En premier lieu, je voudrais vous dire tout le plaisir que nous avons à vous accueillir aujourd'hui.
Comme vous l'avez souhaité, je vais en guise d'introduction vous présenter la manière dont les questions européennes sont traitées au Sénat. Pour cela, je prendrai tour à tour les différents aspects du rôle européen du Sénat.
? Le premier aspect de ce rôle européen, c'est le rôle législatif, qui est d'ailleurs commun à tous les parlements nationaux de l'Union. Comme vous le savez, ce rôle législatif comprend deux facettes :
- tout d'abord, les parlements nationaux sont les législateurs de base de l'Union, en ce sens que leur approbation est requise pour les décisions les plus fondamentales de l'Union, par exemple la révision des traités ou l'adhésion de nouveaux membres ;
- ensuite, les parlements interviennent à l'autre bout de la chaîne, lorsqu'il s'agit de transposer dans le droit national les directives européennes.
Pour les deux aspects de ce rôle législatif, la commission des affaires européennes n'intervient pas. Pour ce qui touche aux traités européens, c'est la commission des affaires étrangères qui intervient, puisqu'il s'agit de traités internationaux. Pour la transposition des directives, c'est la commission compétente pour le domaine concerné qui intervient, par exemple la commission des affaires sociales pour transposer les directives sur le temps de travail.
Bien entendu, cela n'empêche pas des membres de notre commission de participer aux débats. Certains y participent au sein de la commission législative compétente : en effet, les membres de la commission des affaires européennes sont obligatoirement membres d'une des six commissions législatives du Sénat. Les membres de notre commission peuvent également, bien sûr, intervenir au stade final du débat, lorsque le texte est examiné par le Sénat dans son ensemble.
? Le second aspect du rôle européen du Sénat, c'est l'exercice d'une fonction de contrôle.
Dans ce domaine, le rôle de la commission des affaires européennes est prépondérant, mais ce n'est pas du tout un rôle exclusif. Nous avons un rôle d'impulsion, mais nous avons pour objectif de faire participer le maximum de sénateurs au contrôle sur les affaires européennes. Les affaires européennes et les affaires nationales étant étroitement imbriquées, il ne serait pas bon que l'Europe soit la « chasse gardée » de certains parlementaires, tandis que les autres s'en désintéresseraient.
Alors, quelles sont les modalités de cette fonction de contrôle ?
Le contrôle du Gouvernement fait l'objet d'un article spécifique de la Constitution, l'article 88-4. Cet article permet au Sénat (comme à l'Assemblée nationale) de voter des résolutions sur les projets d'actes européens. Ces résolutions ont pour but d'exprimer la position de notre assemblée sur les objectifs à poursuivre dans la négociation. Les résolutions européennes ne lient pas le Gouvernement, elles ne sont pas un mandat de négociation. Mais elles donnent au Gouvernement des indications politiques importantes. Il a tout intérêt à en tenir compte, sinon il risque des difficultés lorsqu'il faudra transposer le texte en droit national.
Il faut souligner que, pour pouvoir adopter des résolutions en temps utile, les deux assemblées disposent, sur le modèle britannique, d'une « réserve d'examen parlementaire ». L'Assemblée ou le Sénat disposent d'un délai pour manifester l'intention d'adopter une résolution. Ce délai est de huit semaines pour un projet d'acte législatif de l'Union, et de quatre semaines pour les autres projets d'actes. Si l'intention s'est manifestée, le Gouvernement doit alors éviter de prendre une position définitive au sein du Conseil et, si nécessaire, doit proposer un report du vote du Conseil pour que la résolution puisse être prise en compte. Inversement, il peut se produire que le Gouvernement souhaite ne pas avoir à retarder l'adoption d'un texte urgent, alors que le délai d'un mois garanti aux assemblées ne s'est pas écoulé. Il doit alors demander l'autorisation de lever la réserve d'examen parlementaire.
Il faut noter que les résolutions sont peu nombreuses, une dizaine par an en moyenne. En effet, elles n'ont d'intérêt que si elles portent sur un texte européen qui pose un problème politique important.
Comment sont adoptées les résolutions ? Je vais vous faire grâce des subtilités de notre Règlement. Normalement, la première étape se passe au sein de la commission des affaires européennes, qui adopte une proposition de résolution. Cette proposition est ensuite transmise à la commission législative compétente, qui a un mois pour se prononcer. Si elle approuve la proposition, ou bien si elle ne se prononce pas, la proposition devient résolution du Sénat, elle engage le Sénat. Une adoption en séance plénière est également possible.
Pour que cette procédure fonctionne bien, il est essentiel de trier les textes importants. C'est une responsabilité de notre commission. Nous examinons systématiquement les projets d'actes européens. Cet examen se fait pour l'essentiel par procédure écrite, afin de ne pas encombrer nos réunions. Plus de 90 % des textes européens sont examinés de cette manière.
À côté du contrôle exercé par le biais des résolutions, une deuxième forme de contrôle du Gouvernement est constituée par les débats en séance plénière. Nous avons un débat en séance plénière du Sénat avant chaque réunion du Conseil européen ; après la réunion, le ministre vient devant la commission des affaires européennes pour rendre compte des résultats. Nous avons également une procédure particulière de questions au Gouvernement en séance plénière pour les affaires européennes. Elle est utilisée en moyenne deux fois par an pour un sujet important. Par exemple, le 15 novembre prochain, nous aurons un débat, dans le cadre de cette procédure, sur le processus d'élargissement de l'Union.
? À côté du contrôle de la politique européenne du Gouvernement, de nouvelles formes de contrôle, comme vous le savez, sont apparues ces dernières années, qui mettent directement en contact les parlements nationaux et les institutions européennes. C'est un aspect dans lequel le rôle de notre commission est très important.
Pour l'« initiative Barroso » - le dialogue direct avec la Commission européenne - c'est notre commission qui est compétente.
Pour le contrôle de subsidiarité, mis en place par le traité de Lisbonne, nous sommes dans une situation paradoxale, car le Sénat n'a pas encore pris en compte cette nouvelle forme de contrôle dans son Règlement. Dans la pratique, notre commission adopte des projets d'« avis motivés », puis nous demandons à la commission législative compétente si elle est d'accord ou du moins ne s'oppose pas. Pour l'instant, nous n'avons pas encore beaucoup utilisé cette nouvelle possibilité.
? Enfin, la commission des affaires européennes est très attachée à la dimension interparlementaire de l'Union. Nous participons activement à la COSAC, à l'assemblée euro-méditerranéenne, et aux réunions conjointes Parlement européen/parlements nationaux.
J'ai essayé de présenter brièvement les principaux aspects du rôle européen du Sénat. J'imagine que beaucoup de nos préoccupations sont communes avec celles de la commission que vous présidez, mais j'imagine aussi qu'il existe des solutions différentes pour la législation et le contrôle en matière européenne. J'observe par exemple que votre commission est compétente pour contrôler l'emploi des fonds européens. Nous n'avons pas, pour notre part, de compétence dans ce domaine et il serait intéressant pour nous, par exemple, de connaître comment vous exercez cette fonction.
Je vous remercie de votre accueil. Je suis également vice-présidente du groupe parlementaire d'amitié Bulgarie-France et j'éprouve un grand plaisir à venir en France.
La commission des affaires européennes et du contrôle des fonds européens du Parlement bulgare exerce deux missions principales. En premier lieu, elle joue un rôle important dans l'élaboration du nouveau règlement qui permettra d'adapter l'organisation du Parlement bulgare aux nouvelles compétences prévues par le traité de Lisbonne. Jusqu'à présent, l'expertise en matière européenne était le monopole de l'exécutif. Le Parlement doit désormais se doter de sa propre capacité d'expertise.
La commission que je préside doit jouer un rôle actif pour rapprocher l'Europe des citoyens. Nous devons présenter les politiques européennes d'une manière qui soit plus accessible.
Nous travaillons par ailleurs sur le projet Europe 2020. La Bulgarie doit se doter d'indicateurs nationaux qui correspondent aux critères de croissance prévus dans le projet. Nous devons élaborer une stratégie nationale, ce qui suppose de parvenir à une approche consensuelle entre tous les partis politiques. Il faudra ensuite établir un plan d'action qui permette de mettre en oeuvre cette stratégie. Il y a par ailleurs un lien entre les priorités bulgares pour Europe 2020 et le débat sur la nouvelle politique de cohésion pour la période 2014-2020. Nous devons promouvoir des synergies entre ces deux dossiers.
La Bulgarie souhaite intégrer l'espace Schengen d'ici 2011. Les adaptations législatives et techniques ont été réalisées. Une mission de l'Union européenne se rendra sur place au mois de décembre pour vérifier si les critères techniques au titre de l'acquis Schengen sont réunis. Le Conseil et le Parlement européen seront ensuite appelés à se prononcer. Je veux souligner que la Bulgarie compte sur la France pour parvenir à intégrer l'espace Schengen en 2011.
La deuxième mission majeure de la commission que je préside porte sur le contrôle des fonds européens. La Bulgarie n'avait pas une bonne image à Bruxelles dans ce domaine en raison des fautes commises par le précédent gouvernement qui avaient abouti à la perte d'une partie de ces fonds. Grâce aux actions mises en oeuvre par le nouveau gouvernement, des moyens ont été prévus pour utiliser les crédits des fonds européens. Nous en sommes à un taux de consommation qui a progressé de 4 % par rapport à 2009. Plusieurs modifications législatives ont été adoptées pour renforcer l'information des bénéficiaires potentiels des fonds européens et accroître la transparence.
Dans ce domaine, la commission des affaires européennes et du contrôle des fonds européens procède à l'audition des différents ministères responsables des programmes européens. Tous les six mois, elle établit un rapport qui donne une vision claire sur l'état de préparation de la Bulgarie pour l'utilisation des fonds et sur les progrès qui sont encore possibles.
Pour finir, je veux indiquer que notre commission a des relations directes avec les organisations non gouvernementales, les syndicats et les cercles économiques qui sont représentés auprès de la commission à travers un conseil consultatif.
Pour la période 2014-2020, la Bulgarie qui émarge à l'objectif 1 de la politique de cohésion est assurée de conserver le bénéfice des fonds européens. Ce n'est pas le cas pour les régions françaises qui avaient une richesse inférieure à la moyenne de l'UE avant l'élargissement et qui se trouvent désormais au-dessus de cette moyenne sans pour autant être plus riches. Ces régions souhaitent légitimement conserver le bénéfice des fonds européens au titre de l'objectif 2, seul l'outre-mer bénéficiant de l'objectif 1. Cependant, la politique de cohésion subit la concurrence de la politique agricole commune et de l'évolution de la stratégie de Lisbonne qui met en avant de nouveaux objectifs. Il faudrait donc dégager de nouveaux moyens budgétaires. Or, le débat sur le budget européen qui a eu lieu au Sénat hier met en évidence que ce budget ne progressera pas en 2011 et qu'il devrait avoir un niveau assez stable sur la période 2014-2020. Il faudra donc bien dégager des crédits sur d'autres postes budgétaires pour financer les besoins de la politique de cohésion.
Je souhaite par ailleurs vous interroger sur le contrôle de l'utilisation des fonds européens. Des abus ont été constatés en Bulgarie dans le passé. Vous nous avez indiqué que des mesures de correction avaient été prises. Quels sont les moyens dont dispose votre commission pour assurer ce contrôle ? Peut-elle aller au-delà de simples auditions ?
La Bulgarie a une frontière commune avec la Turquie. Elle est donc très directement concernée par le débat sur l'adhésion de ce pays à l'Union européenne. Quelle appréciation portez-vous sur sa candidature ?
Je souhaite également connaître la position bulgare sur les élargissements de l'Union européenne.
Y a-t-il une évolution de l'opinion publique bulgare à l'égard de la construction européenne ? Constate-t-on des progrès en faveur de ce processus ou au contraire le réveil de positions nationalistes ?
Nous avions été alertés, tant pour la Roumanie que pour la Bulgarie, sur un état de corruption relativement important. Cela a conduit à des sanctions avec la décision européenne de geler le versement des fonds structurels. Peut-on dire aujourd'hui que les règles de droit sont appliquées de manière effective ?
Le Parlement bulgare a connu beaucoup de changements lors des dernières élections. 117 députés sont issus de mon parti, le GERB, dont beaucoup sont de nouveaux parlementaires. Ce renouvellement a répondu aux souhaits des citoyens bulgares de promouvoir de nouvelles générations politiques. Le GERB avait insisté sur le fait que les jeunes devaient être des acteurs de la vie politique. Il a bénéficié de leur soutien lors des élections.
Nous devons avoir une stratégie claire pour la période 2014-2020. Pour cela, il est indispensable de définir des priorités. Jusqu'à présent, les fonds européens bénéficiaient à tous les secteurs d'activité avec, en pratique, de faibles résultats pour les citoyens. Il ne sera pas facile de faire des choix, mais cela est nécessaire. Les fonds européens expriment la solidarité européenne à l'égard de la Bulgarie. Nous devons donc être très stricts sur leur utilisation. La commission des affaires européennes et du contrôle des fonds européens a davantage de pouvoirs que l'audition des ministères concernés. Les parlementaires peuvent notamment poser des questions au Gouvernement en présence des médias ; cela a un impact certain et renforce la pression de l'opinion publique sur les ministères responsables de la gestion des fonds. Notre commission peut aussi obtenir la communication des données sur les sanctions qui sont prises, même si son rôle n'est en aucun cas assimilable à celui d'une juridiction.
Nous devons avoir une préparation préliminaire importante avant d'arrêter notre projet pour la période 2014-2020. Il est en outre nécessaire d'avoir une approche intégrée des programmes opérationnels afin de veiller à leur complémentarité. Enfin, la Bulgarie doit améliorer sa capacité d'absorption des fonds européens.
Comme vous l'avez rappelé, la Bulgarie est voisine de la Turquie. Elle est en outre située à la frontière extérieure de l'Union européenne. Un parti politique représente la minorité turque. Au moment des élections, il incite les ressortissants turcs ayant la nationalité bulgare à participer au vote. Lors du voyage du Premier ministre Erdogan, le message lui a été transmis que les relations bilatérales devaient être développées sans l'interférence de ce parti politique. La Bulgarie a de très bonnes relations économiques avec la Turquie. Il est important de donner une perspective européenne à ce pays et de ne pas l'isoler, même si cela ne passe pas nécessairement par l'adhésion proprement dite.
Plus généralement, il est nécessaire de promouvoir la stabilité dans les Balkans. Je précise qu'un parti nationaliste bulgare souhaite l'organisation d'un référendum sur l'adhésion de la Turquie. Il a obtenu 300 000 signatures dans ce sens. Mais ce n'est pas le bon moment pour une telle consultation. La Turquie doit d'abord remplir tous les critères pour l'adhésion.
La Bulgarie a une politique extérieure active dans les Balkans car elle a une grande expérience de la situation dans cette région. Elle peut aider aux réformes nécessaires pour favoriser une plus grande stabilité. Il est important que les pays des Balkans puissent obtenir le statut de pays candidats, d'ici 2014. Cela encouragera la volonté de réforme. En outre, la libéralisation des visas doit être réalisée.
Je veux souligner que les Bulgares sont favorables à la construction européenne. Ils sont particulièrement attentifs aux positions exprimées par les institutions européennes car le précédent gouvernement a commis beaucoup de fautes qui ont été justement dénoncées par Bruxelles. Les jeunes perçoivent clairement tous les bénéfices de la libre circulation et sont très favorables à la construction européenne, ce qui a un effet positif sur les générations précédentes.
Je mets à jour actuellement un rapport que j'avais établi en 2007 sur les relations entre l'Union européenne et la Russie. L'enjeu de la libéralisation des visas pour les ressortissants russes souhaitant se rendre en Europe me paraît majeur. La Russie est actuellement le premier bénéficiaire de visas (400 000 par an), ce qui marque la volonté des Russes de connaître l'Europe. La France est favorable à une libéralisation, mais la décision relève de l'Union européenne et il y a encore beaucoup de blocages de la part de certains États membres. Quelle est la position bulgare sur cette question ?
Je fais observer qu'une problématique comparable existe pour l'Ukraine.
Ayant développé un partenariat entre la ville de Strasbourg et la Bulgarie, j'ai été très heureux de l'intégration de votre pays dans l'Union européenne.
Il y a l'Europe économique, mais l'Europe politique me semble tout aussi importante. Or, plus on élargit l'Union européenne, plus la construction politique de l'Europe devient difficile. Il faut donc favoriser l'émergence d'une opinion publique européenne et renforcer le sentiment d'appartenance à l'Europe. Quel est l'état d'esprit de l'opinion publique bulgare sur cette question ? Voit-elle la construction européenne seulement sous l'angle des avantages économiques qu'elle peut en tirer ? A-t-elle aussi une approche positive de la construction politique européenne ?
Je me félicite aussi de l'entrée de la Bulgarie dans l'Union européenne. J'avais été le rapporteur du projet de loi autorisant la ratification de traité d'adhésion qui avait été voté à la quasi-unanimité par le Sénat. Je souhaiterais vous interroger à nouveau sur le rôle de ce parti turc et sur l'idée d'un référendum concernant l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.
Quelle appréciation portez-vous sur les synergies envisageables autour de la mer Noire ?
Sur la politique des visas, un débat existe en Bulgarie, mais aucune position n'a encore été arrêtée. Il y beaucoup de touristes russes qui viennent en Bulgarie, laquelle pourrait donc avoir intérêt à une libéralisation des visas. En s'engageant dans cette voie, la Turquie a pu attirer davantage de touristes russes qui sont pourtant, par la langue et par l'histoire, plus proches de la Bulgarie.
Sur la construction européenne, je veux indiquer que je suis fédéraliste de conviction et qu'il me paraît souhaitable d'avoir une Europe plus intégrée. Il faut construire une identité européenne en trouvant un équilibre avec les identités nationales. Les Bulgares sont prêts à une intégration politique plus large. À cet égard, le modèle laïc français me paraît mieux adapté que le modèle multiculturel développé aux Pays-Bas.
Le parti nationaliste qui demande l'organisation d'un référendum sur l'adhésion de la Turquie n'est pas un parti extrémiste. Il utilise le thème national surtout comme argument électoral, mais il soutient de nombreux projets de loi à l'Assemblée nationale. Cela permet au GERB, qui a souhaité éviter un gouvernement de coalition, d'obtenir les quatre voix supplémentaires dont il a besoin pour réunir une majorité absolue.
Pour la mer Noire, l'année 2010 constitue un tournant qui permettra une redéfinition stratégique. Il me semble qu'il faut utiliser toutes les possibilités de la politique européenne de sécurité et de défense pour redéfinir les priorités. Il faut aussi promouvoir une bonne coopération entre tous les États concernés.
Je vous remercie pour les éclairages que vous venez de nous donner. Les nouvelles dispositions du traité de Lisbonne relatives à la mise en oeuvre du principe de subsidiarité impliquent de développer les échanges d'informations entre les parlements nationaux. Je souhaite donc que notre coopération dans ce domaine se renforce.
Tout d'abord un grand merci d'être venus aujourd'hui à cette réunion conjointe des commissions des affaires européennes de l'Assemblée et du Sénat avec les membres français du Parlement européen, élargie aujourd'hui, compte tenu du sujet à l'ordre du jour, l'avenir de la PAC, aux commissions des affaires économiques, de l'Assemblée et du Sénat. Il s'agit de la quatrième réunion de ce genre, tenue à l'occasion des semaines de circonscription du Parlement européen. Sur le fond, nous avons, depuis le 16 février, traité de la stratégie UE 2020, de la proposition de directive relative aux fonds alternatifs, avec en particulier Jean-Paul Gauzes, de la mise en oeuvre du Paquet Télécom et de l'agenda numérique européen avec, notamment, Catherine Trautman.
S'il est un sujet sur lequel il était particulièrement important que nous travaillions ensemble en amont, parlementaires nationaux et parlementaires européens, afin de contribuer positivement à la dynamique de la négociation, c'est bien la politique agricole commune. En effet, la Commission européenne présentera en juillet ses propositions législatives et les dispositions du traité de Lisbonne relatives à la codécision trouveront pour la première fois à s'appliquer. La Commission européenne devra compter avec un Parlement européen pleinement colégislateur.
Au moment où s'engagent les négociations sur le prochain cadre financier européen pour 2014-2020, notre travail commun ne sera pas de trop pour défendre une politique agricole forte et compétitive, indispensable pour défendre notre autonomie alimentaire, un développement équilibré de nos territoires et une gestion durable des ressources naturelles.
Nos échanges devraient permettre de cibler les éléments du débat que les parlementaires nationaux souhaiteraient voir mieux relayés au Parlement européen, mais aussi les points sur lesquels les parlementaires européens comptent sur un soutien des parlements nationaux. Je donne la parole au Président Jean Bizet avec lequel nous avons maintenant la tradition de tenir conjointement ces réunions.
Je voudrais souligner que la PAC est à la veille d'une réforme profonde ; aussi la présente réunion est importante à double titre. Elle est d'abord la reconnaissance du nouveau rôle du Parlement européen dans les affaires agricoles dans la mesure où le traité de Lisbonne a sensiblement renforcé ses compétences. Certains ont même pu avoir des appréhensions à ce sujet. Si l'on savait que le Conseil et les États étaient globalement conscients de l'importance de la PAC, on pouvait avoir des doutes sur l'intérêt des parlementaires européens. Or l'activité de la commission de l'agriculture du Parlement européen a levé totalement ces appréhensions. Plusieurs rapports décisifs ont ainsi été publiés depuis six mois : ceux de George Lyon et de Stéphane Le Foll notamment. L'examen public des amendements au rapport Lyon a été suivi dans une salle comble, avec des observateurs de l'Europe entière. Le Parlement européen, sur les questions agricoles, est devenu un décideur à part entière et chacun peut être convaincu que la PAC y a beaucoup d'alliés, du moins à la commission de l'agriculture.
Ensuite, cette réunion couronne une sorte de tournée européenne que le groupe de travail commun à nos deux commissions du Sénat a choisi d'effectuer avant de proposer son rapport. Le Sénat a une longue expérience des questions agricoles. Le premier rapport sur la réforme de la PAC date de 1997 et, depuis, ce sujet est monté en puissance. L'un des rapporteurs de l'époque est devenu le président, tout à la fois, de la commission de l'économie et du groupe de travail. Le travail qui était autrefois confié à la seule commission des affaires économiques est aujourd'hui partagé avec la commission des affaires européennes. Cette association est tout à la fois un message et une direction à suivre car la réforme de la PAC ne peut être conçue aujourd'hui sans cette ouverture, sans une démarche d'écoute et d'alliance. C'est dans cet esprit que nous nous sommes rendus récemment en Allemagne et en Pologne avec Odette Herviaux et Bernadette Bourzai, coprésidentes du groupe de travail ; cette dernière se rendra d'ailleurs demain aux Pays-Bas. Nous avons pu nous rendre compte des attentes de nos partenaires, qui ne sont pas toujours les mêmes que les nôtres. La Pologne notamment ne sera pas un allié facile dans la négociation. Aujourd'hui ce sont les députés européens qui viennent à notre rencontre : c'est le symbole de cette démarche d'écoute et d'alliance que j'évoquais et je voulais les en remercier tout particulièrement.
Les parlementaires ici présents - nationaux ou européens- sont tous concernés, avertis et informés des enjeux relatifs à la PAC. Dans le prolongement de ce qu'a dit le président Jean Bizet, ce qui nous intéresse est de connaître l'opinion et l'appréhension qu'en ont les parlementaires européens. En effet, dans la mesure où la procédure de décision est maintenant radicalement différente, il nous faut adapter notre manière de voir et de travailler à cette nouvelle donne institutionnelle. En 2013 nous sortirons d'une période de dix ans de paix budgétaire qui avait été conclue entre le Président de la République française et le Chancelier allemand et avalisée par les chefs d'État et de Gouvernement. Cela avait permis d'aboutir à la réforme de juin 2003 qui était la deuxième grande réforme de la PAC après celle de 1992 et la réforme intermédiaire dite de l'Agenda 2000. Nous allons réformer la PAC concomitamment avec une nouvelle révision des perspectives budgétaires européennes. Nous en sommes donc à un point nodal de l'évolution de la PAC. Dans de telles circonstances, la tentation est grande de se dire que l'on a une page blanche sur laquelle on pourrait réécrire les contours de la PAC. La lecture des différents documents comme celui de la Commission européenne ne peut que susciter l'approbation sur les trois priorités que sont la sécurité alimentaire, avec un accroissement de l'approvisionnement en protéines - ce que l'on dit depuis 50 ans ! -, la gestion durable des ressources naturelles et le développement équilibré des zones rurales. Cependant, le diable se cache dans les détails, sur lesquels il s'agit de se pencher !
A la veille de cette négociation, il est nécessaire que les parlementaires européens nous fassent part des rapports de force, des points de blocage et des possibles terrains d'avancée. Nous, parlementaires français, devons être au clair sur ce que nous voulons. Le débat s'axe autour de questionnements fondamentaux. Le premier est celui du développement rural et des voies et moyens pour parvenir à ce que l'agriculture soit présente et maintenue sur l'ensemble des territoires ruraux. La deuxième série de questionnements a trait aux productions elles-mêmes. Sur ce point, il y aura trois grands risques à assurer. Le premier est la gestion des calamités agricoles et de l'aléa climatique, sujet qui ira sans doute en s'accentuant avec le réchauffement climatique. Le deuxième est la couverture du risque sanitaire tel que l'on a connu et appris à gérer pendant les dernières décennies, à travers les crises comme celle de la vache folle. Sur ces deux premiers risques, on pourra trouver un terrain d'entente. Mais le vrai sujet sera celui du risque économique lié à la volatilité des prix. Cette question soulève un débat éminemment idéologique qui a d'ailleurs sous-tendu toutes les discussions relatives au couplage-découplage des aides. Une certaine vision des politiques agricoles - ou plutôt d'absence de politique agricole - a conduit à dire qu'il fallait des aides découplées plutôt que des aides utilisées au moment où l'on en avait le plus besoin afin d'éviter que ces aides ne pèsent sur la formation des prix.
Dans cette négociation, la question de la gestion du risque économique qui entre d'ailleurs en résonance avec une des priorités affirmées par la France dans le cadre du G20, telle que l'a exprimée le Président de la République, sera un des sujets les plus importants pour la pérennité de l'agriculture européenne.
Pour terminer, le texte qui a été négocié entre la France et l'Allemagne me semble parfaitement synthétiser les enjeux de la négociation à venir. On ne peut que se féliciter que l'on ait pu aboutir à un accord franco-allemand détaillé sur les priorités qui ne soit pas seulement un accord politique global et de portée générale. L'action du ministre de l'agriculture français pour créer un groupe de pression favorable à une PAC impétueuse et rénovée est donc plutôt de bon augure.
Les discussions sur le futur de la PAC s'engagent dans un contexte radicalement différent par rapport aux négociations précédentes. L'envolée des prix agricoles et des denrées alimentaires en 2007-2008, même si elle a été variable selon les régions et les pays, a durablement marqué les esprits, au-delà du monde agricole, et contribué à replacer au premier plan la question de la sécurité alimentaire de l'Europe et de son autosuffisance. Parallèlement, l'effondrement des prix agricoles en 2009 et la désespérance du monde paysan ont également frappé les esprits, notamment parmi ceux qui n'étaient pas les plus enclins à soutenir le secteur agricole.
C'est dans ce contexte que les trois principaux objectifs assignés à la PAC dans le rapport de George Lyon ont été repris par le commissaire Dacian Ciolos et que, après 15 ans de domination de la définition de la PAC par une pensée très profondément libérale, pour laquelle le marché représentait l'alpha et l'oméga, on reconnaît de nouveau aujourd'hui la nécessité d'avoir des outils de régulation. Une fois que l'on a dit cela, on a tout dit et rien dit. Car si certains ont en tête les outils qui ont prévalu dans les années 1970-1980, il apparaît impossible désormais d'y recourir et ce pour deux raisons :
- logistiquement, tout d'abord, il est impossible de faire à 27 ce que l'on faisait auparavant à 8 ou 9 ;
- ensuite, nous ne sommes plus dans une économie continentalisée, mais dans une économie mondialisée. Ainsi, lorsque l'année dernière, 280 000 tonnes de poudre de lait ont été retirées du marché dans l'Union européenne, ce sont les Australiens et les Néo-Zélandais, qui ont profité, au niveau mondial, de l'embellie provoquée par ce retrait.
Il faut donc procéder autrement. Comme l'a dit le commissaire Ciolos, la Commission a laissé le pouvoir pendant 10 ans à une seule école de pensée selon laquelle le marché devait tout régler et, en conséquence, aucun crédit n'a été dépensé pendant cette période pour étudier de nouveaux outils de régulation. Nous sommes donc aujourd'hui dans l'incapacité de savoir quels outils pourraient être opérationnels d'ici trois ou quatre ans. Compte tenu des échéances de 2013, le commissaire Dacian Ciolos a passé commande d'études à des universités sur le sujet. Mais, pour l'heure, nous ne disposons d'aucun outil concret à mettre en face du terme « régulation ». C'est pour cette raison qu'il faudra avancer notre réflexion pendant les semaines qui viennent.
Sur le calendrier de la réforme tout d'abord, la communication officielle de la Commission est prévue pour le 17 novembre. Dans la foulée, le Parlement européen sera saisi de cette communication, puis le débat législatif sur les quatre textes débutera en juillet 2011. Parallèlement, il y aura le débat, non négligeable, sur les perspectives financières avec un texte du Parlement européen qui devrait également sortir vers juin ou juillet 2011.
S'agissant du contexte, il y a un véritable rapport de force au sein du Parlement européen, favorable à une réaffirmation de la PAC comme une politique qui doit rester européenne - ce qui n'était pas gagné - et défavorable à toute tentative de renationalisation et de hausse du cofinancement. Au Parlement européen, il y aura donc une large majorité pour donner à la PAC un budget à la hauteur de ses besoins et refuser une dérive vers une augmentation de la part du cofinancement. C'est déjà un point de départ important.
Concernant les enjeux de la PAC, celle-ci doit d'abord trouver à s'intégrer, comme la politique de cohésion, dans les objectifs de la stratégie 2020, autour des notions de compétitivité, de connaissance et de développement durable. Pour cela, mieux vaut redéfinir et défendre les politiques qui existent, plutôt qu'en inventer de nouvelles. C'est un des axes de discussion majeurs que nous avons au Parlement européen. Pour s'intégrer dans cette stratégie globale, la PAC doit être en mesure de montrer aux citoyens que l'agriculture est en connexion directe avec la question de la sécurité alimentaire et qu'elle constitue un élément moteur du développement durable et de la croissance verte. Les différents rapports qui ont été votés ont, sur ces points, été convergents.
Pour entrer dans des détails un peu plus techniques, je dirais qu'il y a trois enjeux majeurs pour la nouvelle PAC : la régulation, la compensation et la rémunération. En matière de régulation, des mécanismes nouveaux doivent être inventés et certains mécanismes anciens doivent être préservés, alors que l'on a failli perdre tous les mécanismes liés au filet de sécurité dans le cadre du bilan de santé de la PAC, comme le soulignent le rapport de George Lyon et le papier de la Commission qui a « fuité » début octobre. Parmi les mécanismes à inventer dans un contexte nouveau, il y a aujourd'hui des pistes évoquées par la France qui ne sont pas assez relayées au niveau européen, comme la contractualisation qui ne pourra participer à la régulation que s'il y a un cadre européen. Il faut également préserver la politique européenne de stockage public. Il y aura une majorité au Parlement européen en faveur de la régulation. Sur la compensation, il doit y avoir un vrai débat sur les handicaps naturels et les zones défavorisées. La nécessité du maintien d'un certain nombre d'aides couplées doit être reconnue pour servir les objectifs d'occupation de l'espace et du territoire. Là-dessus, il n'est cependant pas certain qu'il y ait une majorité au Parlement européen. Enfin, sur la rémunération, il est impératif de justifier, vis-à-vis des citoyens européens, les aides agricoles par la production de biens publics. Il faut promouvoir le rôle de l'agriculture en matière de protection de l'environnement, de biodiversité, de préservation des ressources naturelles et également en matière de photosynthèse et d'énergie solaire. En la matière, l'agriculture est au coeur du débat et c'est dans ces conditions que l'on arrivera à dégager une majorité au Parlement européen.
Le Parlement européen est favorable à une augmentation globale du budget de l'Union européenne et donc à une préservation de celui de la PAC : il y a toutefois un risque que les conclusions du Conseil européen du week-end dernier se situent en deçà de ces objectifs et il est nécessaire d'être vigilant ! C'est d'ailleurs un peu toujours la même chose : on se fixe tous les mêmes objectifs et la politique mise en oeuvre est à l'exact opposé de ces objectifs. Aujourd'hui, on se retrouve face aux résultats d'une agriculture intégrée à une économie de marché capitaliste qui élimine les petits et moyens paysans, et contribue à une réduction de la biodiversité et à une diminution du nombre d'habitants dans les territoires ruraux. Une réorientation importante de la PAC et des politiques agricoles nationales est donc nécessaire. Cependant le leitmotiv du moment, de plus en plus invoqué depuis la tenue du SPACE à Rennes au mois de septembre, est la compétitivité de l'agriculture. Or c'est cette recherche de compétitivité qui conduit à la concentration des élevages, à la hausse de la production par vache laitière et qui va à l'encontre de l'emploi, l'environnement et la vie des territoires. Les négociations à l'OMC ne poursuivent pas d'autre objectif, que l'on nous impose à marche forcée.
Face à cela, il faut réaffirmer la nécessité d'un prix de base pour rémunérer le travail paysan : les aides compensatrices et incitatrices sont certes utiles mais elles ne sont pas suffisantes pour rémunérer le travail alors que des investissements de plus en plus élevés sont requis. Aujourd'hui, on est dans un cycle où les agriculteurs travaillent plus pour gagner moins bien leur vie. La crise du lait, mais aussi la crise des céréales, l'ont bien montré. Dans une même commune, celui qui récolte du maïs se trouve dans une situation divergente de celle de l'exploitant qui doit acheter du maïs pour nourrir son bétail. Il convient donc de trouver des mécanismes régulateurs et stabilisateurs à l'intérieur de l'Union.
Dans le cadre des négociations internationales, des objectifs généraux en matière agricole et environnementale doivent être fixés. La souveraineté et la sécurité alimentaire pour tous les pays sont fondamentales. C'est ainsi qu'il ne pourra y avoir de développement harmonieux sans préférence communautaire, sinon le système de libre-échange intégral sera tueur pour tout le monde, et notamment pour les plus petits.
A ce moment du débat, en vue d'éviter les redites, il convient de dresser un point rapide sur les travaux du groupe de travail sur la PAC constitué au Sénat. La demande est aujourd'hui très forte, de la part du nouveau commissaire en charge du dossier, d'avoir des remontées des États membres vers la Commission européenne.
Nous produirons un rapport sur la réforme de la PAC après 2013 et nous présenterons, la semaine prochaine, un pré-rapport pour lequel nous nous sommes appuyés sur les auditions et sur de nombreuses visites sur le terrain qui nous ont beaucoup apporté. Ainsi, pour l'accord franco-allemand, de nombreux éléments nous étaient apparus comme étant conclus a minima, alors que nos collègues qui se sont rendus en Allemagne ont pu constater que la perception n'y était pas la même.
Nous avons tenu compte des rapports précédemment cités. De nombreuses questions sont posées pour ajuster cet outil incontournable qu'est la PAC. Quel budget pour une PAC forte ? Comment retrouver l'adhésion des citoyens et des consommateurs dans le domaine de la sécurité alimentaire et dans tout ce qui peut toucher au développement des territoires ? Plusieurs scenarii seront présentés dans le pré-rapport, chaque groupe pouvant ainsi exprimer ses préférences. L'écoconditionnalité et ce que l'on a appelé le verdissement de la PAC, la reconnaissance du rôle des agriculteurs dans la fourniture des biens publics, l'articulation entre les deux piliers dont les contenus ont d'ailleurs évolué et les questions budgétaires seront des thèmes majeurs du rapport. A travers ces différents scénarii possibles, nous espérons élaborer un scénario politique global.
Merci pour l'organisation de cette réunion. Il convient de se féliciter des nouveaux pouvoirs du Parlement européen en matière agricole qui est une des raisons de mon vote en faveur du traité de Lisbonne. L'agriculture doit être une priorité pour l'Union européenne ainsi que pour la France au sein de l'Union, pour des raisons multiples, allant de la souveraineté alimentaire à la satisfaction d'une demande mondiale croissante - la France étant un pays exportateur -, aux priorités d'aménagement du territoire, sans oublier la question du maintien de l'emploi et de la vie dans nos communes, et les préoccupations pour une gestion durable des ressources.
D'autres éléments, à la marge du texte de la Commission européenne, doivent également retenir notre attention. En ce qui concerne le principe de préférence communautaire, que fera-t-on pour protéger nos agriculteurs d'une concurrence déloyale, notamment dans le cadre de négociations au sein de l'OMC ? Lors des négociations internationales, on a fait des concessions préalables et ensuite on a adapté la PAC. Il faut briser ce cycle ! Les niveaux de réglementation sont en outre très variables au sein de l'Union et il convient de restaurer une concurrence intra-européenne loyale. Par ailleurs, en matière de régulation, le droit de la concurrence empêche aujourd'hui les agriculteurs de s'associer pour faire face à la grande distribution. C'est un sujet certes à la marge de la PAC mais qui fait partie de cette nouvelle régulation à inventer et c'est sujet sur lequel on pourrait avancer très vite. Enfin, n'oublions pas le tourisme qui est très lié au développement des territoires ruraux et qui est une source d'emplois non négligeable.
Je voudrais vous faire part d'une bonne nouvelle et d'une suggestion ! Le Parlement européen est dorénavant co-législateur agricole et co-décideur pour le budget de la PAC. Pour le projet de budget 2011, il a voté un budget supérieur de 800 millions d'euros à la proposition initiale de la Commission européenne pour la PAC, proposition qui avait été acceptée par le gouvernement français. Ce qui va se jouer à moyen terme, le contenu de la future PAC, et ses moyens dépendront du niveau global du financement du budget européen.
Le Parlement européen a compris qu'en 2011, au vu de la situation économique, il ne sera possible que de demander une augmentation du budget très limitée. Cependant, il souhaiterait - pour l'avenir - un accord politique du Conseil afin de travailler, en liaison avec les parlements nationaux, sur le financement futur de l'Union. Une proposition sera faite demain au Conseil et à la Commission en vue de la mise en place d'une conférence financière européenne comprenant des représentants du Conseil, de la Commission européenne, du Parlement européen ainsi que des parlements nationaux. Il s'agira de savoir comment financer durablement les politiques communautaires proprement dites, dont la PAC, ainsi que les grands objectifs communs européens dégagés dans la stratégie Europe 2020, quel partage des rôles établir entre les budgets nationaux et le budget communautaire et enfin, comment financer les augmentations du budget européen sans peser sur les budgets nationaux.
Il conviendra d'oser rouvrir le dossier des ressources propres du budget européen qui avait été ouvert lors du Conseil européen d'Edimbourg en 1992. Nous avons obtenu que le Conseil mette ce problème à l'ordre du jour de sa réunion du 16 décembre et tout soutien des parlementaires nationaux sera bienvenu.
Le Président Pierre Lequiller. - Suite notamment à votre audition devant notre Commission, nous avons d'ores et déjà fait entendre notre voix auprès du Président Bernard Accoyer conjointement avec Jérôme Cahuzac, Président de la Commission des finances, ainsi qu'avec Gilles Carrez, Rapporteur général de la Commission des finances. Notre objectif est notamment d'assurer un dialogue entre les parlements nationaux et le Parlement européen dans le contexte nouveau du « semestre européen ».
Je partage beaucoup des opinions émises par Hervé Gaymard et Stéphane Le Foll qui participent au consensus autour des objectifs de la PAC. J'ai l'espoir que l'on réfléchisse à une nouvelle PAC de façon positive. En effet, depuis vingt ans, les réformes ont toujours été faites dos au mur, notamment vis-à-vis des exigences de compatibilité avec les règles de l'OMC. Nous avons, cette fois, la possibilité de raisonner différemment. Inscrire la PAC - seule politique commune - dans les objectifs de l'Union pour 2020 est ambitieux et positif. Par ailleurs, pour chaque réforme, le budget a toujours été débattu avant de définir le contenu. Il faudrait que l'on commence par définir les contours de la PAC et, ensuite, établir le montant des ressources à y consacrer pour, ensuite, aborder la négociation du budget. Malgré l'excellente nouvelle présentée par Alain Lamassoure, je crains que le contexte de crise ne permette pas l'émergence d'une PAC disposant des moyens nécessaires. Mais il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre !
Merci d'avoir organisé cette très intéressante réunion. Je rappellerai à Michel Dantin l'erreur historique faite sur l'évaluation des besoins mondiaux en produits alimentaires sans qu'ait été prévue - par aucun expert - l'augmentation des demandes chinoise et indienne. On peut ainsi souligner la cécité de la Commission européenne qui avait préconisé une politique de jachère.
La régulation dont on parle reste en réalité un débat franco-français et n'a pas cours à Bruxelles. Et il faut être bien conscient, je le vois dans le cadre du rapport que je suis en train de faire avec Jérôme Lambert sur la politique industrielle, qu'en matière de politique agricole commune, les Français sont les seuls, au niveau européen, à parler de préférence communautaire.
Il faut donc se demander quelle est, dans ce domaine, la marge de manoeuvre réelle car les 800 millions supplémentaires que le Parlement européen a affectés à l'agriculture ne seront sans doute pas acceptés. Je pense qu'il y a trop d'optimisme dans ce domaine.
Nous ne sommes pas optimistes mais simplement le plus réalistes possible : tout est une affaire de rapports de forces. C'est ainsi que le rapport de George Lyon a été accepté à l'unanimité. Tout le monde veut des filets de sécurité et des outils de régulation. La question est de savoir ce que l'on met derrière ! Le Parlement européen est plutôt sur une dynamique positive en faveur de la PAC. Mais il faut tenir compte du fait qu'il existe des différences d'appréciation entre les États, entre les États agricoles et ceux qui ne le sont pas, entre les nouveaux États européens et les anciens. Ce rapport de forces se situant aussi entre les États, il nous faut donc trouver des alliés pour éviter un débat franco-français et pour trouver des compromis permettant à la France d'obtenir des résultats positifs. C'est tout le mérite de l'accord franco-allemand. La question plus générale est de savoir, finalement, comment faire pour que la France garde une influence à tous les nivaux européens.
Il ne faut pas avoir d'illusions sur le budget. Si l'on admet que le budget de l'Union européenne ne peut augmenter mais que celle-ci a de nouvelles compétences, la question se pose donc de savoir comment les financer et où prendre l'argent. La Grande-Bretagne a dit qu'elle savait où l'on peut trouver cet argent ! Il faut donc trouver des alliés et arrêter de dire qu'il ne faut pas bouger les règles budgétaires, sinon on se retrouvera dans le mur.
Merci tout d'abord aux parlementaires européens pour ses informations. Il faut en effet créer des alliances et rassembler les pays favorables à une PAC forte, comme le font le commissaire Dacian Ciolos et Bruno Le Maire et comme l'avait fait également Michel Barnier. Il était ainsi assez intéressant de faire paraître le document de la Commission juste avant les propositions sur les perspectives budgétaires.
Il faut tout d'abord définir un contenu à la PAC, notamment le contenu des premier et deuxième piliers, avant de passer sous la toise budgétaire, comme cela a été le cas en 2001. Ainsi, pour le « verdissement » du premier pilier, jusqu'où peut-on aller pour avoir une alimentation sûre et saine correspondant aux aspirations des consommateurs ? Si l'on met les mesures environnementales dans le premier pilier, que deviendra le deuxième ? Quelle sera l'articulation entre les deux piliers et avec la politique régionale ? Que fera-t-on pour les zones rurales ?
Merci d'avoir organisé cette réunion ; il serait aussi intéressant de pouvoir entendre le commissaire européen chargé de l'agriculture. J'aimerais être optimiste dans ce domaine mais le réalisme commande d'être plus mesuré, voire pessimiste. On se trouve devant une équation difficile à résoudre car on est favorable à la mondialisation de l'agriculture dans le cadre de l'OMC, qui empêchera, de ce fait, d'avoir une préférence communautaire, tout en préconisant en même temps une politique agricole commune et en refusant la nationalisation. Le budget européen est alimenté par les pays et, si on a une PAC, il faudra bien que les pays membres s'engagent budgétairement à la financer.
Il ne faut pas se cacher la réalité nationale d'une politique agricole commune. Pour le monde rural, une politique structurelle serait plus nécessaire qu'une politique d'aides directes. Que veut dire une politique européenne compétitive ? Il sera nécessaire de réguler la production mais comment pourra-t-on faire si on ne dispose pas de moyens de stockage ? Cela ne suffira pas car il faudra aussi réguler le commerce des produits agricoles.
Je me réjouis de ce rendez-vous et je suggère à nos présidents de prévoir un débat de même intérêt sur la réforme de l'énergie, car c'est un sujet d'une actualité brûlante.
Sur la PAC, tout d'abord je prends note du triptyque de Stéphane Le Foll « régulation-compensation-rémunération » et je poserai cinq questions.
Comment le Parlement européen est-il informé régulièrement de ce qui se dit à l'OMC ?
L'Union européenne n'envoie-t-elle pas un signal contradictoire avec la PAC lorsqu'elle dit qu'il faut renationaliser la politique concernant les OGM, sujet qui n'est pas étranger à l'agriculture ?
Pourquoi résister en permanence sur les questions d'étiquetage ? Aujourd'hui il y a un réel besoin de traçabilité liée notamment à la qualité des produits. On a l'impression que la volonté française en la matière est souvent en contradiction avec ce qui s'observe au niveau européen.
Dans l'idée d'une régulation à venir, pourquoi essayer de casser les interprofessions, fortes en France ? Lorsque les professions se structurent, y compris parfois à l'échelle européenne, y a-t-il une désapprobation au niveau de l'Union et quel est l'avis du Parlement européen ? Il y aurait certainement un problème si on annonçait aux interprofessions qu'elles devaient disparaître dans la future PAC.
Enfin, en matière de politique alimentaire, ne devrait-on pas raisonner par territoire de production agricole afin d'assurer d'abord l'autosuffisance de chaque territoire et seulement ensuite mettre le surplus à la disposition du marché et des secteurs qui ne sont pas en capacité de produire ? Pourquoi n'arrive-t-on pas à trouver des solutions, par exemple avec la restauration collective, pour favoriser les productions locales : il n'y a actuellement pas d'autres solutions que de ne pas respecter les règles de concurrence françaises et européennes !
Ces questions sont à la périphérie du sujet mais en font quand même partie.
Je veux d'abord rappeler à quoi sert la PAC : d'abord assurer la sécurité alimentaire en quantité et en qualité, ce qui nous ramène à la question de l'environnement ; ensuite soutenir l'aménagement du territoire, notion plus forte en France qu'ailleurs parce que nous avons des surfaces plus importantes et l'ambition de les occuper complètement, ce qui implique de compenser les handicaps naturels ; enfin rémunérer les producteurs. Sur ce dernier point, tout le monde s'est rendu compte que le système des aides découplées ne suffit pas à assurer le revenu des producteurs, alors qu'un système d'intervention sur le marché portant sur les volumes et les prix est moins cher et était sans doute plus efficace. Malheureusement, il ne peut plus s'appliquer aujourd'hui.
Les orientations de la future PAC doivent insister sur notre position à l'OMC et c'est la clé car si l'Union européenne est ouverte à tous vents, sans aucun contrôle, les choses ne changeront pas. Elles doivent ensuite clarifier le rapport aux règles de concurrence pour déterminer si elles sont le moyen d'atteindre un but ou si elles sont en elles-mêmes le but comme le croient certains. Elles doivent enfin s'attaquer aux distorsions non seulement internationales mais aussi à l'intérieur de l'Union européenne. On parle beaucoup à l'Assemblée nationale des distorsions avec l'Allemagne depuis quelque temps, mais il faut aussi parler des distorsions avec les autres Etats membres, en particulier les nouveaux membres d'Europe centrale. Cela pose la question du rattrapage des moyens financiers pour ces pays.
Le Président Pierre Lequiller. - Je rappelle que les Commissions des affaires européennes du Triangle de Weimar vont se réunir prochainement à l'Assemblée nationale pour parler notamment de la PAC.
On a parlé tout à l'heure de compensation et j'insisterai sur la politique en faveur de la montagne. Le traité de Lisbonne a défini un objectif supplémentaire, la cohésion territoriale, mais cet objectif ne se réalisera pas si l'on ne maintient pas l'agriculture dans les zones défavorisées et si l'on ne compense pas ce handicap par une politique spécifique sans laquelle il n'y aura tout simplement plus de vie. Je voudrais connaître la position des parlementaires européens sur ce point, alors qu'on voit par ailleurs des positions qui répondent à nos préoccupations et qu'il faudra épauler.
Je regrette ne pas avoir entendu le débat avec Alain Lamassoure sur les ressources propres. Être contre l'impôt européen est peut-être une erreur ; ce serait une erreur en tout cas de ne pas oser poser la question. Une conférence sur les ressources permettra d'y voir plus clair sur les perspectives d'avenir. Un désenchantement à l'égard de l'Union européenne apparaîtra s'il n'y a pas un soutien à la PAC, première politique commune européenne, au moment où il faut au contraire retrouver l'espérance.
Je souhaite que le groupe de travail sur la montagne du Sénat puisse travailler avec celui du Parlement européen pour maintenir l'agriculture et la vie sur l'ensemble du territoire.
Je veux d'abord souligner deux chiffres. A l'horizon 2020, l'Union européenne comptera quinze millions de consommateurs supplémentaires et aura besoin en conséquence de trente-quatre à trente-cinq millions d'hectares pour couvrir ses besoins alimentaires. Ces chiffres nous font toucher du doigt l'importance de la notion de sécurité alimentaire.
Pour avoir rencontré souvent nos amis allemands, je voudrais insister à nouveau sur le fait qu'il est redevenu politiquement correct d'utiliser les notions de productivité et de compétitivité en agriculture, qui peuvent désormais être considérées comme compatibles avec l'environnement.
Je me félicite par ailleurs de la réflexion menée au Parlement européen à travers les rapports Lyon et Le Foll qui vont tout à fait dans le bon sens.
Hervé Gaymard a souligné l'importance de l'accord franco-allemand auquel les pays comptant en agriculture, comme la Pologne ou d'autres, souhaitent s'agréger. Il ne faudra donc pas trop s'éloigner de cette position.
Quant à la préférence communautaire, au risque de choquer certains d'entre vous, elle n'existe plus parce qu'elle s'est érodée depuis 1957, également depuis le début du cycle de Doha entre 2001 et aujourd'hui, en raison de l'évolution de notre société. La donne sociale et environnementale a complètement changé et les vingt-six autres États membres ne comprennent pas cette notion. En revanche, on peut arriver aux mêmes solutions si l'on parle du principe de réciprocité. Nous disposons de certains outils pour le mettre en oeuvre, comme l'accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) ou d'autres mesures. Ce serait beaucoup plus constructif.
Enfin, le calendrier des négociations à l'OMC, en sommeil depuis 2001, est très important. Au moment où les Américains commencent à remettre le dossier sur le tapis, les Européens peuvent pour la première fois maîtriser les échéances avec leur réforme de la PAC en 2013. Ils peuvent en effet essayer de demander aux États-Unis d'abattre leur jeu avant cette date et de tenir compte de notre réforme de la PAC avant la négociation à l'OMC.
Président de la Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire du Sénat, co-président du groupe de travail du Sénat sur la PAC. - J'avais notamment retenu de la rencontre sur le bilan de santé de la PAC à laquelle j'avais assisté, à l'invitation de Michel Barnier, que les vingt-sept États membres avaient à peu près la même vision sur l'aménagement du territoire et se montraient en faveur d'une réorientation vers les zones défavorisées à handicap naturel où se pratique l'élevage bovin et ovin. L'occupation des territoires ruraux est déterminante pour notre pays et cette question de la compensation du handicap a été évoquée par Stéphane le Foll. Il faut en effet beaucoup insister pour que la PAC préserve l'occupation des espaces à handicaps naturels, où il y a de l'élevage.
Il faut se poser la question de savoir si, dans un pays comme la France, il est souhaitable de maintenir des références historiques.
Pour la régulation, la contractualisation, dont on a beaucoup parlé dans la loi de modernisation de l'agriculture, est une notion qui devrait être inscrite durablement dans la politique agricole commune.
Par ailleurs, la protection de l'environnement doit-elle être intégrée dans le premier ou le deuxième pilier pour préserver la ruralité ?
Enfin, il faut conserver une politique agricole commune et faire très attention aux renationalisations qui pourraient détruire en un ou deux cycles une politique qui fait partie de notre histoire.
Ce genre d'échanges est très intéressant. Il faut défendre la régulation, même si les outils sont difficiles à mettre en oeuvre. Il faut donc développer la contractualisation dans un cadre européen. Il faut aller plus loin dans la recherche pour le développement durable et unir les efforts européens en ce domaine.
Il est possible de concilier compétitivité économique et développement durable si une coordination est établie au niveau européen. Sinon, la concurrence entre pays européens provoquera des problèmes internes chez chacun d'entre eux.
Je prends note du rappel par Alain Lamassoure de l'importance de la codécision ainsi que de la conférence financière européenne.
Enfin, je m'interroge sur les manières de coordonner nos efforts pour défendre la PAC, essentielle pour soutenir nos producteurs et assurer la cohésion sociale.
En tant qu'élu d'un département viticole, je suis très inquiet de la suppression prévue des droits de plantation au 1er janvier 2016 alors que le système existe dans notre pays depuis 1936 et qu'il a permis de franchir bien des caps difficiles. J'ai peur que notre pays souffre de la concurrence internationale si l'on peut planter n'importe où sans restriction et si l'on fait disparaître un système qui a fait ses preuves et assure justement le développement équilibré de nos territoires, notion dont on parle tant par ailleurs.
Concernant la réglementation des produits phytosanitaires et des pesticides, nous nous battons depuis des années dans ma région pour qu'une même réglementation s'applique en France, en Italie et en Espagne. Je souhaite que la PAC établisse enfin une convergence réglementaire sur ce point pour garantir une concurrence loyale.
La question du niveau du budget ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt. Son maintien ne sera possible que si on relégitime la PAC auprès des citoyens et contribuables européens. Je me réjouis du consensus évoqué par Hervé Gaymard sur l'autonomie en protéines, la gestion durable des ressources naturelles et l'aménagement équilibré du territoire, mais le diable se niche dans les détails.
Si l'on veut réorienter profondément l'agriculture européenne, cela passera par des ruptures dans la répartition des moyens en s'appuyant sur deux critères pour relégitimer la PAC : d'abord une vraie prise en compte de l'environnement, notamment de la notion de production de biens publics, trop marginale pour l'instant ; ensuite le traitement de la question de l'emploi. L'agriculture est en effet le seul domaine où l'argent public subventionne le capital plutôt que le travail, alors que dans tous les autres secteurs de l'économie il subventionne l'allègement des charges et du coût du travail.
Cette rupture dans la répartition de l'argent public se traduira sur le plan de l'histoire mais aussi sur le plan culturel. Il n'est ainsi pas évident, notamment dans le monde agricole, de reconnaître que l'agriculteur est aussi un producteur de biens publics. Sans que les agriculteurs se sentent cantonnés dans un rôle de jardiniers de l'espace, il faut intégrer le fait qu'ils sont à la fois producteurs et producteurs de biens publics.
Comme l'on dit un certain nombre d'intervenants, il se pose un sérieux problème de concurrence à l'intérieur même de l'Union européenne, lié aux différences de compétitivité comme l'illustrent les disparités entre la France et l'Espagne. Sur le terrain, le problème est souvent évoqué par les exploitants agricoles. En la matière, le Parlement français détient une partie de la réponse quand il transpose les directives européennes. La France se veut exemplaire, en rajoute et durcit les textes en matière environnementale, comme la réglementation relative aux produits phytosanitaires. Compte tenu des difficultés ressenties par les agriculteurs, il est indispensable que le Parlement européen et le Parlement français aient plus de contacts lors des transpositions des directives.
La préférence communautaire est un sujet tabou en Europe. Il existe cependant une possibilité de résoudre le problème par le biais de la règle et du principe de réciprocité, dont l'idée commence à germer dans les esprits et dans les institutions européennes. La semaine dernière, un amendement tendant à ce que soit exigée, dans le cadre des négociations entre l'Union européenne et le Mercosur, l'inclusion d'une clause de réciprocité pour l'application des règles sanitaires a recueilli de nombreuses signatures. L'Union européenne est liée par des accords de commerce avec de nombreux pays tiers qui, de pays émergents, sont en fait devenus de véritables puissances économiques. Les relations commerciales ne peuvent plus être appréhendées comme avant et les accords commerciaux doivent être modifiés en conséquence.
Je voudrais vous faire part d'une réflexion. Toute réforme de la PAC ne peut s'imaginer sans une véritable réorganisation de l'agriculture française. Il faut avoir le courage de le dire. L'Allemagne a procédé à une restructuration et devance maintenant la France pour certaines productions comme la tomate.
Dans ce débat, je voudrais vous rassurer : nous ne serons pas candides ! Cependant, il est vrai que, par rapport à la période d'il y a dix ans, le climat est plus porteur pour la PAC dans la mesure où la question de l'alimentation est redevenue une préoccupation centrale. Les trois rapports récemment adoptés par le Parlement européen, ceux de George Lyon, de Stéphane Le Foll et de José Bové, fondent en quelque sorte la doctrine à partir de laquelle nous allons travailler. Le Parlement européen a clairement affirmé s'opposer à toute renationalisation de la PAC. Cette politique commune est un grand navire : il n'y aura pas de grand soir et les virages doivent se prendre en fonction du rythme des exploitations agricoles !
Le tourisme rural doit être traité dans le cadre du deuxième pilier.
J'accorde à Jacques Myard qu'aucune prévision n'avait présagé de l'ampleur de la poussée des achats agricoles de la Chine et dans une moindre mesure, de l'Inde.
Pour la question financière, l'accord de 2003 avait été conclu entre deux pays et avait ensuite reçu l'assentiment des treize autres États membres. Aujourd'hui, un accord entre deux pays n'est pas suffisant pour fonder un accord à vingt-sept et il faut impérativement y impliquer un État nouvellement membre qui soit capable d'entraîner les autres nouveaux adhérents. La Pologne pourrait jouer ce rôle et c'est tout l'intérêt des rencontres comme celles du Triangle de Weimar.
Le document qui a émané de la Commission n'est en tout état de cause pas définitif et va faire l'objet d'un examen attentif par les cabinets des différents autres commissaires.
La notion de « piliers » appelle certaines remarques. En effet, le commissaire Ciolos estime qu'elle peut être source de confusion ; aussi lui ai-je proposé d'utiliser, dans la communication définitive, pour plus de lisibilité, la notion de « bloc » ou d'« ensemble ». Dans l'esprit du commissaire, le premier bloc serait constitué des aides au fonctionnement - aides annuelles au revenu, aides agro-environnementales, indemnités compensatoires de handicaps naturels - faisant l'objet d'un financement européen ou de cofinancement. Le deuxième bloc comprendrait les outils opérationnels pour l'investissement, en agriculture et dans l'agroalimentaire, ainsi que les outils de marché existants à revitaliser ou nouveaux. La logique des deux piliers telle qu'elle était conçue ne prévaudrait plus. S'agissant du « verdissement » des aides, le commissaire Dacian Ciolos a dit à juste titre qu'une politique incomprise par les bénéficiaires n'est pas légitime. Or l'éco-conditionnalité n'a pas prouvé son efficacité opérationnelle ; elle est par ailleurs illisible pour les consommateurs et difficilement compréhensible pour les exploitants agricoles. En conséquence, son idée est de la remplacer par des mesures plus simples, plus lisibles et plus efficaces, comme les bandes enherbées qui ne sont remises en cause par personne. Deux pistes de réflexion sont proposées par le commissaire Ciolos : la rotation des cultures qui serait obligatoire pour obtenir des aides et une prime au pourcentage minimum de maintien des prairies naturelles.
Le débat à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) est pour l'heure gelé et nul ne sait quel sera le calendrier de redémarrage des négociations. Le débat sur les produits alimentaires et la régulation s'est déplacé vers d'autres instances internationales, formellement ou informellement, comme le G20 et le G8. Et l'on peut légitimement se demander si le débat sur l'alimentation ne devrait pas s'engager dans un autre cadre, par exemple, la FAO renouvelée. C'est un débat des temps modernes.
La Commission européenne a fait de la question de la concurrence une fin en soi, nous privant ainsi d'éléments d'intervention en matière agricole. Le commissaire Ciolos, en liaison avec le commissaire chargé de la concurrence et le commissaire chargé du marché intérieur, a engagé une discussion pointue sur ce thème. Le commissaire Joaquín Almunia qui n'y était pas favorable semble avoir évolué et des propositions devraient être faites sous quinze jours. Une fenêtre semble s'ouvrir pour la prise en compte de la spécificité agricole par rapport au droit de la concurrence tel qu'il avait été érigé en dogme.
Trois points du débat seront sans doute difficiles. Le premier est les références historiques dont il faut dire très clairement qu'aucune majorité ne soutiendra leur maintien. Même les exploitants agricoles n'y sont globalement pas favorables car le système est trop compliqué. Par ailleurs, la mise à niveau des aides aux pays nouveaux adhérents devra se faire comme nous nous y étions engagés lors de leur adhésion. Il y a un accord au Parlement européen pour avancer vers une solution de droits à paiement unique (DPU) en deux parties, l'une uniforme et fixe et, l'autre, variable en fonction de la situation économique des différents États. Un travail devra donc se faire autour de la façon de calculer cette part variable. Plusieurs critères peuvent être envisagés : PIB, coût salarial à l'hectare, coût horaire de la main-d'oeuvre... Enfin, s'agissant du débat couplage/découplage, le vent favorable à un découplage total des aides semble s'être retourné. Un relatif consensus semble se faire autour du constat que l'abandon de tout lien entre production et aides peut conduire à la disparition de certaines filières. Sans aides couplées à la filière bovine, il n'est qu'à signer tout de suite l'accord avec le Mercosur !
À propos de l'OMC, je voudrais attirer l'attention sur le fait que les négociations sont aujourd'hui en panne, mais qu'il y a plus à craindre des accords bilatéraux, du type accord avec le Mercosur, que des initiatives multilatérales, dont on ne sait en outre comment elles seront traitées par les États-Unis à la suite des élections de mi-mandat. Par ailleurs, sur ces questions, il y a deux faits nouveaux à prendre en compte :
- le Parlement européen souhaite renégocier les mandats de négociation de la Commission obtenus par elle il y a 10 ans dans l'objectif d'intégrer des clauses relatives aux questions environnementales, d'une part, et aux questions sanitaires, d'autre part, voire sociales ;
- sur l'étiquetage, la prudence doit être de mise. Il y a aujourd'hui une inflation d'informations sur l'étiquette des produits, qui risque de perturber le consommateur. Il faut faire des choix pour éviter de tout renvoyer sur le consommateur.
La compétitivité de l'Union européenne tient à la valeur ajoutée de ses produits : avec trois fois plus d'agriculteurs que les États-Unis et deux fois et demi moins de surfaces agricoles, nous produisons quand même une fois et demi fois plus de valeur ajoutée ! Certes, nous ne sommes pas compétitifs sur les grands produits de consommation mais nous sommes capables de valoriser les produits et nous avons une très grande valeur ajoutée sur les produits de qualité. Nous devrons avoir en tête cet axe stratégique sur lequel la France est bien placée.
Il est clair désormais qu'il faut un volet « alimentation » à la PAC qui lui fait actuellement défaut. Ne serait-ce qu'au sein de l'Union, on compte 16 à 17 millions de personnes souffrant de malnutrition. Le PAC doit s'intéresser à la restauration scolaire et appuyer les collectivités dans leurs démarches, afin non seulement de distribuer au moins un repas complet par jour aux enfants mais également de les éduquer au goût et à la diversité de l'alimentation.
Les références historiques sont terminées et il est inutile de se battre sur cette question. Il faut donc trouver d'autres formes de rémunérations, en liaison avec les questions liées à l'environnement.
Favoriser la production de protéines végétales est aujourd'hui un enjeu car les grands flux de protéines végétales ne sont plus entre l'Amérique du Sud et l'Europe mais entre l'Amérique du Sud et la Chine. Il y a donc un espace à prendre. Et pour cela, il faut inciter à la rotation des cultures : c'est ainsi que le Canada est devenu le premier producteur de légumineuses, en aidant à la fixation de l'azote par la culture de légumineuses. On ferait une erreur de ne pas lancer - notamment en France - un grand projet protéinique végétal. Le Parlement européen va d'ailleurs adopter un rapport sur ce point.
Je terminerai sur un sujet qui n'est pas le plus simple : les OGM. La position de la Commission, qui vise à permettre aux États membres d'interdire la culture sur leur sol d'OGM autorisés au niveau européen pour des raisons autres que sanitaires ou environnementales, n'est pas acceptable. Les derniers éléments en provenance des États-Unis font état d'apparition de résistances au glyphosate. Je pense qu'il faut que le Parlement européen se saisisse du débat autour de quatre points. Les deux premiers tiennent aux considérations environnementales pour lesquelles un pays doit pouvoir refuser un OGM et aux considérations sanitaires quand on utilise des OGM qui intègrent des pesticides. Par ailleurs, les considérations économiques doivent être évoquées au niveau européen : jamais on ne se pose la question de savoir s'il y a un intérêt économique à la culture des OGM ! Enfin, la question de l'existence d'alternatives à l'utilisation des OGM doit être posée. Le débat au niveau européen doit s'articuler autour de ces points pour savoir si l'on doit ou pas autoriser les OGM.
Haut les coeurs ! Ne nous comportons pas en forteresse assiégée alors que nous sommes les meilleurs ! L'agriculture française et l'agriculture européenne disposent de tous les atouts pour répondre à une demande mondiale qui, pour la première fois, augmente plus vite que l'offre, contrairement à ce qui s'est passé pendant les cinquante dernières années. Il faut prendre des initiatives en vainqueur, au lieu de quémander des aides ou d'invoquer la préférence communautaire, à l'exemple de ce que fait l'Allemagne avec sa politique industrielle.
Maintenant il faut livrer trois batailles du point de vue de l'opinion publique, dont les deux premières ont été perdues jusqu'à présent :
- au niveau international dans les négociations, il faut combattre l'idée, répandue notamment par Oxfam, selon laquelle la PAC affame l'Afrique et les aides agricoles artificiellement distribuées à nos producteurs empêchent toute agriculture vivrière d'émerger. Cette analyse est contraire à la vérité. Il faut en faire la démonstration ;
- au niveau européen ou national, il faut arrêter avec l'idée selon laquelle l'agriculture pollue et que seule l'agriculture biologique constitue une porte de salut. Ce combat est moins mal engagé ;
- enfin, il faut renoncer à l'idée selon laquelle les agriculteurs pourraient à la fois bénéficier des hausses des prix du marché et d'aides directes non plafonnées basées sur des références historiques, alors qu'il y a plus de 24 millions de chômeurs en Europe.
Pour finir, sur le budget, il y a une chose que vous devez savoir : c'est que, bien que l'on soutienne tous le fait que la PAC, en tant que première et seule politique commune européenne, doive être financée à 100 % par le budget européen, la France n'y a plus directement intérêt. Alors que cela est pleinement valable tant que la France est le premier bénéficiaire économique et budgétaire de la PAC, cela ne sera plus vrai à partir de 2013, voire dès aujourd'hui. En effet, le financement de la PAC intégralement par le budget européen est une contrepartie du chèque britannique, qui est un remboursement de la contribution de la Grande-Bretagne au budget européen initialement financé par l'Allemagne, la Suède ou les Pays-Bas. Mais, aujourd'hui, seule la France, et accessoirement l'Autriche, finance le chèque britannique. Si l'on fait la balance entre la contribution de la France au budget européen et le chèque britannique d'une part, et les aides reçues, d'autre part, on constate que la France y perd. Du seul point de vue Bercy, nous aurions tout intérêt à renationaliser la PAC ! J'ajoute que, pour nos organisations agricoles, Paris est plus près que Bruxelles... Serait-ce donc un drame ? Je vous laisse sur ce point d'interrogation...
Le Président Pierre Lequiller. - ...et d'étonnement ! Je voulais vous dire, au nom des présidents Jean Bizet, Jean-Paul Emorine, Patrick Ollier, que nous avons trouvé cette réunion très intéressante et de grande qualité. Elle nous conforte dans la conviction qui est la nôtre de l'importance majeure du développement d'un dialogue régulier entre parlementaires nationaux et parlementaires européens sur les principaux sujets d'actualité.