de la mise en place, en 2007, d'une politique d'aide au sevrage dont la Haute autorité de santé publique a démontré l'efficacité, paraît largement insuffisant. À cet égard, il est particulièrement regrettable que les données relatives au nombre de remboursements annuels de ces substituts ne soient plus disponibles depuis 2009.
Bien que l'utilisation de l'outil fiscal en matière de politique de lutte contre le tabagisme soit considérée comme particulièrement efficace, la dernière augmentation drastique des taxes sur le tabac remonte en France à 2003 dans le cadre de la mise en place du Plan Cancer par Jacques Chirac. L'effet de cette augmentation a d'ailleurs été immédiat sur les quantités de cigarettes vendues en France qui sont passées de 80 millions d'unités en 2002 à 55 millions en 2004.
Depuis cette date, l'augmentation du prix des paquets de cigarettes est essentiellement le fruit des hausses de prix pratiquées par les fabricants avec l'aval du ministère des finances.
Ces augmentations maîtrisées du prix des paquets de cigarettes à quelques effets remarquables : elles entraînent une hausse régulière du chiffre d'affaires des industriels et une progression des ventes de tabac à rouler, certains fumeurs préférant se reporter vers ce produit moins cher.
Les industriels sont particulièrement attentifs à la sensibilité de la consommation de tabac aux évolutions de prix. L'élasticité-prix de la demande de tabac, qui mesure cette sensibilité, se divise entre une élasticité de demande conditionnelle, synonyme de diminution ou d'arrêt de la consommation de tabac, et une élasticité de participation, entendue comme une incitation à ne pas commencer à fumer.
Cette distinction met en évidence les effets ambivalents d'une augmentation des taxes applicables au tabac sur les populations les plus pauvres : si une telle augmentation pèse de manière proportionnellement plus importante sur ces populations, elle les incite néanmoins à ne pas commencer à fumer. Le caractère dégressif des taxes sur le tabac, souvent avancé pour contester la légitimité de l'utilisation de l'outil fiscal dans la politique de lutte contre le tabagisme, doit de ce fait être nuancé.
Les stratégies de contournement des taxes sur le tabac sont, quant à elles, bien connues, qu'elles prennent la forme d'évitement, par l'achat de tabac dans les pays frontaliers dans la limite des quantités autorisées, ou d'évasion par l'achat de tabac de contrebande, de contrefaçon ou de quantités supérieures à celles réglementairement autorisées aux frontières.
Il convient de noter que l'augmentation des taxes, réalisée dans le cadre du Plan Cancer, a rendu le prix du paquet de cigarettes en France supérieur à celui pratiqué par les pays limitrophes, en particulier l'Espagne et le Luxembourg. Ces écarts de prix ont entraîné une importante réduction des ventes de tabac dans certains départements frontaliers tels que le Nord ou la Moselle, représentant une perte fiscale évaluée à 2 milliards d'euros par an.
À l'issue de ce bilan, je recommanderais d'harmoniser et d'augmenter les taxes sur les produits du tabac. Afin de limiter le caractère dégressif de telles mesures et de garantir aux plus démunis un arrêt à moindre frais, cette politique devrait s'accompagner d'un remboursement intégral du sevrage tabagique.
Concernant l'ampleur des pratiques d'évitement et d'évasion mises en oeuvre par les consommateurs en réponse à une éventuelle hausse des prix, il convient de garder à l'esprit que l'objectif principal des pouvoirs publics devrait être de diminuer les coûts attribuables au tabac en France et non d'augmenter les recettes fiscales.
Il serait enfin nécessaire de plaider pour une harmonisation européenne des taxes sur le tabac. Des volontés convergentes semblent aujourd'hui se manifester en ce sens.
Je souhaiterais conclure mon propos par trois remarques relatives au dispositif fiscal sur les produits du tabac en vigueur en France. D'une part, ce dispositif me paraît trop complexe et mériterait une simplification. D'autre part, le barème des taxes devrait être harmonisé entre les produits du tabac. Rien ne justifie ainsi l'avantage fiscal accordé aux cigares dont la consommation n'est pas très répandue chez les plus démunis.
Enfin, certaines phrases de l'annexe 10 du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale me paraissent déplacées. Il est ainsi exagéré de laisser entendre qu'une hausse des prix du tabac entraînerait une privation de toutes recettes pour la sécurité sociale. De même, il n'appartient pas aux pouvoirs publics de se préoccuper des niveaux de marge des industriels du secteur.
Le niveau des prix du tabac inciterait selon vous les non-fumeurs à ne pas commencer à fumer. Une hausse des prix a-t-elle un impact particulièrement important sur les non-fumeurs les plus jeunes ?
Une augmentation des prix protège l'ensemble des non-fumeurs en les confortant dans leur choix. Une analyse plus fine, compte tenu des données disponibles, me paraît difficile à réaliser.
De manière schématique, le plaisir représente la différence entre le prix que le consommateur est prêt à payer pour acquérir un bien ou un produit et le prix qu'il paye effectivement.
Par le biais d'un mécanisme fiscal extrêmement complexe, la direction des douanes poursuit un double objectif : limiter le nombre de fumeurs en maintenant les recettes fiscales issues de la consommation des produits du tabac.
Dans ces conditions, nous a-t-on expliqué, une augmentation brutale des prix du tabac serait inappropriée. Elle entraînerait en effet le développement des stratégies de contournement et d'évasion sans provoquer de diminution de la consommation.
Dans le même esprit, la direction des douanes appelle de ses voeux l'existence de prix différenciés au sein de chaque catégorie de produits du tabac afin que les produits « premium » tirent les prix vers le haut.
Une augmentation des taxes entraînant celle du prix des cigarettes provoque une hausse des achats transfrontaliers. Mais elle incite aussi et surtout certains individus à diminuer leur consommation de tabac, à arrêter de fumer ou à renoncer à commencer à fumer. Dans ces conditions, il faut pouvoir évaluer si le bénéfice collectif retiré de ces comportements compense ou non la perte fiscale. L'aspect positif d'une hausse des prix du tabac est d'autant plus important que tous les fumeurs ne décident pas de franchir les frontières pour s'approvisionner ou de reporter leur consommation vers un tabac de contrebande réputé plus nocif et difficilement accessible.
Il est enfin assez surprenant de constater que des fonctionnaires du ministère des finances cherchent à inciter les industriels du tabac à développer de nouvelles gammes de produits.
En tant que membre de la commission des affaires sociales notre rôle n'est pas d'augmenter les recettes fiscales liées à la consommation de tabac mais de prendre des mesures permettant de limiter le tabagisme. Bien que cette position risque d'être impopulaire chez les fumeurs et les industriels du tabac, elle permettra sans doute de limiter la charge que la consommation de tabac fait peser sur notre système de santé.
Existe-t-il un modèle économétrique permettant de déterminer le point d'équilibre entre les recettes fiscales et les dépenses de sécurité sociale liées aux pathologies du tabac ?
Ne serait-il pas opportun de chercher prioritairement à dissuader les individus, en particulier les plus jeunes, de commencer à fumer ? À moyen terme, une telle politique ne permettrait-elle pas de réduire considérablement les coûts sociaux liés à la consommation de tabac ?
Un arrêt du tabac entraîne des conséquences quasi immédiates sur la santé des individus et peut réduire ainsi les dépenses de santé liées à certaines pathologies du tabac.
L'Institut national contre le cancer dispose d'un modèle économétrique permettant de déterminer de tels optimums.
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi les cigares sont sensiblement moins taxés que les cigarettes dans notre pays ?
Je dispose de quelques éléments d'explication concernant la taxation des cigares. D'une part, les fumeurs de cigares savent se faire entendre par les pouvoirs publics. D'autre part, une moindre taxation des cigares pourrait faciliter l'importation des cigares de La Havane le jour où les États-Unis décideraient de mettre fin à l'embargo sur les produits cubains.
Une hausse importante du prix des cigarettes pourrait-elle avoir un effet négatif sur l'emploi dans le secteur du tabac en France ? Les industriels utilisent régulièrement ce type d'argument pour contester une hausse des taxes.
Il existe une production de tabac dans certaines régions françaises comme la Lorraine. Toutefois, il me semble que la problématique de l'emploi concerne avant tout les 18 000 buralistes présents sur le territoire national. Ceux-ci sont particulièrement inquiets des prochaines mesures qui pourraient être prises au niveau européen en matière de tabac, comme le développement des paquets anonymes ou l'obligation de ne pas exposer les produits.
Comment expliquer les écarts de prévalence tabagique entre la France et des pays comme l'Australie ou les États-Unis ?
Il est délicat de comparer des écarts pourtant significatifs. Aux États-Unis, les fumeurs savent qu'ils devront financer eux-mêmes les soins liés à un éventuel cancer du poumon. Ils sont donc fortement incités à la prudence en ce domaine.
En matière de prévalence, il faut être réaliste. S'il paraît illusoire de chercher à atteindre une consommation de tabac nulle en France, l'objectif consistant à faire diminuer le taux actuel et à limiter le poids du tabac sur les dépenses de protection sociale me paraît néanmoins raisonnable.
Nous accueillons maintenant Mme Catherine Hill pour évoquer les dégâts causés par la consommation de tabac et d'alcool dans la population française.
Dans ce domaine, les chiffres sont accablants : selon les travaux publiés le mois dernier par Mme Hill dans les colonnes de l'European Journal of Public Health, 49 000 décès annuels seraient liés à la consommation d'alcool en France, auxquels s'ajoutent les 70 000 décès attribuables chaque année à la consommation de tabac.
Mon propos consiste à recommander une augmentation des taxes sur le tabac et l'alcool pour des raisons de santé et de finances publiques.
Les courbes de consommation du tabac en France depuis 1950 montrent une première diminution de celle-ci après l'adoption de la loi Évin en 1991 ainsi qu'une baisse spectaculaire liée à la mise en place du Plan Cancer en 2003. La consommation de tabac s'est en revanche stabilisée durant le quinquennat du Président Sarkozy.
L'évolution du prix du tabac corrigé de l'inflation suit quant à elle une courbe inverse, avec deux hausses importantes au moment de l'adoption de la loi Evin et de la mise en place du Plan Cancer.
Au total, entre 1991 et 2004, les prix du tabac, corrigés de l'inflation, ont été multipliés par trois et les ventes ont été divisées par deux. Sur la même période, les recettes fiscales et les revenus des buralistes ont été multipliés par deux.
S'agissant des buralistes, l'analyse des données relatives à leur activité, publiées dans le numéro de février dernier de la Revue des tabacs, s'avère particulièrement éclairante. Elle révèle que le chiffre d'affaires lié aux produits du tabac n'a diminué que pour les débitants situés dans les départements frontaliers du nord et de l'est du pays. La mobilisation générale, destinée à protester contre une supposée diminution régulière du chiffre d'affaires, semble donc exagérée.
Les analyses d'élasticité viennent en revanche confirmer la sensibilité de la consommation aux évolutions des prix du tabac. Entre 1950 et 2010, l'élasticité moyenne en France est évaluée à 0,51, indiquant qu'une augmentation potentielle de 20 % du prix des cigarettes entraînerait une diminution de 10 % des ventes.
Le caractère hétérogène du marché du tabac doit être pris en compte dans le cadre d'une politique de lutte efficace contre le tabagisme.
D'une part, les différents produits, pour un poids de tabac identique, ont des prix minimum extrêmement variés : le prix de 20 cigarettes s'élève ainsi à 6,07 euros, celui de 20 cigares ou cigarillos à 5,90 euros et celui de 16 grammes de tabac à rouler à 3,4 euros. Ces écarts des prix, accentués par la politique fiscale consistant à limiter les hausses de taxes aux seules cigarettes, facilitent les reports de consommation vers les produits les moins chers. Une politique fiscale cohérente consisterait donc à chercher à harmoniser le niveau des différents produits du tabac.
D'autre part, le niveau de taxation entre produits est lui aussi différencié. Si les cigarettes sont taxées à 81 %, le tabac à rouler l'est à 76 % tandis que les cigares et les cigarillos le sont à 44 %. Ces derniers, qui représentent aujourd'hui 7 % du marché, ont bénéficié de cet écart de taxation au cours des dernières années.
Le mécanisme fiscal, applicable depuis janvier à l'ensemble des produits du tabac, est extrêmement sophistiqué. Il se compose d'une part spécifique et d'une part proportionnelle auxquelles s'ajoute un minimum de taxation de 3,90 euros.
On constate toutefois que l'éventail des prix du marché de la cigarette est aujourd'hui assez limité puisqu'il se situe entre 6,07 et 6,70 euros, aucun paquet de cigarettes ne se situant en dessous du prix d'entrée en jeu du minimum de taxation. Dans ces conditions, une taxation proportionnelle de l'ensemble des produits pourrait légitimement s'envisager.
Contrairement à la position défendue par la direction des douanes, il me semble d'ailleurs que ce resserrement de l'éventail de prix des cigarettes n'est pas problématique en soi. D'un point de vue sanitaire, l'existence d'un prix unique, de paquets anonymes et d'une obligation pour les buralistes de ne pas exposer l'ensemble des produits du tabac me paraîtrait bienvenue.
Au-delà de nos frontières, les données relatives au prix moyen de 20 cigarettes montrent que l'ensemble des pays limitrophes proposent des prix plus faibles que les nôtres.
En termes de santé publique, la stratégie consistant à augmenter faiblement et progressivement le prix des produits du tabac ne me paraît pas pertinente. Elle permet de stabiliser le prix du produit par rapport au niveau général des prix, de garantir un niveau équivalent de recettes fiscales, de préserver les marges des industriels, mais n'a malheureusement aucun impact sur la consommation.
Les conséquences de cette consommation sont pourtant désastreuses, en particulier chez les femmes : la mortalité par cancer du poumon chez celles-ci devrait en effet prochainement dépasser la mortalité par cancer du sein. Chez les hommes, en revanche, les politiques de prévention ont entraîné une diminution régulière de la mortalité par cancer du poumon de 1 % par an depuis 1991.
Pour faire baisser cette consommation, je propose par conséquent d'augmenter les prix du tabac de manière régulière, significative - 20% par an par exemple - et d'harmoniser par le haut les taxes applicables à tous les produits, à poids de tabac égal.
La prévention du tabagisme me paraît par ailleurs possible. Elle repose essentiellement sur une politique des prix, donc des taxes. À cet égard, je regrette que la France ait abandonné toute politique volontariste en ce domaine depuis 2004.
Je conclurai mon propos en énumérant quelques idées fausses entourant l'économie du tabac.
D'une part, les achats transfrontaliers et la contrebande ne compensent pas l'intégralité de la baisse des achats dans le réseau des buralistes. Bien que les données disponibles soient lacunaires, on peut estimer que ces stratégies de contournement et d'évasion ne compensent que la moitié de la baisse constatée.
D'autre part, la contrefaçon qui consiste à mettre sur le marché des cigarettes qui ne sont pas ce qu'elles prétendent être, n'est pas un problème aussi important que les industriels veulent le laisser entendre. Le tabac, quel que soit sa qualité, tue la moitié de ses consommateurs réguliers.
Enfin, les buralistes ne constatent pas systématiquement une baisse de leur chiffre d'affaires lorsque le prix des cigarettes augmente. Leur rémunération étant fixée en pourcentage du prix de vente, l'augmentation de ce dernier entraîne en général une hausse de leur rémunération lorsque les volumes de vente ne sont que faiblement impactés.
Comment expliquez-vous l'augmentation de la prévalence constatée chez les femmes ? Par ailleurs, le cannabis a-t-il un effet cancérigène ?
Les risques liés au tabac encourus par les femmes sont les mêmes que ceux encourus par les hommes. Les subtilités liées à la prise d'un moyen de contraception sont très marginales au regard des dégâts globaux provoqués par le tabac.
Bien que le type d'addiction soit différent, le cannabis a, me semble-t-il, les mêmes effets cancérigènes que le tabac. Les fumeurs de cannabis sont d'ailleurs généralement des fumeurs de tabac, ce qui rend leur sevrage plus difficile.
L'application du mécanisme fiscal, jusque la réservé aux cigarettes, à l'ensemble des produit du tabac vous paraît-il opportun ?
Ce qui est essentiel en matière de santé publique, c'est de contrôler le niveau du prix plancher, afin que celui-ci soit le plus élevé possible, et la pente de taxation globale. La question de l'éventail de prix n'est plus aussi importante que par le passé.
J'en viens, si vous le permettez, à la question de l'alcool. Dans ce domaine le lobby des producteurs est très efficace. Il s'appuie sur l'Institut de recherche et d'étude sur les boissons, qui finance la plupart des chercheurs du secteur. Ceux-ci recommandent d'ailleurs unanimement une consommation d'alcool modérée sans jamais définir précisément le niveau de modération.
Or la consommation d'alcool en France est très élevée. Les quantités d'alcool mises sur le marché représentent 27 grammes d'alcool pur par adulte et par jour, soit 2,7 verres servis dans un bar, un café ou un restaurant.
Vous remarquerez, et ce n'est probablement pas un hasard, qu'un verre servi dans un café, un bar ou un restaurant équivaut systématiquement à 10 grammes d'alcool pur !
Absolument pas !
Dans la mesure ou un tiers des hommes et deux tiers des femmes déclarent ne pas boire d'alcool régulièrement ou être abstinents, ces 27 grammes répartis sur les seuls buveurs réguliers deviennent 50 grammes d'alcool pur par personne et par jour, soit 5 verres par jour !
Depuis 50 ans, la consommation globale des alcools a pourtant diminué dans notre pays, en particulier la consommation de vin, passée de 40 grammes à 15 grammes par personne et par jour.
On constate par ailleurs que le niveau des taxes sur les alcools est extrêmement hétérogène et favorise particulièrement le cidre et les différentes catégories de vins.
Au niveau sanitaire, l'alcool est pourtant responsable de 49 000 décès par an en France, 36 500 chez les hommes et 12 500 chez les femmes. Les causes de ces décès sont principalement les cancers qui représentent 15 000 décès par an, les maladies cardiovasculaires, les maladies digestives, les accidents et les suicides.
À cet égard, les effets de l'alcool sur la santé dépendent uniquement de la quantité consommée et ne tiennent pas compte du produit. Notre étude montre qu'à 13 grammes d'alcool pur par jour, les effets nocifs l'emportent sur les bénéfices issus de la protection du risque cardiovasculaire offerte par une consommation modérée. Les risques liés à une consommation inférieure à 13 grammes d'alcool pur par jour restent à déterminer. Une étude anglaise évalue toutefois à 5 grammes par jour, soit un demi-verre, le niveau de consommation optimum pour les buveurs.
Comparé au tabac, l'alcool est donc très peu taxé sous la plupart de ses formes : le droit de consommation sur l'alcool rapporte 4 fois moins que le droit de consommation sur le tabac. Dans ces conditions, il est temps de se pencher sérieusement sur la fiscalité des boissons alcoolisées les plus consommées.
Certaines études laissent entendre que le coût social de l'alcool serait nettement inférieur au coût social du tabac. Que pensez-vous de ces résultats ?
Je pense que ces études se basent sur des données anciennes et sous-estiment les risques liés à l'alcool. Nos estimations sont beaucoup plus élevées que celles réalisées par le passé qui se contentaient de prendre en compte des pathologies ciblées telles que les cancers ORL, les cirrhoses ou les psychoses alcooliques.
Quelle serait votre principale recommandation en matière de fiscalité des alcools ?
Il faut taxer le vin afin de contribuer à diminuer le niveau de consommation d'alcool actuel.
Quelles sont les conséquences des habitudes alimentaires sur la santé ?
En terme de prévention des cancers, il convient essentiellement d'éviter l'obésité et le surpoids. Le reste relève de la science-fiction ou de la malhonnêteté intellectuelle.