Commission des affaires économiques

Réunion du 19 juillet 2017 à 9h35

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Mes chers collègues, depuis la suppression de la commission sénatoriale de l'application des lois, il appartient de nouveau aux commissions permanentes de contrôler l'application des lois qui relèvent de leur compétence.

Nous avons désigné Annie Guillemot et Valérie Létard pour évaluer la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine dite loi Lamy.

La loi Lamy comporte cinq axes de réforme qu'avait identifiés notre regretté collègue Claude Dilain qui était rapporteur du texte : une simplification de la géographie prioritaire, la mise en oeuvre de nouveaux contrats de ville, la réaffirmation de l'utilisation des crédits spécifiques de la politique de la ville en complément et non en substitution des crédits de droit commun, l'affirmation d'un nouveau principe en matière de participation des habitants, la co-construction, enfin une réforme des structures d'évaluation.

Lors du dernier bilan d'application des lois, il apparaissait que la loi était applicable à 92%. Il manque en effet l'arrêté relatif au conseil citoyen. Vous nous expliquerez si cela a des conséquences sur la mise en oeuvre des conseils citoyens. Vous nous direz sur un plan plus qualitatif comment s'applique en pratique cette loi. Je vous donne la parole.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Létard

Monsieur le Président, mes chers collègues, nous sommes très heureuses de venir vous présenter les conclusions de notre travail d'évaluation de la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, dite loi Lamy. C'est un sujet certes technique mais ô combien passionnant.

Nous avons cherché à répondre à plusieurs interrogations : la nouvelle géographie prioritaire est-elle pertinente ? Comment sont pris en charge les quartiers sortants ? Comment se sont mis en place les contrats de ville ? Les acteurs de la politique de la ville ont-ils été au rendez-vous ? Quel est leur niveau d'engagement ? Les crédits spécifiques de la politique de la ville interviennent-ils en complément des crédits de droit commun ? Comment se sont déployés les conseils citoyens ? Ont-ils les moyens de fonctionner ? Enfin comment est mis en oeuvre le nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU) ?

Nous avons entendu les principaux acteurs de la politique de la ville (le Commissariat général à l'égalité des territoires, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, les bailleurs sociaux, les élus, les conseils citoyens, etc) et effectuer plusieurs déplacements, à Valenciennes, Lille, Nantes, Marseille, en Seine-Saint-Denis et demain à Lyon, afin de constater comment se mettait en place la loi sur le terrain. Voici nos réflexions et recommandations.

S'agissant de la réforme de la géographie prioritaire, la loi Lamy a fait oeuvre de simplification en remplaçant les différents zonages de la politique de la ville (Zones urbaines sensibles, contrats urbains de cohésion sociale) par un zonage unique : celui des quartiers prioritaires. Ces quartiers prioritaires sont des territoires urbains comprenant au moins 1000 habitants et caractérisés par un écart de développement économique et social apprécié par un critère de revenu des habitants. 1 514 quartiers ont été ainsi retenus.

La majorité des personnes que nous avons entendues ont reconnu la pertinence de ce nouveau zonage. Néanmoins, nous avons constaté lors de nos déplacements que ces critères ne permettaient pas de prendre en compte des territoires où l'habitat est plus horizontal que vertical. Nous pensons au bassin minier, ou à des poches de pauvreté enclavées dans une zone de mixité sociale comme on l'a vu à Marseille. C'est la limite de la technique du carroyage qui a été utilisée par le gouvernement pour déterminer en pratique ces quartiers.

Une solution pourrait consister à abaisser le critère du nombre d'habitants. Mais nous avons conscience que nous reviendrions à une politique de saupoudrage ce que nous ne souhaitons pas. Nous demandons au gouvernement d'identifier les poches de pauvreté non retenues dans la géographie prioritaire en raison du seuil d'habitants et d'évaluer si elles nécessitent la mise en place d'outils spécifiques.

Si un seul zonage pour la politique de la ville a été instauré, le Gouvernement n'est pas allé jusqu'au bout de la logique en maintenant des zonages différents pour l'application d'autres politiques publiques dans les quartiers prioritaires. Ainsi, la Cour des comptes relevait que « sur les 216 quartiers d'intérêt national du NPNRU, seulement 60 correspondent à la fois à des quartiers prioritaires, à des zones de sécurité prioritaires (ZSP) et à des zones d'éducation prioritaire (ZEP). » Une convergence des critères a certes été engagée mais il demeure encore des divergences notamment s'agissant de l'éducation prioritaire. Nous invitons le gouvernement à poursuivre ses efforts en la matière.

Bien que favorable à un resserrement de la géographie prioritaire, le Parlement a été attentif à la situation des quartiers sortants. Ainsi, la loi Lamy a instauré un dispositif dit de veille active pour ces quartiers.

Une remarque préalable sur les bénéficiaires de ce dispositif. Si la loi vise les quartiers sortants de la géographie prioritaire, nous avons constaté que certains contrats de ville ont intégré sous le vocable de quartier de veille active à la fois des quartiers sortants mais aussi des quartiers présentant des difficultés et nécessitant un suivi. Nous invitons les signataires lors des prochains contrats de ville à distinguer clairement les quartiers sortants et les autres territoires qui méritent une observation.

S'agissant du dispositif, la loi prévoit que si les élus locaux le demandent, les quartiers sortants peuvent faire l'objet d'un contrat de ville qui indiquera les moyens de droit commun mobilisés par l'Etat et les collectivités.

Nous ne savons pas combien de quartiers sortants font l'objet d'un contrat de ville. Les appréciations divergent entre le CGET et l'Inter-réseaux des professionnels du développement social urbain (IRDSU), l'un considérant qu'une majorité de quartiers sortants font l'objet d'un contrat de ville, l'autre que nombre de contrats ne mentionneraient pas ces quartiers.

Quant aux moyens de droit commun mobilisés, une circulaire précise que la mobilisation de ces moyens de droit commun pour les quartiers sortants vient après la mobilisation des moyens de droit commun en direction des quartiers prioritaires. Selon l'IRDSU, les moyens mobilisés seraient dérisoires, y compris de la part de l'État.

Les quartiers de veille active ne bénéficient plus par définition de crédits spécifiques de la politique de la ville. L'État a cependant décidé de maintenir de façon transitoire les aides accordées au titre des dispositifs des adultes-relais et des programmes de réussite éducative.

Si les collectivités sont les mieux à même d'apprécier si un quartier sortant a besoin d'un accompagnement spécifique dans le cadre d'un contrat de ville, en revanche nous estimons que tous les quartiers sortants doivent faire l'objet d'un suivi de leur situation. Quelques collectivités assurent un tel suivi, il faut le saluer, mais ce travail est quasi impossible quand la commune n'a plus que des quartiers de veille sur son territoire et n'a donc plus l'ingénierie nécessaire. L'État commence à peine à s'intéresser à cette question. Nous recommandons que tous les quartiers sortants fassent l'objet d'un suivi par l'État indépendamment de l'existence d'un contrat de ville, ce qui nous permettrait de savoir de quels dispositifs ils bénéficient et surtout quelle est leur situation économique et sociale. Il ne faut pas laisser passer cinq ou dix ans avant de s'apercevoir qu'on est revenu à la situation initiale.

S'agissant maintenant des contrats de ville, la loi Lamy précise qu'ils mettent en oeuvre la politique de la ville. D'une durée de six ans, ils sont adossés au mandat municipal et peuvent être actualisés tous les trois ans si les évolutions observées le justifient. 435 contrats de ville ont été signés. Seules deux communes ont refusé cette contractualisation : Beaune pour des raisons financières et Sarrebourg suite à un désaccord sur les périmètres du quartier prioritaire.

Ces contrats sont signés par un grand nombre d'acteurs (région, département, Caisse des dépôts, bailleurs sociaux etc). Si la liste des signataires du contrat de ville est cohérente avec le contenu du contrat, en revanche demeure posée la question de leur capacité réelle à mobiliser des moyens suffisants sur la durée. Nous y reviendrons.

Les conseils citoyens devaient participer à l'élaboration du contrat de ville. Tel n'a pas été le cas en pratique le souhait d'une conclusion rapide des contrats de ville l'ayant emporté sur la constitution préalable des conseils citoyens.

Comme le préconisait la loi Lamy, le pilotage du contrat de ville se fait au niveau intercommunal dans 70 % des cas.

Les réformes territoriales issues de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM) et de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) ont eu des incidences sur les villes concernées par la politique de la ville. 273 communes, soit un tiers des communes en politique de la ville, sont concernées par l'évolution des périmètres intercommunaux ce qui pourrait conduire à une minoration du poids d'une commune relevant de la politique de la ville dans l'intercommunalité. En outre, les nouveaux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) comportent plus souvent qu'avant des communes rurales et des communes relevant de la politique de la ville. Un travail de pédagogie doit être mené pour éviter une opposition au sein de l'intercommunalité entre les deux types de communes qui, en réalité rencontrent des difficultés semblables : peu ou pas de services publics, une offre de santé insuffisante, des problèmes de mobilité, des activités économiques insuffisantes.

Un mot sur le cas de la métropole du Grand Paris où les périmètres des établissements publics territoriaux (EPT) qui exercent désormais la compétence politique de la ville ne se superposent quasiment pas avec celui des anciens EPCI. Je donnerai un exemple pour illustrer l'impact de cette réforme : sur le périmètre de l'EPT Terre d'Envol s'appliquent deux contrats de ville communaux et deux contrats de ville intercommunaux. Le gouvernement a décidé de ne pas fusionner dans l'immédiat les contrats de ville pour ne pas casser les dynamiques engagées. Au regard de cette nouvelle organisation territoriale, il nous semble important d'en évaluer les conséquences sur la mise en oeuvre des contrats de ville et plus largement sur l'application de la politique de la ville. Notre commission pourrait se saisir de ce sujet.

Dans le rapport, nous avons souhaité souligner le rôle des délégués du préfet. Ils participent à la mise en oeuvre des contrats de ville et sont associés à la programmation financière. Comme nous l'a indiqué un élu, ils constituent de « formidables relais » avec l'Etat et les associations « en alliant connaissance du terrain et des rouages administratifs et financiers ». Dans certains territoires, ils ont une double compétence géographique et thématique qu'il convient de souligner.

Le contrat de ville comporte trois piliers : un pilier « cohésion sociale », un pilier « cadre de vie et renouvellement urbain » et un pilier « développement économique et emploi ».

Le pilier « cohésion sociale » a pour objectif de mettre en place des actions visant « à réduire la pauvreté, à tisser le lien social et à renforcer la solidarité entre les générations ». Ce volet doit permettre d'aborder les questions d'éducation, de politiques sociales, de santé mais aussi de prévention de la délinquance et de présence judiciaire.

Nous avons souhaité aborder à l'occasion de l'examen de ce pilier la question de la tranquillité publique qui demeure une question prégnante et récurrente des habitants des quartiers prioritaires comme nous avons pu le constater lors de nos déplacements. Outre que les services de police et la justice doivent amplifier leurs actions pour assurer la tranquillité des habitants dans les quartiers, les bailleurs sociaux ont également un rôle à jouer, notamment avec la mise en place de gardiens d'immeuble. En pratique, la règle un gardien pour cent logements n'est pas respectée puisqu'on est plutôt entre 0,6 et 0,8 gardien pour cent logements. Certains bailleurs ont en effet remplacé les gardiens par des responsables de site aux tâches plus variées, d'autres ont préféré développer des dispositifs de médiation en journée et en soirée, enfin certains ont recours à des sociétés de sécurité privée. Nous ne méconnaissons pas les difficultés de ces postes de gardiennage, néanmoins nous considérons que la présence d'un gardien et/ou des dispositifs de médiation en journée et en soirée sont essentiels dans ces quartiers pour assurer le lien social. Nous souhaitons que ces dispositifs soient renforcés.

Certains quartiers sont « en difficulté extrême ». On y constate l'échec des politiques publiques, les conditions de vie des habitants et celles des personnels de proximité sont devenues dangereuses et la mise en place d'une zone de sécurité prioritaire ne suffit pas. Pour ces quartiers dont le nombre est compris entre 50 et 60, une autre solution doit être proposée « de type OIN de solidarité » comme l'a suggéré l'Union sociale pour l'habitat. Nous invitons le gouvernement à identifier avec les acteurs de la politique de la ville ces quartiers et à réfléchir à la mise en oeuvre d'un dispositif de traitement global des difficultés.

Un pilier du contrat de ville concerne le développement économique et l'emploi. Les mauvais chiffres de l'emploi et de l'activité dans ces quartiers expliquent que ces questions soient obligatoirement traitées dans le contrat de ville. Nous avons concentré notre examen sur le dispositif de ZFU-territoires entrepreneurs. Une centaine de ZFU-territoires entrepreneurs ont été instaurées qui concernent des quartiers rencontrant des difficultés importantes comme un déficit d'activités économiques et un taux de chômage élevé. Les entreprises qui se créent ou s'implantent dans ces zones bénéficient d'avantages fiscaux sous certaines conditions.

Les ZFU-territoires entrepreneurs font l'objet d'appréciations diverses : pour certains, la refonte du dispositif en 2014 en a limité l'intérêt; pour d'autres, le dispositif est très satisfaisant mais pas suffisant pour relancer l'activité. Les avantages fiscaux ne sont pas les seuls déterminants de l'implantation des entreprises dans ces zones. En effet, le fait d'avoir des locaux fonctionnels, un réseau numérique adapté, une mobilité facilitée par l'accès à des moyens de transports accessibles sont aussi des éléments qui comptent. Ce dispositif de ZFU-territoires entrepreneurs fait actuellement l'objet d'une évaluation par une mission de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'Inspection générale des finances (IGF) qui devrait rendre ses conclusions cet été.

Lors de la campagne présidentielle, le candidat Emmanuel Macron avait annoncé vouloir restaurer un dispositif d'emplois francs. Est-ce en remplacement des ZFU-territoires entrepreneurs ? Nous ne le savons pas. En tout état de cause, nous considérons qu'il ne faut pas opposer aides à la personne (comme les emplois francs) et aides en fonction de l'implantation géographique (comme les ZFU-territoires entrepreneurs), chaque dispositif présentant ses avantages et ses inconvénients. Il faut à la fois aider les habitants des quartiers à trouver un emploi en dehors des quartiers prioritaires mais aussi dans un souci de mixité fonctionnelle favoriser l'implantation des entreprises dans ces quartiers. Nous invitons le gouvernement à mener une réflexion sur ces deux formes d'actions afin de pouvoir déterminer les dispositifs les plus efficients.

Si la mission de l'IGAS-IGF concluait au maintien des ZFU-territoires entrepreneurs, nous souhaitons également que soient examinées les conséquences d'un alignement des périmètres des ZFU-territoires entrepreneurs sur celui des quartiers prioritaires.

Nous en venons aux moyens humains et financiers déployés dans les quartiers prioritaires. Le contrat de ville doit préciser les moyens humains et financiers mobilisés au titre des politiques de droit commun et des instruments spécifiques de la politique de la ville.

Le classement en géographie prioritaire entraîne la mobilisation de certains leviers tels que les crédits de la politique de la ville dont nous souhaitons le maintien, les dotations (dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale, dotation de la politique de la ville), les exonérations fiscales pour les entreprises, ou encore l'abattement de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB).

Un mot sur l'abattement de TFPB dont bénéficient les bailleurs sociaux. Il est la contrepartie de leur engagement à améliorer la qualité de vie des habitants des quartiers prioritaires. Plusieurs communes peuvent légitimement s'estimer perdantes en raison du manque à gagner qu'entraîne cet abattement. En effet, la compensation par l'État même si elle atteint 40% demeure insuffisante à compenser les pertes, le reste à charge pour les communes étant estimé à 99 millions d'euros par le CGET. Certains élus regrettaient de ne pas pouvoir connaître le montant exact de cet abattement. La question est réglée depuis peu : les élus peuvent enfin connaître le montant et le détail des allocations compensatrices aux exonérations fiscales.

Plusieurs acteurs locaux nous ont indiqué que le niveau des contreparties mises en place par les bailleurs sociaux n'était pas toujours à la hauteur du manque à gagner. C'est pourquoi nous souhaitons que soit menée une étude sur les contreparties de l'abattement de TFPB et sur l'opportunité d'instaurer un mécanisme de suspension de l'abattement en cas de contreparties déficientes.

Ces éléments -compensation par l'État insuffisante, contrepartie des bailleurs qui ne serait pas à la hauteur- peuvent expliquer les réticences de certains élus soit à conclure les conventions d'abattement de TFPB, voire même à signer le contrat de ville. Plus généralement, il serait souhaitable que le gouvernement informe les élus de l'ensemble des conséquences du classement en géographie prioritaire afin d'éviter autant que possible les refus de contractualiser des communes.

S'agissant plus spécifiquement des moyens de droit commun. Nous ne pouvons à ce stade évaluer leur mobilisation et garantir que les crédits spécifiques ne viennent pas en substitution des crédits de droit commun. En effet, les moyens financiers et humains, à l'exception de ceux mobilisés par les bailleurs sociaux, sont peu ou pas détaillés dans les contrats de ville. En outre, la formalisation des moyens mobilisés lorsqu'elle existe porte essentiellement sur les crédits spécifiques de la ville, dans une part significative des contrats.

Plusieurs explications ont été avancées. Les délais impartis pour conclure le contrat de ville n'auraient pas toujours permis de réaliser un diagnostic exhaustif des moyens de droit commun. Certains acteurs ont souligné la difficulté de lister des moyens pour une période de cinq ans. Autre explication : l'absence d'outils adaptés et d'ingénierie pour déterminer les moyens de droit commun applicables sur le territoire.

Cependant nous avons constaté une volonté de certains élus locaux et de l'État d'avancer sur ces questions.

Ainsi, outre la mise en place d'un outil de géo-référencement, le CGET a indiqué que les annexes financières seraient remplacées par des annexes d'engagement de services publics qui devraient permettre de faciliter le pilotage de ces crédits et montrer leur complémentarité aux crédits spécifiques de la ville. Nous espérons qu'on ne perdra pas en précision...

Quant au niveau des engagements des partenaires, l'État a un rôle majeur à jouer dans la mobilisation des crédits de droit commun des partenaires du contrat de ville, les intercommunalités n'ayant pas nécessairement les moyens de mobiliser fortement leurs partenaires. L'État doit veiller à ce que les ministères se mobilisent dans l'identification des crédits de droit commun, que soient développés des outils d'identification et de suivi de déploiement des crédits de droit commun pendant la durée du contrat de ville. La signature d'une nouvelle génération de conventions interministérielles au niveau national et l'élaboration annuelle du rapport « politique de la ville » par les collectivités territoriales sont l'occasion de relancer la mobilisation de l'ensemble des acteurs.

Enfin, le contrat de ville doit également préciser les modalités d'évaluation du contrat. Une évaluation doit être réalisée à mi-parcours puis au terme du contrat de ville. Un kit méthodologique a été élaboré par le CGET mais peut-être un peu trop tardivement....il a été diffusé en janvier. Ici encore l'État doit veiller à ce que les collectivités aient les outils et les moyens d'ingénierie pour réaliser ces évaluations.

Enfin, je souhaite également vous alerter sur les crédits du programme 147 « Politique de la ville ». Si la politique de la ville consacre beaucoup de moyens au volet urbain, je vous rappelle que le volet social ne doit en aucun cas être négligé. Or, le gouvernement a l'intention d'annuler des crédits de paiement du programme 147 « politique de la ville » pour 2017 à hauteur de 46 millions d'euros, soit une réduction drastique de l'ordre de 11%. Ce n'est pas de bon augure pour les crédits consacrés à la rénovation urbaine et aux politiques sociales menées dans ces quartiers. Cette baisse des crédits va immanquablement réduire les moyens consacrés à l'emploi ou encore à l'éducation dans ces quartiers. Il ne faut pas laisser ces quartiers se transformer en ghettos. L'Etat doit continuer d'agir en faveur de ces quartiers.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie Guillemot

En complément de ce que vient de dire Valérie Létard, je vous rappelle que ces baisses de crédits font suite aux annonces de baisse des dotations pour les collectivités.

Nous en venons aux conseils citoyens. Ils sont la traduction du principe de co-construction avec les habitants inscrit dans la loi Lamy.

La loi Lamy précise que les modalités d'application des dispositions relatives aux conseils citoyens seront précisées par arrêté. Toutefois, le gouvernement n'a pas jugé nécessaire de prendre cet arrêté, préférant dans un premier temps la mise en place d'un « cadre de référence », qui a depuis été complété à la demande des acteurs par une circulaire publiée le 2 février 2017.

Certains élus ont pu faire preuve de réticences dans la mise en place des conseils citoyens. Ils ont parfois eu le sentiment de se voir imposer un modèle au mépris des dispositifs existants sur leur territoire et ils ont craint que ce nouveau conseil ne soit instrumentalisé par leur opposition locale. Les réticences peuvent également survenir quand les élus ont connu des difficultés dans la mise en oeuvre de précédents dispositifs participatifs ou lorsque ces dispositifs n'ont pas fonctionné sur leur territoire. Toutefois, 1 054 conseils citoyens ont été mis en place ou sont en cours de constitution. 3 quartiers prioritaires sur 4 sont couverts par un conseil citoyen.

Chaque quartier prioritaire de la politique de la ville doit en principe avoir un conseil citoyen. Tel n'est pas le cas en pratique et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, la taille du quartier peut jouer. Marseille a un quartier de 1000 habitants et un autre de 87 000 habitants. On peut comprendre la volonté des élus d'avoir plusieurs conseils citoyens pour le quartier le plus peuplé. En outre, certains élus ont souhaité « rationaliser » la mise en place de ces nouvelles instances afin de faciliter la mobilisation des services de la politique de la ville qui accompagnent la création et suivent ces conseils. Enfin, certains ont souhaité faciliter la mobilisation d'un nombre suffisant d'habitants, notamment dans les communes où existent déjà des dispositifs de participation.

La loi précise que le conseil citoyen doit être composé de deux collèges : un collège composé d'habitants -ces derniers sont tirés au sort et la parité doit être assurée- et un collège composé des représentants des associations et acteurs locaux.

Pour la constitution du collège habitants, le cadre de référence a préconisé de réaliser le tirage au sort, d'une part, à partir d'une liste de bailleurs, d'EDF ou de la liste électorale par exemple et, d'autre part, à partir d'une liste composée de volontaires.

En pratique les modalités de recrutement se sont orientées majoritairement vers le tirage au sort à partir d'une liste de volontaires. Le bilan du tirage au sort à partir de listes neutres est donc mitigé.

Les élus qui souhaitaient procéder à un tel tirage au sort ont rencontré des difficultés. Une première difficulté réside dans le choix de la liste pour réaliser ce tirage au sort. Aucune liste n'étant à elle seule représentative (par exemple la liste électorale ne prend pas en compte les mineurs, les personnes étrangères), les élus étaient invités à mixer ces listes. Les élus se sont également heurtés à l'application de la loi informatique et liberté pour l'obtention de certaines listes. Nous proposons d'y remédier en inscrivant dans la loi la possibilité de recourir à certains fichiers pour constituer les conseils citoyens. Une seconde difficulté réside dans la procédure elle-même plus complexe qu'un tirage au sort à partir d'une liste de volontaires. Elle nécessite une importante phase de communication préalable pour être efficace.

Le recours au tirage au sort a cependant permis dans certains cas un renouvellement des instances de démocratie participative et a suscité de nouvelles vocations. Néanmoins, ce système n'empêche pas les démissions. De même nous avons eu écho de cas où les acteurs associatifs étaient peu mobilisés et peu présents au sein du conseil citoyen. Nous regrettons que l'enquête menée sur les conseils citoyens par le CGET n'ait pas abordé cette question. Nous demandons au CGET de mener cette étude sur les vacances et les démissions au sein du conseil citoyen et de réfléchir aux moyens de faciliter le remplacement des membres démissionnaires.

Nous avons également constaté que les conseils citoyens avaient du mal à trouver leur place notamment lorsqu'il préexiste d'autres instances participatives. La loi n'a pas permis aux élus locaux de pouvoir choisir la forme de cette participation ce qui aurait permis de limiter les phénomènes de concurrence. Elle a seulement donné la possibilité au maire de transformer un conseil de quartier en conseil citoyen sous certaines conditions. Cette possibilité n'a cependant été utilisée que dans 5 % des cas, les maires préférant créer une structure nouvelle.

En outre, les sujets abordés par les conseils citoyens et les conseils de quartier peuvent se chevaucher. En effet, la loi prévoit que le maire peut associer les conseils de quartiers « à l'élaboration, à la mise en oeuvre et à l'évaluation des actions intéressant le quartier, en particulier celles menées au titre de la politique de la ville ».

Éviter la concurrence entre les conseils citoyens et les conseils de quartier est donc un enjeu majeur pour ne pas décourager les habitants siégeant dans l'une ou l'autre de ces instances. Nous souhaitons qu'une étude nationale sur la question de l'articulation de ces différentes instances soit menée.

Les conseils citoyens doivent participer aux instances de pilotage des contrats de ville. 75 % ont des représentants au sein des comités de pilotage. Cependant, seul un tiers des conseils citoyens représentés participeraient à la prise de décision, pour les autres leur rôle demeure encore largement consultatif.

Les membres des conseils citoyens ne pourront pleinement jouer leur rôle, qu'à la condition d'être formés afin de mieux appréhender le contexte institutionnel et les sujets de politique de la ville. Le rôle du préfet et notamment de ses délégués, ainsi que des équipes de la politique de la ville est essentiel pour leur permettre de disposer de toutes les informations nécessaires à la prise de décision. Les moyens (locaux, budgets de fonctionnement, assistance technique) seront également décisifs pour éviter l'essoufflement de ces nouvelles instances. Nous invitons l'Etat à maintenir une participation significative au fonctionnement des conseils citoyens.

Nous en venons au NPNRU. Au regard de la satisfaction unanime du PNRU, la loi Lamy a prévu de mettre en oeuvre un nouveau programme national de renouvellement urbain pour la période 2014-2024. Ce nouveau programme est centré en priorité sur les quartiers présentant les dysfonctionnements urbains les plus importants. 216 quartiers ont ainsi été retenus. En complément, 274 quartiers dits d'intérêt régional ont été choisis pour lesquels l'ANRU intervient mais dans une moindre mesure.

Le règlement du NPNRU concentre de nombreuses critiques.

La nouvelle procédure se décompose en deux phases : dans un premier temps est élaboré un protocole de préfiguration qui oblige à une importante réflexion préalable sur le projet et à inscrire celui-ci dans le périmètre plus large de l'intercommunalité. Dans un second temps sont conclues des conventions d'engagement qui déclinent ce projet.

Certaines personnes auditionnées ont eu le sentiment que la multiplication des études, notamment sur des sites ayant bénéficié du PNRU, lors de la phase de préfiguration s'avérait contreproductive, ralentissait le processus et cassait dans certains cas la dynamique engagée. Nous souhaitons que ces études soient rationalisées lorsque le projet de renouvellement s'inscrit dans la continuité du PNRU.

Plusieurs collectivités locales se sont inquiétées des conséquences pratiques du portage intercommunal du NPNRU. En effet, il parait difficilement envisageable d'attendre que l'ensemble des projets intercommunaux soient prêts pour pouvoir lancer la phase opérationnelle des projets. De même, pour des raisons évidentes de mise en oeuvre, il peut être nécessaire de prévoir plusieurs programmes de rénovation s'agissant d'un même quartier prioritaire. Tel est le souhait émis par la Métropole de Marseille. Nous ne pouvons qu'appuyer ces demandes de bon sens.

Les nouvelles règles financières ont également été discutées qu'ils s'agissent du scoring qui pénalise les communes les plus vertueuses, du montant des subventions versées par l'Anru, ou de la mise en place des prêts bonifiés. Nous constatons que le fossé se creuse entre la perception qu'a l'Anru de la mise en oeuvre du NPNRU et celle des élus. Nous invitons l'Anru à revoir ses règles. Si le montant du NPNRU est effectivement augmenté, nous souhaitons que soit privilégié le recours aux subventions plutôt qu'à des prêts bonifiés, sous peine d'accroître plus encore l'endettement des communes qui sont des communes pauvres.

En matière d'habitat, le NPNRU doit plus encore que le PNRU favoriser la mixité sociale et fonctionnelle et porter une attention particulière au traitement des copropriétés.

Pour favoriser la mixité sociale, on peut soit agir sur les attributions soit favoriser les démolitions. Nous ne pouvons que constater que l'Etat est écartelé entre son souhait de loger le plus de personnes possible et en même temps d'assurer la mixité sociale. Nous souhaitons que l'Etat veille à ce que les ménages les plus modestes ne soient pas systématiquement orientés vers les quartiers faisant l'objet d'un programme de rénovation urbaine. Evitons d'ajouter de la pauvreté à la pauvreté. Nous demandons également que soit menée une étude nationale sur la politique de peuplement des quartiers faisant l'objet d'un programme de rénovation urbaine.

Lorsque le PNRU n'a pas permis de surmonter les lourds handicaps cumulés, le traitement du quartier doit parfois être entièrement repensé. Nous pensons que dans ces cas-là des jachères urbaines peuvent être une solution. En effet, il ne sert à rien de construire des immeubles qui seront inoccupés faute de pouvoir être achetés.

Si des dispositifs fiscaux incitent à la construction de logements privés dans les QPV, ils ne sont néanmoins pas suffisants. La diversification de l'habitat suppose souvent un contexte porteur, par exemple l'arrivée de gares du Grand Paris Express, et aussi un changement d'image du quartier.

Le traitement des copropriétés est un des défis majeurs du NPNRU. Nous nous étonnons de l'absence de recensement exhaustif des copropriétés en difficultés situées en QPV et nous souhaitons qu'il y soit remédié rapidement. Des outils mieux adaptés doivent également être mis en place pour faire face à l'augmentation du nombre de copropriétés en difficultés. Notre commission pourrait se pencher sur ces questions.

Nous en venons au financement du NPNRU. Le désengagement rapide de l'Etat du premier programme et le financement du programme en quasi-totalité par Action Logement a modifié le fonctionnement de l'Anru, Action logement souhaitant peser sur les règles de financement. Nous avons constaté que l'Etat demeure majoritaire au sein du conseil d'administration de l'Anru alors même qu'il ne finance quasiment pas le PNRU/NPNRU. Nous estimons que cette composition doit être revue pour refléter le poids des financeurs, et notamment celui des collectivités territoriales.

Cinq milliards d'euros étaient attribués au NPNRU initialement, un milliard supplémentaire a été ajouté à l'automne dernier par l'Etat. L'enveloppe moyenne pour chaque projet est de 25 millions d'euros mais les deux premiers projets (Rennes et Pau) examinés dans le cadre du NPNRU ont obtenu bien plus. Chacun s'accorde à dire que l'enveloppe est insuffisante. Les acteurs locaux nous ont fait part de leur doute sur l'ambition de ce programme et ont partagé leur crainte de voir leur projet contraint. Comment dans ces conditions mobiliser les habitants pour co-construire le projet ?

De même le montant des enveloppes pour les quartiers d'intérêt régional est largement insuffisant. Afin d'éviter une déperdition de concours financiers, nous souhaitons rendre possible l'insertion dans les conventions Anru-Région d'une clause de revoyure qui permettrait à mi-parcours de redéployer des crédits au sein d'une région. J'ai eu le cas dans ma commune de Bron où des économies avaient été réalisées sur un quartier et n'ont pu être réinjectées sur un autre projet.

Nous proposons de porter le montant du NPNRU à 10 milliards d'euros et si nous nous réjouissons des annonces en ce sens du ministre de la cohésion des territoires, nous serons néanmoins extrêmement attentives à leur traduction budgétaire. Le ministre ne s'est pas prononcé sur les modalités de financement de cette rallonge. Nous souhaitons que l'Etat augmente significativement sa participation au financement du NPNRU et qu'on revienne à un financement à parité entre l'Etat et Action Logement. L'Etat ne peut plus rester en dehors d'une politique aussi importante. La concrétisation de cette participation de l'Etat permettra ainsi de réaffirmer que l'ANRU finance des projets globaux comprenant l'habitat, l'aménagement, les équipements publics dont les écoles et pas seulement du logement. Enfin, chacun a entendu le Président de la République annoncer lundi la création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires, sur le modèle de l'Anru, chargée de lutter contre les fractures territoriales. Nous n'en connaissons pas les contours. Englobera-t-elle l'Anru et l'Anah ou sera-t-elle le pendant de l'Anru pour la ruralité et les villes moyennes ? Nous ne le savons pas. Mais en tout état de cause, cela ne peut se faire au détriment de la politique de la ville déjà sous-dotée sur le plan financier. Il doit nécessairement s'agir de moyens supplémentaires. Nous serons vigilantes.

En conclusion, nous considérons que cette réforme de la politique de la ville est bien engagée mais souffre d'un manque de moyens.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Je félicite nos deux rapporteures pour ce travail remarquable, qui embrasse toute la problématique de la politique de la ville. Ne baissons pas la garde car dans le cas contraire, nous risquerions des troubles importants, voire une cassure de notre cohésion sociale. Je m'étonne d'ailleurs que le Président de la République, lors de la Conférence nationale des territoires, n'ait consacré guère plus de deux phrases à la politique de la ville.

La géographie est une vraie question : dans les quartiers où intervient l'Anru, on obtient des résultats ; en revanche, là où elle n'agit pas, on observe une concentration des problèmes et la constitution de nouveaux ghettos sociaux car les politiques de droit commun n'ont pas pris le relais. Or, j'ai les plus grandes doutes que les choses évoluent positivement lorsqu'on nous annonce treize milliards d'euros d'économies sur les collectivités territoriales... Cet objectif est inatteignable, ou alors il n'y aura tout simplement plus de politique de la ville !

Même dans un quartier qui s'est résidentialisé, on peut voir émerger des zones de non-droit si l'on n'adopte pas une approche globale combinant rénovation du bâti, économie et emploi, politiques sociales et de sécurité. À cet égard, je suis très inquiet de voir que nos forces de police et de gendarmerie sont fortement mobilisées par des fonctions nouvelles liées au risque terroriste, au détriment d'autres tâches de sécurité quotidienne.

Le maintien des services publics dans les quartiers est aussi essentiel ; à l'heure où des acteurs publics tels que la Poste réduisent leur présence, quelles mesures précises pourrions-nous imaginer pour les en empêcher ? Il ne sert à rien que les collectivités investissent dans les quartiers si les entreprises et les services publics les quittent dans le même temps.

Les organismes de logement ont trop souvent délégué à des entreprises de nettoyage des activités qui devraient relever des gardiens d'immeubles, ces derniers assurant une présence humaine et jouant parfois le rôle de médiateurs sociaux.

Vous avez abordé la question de la politique de peuplement, elle est effectivement centrale. À Audincourt, nous avons détruit trois cents logements et reconstruit de l'habitat de qualité mais cela ne suffit pas à améliorer durablement le quartier, car si les commissions d'attribution des logements ne jouent pas leur rôle, un quartier récemment rénové peut très vite s'embraser !

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Le Scouarnec

Je félicite à mon tour les deux rapporteures et suis aussi très inquiet quand j'entends Valérie Létard nous annoncer 11 % de baisse des crédits. Nous connaissons le terrain et les besoins. Avec une abstention déjà très forte et un nombre de suffrages élevé pour l'extrême droite, qu'en sera-t-il demain si l'on continue sur cette voie ? Nous devons refuser cette politique, alerter les maires et ne pas abandonner ces quartiers en difficulté.

Lorsque j'étais maire, plusieurs petites communes avaient obtenu des aides de l'Anru, nous avions construit une quinzaine de nouvelles résidences mais nous n'avons pas réussi à attirer du logement privé. Nous avons donc laissé de l'espace vacant parce qu'il faut parfois du temps pour y parvenir. En développant les commerces, en mobilisant les associations, en occupant les enfants et les adolescents, on arrive à améliorer les choses. Il y faut du temps mais aussi des moyens, or, la diminution qu'on nous annonce est dramatique !

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Estrosi Sassone

Je remercie et salue nos rapporteures, avec qui je partage la conviction de l'utilité et de l'efficacité de la politique de la ville. Vous n'avez pas évoqué l'importance de la gestion urbaine de proximité, qui est la condition nécessaire pour inscrire dans la durée nos actions et s'assurer que les millions d'euros d'argent public investis ne le soient pas à fonds perdus. Cette gestion urbaine de proximité est impérative pour la réussite d'un projet de renouvellement urbain, il faut donc voir comment les conventions de gestion fonctionnent et le cas échéant, les faire évoluer dans le temps. Le maintien de la propreté et de la tranquillité publique sont aussi essentiels.

Vous avez mentionné le rôle que pourraient jouer les bailleurs sociaux en matière de médiation. En tant que présidente d'un office public de l'habitat, je ne pense pas que les bailleurs sociaux puissent tout faire et il me semble plus pertinent de faire appel aux associations, qui ont une vraie expertise sur le sujet ; reste que faire de la médiation de jour ou de nuit, coûte excessivement cher et la baisse des moyens pourrait nous obliger à y renoncer.

Nous devons reconnaître que la fragilisation des copropriétés constitue aujourd'hui l'angle mort de la politique de renouvellement urbain. Alors que l'offre de logements sociaux s'améliore, les copropriétés sont souvent laissées à elles-mêmes ; certes, des dispositifs existent mais ils sont complexes, interviennent avec retard et ne visent que les copropriétés en grande difficulté. Or, il importe que la politique du logement marche sur ses deux jambes : constructions neuves d'un côté, rénovation du bâti existant, social comme privé, de l'autre. Nous avons entendu hier les grandes ambitions du ministre pour faire disparaître des passoires thermiques mais les moyens mis en regard sont insuffisants. Il faudra en particulier s'assurer du maintien de l'éco-PTZ collectif.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

C'est d'autant plus important que je vous rappelle que le bâtiment est le premier poste de consommation d'énergie, devant les transports.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Dubois

Félicitations à nos rapporteures. Agir sur les trois piliers - cohésion sociale, renouvellement urbain et développement économique - en même temps, j'y insiste, et dans la durée, est le seul gage d'efficacité. Laisser penser que l'on peut faire évoluer ces quartiers en moins de vingt-cinq ou trente ans est un leurre. Il importe de conserver des friches urbaines car l'on sait que l'on ne pourra construire pour l'accession à la propriété que dans un deuxième temps.

Nous votons des textes renforçant la transparence en matière d'attribution de logements mais ces règles nous permettent-elles de faire une vraie politique de peuplement ? En tant que directeur général d'un office public de l'habitat pendant dix ans, j'ai travaillé à repeupler ces quartiers et je doute que la transparence nous y aide. J'avais du reste voté contre les conseils citoyens et ces nouvelles règles d'attribution dans le projet de loi « égalité et citoyenneté » dès lors que ces mesures m'apparaissent contre-productives pour faire émerger l'intérêt général de demain.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Montaugé

Merci à nos rapporteures pour la qualité de leur travail. Je dois moi-même gérer, en tant que maire, un quartier prioritaire. J'en profite d'ailleurs pour saluer l'orientation impulsée par le président François Hollande et traduite dans la loi Lamy, sans laquelle des communes comme la mienne n'auraient jamais pu bénéficier des crédits de la politique de ville, faute de répondre aux anciens critères. C'est une politique républicaine essentielle.

En matière de politique de peuplement, je partage ce qu'a dit Daniel Dubois à l'exception de son appréciation des conseils citoyens, qui me paraissent un outil intéressant de promotion de la démocratie participative. Au moment où l'on nous annonce le grand soir en matière de fiscalité locale, il conviendrait d'appréhender la politique de peuplement à l'échelle du territoire intercommunal, puisqu'il est question de déplacer les habitants d'un endroit à un autre de ce territoire et que les communes entrent bien en concurrence en termes de population dès lors que leurs financements en dépendent.

Avec la baisse des dotations, je suis inquiet quant aux capacités contributives réelles des différents acteurs censés financer le PNRU. Ma région a fait le choix de ne financer que les quartiers d'intérêt régional et de laisser de côté les quartiers d'intérêt national, quand le conseil départemental se désengage totalement. Nous en sommes donc réduits à faire uniquement ce que nos ressources nous permettent de financer. Dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, le pilotage et l'évaluation sont très insuffisants. Ainsi, en matière de pilotage, il est par exemple impossible pour nous d'avoir des données sur les progrès accomplis par les élèves en réseaux d'éducation prioritaire, ce n'est pas admissible.

À voir se reconstituer, au niveau des métropoles, des quartiers hyperdenses, je suis persuadé que nous commettons les mêmes erreurs qu'il y a trente ou quarante ans. La mixité sociale n'aura qu'un temps et la ségrégation reprendra le dessus. Il est indispensable de mener une politique nationale d'aménagement du territoire : continue-t-on à concentrer les populations dans les métropoles régionales en laissant de côté les territoires ruraux et périphériques ou entend-on enfin penser le territoire dans sa globalité ? Moyennant des dispositifs de mobilité adaptés, nous sommes parfaitement capables de revitaliser nos territoires ruraux !

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Je suis surprise mais heureuse de la convergence des points de vue que j'observe ce matin.

Je comprends le choix de la loi Lamy de concentrer les moyens sur certains quartiers, mais nous avons trop vite baissé la garde dans les quartiers qui sont sortis de la politique de la ville. À titre d'exemple, le nord des Yvelines, dont je suis élue, concentre plusieurs quartiers prioritaires, comme Mantes-la-Jolie, les Mureaux ou Trappes, mais, à côté de ces grands ensembles, quelques quartiers de petite taille constituent des poches de pauvreté et ont perdu le bénéfice de tout un ensemble de dispositifs de prévention. Hors politique de la ville, le financement de la prévention devient de plus en plus compliqué du fait du désengagement des départements et de l'Etat. Je pense notamment aux équipes de nuit, qui s'occupent des adolescents, ou bien encore aux maisons de quartier qui accueillent les relais-emploi ou les relais-jeunesse et dont les horaires d'ouverture ont dû être réduits, au détriment d'actions comme l'accompagnement scolaire. Il est donc indispensable de disposer d'indicateurs permettant de continuer à suivre la situation de ces quartiers sortis du champ de la politique de la ville, car les choses peuvent s'y détériorer très vite. Par exemple, sur mon territoire, se trouve un petit quartier coincé entre des quartiers classés en politique de la ville. Dans ces derniers sont conduites notamment des politiques sécuritaires destinées à faire face au développement d'un islamisme radical. Or, on assiste à un transfert des populations et des problèmes vers ce quartier qui n'est pas sous surveillance... Comment les communes qui doivent faire face à ce déplacement des problèmes pourront-elles mobiliser les moyens suffisants si on impose aux collectivités de réaliser 13 milliards d'euros d'économies supplémentaires ?

Par ailleurs, ces quartiers ne bénéficient pas non plus de l'exonération de taxe foncière pour les bailleurs sociaux ni des aides pour les copropriétés en difficultés, de sorte que l'habitat s'y dégrade très rapidement.

Enfin, je signale que, dans ces quartiers, les écoles qui accueillent des enfants en difficulté scolaire perdent le bénéfice de la labellisation en éducation prioritaire. Cela est dû, à ma connaissance, au fait que le classement d'une école en éducation prioritaire est lié aux caractéristiques du collège vers lequel sont dirigés les élèves à la sortie de cette école. Or, les élèves d'une école primaire peuvent être en grande difficulté sans que le collège où ils poursuivront leur scolarité soit lui-même confronté, dans sa globalité, à des problèmes scolaires. Les écoles de ces poches de pauvreté sont donc oubliées du dispositif d'éducation prioritaire.

Concernant les friches urbaines, j'en partage complètement l'idée. Je le dis avec beaucoup de tristesse, mais quelle que soit la volonté de l'Etat et des collectivités, il n'y a parfois pas d'autre solution que de raser certains immeubles et de laisser passer vingt ans pour reconstruire autre chose.

Pour finir, je considère moi-aussi qu'il y a un grand risque à densifier certains quartiers. Nous risquons de reproduire des erreurs déjà commises par le passé.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

J'ai le sentiment que nous avons franchi ce matin une étape déterminante dans nos débats sur la politique de la ville et je m'en félicite. Le rapport adopté aujourd'hui doit devenir un rapport de référence dans ce domaine.

Je ferai pour ma part deux remarques. La première est générale : j'ai le sentiment que, trop souvent, les élus sont confrontés à une gestion technocratique de la politique de la ville, alors que l'efficacité suppose un contrat de confiance entre les élus et les administrations de l'Etat. La seconde concerne trois enjeux des politiques de la ville qui ont ceci de commun que leur prise en charge dépend moins du volet investissement que des dépenses de fonctionnement. Je fais référence ici à la tranquillité publique, au niveau de chômage et à l'éducation.

Dans un quartier de Saint-Nazaire, il y a des rodéos. Or, la consigne qui a été donnée à la police est de ne pas intervenir pour éviter tout drame. Vous comprenez donc la colère de la population, dont la première des libertés, à savoir la sécurité, n'est pas garantie. Et vous imaginez aussi vers quelles tendances électorales cette colère peut conduire... J'insiste donc sur l'importance de la liaison entre les élus, la police et la justice pour garantir la tranquillité publique et sur la nécessité de maintenir des crédits suffisants pour que police et justice puissent travailler de façon efficace.

Concernant le chômage, il est évident que des quartiers subissant des taux de chômage deux à quatre fois supérieurs à la moyenne nationale sont confrontés aux multiples conséquences que l'oisiveté peut engendrer. Quels que soient les rénovations et les investissements consentis pour améliorer le logement, les bâtiments publics et le cadre urbain, cet effort financier restera vain tant que la population de ces quartiers restera exclue de l'emploi. Il faut donc mettre aussi des moyens suffisants en termes d'accompagnement et de formation des chômeurs, tout en luttant contre les discriminations dans l'accès à l'emploi dont continuent à souffrir certains de nos concitoyens à raison du quartier où ils vivent.

Enfin, s'agissant d'éducation et plus largement d'accompagnement, je considère, que l'abandon de la police de proximité fut une grave erreur ! La présence de cette police de proximité contribue à apaiser les tensions dans les quartiers prioritaires. Il en va de même de la présence de travailleurs sociaux et d'accompagnateurs -ce qui nous renvoie là encore à la question des dépenses de fonctionnement des politiques de droit commun dans les quartiers prioritaires des politiques de la ville.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Catherine Loisier

Je reviens sur l'enjeu d'une approche plus globale, en termes d'aménagement du territoire plus qu'en termes de politique de la ville, dès lors qu'on envisage des possibilités de transfert de populations vers des communes plus rurales. Ce faisant, il ne faudrait pas non plus exporter les problèmes dans ces territoires. Dans la commune dont je suis encore maire, nous recevons régulièrement des familles envoyées « au vert » par les organismes HLM. Or, dans de petites communes rurales, il n'y a pas de police municipale ni d'associations de médiation ou de travailleurs sociaux...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Je précise que le rapport adopté ce matin inclura le compte-rendu de nos débats et je donne la parole aux deux rapporteures.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie Guillemot

une première remarque pour souligner que la question du peuplement est vraiment au coeur des politiques de la ville. La maîtrise du peuplement et les objectifs de peuplement sont cruciaux. Je comprends donc ce qui a été dit sur la transparence. Il faut évoquer ce sujet franchement.

Je veux aussi souligner qu'il faut demander à l'ANRU davantage de souplesse et d'adaptabilité par rapport à la diversité des territoires. Il y a par exemple des lieux où la jachère est une solution indispensable.

Un autre point essentiel concerne ce que j'appellerai le droit commun. L'ANRU et les crédits spécifiques de la politique de la ville ont permis de faire beaucoup de choses très bien, mais il est clair que, si les dotations des politiques publiques de droit commun continuent de baisser, on ne s'en sortira pas. La prise en compte des enjeux de tranquillité publique, de lutte contre le chômage, d'éducation et d'accompagnement passe en grande partie par ces dotations courantes, qu'il est important de maintenir. Or, il y a beaucoup de flou, et donc d'inquiétudes, dans ce domaine. Comme nous l'avons souligné dans notre rapport, nous avons beaucoup de mal à connaître la réalité des crédits mobilisés au titre des politiques de droit commun dans les quartiers prioritaires.

Je partage aussi l'idée, parce que j'observe que cela se retrouve aussi dans l'agglomération lyonnaise, que nous sommes en train de répéter certaines erreurs en recréant des quartiers trop denses. Attention à la hauteur des immeubles, bien qu'on nous dise le contraire ! Attention aux quartiers insuffisamment diversifiés, où on ne trouve que de la copropriété plus ou moins en difficulté ! Attention aux grands ensembles mono fonctionnels sans commerces et sans services ! Dans les quartiers que nous construisons, il doit y avoir une part de logements sociaux, qui ne doit pas dépasser 20%, en veillant à les disséminer.

Enfin, je veux souligner que le problème qui monopolise l'attention de la population dans les quartiers est bien celui de la tranquillité publique. Les gens ne comprennent pas que quelqu'un qui est interpellé parce qu'il a mis le feu soit de retour dans le quartier dès le lendemain. La prison n'est pas la solution pour ce jeune, mais la protection judiciaire de la jeunesse ne va pas le prendre en charge au bout de six mois, faute de moyens... Pour la population, c'est incompréhensible et on voit que même les militants, ceux qui résistaient, commencent à quitter le quartier. On alimente donc la spirale de la ghettoïsation en n'apportant pas de solutions à ce type de difficultés. Même enjeu pour l'école : on sait bien que la première chose que regardent les gens pour choisir leur domicile, c'est le périmètre scolaire dont ils vont dépendre. Il est donc essentiel de prévenir l'apparition de difficultés scolaires trop grandes pour éviter les conséquences sur la mixité sociales des quartiers.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Tandonnet

Je voudrais indiquer pour ma part qu'on travaille aujourd'hui sur le SCOT, le PLU ou le PLH au niveau intercommunal, mais qu'ensuite, pour la répartition des logements sociaux, on raisonne au niveau communal. Je regrette que la loi « égalité et citoyenneté » n'ait pas permis de progresser sur ce point. Que le maire intervienne dans l'attribution proprement dite parce qu'il connaît bien les quartiers, c'est une chose, mais il faut avoir une approche intercommunale du logement social.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Létard

Une précision sur les chiffres que je vous ai donnés précédemment. L'enveloppe de 46 millions d'euros que le Gouvernement prévoit de supprimer sur le programme 147, et qui représente une contraction de 11 % des crédits, comprend deux volets : une économie de 31 millions d'euros se fera sur les dispositifs éducation et emploi des contrats de ville et le reste sur la gestion urbaine de proximité de l'ANRU. À nous de défendre dans le débat budgétaire l'idée que nous devons avoir les moyens des ambitions de la politique de la ville et ne pas appliquer un coup de rabot uniforme sur les dépenses. Certaines dépenses sont des investissements et génèrent des économies à long terme.

Je partage la remarque qui a été faite sur les bailleurs : on ne peut pas tout leur demander. Toutefois ils ont aussi la possibilité de recourir, par exemple, à des gardiens ou à des médiateurs, pour assurer la présence humaine indispensable à la prévention des difficultés et à l'accompagnement des habitants. Certes chacun doit faire son métier, mais cela n'empêche pas de mettre en place un cofinancement des actions d'accompagnement, parce que nous l'avons dit, le traitement des difficultés doit être global : qu'il manque un élément dans le dispositif et il devient inefficace. C'est comme un escalier : s'il manque une marche, on ne peut pas grimper l'escalier.

Sur la densification des quartiers, je veux le dire moi-aussi : attention à l'équilibre des fonctions ! On est certain du résultat final si l'on construit des quartiers où on trouve uniquement du logement, sans entreprises, sans commerces, sans services publics ! On va revenir à l'urbanisme des années 1970, avec les mêmes conséquences à la clé.

Sur les problématiques d'aménagement du territoire, prenons garde à ne pas opposer le rural à l'urbain. Il faut créer des régions multipolaires, des territoires d'excellence qui soient raccordés à la locomotive métropolitaine. Pour en revenir à la politique de la ville, une stratégie conduite à une échelle plus large que la métropole et incluant les communes périurbaines peut permettre de mettre en place une politique de peuplement intelligente, à condition de prendre en compte pleinement la question des moyens de droit commun. Quels moyens donnera-t-on en effet aux communes périurbaines pour prendre en charge des populations qui demandent une politique d'accompagnement un peu renforcée ? Que, dans les zones où il existe une hyper concentration des difficultés, humaines, économiques, sociales et urbanistiques, on engage des moyens exceptionnels, ceux des politiques de rénovation urbaine ou des contrats de ville, c'est une nécessité. Mais les services publics doivent être aussi préservés en tout point du territoire pour prévenir ou traiter les difficultés qui s'y rencontrent. L'Etat doit y rester présent et garantir un filet de sécurité, en ciblant les priorités certes mais en prenant toute sa part aux côtés des collectivités sur des enjeux-clé comme la tranquillité publique ou l'éducation. Cela a été dit : si on agit sur un quartier et qu'on abandonne le quartier d'à côté, les problèmes ne sont pas traités : ils se déplacent.

Concernant les attributions de logement, elles ne peuvent se faire en-dehors d'une politique de peuplement. Il faut tirer les leçons des erreurs passées. Élus locaux et bailleurs, avec l'aide de l'Etat - qui ne doit pas imposer des attributions au titre du DALO dans des quartiers où la situation est déjà très difficile - doivent veiller à éviter un peuplement trop dégradé.

Sur les copropriétés dégradées, le problème résulte pour une part des politiques qui ont conduit les bailleurs à vendre une partie de leur patrimoine dans un contexte de difficulté de financement. Sans une politique de prévention associant les collectivités, les bailleurs et l'Etat, ces ventes peuvent créer des copropriétés fragiles, avec un risque de spirale si les ménages les plus solvables prennent la décision de partir. C'est un sujet essentiel.

Enfin, l'école est le reflet du quartier. Quand les difficultés scolaires dépassent un seuil de tolérance, cela génère la fuite des populations les plus aisées.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Daunis

Je souhaite souligner que la vente du patrimoine des bailleurs, si elle comporte des risques en termes de dégradation des copropriétés, constitue néanmoins un outil efficace pour créer de la mixité sociale. Je l'ai expérimenté dans la commune dont j'ai été maire. Mais pour que cela fonctionne, il faut mettre trois conditions. D'abord, un travail du bailleur avant la vente sur les parties communes et les appartements. Ensuite, que le bailleur reste présent à hauteur d'au moins 50%. Enfin, il faut qu'il accompagne la copropriété en tant que syndic pendant une période transitoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Létard

Cela va dans le sens de ce que je disais : les cessions doivent être accompagnées d'une politique de prévention de la dégradation des copropriétés.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Je souhaiterais que le rapport évoque également la question des groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD). Lorsque le procureur mobilise le dispositif, il est très efficace.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Et moi je voudrais souligner que la richesse de nos discussions de ce matin tient au fait que nous avons tous l'expérience de la fonction de maire. Mais demain ? La règle du non cumul est un vrai problème, car elle va appauvrir le travail parlementaire.

La commission autorise la publication des conclusions des rapporteurs sous forme de rapport d'information.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Mes chers collègues, nous avons désormais le plaisir et l'honneur de recevoir nos collègues Dominique Gillot, sénatrice, et Claude de Ganay, député. Ils ont tous deux réalisé un très important travail sur le thème de l'intelligence artificielle, dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. C'est ce travail qu'ils viennent nous présenter ce matin, car il est issu d'une saisine par notre commission, en date du 29 février 2016.

L'intelligence artificielle est un concept rarement explicité dans le débat public. Voici un document qui non seulement permet de comprendre ce qu'est l'intelligence artificielle, mais qui revient aussi fort à propos sur son histoire. Le rapport rappelle également l'ensemble des enjeux, d'ordre social, économique, éthique ou juridique, que cette réalité soulève, avant d'effectuer un certain nombre de recommandations. Mes chers collègues, alors que le Gouvernement a l'intention de doter la France d'une stratégie d'intelligence artificielle, dans le prolongement de ce qui a été fait en début d'année, j'invite chacun d'entre vous à consulter ce rapport avec attention.

Je donne sans tarder la parole aux deux rapporteurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Gillot

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, chers collègues, je vous remercie de cette invitation qui nous permet de venir présenter notre rapport devant l'autorité à l'origine de la saisine de l'Office, saisine qui a conduit à notre rapport. Personnellement, je souhaitais depuis déjà plusieurs mois - voire plusieurs années - que l'Office se saisisse de ce sujet car, depuis 2010, l'intelligence artificielle est un sujet qui émerge progressivement, ce qui nécessite une analyse sereine et objective de ce qu'elle représente.

J'espère qu'après cette présentation devant la commission des affaires économiques du Sénat, nous interviendrons également devant nos collègues députés de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale. L'objet de l'Office est bien d'éclairer les parlementaires sur les questions d'actualité scientifique.

Les technologies d'intelligence artificielle transforment et vont transformer encore profondément nos sociétés. Bien qu'elles apportent et apporteront des progrès dans de nombreux domaines, elles n'ont pas encore fait l'objet d'une analyse objective et globale. Chacun parle de ce qu'il connaît, en tant que scientifique, ou comme usager, philosophe, ou encore en tant qu'entrepreneur, mais il nous manquait une vision globale de l'intelligence artificielle.

L'intelligence artificielle polarise les réactions : enthousiasme, espoir et intérêt, aussi bien que méfiance, incrédulité ou oppositions. C'est pourquoi, il nous est apparu indispensable que la réflexion soit conduite de manière sereine, en mettant en avant les opportunités tout autant que les risques de l'intelligence artificielle, de rassurer le public et de démystifier les représentations, qui peuvent être biaisées par des apports provenant de la science-fiction ou d'autres formes de créations artistiques, qui se situent parfois bien loin de la réalité scientifique.

C'est pourquoi notre rapport fait l'état de l'art en matière de recherche et d'usages des technologies d'intelligence artificielle. Les progrès dans ce domaine posent des questions auxquelles la société doit être sensibilisée, qu'elle doit mieux maîtriser, mieux comprendre : quels sont les avantages et les risques qui se dessinent ? La France et l'Europe sont-elles dans une position satisfaisante dans la course mondiale qui est engagée ? Quelles places respectives pour la recherche publique et la recherche privée dans ce domaine ? Quels principes éthiques, juridiques et politiques pour encadrer ces technologies ? La régulation doit-elle se placer au niveau national, européen ou international ?

L'intelligence artificielle a fêté l'année dernière son soixantième anniversaire, puisqu'elle a été inventée en tant que concept en 1956 lors d'une école d'été aux États-Unis. Le concept a fait l'objet d'un débat, et il est probable que parler d'intelligence artificielle a pu apparaître comme plus séduisant que de parler des « sciences et des technologies du traitement de l'information ». L'utilisation des termes d'intelligence artificielle avait donc pour objectif de frapper les esprits. L'informatique traite plutôt de questions résolues par des algorithmes connus, alors que l'on applique le label d'« intelligence artificielle » à des applications permettant plutôt de résoudre des problèmes moins évidents. Le paradoxe résultant de cette définition est le suivant : dès que le problème a été résolu par une technologie dite d'intelligence artificielle, l'activité correspondante n'est plus considérée comme une preuve d'intelligence de la machine. Les progrès en matière d'intelligence artificielle étant tangibles depuis les années 1950, les frontières de l'intelligence artificielle sont sans cesse repoussées et ce qui était appelé intelligence artificielle hier n'est donc plus nécessairement considéré comme tel aujourd'hui. L'intelligence artificielle est donc une étiquette : ce label recouvre des technologies diverses, qui vont de formes explicites (systèmes experts et raisonnements logiques et symboliques) à des formes plus implicites (réseaux bayésiens et surtout réseaux de neurones, appelés plus communément « deep learning »). De manière caricaturale, on pourrait résumer les technologies d'IA à un champ de recherche où cohabitent deux grands types d'approches : les approches symboliques et les approches connexionnistes. Nous avons voulu retracer, de manière inédite, la richesse et la diversité de ces technologies dans le rapport.

De très nombreux autres domaines et technologies d'intelligence artificielle peuvent être ajoutés : l'apprentissage machine dont l'apprentissage par renforcement, les systèmes multi-agents - agents humains et agents informatiques -, les machines à vecteur de support, ainsi que les raisonnements à partir de cas, les algorithmes génétiques... Tous ces exemples analysés de manière détaillée dans le rapport visent à illustrer la variété et la richesse qui se cache derrière le label d'intelligence artificielle : les technologies d'intelligence artificielle sont en fait quasi innombrables, surtout que les chercheurs, tels des artisans, hybrident des solutions inédites au cas par cas, en fonction d'un tour de main souvent très personnel. Les combinaisons et les hybridations des technologies sont quasi-systématiques et derrière le concept d'intelligence artificielle, ce sont des technologies très variées qui donnent lieu à des applications spécifiques pour des tâches toujours très spécialisées. On relie de plus en plus le service, à un objet très spécialisé en fonction de la combinaison de technologies disponibles.

L'apprentissage automatique ou « machine learning », au coeur des débats actuels, permet d'apprendre et d'améliorer le système d'analyse ou de réponse. En ce sens, on peut dire que ces types particuliers d'algorithmes apprennent d'eux-mêmes, mais il y a toujours un ingénieur, un chercheur, voire une équipe derrière qui entre les informations et qui analyse les solutions proposées par les algorithmes. L'apprentissage automatique peut lui-même reposer sur plusieurs méthodes : l'apprentissage par renforcement, l'apprentissage par transfert, ou, encore, l'apprentissage profond, qui est le plus en pointe aujourd'hui et qui recèle encore quelques mystères, souvent appelés « boîte noire ». Cette technologie d'apprentissage profond ou « deep learning » rencontre, grâce à l'accumulation récente de masses de données, à l'émergence du « big data » et à l'accélération de la vitesse de calcul des processeurs, un grand succès dans les années 2010. Néanmoins, ces technologies sont anciennes : les « réseaux de neurones artificiels » ont été imaginés dès les années 1940.

Les applications sectorielles présentes ou futures sont d'envergure considérable, que l'on pense par exemple aux transports, à l'aéronautique, à l'énergie, à l'environnement, à l'agriculture, au commerce, à la finance, à la défense, à la sécurité, à la sécurité informatique, à la communication, à l'éducation, aux loisirs, à la santé, à la dépendance ou au dépassement du handicap. Tous ces secteurs de vie sont potentiellement affectés par l'intelligence artificielle.

Il s'agit d'autant de jalons d'applications sectorielles, dont le rapport retrace les possibilités, nous y renvoyons donc. Il nous faudra cependant compléter ce premier rapport par des travaux plus sectoriels. Le potentiel de ces technologies est immense et ouvre de manière transversale un espace d'opportunités inédit : nos économies peuvent en bénéficier car les champs d'application sont et seront de plus en plus nombreux. Certaines trouvent leur application commerciale, d'autres non, mais ces échecs peuvent nourrir de futures réussites. Ces technologies sont non seulement en évolution constante, mais leurs combinaisons ouvrent de nouvelles perspectives.

Je vais maintenant vous parler des caractéristiques et des enjeux de la recherche en intelligence artificielle.

Sur les caractéristiques, je relève d'abord la place prépondérante de la recherche privée, y compris sur le plan de la recherche fondamentale. Cette recherche est dominée par les entreprises américaines et pourrait demain être dominée par les entreprises chinoises, qui ne se heurtent pas aux freins techniques et éthiques qui peuvent exister aux États-Unis ou en Europe.

On constate aussi une prépondérance masculine dans la recherche en intelligence artificielle et en robotique, qui n'est pas souhaitable. Il faut se préoccuper de la mixité des équipes car, comme je l'évoquais, derrière chaque algorithme figure une équipe. Si cette équipe n'est pas mixte, elle introduit dans la machine des habitudes et des concepts qui correspondent à sa propre typologie. L'équité de présentation nécessite donc une mixité des équipes de recherche.

En matière d'intelligence artificielle, l'interdisciplinarité est particulièrement requise. En effet, il s'agit à la fois d'un secteur de recherche en informatique et d'un champ de réflexion bien plus large, qui mobilise des connaissances provenant de nombreuses disciplines.

La recherche en IA est soumise à une contrainte d'acceptabilité sociale assez forte, notamment sous l'effet de représentations catastrophistes ou mythiques, comme en témoigne différents sondages d'opinion. Les gens se méfient car ils ne connaissent pas l'intelligence artificielle, ils en sont effrayés et craignent pour la sûreté de leurs données personnelles.

On observe une multiplication des initiatives visant la prise en compte de principes éthiques dans la recherche et les usages de l'intelligence artificielle. Cela vaut pour la recherche publique, comme pour la recherche privée, en Europe comme en Amérique.

Concernant la recherche française en IA, notre pays court un risque de « décrochage » par rapport à la recherche internationale mais il dispose d'importants atouts à faire valoir : un réseau de chercheurs très compétents et très recherchés au niveau international ainsi qu'un tissu dynamique d'environ 250 start-ups recensées dans le cadre de la stratégie en intelligence artificielle.

Sur les enjeux des impacts sociaux et économiques potentiels de l'IA, nous avons perçu les signes avant-coureurs de l'évolution vers une économie globalisée de « plateformes ».

On parle des « GAFA » (Google, Apple, Facebook, Amazon) ou des « GAFAMI » (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, IBM), mais il serait plus juste de parler des « GAFAMITIS » (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, IBM, Twitter, Intel et Salesforce), « NATU » (Netflix, Airbnb, Tesla et Uber) et « BATX » (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi). En somme, toutes ces entreprises qui constituent des bases de données conséquentes au niveau mondial pour ensuite développer des applications et plateformes pour répondre aux besoins des usagers ou créer ces besoins. Ces exemples emblématiques des bouleversements en cours sont les prémisses de la place dominante et monopolistique occupée par quelques entreprises dans ce futur contexte économique. Chacune de ces entreprises est entrée, selon un modèle « the winner takes it all », dans une course pour acquérir une position de pointe dans les technologies d'IA afin de tirer profit de la position dominante qui en résultera : on observe une concentration progressive des grandes entreprises, conduisant au monopole de « plateformes » dominant une économie globalisée.

Dans ce nouveau contexte économique, les rapports de force politiques pourraient être progressivement bouleversés, et ce à l'échelle mondiale. Le poids pris par certaines grandes entreprises privées fait courir des risques importants aux systèmes démocratiques que nous connaissons. Ces questions devront faire l'objet d'une attention particulière car les mouvements de concentration en cours vont dans le sens de monopoles qui pourraient disposer demain d'une puissance à l'échelle mondiale sans équivalent historique.

S'agissant des bouleversements annoncés dans le marché du travail : les pronostics sont très contrastés, allant de 9 à 47 % pour les perspectives de disparitions d'emplois, selon des différences d'approches méthodologiques. Nous considérons que les études sous-estiment les évolutions en termes de contenu des métiers et sous-estiment les créations d'emplois, le solde global reste inconnu mais nous avons la conviction d'une future coopération hommes-machines fructueuse, à la fois pour la qualité du travail des individus mais également pour la prospérité économique.

Enfin, l'éducation peut être le levier et le bénéficiaire des avancées en intelligence artificielle. Les moyens de prédire la réussite des élèves et d'optimiser les enseignements seront fournis par les systèmes d'intelligence artificielle qui permettront de différencier les méthodes pédagogiques et les contenus enseignés, la personnalisation sera facilitée face à la diversité des élèves. Les nouvelles technologies ne seront pas en compétition avec les enseignants, elles leur seront complémentaires, à condition que l'enseignant accepte d'être un médiateur de la connaissance et renonce à une posture de transmission descendante.

Nous sommes convaincus de la possibilité imminente d'une révolution bénéfique de notre cadre de vie et de l'aide aux personnes.

Pour conclure, je dirai que des changements profonds sont à venir dans la connaissance et dans le contrôle de notre environnement et de la santé des populations. Dans le cadre des villes intelligentes, il existe déjà des applications à disposition des urbanistes et autres concepteurs pour envisager les conséquences de tel ou tel choix... Cela se traduira évidemment en matière de transports, de sécurité, de dépendance et de handicap. Notre cadre de vie, la qualité de nos vies seront améliorés par l'usage des technologies d'intelligence artificielle, à condition que nous les maîtrisions et que nous n'en ayons pas peur.

Debut de section - Permalien
Claude de Ganay, député, rapporteur

Mesdames, Messieurs, chers collègues, je vous remercie de nous accueillir aujourd'hui au sein de votre commission, et d'avoir saisi notre Office de ce sujet important. Ce travail a représenté pour nous un très beau défi, car nous ne sommes pas scientifiques et nous n'avions aucun a priori sur le sujet. Cela nous a permis d'adopter une approche que l'on peut qualifier d'objective. Une certaine naïveté dans les questions posées aux spécialistes nous a permis de bien comprendre ce sujet.

J'en viens aux questions éthiques et juridiques posées par les progrès en intelligence artificielle. Reconnaître une personnalité juridique aux robots est une des pistes innovantes qui parcourent le débat public sur la robotique, mais nous ne sommes pas convaincus de l'intérêt d'une telle démarche, ce sujet n'est pas une question qui mérite d'être posée à ce stade.

S'agissant des autres aspects juridiques de l'intelligence artificielle, il n'y a pas d'urgence à combler un vide juridique béant car celui-ci n'existe pas. Les rapports parus sur le sujet, notamment dans le monde anglo-saxon, vont dans le même sens et ne recommandent pas de mesures législatives. La protection des données personnelles et de la vie privée méritera sans doute d'être renforcée dans l'avenir, en s'adaptant aux nouvelles innovations et à la présence croissante dans nos domiciles d'assistants intelligents. À ce stade, le droit est suffisamment protecteur.

Sur les régimes de responsabilité, nous notons que quatre régimes pourraient trouver à s'appliquer aux accidents causés par des robots : le régime de responsabilité du fait des produits défectueux, celui de la responsabilité du fait des animaux, celui de la responsabilité du fait d'autrui, ou, encore, celui, traditionnel, de la responsabilité du fait des choses. Le fait de mettre en place pour la robotique une responsabilité en cascade, pourrait être envisagée.

Sur les questions éthiques, nous avons relevé que les six « GAFAMI » se sont dotés d'un outil commun, le « Partnership on AI », formé en septembre 2016 par Google, Apple, Microsoft, Facebook, IBM et Amazon afin de réfléchir sur l'éthique de l'intelligence artificielle. Nous nous interrogeons sur les objectifs précis des GAFAMI et d'Elon Musk à travers les nombreuses initiatives qu'ils lancent. La volonté de ces nouveaux géants pourrait-elle être celle de se dédouaner ou de créer un nuage de fumée pour ne pas parler des vrais problèmes éthiques posés à court terme par les technologies d'intelligence artificielle, telles que l'usage des données ou le respect de la vie privée ? En effet, ces initiatives nous semblent donner une place trop grande au risque de l'émergence d'une intelligence artificielle « forte » qui dominerait et pourrait faire s'éteindre l'espèce humaine. L'intelligence artificielle dite « forte » est douée de conscience et comparable à l'intelligence humaine. La vision déjà tronquée du grand public, sous l'effet des oeuvres de fiction, et en particulier du cinéma, n'est pas améliorée par cela : il faut être vigilant avec les traitements médiatiques sensationnalistes et alarmistes de l'intelligence artificielle.

Je traite maintenant des questions technologiques et scientifiques qui se posent, souvent liées aux algorithmes utilisés par ces technologies. L'existence de biais dans les jeux de données est l'une des plus grandes difficultés pour les algorithmes d'apprentissage automatique. Ces derniers reproduisent les biais des données introduites en amont, en particulier toutes les discriminations connues dans nos sociétés. Il convient donc d'être vigilant sur ce point, surtout que ces biais sont souvent invisibles. La gouvernance des algorithmes et des prédictions qu'ils opèrent est nécessaire. Le phénomène de « boites noires » des algorithmes de « deep learning » appelle un effort de recherche fondamentale vers leur transparence. Ce problème d'intelligibilité reste à résoudre. Enfin les algorithmes sélectionnent le contenu des informations dont nous disposons, ce qui pose la question des bulles d'information dites « bulles de filtres » : l'information ciblée, la publicité personnalisée ou la logique de construction des « fils d'actualité » des réseaux sociaux, orientent, voire manipulent, notre perception de la réalité.

J'en viens aux sujets d'interrogation liés à la « singularité » et au « transhumanisme ». La rupture hypothétique de la « singularité technologique » ou passage de l'intelligence artificielle « faible » à l'intelligence artificielle « forte » doit être ramenée à sa dimension réelle : nous en sommes aujourd'hui encore très loin et il n'est pas sûr que nous y arrivions un jour. Attention au catastrophisme : non seulement l'avènement d'une super intelligence à long terme n'est pas certaine car c'est indémontrable scientifiquement mais sa menace à court terme relève du pur fantasme.

Il est en fait plus juste de parler d'intelligence augmentée plutôt que d'intelligence artificielle: l'intelligence artificielle ne remplace pas l'homme mais augmente son intelligence, et ce sont les combinaisons homme/machine qui sont les plus performantes.

Le projet transhumaniste de mort de la mort et de fin de la souffrance n'emporte pas notre adhésion. Il s'agit d'un mouvement philosophique qui s'apparente à une religion, prédisant et travaillant à une amélioration de la nature de l'homme grâce aux sciences et aux technologies. L'intelligence artificielle n'est pas un acte de foi et ne doit pas le devenir.

Je conclus avec nos quinze recommandations : nous sommes pour une l'intelligence artificielle maîtrisée, d'où nos cinq premières propositions. La première : se garder d'une contrainte juridique trop forte sur la recherche en intelligence artificielle, qui - en tout état de cause - gagnerait à être, autant que possible, européenne, voire internationale, plutôt que nationale. Proposition n° 2 : favoriser des algorithmes et des robots sûrs, transparents et justes et prévoir une charte de l'intelligence artificielle et de la robotique. Proposition n° 3 : former à l'éthique de l'intelligence artificielle et de la robotique dans les cursus spécialisés de l'enseignement supérieur correspondants. Proposition n° 4 : confier à une structure dédiée un rôle d'animation du débat public sur les principes éthiques qui doivent encadrer ces technologies. Proposition n° 5 : accompagner les transformations du marché du travail sous l'effet de l'intelligence artificielle et de la robotique en menant une politique de formation continue ambitieuse visant à s'adapter aux exigences de requalification et d'amélioration des compétences.

Je poursuis avec notre deuxième série de propositions : pour une intelligence artificielle utile au service de l'homme et des valeurs humanistes. Proposition n° 6 : redonner une place essentielle à la recherche fondamentale et revaloriser la place de la recherche publique par rapport à la recherche privée tout en encourageant leur coopération. Proposition n° 7 : encourager la constitution de champions européens en intelligence artificielle et en robotique, tout en poursuivant notre soutien aux start-ups. Proposition n° 8 : orienter les investissements dans la recherche en intelligence artificielle vers l'utilité sociale des découvertes, à savoir des applications à impact sociétal bénéfique : bien-être, santé, dépendance, handicap, infrastructures civiles, gestion des catastrophes. Proposition n° 9 : élargir l'offre de cursus et de modules de formation aux technologies d'intelligence artificielle dans l'enseignement supérieur et créer - en France - au moins un pôle d'excellence international et interdisciplinaire en intelligence artificielle et en robotique. Proposition n° 10 : structurer et mobiliser la communauté française de la recherche en intelligence artificielle en organisant davantage de concours primés à dimension nationale, destinés à dynamiser la recherche en intelligence artificielle. Proposition n° 11 : assurer une meilleure prise en compte de la diversité et de la place des femmes dans la recherche en intelligence artificielle.

J'en arrive à la troisième et dernière série de propositions, pour une intelligence artificielle démystifiée. Proposition n° 12 : organiser des formations à l'informatique dans l'enseignement primaire et secondaire faisant une place à l'intelligence artificielle et à la robotique. Il s'agit d'aller plus loin que l'offre actuelle. Proposition n° 13 : former et sensibiliser le grand public à l'intelligence artificielle par des campagnes de communication, l'organisation d'un salon international de l'intelligence artificielle et de la robotique et la diffusion de supports pédagogiques vidéo. Proposition n° 14 : former et sensibiliser le grand public aux conséquences pratiques de l'intelligence artificielle et de la robotisation. Quinzième et dernière proposition : être vigilant sur les usages spectaculaires et alarmistes du concept d'intelligence artificielle et de représentations des robots.

Ni quête vaine ni projet de remplacement de l'homme par la machine, l'intelligence artificielle représente une chance à saisir pour nos sociétés et nos économies. Les progrès en intelligence artificielle sont d'abord et avant tout bénéfiques, ils comportent aussi des risques, mais ces risques peuvent et doivent être identifiés, anticipés et maîtrisés. Nous nous prononçons donc pour une intelligence artificielle maîtrisée, utile et démystifiée, d'où le titre du rapport : maîtrisée parce que ces technologies devront être les plus sûres, les plus transparentes et les plus justes possibles, utile parce qu'elles doivent, dans le respect des valeurs humanistes, profiter à tous au terme d'un large débat public et, enfin, démystifiée parce que les difficultés d'acceptabilité sociale de l'intelligence artificielle résultent largement de visions catastrophistes erronées.

Nous croyons au bel avenir de la complémentarité entre l'homme et les machines. C'est, au final, bien plus vers une intelligence humaine augmentée que vers une intelligence artificielle concurrençant l'homme que nous allons.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Merci mes chers collègues de votre travail au sein de l'OPECST. J'en ai moi-même fait longtemps partie, et j'ai toujours apprécié les méthodes de travail de cette instance paritaire, où sont représentés également les sénateurs et les députés, les femmes et les hommes, et où les différents courants politiques peuvent se faire entendre, avec un résultat souvent remarquable et qui inspire les travaux parlementaires. Je me félicite donc de notre décision de saisir l'OPECST sur ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

À mon tour je remercie les deux rapporteurs pour la qualité de ce rapport, qui nous permet de voir plus clair sur ce sujet d'importance.

L'intelligence artificielle fait déjà partie de la vie quotidienne et des forces productives en France. Elle est un élément déterminant de la productivité du travail, qui permet à nos pays développés, avec un niveau de protection sociale élevé, d'avoir une production compétitive par rapport aux pays où la main d'oeuvre est moins chère. L'industrie 4.0, très digitalisée, qui se met en place, fait appel à l'intelligence artificielle de façon importante : nous avons donc à faire à ces technologies dans notre quotidien.

La question que je voulais vous poser à l'issue de ce rapport est la suivante : vous avez abordé l'approche éthique de l'intelligence artificielle, vous nous assurez qu'il y a systématiquement de l'humain au côté de la machine, mais dans les faits ce n'est pas toujours le cas. La problématique est donc de savoir quand l'IA remplace complètement l'humain.

Par ailleurs, de grandes entreprises américaines, et notamment le dirigeant Elon Musk, ont demandé la création d'un comité de régulation de l'intelligence artificielle, du fait des potentiels dangers qu'elle représente. L'intelligence artificielle pourrait prendre le pas sur l'humain, et c'est pourquoi un tel comité devrait protéger les citoyens. Par exemple, les piratages des robots sont un danger très réel, dont nous avons eu plusieurs illustrations : par exemple, récemment, les voitures semi-connectées des grandes entreprises américaines ont été victimes de hackers, qui en ont pris le contrôle. Autre illustration des limites de cette technologie, en 2016 l'intelligence artificielle de Microsoft, peu après son ouverture au public, avait commencé à tenir des propos nazis, incestueux et complotistes, du fait de biais dans son algorithme. Comme le dit Elon Musk, il faut que nous sachions faire des machines intelligentes et intelligibles. La problématique de la cybersécurité est capitale, il s'agit de nos libertés et de la démocratie, et à terme de l'avenir de l'humanité. Comment se protège-t-on ?

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Je félicite également les rapporteurs pour ce rapport d'une grande qualité.

Martial Bourquin vient d'aborder des aspects généraux extrêmement importants. Comme dans tout progrès technique, la question est de savoir quelle est la maîtrise humaine et démocratique de ces nouvelles technologies, et comment celles-ci peuvent être mises au service du plus grand nombre.

Je veux évoquer un aspect très spécifique : actuellement, les échanges boursiers sont à 80% des échanges spéculatifs qui ne reposent pas sur la réalité économique. Ces échanges sont faits sur la base d'algorithmes très précis, où les décisions d'achat et de vente se font au millième de seconde. Les échanges boursiers sont fondés sur un système de confiance et de méfiance, avec le risque des cracks boursiers qui se répercutent sur l'économie mondiale. Ces algorithmes sont basés sur l'intelligence artificielle : existe-t-il aujourd'hui une approche européenne, voire mondiale, pour empêcher l'utilisation de ces algorithmes, ou les conséquences désastreuses que ceux-ci pourraient avoir ?

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

Je veux moi aussi féliciter les deux rapporteurs. Le sujet de l'intelligence artificielle est hautement stratégique en terme économique et sécuritaire, et on en voit bien les dangers si la France et l'Europe venaient à perdre pied et à laisser s'enraciner une situation monopolistique dominée par les grandes entreprises américaines.

L'intelligence artificielle sera la réponse à de nombreux enjeux, tant de compétitivité que sociétaux. J'avais posé la question au ministre d'État Nicolas Hulot lors de son audition par notre commission hier : avons-nous une politique offensive agroalimentaire en France et en Europe ? On sait qu'aujourd'hui, notamment en ce qui concerne les pesticides, il y a des enjeux sociétaux, et l'intelligence artificielle fait partie des réponses qu'on peut apporter à ce problème. Mais on a besoin d'une coopération européenne dans ce domaine afin de mobiliser les entreprises et les investissements. Je partage totalement votre analyse sur la complémentarité entre le public et le privé dans ce domaine : de la volonté politique que nous allons afficher dépendra la capacité des start-ups à se développer sur notre territoire.

Le deuxième point que je voudrais évoquer est celui de la responsabilité de l'intelligence artificielle, notamment sur l'emploi. Je pense aux conséquences que cette technologie peut avoir sur les entreprises et les salariés. La question de la responsabilité doit être posée, et elle doit l'être en amont, et non pas en aval après sa mise en application.

Dernière remarque, j'avais été co-rapporteur pour notre commission du projet de loi sur l'adaptation de la société au vieillissement : là encore, l'intelligence artificielle fait partie des réponses aux questions de bien-être et aux aspects de santé dans ce domaine.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Montaugé

Merci aux co-rapporteurs pour la qualité de leur exposé sur ce sujet d'intérêt.

Rabelais disait que « science sans conscience n'est que ruine de l'âme ». On constate aujourd'hui que le chiffre envahit toutes nos sociétés. Le professeur Alain Supiot, du Collège de France, a présenté récemment un cours intitulé « la gouvernance par les nombres », et le spécialiste Dominique Cardon a rédigé un ouvrage intitulé « A quoi rêvent les algorithmes ? ». Ils montrent qu'il y a aujourd'hui des problèmes philosophiques, métaphysiques, politiques et juridiques qui se posent au sujet de cette omniprésence du chiffre dans nos sociétés. Philosophiques d'abord parce que ce qui est en question, c'est notre liberté de penser ce que nous sommes et le devenir de nos sociétés. L'utilisation du chiffre dans tous les domaines de la vie peut conduire à ce que les possibilités d'avenir se réduisent et à ce que des enjeux économiques et financiers prennent le pas sur nos libertés. Il y a là une question d'éthique collective qui se pose.

J'ai également été surpris que vous disiez que les anglo-saxons considèrent qu'il n'y a pas de vide juridique sur ce sujet...

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Gillot

C'est ce que nous avons constaté au travers de nos entretiens avec différents spécialistes anglo-saxons, mais c'est également une analyse que nous partageons, qui est que l'arsenal juridique existe, et même s'il faut encore le préciser, il n'y a pas de vide juridique sur la question.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Montaugé

Mon avis est que la question du juridique se pose par rapport aux applications concrètes qui résultent de l'utilisation de l'intelligence artificielle dans nos vies quotidiennes. L'OPECST joue à cet égard un rôle intéressant, nous avons un rôle de veille et d'interpellation du politique par rapport aux conséquences de ces technologies.

D'autre part, vous avez parlé de la nécessité d'une stratégie nationale, voire européenne, voire même mondiale, sur la question du développement des techniques de l'intelligence artificielle. J'avais compris que dans le plan d'investissements d'avenir français, notamment dans le PIA 2, ce domaine était pris en compte, avec un accompagnement de l'État pour que notre pays ne prenne pas de retard dans ce domaine.

Enfin, il y a un enjeu métaphysique sur ces questions-là : lorsque vous parlez de Deep learning, j'en ai compris qu'il s'agissait des technologies relatives aux réseaux de neurones, et de ce qu'on pouvait faire en matière de développement des techniques neuronales. Ce sujet mérite de notre part des réflexions approfondies.

Cela étant dit, je ne dis pas qu'il faut s'opposer à l'intelligence artificielle, la question est celle de sa maîtrise, et de la conscience que l'on doit avoir de ce sujet-là par rapport à ses conséquences.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Gillot

Je vous remercie de vos interventions et vais essayer d'y répondre dans l'ordre des questions posées.

Comme cela vient d'être indiqué, il y a en permanence des progrès à accomplir dans la maîtrise de l'intelligence artificielle et, en particulier, dans le « deep learning » dont je rappelle qu'il s'efforce de reproduire l'architecture neuronale humaine. Je fais observer que la recherche, dans ce domaine, contribue en même temps aux progrès de la science sur notre cerveau. En tout état de cause, les chercheurs ne sont pas encore parvenus à fabriquer l'équivalent d'un cerveau artificiel et seules certaines avancées partielles ont pu être menées à bien.

L'envahissement de notre quotidien par le numérique et l' « industrie 4.0 » ont ensuite été évoqués. Nous vivons là l'étape postérieure à celle de la robotisation des années 1950. Les nouveaux robots sont désormais capables de se substituer à certains salariés ou professionnels et cela entraine, comme nous l'avons vu, un déplacement des métiers. Il en résulte un immense besoin de formation pour nos futurs diplômés afin de leur permettre de s'adapter aux progrès technologiques. Nous changeons ainsi de paradigme, ce qui soulève non seulement le problème de la reconversion des personnes dont certaines fonctions sont effectuées par des machines mais aussi celui de la formation à de nouveaux métiers, en particulier dans le secteur de la santé. À mon sens, même si des robots d'accompagnement sont testés auprès des personnes âgées dépendantes, il est fondamental de maintenir une présence humaine, en particulier pour accomplir certaines tâches médicales. Il y aura donc à la fois des métiers qui vont disparaître ou être transformés et d'autres devront être créés. Cette problématique de substitution est un véritable défi pour l'ensemble de notre système de formation, tout particulièrement pour l'enseignement supérieur, et il faut lucidement reconnaitre que la continuation des schémas de pensée antérieurs n'est désormais plus possible.

S'agissant des craintes exprimées par Elon Musk ou Stephen Hawking, je souligne que parmi les scientifiques de haut niveau que nous avons rencontrés, beaucoup estiment un peu excessives les déclarations alarmistes sur les dangers de l'intelligence artificielle, qui peuvent sans doute s'expliquer par un manque de connaissances très spécialisées dans ce domaine. D'ailleurs, Stephen Hawking ne s'est plus exprimé sur ce sujet au cours de ces derniers mois et Elon Musk a beaucoup investi pour bénéficier d'une éventuelle immortalité liée à des intelligences artificielles supérieures. Au total, il est impossible de prouver que l'intelligence artificielle ne va pas remplacer l'homme mais rien ne le démontre positivement.

Par ailleurs, il est toujours envisageable qu'un « hacker » puisse rendre la machine folle ou l'entraver et nous préconisons donc qu'on puisse à tout moment appuyer sur le « bouton rouge ». Il est cependant illusoire de penser que le brigandage et l'escroquerie, ici comme ailleurs, pourront être totalement jugulés. Le robot lancé par Microsoft, qui a fini par envoyer des messages racistes et extrémistes, était, pour sa part, une expérimentation destinée à perfectionner le langage de la machine à travers des discussions. Cette affaire me conduit à vous préciser que les grandes firmes, comme Google ou Facebook, qui sont responsables de la transmission d'informations et dont l'impartialité a pu être mise en cause, travaillent aujourd'hui à des correctifs pour que les usagers ne reçoivent pas des informations tendancieuses allant dans un seul sens, ce qui peut menacer la démocratie.

Plusieurs rapports, en particulier de l'Office des choix technologiques, ont été publiés sur ce thème mais les choses évoluent très vite et cela nécessite un suivi attentif pour réagir très vite aux dangers. Je mentionne ici l'épisode dit des « drones tueurs » : on n'en parle plus aujourd'hui parce que le phénomène a été maîtrisé : certains États félons peuvent éventuellement continuer à les utiliser mais c'est une pratique désormais condamnée par la communauté internationale.

L'utilisation croissante d'algorithmes sur les marchés financiers a été mentionnée et on peut d'ailleurs y voir une preuve supplémentaire de la capacité des robots à effectuer certains métiers. Des verrous de sécurité sont prévus pour éviter toute déstabilisation excessive mais il faut renforcer la veille et nous proposons de la confier à une autorité qui relève probablement du niveau européen voire occidental, étant entendu que l'Asie se caractérise par un cadre éthique un peu différent. Une telle différence se retrouve en matière de santé puisque le contrôle est très strict dans l'Union européenne, par exemple, pour les données personnelles, les cellules souches et les expérimentations sur les animaux tandis qu'en Chine ou en Inde les règles sont plus souples.

Debut de section - Permalien
Claude de Ganay, député, rapporteur

Je précise que l'Office tout en soulignant le risque d'instabilité financière résultant de l'utilisation des robots n'a pas approfondi ses investigations sur ce sujet ; une nouvelle initiative relèverait de la compétence des commissions parlementaires en charge de l'économie ou des finances.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Gillot

Dans tous les domaines où on utilise l'intelligence artificielle, en particulier social, les commissions concernées pourraient saisir l'Office.

Par ailleurs, l'agroalimentaire est également un des secteurs où la recherche est source de progrès considérables à condition de bien l'orienter et de disposer d'instruments de contrôle suffisant. Or pendant longtemps on n'a pas identifié les enjeux, jusqu'au lancement, en 2017, de l'opération « France Intelligence Artificielle » qui a donné lieu à la remise d'un rapport en mars 2017. La volonté politique de faire de l'intelligence artificielle non seulement un sujet de développement économique mais aussi de collaboration entre la recherche publique et privée est donc très récente. Je précise que l'initiative a été lancée par le ministère en charge de l'innovation et qu'il m'a fallu insister pour que le ministre de l'enseignement supérieur y prenne toute sa place. On ne soulignera jamais assez que la transministéralité est indispensable dans ce domaine.

La citation de Rabelais, « science sans conscience... », ne pouvait pas ne pas figurer dans notre rapport. Pour autant, cette idée comporte des limites car il est extrêmement difficile d'entraver la recherche et de brider toutes les initiatives scientifiques, mais nous devons effectivement les encadrer de façon pragmatique. J'ajoute que l'intelligence artificielle a un grand rôle à jouer dans la compréhension de nos sociétés et les sciences humaines et sociales ont été réhabilitées par ce biais avec la progression de l'interdisciplinarité.

Debut de section - Permalien
Claude de Ganay, député

Un rapide complément pour évoquer les interrogations sur l'avenir du plan consacré à l'intelligence artificielle lancé avant les élections : nous demanderons au nouveau Gouvernement s'il entend poursuivre la stratégie qui a été initiée.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Gillot

Lundi dernier, dans le cadre de la conférence territoriale, un des ateliers était consacré au numérique et le ministre a bien précisé qu'il ne fallait pas limiter l'approche aux instruments ou aux infrastructures mais aussi aux contenus et la question de l'intelligence artificielle est donc bien présente dans celle de l'accès pour tous au numérique.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Daunis

Nous traitons là, en tant que citoyens et comme législateur, un des défis majeurs de l'humanité. Nier l'intelligence artificielle en se focalisant sur ses dangers serait absurde mais on ne peut pas écarter d'un revers de main les inquiétudes qui sont exprimées, d'autant que l'intelligence artificielle va totalement imprégner notre quotidien et que, dans dix à quinze ans, les machines vont être capables d'évoluer de façon quasi génétique.

Tout ceci me conduit à rappeler trois propositions majeures qui portent d'abord sur la très grande attention à accorder au développement de l'intelligence artificielle à but non lucratif, l' « open IA », ensuite sur le contrôle préventif et enfin sur la création, au niveau international, d'un organisme de régulation et d'éthique rattaché à l'ONU sans lequel nous vivrons sous la menace permanente de délinquants technologiques.

Debut de section - Permalien
Claude de Ganay, député

J'approuve ces propos et je signale que nous diffusons un document synthétique sur l'éthique dans le domaine de l'intelligence artificielle.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Gillot

votre proposition de création d'un organisme rattaché à l'ONU est une des réponses possibles aux pistes de réflexion que nous avons lancées. Vous citez le cas de l'open IA qui permet effectivement un très large accès à des technologies qu'il faut assortir de verrous.