Je suis heureux de vous accueillir aujourd'hui, à l'Assemblée nationale, avec le sénateur Roland Courteau, qui supplée le premier vice-président Bruno Sido, qui ne pouvait malheureusement être présent, pour deux auditions successives, ouvertes à la presse et diffusées en direct, via le site Internet de l'Assemblée nationale.
Pour cette première séance de travaux après l'installation de son bureau, cela m'est un plaisir, en tant que président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, succédant à Jean-Yves Le Déaut, qui a tant fait pour cette institution durant si longtemps, de retrouver ceux de nos collègues qui ont pu s'extraire momentanément des nombreux travaux parlementaires en cours.
Le calendrier ne nous permettait qu'une seule réunion avant la fin de la session extraordinaire, réunion consacrée à deux auditions sur le sujet si important des questions énergétiques et du bâtiment, à partir du rapport d'activité 2016 du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). Il va de soi qu'à la rentrée parlementaire, nous reprendrons nos travaux selon un programme régulier.
Avant d'entendre les représentants du CSTB, trois scientifiques reconnus nous présenteront des exposés introductifs sur le bâtiment face aux enjeux de la recherche et de l'innovation. Le secteur du bâtiment représente à lui seul 40 % de l'énergie consommée en France et le quart des émissions de CO2. La loi a fixé des objectifs ambitieux de réduction de la consommation d'énergie et des émissions de gaz à effet de serre, tant pour les nouvelles constructions que pour le parc existant. Ces réductions ne sont pas faciles à obtenir. Il y a trois ans, dans un rapport au nom de l'Office, notre ancien président Jean-Yves Le Déaut et le sénateur Marcel Deneux avaient pointé les freins réglementaires à l'innovation en matière d'économie d'énergie dans le bâtiment et souhaité une thérapie de choc. Cette thérapie de choc est-elle en cours ? Nous en discuterons.
L'audition annuelle du CSTB est prévue par l'article 9 de la loi du 17 août 2015 sur la transition énergétique pour la croissance verte. C'est un plaisir de recevoir son président pour la troisième audition à ce titre.
Nous allons tout de suite donner la parole aux trois personnalités scientifiques qui ont répondu à notre invitation, en commençant par le professeur Francis Allard, professeur émérite au Laboratoire des sciences de l'ingénieur pour l'environnement (LASIE), unité de recherche commune au CNRS et à l'université de La Rochelle. Ses travaux de recherche sont centrés sur l'énergétique des bâtiments et la qualité des environnements habités. Francis Allard est expert des phénomènes de transfert de chaleur et de masse énergétique du bâtiment. Il a participé à et coordonné de nombreux projets nationaux, européens, internationaux. Il a écrit plus de 300 articles dans des revues scientifiques, chapitres d'ouvrages ou communications dans des congrès.
Je vais dresser un tableau des enjeux de la recherche-développement dans le domaine du bâtiment, en rappelant d'abord l'impact économique, social et environnemental du bâtiment.
Comme vous l'avez dit, Monsieur le Président, dans les pays industrialisés, le bâtiment représente un peu plus de 40 % de la consommation d'énergie finale. C'est vrai en France : les chiffres oscillent suivant les années autour des 40 %. Du point de vue environnemental, le bâtiment est le plus gros producteur de déchets. Le bâtiment correspond aussi, comme vous l'avez dit, à 25 % des émissions de carbone, mais, si on s'intéresse à l'empreinte carbone, c'est-à-dire les émissions réelles de carbone tout au long du cycle de vie du bâtiment, on approche les 40 % de l'empreinte carbone générale. Le bâtiment est donc un élément essentiel de toute politique énergétique et environnementale.
Sur le plan économique, les gens du bâtiment ont l'habitude de dire que ce secteur représente ceux de l'assurance et de la banque réunis. Nous parlons annuellement de la construction de 40 à 50 millions de m2. Ce sont aussi 300 000 entreprises employant 4 millions de salariés et artisans, ainsi que 130 milliards d'euros de chiffre d'affaires au sein du PIB, cette activité ne pouvant pas être en principe délocalisée.
Malheureusement, c'est aussi un secteur qui traditionnellement en France investit peu dans la recherche : 0,1 % ou 0,2 % du chiffre d'affaires. En ce domaine, les chercheurs doivent répondre à trois enjeux sociétaux.
Le premier tient à l'importante consommation d'énergie primaire du bâtiment. La recherche s'attache donc à minimiser la demande énergétique des bâtiments, sans nuire ni à la santé ni au confort des usagers. On n'a jamais construit un bâtiment pour économiser de l'énergie ou limiter des émissions carbone. Si l'on construit des bâtiments, depuis la nuit des temps, c'est d'abord pour des raisons de sécurité améliorée, c'est-à-dire des conditions de confort et de santé.
Le deuxième enjeu est celui de l'impact du bâtiment sur le changement climatique. Il s'agit d'abord de limiter l'impact environnemental des bâtiments à l'échelle locale - la problématique des îlots de chaleur urbains - et à l'échelle globale, il s'agit du changement climatique global, dont on parle plus.
Le troisième problème est celui de la précarité énergétique. Si la définition du phénomène peut varier d'un pays à l'autre, il vise l'ensemble des populations qui, pour des raisons financières, ne vivent pas dans des ambiances confortables, soit par manque de chauffage, soit par manque de climatisation dans des pays plus chauds.
En ce qui concerne le premier objectif, les enjeux de la recherche sont très variés. Le bâtiment est aussi un domaine d'application de la technologie, notamment avec les matériaux à propriétés spécifiques. Quant aux enjeux méthodologiques, il est beaucoup question, aujourd'hui, de multi-performance. Mais la multi-performance nécessite la définition d'indicateurs de métrique et de méthodes d'évaluation. Il faut faire évoluer les outils de simulation. On a aujourd'hui besoin de méta-modèles pour l'aide à la décision. Il n'est plus question de donner une valeur exacte, mais d'apprécier l'impact d'une décision sur l'évolution d'un projet.
La recherche comportementale, qui occupe une très petite communauté de chercheurs travaillant en France, vise tout ce qui concerne la qualité d'usage : le comportement des usagers, l'économie, les aspects sanitaires en ce qui concerne l'environnement, la santé et le confort des usagers.
Le deuxième objectif est relatif à l'impact du bâtiment sur le réchauffement climatique. À l'échelle locale, le phénomène de l'îlot de chaleur urbain est le plus intense et le plus préoccupant aujourd'hui dans les villes. De même que précédemment, tous les secteurs de la recherche sont concernés. Je ne les reprendrai pas en détail. Parmi les plus importants, l'îlot de chaleur urbain provient, pour 50 %, de la morphologie urbaine, du piégeage radiatif du tissu urbain, et, pour 50 %, des activités anthropiques. On peut donc agir à la fois sur l'un et sur l'autre : les innovations portent sur des revêtements, sur des matériaux, sur des systèmes à faible impact environnemental qui peuvent être intégrés en ville.
Le troisième objectif, est le « zero energy poverty ». En Europe, entre 100 et 150 millions de personnes sont concernées. Les données récentes pour la Grèce, le Portugal, la Slovaquie ou l'Irlande sont édifiantes.
Il y a quelques années, une étude réalisée par le cercle des économistes de Copenhague sur les bénéfices financiers, pour les États, d'une large réhabilitation des bâtiments en Europe, liait ceux-ci, en premier lieu, à l'amélioration de la santé.
Tous ces problèmes sont joints. On a besoin d'une approche systémique. L'apport des sciences humaines et sociales est très important. Elles ne sont peut-être pas suffisamment mobilisées, aujourd'hui, dans notre secteur de recherche.
Outre une appropriation par la recherche, est également nécessaire le développement de solutions d'ingénierie financière. Aujourd'hui, le frein à la réhabilitation en Europe tient à ce que personne ne peut se l'offrir du fait du coût des technologies existantes. Il faut donc trouver des solutions techniques à coût abordable, ce qui nécessite un effort important de recherche et d'innovation, de même qu'une évaluation des impacts socio-sanitaires et financiers.
Quelles sont les difficultés actuelles ?
Ces dernières années, les politiques de soutien à la recherche mises en oeuvre ont fait que les budgets recherche ont marqué une forte décroissance. La communauté scientifique dans ce secteur est une petite communauté, quantitativement faible par rapport à ce qui prévaut, notamment dans les pays du Nord. Trop peu de projets sont financés par l'Agence nationale de la recherche. Ces dernières années, un ou deux projets ont été alloués chaque année à de jeunes chercheurs dans ces secteurs au titre du « défi 6 ».
En tout pour l'Agence nationale de la recherche ?
Oui, au niveau de l'Agence nationale de la recherche, ce qui est désespérant pour nos jeunes collègues.
Le défi 6 recouvre tout ce qui concerne les systèmes urbains : le bâtiment, la ville et la mobilité. Les équipes de chercheurs recourent donc plutôt aux appels à manifestation d'intérêt (AMI) du commissariat général à l'investissement, avec des niveaux de maturité technologique (technology readiness level TRL) beaucoup plus élevés. Le « TRL » permet de mesurer le degré d'applicabilité d'une recherche : les faibles indices qualifient une recherche amont, et les forts indices une recherche proche de l'aboutissement, du transfert au niveau pratique.
Il existe donc actuellement une réelle difficulté à mobiliser la communauté scientifique sur un problème sociétal important.
Vous parlez de budget recherche en forte décroissance : quel est l'ordre de grandeur de ce budget ?
J'ai retenu les allocations de budget de recherche publique de l'Agence nationale de la recherche. Dans les dernières années, la modification des règles de fonctionnement de l'ANR a conduit à un système d'attribution des crédits de recherche qui se trouve « au taux de pression », ce qui signifie que les allocations pour les petites communautés de chercheurs sont vouées à diminuer. C'est la conséquence immédiate de ce système. Durant ma carrière, j'ai connu des systèmes très différents, depuis des crédits récurrents très importants jusqu'à des crédits récurrents, aujourd'hui, très faibles. Il faut retrouver raison en tout cela. Peut-être faut-il relancer des actions de recherche coordonnées, ciblées sur des petites communautés, si l'on souhaite maintenir des communautés scientifiques. Cela n'est pas propre au secteur du bâtiment. Un équilibre est à trouver entre les systèmes d'allocation des moyens de recherche publique.
Pour l'Agence nationale de la recherche, cette critique d'un financement proportionnel à la pression a été faite de façon récurrente au cours des dernières années.
Sur un sujet de recherche, vient immédiatement la question des comparaisons internationales. Qu'en est-il ?
Comme je vous l'ai dit, en France, la communauté scientifique en ces domaines est petite. Une comparaison avait été réalisée, il y a quelques années. Elle montrait une communauté scientifique agile et productive mais limitée quantitativement par rapport à nos grands voisins : l'Allemagne, les pays du Nord, pays où existe une tradition structurée de recherche publique dans ce secteur.
Avec quelles conséquences sur les produits finaux ?
Il m'est difficile de parler des produits finaux, d'évolution des bonnes pratiques. Il faudrait peut-être reprendre l'appréciation portée dans un précédent rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, laquelle avait été reprise par le conseil scientifique du Plan bâtiment durable. En France, une difficulté majeure tenait au transfert dans les bonnes pratiques de l'innovation développée dans les laboratoires publics ou privés. Cela est vrai. Et cela pose la question de la place la recherche technologique. Il s'agit certainement d'un point faible, en particulier dans notre secteur. D'où le développement des plateformes technologiques « bâtiment Grenelle », qui sont devenues « bâtiment durable ». Elles doivent justement remplir ce rôle d'interface entre la recherche académique et les pratiques professionnelles.
Je vous remercie. L'orateur suivant, Didier Roux, représente aujourd'hui l'Académie des Technologies. Didier Roux a commencé ses activités de recherche au CNRS en 1980. Il a une longue carrière dans des contextes variés, en particulier en recherche et développement au sein d'entreprises telles que Rhône-Poulenc et Saint-Gobain, dont il a été directeur de la recherche. Il a aussi enseigné au Collège de France.
Pour éclairer les choses de façon un peu différente, je partirai d'un point de vue industriel et plus d'une problématique de marché.
Lorsque l'on parle d'innovation, il faut se poser la question des besoins du marché et, en la matière, je vais aborder deux sujets. Le premier a trait aux grands défis auxquels est confronté le monde de la construction, dont le rapport au numérique. Je vais essayer de vous montrer que les choses peuvent changer dans un monde qui est considéré comme conservateur. Le second a trait à la problématique de l'efficacité énergétique.
La filière de la construction - et je ne vais pas être très aimable avec cette filière, même si je l'ai découverte il y a douze ans et si j'en suis tombé un peu amoureux - cette filière souffre de deux maux importants. Le premier tient à l'insatisfaction du client final. Sans entrer dans trop de détails, je vais faire référence à deux études, facilement consultables, réalisées par Que Choisir, qui représente en quelque sorte le consommateur. L'une est parue en août 2016, essentiellement centrée sur les constructeurs et les promoteurs des maisons individuelles : elle a conclu à une très grande insatisfaction des consommateurs et des clients qui avaient affaire à cette filière. L'autre est plus récente, du mois de décembre 2016, dans laquelle Que Choisir s'est attaché à la rénovation et au label « Reconnu garant de l'environnement » (RGE). Les personnes interrogées à l'occasion de cette étude ont été tout aussi sévères et ont exprimé leur déception de cette situation.
Le client final est-il l'habitant, le constructeur, le promoteur ?
Quand je parle du client final, je parle de nous, nous comme particuliers, les consommateurs qui avons fait rénover notre maison, qui avons à acheter ou construire une maison, qui avons à habiter dans des locaux tertiaires dans notre vie professionnelle. Bref, le client final, le consommateur final n'est pas satisfait de ce que lui offre cette filière. N'importe quelle étude conclut à un taux de satisfaction ou d'insatisfaction, cela revient au même, d'environ 50 %. Et cela dans un monde où, lorsqu'un nouveau produit mis sur le marché ne recueille pas un taux de satisfaction de 80 %, vous pouvez considérer que votre produit n'est pas accepté par le marché, et n'a aucune chance d'être vendu. Vous voyez l'ordre de grandeur du décalage existant entre la satisfaction liée à l'achat d'une voiture, d'un ordinateur, peu importe, d'un bien de consommation, et celle liée au fait d'acheter ou de faire construire une maison, ou de faire rénover votre appartement. Il existe un décalage profond qui n'est d'ailleurs pas propre à la France, même si la France ne fait pour autant pas partie des très bons élèves. Il s'agit du premier problème.
Le second problème tient au déficit d'amélioration de la productivité du travail, dans le secteur. De quoi est-il question ? La productivité du travail représente la valeur ajoutée par une heure de travail d'une personne qui travaille dans un domaine technique déterminé. Les données chiffrées sont très facilement accessibles sur le site de l'INSEE, qui mesure cette productivité du travail, dans tous les secteurs depuis 1950. Pour donner un ordre de grandeur, le monde industriel a gagné un facteur 16, c'est-à-dire 1 600 % de gain entre 1950 et 2015. Le monde du bâtiment et de la construction en général a péniblement gagné un facteur 3, et, ce qui est encore plus inquiétant, depuis une quinzaine d'années, le monde de la construction perd en productivité du travail.
Cela est-il propre à la France ou l'observe-t-on partout ?
Partout. Une étude extrêmement intéressante de McKinsey (Reinventing construction through productivity revolution), qui a enquêté au niveau mondial, montre qu'il s'agit d'un phénomène général. Que ce soit en Europe, aux États-Unis, dans tous les pays développés, le monde de la construction a tendance à perdre de la productivité. Il s'agit d'un véritable enjeu économique, parce qu'on se heurte à un coût qui devient déraisonnable dans la plupart des pays développés.
Je voudrais insister sur les conséquences multiples de cette double problématique : le client n'est pas satisfait et la productivité ne s'est pas améliorée. Exprimé de façon un peu violente, cela veut dire que le consommateur achète plus cher, quelque chose de qualité moindre. Il y a là un véritable problème, compte tenu de la taille du marché et de l'importance des coûts pour le consommateur, qu'il s'agisse de construire un habitat neuf ou de rénovation. J'en aborderai deux. J'utilise souvent l'expression selon laquelle : « le marché n'est pas activé ». Le client n'étant pas satisfait, il est inquiet. Il devient anxiogène pour lui de faire appel au monde de la construction. Les gens peuvent avoir un projet, ils peuvent disposer de l'argent pour le concrétiser, pour autant, ils ne le font pas, parce que ils ne sont pas dans une relation de confiance avec les acteurs du marché - première conséquence. La deuxième conséquence, très importante pour l'innovation, est qu'il s'agit d'un marché tiré par les prix bas. À partir du moment où la confiance manque, la recherche du moindre coût est systématiquement privilégiée et tout le système est tiré vers les prix bas, qu'il s'agisse des produits ou de la mise en oeuvre. C'est un problème majeur du monde de la construction.
Maintenant, quel rapport avec le numérique ?
Quand on considère deux autres filières qui présentaient les mêmes symptômes, et même si, dans ces autres filières, les symptômes étaient moins graves - la filière des taxis et la filière des hôtels - ce double problème de mécontentement du client et de manque de productivité a conduit à l'entrée dans le système d'un acteur extérieur, un acteur du numérique. Cet acteur s'interpose entre le client final et les acteurs historiques de la chaîne de valeur, en proposant ce qui manquait au client final, c'est-à-dire un service qui lui donne confiance. Cet acteur permet de rassurer le client, mais, et c'est la force du numérique, pour le service qu'il propose, cet acteur ne fait pas payer le client final. Il fait payer les anciens acteurs de la chaîne de valeur. Tel est typiquement le cas des plateformes en ligne Booking ou Uber. Cela signifie que le numérique n'est pas au service des acteurs historiques, mais qu'il intervient comme une sorte de prédateur qui, s'il satisfait le marché, l'améliore en mettant les acteurs historiques en difficulté. On l'a très bien vu, aussi bien pour les hôtels que pour les taxis.
Le monde du bâtiment est en situation de connaître une évolution de ce type, puisqu'il souffre de maux identiques, et de façon plus importante encore. Pour autant, le monde du bâtiment est beaucoup plus complexe et plus difficile à aborder que le monde des hôtels et les taxis. Il est en quelque sorte protégé vis-à-vis des acteurs majeurs du numérique par sa complexité. Je voudrais insister sur le fait qu'il y a quelque chose à faire. Soit on attend qu'un grand du numérique, du type Google, intervienne - et Google a parfaitement identifié que le monde du bâtiment était, au niveau mondial, un secteur offrant des opportunités. Soit la chaîne de valeur sait s'organiser - c'est la solution que je défends. Malgré leur fantastique floraison et leur diversité, les start-up n'arriveront pas seules à réorganiser la chaîne de valeur. Cette réorganisation passe par un travail en commun avec les acteurs historiques, pour corriger les deux défauts que je viens d'évoquer et les corriger avant que l'acteur extérieur n'oblige le système à le faire.
S'agissant de l'efficacité énergétique, les chiffres ont été présentés. Il convient néanmoins de préciser que les objectifs de rénovation énergétique - 500 000 bâtiments par an - n'ont pas été atteints de manière récurrente, et qu'ils sont même très loin de l'être. Il s'agit d'un domaine où l'on vit beaucoup dans le fantasme de ce qui ne se fait pas réellement.
À cet égard, je ferai deux observations. Je trouve ridicule deux oppositions souvent faites, qui n'ont pas réellement lieu d'être.
La première oppose l'amélioration ou l'isolation passive à l'isolation active d'un bâtiment. Cela revient à considérer comme alternatives l'amélioration intrinsèque, par l'isolation d'un bâtiment, et l'amélioration de sa performance énergétique par l'utilisation d'outils comme le pilotage automatique du chauffage. Les deux approches sont indispensables et il est ridicule de les opposer l'une à l'autre : elles sont complémentaires.
Je trouve également ridicule toute la bataille, très négative, consistant à opposer énergie fossile et électricité ou si on préfère, pour les spécialistes, l'énergie primaire et l'énergie fatale. Cette bataille a profondément déséquilibré les méthodes de chauffage. Un bâtiment de qualité, bien isolé peut, sans problème, être chauffé à l'électricité. Cela ne soulève aucun problème de fond. Aujourd'hui, on confond l'efficacité énergétique et l'émission de CO2. Et on se trompe d'objectif lorsqu'on prétend supprimer l'électricité comme méthode de chauffage dans des bâtiments bien isolés.
Y a-t-il des observations des uns ou des autres sur le constat de l'écart entre l'objectif de 500 000 bâtiments rénovés par an et les rénovations effectives ?
La région Alsace n'existe plus, mais c'est à cette échelle qu'avait été imaginé un programme d'accompagnement de rénovation thermique - le programme Octave - qui est maintenant développé à l'échelle de la région Grand-Est. Par ce programme, qui s'adresse à des particuliers, ce qui fait son originalité, il s'agit d'abord de régler l'aspect technique, c'est-à-dire d'identifier, avec les professionnels, les bonnes solutions pour un bâtiment déterminé. Il s'agit ensuite de collecter l'ensemble des subventions possibles et imaginables, ce qui en soi est déjà un parcours du combattant. Enfin il s'agit de monter un système de tiers-financement pour porter la rénovation qui, comme les deux intervenants l'ont souligné, coûte extrêmement chère et peut parfois difficilement même se concevoir à l'échelle d'une seule génération. Il faut donc s'inscrire dans la durée. Avez-vous déjà porté un regard sur ce genre d'expérience ? Qu'en pensez-vous ? Estimez-vous qu'il puisse s'agir d'une piste de solution permettant d'éviter à ce secteur de devenir une future proie de Google ?
Je vais revenir très brièvement sur le problème que j'ai posé. L'une des conséquences de l'organisation actuelle de la chaîne de valeur dans le monde de la construction est qu'elle fait du client une victime de cette chaîne. J'utilise le mot « victime », parce que c'est l'impression ressentie par le client qui y fait appel.
Pour nous, experts ou parlementaires, l'efficacité énergétique est très importante en tant que problème sociétal. Consommer près de 45 % de l'énergie dans les bâtiments, parce qu'ils sont mal isolés, est effectivement ridicule au niveau du pays. Pour le client, pour le consommateur que nous sommes, c'est beaucoup moins évident, si le seul bénéfice va à la communauté. Il s'agit d'une problématique classique pour les parlementaires, qui doivent confronter la vision de la personne par rapport à la vision de la société, les intérêts particuliers et l'intérêt général. Il est indispensable de faire évoluer le discours autour de l'efficacité énergétique. En l'espèce, il faut avoir à l'esprit que plus encore que l'efficacité énergétique, ce qui est essentiel pour les utilisateurs est le confort en général et même, plus précisément, le confort thermique. Le gain pour le client final ne tient pas uniquement à l'argent qu'il économisera dans un bâtiment bien isolé, il tient aussi au fait qu'il vivra dans un bâtiment bien plus confortable. À partir de ce moment-là, et de ce moment-là seulement, le client aura l'impression d'y trouver son propre bénéfice. Cela changera tout le système compliqué dans lequel nous vivons, qui consiste à essayer d'aider et de convaincre les citoyens d'isoler leurs bâtiments. J'ai conscience de ne répondre que partiellement à votre question, mais je voulais faire passer ce message parce que je pense qu'il est important.
Je ferai suite à la question posée par mon collègue. Vous parliez de bénéfice, encore faut-il savoir de quoi il s'agit. Lors des débats sur le projet de loi de transition énergétique, le Parlement a effectivement discuté des moyens d'inciter à cette rénovation énergétique, sans véritablement creuser la question de savoir ce qu'est un bénéfice. Je m'explique. Nous avons eu des discussions très intéressantes sur la nécessité d'appeler l'attention des ménages les plus précaires sur le coût de l'énergie et le gaspillage énergétique. Cela peut être intéressant en termes de compréhension de l'information, mais n'est guère source d'avancées réelles. Si vous vivez dans une passoire énergétique, peu importe que l'État vous incite à changer votre réfrigérateur, tant que vous n'avez pas les financements pour changer votre four, votre radiateur, ou pour mieux isoler votre fenêtre. Ne conviendrait-il donc pas de cibler certains types d'habitants, qui ont à la fois une conscience écologique et énergétique, et en même temps des revenus qui leur permettent d'assumer la charge de la transition énergétique ou écologique ? Autre exemple, on a mis en place des incitations à réaliser des travaux d'isolation ou de rénovation, en insistant sur l'amortissement de la dépense grâce aux économies d'énergie réalisées sur cinq, dix ou quinze ans. Un tel raisonnement n'a aucun sens lorsqu'il est tenu à un couple de personnes âgées. Comment peut-on humaniser une politique qui, au plan général, collectif, massifié, fonctionne, mais qui n'est pas adapté aux vrais besoins des individus ? Comment peut-on parler un langage qui sorte du discours administratif et politique pour retrouver le langage courant et enclencher une vraie dynamique ?
La réponse à cette question est qu'il faut inverser la problématique et obtenir que le client ait envie de faire des travaux, y compris des travaux d'efficacité énergétique. Il faut un marché tiré par les besoins du consommateur, au moins pour une part, beaucoup plus que réglementé ou poussé par des aspects globaux ou sociétaux. C'est une éducation à faire, une éducation des personnes : comprendre ce qu'est le confort, comprendre que vivre mieux dans un endroit bien isolé, c'est un avantage important, pour ceux qui peuvent se le permettre peut-être. Vous avez très bien relevé que le débat en France est devenu très compliqué, car il mélange la problématique de l'efficacité énergétique et celle de la précarité énergétique. Ce sont deux problèmes très différents. Certains ménages n'ont pas de moyens financiers suffisants c'est un réel problème et c'est malheureux, mais c'est un problème en soi. Vous avez une autre problématique qui est une problématique de bâtiments. Si quelqu'un peut acheter à Paris un appartement de 100 m2, pour un million d'euros, on aura du mal à me convaincre qu'il ne peut pas dépenser 20 000 ou 30 000 euros pour l'isoler. Il convient de ne pas confondre les deux problématiques, sauf à se retrouver dans une configuration, comme dans d'autres domaines, où les problèmes d'un grand nombre de gens sont mis en avant pour protéger des intérêts de quelques-uns. La bonne démarche est donc d'éduquer à la perception de l'avantage d'un bâtiment rénové pour le consommateur en premier lieu, mais aussi d'apprendre à la filière qu'il convient de parler ainsi à son consommateur. Combien d'artisans expliquent au consommateur final le bénéfice, dans sa vie quotidienne, des travaux qu'il fait réaliser ? Au-delà de l'esthétique que tout le monde peut juger, le confort thermique, la qualité de l'air, la luminosité, la gestion de la lumière, l'acoustique sont des choses très compliquées pour le client final, même s'il les vit au quotidien.
Je réagirai à votre présentation initiale. Vous avez parlé de l'arrivée de géants, du type de Google, sur ces marchés traditionnels. Vous dites qu'aujourd'hui ces acteurs mettaient les acteurs historiques en danger. Vous avez fait une comparaison avec les taxis. Je ne partage pas tout à fait cette opinion. Si Uber s'est autant développé aujourd'hui, c'est que les taxis n'ont pas su prendre le tournant et gérer la transition numérique, n'ont pas su gérer l'open data, les attentes des consommateurs et l'évolution de nos modes de déplacement. Aujourd'hui, le message principal qu'il convient d'adresser aux grands acteurs du bâtiment est de ne pas manquer, à leur tour, eux aussi, cette transition numérique. Il ne s'agit pas d'abord d'une question de travail avec les start-up ou les grands groupes, mais bien de leur propre responsabilité dans l'organisation de leurs procédures internes et dans leur façon d'appréhender les attentes des consommateurs, en ce qui concerne le confort et tout ce qui est numérique. Il leur faut trouver les réponses aux nouvelles attentes des clients.
Dans le cas des sociétés Uber ou Airbnb, des services sont proposés : un logement pour une nuit ou pour une semaine, un taxi ou une voiture mis à disposition. Dans le cas d'un bâtiment, il s'agit de quelque chose qui dure des décennies. Quel serait le mécanisme « d'ubérisation » à l'oeuvre dans ce cas ?
Je vais répondre, mais je voudrais d'abord dire à Mme Célia de Lavergne que nous sommes d''accord. J'ai exactement voulu dire ce qu'elle a dit peut-être mieux que moi. Uber est l'organisation d'un service réalisé avec des biens de l'économie réelle : un taxi, c'est un chauffeur qui dispose d'une voiture. Uber ne possède pas le taxi et n'emploie pas le chauffeur. Sa force est d'arriver sur une chaîne de valeur, de gens qui travaillent avec une voiture et un chauffeur, et de leur offrir l'accès au client, moyennant 20 % ou 25 % de commission sur le prix de la course.
Je suis d'accord avec vous, Madame la députée : si les taxis avaient bien exercé leur activité, Uber n'aurait pas pu entrer sur le marché, parce que le service qu'offre Uber est un service considéré par le client comme meilleur sans supplément de prix, voire même à un prix moindre que l'offre des taxis sans Uber. Il convient donc de modifier l'organisation même des acteurs historiques et ne pas se résigner simplement à ce qui serait évitable.
On peut imaginer un acteur qui déciderait d'utiliser aujourd'hui les outils numériques afin de répertorier un petit nombre de petits entrepreneurs du bâtiment et les mettre en concurrence pour créer des nouveaux services de rénovation énergétique dans le bâtiment. Il viendrait casser le modèle des grands groupes industriels classiques en ce domaine.
Ce ne serait pas le modèle des grands groupes mais celui des artisans, car il s'agit d'artisans. C'est le cas du taxi. Ce qu'il va offrir - ce que vous décrivez et qui existe déjà - consiste à redonner confiance à un client et à le mettre en relation avec un certain nombre d'artisans et demander aux artisans de le payer pour leur amener le client. Il est plutôt question d'artisans et non de grands groupes, en tout cas dans un premier temps.
Ce service que vous imaginez est en train de se développer, mais non à l'initiative des majors du secteur du bâtiment, qu'ils soient fournisseurs de matériaux ou metteurs en oeuvre. Il est déjà mis en place par des start-up, à peu près sur tout le territoire national.
Parce que les artisans et les grands groupes n'ont pas su créer la confiance dont M. Didier Roux a parlé.
De ces start-up, il faut faire des alliées plutôt que des ennemies. L'ennemi réel serait un Google créant Google Flux qui rachète NEST pour 3,2 milliards de dollars avec l'intention d'organiser cette chaîne de valeur. Là est le danger. Les start-up ne présentent pas le même genre de danger. Il faut parvenir à les faire travailler avec les acteurs historiques.
Je suis entièrement d'accord avec vous. J'ai été conseillère de Fleur Pellerin au ministère de l'Économie numérique. Nous avions créé une chaire avec M. Jean Tirole sur ces nouvelles chaînes de valeur. Aucun secteur de l'économie n'est à l'abri de la numérisation. Celui qui ne saura pas prendre le train en route sera absorbé par un autre acteur. Les géants du Net eux-mêmes « remontent » leur propre chaîne de valeur. Google fait de la fibre, lance des nano-satellites pour garantir l'accès à Internet, Facebook travaille également dans les pays où le numérique ne se diffuse pas assez vite. Ces géants eux-mêmes se tournent vers l'économie réelle et l'économie réelle est en train de se numériser.
Le fait que l'hôtellerie se soit fait « damer le pion » par des plates-formes de réservation en ligne prouve qu'un domaine purement physique, a priori absolument pas délocalisable, a cependant vu une partie significative de son chiffre d'affaires détournée vers l'étranger. Une multitude d'acteurs peuvent intervenir à tout niveau de cette chaîne de valeur. Pensez-vous que cela puisse poser des problèmes de souveraineté, par exemple, si un acteur arrive à maîtriser la consommation énergétique des habitants d'une région ou d'une ville ?
Si, pour rénover votre appartement, vous passez par un service de Google, lequel facture 20 % aux artisans qui travailleront chez vous - ce ne sera pas Google qui travaillera chez vous mais bien des artisans français - et que ces 20 % constituent un flux financier qui ne passe pas par la France, vous vous trouvez exactement dans la situation que vous craignez.
Nous n'en sommes pas là, mais il n'y aucune raison que cela ne puisse pas se trouver aussi dans le monde du bâtiment. Le moteur est là. Je le répète : le moteur est l'insatisfaction des clients et le manque de productivité. Ces deux conditions doivent être remplies, parce qu'en l'absence de gains potentiels de productivité, les Google et autres Uber tueront les acteurs actuels. Or il ne faut évidemment pas les tuer. Il faut les obliger à s'améliorer.
Je remercie Didier Roux. Nous retiendrons de son intervention que nous avons, dans le secteur de la rénovation des bâtiments, les symptômes d'acteurs exposés à un risque de disruption numérique qui pourrait avoir des conséquences sérieuses pour l'économie.
Nous allons continuer avec M. Étienne Wurtz, directeur de recherche au Laboratoire d'énergétique du bâtiment, l'un des laboratoires de l'Institut national de l'énergie solaire (INES) situé dans les locaux du CEA à Chambéry. Il a travaillé sur des questions de transfert thermique et a été, entre autres dans son parcours, enseignant-chercheur à l'École normale supérieure de Cachan, à l'Université de La Rochelle et à l'Université Savoie Mont Blanc.
directeur de recherche, Laboratoire d'énergétique du bâtiment, Institut national de l'énergie solaire (INES), CEA. - Pour éclairer le débat, j'ai choisi de m'appuyer sur certaines innovations technologiques très concrètes développées au sein du service bâtiment du CEA-INES, sachant qu'une des réponses aux questions qu'on s'est posées peut être la propriété intellectuelle qui peut protéger les acteurs dont nous avons parlé.
En préambule, je voudrais d'abord dire que considérant la légitimité du CSTB à traiter les problématiques du bâtiment et celle du CEA en regard des enjeux énergétiques, il nous paraît intéressant de poursuivre un rapprochement entre ces deux instituts qui s'appuient tous deux sur des partenariats forts avec les organismes académiques dans un domaine qui, bien qu'il représente près de la moitié de la consommation énergétique, est délaissé par le milieu scientifique en France. Les derniers irréductibles chercheurs académiques sur le sujet sont donc très inquiets pour l'avenir de la thématique et se sentent très peu soutenus par leurs tutelles. Plutôt que de s'apitoyer sur ces perspectives un peu sombres, je vais essayer d'éclairer ces débats d'initiatives prometteuses.
Les premiers travaux, que je voudrais mettre en avant, concernent la nécessité de la sobriété, qui passe avant tout pour moi par l'isolation, et nous avons donc engagé d'importants travaux avec une filiale de l'entreprise PCAS pour proposer des solutions d'isolation par des super-isolants à base d'aérogel, qui peuvent être soit projetés comme des enduits sur les façades soit mis en place directement sous forme de plaques de quelques centimètres. Les résultats sur une maison expérimentale au terme d'une recherche réalisée il y a quelques années sur notre site montrent qu'un tel enduit projeté est bien plus isolant que tous les isolants classiques, comme le plâtre, et deux fois plus isolant que le meilleur isolant existant.
Le domaine de la fenêtre est celui qui a le plus progressé pour moi avec, par exemple, les verres à faible émissivité qui sont les meilleurs capteurs solaires imaginables et permettent d'envisager pour demain des « bâtiments zéro énergie » producteurs d'énergie, permettant des solutions de réhabilitation particulièrement pertinentes.
Sur ce sujet de la réhabilitation, nous menons actuellement un projet avec plusieurs industriels, à l'image d'une initiative hollandaise qui a montré beaucoup de très bons résultats avec déjà 10 000 opérations de réhabilitation réalisées et toutes rentables. Ce projet devrait nous permettre de proposer un nouveau concept de réhabilitation industrialisé en partenariat avec des bailleurs sociaux notamment. Plusieurs démonstrateurs ont déjà été identifiés. Ce type d'initiative est souvent freiné par des obstacles réglementaires qui nous interdisent par exemple de clipser ou de coller alors que nos voisins étrangers n'ont pas toujours ce genre de difficulté. Rien que de poser un cadre de fenêtre à l'extérieur d'un bâtiment est un véritable parcours du combattant pour certains industriels. Il faut un droit à l'erreur en matière d'innovation, plutôt que viser la sécurité à tout prix en matière d'expérimentation.
Nous offrons donc d'autres solutions, par exemple nous avons développé avec le CSTB une solution pour la réhabilitation dans le domaine du tertiaire mais là encore des obstacles sont rencontrés tels que la frilosité des aménageurs français, souvent liée à des risques d'échec. Le marché de la réhabilitation reste encore aujourd'hui très peu soutenu dans notre pays.
Pour parler un peu de notre institut, nous avons vocation à développer l'intégration du solaire et je constate un certain dynamisme : les demandes industrielles pour développer des produits spécifiques photovoltaïques sont aujourd'hui très encourageantes et vont conduire à l'explosion des technologies photovoltaïques dans les années à venir. Les demandes concernent des volets autonomes, des fenêtres autonomes ou, encore, des entrées d'air autonomes pour éviter les raccordements électriques et, bien sûr, se développent des produits comme des tuiles ou des panneaux photovoltaïques. C'est quelque chose qui est bien réussi, ou du moins qui va l'être bientôt.
La situation reste beaucoup plus délicate pour le solaire thermique. Il y a le cas de l'entreprise Viessmann à Faulquemont qui réalise avec 1 000 employés des systèmes solaires vendus à l'Allemagne, à l'Autriche, à la Suisse ou à d'autres pays plus courageux que nous sur ce sujet. Pendant ce temps, nous nous contentons d'importer d'Allemagne des chaudières au gaz ou au fioul. Une évolution est donc indispensable dans ce secteur où la France fait véritablement preuve de naïveté en ignorant le potentiel de ces technologies, en raison uniquement de déboires dans les décennies précédentes sur des installations qui avaient alors été mal conçues.
Pouvez-vous préciser ces déboires et incidents particuliers ?
Très simplement, l'énergie solaire a dû faire face à deux problèmes. Tout d'abord, un problème technologique, les surchauffes : si vous l'utilisez mal, vous allez être surchauffés, si vous êtes surchauffés, vous avez des fuites, et quand vous avez des fuites à l'intérieur d'une toiture il faut enlever toute la toiture, ce qui est catastrophique car ça coûte très cher, pour changer un joint qui coûte 25 centimes, ça va par exemple vous coûter 10 000 euros donc ça a fait réfléchir. Ce problème a été aggravé par le fait qu'on a imposé à tort en France l'intégration des panneaux solaires, photovoltaïques ou thermiques, à l'intérieur des toitures. L'autre problème, c'est que dans les années 2000 on a créé un concours solaire thermique, alors que dans cette décennie, le solaire thermique, c'était 5 % de la consommation énergétique globale du bâtiment et qu'aujourd'hui on va arriver à 70 ou 75 %, le contexte a donc changé. Il faut encore que les industriels le comprennent et qu'on puisse associer notre solaire thermique à de l'effet Joule qui ne coûtera quasiment rien et qui sera très efficace. Il faut aussi voir qu'aujourd'hui les besoins en eau chaude sanitaire deviennent prépondérants dans les bâtiments neufs par rapport à ceux du chauffage qui sont de plus en plus faibles.
Par ailleurs, un autre enjeu, pour les bâtiments neufs cette fois, c'est l'industrialisation à l'image de solutions avec des « bâtiments zéro énergie » mis en place en moins de deux mois. Nous travaillons sur ce projet avec un constructeur du Sud-Ouest qui est convaincu d'une future évolution positive dans ce domaine. Cette maison pour toutes les bourses est donc accessible en deux mois et peut couvrir tous les besoins en construction qu'ils soient urbains, avec des petits collectifs, des maisons en bande ou, encore, des maisons dans les domaines ruraux pour redévelopper nos campagnes. Nous avons donc aujourd'hui besoin de technologies nouvelles dans l'isolation, dans l'efficacité solaire thermique ou photovoltaïque et de l'industrialisation de ces technologies.
Je voudrais terminer cette intervention par la problématique de la qualité de l'air. En effet, la communauté scientifique a beaucoup apprécié les avancées dans le domaine de la réhabilitation notamment grâce à la réglementation dans le secteur du bâtiment sur le domaine énergétique, par contre, aujourd'hui, on a une énorme problématique sur le confort et sur la santé dans les bâtiments. Nous avons mené des études récentes sur la qualité de l'air, avec des mesures qui nous ont montré un niveau alarmant de CO2, y compris dans l'ensemble des logements neufs qui ont été testés et quels que soient les systèmes industriels utilisés. Les capteurs saturaient en particulier dans toutes les chambres à coucher. L'approche bas carbone n'est pas suffisante, certes il ne fait aucun doute qu'il faut réduire l'impact CO2 des bâtiments mais il serait plus opportun de s'attaquer à l'énorme chantier des radiateurs électriques dans les bâtiments anciens mal isolés, ce qui entraîne un taux important d'émission de CO2 pendant les périodes de pointe, plutôt que de substituer les bâtiments en béton par des bâtiments en bois dans la construction neuve. Il est surtout urgent de considérer ces deux grands enjeux que sont la qualité des ambiances dans les logements neufs et anciens et les consommations énergétiques et les émissions de CO2 dans les bâtiments, avec pour moi une priorité absolue qui doit être donnée aux populations en situation de précarité énergétique.
Avec ces trois interventions, on a pu voir un panorama assez large avec des choses enthousiasmantes sur ce que permet de faire la recherche avec différentes technologies combinées mais aussi des choses qui semblaient très frustrantes. Est-ce qu'on peut revenir sur les questions réglementaires et les freins à l'innovation ?
Effectivement, les industriels déplorent souvent le peu de droit à l'erreur en France : on doit absolument réussir tout de suite alors que réaliser une expérimentation, c'est quelque chose de très compliqué, de très coûteux, de très lourd pour un industriel. C'est en tout cas très différent du contexte des autres pays, c'est pour ça que j'ai parlé notamment de l'opération conduite aux Pays-Bas de 10 000 bâtiments réhabilités zéro énergie et rentable sur 30 ans. Quand on discute avec nos collègues hollandais qui réalisent cette opération ou avec les Français qui y participent, ils nous disent qu'ils peuvent le faire parce que là- bas, ils ont le droit et qu'ils ne pourraient pas faire ça en France.
Il me semble qu'on devrait davantage pousser à l'innovation en facilitant ce modèle et éviter un contexte réglementaire trop contraignant, pour pouvoir voir de nouvelles technologies se développer. On a eu récemment quelques succès avec la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) à travers une réglementation autorisant de petites dérogations pour tester des éléments provisoirement pendant deux ans, notamment sur la ventilation. Je pourrais citer beaucoup d'exemples, mais prenons celui de la réglementation de la ventilation, qui est quelque chose de très compliqué : elle date de 1982 avec un arrêté modificatif de 1983 et, depuis, cette réglementation ne peut plus évoluer. Pourtant comme je l'ai dit dans ma présentation, on a mesuré le taux de CO2 la nuit dans les chambres à coucher dans des bâtiments neufs respectant la réglementation et on arrive à des taux de trois à quatre fois ce qu'ils devraient être au maximum. Quand un industriel nouveau va sur le marché et dit je vais vous proposer de nouvelles solutions sur la ventilation, mais c'est pas tout à fait au point, il faut attendre un peu, il aura du mal, il y a donc vraiment quelque chose à faire pour faciliter le développement de nouvelles technologies qui, parfois, existent, le plus souvent à l'étranger, mais qui n'arrivent pas sur le territoire français en raison de beaucoup d'obstacles.
Vous avez évoqué des freins réglementaires, financiers et liés à l'usager final. Il y a un point qui me frappe, c'est dans ce dernier cas le parallèle avec la santé, secteur dont je suis issue : dans ce domaine, si vous proposez un bénéfice immédiat à l'usager final, il va le comprendre mais si vous lui proposez un bénéfice différé, il ne le comprendra pas, c'est hélas la vision du politique et là, vous n'aurez pas d'adhésion, donc ma question est : comment peut-on imaginer un bénéfice immédiat qui permette à l'usager final de se tourner vers ce type de projet ?
Vous avez tout compris mais la réponse n'est pas facile. Quand je travaillais chez Saint-Gobain, j'avais poussé mes équipes sur la thématique du confort : il faut en effet revenir à la fonction d'un bâtiment, se demander pourquoi est-ce qu'on le construit, la réponse réside dans le fait d'être installé plus confortablement à l'intérieur qu'à l'extérieur, donc la raison d'être d'un bâtiment, c'est d'amener à l'utilisateur du confort et c'est donc cela qu'il faut développer. Cette notion de confort doit être partout, c'est la seule chose que vous pouvez offrir de façon compréhensible et directe au consommateur final et c'est aussi la fonction principale d'un bâtiment. Les acteurs doivent offrir à l'utilisateur plus de confort et cela doit être démontré et mesuré. Le CSTB le dira tout à l'heure mais le monde du bâtiment souffre d'une faiblesse terrible, qui heureusement n'existe pas dans le monde de la santé, c'est son incapacité à mesurer les impacts et la réalité des performances : le monde du bâtiment est un monde qui passe son temps à faire des calculs et qui ne mesure rien.
En résumé, évaluer le résultat, faire comprendre aux consommateurs que l'on peut mesurer son confort et qu'il le ressentira effectivement ensuite, afin de lui donner confiance, constitue la base d'une évolution profonde, indispensable dans le secteur du bâtiment. Cette évolution commence à se faire, mais est un état préhistorique par rapport à ce qui serait nécessaire.
Actuellement, en France, les mesures réglementaires obligatoires pour la vente ou la transmission d'un logement sont ressenties comme contraignantes, non comme destinées à améliorer le confort.
Une réglementation excessive est la démonstration d'un marché qui n'est pas activé par les besoins du client. L'État tout puissant remplace donc le client qui ne comprend rien, en lui prescrivant ce qui lui est nécessaire. Un marché ne fonctionne normalement pas ainsi.
L'une des raisons de vivre dans un bâtiment est la sécurité. À l'origine, les hommes ont habité dans des cavernes pour se protéger. Quand on voyage dans certains pays en voie développement, on voit bien que la notion de confort n'est pas nécessairement primordiale, par contre celle de protection est importante. C'est un autre élément à prendre en compte.
Dans le domaine du bâtiment, beaucoup de recherches sont menées sur les matériaux, tout comme sur les nouvelles technologies susceptibles d'être associées au bâtiment, telles que l'éolien ou le solaire, pour parvenir à un niveau de confort, mais aussi dans la perspective de la transition énergétique.
Au travers des trois présentations, j'ai compris qu'au final le monde scientifique s'intéresse peu aux problématiques du bâtiment. Ne faudrait-il pas resituer la question du bâtiment dans le contexte de la transition énergétique, pour permettre aux scientifiques de mesurer l'urgence de ce sujet, et les inciter à trouver des solutions de long terme ? D'après vos analyses, le désintérêt actuel des scientifiques résulte-t-il de l'insuffisance des financements dans le domaine du bâtiment, ou bien précisément de l'absence, au-delà des calculs, de résultats concrets ?
Je veux bien essayer de répondre à cette question très complexe. En ce qui concerne la motivation des chercheurs, ils ressentent certainement un intérêt à répondre à une problématique sociale. Dans le bâtiment, la recherche apporte indubitablement une réponse à des problèmes sociétaux, c'est ce qui fait son intérêt.
Mais pourquoi les jeunes chercheurs ne se destinent-ils pas à ce domaine ? La réponse est certainement complexe. Le manque de soutien à une petite communauté scientifique a été mentionné. Un autre facteur résulte du caractère disciplinaire de l'évaluation de la recherche en France, que j'ai connu durant ma carrière passée pour moitié au CNRS et pour moitié à l'Université.
Le bâtiment est justement un domaine d'intégration, d'études systémiques. J'ai dit tout à l'heure qu'il était absolument nécessaire que les sciences humaines et sociales y soient plus associées. On y retrouve également des problématiques de santé, évoquées à l'instant, etc. Notre organisation de la recherche, un peu en silos, ne permet pas vraiment cette approche plus systémique, ce qui constitue un réel problème.
J'ai le souvenir de programmes interdisciplinaires initiés par le CNRS, voici quelques années, dans le cadre desquels des travaux très intéressants ont été menés. Mais les collègues impliqués dans ceux-ci n'en ont finalement pas retiré un atout essentiel pour leur carrière. Ce problème ancien reste donc encore à régler, même si les choses évoluent. Il existe bien un problème d'organisation et d'évaluation de la recherche dans ce domaine.
Par ailleurs, peu de postes ont été ouverts pour le recrutement de jeunes chercheurs ces dernières années, que ce soit dans les grands organismes ou dans l'université. Cela limite nécessairement le recrutement de jeunes chercheurs, indépendamment du domaine considéré.
Il faut replacer ce problème dans le contexte historique plus global de l'absence, en France, de recherche technologique de haut niveau. La présence des représentants du CSTB et du CEA à la présente audition prouve le contraire. Mais en dehors de ces deux organismes, historiquement, le milieu universitaire français n'a jamais été un fervent partisan de la recherche technologique, a fortiori par comparaison avec l'Allemagne et les pays du Nord en général. La situation du bâtiment est un peu le sous-produit indirect d'une recherche technologique manquante en France, même si, évidemment, encore une fois, le CSTB et le CEA en constituent des contre-exemples.
J'ajoute, pour conforter l'intervention de M. Francis Allard, que le CSTB, dont les laboratoires de recherche sont, pour l'essentiel, installés au fin fond de la banlieue parisienne, à Champs-sur-Marne, un lieu a priori peu attractif pour de jeunes chercheurs, n'a pourtant aucun mal à les recruter, justement parce qu'il offre cette vision pluridisciplinaire et cette possibilité de travail pluridisciplinaire dans le domaine du bâtiment.
La notion de pluridisciplinarité est effectivement vraiment très importante, indépendamment du domaine considéré, parce qu'aujourd'hui les approches systémiques font que, face à un problème à résoudre, il est beaucoup plus cohérent de l'appréhender dans un ensemble.
S'agissant de la problématique du bâtiment, il faudrait essayer de prendre en compte tout l'environnement du bâtiment, et de faire travailler ensemble tous les acteurs susceptibles d'intervenir. Je pense qu'une telle démarche permettrait de résoudre un certain nombre de problèmes complexes, d'autant plus que l'organisation de la recherche et la formation ne permet pas de disposer à ce stade de telles compétences pluridisciplinaires.
Je ne partage pas, vous n'en serez pas étonnés, la vision du « tout marché » de M. Didier Roux. L'exposé de M. Étienne Wurtz me permet de me remémorer un exemple contraire. Nous disposions, en France, d'une start-up de grande valeur : NEXCIS, qui concevait un vitrage photovoltaïque répondant, il me semble, à une partie des besoins exposés par M. Étienne Wurtz.
Pour autant, cette entreprise qui avait déposé dix-sept brevets, n'a été soutenue par aucun acteur du marché industriel. C'est tout de même surprenant, s'agissant d'un sujet aussi prégnant, puisqu'il concerne, tout de même, comme indiqué, 45 % des émissions de gaz à effet de serre.
Dans le cadre de la transition énergétique, cette société représentait une opportunité de développement d'un modèle énergétique nouveau pour nos bâtiments, que personne n'a saisie. Je pense qu'au contraire de ce que vous dites, il aurait été important pour l'État de se saisir de cette opportunité. Quelqu'un pourrait-il expliquer pourquoi rien n'a été fait pour que cette entreprise, réellement stratégique dans ce domaine, soit pérennisée et maintenue ?
Quand NECXIS a-t-elle fait faillite ?
Il s'agit d'un événement assez récent, datant de fin 2015 ou de début 2016. NEXCIS était une start-up 100 % française.
Peut-être puis-je apporter un début de réponse. Dans ce domaine de la haute technologie, la plupart des start-up déposent des brevets, fréquemment de nombreux brevets, mais lorsqu'elles ne parviennent pas à un résultat concret, tout le travail fourni en amont n'est pas nécessairement visible.
Lorsque ces start-up demandent des aides de l'État, les brevets restent invisibles, non valorisables. Peut-être conviendrait-il d'étudier comment l'État pourrait intervenir sur la base des brevets, lorsque les produits ne sont pas encore prêts.
Pour reprendre une expression utilisée par M. Didier Roux pour la problématique du bâtiment, c'est un peu comme si le marché de ces start-up n'était pas encore activé, ce qui ne favorise sans doute ni l'aide de l'État, ni celle des grands groupes. Lorsque les start-up viennent rencontrer ces derniers, ceux-ci leur proposent, en l'absence de résultats tangibles, de revenir les voir au stade du prototype.
Pour préciser, NEXCIS était une filiale d'EDF, le produit était finalisé et le marché estimé à 10 milliards d'euros. Ce n'était donc pas un problème de marché non activé.
Sans polémiquer, NEXCIS représente un cas très particulier. La technologie n'était pas encore suffisamment développée pour arriver sur le marché. À un moment donné, les choses sont devenues compliquées, comme cela a été le cas pour beaucoup de start-up dans le domaine du photovoltaïque. Justement, EDF a essayé de porter cette société durant un temps. Elle n'était donc plus réellement une start-up.
M. Francis Allard doit partir. Peut-être souhaite-t-il ajouter quelques mots ?
Il y aurait beaucoup à dire. Ce que je souhaite, c'est qu'on fasse avancer les choses pour le bien-être de nos concitoyens, car c'est finalement cela le plus important.
De ce que vient de dire M. Loïc Prud'homme, je retiens qu'on va prendre plus d'informations sur NEXCIS, pour tirer les choses au clair. Notre collègue Lambert me parlait d'une importante usine de biomasse dans sa région, qui avait reçu de l'ordre de 2 milliards d'euros d'investissement pour un bénéfice, d'après lui, incertain. On voit que l'aide de l'État peut parfois arriver effectivement dans certains projets. Il reste à savoir quels sont ceux qui la reçoivent.
La parole est évidemment libre dans cette enceinte. C'est la base même du fonctionnement de l'OPECST. Néanmoins, les propos de M. Didier Roux sur la recherche technologique me semblent un peu catégoriques. Il a sans doute raison sur le caractère perfectible du système français, comparé à d'autres systèmes de recherche technologique en Europe. Néanmoins, je voudrais tout de même rappeler que nous disposons, fort heureusement, dans notre pays, d'un certain nombre d'organismes en pointe sur cette recherche technologique. Je pense plus particulièrement au CEA ou à l'INRIA. Je ne voudrais pas que nous restions uniquement sur le propos de M. Roux, ce qui serait un peu injuste vis-à-vis d'organismes pour lesquels le développement de la recherche technologique fait partie intégrante de leur ADN, depuis relativement longtemps.
Je voudrais revenir sur le cas du CEA. Je suis d'accord avec M. Didier Roux sur le fait que, comparé à l'Allemagne, aux États-Unis, pays où énormément de recherches sont menées, à la Chine, à beaucoup d'autres pays, la recherche technologique française en matière de bâtiment reste quand même un parent pauvre. Le CEA n'est pour sa part actif dans ce domaine de recherche que depuis 5 ou 6 ans, avec peu de soutiens.
Pour faire un peu de recherches et préparer l'avenir, un soutien est vraiment nécessaire pour le CEA et le CSTB, qui sont d'ailleurs prêts à travailler ensemble, mais qui restent loin des modèles étrangers, par manque de moyens, avec des académies qui ont un peu baissé les bras, pour les raisons déjà mentionnées.
Il existe par conséquent un fort besoin de soutien de la recherche technologique, y compris par des aides publiques au bon niveau. Comme nous l'avons vu, ces domaines de recherche ne sont, en pratique, pas nécessairement très soutenus, par exemple par l'Agence nationale de la recherche.
Je vais donner la parole, pour une quinzaine de minutes, aux deux représentants du CSTB, M. Étienne Crépon, son président, et M. Hervé Charrue, directeur général adjoint en charge de la recherche, et directeur de la recherche et du développement.
Je vais essayer de limiter ma présentation à moins de quinze minutes, afin de laisser plus de place au débat.
Par-delà le diagnostic du secteur de la construction présenté par les précédents intervenants, je souhaiterais revenir sur les caractéristiques du secteur du bâtiment en termes chiffrés, que ce soit de surfaces bâties - 3 milliards de m2, pour 35 millions de logements - de part dans la consommation énergétique - 45 % contre 32 % pour les transports -, ou dans les émissions de gaz à effet de serre - 40 % contre 25 % pour les transports.
Je voudrais évoquer également le contexte économique du secteur du bâtiment. À l'inverse du secteur automobile, d'un poids économique équivalent, ou du secteur aéronautique, d'un poids deux fois inférieur, il n'existe aucun leader en capacité de structurer la filière dans le secteur du bâtiment.
Bien évidemment, il existe quelques très grands industriels des matériaux de construction, l'un d'entre eux étant représenté ici, même si M. Didier Roux n'intervient pas au titre de Saint-Gobain. Mais ils n'organisent pas la filière. En France, le plus important promoteur produit 2 % du nombre de logements. Le plus important bailleur social possède un parc de 700 000 logements, soit à peine 10 % du parc de logements locatifs. Les plus gros industriels de la mise en oeuvre, tels que Bouygues ou Vinci, représentent à peine 10 % du marché.
Par ailleurs, c'est un secteur où il n'existe pas, sauf pour les produits de construction, de barrière à l'entrée. Si vous êtes doué et manuel, vous pouvez vous improviser entrepreneur du bâtiment, et vous rendre dans une grande entreprise de location, que je ne citerai pas, pour louer l'ensemble du matériel nécessaire et commencer à servir le marché.
Tout cela conduit à un secteur avec de très faibles marges, qui n'investit que 0,1 % de son chiffre d'affaire en recherche et développement, contre 2 % en moyenne en France.
À cet égard, j'abonde dans le sens des propos d'Étienne Wurtz. Les acteurs du secteur n'ont aucune tradition de recherche amont. Ils réalisent éventuellement un peu de recherche appliquée. Je mets de côté les grands industriels des produits de construction, qui ont une activité de R&D. Mais sur l'ensemble de la filière au-delà des produits de construction, il existe très peu d'activités de R&D, et aucune activité de recherche.
Pourriez-vous donner des éléments de comparaison internationale, par rapport à ce taux très faible de 0,1% ?
C'est peu ou prou la même chose dans à peu près tous les pays. À ma connaissance, la Chine est le seul pays où des promoteurs investissent en recherche et développement. Mais le plus gros promoteur chinois produit annuellement quasiment autant de logements qu'il s'en construit dans toute la France.
Deuxième élément, cela a été dit rapidement, le bâtiment est au coeur de l'ensemble des évolutions sociétales, que ce soit la question démographique, celle du vieillissement, de l'urbanisation, de la gestion économe des ressources, de la santé, des risques, et bien évidemment du changement climatique.
Quels sont, dans ce contexte, le rôle et les missions du CSTB ?
L'objectif du CSTB, et la raison de sa création voici soixante-dix ans dans le contexte de la reconstruction d'après-guerre, est de garantir la qualité et la sécurité des constructions, et d'accompagner les acteurs de la construction, dans leur innovation et dans l'augmentation de la qualité des bâtiments.
À cette fin, le CSTB assure plusieurs missions : l'appui aux pouvoirs publics - le CSTB est, globalement, le bras armé scientifique des politiques et des pouvoirs publics pour l'élaboration de la réglementation ; la recherche et l'accompagnement des entreprises innovantes et le soutien à l'ensemble de la filière. Par ailleurs, le CSTB noue des partenariats, nous aurons l'occasion d'y revenir.
S'agissant de la recherche et développement ainsi que de l'innovation, le CSTB emploie 315 chercheurs, représentant un peu moins de 200 équivalents temps plein. Le CSTB est donc un relativement petit organisme de recherche.
Compte-tenu de sa taille, le CSTB a fait le choix de se focaliser sur cinq priorités, en renonçant aux travaux de recherche sur les matériaux, qui sont incorporés dans les produits de construction, considérant que de grands organismes scientifiques, comme le CNRS ou le CEA, mobilisaient des équipes sur le sujet, et que nous n'aurions jamais la capacité d'atteindre leur niveau d'excellence.
Les cinq priorités scientifiques du CSTB sont donc : l'énergie et l'environnement, les questions de santé et de confort, la maîtrise des risques, les questions d'usage et d'économie, ainsi que les enjeux du numérique. À chaque fois, nous intervenons aux échelles des territoires, des logements ou des produits de construction.
Nous sommes en train d'élaborer notre feuille de route de recherche pour les années 2018-2022. Pour ce qui est du domaine de l'énergie et de l'environnement, la performance globale des bâtiments est l'un des grands enjeux de recherche que nous avons identifiés. Il s'agit d'un enjeu majeur, en termes de politiques publiques, car en garantissant la performance d'un bâtiment neuf, ou d'une rénovation, nous arrivons à convaincre les propriétaires de faire les travaux de rénovation nécessaires
Dans le domaine de la santé et du confort, le CSTB et l'Observatoire de la qualité de l'air intérieur réalisent, depuis une quinzaine d'années, des campagnes de mesure de la qualité de l'air intérieur dans des écoles, des crèches ou des logements. Nous disposons ainsi d'une base de données, qui nous est enviée par à peu près tous les pays développés, lesquels souhaiteraient mettre également en place un tel dispositif.
Dans beaucoup de secteurs, que soit en santé ou dans d'autres domaines, les bases de données françaises sont considérées parmi les plus grandes du monde.
À ce sujet, je souhaite saluer la permanence de l'action de l'État, pour financer cet observatoire depuis 15 à 20 ans
Concernant l'enjeu de rénovation énergétique, je partage l'analyse de M. Didier Roux : nous ne convaincrons pas la population en évoquant seulement la diminution de la facture énergétique. Nous devons lui donner envie, en offrant des perspectives d'amélioration du confort d'un espace où ils passent, globalement, pas loin de la moitié de leur vie.
J'avais pour chacune de ces priorités des exemples que je passe volontairement sous silence, pour laisser le maximum de temps au débat.
Concernant la maîtrise des risques, le risque incendie reste notre domaine d'intervention historique et principal. Vous avez probablement noté que, face au dramatique incident de la tour Grenfell, le gouvernement nous a demandé en urgence une évaluation des réglementations « incendie » existant en France.
Le deuxième enjeu en matière de risques est lié au changement climatique, avec la vulnérabilité du cadre bâti aux aléas climatiques. Enfin, nous travaillons également sur des enjeux multirisques, avec le cas de collusions de risques différents, ce que nous appelons au sein du CSTB un syndrome du type Fukushima.
Pourquoi citez-vous la Fondation d'entreprise Louis Vuitton dans votre diaporama ?
Nous avons réalisé pour la Fondation d'entreprise Louis Vuitton des tests de résistance aux vents extrêmes. Nous disposons d'un certain nombre de grands équipements scientifiques, notamment d'une soufflerie permettant de simuler des vents allant jusqu'à trois-cents kilomètre-heure.
Le secteur du bâtiment, avec quelques années, voire dizaines d'années de retard, par rapport aux autres grands secteurs industriels, est en train de se saisir des enjeux du numérique. Ce secteur, qui ne se développe que depuis trois ans en France alors que Singapour s'en est saisi depuis une dizaine d'années, sera un fabuleux moteur de gains de productivité.
D'énormes travaux de recherche restent nécessaires sur la numérisation de l'existant, afin de savoir comment mieux concevoir, réaliser ou gérer des ouvrages avec des outils numériques, qui pourront simuler, en amont de la réalisation de projets, l'efficacité d'un bâtiment, en termes de confort ou de performance énergétique ou aéraulique.
La question de l'économie et des usages est une priorité scientifique, que j'ai souhaité développer à mon arrivée au CSTB, voici trois ans. Nous avons donc beaucoup moins de recul que pour les quatre autres priorités, puisque nous sommes en train de bâtir nos compétences sur le sujet, autour de l'analyse économique de la transition écologique.
Le bâtiment est générateur de masses de données qui, aujourd'hui, ne sont pas nécessairement utilisées de manière optimale : savoir les structurer, les qualifier et les utiliser nous paraît être un enjeu essentiel.
Le CSTB dispose de nombreux équipements scientifiques. Je peux notamment citer la soufflerie climatique que nous avons à Nantes, et que nous sommes en train de rénover, ainsi que des fours de résistance au feu, ou des laboratoires pour les bio-contaminants.
Enfin, le CSTB, avec trois-cents chercheurs, ne peut avoir la prétention d'appréhender l'ensemble des enjeux scientifiques du secteur du bâtiment, du plus amont au plus aval ; il a donc développé, depuis de nombreuses années, un certain nombre de partenariats, avec les grands centres de recherche français, mais aussi un certain nombre de centres à l'étranger, comme le National Institute of Standards and Technology (NIST, en français : Institut national des normes et de la technologie), aux États-Unis, ou les instituts Fraunhofer, en Allemagne.
Pour finir, je souhaitais rappeler qu'en matière d'accompagnement de l'innovation, l'un des autres métiers du CSTB est l'évaluation des produits innovants. La dispersion du marché de la construction a pour conséquence qu'un produit innovant n'atteindra jamais le marché s'il n'est pas évalué par un tiers de confiance. Dans tous les pays, il existe un acteur public qui évalue les produits innovants, autorise et précise les conditions de mise sur le marché. L'État a confié cette mission au CSTB qui, pour renforcer cette mission, a réduit ses délais de procédure, pour répondre aux attentes des PME. Il est maintenant aux meilleurs standards européens, en termes de délais, pour évaluer les entreprises. À l'automne, le CSTB devrait ouvrir un incubateur d'entreprises, pour permettre à des start-up de profiter de l'ensemble des compétences scientifiques que le CSTB a accumulées depuis maintenant soixante-dix ans. Cet incubateur les aidera à se saisir de ces outils. Cette révolution des start-up, comme l'indiquait M. Didier Roux, bouscule l'ensemble des secteurs économiques, et va concerner le secteur de la construction.
Je vais commencer tout de suite par rebondir sur votre commentaire final. Vous avez effectivement une activité d'évaluation, par définition normative, mais vous avez également une activité de recherche. N'y a-t-il pas un risque de conflits d'intérêts entre ces deux activités ?
J'avais eu, avec M. Jean-Yves Le Déaut, un certain nombre de discussions à ce sujet. Je m'étais engagé auprès de lui à faire évoluer le CSTB, notamment afin de mettre en place un comité externe de déontologie. Ce comité externe est présidé par M. Pierre Graff, ancien président d'Aéroports de Paris. Le comité de déontologie comprend le président du conseil scientifique du CSTB, qui est un professeur de l'université de Karlsruhe, un ancien directeur d'un centre de recherche technologique français, mais aussi un inspecteur des finances, et un professionnel du bâtiment. J'ai souhaité connaître leur analyse du modèle du CSTB, qui intègre à la fois la recherche, les essais et l'évaluation, en le comparant avec d'autres modèles, existant dans d'autres pays, où ces deux activités sont séparées.
Leurs travaux sur l'efficacité du modèle, et ses questions déontologiques, ont conduit à la présentation d'une note que, bien évidemment, je pourrais vous adresser. Le comité considère que ce modèle est globalement plus efficace, en termes d'innovation, dès lors que sont mises en place, en interne, des étanchéités entre les travaux de recherche et les travaux d'évaluation. C'est notre cas. Par exemple, nous nous interdisons d'avoir des travaux de recherche ou des prestations commerciales en faveur d'un acteur économique dont nous sommes susceptibles d'évaluer ou de certifier les produits dans un délai de deux ans. C'est une règle interne, que le comité de déontologie m'a recommandé de mettre en place, et que j'ai fait mienne, afin de ne pas avoir le moindre risque de conflit d'intérêts.
L'ensemble des équipements scientifiques du CSTB représente à peu près 100 millions d'euros d'investissement. L'ensemble de ces équipements scientifiques sert, le matin, à la recherche, et, l'après-midi, aux activités technologiques, ou vice-versa. Les activités sont multiples. Nous testons la qualité des voitures de presque tous les industriels d'Europe en soufflerie, mais nous y faisons aussi des travaux de recherche de stabilité de structures, sous l'effet d'un cyclone ou d'une tempête de sable.
La question de la scission en deux entités du CSTB, évoquée dans le rapport de M. Jean-Yves Le Déaut - question qu'il dit avoir abandonnée au cours du débat de la transition énergétique - aurait comme conséquence de multiplier par deux le besoin en investissements. Or, comme M. Étienne Wurtz l'a évoqué, les moyens de la recherche dans le secteur du bâtiment sont en constante régression. Le CSTB le vit au quotidien.
De manière générale, il faut bien réfléchir avant de scinder une structure, car il est plus long et plus difficile de regrouper, après coup, des organisations devenues séparées.
Ma prise de parole concerne la question évoquée précédemment par mes collègues députés, relative à l'intérêt des utilisateurs, des usagers, ou des clients. Je le vois directement en tant que bailleur social, depuis cinq ans. Sur l'ensemble de notre parc de logements, nous avons lancé un grand programme, après une enquête auprès des locataires, pour savoir s'ils acceptaient de payer le supplément de loyer nécessaire à la réalisation de travaux. Une majorité de 75 % a voté favorablement, et les travaux ont été réalisés. Ce sont effectivement les premiers bénéficiaires, puisqu'ils profitent d'économies d'énergie, à hauteur de 20 % de gaz ou d'électricité.
Nous avons également travaillé sur la globalité des systèmes d'économie d'eau. Mais pour certains bâtiments, notamment dans les centres anciens, nous sommes confrontés à la difficulté des réglementations, qui nous empêchent d'utiliser certaines fenêtres isolantes, ou certains produits isolants extérieurs, et interdisent les panneaux photovoltaïques sur les toits. Cela devient un peu compliqué à certains moments, notamment lorsque la population constate que certains habitants ne peuvent pas bénéficier des mêmes réductions de consommation d'énergie que dans d'autres résidences.
Quelle est l'origine de ces réglementations ?
Ce sont des réglementations des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), des aires de valorisation de l'architecture et du patrimoine (AVAP), et des bâtiments de France, qui s'imposent à nous, en tant qu'élus.
Ma question est d'ordre général et concerne l'intervention de M. Francis Allard, qui a évoqué un besoin de recherche de solutions techniques à coût abordable, en mentionnant deux freins à cette recherche : le budget restreint alloué et l'effectif réduit affecté. En écoutant les débats, n'y aurait-il pas un troisième frein : l'incapacité ou les difficultés de dialogue entre les différentes sciences, avec d'un côté les sciences dures et les sciences de calcul du bâtiment, et de l'autre côté les sciences humaines et sociales ? Si cette difficulté de dialogue existe, comment peut-elle être corrigée ?
C'est un point important. Je peux parler pour Saint-Gobain, qui a récemment recruté une sociologue. Nous avons aussi recruté, un peu partout dans le monde, des designers. Nous avons bien conscience de ce que vous dites. Une partie des difficultés ne relève pas simplement d'un problème purement technique, scientifique ou technologique, mais également des interactions tout au long de la filière. Cela peut participer au changement de culture auquel j'avais fait allusion, le digital étant aussi une façon d'accélérer ce changement de culture.
Conscient de cette difficulté, le CSTB a intégré dans ses laboratoires de sciences « dures » des sociologues, pour qu'ils puissent justement éclairer les travaux de leurs collègues, sur les enjeux sociologiques. Cette solution fonctionne et permet d'organiser un échange entre sciences de la mesure et sciences sociales.
Souvent, pour organiser le dialogue entre les disciplines, la seule solution consiste à mettre les chercheurs ensemble, dans les mêmes locaux.
Je voudrais rebondir sur ce que vous avez dit tout à l'heure, en citant au sujet de l'une de vos priorités scientifiques, le numérique, l'exemple de Singapour. Il se trouve que j'habite à Singapour depuis treize ans. À l'occasion d'un entretien, la semaine dernière, avec l'ambassadeur de Singapour à Paris, celui-ci m'a appris qu'actuellement une grande société française, ENGIE, numérise la totalité de la ville de Singapour, afin d'aider à la construction de bâtiments, et de définir dans quel espace un bâtiment doit se situer, en regard des aléas climatiques - nous avons peu d'aléa sismique sur place. J'ai été surprise de voir qu'une grande entreprise française avait été choisie pour ce projet. Sur votre liste de partenaires, je n'ai pas vu ENGIE. Qu'en est-il ?
Je n'ai pas mis tous les partenaires avec lesquels nous travaillons. J'ai précisé principalement le nom des partenaires académiques. Si j'avais dû rajouter l'ensemble des partenaires sociaux et économiques, nous aurions probablement terminé la présentation vers minuit ! Mais ENGIE est l'un des partenaires du CSTB, au même titre que l'ensemble des énergéticiens, tel EDF, ou d'autres. Ce partenariat porte également sur le numérique, mais pas autant que je le souhaiterais.
Ma question concerne le CSTB. Nous avons beaucoup parlé de maison connectée. J'y suis favorable, mais il faut savoir à quoi elles sont connectées. De mon côté, je suis sensible à ce qu'elles soient connectées à leur environnement, à l'heure de la transition énergétique. J'aimerais vous interroger sur la recherche et l'innovation au profit des matériaux biosourcés. Ces matériaux sont bien connus : il s'agit notamment du bois et de la paille, dont la filière a été désignée, par le Commissariat général au développement durable (CGEDD), comme l'une des dix-huit filières vertes disposant d'un potentiel de développement économique élevé pour l'avenir.
Peut-on rappeler tous les matériaux concernés ?
Il s'agit par exemple du bois, de la paille, du lin, du chanvre, de la ouate de cellulose, etc. Le CSTB, par son action, participe à l'essor de l'utilisation de ces matériaux, en reconnaissant leur efficacité environnementale, leur capacité à préserver un même niveau de confort, à garantir une meilleure performance énergétique et environnementale, tout en favorisant aussi une production locale des matériaux et en offrant un coût peu élevé.
Quelles sont les actions du CSTB en faveur du développement concret et de la diffusion de la construction avec des matériaux biosourcés ? Quel est votre calendrier et votre travail de diffusion des savoirs et des techniques auprès du grand public ? L'innovation de haute technologie n'est pas la seule synonyme de progrès. Je pense que l'utilisation de ces matériaux biosourcés prouve que l'innovation passe également par des modes de construction qui utilisent des matériaux bien connus, mais que l'on n'avait pas valorisés pour cet usage.
Nous travaillons beaucoup sur le bois, du fait du poids des réglementations historiques en France, qui étaient plutôt orientées vers le béton ou le métal. Le bois était très défavorisé par les réglementations. Nous avons réalisé, depuis une dizaine d'années, à l'initiative des pouvoirs publics, des travaux pour caractériser les performances du bois, et voir comment recommander aux pouvoirs publics l'adaptation des réglementations, pour permettre les constructions en bois et la concrétisation de ces travaux.
Des projets de tour en bois sont en cours de réalisation, un peu partout en France, en région Île-de-France et à Bordeaux notamment. Plus récemment, dans le cadre d'un projet concret, nous avons, de façon assez spectaculaire, fait intégralement brûler un parking en bois sur quatre niveaux, pour voir combien de temps il tenait, en termes de résistance au feu. Nous menons des travaux de caractérisation de l'ensemble des performances des matériaux biosourcés, afin d'évaluer comment utiliser ces matériaux vivants, par comparaison avec d'autres matériaux inertes.
Je pense qu'il faut faire attention à ne pas considérer les matériaux biosourcés comme une panacée. Il est évident que ces matériaux sont très intéressants. Il n'existe aucun doute à ce sujet. Mais je voudrais insister sur une méthodologie qui permet de les replacer dans un contexte plus large, et d'obtenir une véritable analyse de leur l'impact sur l'environnement : l'analyse du cycle de vie.
Des matériaux biosourcés peuvent, dans certains cas, se trouver extrêmement bien placés, mais, dans d'autres, parce qu'ils consomment de l'eau, des pesticides et un certain nombre d'autres éléments, ils peuvent se trouver moins bien placés. De mon point de vue, l'analyse du cycle de vie est la seule démarche rigoureuse, permettant de comparer l'impact environnemental dans telle ou telle situation. Le CSTB pourrait peut-être intervenir sur cette question.
Je ne peux qu'abonder en faveur de l'analyse du cycle de vie et des méthodes d'analyse permettant de comparer, notamment les émissions carbone d'un matériau, de sa production jusqu'à son ultime recyclage. Cet outil permet d'avoir une approche totalement agnostique par rapport aux différentes filières, qu'il s'agisse des filières béton, biosourcées ou métal. Cette démarche correspond à la philosophie de base du CSTB, qui se refuse à faire un choix entre telle et telle filière, souhaitant au contraire donner, aux uns et aux autres, la capacité à choisir les matériaux qui leur paraissent les plus pertinents, et à les comparer entre eux. Les matériaux biosourcés ont souffert d'un sous-investissement scientifique et réglementaire, mais, au vu des derniers travaux, ce retard est en passe d'être rattrapé.
Ma première question concerne le décalage qui existerait aujourd'hui entre les performances réelles des bâtiments et les performances annoncées. Qu'en est-il exactement ?
Ma deuxième question concerne les bases de données. Celles-ci pourront être croisées et utilisées à l'avenir pour améliorer nos connaissances, et éclairer les différents choix en matière d'investissements et de politiques publiques.
Vous disposez au sein du CSTB de très nombreuses bases de données. Comment travaillez-vous pour les mettre en valeur ? Avez-vous des partenariats avec d'autres acteurs ou est-ce dans vos perspectives ?
Sur votre première question, je confirme qu'entre les performances théoriques issues de l'application de la réglementation et la consommation réelle, il existe un écart relativement significatif, qui peut globalement être lié à une erreur de conception, à une erreur de mise en oeuvre, ou à un usage qui n'est pas celui initialement prévu. Des aléas climatiques entrent également en jeu, en construction neuve ou en rénovation.
Pour régler cette difficulté, après quelques années de recherche, le CSTB a développé deux méthodologies. La première, pour les constructions neuves, permet de vérifier, en immobilisant un logement une semaine, que la réalisation est parfaitement conforme à ce qui était prévu, et d'en conclure que tout écart par rapport à la consommation énergétique est lié, soit au phénomène d'usage, soit aux phénomènes météorologiques.
Le deuxième outil développé concerne les projets de rénovation. Il permet de suivre les consommations énergétiques d'un bâtiment avant et après rénovation. Avec un peu d'algorithmique, et beaucoup de mathématiques, il parvient à déterminer ce qui relève de l'erreur de conception, de mise en oeuvre, du changement ou des modifications d'usage de la personne.
Par exemple, le résultat est différent si une personne se chauffe, après la rénovation, à 19 degrés fenêtres fermées, ou à 22 degrés fenêtres ouvertes, y compris en hiver.
Nous avons développé ces outils parce qu'ils nous apparaissent absolument indispensables, notamment en matière de rénovation des bâtiments, afin de donner confiance aux clients. Comme je le disais tout à l'heure, il est absolument nécessaire de donner confiance dans la rénovation, même si ce n'est pas suffisant.
Aujourd'hui, nous poursuivons nos travaux de recherche sur ces outils. Mais nous les avons déjà testés en grandeur réelle, en accompagnant la rénovation d'un peu plus de deux mille logements de bailleurs sociaux, et en réalisant des tests à la livraison sur de véritables maisons, construites par des opérateurs. Nous savons que ces outils sont à présent opérationnels. Il faudra certainement les affiner, notamment pour la partie codes de calcul, mais ils sont déjà fonctionnels.
S'agit-il d'outils de modélisation ?
Ce sont des outils d'analyse de données, par exemple issues du signal électrique de logements en rénovation appareillés. Globalement, en appareillant 10 % des appartements sur une barre d'immeuble de mille logements, les algorithmes de calcul et les analyses du signal électrique, nous permettent, d'une part, de neutraliser la consommation électrique liée aux équipements dits « blancs » (équipements électrodomestiques) et « noirs » (équipements de loisir) et, d'autre part, de déterminer la part liée au chauffage. Les capteurs de température, nous permettent également d'analyser les usages dans chaque pièce.
Vous avez aussi répondu, en partie, à la deuxième question, relative à l'usage des données.
Concernant les données, si j'écoute les chercheurs du CSTB, elles ne sont jamais suffisantes. Pourtant, inversement, ils ne souhaitent pas mettre leurs données en commun avec leurs collègues. M. Hervé Charrue, directeur de la recherche du CSTB, doit en permanence faire acte d'autorité vis-à-vis de ses équipes, pour les inciter à le faire. Il s'agit d'un chantier de longue haleine, encore en cours.
Par ailleurs, nous avons été mandatés, par le ministère chargé du logement, pour analyser et structurer l'ensemble des bases de données publiques dans ce secteur, afin d'examiner la façon de les ordonner, de les organiser, de les relier, ou de les croiser. Cette mission concerne l'ensemble des bases de données sous l'égide de l'État, celles directement en possession de l'État, ainsi que celles de l'ADEME ou d'autres organismes sous contrôle de l'État. Déjà compliquée en interne au CSTB, il s'agit toutefois là d'une mission « infernale » lorsqu'elle implique plusieurs organismes.
Je m'aperçois qu'une question de M. Loïc Prud'homme, relative à la culture scientifique, est restée en suspens.
Ma question ne concernait pas tant la culture scientifique, que la diffusion des connaissances, notamment concernant les matériaux dits « biosourcés ».
Je vais abonder dans le sens du CSTB. Puisque dans cette salle sont présentes des personnes chargées de fabriquer et de voter les lois, je voudrais les alerter sur les législations mélangeant performance et usage. Tous ont en tête ce qui s'est passé dans l'automobile. À vouloir réglementer des simulations d'usage, on mélange deux choses qui relèvent de responsabilités très différentes : les performances de l'objet vendu, de la responsabilité des industriels ou des fabricants, et la façon dont il est utilisé, de la responsabilité de l'utilisateur.
Sur ce plan, l'exemple donné par M. Étienne Crépon est tout à fait adéquat. Si une maison est très bien isolée, mais qu'en hiver les fenêtres restent complétement ouvertes durant la moitié de la journée, aucun des objectifs de performance pour lesquels le bâtiment a été conçu ne sera atteint.
Après la loi, fabriquée par les parlementaires, viennent les décrets d'application, qui vont plus dans le détail et qui, parfois, peuvent être beaucoup plus contraignants que la loi elle-même. Les obstacles et les freins précédemment évoqués concernaient-ils la loi ou les décrets ?
Dans les deux cas, il s'agit de l'État, indépendamment de son organisation interne.
Pour le bâtiment, je vais illustrer mon propos au travers d'un exemple. Le consommateur peut croire qu'en achetant un bâtiment conforme à la réglementation RT 2012, celle-ci lui garantit une performance énergétique, ce qui n'est pas du tout vrai. La conformité à la réglementation RT 2012 lui garantit uniquement - par un calcul mathématique de modélisation du bâtiment, et sous réserve que ce dernier soit construit conformément à la description du permis de construire et utilisé comme décrit dans la loi, par exemple en maintenant une température intérieure d'au plus 19 degrés - que la consommation devrait rester inférieure à 50 kWh/m2/an, pour les cinq postes réglementaires (chauffage, refroidissement, eau chaude sanitaire et éclairage, ainsi qu'auxiliaires de chauffage, de refroidissement, d'eau chaude sanitaire et de ventilation). De mon point de vue, cette réglementation est très confuse pour le client final, qui croit acheter un bâtiment dans lequel il ne dépensera que 50 kWh/m2/an, ce qui est faux.
Une partie de la question posée sur l'écart entre les mesures réelles et la réglementation vient du fait que l'usage prévu ne correspond pas à la réalité. Comme je le répète souvent pour les bâtiments tertiaires, personne ne travaille en hiver dans des bureaux chauffés toute la journée à 19 degrés, car ce n'est pas supportable. Il faut donc être vigilant sur les réglementations qui mêlent usage et performance. Cette remarque confirme l'importance de ce qu'a exposé M. Étienne Crépon, en particulier concernant les développements réalisés par le CSTB sur les mesures de performances intrinsèques.
Pour ceux qui ne le sauraient pas, je suis la personne qui a signé, dans une vie antérieure, l'arrêté le plus long de l'histoire de France : la RT 2012. L'une des évolutions structurelles à venir dans le secteur de la construction concerne le passage d'une réglementation de moyens, définissant ce qui est autorisé et interdit, qui conduit à des aberrations telles que celles évoquées par M. Étienne Wurtz sur les questions de ventilation, à une réglementation d'objectifs. Mais pour parvenir à des réglementations d'objectifs, il est nécessaire de normer les usages.
Si j'avais une recommandation à formuler, ce serait de veiller, dans un monde en perpétuel et rapide changement, à ne pas figer les choses à un instant donné, sans prévoir, y compris dans la loi, que dans trois mois, six mois ou deux ans, des innovations pourraient rendre totalement obsolète l'approche initiale, pourtant totalement légitime lors de son examen, souhaitée par le Parlement. Si des portes ne sont pas laissées un peu ouvertes à l'innovation au plan législatif, le pouvoir réglementaire ne pourra pas non plus la prendre en compte, faute d'y être habilité par la loi.
J'ai personnellement défendu quelques centaines de décrets devant le Conseil d'État, et m'en suis vu refuser certains, précisément pour ce motif d'absence d'habilitation par le législateur. Il s'agit du message essentiel : nous sommes dans un monde fondamentalement changeant. Si, dans votre travail parlementaire, vous ne laissez pas la porte ouverte à l'introduction d'innovations et de solutions alternatives, tout en respectant vos objectifs politiques, vous courez effectivement le risque de brider certaines innovations.
En tant que nouveau député encore béotien sur l'aspect législatif, je voudrais bien laisser des portes ouvertes, mais souhaiterais une garantie sur la façon dont elles seront utilisées. Je pense que notre travail de législateur consiste, malgré tout, à bien cadrer les choses, même si j'entends votre question sur l'innovation.
Par contre, quand M. Didier Roux dit que si les performances ne sont pas atteintes, ce ne serait pas de la faute des maîtres d'oeuvres, mais du législateur, je suis quelque peu sceptique. De manière un peu caricaturale, vous nous demandez de laisser de la souplesse, pour éviter, en fixant des objectifs qui ne sont pas atteints, de mécontenter le consommateur.
Je pense qu'il faut des objectifs clairs. J'ai compris qu'il existait un écart dans la réalité de la mise en oeuvre, mais il me semble qu'il faut que les objectifs assignés intègrent effectivement des usages normés. Il y a bien quelque chose à perfectionner, mais je ne pense pas que cela relève du législateur. C'est à la filière de travailler pour que ce différentiel disparaisse.
Je crois que nous nous trompons de débat, dans le sens où nous évoquons les constructions neuves, pour lesquelles on veut fixer des objectifs conventionnels, garantir une consommation de 50 kWh/m2, alors que si elle est de 40 ou de 60 kWh/m2, cela n'a pas grande importance.
En rénovation, c'est tout à fait différent. Aujourd'hui, l'État subventionne la rénovation à un niveau parfois très élevé, alors que les solutions choisies n'ont absolument aucun impact. Je pense notamment au changement des fenêtres d'un bâtiment, qui conduisent parfois à un gain nul, alors que le coût en est très élevé. J'ai en tête un exemple de fenêtres relativement performantes. D'autres ne le sont pas, mais restent agréées.
Je crois qu'aujourd'hui il faut vraiment s'interroger, si l'État veut continuer à subventionner financièrement, sur la possibilité qu'il devienne tiers-investisseur et réfléchisse, avec le CSTB, à la mise en oeuvre, afin que la rénovation s'accompagne d'une véritable interrogation sur les gains attendus et les moyens mobilisés, avant de donner la possibilité de procéder aux travaux
Aujourd'hui, comment une rénovation est-elle réalisée ? Si vous décidez de changer vos fenêtres, vous recevrez 50 % du prix de celles-ci, indépendamment de l'efficacité obtenue. Pour le neuf, la RT 2012 représente un grand succès, indépendamment des débats sur 5 % ou 10 % d'écart. Le sujet aujourd'hui, c'est la problématique de la rénovation. Si on veut financer la rénovation, elle doit être intéressante. On devrait l'accompagner en fixant des conditions de résultats avérés, mais une modification de la législation serait nécessaire à cette fin.
Si je comprends bien, les métriques ne sont pas les bonnes pour mesurer si une opération doit être encouragée ?
On ne s'intéresse tout simplement pas à la pertinence d'une opération de rénovation. Si vous décidez de changer toutes les fenêtres d'un bâtiment, la question du résultat, ou de l'absence de résultat, n'est jamais posée. Or, en fonction de l'importance des gains solaires, le résultat peut être négligeable, mais la subvention financière restera la même que pour une opération diminuant la consommation énergétique effectivement de moitié.
Puisque la question de l'efficience des subventions est évoquée, je voudrais revenir sur un rapport de la Cour des comptes de septembre 2016, qui pointait du doigt la quasi-stagnation de la consommation énergétique des bâtiments. D'après la Cour, cette consommation a diminué d'environ 1 % entre 2009 et 2016, alors que la loi Grenelle I fixe un objectif de réduction de 38 % entre 2009 et 2020. Avez-vous un commentaire sur ce chiffre « ravageur », en termes d'impact des politiques publiques ?
Ce n'est pas uniquement par la réglementation sur les constructions neuves qu'on verra un impact de ce type. La construction neuve correspond à peu près à 1 % du parc des bâtiments. C'est sur le stock, donc la rénovation énergétique de l'ancien, que se situe la seule possibilité de gagner en masse sur les consommations énergétiques. Or, les objectifs fixés par l'État n'ont jamais été tenus. Depuis 2009, les gouvernements successifs expliquent qu'on va rénover énergétiquement 500 000 bâtiments par an, alors que la moitié est réalisée. L'écart vient donc essentiellement du fait qu'il ne s'est pas passé ce que le législateur, ou le gouvernement, entendaient réaliser.
En termes d'objectifs non atteints, vous mentionnez un facteur deux, alors que la Cour relève un facteur d'au moins dix pour atteindre les objectifs fixés en termes de réduction de la consommation. L'écart constaté ne peut s'expliquer seulement ainsi.
Je reviens sur la difficulté de la réhabilitation. Dans de nombreuses opérations - une thèse a été soutenue à Montpellier récemment sur le sujet - les habitations consomment davantage après qu'avant réhabilitation. Souvent beaucoup d'argent est investi, alors que le bâtiment, bien exposé, ne consommait finalement pas beaucoup. La vraie question concerne l'absence d'objectif d'efficacité à atteindre, dans la plupart des constructions. La subvention est accordée aujourd'hui sans obligation de résultat.
Que les résultats ne soient pas atteints, les chiffres sont là.
Le problème auquel nous sommes confrontés - il s'agit essentiellement d'une problématique de politique publique - c'est que la réalisation de rénovations en grand nombre oblige quasiment à passer par des mécanismes automatiques ou semi- automatiques, du type crédit d'impôt, ce qui implique l'absence d'évaluation préalable de la pertinence des projets de rénovation. L'évaluation préalable est, d'une part, incompatible avec le mécanisme du crédit d'impôt, et, d'autre part, très consommatrice en termes de ressources d'administration publique.
Sinon, il faut engager des actions très ciblées, comme cela se pratique en général pour les logements qualifiés de « passoires énergétiques », pour des personnes en situation de précarité énergétique. Dans ce cas, le résultat est certain et la décision n'est pas automatique, mais les coûts d'ingénierie sont beaucoup plus élevés.
Le rapport publié en 2014 par MM. Jean-Yves Le Déaut et Marcel Deneux évoque l'affaire de la ouate de cellulose, dans laquelle une question réglementaire avait conduit, voici quelques années, à plusieurs faillites, par suite d'une évaluation hâtive de la non-pertinence de certaines solutions. Le même genre d'événements peut-il encore se reproduire ? Les mécanismes d'évaluation ont-ils évolué ?
Tout d'abord, je suis à peu près convaincu que si des faillites aussi nombreuses se sont produites dans le secteur de la ouate de cellulose, c'est aussi en raison des surcapacités de production existant à l'époque au sein de la filière. Un certain nombre d'industriels ayant effectivement fermé des usines me l'ont clairement expliqué. Faire porter exclusivement à l'évaluation technique la responsabilité de ces fermetures revient à oublier à la fois ces surcapacités et le contexte économique particulièrement défavorable pour le secteur de la construction dans les années 2008 à 2016.
Comme précédemment indiqué, les procédures internes d'évaluation et les systèmes de contrôle de celles-ci ont été complètement remis à plat, qu'il s'agisse des contrôles sous mandatement de l'État, ou de ceux réalisés directement par le CSTB. J'estime que nous avons mis en place les garde-fous nécessaires.
Deux éléments m'amènent à considérer, sans pouvoir garantir l'absence de problème, que l'essentiel des questions a été traité. D'une part, toutes les lettres de réclamations des industriels à propos d'une procédure d'évaluation arrivent sur mon bureau. Je n'en vois plus que de l'ordre d'une par trimestre, alors qu'à mon arrivée, j'en voyais une par semaine. D'autre part, nous avons nommé un médiateur des évaluations, extérieur au CSTB, ancien haut-fonctionnaire du ministère de l'Équipement à la retraite. Lorsque j'ai récemment fait le point avec lui, il m'a déclaré qu'il ne s'était jamais autant ennuyé, faute de travail. Aussi, suite à la dernière réclamation adressée au CSTB, ai-je conseillé à l'industriel concerné de faire appel à lui. Les indicateurs montrent que le système fonctionne, mais je ne peux garantir, s'agissant d'un millier de produits évalués chaque année, qu'aucun souci n'émergera jamais.
Lors de cette audition, la rénovation de logements anciens et la construction de logements neufs ont été toutes deux évoquées. La rénovation pose le problème de l'évaluation de sa pertinence, en fonction de son efficacité réelle, en regard de la réponse à apporter à la problématique initiale. Or, aujourd'hui, le gouvernement voudrait rénover un grand nombre de logements d'ici 2022.
D'après les explications fournies, le souci d'efficience, dans la logique de la transition énergétique, conduirait pourtant plutôt à privilégier la construction de logements neufs, qui permettent de mettre en oeuvre toutes les ressources techniques disponibles pour construire des habitations écoénergétiques.
Mais rénover un logement, par exemple en changeant une fenêtre, s'avère beaucoup moins coûteux, donc beaucoup plus proche des citoyens et de leurs moyens, que la construction d'une maison neuve. Comment définir le meilleur équilibre entre rénovation et construction, pour parvenir à un résultat tangible, contribuant effectivement à la transition énergétique ?
Il est possible de revenir au concept de l'État tiers-investisseur dans une opération de réhabilitation qui, plutôt que de subventionner une rénovation n'apportant aucune réelle amélioration, prendrait des parts dans le bâtiment, ce qui le conduirait à avoir nécessairement un regard beaucoup plus précis, beaucoup plus intéressé à l'efficacité de ce qui va être mis en place.
Je suis d'accord sur le fait que la massification oblige à laisser réaliser systématiquement des rénovations sans étude préalable. Mais c'est aussi ce qui fait qu'on n'aboutit qu'à une réduction effective de seulement 1 %, en huit ans, de la consommation des bâtiments.
Une nouvelle réglementation thermique, la RT 2018 prendra effet en 2020, pour l'ensemble des bâtiments. Serait-il possible d'expliciter les évolutions les plus importantes qu'elle devrait apporter par rapport à la réglementation précédente ? Comment peut-on situer cette réglementation dans le cadre de nos objectifs de mix énergétique ?
La première remarque que je ferai, parce que je suppose que la question s'adresse au CSTB, c'est que la réglementation est l'apanage du pouvoir politique, le CSTB n'étant que le bras armé scientifique, mettant en oeuvre les orientations fixées par ce dernier. Sur le fond, l'évolution essentielle de la future réglementation 2018, par rapport à la réglementation 2012, concerne la prise en compte du carbone sur l'ensemble du cycle de vie du bâtiment.
Le Parlement a décidé en 2009, lors du vote de la loi Grenelle, que la réglementation thermique RT 2012 serait purement énergétique, et n'intégrerait pas les émissions de carbone, celles-ci étant prises en compte dans la réglementation thermique suivante, au travers d'une analyse du cycle de vie. Il s'agit de l'évolution essentielle de la future réglementation, même si, au plan énergétique, celle-ci prévoit aussi de baisser les seuils.
Il appartiendra au gouvernement de décider s'il veut faire de cette réglementation un outil de sa politique énergétique, ou si, comme c'est plutôt la vocation d'une réglementation thermique, elle doit rester agnostique par rapport aux questions énergétiques. C'est un choix qui relève de l'exécutif, non un choix scientifique.
J'ai en tête une question très précise, en rapport avec ce point : la nouvelle réglementation devrait maintenir un calcul des consommations conventionnelles d'énergie basé sur l'énergie primaire, plutôt que sur l'énergie consommée, avec de ce fait un coefficient 2,58 appliqué à l'électricité, ce qui semble aller en sens inverse de nos engagements climatiques, puisque ce coefficient favorise plutôt les énergies fossiles. Est-ce exact et quelle est la position du CSTB à ce sujet ?
Sous réserve de vérifications par les experts du CSTB, il me semble que le calcul de la réglementation en énergie primaire est une exigence européenne. Le choix entre énergie primaire et énergie finale est clairement un choix politique, qu'il soit effectué au niveau européen ou national. Le travail du CSTB, face à l'objectif notifié par le politique, consiste à le transformer en équations scientifiques.
Nous devrons justement bien garder en tête que le CSTB est le bras armé scientifique du pouvoir politique, qui doit décider comment il s'approprie cet outil dans la législation, dans la réglementation, et de façon générale dans les politiques publiques.
Nous sommes arrivés au terme de l'échange avec le CSTB. Je suis désolé d'avoir pris quelques libertés avec les horaires. Nous essayerons, à l'avenir, d'être un peu plus rigoureux sur ces derniers.
Sur le fond, nous avons abordé de nombreuses questions et bénéficié de beaucoup d'échanges. Or le sujet du bâtiment, comme cela a été dit, souffre d'un manque de popularité parmi nos jeunes scientifiques, bien à tort, puisqu'il touche à des questions passionnantes et d'une grande importance pour la société, pour l'environnement, et les politiques publiques en général.
C'est le souhait de l'Office que de continuer à assurer un suivi régulier et approfondi des sujets scientifiques et techniques, à travers des auditions de ce style, ou des contacts répétés, et de profiter de l'expertise des scientifiques sur ces questions.
Je vous remercie.
La séance est levée à 20 h 10