Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, a bien voulu venir nous présenter les crédits de la mission « travail et emploi » tels qu'ils figurent au projet de loi de finances pour 2018. Cette mission représente quelque 15 milliards d'euros, auxquels s'ajoute plus de 1,5 milliard au titre du compte d'affectation spéciale « financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage ». Le projet de budget traduit plusieurs inflexions de la politique de l'emploi, avec la diminution du nombre de contrats aidés et la non-reconduction de certains dispositifs. Au-delà de l'évolution des dotations, nous souhaiterions que vous puissiez préciser les orientations qui ont inspiré le Gouvernement, et que vous entendez mettre en oeuvre en 2018 et les années ultérieures. Notre rapporteur pour avis, Michel Forissier, et les membres de la commission vous poseront ensuite leurs questions.
L'année 2018 constitue indéniablement un tournant important pour la mission « travail et emploi », car elle traduira de manière cohérente sur le plan budgétaire notre volonté de rénover en profondeur le modèle social français. Elle comprend des inflexions fortes, avec pour objectif de libérer les énergies des entreprises afin qu'elles investissent et créent de l'emploi.
La mission reflète ainsi l'ambition des chantiers que nous avons engagés. Une première étape a été franchie avec la publication des ordonnances le 22 septembre dernier. Elles seront soumises prochainement à votre ratification. En sillonnant la France depuis leur publication, j'ai rencontré plus de 3 000 chefs d'entreprise et constaté l'effet psychologique réel qu'elles produisaient dans les PME. Le regain de confiance est en train de vaincre la peur d'embaucher.
Ce climat sera consolidé par la réforme de l'assurance chômage, de la formation professionnelle et de l'apprentissage que je défendrai devant vous au printemps prochain.
C'est dans ce contexte que se situe le budget de la mission « travail et emploi », stable par rapport à la loi de finances initiale pour 2017, autour de 15,2 milliards d'euros.
Il s'agit d'un budget de transformation car il rompt clairement avec la logique de traitement statistique du chômage pour basculer vers une politique d'insertion durable dans l'emploi des publics qui en sont le plus éloignés, notamment les jeunes.
Ce changement majeur se traduit par des choix assumés de réallocation de moyens.
Premièrement, nous consentirons un effort financier d'une ampleur sans précédent dans la transformation des compétences, incluant les formations qualifiantes et les compétences numériques, via le plan d'investissement dans les compétences (PIC) doté de 15 milliards d'euros sur cinq ans pour former et accompagner un million de demandeurs d'emploi peu qualifiés et un million de jeunes décrocheurs à l'horizon de 2022.
Au moment où la croissance repart, la pire des situations serait que, d'un côté, les entreprises n'arrivent pas à profiter de la croissance, faute de compétences, et que, de l'autre, les demandeurs d'emploi et les jeunes, par manque de qualification, ne puissent trouver un emploi. D'où la nécessité d'investir dans des réformes structurelles. Dès l'an prochain, nous engagerons un effort majeur en matière de formation avec 1,25 milliard d'euros en autorisations d'engagement et un triplement des crédits de paiement dédiés à cette politique. En outre, nous viserons le seuil de 100 000 bénéficiaires de la garantie jeunes, dispositif qui a bien démarré et que nous souhaitons amplifier.
Deuxièmement, nous mettrons l'innovation sociale au service de la lutte contre l'exclusion du marché du travail. C'est le sens de la mission que j'ai confiée à Jean-Marc Borello, président du groupe SOS, qui me rendra ses conclusions d'ici à la fin de l'année.
Dans ce contexte, les dispositifs d'insertion efficaces seront soutenus et leur ciblage renforcé.
Ainsi, le Gouvernement a décidé d'accélérer très nettement la création des emplois francs, mettant en oeuvre un engagement de campagne du Président de la République. Ce dispositif permettra d'aider les personnes plutôt que les territoires, pour lutter contre les discriminations à l'embauche et l'assignation à résidence. Vous le savez, on a moins de chance d'accéder à l'emploi quand on habite certains quartiers. Nous devons donc lutter contre cette discrimination négative.
Concrètement, toute entreprise ou toute association, où qu'elle soit située, bénéficiera d'une prime de 15 000 euros sur trois ans pour l'embauche en CDI ou de 5 000 euros pendant deux ans pour une embauche en CDD d'un habitant d'un des quartiers prioritaires de la politique de la ville choisis, soit l'équivalent de neuf mois de salaires et de charges pour un emploi au SMIC.
Nous avons ciblé cette mesure sur les territoires où elle est destinée à provoquer les changements les plus rapides et les plus puissants : la Seine-Saint-Denis ; l'agglomération d'Angers ; la communauté d'agglomération Val de France et celle de Cergy-Pontoise dans le Val-d'Oise ; le territoire Grand Paris Sud, englobant Grigny et Évry ; et une partie des métropoles de Marseille et de Lille. Près du quart des demandeurs d'emploi de l'ensemble des quartiers prioritaires seront ainsi éligibles au dispositif dès 2018.
À cette fin, 180 millions d'euros en autorisations d'engagement supplémentaires ont été imputés pour 2018 sur le programme 103 « accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi », via l'adoption de deux amendements du Gouvernement en séance à l'Assemblée nationale.
Nous arrêterons les contrats aidés dans le secteur marchand : avec la reprise de la croissance, le dispositif pourrait créer un effet d'aubaine. En revanche, les 200 000 contrats aidés non marchands, programmés en 2018 pour un montant de 1,45 milliard d'euros, seront réservés aux employeurs qui mèneront une véritable politique d'accompagnement et de formation, permettant de sortir durablement leurs bénéficiaires de la précarité. De telles exigences n'existaient pas jusqu'à présent pour les emplois aidés. Nous étions donc confrontés à une diversité de situations. Certaines associations et communes réalisaient un véritable travail d'accompagnement, avec des résultats positifs pouvant atteindre 60 %, alors que sur certains territoires l'insertion était proche de zéro.
En outre, en 2017, l'effort exceptionnel en faveur du financement de près de 71 000 aides au poste pour le secteur de l'insertion par l'activité économique sera consolidé et s'élèvera à 822 millions d'euros en 2018.
Si l'on compte également les exonérations spécifiques dont bénéficient les associations intermédiaires et les chantiers d'insertion, l'effort de l'État sera supérieur à 1 milliard d'euros et permettra à environ 140 000 personnes d'être accompagnées dans leur parcours vers l'emploi.
Les dispositifs spécifiques aux travailleurs en situation de handicap s'établissent à ce stade à 377 millions d'euros, en légère hausse par rapport à la LFI 2017. À l'occasion du débat budgétaire à l'Assemblée nationale, j'ai bien noté que les représentants du secteur s'inquiètent du projet de loi de finances qui prévoit la création de 1 000 aides au poste ainsi qu'une révision du mode de financement des entreprises adaptées à compter du 1er juillet.
Mon cabinet échange actuellement avec les représentants du secteur sur les évolutions nécessaires. À l'heure actuelle, il existe trois lignes budgétaires différentes pour le même objet, ce qui nuit à la visibilité de l'action de l'État. Nous voulons réviser et simplifier le mode de financement par l'État des entreprises adaptées par l'État, définir des règles pour inciter les travailleurs handicapés à rendre plus dynamique leurs parcours professionnels comme la valorisation des compétences, leur promotion en interne, ou encore la mobilité au sein de la structure elle-même ou vers d'autres entreprises.
Les entreprises adaptées sont un modèle original d'entreprises ordinaires « inclusives ». Pour elles plus que pour d'autres, le principal enjeu est de concilier progrès social lié à l'insertion sociale des personnes en situation de handicap et performance économique. Ces entreprises peuvent être un tremplin vers l'emploi durable. Des effets sont attendus en 2019 ; en 2018, nous visons plutôt la stabilisation.
Enfin, les budgets de fonctionnement des missions locales des établissements pour l'insertion dans l'emploi (Épide) ou encore des écoles de la deuxième chance, qui obtiennent de bons résultats, sont stabilisés à 285 millions d'euros.
En ce qui concerne l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), la subvention est stable à 110 millions d'euros. Nous avons dû accorder des crédits supplémentaires pour la fin de l'année. Nous travaillerons dans les prochains mois à un plan stratégique sur le moyen et le long terme car l'Afpa a besoin de davantage de visibilité.
En ce qui concerne les maisons de l'emploi, leur financement a été légèrement réévalué à l'Assemblée nationale pour atteindre 12 millions d'euros en 2018, de façon à accompagner le retrait de l'État. Ce dispositif n'est en effet pas une priorité nationale, même s'il n'est pas inutile. De ce point de vue, nous nous inscrivons, chose rare, dans la continuité du gouvernement précédent.
Cette mission participe pleinement à l'action du Gouvernement en faveur du pouvoir d'achat et de la baisse du coût du travail. Elle compense ainsi plus de 4,5 milliards d'euros d'exonérations de cotisations sociales qui bénéficient à des secteurs d'activité nécessitant un effort particulier de l'État.
Ce budget de transformation se traduit aussi par des ajustements. En termes de périmètre, d'abord, puisque la mission « travail et emploi » accueillera en 2018 l'allocation de solidarité spécifique (ASS) dotée de 2,4 milliards d'euros. Son financement sera désormais pleinement assuré par le budget de l'État, sans perte pour les bénéficiaires.
De même, bien que la dotation de l'État à Pôle emploi - 10 % des programmes 102 et 103 - évolue à la baisse, elle sera plus que compensée par les ressources dynamiques assises sur la masse salariale, versées par l'Unédic.
Nous engagerons dans les prochains mois avec l'Unédic et Pôle emploi des discussions pour fixer le cadre d'une nouvelle convention tripartite et pluriannuelle pour Pôle emploi. Les objectifs et moyens de Pôle emploi seront ainsi examinés à l'aune des réformes que je souhaite défendre d'ici à la fin de l'année 2018.
Ce budget est en phase avec notre volonté d'apporter une attention particulière au dialogue social et à la situation des entreprises : 112 millions d'euros seront notamment provisionnés pour le dispositif d'activité partielle.
Les services déconcentrés de l'État bénéficieront de 52 millions d'euros pour leurs interventions en matière d'appui aux filières, aux branches et aux entreprises.
En outre, le fonds de financement des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d'employeurs sera abondé par une subvention stable de l'État, à hauteur de 97,8 millions d'euros.
Avec 13,7 millions d'euros, le financement de la formation des conseillers prud'hommes est doublé afin d'appuyer le renouvellement des 14 512 conseillers prud'hommes. Les crédits dédiés à la santé et à la sécurité au travail s'élèvent à 24,1 millions d'euros.
Enfin, mon département ministériel comptera l'an prochain 9 250 emplois en administration centrale et dans les services déconcentrés, soit une légère réduction des effectifs. Je salue à cette occasion le travail au quotidien de ces femmes et de ces hommes ; l'évolution de leurs missions sera au coeur du chantier interministériel « Action Publique 2022 ».
La mission « travail et emploi » s'inscrit donc dans le triptyque « protéger, libérer, investir ». L'objectif est d'accompagner les réformes profondes et nécessaires en cours. Ce budget nous permettra de saisir pleinement les opportunités offertes par le retour de la croissance en mettant le pied à l'étrier à de très nombreux jeunes, aux demandeurs d'emploi et aux personnes les plus fragiles, tout en répondant aux besoins de recherche de compétences et donc de développement des entreprises françaises.
Avant de passer la parole au rapporteur pour avis, je vous informe que nous entendrons mardi prochain, à quatorze heures trente, Jean Bassères, directeur général de Pôle emploi, en vue de sa reconduction à ses fonctions.
Votre exposé, madame la ministre, apporte des éclaircissements sur certains points que je souhaitais aborder.
S'agissant des contrats aidés, les acteurs du monde associatif ont besoin de pédagogie et de vision à moyen terme pour adapter leurs comportements. Combien de contrats le Gouvernement souhaite-t-il financer chaque année pendant le quinquennat ? La cible de 200 000 contrats sera-t-elle maintenue l'an prochain ?
Le Gouvernement a choisi de fixer aux préfets quatre priorités pour prescrire des contrats aidés : l'accompagnement des enfants handicapés en milieu scolaire, l'urgence sanitaire et sociale, l'outre-mer et les communes rurales. Or les responsables d'Emmaüs, que j'ai rencontrés hier, sont très inquiets sur la pérennité de leurs quatre-vingts comités d'amis qui emploient encore aujourd'hui 600 contrats aidés. Pourquoi ne pas fixer comme cinquième priorité la qualité de l'accompagnement offert aux personnes les plus éloignées de l'emploi ? Le Gouvernement pourrait ainsi encourager les associations qui ont des résultats sur le terrain.
Les préfets ont déjà fait connaître leurs intentions. Dans certains secteurs, ils accordent davantage de contrats que ce qui est demandé alors qu'ils n'en offrent aucun aux associations dans d'autres. Le Gouvernement devrait donner des instructions pour mettre l'accent sur cette priorité.
J'ai eu l'honneur d'être rapporteur de la loi ratifiant l'ordonnance qui modifiait le statut de l'Afpa. Les différents groupes du Sénat avaient bien souligné que le changement de statut ne suffirait pas à résoudre ses problèmes. Nous avons une difficulté en ce qui concerne la pyramide des âges mais il y a aussi un problème culturel : il n'est pas évident pour le personnel de passer du statut associatif à celui d'établissement public. Suite à la vacance du poste de président de l'Afpa, quel sera le profil du nouveau président de l'agence ?
Le Gouvernement souhaite développer les emplois francs. Il semble tirer les leçons de l'échec de 2013 en ouvrant davantage le dispositif et en retenant très peu de critères. L'aide sera en effet accordée à toute entreprise qui embauche en CDI ou en CDD de plus de six mois un demandeur d'emploi qui réside dans un quartier prioritaire de la politique de la ville. Aucune condition de diplôme ni d'âge n'est exigée et aucun secteur d'activité n'est ciblé. Ne trouvez-vous pas excessif le coût global de cette expérimentation, évalué par vos services à 458 millions d'euros en autorisations d'engagement et à 307 millions d'euros en crédits de paiement ?
Concernant la réforme de l'apprentissage, quelle place faut-il accorder aux régions et aux branches professionnelles ? Les régions n'ont-elles pas un rôle essentiel de pilotage à jouer afin d'assurer une égalité de traitement entre les citoyens à travers une forme de péréquation entre branches ?
Il existe des priorités géographiques et thématiques en ce qui concerne les contrats aidés. Les priorités géographiques sont l'outre-mer, les communes rurales et les quartiers prioritaires de la politique de la vile. Parmi les priorités thématiques, figure l'accompagnement des élèves handicapés. Nous avons voulu assurer la rentrée scolaire, mais un plan d'intégration est mis en place au sein de l'Éducation nationale où la logique est un peu différente : ce ne sont pas les personnes en difficulté qui ont vocation à accompagner les élèves handicapés.
Il existe une priorité dans le secteur social et sanitaire, notamment pour accompagner l'insertion, l'apprentissage des codes sociaux, la formation. Le secteur associatif, très mobilisé sur les publics les plus en difficulté, possède une expertise qu'il faut valoriser. Il est choquant de constater que certaines structures recourent systématiquement aux contrats aidés, qui sont par nature des contrats précaires, pour répondre à des besoins durables. Les préfets, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) et Pôle emploi devront se livrer à une appréciation qualitative pour identifier les secteurs où des contrats aidés doivent être prescrits. Une circulaire sera adressée très prochainement en ce sens aux différents services.
Nous privilégions désormais une approche qualitative nous ne supprimons que les contrats aidés dans le secteur marchand. L'investissement doit être efficace pour les personnes concernées. Le pire serait d'engendrer de faux espoirs en ne créant que des emplois précaires alors que les personnes sont désireuses de réintégrer le marché du travail. Le contrat aidé est un sas et non une fin en soi : il doit être efficace et déboucher sur un emploi durable. L'année 2018 nous permettra de mieux calibrer le volume des contrats aidés les années suivantes.
Les investissements massifs en matière de qualification et d'apprentissage doivent permettre notamment aux jeunes non diplômés de s'orienter vers une formation qualifiante, préférable aux contrats aidés : la meilleure protection contre le chômage, c'est la compétence.
Le marché du travail va mieux mais nous devons veiller à ne pas substituer de l'emploi aidé à de l'emploi réel.
Les associations bénéficieront l'an prochain d'aides financières importantes via le crédit d'impôt sur la taxe sur les salaires, soit environ 500 millions d'euros en 2018. En 2019, elles bénéficieront de la transformation en baisse de charges du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), soit près de 1,5 milliard d'euros. Quoi qu'il en soit, il faut bien distinguer la problématique du financement des associations de celle de l'accès à l'emploi pour les personnes en difficulté.
La transformation de l'Afpa en établissement public au 1er janvier 2018 constitue un changement culturel majeur. Vous avez évoqué la pyramide des âges ; mais les missions de l'Afpa ont aussi évolué car le monde de la formation et les besoins ont changé. L'Afpa n'exerce pas que des missions de service public mais elle est aujourd'hui trés concurrencée par des organismes privés. Vous m'avez interrogée sur le profil du nouveau président. Celui-ci sera nommé prochainement ; il ne devra pas s'occuper de l'opérationnel mais devra animer la réflexion stratégique du conseil d'administration.
En ce qui concerne les emplois francs, l'expérimentation coûte assez cher, sauf si elle fonctionne ! L'idée est de toucher 25 % de ces quartiers et d'obtenir un effet de masse. Il est important de démontrer que ce n'est pas parce qu'on habite tel ou tel quartier qu'on a moins de chance d'avoir un emploi. Il faut créer une dynamique pour prouver que la vision a changé. Aujourd'hui, le taux de chômage est deux fois plus important dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville qu'ailleurs. Nous devons donc engager une action assez vigoureuse si nous voulons des résultats. Avant de généraliser le dispositif en 2020, le Gouvernement remettra un rapport au Parlement.
Effectivement, les critères retenus sont peu restrictifs, preuve qu'il est possible d'apprendre des erreurs des autres. De trop nombreux critères avaient été retenus en 2013. Du coup, moins de 300 personnes ont pu bénéficier du dispositif sur la France entière ! Nous souhaitons pour notre part produire un effet de masse. Il n'y a aucune raison notamment de prévoir des discriminations selon l'âge.
En ce qui concerne la réforme de l'apprentissage, vous m'avez demandé quelle place il fallait accorder aux régions et aux branches. À l'heure actuelle, notre pays compte seulement 7 % d'apprentis parmi les 16-26 ans. Pourtant, même si son image est négative auprès de certains de nos concitoyens, l'apprentissage est une voie de réussite : 69 % des apprentis ont un contrat de travail après six mois de recherche. De plus, les pays européens les moins frappés par le chômage de masse des jeunes ont tous développé l'apprentissage. En Suisse, par exemple, 65 % des jeunes passent par l'apprentissage, les passerelles étant nombreuses avec les autres modes de formation. Cette idée de passerelle sera inscrite au coeur de notre réforme car il ne paraît pas raisonnable de demander à des individus si jeunes de choisir définitivement une option, d'autant que nombre d'entre eux devront changer plusieurs fois de métier au cours de leur vie professionnelle.
Aujourd'hui, 1,3 million de jeunes n'entrent dans aucune case : ils n'ont pas d'emploi mais ne sont inscrits ni à l'école, ni à l'université, ni en formation. C'est un gâchis humain énorme, une perte de compétitivité pour l'économie et un risque pour la cohésion sociale.
Voilà pourquoi nous appelons à une révolution copernicienne sur l'apprentissage car il ne se passera rien si les lignes ne bougent qu'à la marge. Des concertations ont été ouvertes en ce sens il y a quelques semaines et dureront jusqu'à la fin du mois de janvier. Nous élaborerons ensuite un projet de réforme que nous présenterons au mois d'avril.
Rien n'est encore décidé mais, dans les pays où l'apprentissage est développé, les entreprises et les branches jouent un rôle beaucoup plus important que chez nous. En France, elles ont à l'heure actuelle un rôle secondaire. On pourrait même dire qu'elles sont assises sur un strapontin ! Certes, elles sont consultées mais elles sont peu responsabilisées. Or un contrat de travail est un engagement. Nous devons donc modifier notre façon d'envisager les choses, tout en respectant la compétence décentralisée des régions afin que les stratégies des différents acteurs déployées ne se nuisent pas.
Je ferai entendre une voix différente de celle exprimée par le rapporteur pour avis. Nous sommes totalement opposés à votre approche en matière de contrats aidés. Pour des territoires ruraux comme le mien, qui connaissent un taux de chômage très élevé, ainsi que des situations de détresse et de grande précarité, la décision brutale prise l'été dernier de supprimer ces emplois est un véritable coup de poignard en direction des collectivités, qui déploient beaucoup d'énergie pour organiser des services à l'attention du public, en particulier dans le secteur de la solidarité, de l'éducation et de la culture. C'est aussi un coup de poignard pour les personnes qui bénéficiaient de ces emplois.
Vous avez dressé un portrait favorable de la garantie jeunes. Une hausse de 18 % de ses bénéficiaires apparaît pour 2018 mais je note dans le même temps une baisse de 9 % des crédits. N'y a-t-il pas là une contradiction ?
Concernant l'insertion des travailleurs handicapés, le nombre d'aides au poste dans les entreprises adaptées a fortement augmenté ces dernières années. Le projet de loi de finances pour 2018 prévoit de nouvelles hausses. Néanmoins, il introduit également la dégressivité de l'aide au poste après les premiers mois de travail : il manque donc 8 millions d'euros pour que le dispositif puisse être réellement opérationnel. La volonté affichée par le Gouvernement n'entre-t-elle pas en contradiction avec les moyens mis en place ?
Pour finir, les emplois francs ne sont-ils pas une forme de contrats aidés dans le secteur marchand en ville ? Des emplois spécifiquement destinés à ces quartiers ont déjà été mis en place. La dernière tentative en date remonte à 2013, avec pour seul résultat un effet d'aubaine, accompagné il est vrai d'une forte médiatisation ! Comment pouvez-vous être certaine que ces emplois francs rempliront cette fois leurs objectifs ?
Vous supprimez les contrats aidés du secteur marchand. Or les emplois francs dans les villes ne sont ni plus ni moins qu'une nouvelle forme de contrats aidés dans le secteur marchand ! On connaît les fractures qui existent dans certains quartiers. Mais il existe aussi des fractures entre le monde rural et le monde urbain. Le taux de chômage est très élevé dans les campagnes, sans parler des problèmes de transport. Pourquoi ne faites-vous rien pour l'emploi en milieu rural ?
Nous ne partageons pas toutes vos approches madame la ministre notamment sur les contrats aidés. Depuis quelques décennies, les départements sont animés par de nombreuses structures : missions locales, maisons de l'emploi, associations, etc. Or, les mesures annoncées cet été sur les contrats aidés en ont perturbé beaucoup, à la veille de la rentrée scolaire. Vous dites que les 200 000 contrats maintenus le seront prioritairement dans le monde scolaire et les communes rurales ; mais selon quels critères ? Vous nous devez des précisions.
La suppression progressive des subventions aux maisons de l'emploi n'est pas une bonne chose. Elles sont maltraitées tous les ans ! Tous les gouvernements successifs y ont contribué, dites-vous ; mais les parlementaires s'y opposent chaque année et le ministre finit par abonder leur budget. Ces maisons de l'emploi sont indispensables dans nos départements.
Il est bon d'augmenter les aides au poste pour les travailleurs handicapés mais il l'est moins de supprimer les prises en charge car les entreprises adaptées ne peuvent pas forcément financer ces postes.
Où en est l'expérimentation du dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée » dans les dix territoires retenus ? Allez-vous l'élargir aux autres villes qui étaient candidates ?
On parle beaucoup de formation mais peu des centres de formation susceptibles d'accueillir tous ces jeunes. Y a-t-il suffisamment de centres de formation, quel que soit le diplôme préparé ? Leur financement restera-t-il fondé sur la taxe d'apprentissage ? Cette logique fiscale a ses défauts : les formations de niveau IV et V, très utiles pour les jeunes en difficulté, ont généralement lieu dans des petites entreprises, exonérées de taxe d'apprentissage, ce qui réduit d'autant le financement des centres de formation. Sans compter que les grandes entreprises monopolisent les financements pour les redistribuer dans leur réseau plutôt que de les affecter aux véritables besoins.
Je me réjouis de l'effort sans précédent consenti en faveur de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Qu'une formation soit nécessaire pour renforcer l'utilité des contrats aidés, soit ; mais ils ont aussi un rôle social très important, qui ne doit pas être abandonné, notamment en zone rurale. Je rejoins notre collègue René-Paul Savary sur les emplois francs. Dans certains secteurs, et dans les territoires ruraux, menacés de désertification et où les TPE sont peu implantées, il serait utile de les expérimenter.
Je me réjouis d'entendre citer l'exemple suisse, pays dans lequel j'ai travaillé dix-neuf ans. L'apprentissage me tient à coeur -j'ai d'ailleurs rédigé en 2012 un rapport sur les collectivités territoriales et l'emploi. Si tous les parlementaires avaient un enfant passé par l'apprentissage, nos débats seraient plus éclairés... En Allemagne et en Suisse, l'apprentissage est développé grâce à une meilleure orientation au collège et à la possibilité d'y entrer à tout moment de la vie -y compris après des études de médecine, par exemple ! Leur système peut nous inspirer. L'apprentissage est en outre impossible sans le soutien des parents, il faudra donc trouver une forme d'accompagnement des enfants au collège.
La baisse drastique des crédits consacrés en 2018 aux contrats aidés est regrettable car c'est un outil important pour rendre efficace la politique de l'emploi. Il est sans doute perfectible mais il permet aux personnes qui en bénéficient de remettre le pied à l'étrier en les obligeant à se lever le matin, en leur offrant un cadre, en leur rendant leur dignité, et il débouche parfois sur un contrat pérenne. Il permet en outre aux communes petites et moyennes, qui subissent de plein fouet les baisses de dotations de l'État, d'offrir un service public de qualité. Les associations de mon département souffriront gravement de la diminution des contrats aidés, comme la Ligue de l'enseignement dont les activités d'éducation, de formation et d'accès à la culture seront réduites, ou les banques alimentaires qui luttent au quotidien contre la précarité. « Mieux vaut un contrat aidé que le chômage », voilà ce que j'entends sur le terrain. Non madame la ministre, il n'y a pas de profiteurs du système, personne ne part en vacances avec les allocations chômage, on survit, madame la ministre. Je demande donc au Gouvernement de revenir sur sa réforme des contrats aidés.
Aucune réforme de l'apprentissage ne sera efficace sans les entreprises ni les employeurs. Que pensez-vous du mode de rémunération actuel des apprentis, qui varie en fonction de l'âge et non du niveau de formation ? N'est-ce pas un frein à l'embauche, notamment chez les artisans et dans les petites entreprises ?
Je partage l'avis de notre collègue Yves Daudigny sur les contrats aidés. La brutalité de la décision de l'été est insupportable. Les communes n'embauchent pas en contrat aidé par plaisir : elles n'ont plus les moyens d'agir autrement ! Le développement de l'intelligence artificielle va raréfier certains emplois, surtout ceux des personnes en contrat aidé qui ne trouvent pas d'emploi classique dans le secteur concurrentiel -il en va ainsi de certains saisonniers dans l'agriculture. Mieux vaut être en contrat aidé qu'à la maison à toucher le RSA ! Surtout, n'oublions pas la dignité de la personne humaine.
Le cadre juridique de l'apprentissage change à chaque gouvernement, voire à chaque budget. Je connais de nombreuses entreprises qui renoncent à recourir à l'apprentissage après une mauvaise expérience car les jeunes manquent aussi de savoir-être. Leur formation peut être bonne mais s'ils ne savent pas se conduire correctement lors d'un entretien ou respecter la hiérarchie, ils ne s'inséreront jamais dans l'emploi.
Certaines maisons de l'emploi ne fonctionnent pas, c'est vrai. Mais celles qui fonctionnent fournissent une aide essentielle en matière de formation. Cessons de supprimer sans discernement leurs crédits et laissons les collectivités adapter les dispositifs aux réalités du terrain.
Le mal-être en entreprise augmente. Or les crédits de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) et de la médecine du travail, deux outils essentiels, sont réduits. Ce n'est pas cohérent.
Je partage les observations de tous mes collègues sur les emplois aidés. Où est la cohérence quand le Gouvernement supprime des contrats aidés pour lutter contre la précarité, tout en modifiant le code du travail pour accroître la flexibilité des salariés... Les contrats aidés entraînent parfois de la précarité mais tout le monde n'est pas éligible à une formation. Certaines personnes ne trouveraient pas d'emploi si seules les compétences étaient prises en compte ; elles n'en ont pas moins besoin de vivre et nous devons leur assurer la dignité en aidant à leur embauche.
Le Président de la République a fait de l'égalité entre les femmes et les hommes une grande cause du quinquennat. Le chantier de la lutte contre les violences faites aux femmes est très bien engagé ; le prochain chantier sera celui de l'égalité salariale. Or, sur ce sujet, la position du monde patronal est contradictoire : on ne peut vouloir à la fois l'égalité salariale et la baisse du coût du travail... Quelles sont vos pistes de travail ? Et où en est la refonte des grilles de classification, qui est une des causes de l'inégalité salariale entre les femmes et les hommes ?
Je partage les remarques de Yves Daudigny. Ancienne présidente, pendant douze ans, d'une mission locale départementale, je sais que la garantie jeunes est l'un des outils les plus efficaces pour l'insertion des jeunes dans l'emploi. Mais en zone rurale, les objectifs assignés à chaque département semblent difficiles à atteindre. Le cahier des charges est lourd en termes d'investissements, de locaux, de personnel... Que se passera-t-il si les crédits de fonctionnement diminuent ? Les conditions d'accès au dispositif, draconiennes - il ne s'adresse en effet qu'aux jeunes les plus en difficulté - devraient en outre être assouplies.
Madame la ministre, vous avez parlé de révolution copernicienne pour l'apprentissage. Il faut travailler avec l'Éducation nationale pour orienter dès la fin du collège les élèves qui ne peuvent faire un cycle long et encourager les secteurs pilotes dans les territoires d'outre-mer.
Les départements d'outre-mer sont-ils aussi concernés par l'expérimentation sur les emplois francs ?
Une association réunionnaise, le Comité national d'accueil et d'action pour les Réunionnais en métropole, qui bénéficie notamment du Fonds social européen et du soutien des collectivités, encourage la mobilité des Réunionnais vers le territoire métropolitain. Elle fonctionne très bien, à telle enseigne que les entreprises de métropole lui ont confié 1 845 offres d'emploi en 2017, contre 1 326 en 2016. La majorité de ces entreprises sont prêtes à continuer de lui confier des offres, y compris en CDI, à condition que les salariés bénéficient d'une formation. Ces employeurs appréciant le savoir-être des Réunionnais, ne pourrions-nous mettre en place de telles formations de courte durée, sous forme de préparation opérationnelle à l'emploi, financées par Pôle emploi ?
Les départements d'outre-mer, la Guadeloupe au premier chef, comptent parmi les territoires les plus vieillissants du pays et ils n'ont pas suffisamment d'entreprises pour permettre aux jeunes de trouver un emploi. Les formations existent mais les entreprises ne sont pas toujours en mesure de verser une gratification. En conséquence, les jeunes abandonnent trop souvent leur formation en alternance. Il faudrait aider les entreprises qui accueillent des personnes en alternance car trop de jeunes partent en métropole pour ne plus revenir, ce qui accroît le vieillissement de nos territoires. Autre piste : les services académiques devraient prendre en compte très tôt, dès le CM2, les résultats des jeunes pour anticiper leurs orientations, en fonction de leurs capacités.
La fin des contrats aidés entraîne de lourdes conséquences dans les territoires. Une commune de mon département a même dû reporter sa rentrée scolaire de quelques jours pour y faire face et je ne dis rien de l'inquiétude de certaines associations sur la pérennité de leur activité. Les emplois d'avenir comportent des actions de formation obligatoires et offrent un accompagnement de trois ans avec l'aide des missions locales : c'était une bouffée d'oxygène pour de nombreux jeunes à même de concevoir de nouveaux projets. Ces contrats permettent aussi aux collectivités d'organiser le passage de témoin d'agents titulaires partant à la retraite. Dans le secteur non marchand, certaines personnes n'ont pas le niveau pour entrer en formation ; elles ont besoin d'une étape d'accompagnement au retour vers l'emploi, que constituent les contrats aidés.
Les recettes du Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) diminuent compte tenu de l'augmentation du taux d'emploi des personnes handicapées. C'est une bonne chose car on se rapproche de l'obligation d'employer 6 % de travailleurs handicapés mais les dépenses du fonds augmentent également pour financer les adaptations des postes de travail. Où en est la réflexion du Gouvernement sur l'avenir du Fonds ?
L'apprentissage ne doit pas être un choix par défaut ; il doit être rendu accessible à tous les niveaux de qualification, du CAP à l'enseignement supérieur, à tout moment du parcours de formation. Il doit aussi contribuer à l'élévation du niveau de formation : nous l'avons conçu ainsi en Normandie. Cela suppose de changer l'image, souvent négative, de l'apprentissage dans notre pays.
Je crois dans les emplois aidés, à condition que leur évaluation soit faite et qu'ils servent à atteindre les objectifs fixés. Ils sont utiles dans certaines communes, dans le périscolaire par exemple, notamment dans les communes rurales, mais aussi dans les associations d'insertion ou humanitaires, à la condition qu'ils permettent d'obtenir un CDI.
Je crois aussi dans le service public. Je préside une mission locale et une maison de l'emploi dont j'ai engagé la fusion car j'y vois une source d'efficacité et d'efficience - je ne suis d'ailleurs pas le seul puisque dans les Hauts-de-France, une telle fusion a été engagée dans de nombreuses villes. Ne faut-il pas simplifier le paysage actuel des acteurs de la politique de l'emploi ? Il repose sur les maisons de l'emploi qui portent la coordination avec Pôle emploi. Chez moi, la maison de l'emploi fait office de plateforme. Alors que les chambres de commerce ont presque disparu, les entreprises n'ont plus comme interlocuteurs que les conseillers que nous avons formés, chez Pôle emploi, dans les maisons de l'emploi ou dans les départements. Il faut, je crois, revoir l'architecture d'ensemble.
Faire de la formation des jeunes décrocheurs et des jeunes sans qualifications une priorité est une très bonne chose. Comment mettre en adéquation ces formations avec les besoins des entreprises dans les territoires ? Certains secteurs - la filière bois par exemple - ont des attentes spécifiques.
Pourquoi ne pas étendre les emplois francs à tous les quartiers prioritaires au sens de la politique de la ville ?
J'ai rédigé avec Jean-Pierre Godefroy un rapport d'information sur les mineurs non accompagnés. Ils sont souvent incités à signer un contrat d'apprentissage car c'est la voie de formation la plus rapide mais selon les départements, il n'est pas fait la même lecture de l'obligation de formation de six mois que prévoit la circulaire Valls, d'où des disparités dans la politique de délivrance des autorisations de travail. Comment y remédier ?
Je vous dirai les choses comme je les vois, sans polémique, par respect pour le débat public.
Les contrats aidés doivent d'abord être analysés à l'aune de leurs résultats en matière d'insertion professionnelle car nous devons aux personnes éloignées de l'emploi de l'efficacité, et non des dispositifs en trompe-l'oeil, qui peuvent parfois entraîner des pertes de chances et des faux espoirs. Dans le secteur marchand, ils génèrent des effets d'aubaine ; dans le secteur non marchand, ils affichent le taux d'insertion le plus bas de tous les dispositifs existants parmi les outils de la politique pour l'emploi : 26 %. Ceux qui fonctionnent mêlent trois ingrédients : l'accompagnement, la formation et l'expérience professionnelle. Les dosages varient : l'insertion économique privilégie le travail, la formation qualifiante mise davantage sur la formation. La majeure partie des contrats aidés n'offre pas ces trois composants. Le taux de 26 % est une moyenne : selon les cas, le taux d'insertion est plus proche de zéro ou de 60% : il faut donc accompagner et former les personnes, et évaluer la qualité des dispositifs -ceux qui fonctionnent seront maintenus.
J'ai déjà répondu sur l'aide aux collectivités territoriales et aux associations : 1,5 milliard d'euros d'aide leur sera mécaniquement attribué via le crédit d'impôt sur la taxe sur les salaires et la transformation du CICE en baisse de charges, ce qui représente un peu plus que ce qu'elles percevaient pour les contrats aidés. Je ne suis pas certaine qu'il soit sain que certaines grandes villes - je dis bien certaines seulement - embauchent plus de mille personnes en contrat aidé pour les cantines scolaires et privilégient la rotation du personnel au renouvellement des contrats... Résultat : on entretient l'espoir de ces personnes pour mieux les décevoir ! J'en ai rencontrées qui étaient persuadées de garder leurs postes... Ce n'est pas responsable. Bref, les contrats aidés ne sont qu'un outil parmi d'autres dans la palette dont nous disposons ; 200 000 d'entre eux seront maintenus.
Brutalité, dites-vous ? Je voudrais rappeler la responsabilité du gouvernement précédent. Je n'aime pas tenir ce genre de propos mais vous m'y poussez. En 2016, 460 000 contrats aidés étaient prévus - au passage, depuis vingt ans, le chiffre gonfle toujours avant les élections mais ce doit être une coïncidence... - mais seulement 280 000 figuraient en loi de finances initiale pour 2017 : la brutalité était donc programmée. Les préfets avaient en outre reçu instruction d'en consommer 80 % au premier semestre 2017, en sorte que fin mai, il n'en restait presque plus. Nous en avons précisément ajouté 40 000 cette année pour amortir la brutalité de cette méthode...
De nombreuses entreprises ne trouvent pas les compétences qu'elles recherchent car nous avons vécu très longtemps avec un chômage de masse qui a durablement éloigné de l'emploi certaines personnes. L'emploi aidé qualitatif, ciblé, exigeant, permet d'y faire face, de même que les entreprises et chantiers d'insertion. Mais on ne peut pas dire aux jeunes que l'emploi aidé est la solution à tout ! On ne doit pas accepter de leur promettre, à vingt ans, que des petits boulots précaires et subventionnés, ce n'est pas ce qu'ils veulent. Il faut investir dans le social, dans l'accompagnement, dans les compétences, dans ce qui a du sens. Le taux de chômage des jeunes à Bac + 2 est de 5,6 % et continue de baisser ; celui des jeunes sans qualification est de 18,6 % : la compétence reconnue sur le marché du travail reste la meilleure arme contre le chômage.
Sur la garantie jeunes, on vous aura mal renseigné : elle concernait 87 000 personnes en 2017, pour 420 millions d'euros ; elle devrait concerner 100 000 personnes en 2018, pour 467 millions d'euros. S'il faut aller plus loin, nous le ferons : le dispositif n'est pas contingenté. Les critères sont larges : il faut avoir entre 18 et 25 ans pour en bénéficier, n'être ni étudiant, ni en formation ni en emploi, et disposer d'un revenu mensuel inférieur à 480 euros. Il cible donc les jeunes en difficulté sociale et prêts à se mettre dans une dynamique de projet. C'est un bon dispositif que nous entendons amplifier. Il est en tout cas préférable à un contrat aidé, contrairement au discours que tiennent certaines missions locales, car il projette les jeunes vers l'avenir.
Le budget des missions locales est maintenu. Elles gagneraient à s'organiser en réseau. J'ai été l'une des trois premières directrices de mission locale en France, il y a fort longtemps, je connais donc bien ces structures. Elles sont censées être des plateformes réunissant tous les acteurs économiques et sociaux de l'insertion des jeunes. Elles gèrent la garantie jeunes, ce qui est une bonne chose à condition qu'elles ne se referment pas sur elles-mêmes.
Les entreprises adaptées bénéficieront de plus de 1 000 aides au poste supplémentaires. Le montant de ces aides passe de 314 à 338 millions d'euros. C'est la subvention spécifique qui diminue, passant de 41 à 33 millions d'euros. Le total est néanmoins en hausse de 4 millions d'euros. Nous travaillons pour transformer le modèle de financement des entreprises en 2019 - car les trois subventions calculées différemment nuisent à la visibilité des établissements - et pour augmenter le niveau de subvention par poste - j'en dirai davantage en séance la semaine prochaine.
Les maisons de l'emploi ont été créées par Jean-Louis Borloo, peu de temps avant Pôle emploi. Les collectivités territoriales se sont alors demandé à quoi elles serviraient et la labellisation a été interrompue dès 2009. Le nombre de maisons de l'emploi a alors beaucoup diminué, les collectivités se recentrant sur la coordination de tous les acteurs.
Beaucoup ont compris en effet qu'elles seraient un Pôle emploi bis, ce qui était une grave erreur.
Certaines collectivités ont craint en effet de devoir coordonner l'action de cette nouvelle structure avec les structures existantes... La maison de l'emploi de Haguenau, où j'étais il y a quelques jours, a été comprise au sens physique du terme : le centre d'information et d'orientation et la mission locale sont dans le même bâtiment, Pôle emploi et l'internat pour les apprentis sont à proximité... Mais il y a de nombreuses manières de procéder. Pour cette raison, les gouvernements, de droite comme de gauche, ont tous réduit leurs financements : 120 millions d'euros en 2005, 90 millions d'euros en 2009, 21 millions d'euros en 2017 ; nous avons prévu 12 millions d'euros en 2018. Nous travaillons avec les collectivités territoriales pour assurer que des synergies soient créées entre tous les acteurs. Nous ne croyons pas utile que l'État finance des dispositifs ad hoc supplémentaires. La coordination locale, elle, a du sens.
L'expérimentation du dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée » se poursuit. Elle est appréciée localement. En 2018, 1 100 ETP supplémentaires y seront affectés, soit 700 de plus qu'en 2017, pour un montant de 18 millions d'euros. Pour aller plus loin, une évaluation sera nécessaire.
Faut-il privilégier les emplois francs en milieu rural ? Nous préférons y concentrer les contrats aidés. Le problème auquel les emplois francs tentent de répondre est celui de la discrimination -au faciès ou à l'adresse- et non seulement celui des difficultés objectives d'accès à l'emploi. Nous travaillons également sur l'aide à la mobilité et à l'accès au logement car d'un bassin d'emploi à un autre, le taux de chômage oscille entre 5 % -le niveau du chômage frictionnel- et 40 %, en raison de la difficulté à se loger ou à se déplacer. Nous en discutons avec les collectivités territoriales.
La réforme de l'apprentissage suscite, je m'en réjouis, beaucoup de questions ! Nous en reparlerons en avril. L'orientation sera une question clé. Je mène actuellement les concertations avec Frédérique Vidal et Jean-Michel Blanquer : que les vues des ministres du travail, de l'enseignement supérieur et de l'éducation nationale convergent, c'est inédit.
L'apprentissage est une voie de réussite. Son image a beaucoup évolué en France, les sondages le montrent mais il reste encore des freins à lever.
Le budget de l'Anact passera de 10,26 millions d'euros en 2017 à 10,05 millions d'euros en 2018, en raison de la hausse de sa productivité - l'agence est bien gérée. Sa mission est très importante. Agnès Buzyn et moi-même avons confié à Jean-François Naton, de la CGT, au consultant Bruno Dupuis, et à la députée Charlotte Lecoq une mission sur la santé au travail dont les conclusions sont attendues pour mars 2018. Ce sujet, comme celui de la médecine du travail, constitue une préoccupation forte pour le Gouvernement.
Le contrôle de la recherche d'emploi n'a rien de choquant en soi : personne n'imaginerait que l'on puisse se passer de contrôle en matière d'impôts ou de cotisations sociales. Le contrôle mené par Pôle emploi sur 300 000 demandeurs d'emplois a révélé que 14 % n'effectuaient pas de recherche effective d'emploi. Le contrôle n'a de sens que si l'on accompagne fortement ces personnes. Certaines sont tout simplement découragées. La très grande majorité des demandeurs d'emploi veulent vraiment en trouver un, je n'ai aucun doute à ce sujet. Mais là comme ailleurs - ni plus ni moins -, il y a des exceptions.
Le savoir-être est en effet un aspect très important de la formation. L'absence de maîtrise des codes sociaux de base - respect des horaires, compréhension des relations de travail, etc. - est souvent un frein à l'embauche. Le plan d'investissement dans les compétences mettra l'accent sur cet aspect.
L'égalité salariale entre les femmes et les hommes exige une mobilisation collective car l'inégalité est un véritable fait de société. J'ai saisi les partenaires sociaux il y a dix jours sur les violences sexistes et sexuelles et le harcèlement au travail, dans le secteur public comme privé. L'arsenal législatif existant suffit. Les difficultés actuelles sont la charge de la preuve et la prévention. J'attends les propositions des partenaires sociaux pour le 15 décembre. Je vais m'investir beaucoup sur ce sujet, car voilà trente ans que les obligations législatives ne sont pas remplies. A qualification et travail égal, l'écart de rémunération atteint 9% ; compte tenu des différences de carrières, l'écart atteint 20 %, voire 25 %. La loi sur le renforcement du dialogue social en a fait un sujet prioritaire. Les ordonnances portant réforme du code du travail renforcent le rôle des branches dans les négociations sur l'égalité hommes-femmes et exigent l'avis conforme du conseil d'entreprise sur deux sujets : la politique de formation professionnelle et l'égalité entre les hommes et les femmes. Il n'y a pas pléthore de solutions pour parvenir à l'égalité salariale : les augmentations de salaires devront profiter davantage aux femmes qu'aux hommes.
L'expérience de La Réunion est intéressante : nous touchons du doigt justement ce que nous voulons développer. Nous en discuterons avec la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle et Pôle emploi. Je me rendrai en Guadeloupe mi-décembre. Réfléchissons ensemble sur les moyens de susciter la création d'activités dans les territoires d'outre-mer, notamment dans l'économie sociale et solidaire mais aussi dans le bâtiment, l'hôtellerie et la restauration, secteurs qui recourent à la main d'oeuvre extérieure, ce qui est un comble ! Nous veillerons aussi à renforcer les filières de formation dans ces secteurs. Un plan d'action spécifique sera mis en oeuvre.
Le problème des jeunes décrocheurs doit être traité avec celui des besoins des entreprises. La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences par secteur et par territoire sera une composante majeure de la réforme de la formation professionnelle. Certes, on ne peut prévoir l'avenir mais certains pays parviennent à avoir une vision claire de leurs besoins. Ce sera une priorité du plan d'investissement dans les compétences. Nous accompagnerons la transformation numérique, la transition écologique, les priorités identifiées par les schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation, et prendrons en compte la vision qu'ont les branches de l'avenir des métiers. Nous commençons à bénéficier d'une analyse des big data sur les mouvements de personnel, que nous mettrons à la disposition des branches et des collectivités.
À la suite des travaux d'Élisabeth Doineau et Jean-Pierre Godefroy, un rapport a été confié, en septembre, à Aurélien Taché sur la refonte de la politique d'intégration, qui abordera le sujet des mineurs non accompagnés et leur accès à la formation et l'emploi