La réunion est ouverte à 9 h 45.
Les crédits de la mission s'élèvent environ à 1,4 milliard d'euros, dont 80 % pour le programme 303 « Immigration et asile » et le reste pour le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française ». Ces questions devraient être au coeur du débat démocratique car nous devons sortir de l'aveuglement et faire preuve de cohérence. On peut bien s'apitoyer sur l'assassinat de deux jeunes filles à Marseille, ou allumer des bougies à Nice, la réalité est que les auteurs de ces actes n'auraient pas dû se trouver en France, il aurait fallu les expulser. Or les crédits de lutte contre l'immigration irrégulière - action 03 - passent de 89 millions d'euros à 82 millions d'euros, soit une baisse de 7 %. Où est la cohérence ? Le 15 octobre sur TF1, le Président de la République déclarait être favorable à l'expulsion de « tout étranger en situation irrégulière qui [commet] un acte délictueux ». Fort bien, mais comment ? Il est urgent de revenir sur la loi du 31 décembre 2012 qui a supprimé le délit de séjour irrégulier, et d'arrêter les postures bien-pensantes, jusqu'au sommet de l'État : nous avons tout de même eu un Premier ministre qui a déclaré en octobre 2015 qu'il ne fallait pas trier entre les migrants, avant de reconnaître en novembre 2015 que des terroristes s'étaient glissés parmi ceux-ci !
J'appelle de mes voeux une évolution législative significative au premier semestre 2018 afin de garantir le droit d'asile tout en maîtrisant - enfin - l'immigration. Un arrêt de la Cour de cassation, du 24 septembre dernier, estime illégale la détention d'un demandeur d'asile en procédure Dublin. Le président Gérard Larcher a déclaré que notre priorité était de retisser les liens qui font une nation. Ceux-ci sont très distendus...
Comment pouvons-nous voter ce budget dès lors que nous ne disposons d'aucune donnée sur les flux et les stocks ? L'évolution de la demande d'asile n'est pas évaluée. Pourtant, nous l'avons vu exploser depuis quelques années, et notre voisin a décidé unilatéralement d'accueillir un million de personnes.
Il faut aussi évoquer les filières d'immigration : le trafic d'êtres humains rapporte davantage que celui de la drogue ou des armes. Un sénateur de Guyane a parlé dans l'hémicycle de génocide de substitution. À Mayotte, 75 % des naissances sont le fait de parents en situation irrégulière. Comment intégrer ces flux alors que les budgets baissent et que nos exigences sont moindres que celles existant en Allemagne, par exemple ? La volonté d'intégration n'est pas à la hauteur des besoins.
L'allocation pour demandeur d'asile (ADA) est de 360 euros pour une personne seule non hébergée. Sans aller chercher au bout du monde, le salaire minimal en Roumanie est de 320 euros... Nous attirons l'immigration clandestine ! L'accueil est une tradition française, mais accepter ce que nous acceptons depuis des années revient à menacer la cohésion de la nation. Un ancien ministre parlait des Molenbeeck qui se développent chez nous. Notre non-politique en matière d'immigration est inquiétante. Il est urgent de dire la vérité sur ce sujet. Jacques Mézard expliquait récemment qu'à Sarcelles, il a visité une école où aucun parent ne parlait français. Et dire qu'on ne cesse de fermer des écoles dans nos territoires ruraux... Dramatique.
À l'article 56, je vous propose un amendement visant à réduire de deux à un an le report de l'entrée en vigueur du contrat d'intégration républicaine à Mayotte. Je vous propose également une adoption sans modification de l'article 57, qui vise à limiter la durée de versement de l'ADA aux seules personnes ayant le statut de demandeur d'asile, et non plus aux déboutés qui peuvent aujourd'hui en bénéficier le mois suivant le rejet définitif de leur demande.
Les crédits affectés à la mission croissent de 10,44 % en autorisations d'engagements et de 26 % en crédits de paiement. Des efforts importants ont été consentis pour l'asile - autorisations d'engagements en hausse de 11,25 % - afin de tenir compte de la crise du Levant. L'ADA coûtera 318 millions d'euros cette année, ce qui semble une prévision plus sincère que l'an dernier. Malgré un effort sur l'hébergement d'urgence, les montants restent considérables.
Le délai moyen d'instruction des demandes d'asile reste trop élevé : 449 jours en 2017, pour un objectif de 209 jours, et 228 jours en procédure accélérée pour un objectif de 178 jours. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a essayé de gérer au mieux l'afflux important que nous avons connu, sachant que la loi de 2015 ajoute des contraintes. Et 61 % des demandeurs d'asile en procédure Dublin sont réellement hébergés en centre d'accueil de demandeurs d'asile (CADA). Le problème de fond reste : quid de la gestion des déboutés ? Ils représentaient 53 600 personnes en 2016, qui alimentent l'immigration irrégulière ; or les crédits dédiés baissent de 7 %. Il faut donner des moyens aux services et négocier des accords de réadmission. L'assignation à résidence est inefficace, puisqu'elle n'aboutit à une reconduite à la frontière que dans 2 % des cas. La faiblesse de ce budget est sans conteste cette baisse de 7 %.
Je salue en notre rapporteur spécial la fougue de la jeunesse, qui donne à ses propos un aspect carré. De fait, les questions budgétaires renvoient à la politique suivie. Le Président de la République, le Premier ministre, le ministre de l'Intérieur s'engagent en faveur d'une politique de reconduite automatique à la frontière. Très bien, mais si le budget affecté à cette politique diminue, cela n'a aucun sens.
Notre politique de droit d'asile est parfaitement légitime, mais elle est détournée de son objet. Le nombre de demandes, qui atteignait les 40 000 en 2012, va dépasser 100 000 cette année. Cela signifie que la moitié des demandes correspondent à de l'immigration économique. Or notre système déboute, mais ne reconduit pas, faute d'un financement adéquat. D'ailleurs, les crédits de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) sont aussi dérisoires. Bref, nous ne manifestons pas la fermeté nécessaire, et ne faisons pas les efforts d'intégration requis intégration. Depuis six ans, notre politique ne tient pas la route. Je crains que le texte annoncé en 2018 - le quatrième en cinq ans - ne soit purement déclamatoire et ne fasse de la France un pays sans politique migratoire, sans politique d'asile, sans politique d'intégration : trois fois « sans », qui font zéro !
Sans partager le point de vue politique du rapporteur spécial, j'observe que nous partons d'une budgétisation insuffisante. Je salue l'augmentation des crédits pour l'intégration et le doublement de la capacité d'hébergement. Cela dit, certains moyens ne sont pas inscrits dans le budget, qu'il s'agisse des crédits de l'Ofpra - qui ne suffiront certes pas à réduire le délai d'instruction à 60 jours - ou de l'engagement du Président de la République qu'il n'y ait plus personne à la rue fin 2017. Il y a des incohérences : davantage d'expulsions, cela impose un plus grand nombre de places en centre de rétention.
Ces questions nous interpellent fortement. La baisse de 7 % me laisse perplexe : 82 millions d'euros, c'est peu, surtout sur un total de 1,3 milliard d'euros ! Combien faudrait-il pour bien faire ? Et combien d'agents ?
Les propos du rapporteur spécial me surprennent. Un être humain mérite le respect, et l'immigration et l'asile ne doivent pas être envisagés comme des stocks à traiter. Nous observons un flux beaucoup plus important, qui s'accroîtra encore, ce qui nous incite à mettre en oeuvre un véritable politique de reconnaissance des populations et d'asile. À cet égard, ce budget est insuffisant. Nous sommes donc très critiques sur les crédits de cette mission.
Notre politique d'asile, c'est l'honneur de la France. Et il est déplacé de lier immigration et terrorisme. Pour la reconduite à la frontière, nous manquons de moyens. Le problème est souvent d'identifier la nationalité des intéressés. Je m'abstiendrai, pour contester le manque de moyens alloués à cette mission, pourtant essentielle, et dans un contexte préoccupant.
Je salue la tonalité du propos de notre rapporteur. Elle peut déranger, mais elle a le mérite de présenter avec énergie un problème d'ampleur. J'imagine que l'État s'est intéressé à la professionnalisation des réseaux de passeurs. De fait, l'immigration massive à laquelle nous sommes confrontés n'a souvent pas le caractère spontané qu'on lui prête. Pour avoir vu la population refluer devant l'avance des Khmers rouges, je sais ce qu'est un déplacement massif de population pour faits de guerre. Or, dans notre cas, les migrants traversent des milliers de kilomètres, franchissent des frontières, bénéficient de soutiens logistiques - dans des conditions scandaleuses. Tout cela révèle une organisation. L'État peut-il la mettre au jour ? Les organisateurs sont sans doute poussés par l'appât du gain, et soutenus par certains pays. L'immigration n'est pas une fatalité, et ne survient pas par génération spontanée. À Mayotte et en Guyane, nous ne faisons rien. Ailleurs, l'opinion sent l'État désarmé dans son analyse, alors que celle-ci est un préalable indispensable à l'action politique.
Que coûte la reconduite à la frontière des déboutés ?
Je remercie Roger Karoutchi et François-Noël Buffet d'avoir tenu des propos apaisés et d'être restés dans des considérations budgétaires. Je suis surpris par la tonalité générale du débat sur les crédits de cette mission, puisque les autorisations de programme augmentent de 10,5 % et les crédits de paiement de 26 %, ce qui ne doit pas être le cas de beaucoup de missions. Les critiques restent nombreuses, alors que des orateurs de toutes les sensibilités ont souligné la sincérité des inscriptions, en particulier concernant l'allocation pour l'ADA et l'hébergement d'urgence.
En ce qui concerne l'Ofii, je suis également surpris par les critiques, puisque ses crédits passent de 160 millions d'euros en 2017 à 180 millions d'euros en 2018, après avoir baissé de quelques millions d'euros entre 2016 et 2017. On peut toujours estimer cette augmentation insuffisante, mais elle mérite d'être soulignée quand la tendance générale est à la limitation de la dépense publique.
La lutte contre l'immigration illégale et les reconduites à la frontière méritent effectivement une attention particulière, puisque leurs crédits baissent de 7 %. Compte tenu de la consommation réelle des crédits, la baisse n'est que de 2,9 %, puisque les crédits n'ont pas été consommés en 2016. Par ailleurs, l'action « Soutien » augmente beaucoup, de même que d'autres actions, ce qui mérite d'être examiné de plus près.
Compte tenu de ces éléments, Didier Rambaud et moi-même voterons les crédits de cette mission.
On peut saluer un effort accru de sincérité budgétaire, mais il n'est pas possible d'en conclure que les crédits sont au niveau des besoins. On ne peut pas en même temps se plaindre des difficultés rencontrées sur le terrain et constater chaque année que les crédits sont insuffisants.
En aval, on relève un problème lié à la baisse du budget consacré à la lutte contre l'immigration irrégulière, mais il y a surtout un problème en amont. Nous ne nous sommes pas préparés à l'arrivée massive de migrants - si la France avait connu ce qu'a connu l'Allemagne, je ne sais pas comment elle aurait fait face à la situation. Ainsi, cet été, en Île-de-France, pour vider le camp de La Chapelle, on s'est précipité pour réquisitionner les gymnases dans les communes, solution peu adaptée aux besoins des migrants et qui crée de graves difficultés aux collectivités locales. Or, à l'occasion de ces réquisitions, l'État engage des dépenses : il mandate des associations, rembourse les frais engagés aux collectivités locales. Combien coûte cette impréparation, par rapport à ce qu'aurait coûté un plan établi à l'avance, permettant un accueil respectant la dignité des demandeurs d'asile en attente de traitement de leur dossier ? Je ne sais pas si ce coût est évalué, mais je serais curieux de le connaître. Ces opérations très médiatisées donnent le sentiment que les problèmes sont traités, alors que la situation sur le terrain ne s'améliore pas. Des dépenses sont donc engagées sans grande efficacité, et j'aimerais qu'elles puissent être identifiées dans ce budget.
Je voudrais apporter un témoignage. Élue de Strasbourg, j'ai pu observer l'accueil d'un flux important de migrants organisé sur l'autre rive du Rhin. Il est vrai que les Allemands avaient déjà une expérience, puisqu'ils avaient accueilli beaucoup de réfugiés d'Europe orientale d'ascendance allemande après la chute du Mur. Il serait intéressant de procéder à une analyse des procédures bien structurées mises en place par nos voisins, qu'il s'agisse des cours de langue, de l'intégration, mais aussi de la gestion de la reconduite à la frontière.
Comme l'a indiqué Gérard Longuet, il faut s'attaquer à l'amont, au problème des passeurs, mais le sujet me semble devoir être traité au niveau européen, qu'il s'agisse de la gestion de Schengen, des accords de réadmission signés avec les pays d'origine, des procédures internationales de lutte contre les trafics. Cela mériterait un travail de fond.
Je relève l'effort réalisé pour raccourcir les délais de traitement des demandes d'asile. Sur le terrain, nous observons que la durée de la procédure initiale et de la procédure de recours rend très difficile humainement la reconduite des familles à la frontière.
Ce sujet extrêmement complexe exige de nous la plus grande objectivité et un grand sens des responsabilités. La France doit être à la hauteur de son histoire dans le traitement de ces enjeux.
Comme l'ont dit plusieurs collègues, il est nécessaire de structurer de manière solide la politique d'asile et d'intégration et, du coup, de calibrer les moyens qui doivent lui être consacrés dans la durée. Je constate l'augmentation importante des crédits de la mission, même s'ils ne sont peut-être pas encore tout à fait suffisants, et je voterai donc en faveur de leur adoption.
Je note avec satisfaction que l'on sort d'une sous-budgétisation chronique. Néanmoins, nous restons dans la gestion de l'urgence, contrairement à l'Allemagne dont la politique a été rappelée. La politique d'intégration reste largement à construire, c'est pourquoi je partage certaines réticences qui ont été exprimées. Il ne s'agit pas simplement d'afficher des moyens budgétaires, mais de savoir quelle politique d'intégration nous voulons, quel traitement nous réservons aux déboutés du droit d'asile.
En ce qui concerne l'hébergement des demandeurs d'asile, la Société nationale immobilière (SNI), filiale de la Caisse des dépôts et consignations, a acheté l'année dernière 62 hôtels Formule 1. Dispose-t-on déjà d'une évaluation de ces acquisitions et sait-on si elles ont permis une amélioration des conditions d'hébergement des demandeurs d'asile ? Il me semble que les préfectures recourent souvent à des hôtels tenus par des marchands de sommeil, aux conditions de sécurité catastrophiques, avec des drames à la clé - au moins, les Formule 1 respectent les normes de sécurité.
Cette opération de rachat d'hôtels relève également des programmes liés au logement dont je suis rapporteur spécial. Elle vise à réduire le nombre de nuitées hôtelières, mais n'a pas pour vocation principale l'accueil des personnes en attente d'une décision sur leur demande d'asile.
Dans le domaine budgétaire, la difficulté consiste à avoir une vision d'ensemble. L'intervention de Philippe Dallier nous prouve que la gestion des demandeurs d'asile bascule parfois vers d'autres missions. Hier, nous examinions les crédits relatifs à la contribution de la France au budget de l'Union européenne : on y trouvait 68 millions d'euros destinés à la Turquie pour l'aider dans la gestion des réfugiés. Or cette somme n'est pas recensée dans la mission. « Gouverner, c'est prévoir » : pour cela, il faut bien parvenir à chiffrer le coût d'une politique. On voit bien les limites de « l'Europe qui protège », que beaucoup parmi nous appellent de leurs voeux...
L'immigration est entre les mains de passeurs sur notre territoire, nous le savons ; elle a un impact sur l'ensemble de la société française et sur tous les budgets de la nation : il me semble donc urgent d'avoir une vision globale.
Dans son édition du 24 octobre, Le Figaro indiquait que sur près de 3 000 étrangers retenus à Coquelles, 42 seulement ont été éloignés dans un pays hors d'Europe. Il ne faut donc pas se payer de mots.
Vous aurez compris que je vous propose de ne pas adopter les crédits de cette mission.
Nous devons voter sur les crédits de la mission, mais aussi sur les articles 56 et 57 qui lui sont rattachés. J'ajoute que vous avez déposé un amendement à l'article 56.
En résumé, je vous propose de voter contre l'adoption des crédits de la mission. Je propose par ailleurs l'adoption conforme de l'article 57. Quant à l'article 56, relatif à Mayotte, j'ai déposé un amendement tendant à faire appliquer à compter du 1er janvier 2019 le contrat d'intégration républicaine, qui s'appliquerait alors pour 6 000 primo-arrivants supplémentaires, selon les estimations, soit une anticipation d'un an.
Nous reconnaissons l'effort budgétaire réalisé, même s'il est insuffisant par rapport aux besoins. Le groupe socialiste et républicain s'abstiendra sur l'adoption des crédits et sur celle des articles 56 et 57.
Le coût moyen de reconduite à la frontière était estimé en 2016 à 4 200 euros par personne ; pour 30 000 à 40 000 déboutés du droit d'asile, cela représente un total supérieur à 100 millions d'euros, alors que les crédits ne sont que de 10 millions d'euros. Il y a donc un problème de cohérence.
Par ailleurs, je suis d'accord avec le rapporteur sur la situation à Mayotte, même si je trouve un peu optimiste la limitation du nombre de migrants annuels à 6 000. Je voterai contre les crédits et je suivrai le rapporteur sur l'amendement et sur les articles.
À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
La commission adopte l'amendement n° 1 du rapporteur spécial et décide de proposer au Sénat l'adoption de l'article 56 ainsi modifié et de l'article 57.
Je ne tiendrai pas de meeting ici. Je fais partie des sénateurs et sénatrices qui ne font partie ni de la majorité présidentielle ni de la majorité sénatoriale. Je me limiterai à une approche strictement budgétaire.
La mission « Remboursements et dégrèvements » retrace les dépenses budgétaires résultant mécaniquement de l'application des dispositions fiscales prévoyant des dégrèvements d'impôts, des remboursements ou des restitutions de crédits d'impôt. Le caractère mécanique de ces dépenses implique que les crédits de la présente mission soient évaluatifs ; en d'autres termes, ils ne constituent pas un plafond, contrairement à ceux des autres missions budgétaires.
La mission est composée de deux programmes, l'un consacré aux remboursements et dégrèvements d'impôts d'État, l'autre aux mêmes opérations pour les impôts directs locaux, que je vous présenterai successivement, après avoir dit quelques mots sur l'ensemble de la mission.
Pour 2018, les crédits demandés au titre de la présente mission s'élèvent à 115,2 milliards d'euros, montant le plus important depuis que cette mission existe, ce qui en fait la première mission du budget de l'État. Ses crédits augmentent de 7 milliards d'euros, soit une hausse de 6 % par rapport à l'évaluation de 2017 révisée.
Cette hausse significative s'explique notamment par l'augmentation des dépenses au titre du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et de l'impôt sur le revenu et, s'agissant des impôts locaux, par la mise en place de la première tranche du dégrèvement de taxe d'habitation annoncée par le Président de la République pendant la campagne, qui fera l'objet d'un rapporteur particulier de notre rapporteur général.
Au total, en 2018, les remboursements et dégrèvements devraient représenter 28,5 % des recettes fiscales brutes. Ce taux a augmenté de 5 points depuis 2013, traduisant une politique fiscale qui repose de façon importante et croissante sur des mécanismes de réduction fiscale, qui grèvent en contrepartie les dépenses budgétaires. La diminution de la taxe d'habitation ne peut laisser ignorer que d'autres mesures prises auparavant diminuent fortement les recettes de l'État et des collectivités territoriales. Enfin, le dispositif de mesure de la performance de la mission demeure inadéquat et manque d'ambition. Ainsi, la cible de certains indicateurs est systématiquement fixée à un niveau inférieur à celui de la réalisation des années précédentes.
En ce qui concerne les impôts d'État, les remboursements et dégrèvements sont en grande partie la conséquence de la mécanique de l'impôt, puisqu'il s'agit des restitutions d'excédents de versement d'acomptes d'impôt sur les sociétés et des remboursements de crédits de taxe sur la valeur ajoutée (TVA).
Pourtant, la part des remboursements et dégrèvements liés à des politiques publiques au sein du programme a progressé de façon constante depuis 2013, à la faveur de la montée en puissance du CICE, alors que le niveau global des crédits d'impôt avait diminué de 2010 à 2013 en raison de la réduction des niches fiscales.
Les remboursements et dégrèvements liés à des politiques publiques continuent de bénéficier en majeure partie aux entreprises à hauteur de 80 %. Cette réduction massive de l'imposition des entreprises, déjà soulignée les années précédentes par notre ancienne collègue Marie-France Beaufils, continue d'interroger sur les finalités de la politique fiscale, alors même que ses effets semblent incertains.
Le CICE pèse sur les dépenses de la mission à deux titres : lorsque l'imputation de la créance correspondante entraîne une restitution d'un excédent de versement d'acompte de l'impôt sur les sociétés et, bien évidemment, en cas de restitution immédiate de la créance.
La montée en puissance progressive du dispositif se traduit dans le projet de loi de finances pour 2018 par un montant record du coût budgétaire du dispositif, qui atteint 20 milliards d'euros au titre de l'impôt sur les sociétés. Cette hausse continue s'explique par le délai de trois ans dont disposent les entreprises pour déclarer leur créance de CICE, mais également par une meilleure connaissance du dispositif et un intérêt accru du fait de la révision à la hausse du taux du CICE.
La baisse du taux du CICE à 6 % à compter de 2018, puis la suppression annoncée du dispositif dans sa forme actuelle à partir du 1er janvier 2019 conduiront à une diminution progressive des remboursements et dégrèvements correspondants.
Malgré son poids budgétaire important, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi n'a pas démontré des effets certains. Le dernier rapport d'évaluation du comité de suivi du CICE, de septembre 2017, conclut ainsi que le dispositif n'a pas eu d'impact à court terme en 2013 et 2014 sur les investissements, sur la recherche et le développement ni sur les exportations. Il souligne également l'incertitude des effets du CICE sur l'emploi.
Enfin, j'ai demandé une information sur la répartition géographique des bénéficiaires du CICE - il ne s'agit pas de lever le secret bancaire ni de porter atteinte au secret fiscal -, parce qu'il me semblait qu'elle permettrait d'évaluer totalement ses effets sur le chômage. L'absence d'un dispositif de traçabilité et de contrôle de l'utilisation des crédits concernés sur ce point, qui permettrait de mieux juger des effets de la mesure sur l'emploi et la compétitivité, est regrettable. Nous ne pouvons qu'y être sensibles en tant que parlementaires, quelles que soient nos options politiques.
Le dernier élément significatif qui explique la hausse globale du montant des remboursements et dégrèvements d'impôts d'État est l'universalisation du crédit d'impôt pour les services à la personne votée en loi de finances initiale pour 2017, qui va notamment permettre aux retraités à revenus modestes de bénéficier du dispositif. Le coût de cette mesure en 2018 est évalué à 1,1 milliard d'euros qui sont retracés sur les dépenses de la mission.
En ce qui concerne les impôts locaux, le montant des dégrèvements d'impôts économiques appelle plusieurs observations.
Tout d'abord, conformément aux souhaits réitérés par ma prédécesseur, les restitutions de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) seront désormais retracées sur le compte de concours financiers « Avances aux collectivités territoriales » et non plus sur la présente mission, afin d'éviter un excédent structurel du compte. Ceci se traduit par une mesure de périmètre de 750 millions d'euros environ.
Par ailleurs, comme vous le savez, une décision du Conseil constitutionnel de mai 2017 a modifié les modalités de calcul du dégrèvement barémique de CVAE. Nos collègues Charles Guené et Claude Raynal ont particulièrement travaillé sur cette question, qui a une double incidence sur les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».
D'une part, la censure du Conseil constitutionnel étant d'application immédiate, il en résulte un coût pour l'État, correspondant aux montants réclamés par les entreprises au titre des exercices passés du fait de l'application de la consolidation du chiffre d'affaires. Le coût de ces contentieux devrait s'élever à 300 millions d'euros en 2017 et à 150 millions d'euros en 2018.
D'autre part, le coût du dégrèvement barémique sur la CVAE acquittée par les entreprises en 2017 augmente ; compte tenu du décalage d'un an, ses effets se feront sentir en 2018, par une hausse de 300 millions d'euros des crédits de la mission. Cette situation devrait être résolue par l'article 7 du projet de loi de finances, sous réserve de son adoption.
Au total, les effets de cette décision du Conseil constitutionnel représentent un surcoût pour l'État de 450 millions d'euros en 2018 sur la présente mission.
J'en viens au dégrèvement de taxe d'habitation, dont je rappelle qu'il sera présenté par le rapporteur général le 15 novembre prochain. Le coût correspondant étant retracé sur la présente mission, j'en rappelle néanmoins les grandes lignes.
Il s'agit bien d'un dégrèvement et non d'une exonération ; la mesure sera mise en place progressivement sur trois ans : en 2018, l'ensemble des bénéficiaires verront leur cotisation diminuer d'un tiers ; enfin, le dégrèvement sera calculé en se fondant sur les taux et les abattements de 2017 ; la base, elle, continuera à croître ; si le dégrèvement ainsi calculé était inférieur à la contribution due, la différence serait acquittée par le contribuable.
D'après l'Observatoire français des conjonctures économiques, cette mesure représentera - en 2020, lorsqu'elle aura été mise en place dans son intégralité - un gain de pouvoir d'achat moyen de 325 euros par ménage acquittant actuellement la taxe d'habitation. Le gain effectif variera cependant de façon importante, selon le décile de revenus et la localisation du contribuable. Cette mesure bénéficiera essentiellement aux « classes moyennes », même si j'avoue avoir du mal à préciser les contours de cette notion.
On observe également que le bénéfice de la mesure sera différent selon la localisation du contribuable. Ainsi, à revenus équivalents, le montant de l'allégement pourra être très différent.
Je considère pour ma part que la solution retenue par le Gouvernement n'est pas satisfaisante. Elle crée notamment un risque sur les ressources des communes et groupements et ne résout pas la question de la vétusté des valeurs locatives. Il est nécessaire de procéder à une révision des valeurs locatives, tout en s'attachant à prendre en compte les revenus dans le calcul de la cotisation due. Celui-ci est d'ores et déjà pris en compte, à travers les abattements, exonérations et dégrèvements existants, mais il aurait sans doute été préférable d'aller plus loin et d'étendre, même progressivement, le plafonnement de la taxe d'habitation en fonction des revenus. Cela ne signifie pas que je suis favorable à une poll tax !
N'oublions jamais que les contribuables à la taxe d'habitation n'ont, en général, pas la possibilité de la déduire de leur impôt sur le revenu, contrairement aux entreprises qui peuvent déduire la contribution économique territoriale qu'elles acquittent de la base de calcul de leur impôt sur les sociétés ou sur le revenu.
Compte tenu de ces observations, du poids du CICE et des incertitudes quant à son utilité, des doutes demeurant sur la compensation de l'allégement de la taxe d'habitation, je vous invite à ne pas adopter les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».
Je partage les analyses et conclusions du rapporteur spécial, notamment sur la taxe d'habitation. Un dégrèvement ne suffit pas à rendre un impôt juste. Il fallait mener à terme la révision des valeurs locatives.
A-t-on une idée du coût de gestion du CICE ? Cette mesure n'a pas été lisible pour les entreprises ; son préfinancement possible via Bpifrance relevait plutôt de l'usine à gaz et le coût de gestion a dû être exorbitant.
A-t-on une idée des retombées du « suramortissement Macron » qui permettait d'ajouter 40 % de déduction fiscale à l'amortissement comptable ? Cette mesure a été extrêmement efficace sur l'investissement, contrairement au CICE. Il serait intéressant d'établir un comparatif entre ces deux mesures. Le suramortissement a pris fin le 15 avril 2017, mais c'est lui qui aurait dû être prolongé, contrairement au CICE.
Cette mission a tiré notamment les conséquences de la réforme de la taxe d'habitation, prévue à l'article 3 du projet de loi de finances. Le rapporteur spécial vient de proposer de ne pas adopter ses crédits. Pour ma part, je pense que nous devrons approfondir l'analyse de cette mesure - nous n'avons reçu que récemment les réponses à notre questionnaire -, et je propose de réserver notre vote sur cette mission.
Vous connaissez ma position de fond sur le CICE. Le comité de suivi émet des réserves très fortes quant à son efficacité en termes de création d'emplois : le Gouvernement a-t-il prévu des ajustements pour améliorer cette efficacité ?
Concernant la répartition géographique des bénéficiaires du CICE, de deux choses l'une : soient les données n'existent pas, soit on refuse de les transmettre à un parlementaire - la deuxième hypothèse me paraissant inquiétante. J'avais adressé un courrier il y a trois ans au préfet de mon département et l'on m'avait répondu que le secret des affaires s'opposait à la transmission d'une telle information, ce qui m'avait profondément choqué.
Notre rapporteur spécial a retracé précisément l'évolution de cette mission très importante. Ce sont les restitutions de crédit de la TVA qui représentent le plus fort montant, soit 51 milliards d'euros, mais on observe également une forte progression des restitutions d'impôt sur les sociétés. Comment s'explique cette évolution ?
Comme le rapporteur spécial, je pense que nous devrions apprendre à évaluer davantage les dispositifs fiscaux. Il note d'ailleurs que le dégrèvement de taxe d'habitation gomme partiellement les injustices. Je suis plus réticent sur la révision des bases locatives, dans la mesure où les transferts sont tellement massifs que cette mesure en devient inacceptable, non pas par les contribuables, mais par les maires.
Le rapport n'évoque pas l'avenir du CICE, notamment sa pérennisation sous forme de baisse des cotisations sociales. Il serait intéressant de disposer d'éléments sur ce point. J'estime que le dispositif a malgré tout permis d'éviter un certain nombre de licenciements et de restaurer les marges des PME.
Cette mission retracera-t-elle, à terme, le remboursement de la taxe de 3 % sur les dividendes censurée par le Conseil constitutionnel ? J'évoque ce sujet d'un point de vue purement technique.
En définitive, cette mission décrit les réformes fiscales dans la partie « dépenses », mais le tome II de l'évaluation des voies et moyens évalue les dépenses fiscales, c'est-à-dire les pertes de recettes. En termes d'évaluation, il serait bon de consolider la présentation des réformes fiscales.
Comme Éric Bocquet, j'avais demandé au préfet de région la répartition des bénéficiaires du CICE dans mon département. N'ayant pas obtenu cette information, j'ai procédé moi-même à l'enquête en contactant les chefs d'entreprise. J'ai ainsi pu vérifier que ce dispositif, compte tenu de la baisse de l'investissement des collectivités locales liée aux baisses de dotations, a permis d'éviter un certain nombre de licenciements, notamment pour les entreprises de travaux publics et les TPE-PME de nos territoires.
Je déclare que je suis chef d'entreprise en exercice. Mais à ce titre, je peux témoigner de la réalité quotidienne. Le CICE et son préfinancement ne sont pas des usines à gaz comme on a pu le prétendre : le dispositif est tout à fait accessible à une petite entreprise si elle a un comptable. Les difficultés viennent de l'application sans discernement d'autres mesures, notamment celles destinées à lutter contre le blanchiment, qui ont retardé les versements.
Il n'y a pas de lien direct entre le CICE et la création d'emplois. Néanmoins, il a contribué à la survie d'entreprises et a favorisé l'investissement. Nous connaissons actuellement le taux le plus faible de défaillances d'entreprises depuis dix ans et le CICE n'y est sûrement pas pour rien.
Le CICE facilite l'autofinancement pour investir, le suramortissement est une incitation à accélérer les investissements : c'est un outil de relance, mais pas de compétitivité. Lorsqu'il a été prorogé, le suramortissement a vu son périmètre considérablement réduit.
Le CICE doit être transformé en baisse de charges sociales. Si le patronat a pu manifester quelques réticences, c'est parce qu'il s'est aperçu que le CICE, étant un crédit d'impôt, n'avait pas d'incidence sur l'impôt sur les sociétés, alors que la baisse de charges augmentera le résultat de l'entreprise, et donc sa cotisation d'impôt sur les sociétés.
On peut dire que la taxe d'habitation est obsolète parce que les valeurs locatives sont obsolètes. En 1989-1990, nous avons travaillé un an sur la révision des valeurs locatives, sans résultat puisque personne n'a voulu prendre la responsabilité d'assumer cette réforme. Si la taxe d'habitation est injuste, la taxe foncière l'est également, puisque ses bases sont les mêmes. De toute façon, le contribuable trouve toujours l'impôt injuste...
Le rapporteur spécial nous a indiqué que le dégrèvement compenserait les hausses des bases de la taxe d'habitation. Mais le Gouvernement sera-t-il enclin à revaloriser chaque année les valeurs locatives, comme il le fait traditionnellement, alors qu'il va devoir rembourser les communes ?
Si on augmente les taux, les personnes qui bénéficient du dégrèvement vont devoir payer quelques dizaines d'euros. Là aussi, c'est l'État qui paiera in fine, puisque la taxe n'est pas mise en recouvrement en dessous d'un certain montant. Cette réforme sera peut-être populaire, mais elle coûtera très cher.
Sur le CICE, je partage ce qui a été dit. Le coût du dispositif est très élevé, pour des résultats qui sont, a minima, peu lisibles. Je suis favorable au remplacement de cette mesure par la baisse des cotisations patronales, comme il est prévu.
Sur la taxe d'habitation, il ne s'agit pas de revenir sur la mesure prévue, qui figurait dans le programme du Président de la République. La question posée aujourd'hui est plutôt celle de savoir quel dispositif garantira au mieux une juste recette pour les collectivités locales. Le système qui a été choisi est celui du dégrèvement ; certaines questions restent en suspens, dans la mesure où le taux de la taxe d'habitation est lié à celui d'autres taxes. Des simulations vont nous être fournies afin que nous puissions mesurer les incidences dans les départements.
Je suis favorable à la proposition du rapporteur général de réserver notre position sur les crédits de cette mission.
Je veux faire une remarque sur le sens du vote que nous allons émettre : je comprends tout à fait que nous nous interrogions sur la pertinence de telle ou telle mesure votée et sur le coût de ces dégrèvements et exonérations. Nous sommes là pour ça. Ceci étant dit, sur la taxe d'habitation, nous aurons l'occasion, en première partie, de nous positionner, pour ou contre.
Ce matin, il s'agit simplement, dans l'hypothèse où la décision serait actée, de prévoir le remboursement des sommes aux communes par l'État. Quel message enverrions-nous à nos collectivités locales si nous votions contre les crédits de la mission ?
Revenons-en à l'objet même de cette mission, et nous discuterons en première partie du bien-fondé de cette suppression de la taxe d'habitation. Contrairement à ce que dit Julien Bargeton, on ne va pas gommer les inégalités : l'inégalité de traitement entre contribuables va persister, au détriment de tous ceux qui continueront à payer la taxe d'habitation et la taxe foncière.
Je rejoins le rapporteur spécial en appelant de mes voeux une réforme des valeurs locatives. Nous savons bien, certes, que c'est très compliqué : beaucoup de tentatives ont échoué devant le risque politique. Mais il n'y a pas d'autre voie si nous voulons rendre cet impôt juste. L'alternative pourrait consister à imaginer une suppression, à brève échéance, de la taxe foncière ; mais, le cas échéant, je ne sais comment nous pourrons rétablir un lien, même minimal, entre le contribuable local et la commune.
Soyons clairs : réserver les crédits n'est pas un appel à les rejeter. Le débat sur la première partie n'a même pas encore eu lieu ; la position de la commission n'est pas arrêtée. Si nous modifions de façon importante la réforme de la taxe d'habitation, cela aura de conséquences considérables sur la mission que nous examinons puisque la compensation pour les collectivités territoriales prend la forme d'un dégrèvement. Quoi qu'il en soit, réserver aujourd'hui ne veut pas dire rejeter demain, mais simplement se préparer à tirer les conséquences d'une position que nous adopterions sur la taxe d'habitation. Honnêtement, à ce stade, je ne sais pas ce qu'il faut penser de cette réforme. Je n'ai pour le moment arrêté sur cette question aucune position définitive.
Sur certaines questions, d'ailleurs, nous attendons toujours des réponses, lesquelles méritent d'être digérées. Je m'interroge en particulier sur la constitutionnalité d'un dispositif qui aurait pour effet de réduire le nombre de contribuables, dans certaines communes, à zéro, un ou deux ! Cette mesure mérite donc d'être expertisée. C'est pourquoi je propose que nous réservions les crédits, ce qui ne veut pas dire prendre une position, favorable ou défavorable.
Mes chers collègues, un certain nombre de vos observations et analyses relèvent du travail critique des parlementaires en direction du Gouvernement, dont je prends moi-même ma part. Soyons attentifs !
Toute exonération, tout remboursement, doivent donner lieu à traçabilité. C'est vrai pour le CICE comme pour tous les autres dispositifs. L'unanimité, sur ce principe, me semble accessible. Soyons très exigeants sur cette question, puisqu'elle nous rassemble !
S'agissant du CICE, il est vrai que nous avons du mal à localiser les bénéficiaires du crédit d'impôt - vous voyez bien que ce constat n'est pas idéologique -, de même que nous avons du mal à localiser la valeur ajoutée qui sert de base à la CVAE. Dans mon département, l'opposition dit la même chose que moi : comment localiser le crédit d'impôt ? Ce mécanisme crée des difficultés pour les maires et les présidents de départements.
Concernant les coûts de gestion, les PME rencontrent des difficultés de trésorerie et demandent des préfinancements. Personne ici n'a le monopole de l'esprit d'entreprendre ; ce problème est très important, il se pose nationalement. Ceci dit, j'ai aussi constaté, dans mon département, que les demandes de préfinancement reviennent chaque année, sachant que dans les TPE que je connais - tous le disent -, il y va d'un simple jeu de trésorerie. Les conséquences sur l'emploi, on en est loin !
Je n'ai en effet pas abordé le dispositif de suramortissement, car son coût n'est pas une dépense de la présente mission : il s'agit d'un dispositif de déduction et non d'un remboursement ou d'un dégrèvement.
La question a été posée de savoir s'il existait un seuil minimal de recouvrement pour la taxe d'habitation. La réponse est oui : 12 euros. La multiplication de ces petites cotisations coûterait plusieurs dizaines de millions d'euros à l'État.
D'autres questions relèvent de sujets sur lesquels je ne suis ni habilité à répondre ni compétent pour le faire. Mon collège, ami, camarade, Éric Bocquet, se réjouira de constater la baisse du taux du CICE à 6 % : sa ténacité en la matière n'a pas été vaine !
L'un de nos collègues de la majorité présidentielle me reproche de ne pas avoir parlé de la baisse des charges au 1er janvier 2019. Si je suis resté silencieux sur ce point, ce n'est pas pour manifester mon désaccord, lequel est par ailleurs tout à fait réel, mais parce que je ne suis ni au Gouvernement, ni dans la majorité présidentielle, et que mon rôle de rapporteur spécial n'est pas de commenter ce genre de décisions !
Dernière chose : monsieur le rapporteur général, j'ai commencé par me demander pourquoi vous n'aviez pas le même avis que moi - je souhaitais voter contre, vous proposez de réserver les crédits. Il n'y a là aucune bande jaune, aucune frontière. Mais la réforme de la taxe d'habitation coûtera 10 milliards d'euros, quand le CICE coûte 20 milliards d'euros : on ne peut pas mettre en balance les deux dispositifs. Il faut regarder les crédits de la mission dans leur ensemble ! En quelque sorte, monsieur le rapporteur général, vous proposez de réserver les crédits de la mission en attendant que vos amendements sur la taxe d'habitation soient adoptés, avant, pour finir, de voter les crédits. Je veux bien être très constructif - ça m'arrive souvent en tant qu'élu local. En même temps, il faut bien, le moment venu, savoir émettre un avis tranché, non pour le plaisir de la polémique, mais par souci de clarté dans les orientations que nous prenons en matière de remboursements et de dégrèvements.
La sagesse dicterait, me semble-t-il, de réserver notre position définitive sur les crédits de la mission.
Nous sommes en train d'examiner les crédits des missions. À l'issue de cet examen, après transmission du texte de l'Assemblée nationale, nous effectuerons une revue de tous les votes, et nous adopterons ou rejetterons les crédits des missions qui auront été réservés. La réserve peut être motivée par une simple demande de précision. S'agissant de la taxe d'habitation, notre décision dépend simplement de votes ultérieurs. Réserver ne préjuge en aucun cas du vote que nous serons amenés à émettre en fin d'examen des missions.
En réservant notre position, nous ne méconnaissons pas ce que Pascal Savoldelli souligne à juste titre : la mission comprend une consolidation de crédits de diverses natures, pour des ordres de grandeur assez variables. Il nous manque simplement quelques éléments d'éclairage définitifs pour nous prononcer.
Favorable aux réformes fiscales qui sont proposées, et donc à leur traduction budgétaire, je ne partagerai pas cette position.
Mes chers collègues, j'ai bénéficié d'une petite formation à la dialectique.
Je vais maintenir ma position, qui est respectée et respectable. Je ne suis pas friand de polémique pour la polémique. Si tel était le cas, j'aurais eu du grain à moudre lors du débat précédent : sur la mission de tout à l'heure, nous nous sommes beaucoup moins posé la question de réserver notre position, et j'aurais eu des titres à bondir sur certaines phrases prononcées. Mais je suis au Sénat, pas en meeting ; je m'en tiens à un comportement respectueux de l'ensemble de mes collègues.
À l'issue de ce débat, la commission décide de réserver sa position sur les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».
Notre politique d'aide publique au développement (APD) a été durement mise à contribution ces dernières années. L'enjeu, pour les années qui viennent, est de définir une nouvelle trajectoire qui soit ambitieuse, c'est-à-dire qui nous remette sur la voie du respect de nos engagements internationaux, mais aussi crédible, ce qui suppose de consacrer des ressources plus importantes à cette politique. C'est à l'aune de ces éléments que nous allons vous présenter les crédits 2018 de l'aide publique au développement.
La définition d'une nouvelle trajectoire est en effet indispensable, tant la France est éloignée du respect de ses engagements internationaux. L'objectif est de consacrer 0,7 % de notre produit intérieur brut (PIB) au développement ; nous n'étions qu'à 0,38 % en 2016, et nous devrions atteindre 0,40 % à 0,42 % en 2017, ce qui nous place en douzième position au niveau international.
Au-delà du respect de l'objectif, nous risquons véritablement de « descendre en seconde division », en « Pro D2 », comme on dit en rugby. Avec une aide de 9,5 milliards de dollars, nous sommes distanciés par les États-Unis, dont l'aide s'élève à 34 milliards de dollars, mais surtout par l'Allemagne (25 milliards de dollars) et le Royaume-Uni (18 milliards de dollars). Les aides de nos deux voisins représentent respectivement le triple et le double de la nôtre ! Je rappelle à ce titre qu'Angela Merkel a effectué l'an dernier une tournée diplomatique au Mali, au Niger et en Éthiopie et a reçu les présidents tchadien et nigérian.
La divergence des trajectoires française, allemande et britannique est frappante et préoccupante.
La composition de l'aide de chacun de ces pays montre que les niveaux de l'aide multilatérale restent relativement proches. Les différences d'aide bilatérale s'expliquent tout d'abord par le fait que l'Allemagne a consenti un effort considérable pour l'accueil des réfugiés (6,2 milliards de dollars contre environ 500 millions de dollars pour la France et le Royaume-Uni). Mais le décrochage de la France s'explique avant tout par un montant de dons beaucoup moins important : celui-ci ne représente qu'un tiers de celui de ces deux autres pays européens.
Au cours de la campagne électorale, le Président de la République a fixé pour objectif que notre aide publique au développement atteigne 0,7 % du PIB en 2030 ; il a pris récemment l'engagement, devant l'Assemblée générale des Nations-Unies, que soit atteint un objectif intermédiaire de 0,55 % d'ici la fin du quinquennat. Plus précisément, cette augmentation de l'aide devrait notamment porter sur l'aide bilatérale, qui est un meilleur outil d'influence, et dont la part a diminué au cours des dernières années.
Le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 traduit l'ambition portée par le Président de la République. Ainsi, les crédits de la mission « Aide publique au développement » connaissent la troisième hausse la plus importante en valeur, avec une augmentation de 16 % entre 2018 et 2020. Par rapport à 2017, l'augmentation serait même de 20 %.
Au demeurant, cette programmation est la plus ambitieuse qu'ait connue la mission « Aide publique au développement » depuis qu'ont été mises en place les lois de programmation des finances publiques. Ainsi, à l'exception de la loi de programmation de 2009, qui prévoyait une légère hausse des crédits, toutes les lois de programmation suivantes proposaient, au mieux, une stabilisation, et, plus souvent, une diminution des crédits. La hausse de 500 millions d'euros par rapport à 2017 est inédite et permettrait de dépasser le record atteint en 2010.
Si l'on ajoute le produit des taxes affectées, les ressources totales seraient supérieures de 13 % au montant exécuté en 2010, année au cours de laquelle notre aide atteignait 0,5 % du PIB. Par rapport à l'exécution provisoire 2017, elles seraient en hausse de 20 % en 2020, sachant que notre aide doit augmenter d'un peu plus de 30 % pour atteindre l'objectif.
En définitive, il faudra certes expertiser cette trajectoire de façon plus fine, le lien entre les crédits et l'APD au sens de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) n'étant pas automatique, mais ces éléments nous conduisent à considérer que l'objectif de 0,55 % en 2022 est crédible, à condition de maintenir une trajectoire ascendante jusqu'à cette date.
Nous avons présenté la trajectoire ; j'en viens désormais aux crédits pour 2018 et aux points qui appellent notre vigilance s'agissant de la programmation des années à venir.
Les ressources que consacre la France à l'aide publique au développement en 2018 sont en augmentation.
Les crédits de la mission connaissent une hausse de 100 millions d'euros environ ; cette hausse est toutefois entièrement « absorbée » par l'augmentation de la contribution de la France au Fonds européen de développement. Les autorisations d'engagement diminuent de 30 % cette année, mais ceci ne fait que refléter la traditionnelle irrégularité de leur montant, qui est fonction du rythme de reconstitution des différents fonds multilatéraux.
Le produit des taxes affectées, à savoir la taxe sur les billets d'avion et la taxe sur les transactions financières, est quant à lui gelé à 800 millions d'euros environ.
Enfin, les crédits du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers », qui, comme son nom l'indique, retrace uniquement des prêts, sont en hausse de 760 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 260 millions d'euros en crédits de paiement, si l'on exclut du calcul les opérations exceptionnelles menées l'an dernier.
Les crédits connaissent donc une augmentation, certes modeste, mais bien réelle.
S'agissant de la trajectoire, plusieurs points appellent notre vigilance. Tout d'abord, l'exécution doit être en phase avec les crédits votés : le taux d'exécution de la mission s'est dégradé de quelques points ces dernières années. Au-delà des montants en jeu, le taux d'exécution est un révélateur du degré d'ambition accordé à cette politique, laquelle a tôt fait d'être considérée comme une variable d'ajustement de l'exécution budgétaire.
À cet égard, l'annulation, en juillet dernier, de près de 140 millions d'euros par décret d'avance a jeté le trouble. Nous estimons que les impératifs budgétaires de l'été 2017 pouvaient justifier cette mesure d'économie par rapport au budget du précédent gouvernement ; mais les choix présentés au Parlement sont désormais ceux de l'actuelle majorité gouvernementale, et les crédits de cette mission doivent être sanctuarisés. À ce titre, les efforts réalisés pour améliorer la sincérité du budget vont dans le bon sens.
Par ailleurs, nous notons que l'effort budgétaire est centré sur la fin du triennal. Ce choix est un facteur de risque pour la mise en oeuvre concrète de la programmation, et nous serons vigilants sur son respect.
Enfin, nous regrettons que les produits des taxes sur les billets d'avion et sur les transactions financières soient désormais gelés. Le principe même de l'attribution d'une taxe affectée est de permettre au bénéficiaire de profiter de sa dynamique.
J'ajoute à ce qui vient d'être dit un point plus précis sur les ressources de l'Agence française de développement (AFD), qui est - vous le savez - l'opérateur pivot de notre aide bilatérale, et qui est engagée sur une trajectoire d'augmentation de 4 milliards d'euros de ses engagements et de 400 millions d'euros de ses dons en 2020 par rapport à 2015.
Les crédits budgétaires qui lui sont consacrés, en 2018, augmentent par rapport à la loi de finances initiale pour 2017. Plus précisément, les crédits permettant à l'AFD d'accorder des dons sont en hausse de 67 millions d'euros en autorisations d'engagement et atteignent 400 millions d'euros environ. Par ailleurs, les crédits permettant à l'AFD de « bonifier » les prêts, c'est-à-dire d'abaisser directement le taux d'intérêt proposé aux bénéficiaires de ses concours, sont en hausse de 55 millions d'euros. L'AFD bénéficie en outre de la « ressource à condition spéciale », un prêt de long terme de l'État à taux extrêmement bas, qui lui sert également à accorder des prêts concessionnels ; les crédits correspondant aux activités courantes de l'AFD sont stables.
En définitive, le niveau des autorisations d'engagement est cohérent avec la trajectoire de croissance de ses engagements, lesquels doivent augmenter de 4 milliards d'euros d'ici 2020.
En revanche, le niveau des crédits de paiement pose question. Les annulations de juillet dernier ont conduit à diminuer de 118 millions d'euros, en crédits de paiement, les dons-projets de l'agence. Or ces crédits correspondaient à des engagements déjà pris ; à moins de ne pas honorer ses engagements contractuels, ce qui nuirait gravement à son image et à celle de la France, l'AFD doit donc elle-même financer ces paiements. À ce stade, il apparaît que le montant des crédits prévu pour 2018 ne permettra pas d'apurer cette situation. Nous ferons le point sur cette question d'ici la séance publique, après examen de la mission par l'Assemblée nationale.
Par ailleurs, l'an dernier, le Parlement avait décidé d'affecter à l'AFD 270 millions d'euros tirés des recettes de la taxe sur les transactions financières. L'article 19 du présent projet de loi de finances revient sur cette affectation et attribue ces 270 millions d'euros au Fonds de solidarité pour le développement (FSD), qui finance essentiellement de l'aide multilatérale.
Il appartiendra au rapporteur général de nous présenter cet article de première partie, mais nous considérons qu'une telle mesure serait incohérente avec l'objectif d'accorder la priorité à notre aide bilatérale. À ce stade de la discussion, l'Assemblée nationale a adopté un amendement qui tend à résoudre le problème. Nous verrons ce qu'il en sera dans le texte transmis.
Nous soulignons au passage que la débudgétisation des dépenses du FSD, qui représentent un quart des crédits d'aide publique au développement, est problématique. Elle nuit au contrôle du Parlement et apparente ces crédits à une variable d'ajustement pour les gestionnaires de la mission.
Enfin, l'objectif de 0,55 % annoncé par le Président de la République impliquera de définir une nouvelle trajectoire, à la hausse, des engagements de l'AFD. Le futur contrat d'objectifs et de moyens de l'agence pour la période 2017-2020 sera l'occasion de préciser cette trajectoire et de définir les moyens qui l'accompagneront.
Compte tenu de cette définition d'une trajectoire ascendante et ambitieuse et de l'augmentation de l'aide, nous vous invitons, mes chers collègues, à proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission et du compte de concours financiers.
Je me contente de quelques observations, avec beaucoup de réserves, puisque notre commission ne se prononcera que le 15 novembre prochain.
Je note avec satisfaction la trajectoire annoncée, avec beaucoup de vigilance sur les chiffres. Un constat : les efforts menés par nos voisins, l'Allemagne et le Royaume-Uni, représentent trois fois l'effort français. Sur la décision de l'Assemblée nationale concernant la taxe sur les billets d'avion et la taxe affectée, je me range à l'avis des rapporteurs spéciaux de la commission des finances. Nous entendions hier Rémy Rioux, directeur général de l'AFD. Il nous a indiqué que les 270 millions d'euros affectés en 2017 ont bien été utilisés conformément à leur affectation. Nous nous associons donc à la décision de l'Assemblée nationale.
Nous nous interrogeons sur les nouvelles règles de comptabilisation de l'aide résultant des prêts, et sur la conséquence qu'elles devraient avoir s'agissant de la répartition entre les prêts et les dons. Les dons représentent la partie « faible » des aides versées par l'AFD, sur laquelle nous avons demandé quelques précisions. Nous envisageons d'ailleurs de mener une mission pour comparer les pratiques de l'AFD en termes de mise en oeuvre des fonds avec celles qui ont cours dans les pays voisins. De toute évidence, un certain nombre d'interrogations méritent d'être levées sur les moyens mobilisés, eu égard aux demandes exprimées par les ONG.
Pour compléter les propos de mon collègue, dont je partage les remarques, je précise que nous jugeons vertueuse, bien sûr, la trajectoire proposée ; néanmoins, pour atteindre l'objectif de 0,55 % avec une hypothèse de croissance du PIB de 1,7 %, il faudrait, au cours de la mandature, abonder le budget de la mission de 1 milliard d'euros supplémentaire chaque année. Est-ce bien faisable ? Je ne vous cache pas nos inquiétudes sur notre capacité à tenir cette trajectoire.
Concernant notre place dans le classement des États donateurs, vous n'avez pas parlé de notre opérateur d'expertise technique internationale, Expertise France, né il y a quelques années d'un rapport sénatorial de Christian Cambon, Jean-Claude Peyronnet et Jacques Berthou, et de la volonté de regrouper nos agences d'expertise technique pour leur donner une surface importante, sur le modèle de la Gesellschaft für internationale zusammenarbeit (GIZ) allemande. Il s'agissait d'une bonne décision ; pour autant, si nous voulons vraiment oeuvrer en faveur d'une « équipe France » du développement, rattraper notre retard et conforter notre présence dans le monde, il serait utile que l'AFD travaille en collaboration plus étroite avec Expertise France. La première était censée apporter à la seconde un volume de 25 millions d'euros de projets ; on en est très loin ! Il ne s'agit pas, me semble-t-il, d'un sujet annexe.
On ne peut que saluer cette proposition de trajectoire. Le hasard fait bien les choses : l'examen de ce rapport vient après celui de la mission « Immigration, asile et intégration ». Il faut insister sur le lien qui unit aide au développement et maîtrise de l'immigration : plus nous aiderons les pays en voie de développement, moins nous subirons de l'immigration non souhaitée.
J'appelle l'attention sur deux points. Premièrement, malgré la loi votée en 2014, l'évaluation des programmes continue à poser des problèmes.
Deuxièmement, quid de l'articulation avec d'autres acteurs, avec les fondations type Bill Gates notamment, qui ont beaucoup plus d'argent que l'AFD ? Nous devons travailler multilatéralement avec le FMI et les fondations internationales, qui contribuent elles aussi au développement. L'efficacité de l'action française dépend de notre capacité à coopérer avec ces acteurs. Nous avons certes la volonté, mais certainement pas les moyens, de jouer la partie à titre individuel.
Il était en effet judicieux d'examiner les deux rapports ce matin : on ne peut imaginer réfléchir à la question migratoire sans prendre en compte la situation de sous-développement de certains États. La responsabilité de la France, en la matière, est importante ; on ne saurait contempler le côté face de cette pièce en négligeant le côté pile.
Je partage le souci de vigilance de nos deux rapporteurs sur le décrochage qu'ils constatent dans l'engagement financier de la France sur ces sujets, par rapport à l'Allemagne notamment, dont nous devons saluer la politique d'accueil des migrants.
Je déplore la décision malheureuse prise sur le projet de taxation sur les transactions financières (TTF), auquel le gouvernement français, dès le mois de mai, s'est empressé de donner un coup d'arrêt. C'est l'Arlésienne ! Le Gouvernement a annoncé l'abrogation de la tranche supérieure à 20 % de la taxe sur les salaires pesant sur les hauts revenus du secteur financier - Dieu sait qu'ils sont élevés, compte tenu de la santé resplendissante de ce milieu. On a également enterré la TTF au niveau européen, alors qu'elle pourrait rapporter entre 20 milliards et 22 milliards d'euros, soit dix fois le budget français consacré à l'aide au développement.
Les rapporteurs spéciaux ont présenté, un tableau intéressant sur les bénéficiaires de l'aide française. Dispose-t-on d'éléments sur l'aide non gouvernementale ? Sans caricaturer l'utilisation de ces fonds par les États, l'ambition de réorienter ces aides vers les sociétés civiles et les associations locales elles-mêmes me paraît légitime.
Nous saluons la volonté d'augmenter l'aide au développement, mais nous restons sur notre faim. Je réitère les interrogations déjà soulevées sur la situation de l'AFD à la suite des coupes effectuées à l'été 2017, qui ne sont pas compensées dans le présent budget. Nous resterons donc vigilants sur ces dossiers, qui sont décisifs pour la place de la France dans le monde et pour notre capacité à faire rayonner notre vision humaniste.
Henri Emmanuelli, qui était rapporteur spécial de cette mission à l'Assemblée nationale, dénonçait régulièrement le mode de calcul de l'aide publique au développement française : non seulement nous ne respections pas nos engagements internationaux, mais nous comptabilisions les aides de l'AFD en direction des outre-mer français, lesquels étaient donc considérés, à l'époque, comme des pays étrangers. Cette pratique, ou plutôt cette astuce, perdure-t-elle aujourd'hui ?
Par ailleurs, nous sommes d'accord sur la nécessité de recentrer la politique d'aide au développement sur l'aide bilatérale. Néanmoins, cette dernière est aujourd'hui essentiellement centrée sur l'Afrique. Si notre ambition est mondiale, si nous souhaitons retrouver notre place, si nous refusons de nous faire distancer par l'Allemagne et le Royaume-Uni, faut-il absolument prioriser l'aide bilatérale ? Ne serait-il pas nécessaire de définir une stratégie de redéploiement de l'influence française dans le monde ?
Cette mission est capitale pour la place de la France : il y va de la diplomatie d'influence menée par l'AFD, dont l'image est très positive dans les 85 pays où nous sommes présents, à travers des agences très structurées, très compétentes, en Colombie par exemple, où un partenariat très étroit et très efficace nous unit aux villes de Medellin et de Bogota. Un tel partenariat ne coûte rien à la France, puisque l'agence s'autofinance.
Je salue les deux rapporteurs pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Jean-Pierre Vial, concernant les nouvelles règles de calcul des aides, à ce stade il semble que l'effet négatif sur les prêts de l'AFD soit compensé par l'effet positif sur les prêts du Trésor. Elles pourraient en revanche avoir des effets sur la façon dont nous accordons nos prêts.
Comme Marie-Françoise Perol-Dumont, la trajectoire nous interpelle : il s'agit d'un coût, en effet, d'un effort, mais surtout d'un engagement. Nous espérons que le contrat d'objectifs et de moyens avec l'AFD donnera à la France les moyens de respecter ses engagements. À charge pour nous d'être vigilants.
Concernant Expertise France, nous appelons également de nos voeux une relation plus étroite de cette institution avec l'AFD, sur le modèle de la GIZ allemande, outil extrêmement performant qui complète l'action de Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW), organe financier de l'aide allemande au développement. La GIZ est une force avancée pour l'outil de production allemand - la chancelière l'a bien compris. Tout à fait d'accord, donc, pour doter la France d'un outil comparable.
Nathalie Goulet, l'évaluation est un souci permanent : donner ne suffit pas. Mais lorsque nous donnons des aides par exemple à l'éducation, comment évaluer leur efficacité ? Il y a deux ou trois ans, nous avions rencontré la ministre britannique chargée des problèmes d'aide au développement. À cette occasion, nous avions découvert que les britanniques font grand cas de l'évaluation. Reste que certaines politiques sont difficiles à expertiser, reconnaissons-le. Le chantier de la mise en place d'outils d'évaluation plus performants reste ouvert ; le Royaume-Uni, de ce point de vue, est tout à fait exemplaire.
S'agissant de la coopération avec d'autres partenaires, l'AFD travaille avec les collectivités qui font de l'aide décentralisée. Sur le terrain, les agences de l'AFD déplorent que la coordination ne soit pas parfaite avec les acteurs, et notamment avec les ONG. Certaines d'entre elles s'engagent à une hauteur supérieure à celle des États ; il faut se réjouir d'un tel mécénat intelligent. Peut-on travailler en partenariat avec elles ? Oui, mais l'aide est alors multilatérale. Or nous devons privilégier le bilatéral, qui a l'avantage d'être plus visible : faire, c'est bien, mais sans négliger de planter notre drapeau et de faire savoir que la France est présente.
Julien Bargeton, sur la question de l'aide directe aux associations, nous ne manquerons pas de vous communiquer les éléments que vous demandez.
Victorin Lurel, en effet, il y a quelques années, l'engagement de la France dans les territoires d'outre-mer était considéré comme une aide au développement ; tel n'est plus le cas aujourd'hui. De ce point de vue, il n'y a plus d'ambiguïté ; je tiens à vous rassurer.
Sur l'aide bilatérale, j'ai déjà répondu, en disant qu'elle était préférable à l'aide multilatérale en termes d'influence diplomatique.
Je le répète : l'AFD est un outil remarquable, dont le rôle et l'importance sont restés trop longtemps méconnus du Parlement. Parce qu'une volonté politique est en train de s'affirmer, la trajectoire que nous appelons de nos voeux sera, j'en suis certain, respectée. Plus nous agirons en matière d'aide au développement, plus nous freinerons les mouvements migratoires.
À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Aide publique au développement » et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».
La mission « Conseil et contrôle de l'État » se compose de quatre programmes : le Conseil d'État et les autres juridictions administratives, la Cour des comptes et les autres juridictions financières, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et, depuis la loi de finances pour 2014, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP).
Le budget de cette mission devrait augmenter de 1,92 % sur la période 2018-2020, soit une augmentation inférieure à celle des dépenses totales de l'État, qui progresseront de 3 %, d'après la loi de programmation des finances publiques.
Pour 2018, les crédits de la mission s'élèvent à 663 millions d'euros et sont en hausse de 2,2 %.
Cette hausse est principalement portée par le budget alloué au Conseil d'État et aux autres juridictions administratives, principal programme de la mission par son montant.
Les crédits de ce programme progressent de 2,6 % par rapport à 2017 et atteignent 405 millions d'euros, en raison notamment d'une hausse des dépenses de personnel. Trois emplois des juridictions judiciaires sont ainsi transférés vers le programme, en vue de la création de la commission du contentieux du stationnement payant. Cette création, en elle-même, aura peu d'incidence sur le budget du programme, puisque la quasi-totalité du personnel sera rémunérée via la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». Le Conseil d'État pourrait malgré tout connaître une augmentation des affaires entrantes, en sa qualité de juge de cassation.
Les 51 autres emplois créés seront intégralement affectés à la Cour nationale du droit d'asile, dont les locaux devraient également s'étendre pour accueillir ces nouveaux emplois et de nouvelles salles d'audience.
Ces moyens supplémentaires permettront à la CNDA de faire face à l'augmentation continue du contentieux de l'asile, qui a progressé de 30 % entre 2016 et 2017. Ils l'aideront également à poursuivre son objectif de réduction des délais de jugement : on observe en effet que les créations d'emplois des dernières années ont permis à la CNDA de contenir ses délais moyens de jugement à 7 mois environ, soit une durée proche de la cible de 5 mois fixée par le législateur en 2015.
Les autres juridictions administratives seront également soumises à une hausse de leur contentieux, du fait d'un nombre élevé d'affaires entrantes pour les contentieux de masse tels que le contentieux des étrangers ou le contentieux du droit au logement opposable (7 % du contentieux total). Elles devraient malgré tout parvenir à respecter leur objectif de délai moyen de jugement.
J'en viens maintenant aux crédits du Conseil économique, social et environnemental, qui s'élèvent à 40 millions d'euros, l'augmentation étant de 1,2 %, bien inférieure à celle constatée l'an dernier.
Le CESE s'est notamment engagé, pour 2018, dans une nouvelle gestion budgétaire, avec pour conséquence l'affectation de ses ressources propres au financement des projets d'investissement.
Depuis le dernier renouvellement de 2015, le CESE poursuit une modernisation institutionnelle, qui inclut une rénovation de son régime financier et comptable. Cette rénovation prévoit entre autres l'introduction de plusieurs mesures de contrôle et de la certification de ses comptes, laquelle devrait être réalisée par la Cour des comptes. Le CESE cherche également à réaffirmer sa mission consultative, en développant un indicateur destiné à mesurer les suites données à ses préconisations, et en produisant des avis en lien avec d'autres institutions comme la Cour des comptes ou le Défenseur des droits.
Ce projet de modernisation pourrait être prolongé dans le cadre de la réforme annoncée par le Président de la République, en juillet dernier, devant le Congrès - il avait alors évoqué une « chambre du futur ». Mais il est encore trop tôt pour estimer les incidences d'une telle réforme sur le budget de l'institution.
Deuxième budget de la mission par son montant, le programme « Cour des comptes et autres juridictions financières » est, quant à lui, en augmentation de 1,5 % par rapport à 2016, et atteint 217,4 millions d'euros.
Cette augmentation est principalement due à une hausse des dépenses de personnel, liée à la revalorisation des emplois et à la hausse du régime indemnitaire des magistrats des chambres régionales des comptes.
Le nombre d'emplois reste plafonné à 1 840 et peu de changements interviendront au cours de l'année 2018 pour les juridictions financières. Ces dernières poursuivent l'expérimentation de la certification des comptes des collectivités territoriales, et la mise en oeuvre de leur nouvelle compétence de contrôle des établissements et services sociaux et médicaux-sociaux (ESMS) et des établissements de santé privés.
L'un des principaux indicateurs de performance du programme, mesurant les effets sur les comptes des travaux de certification, voit changer sa méthode de calcul. Celle-ci prend désormais en compte le nombre de constats d'audits et traduit ainsi plus fidèlement l'impact positif des travaux de certification de la cour.
Les autres indicateurs restent inchangés et atteignent un niveau satisfaisant en 2018.
Dernier programme de la mission, le budget du « Haut Conseil des finances publiques » atteint comme l'an dernier à peine un demi-million d'euros. La pertinence de ce programme interroge toujours, vu le montant très faible des moyens qui lui consacrés, lesquels sont par ailleurs issus de la Cour des comptes (employés, locaux, fonctions supports, etc.).
Une présentation des crédits du Haut Conseil au sein d'une action du programme « Cour des comptes et autres juridictions financières » serait envisageable, mais il faudrait pour cela une modification de la loi organique du 17 décembre 2012, qui prévoit l'existence de ce programme.
En conclusion, je propose à la commission d'adopter, sans modification, les crédits proposés pour la mission et pour chacun de ses programmes.
Ce budget s'inscrit dans la continuité des précédents, avec un effort en faveur de la CNDA. Je suivrai ces évolutions en vue de l'examen de la mission par la commission des lois.
La réforme du stationnement payant peut aboutir à une véritable prolifération du contentieux administratif. Les échelons locaux auront à gérer les recours administratifs préalables obligatoires, ce qui aura un coût : dans ma commune, nous passons un marché de 200 000 euros pour créer une cellule de traitement de ces recours. Il serait bon, l'an prochain, de disposer d'un chiffre consolidé.
L'évolution globale de ce budget est de 2,2 %. Or on demande aux collectivités territoriales de limiter à 1,2 % la hausse annuelle de leurs dépenses pendant le quinquennat. Pourtant, c'est l'État qui est dans la situation financière la plus difficile et qui devrait réaliser l'essentiel des efforts de réduction du déficit ! Je ne méconnais pas la croissance de la charge de travail des juridictions administratives mais des dispositions évitant d'alourdir le contentieux peuvent être prises, comme nous l'avons mentionné au cours de notre débat en séance sur les propositions de loi pour le redressement de la justice.
L'essentiel de l'évolution des crédits profite à la CNDA, dont la masse salariale augmente. Les crédits du Haut Conseil représentent 0,07 % du coût de la mission. Ce n'est pas grand-chose, et ce programme pourrait être rapproché de celui qui concerne la Cour des comptes.
Oui, une augmentation de 2,2 %, ce n'est pas rien. En 2012, le législateur organique a voulu affirmer l'indépendance du Haut conseil des finances publiques. Il ne me paraît donc pas pertinent de fusionner ce programme avec celui de la Cour des comptes.
Avez-vous évalué le bénéfice de la réforme, annoncée par le Président de la République, consistant à réduire d'un tiers les membres du CESE ? Quant à ce programme 340, pourquoi ne pas le transformer en action ?
Réduire les dépenses publiques, oui ; mais nous ne devons pas économiser sur le régalien. Entre 2012 et 2016, le nombre de recours au Conseil d'État a crû de 12 %, de 20 % devant les cours administratives d'appel et de 6 % devant les tribunaux administratifs. Et les missions confiées à la justice administrative sont toujours plus larges. Il faut donc adopter ces crédits.
Pour réduire les délais d'instruction des demandes d'asile, il faut des crédits - et cela impose de trouver des locaux pour loger les intéressés. Quels seront les effets de la suppression d'une chambre à la Cour des comptes ? Le programme 340 peut être transformé en action, mais quid des autres instances comme l'observatoire, ou le comité des finances locales ? Il faudrait une vision globale.
La CNDA est en effet confrontée à une progression continue du contentieux de l'asile - 30 % en 2017 - ce qui réclame des moyens. La secrétaire générale du Conseil d'État m'a fait la même remarque que Christine Lavarde : le contentieux du stationnement s'avère massif, nous verrons ce qu'il en est l'an prochain. Oui, la progression des crédits de la mission est supérieure à celle des dépenses des collectivités territoriales, mais cette mission contribue régulièrement à l'effort de réduction des dépenses en cours de gestion. Deux millions d'euros ont ainsi été annulés dans le dernier décret d'avance.
Une résolution de l'Assemblée générale de l'ONU garantit l'indépendance du programme 164. Le HCFP ne perdrait donc pas son indépendance avec un rattachement de ses crédits au programme 164. D'autant que d'autres institutions indépendantes n'ont pas leurs crédits présentés dans un programme spécifique.
Je vois Didier Migaud demain matin et compte l'interroger sur les conséquences de la suppression de la deuxième chambre.
La réforme du CESE doit encore être précisée, nous devrons sans doute attendre d'ici 2020 pour avoir les évaluations d'impact.
Merci.
À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».
La réunion est close est 12 h 30.