Nous recevons ce matin les représentants des organisations professionnelles d'employeurs au sujet du projet de loi de ratification des ordonnances pour le renforcement du dialogue social. Je remercie de leur présence, pour le Medef, M. Alexandre Saubot, vice-président en charge du pôle social ; et pour la CPME, M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général. L'U2P nous adressera, quant à elle, une contribution écrite.
Messieurs, vos organisations étaient venues devant notre commission en juillet dernier pour donner leur sentiment sur le projet de loi d'habilitation et sur les consultations préparatoires à l'élaboration des ordonnances. Un certain nombre de sujets demeuraient alors en discussion et n'ont été tranchés qu'à la fin de l'été, avec la publication des ordonnances. Nous voudrions connaître aujourd'hui vos motifs de satisfaction ou, au contraire, de regret au regard de l'usage que le Gouvernement a fait de la loi d'habilitation et, au final, votre appréciation d'ensemble sur cette réforme touchant à de multiples aspects du droit du travail.
Nous avions eu l'occasion de le dire en juillet dernier, les organisations patronales, et le MEDEF que je représente, portent une appréciation positive sur les orientations prises dans le cadre de la loi d'habilitation ainsi que sur le texte des ordonnances telles qu'elles ont été publiées. Toutefois, nous avons également quelques regrets.
La philosophie de ces ordonnances s'articule autour de deux points. Le choix a été fait du dialogue social, au plus près du terrain, en essayant de lever un maximum de contraintes pesant sur cet exercice. Il a ainsi été décidé d'ouvrir des espaces de liberté. Tout part du principe que les employeurs et les représentants des salariés sont les plus à même de construire des accords, de trouver des équilibres et des solutions dont les entreprises ont besoin pour être à la fois économiquement plus performantes et socialement plus accueillantes. Nous soutenons ce choix et nous avons constaté sa traduction dans un certain nombre de dispositions. Nous regrettons toutefois que les mesures visant à encourager le dialogue social dans les entreprises de moins de cinquante salariés n'aient pas été élargies aux entreprises employant entre 50 à 300 salariés lorsqu'elles sont dépourvues de délégués syndicaux. Mais, dans l'ensemble, les ordonnances vont dans le bon sens.
Le deuxième objectif, au-delà des fantasmes et des inquiétudes exprimés, est de mettre notre droit du contrat de travail et la gestion de ce dernier, notamment dans le pouvoir d'appréciation du juge, aux mêmes standards que ceux existant dans les pays européens. En effet, lorsque des investisseurs doivent choisir un lieu d'implantation, et s'interrogent sur l'attractivité d'un pays, ils doivent voir la France pour ce qu'elle devrait être - une terre d'opportunités par ses salariés de qualité, ses infrastructures, ses compétences et ses ingénieurs -, et non une terre de contraintes.
Vous allez débattre du projet de loi de ratification de ces ordonnances en janvier. Permettez-moi de souligner certaines modifications apportées à l'Assemblée nationale qui laissent poindre, certes de manière discrète mais bien présente, ce tropisme français faisant que l'on a du mal à faire confiance. Aussi, alors même que la philosophie de ce texte était que la loi devait fixer les grands principes et ouvrir des espaces de liberté, et alors même que ces derniers n'ont pas encore vu le jour, la tentation de penser qu'ils pourraient donner lieu à quelque chose de déséquilibré, de dangereux, apparaît. Dès lors, il y a une tentation de restreindre ces espaces.
Je prendrai deux exemples. À l'Assemblée nationale a été réintroduit le contrôle d'opportunité de l'administration sur la rupture conventionnelle collective, qui simplifie et sécurise les plans de départs volontaires. Or, ce contrôle d'opportunité n'existe pas aujourd'hui, par exemple pour les plans de sauvegarde de l'emploi. Mais ici, au motif que cet espace de liberté ainsi créé pourrait être détourné de son objectif d'origine, il a été décidé de l'établir. C'est la meilleure façon de décourager les acteurs d'utiliser cet outil. Le dispositif tel qu'il existe pour les plans de sauvegarde de l'emploi a montré son efficacité. Pour la rupture conventionnelle collective, basée sur le volontariat et qui ne doit donner lieu à aucun licenciement contraint, il est important de garder des marges de manoeuvre. Aussi, l'administration ne devrait disposer que d'un pouvoir de contrôle sur le respect des contraintes fixées par la loi. Je ne voudrais pas qu'à travers ce dispositif nous nous retrouvions avec un outil construit avec les meilleures intentions du monde, mais qui au final ne serait pas utilisé par peur que l'administration, puis le juge, ne viennent faire peser des contraintes qui n'étaient pas dans l'esprit du texte d'origine.
Le deuxième exemple concerne les règles de fixation du budget pour le nouveau comité social et économique. Jusqu'à ces ordonnances, toute augmentation de ce budget devenait pérenne par le biais d'un effet cliquet. Cela avait pour effet de décourager l'employeur de faire des gestes positifs les bonnes années car il devait les maintenir l'année suivante même si la situation financière devenait plus difficile. Le principe porté par le texte initial de l'ordonnance est celui de la libre fixation, par accord, du budget du CSE pour permettre, lorsque les affaires vont bien, de pouvoir faire des efforts, d'accompagner des projets, mais lorsque l'entreprise connait des difficultés, de baisser ce budget à des niveaux économiquement soutenables. Un amendement a réintroduit un mécanisme de cliquet qui va de nouveau faire peser un risque sur cette faculté de construire au plus près du terrain des solutions acceptées par tous. Il s'agissait en effet de pouvoir faire mieux et plus quand la situation économique de l'entreprise le permettait, et de ne pas se sentir piégé en cas de ralentissement économique. L'histoire récente de l'économie française et mondiale l'a montré : notre environnement est moins prévisible, plus variable et alterne désormais avec une fréquence plus grande les bonnes et moins bonnes années. Si l'on souhaite une entreprise innovante, avec des salariés récompensés et des profits partagés, il faut donner à nos entreprises tous les leviers disponibles pour disposer de marges d'adaptation à la conjoncture économique.
De même, un amendement a posé le principe d'une priorité de réembauche d'un salarié en contrat de chantier. Or, ce contrat n'est accessible que par accord de branche. C'est ainsi à la branche de fixer les contreparties et outils adaptés à la réalité du terrain et, si elle l'estime nécessaire, de mettre en place dans son secteur ces contrats de chantier. Ainsi, s'il n'y a pas d'accord de branche, il ne peut y avoir de contrat de chantier. Dès lors, à quel titre la loi vient-elle fixer une contrepartie pour la priorité de réembauche, sans connaître la réalité du secteur, sans savoir les équilibres que les gens souhaiteront trouver ? On vient ainsi limiter la capacité de négociation, préempter une contrepartie possible, qui peut être utile et pertinente dans certains secteurs, mais en avoir beaucoup moins dans d'autres. Si on souhaite acter le principe de faire confiance aux acteurs sociaux, laissons-les construire ce dont ils ont besoin et répondre à un certain nombre de préoccupations. Je tiens à rappeler que pour signer un accord, il faut être deux : les organisations patronales et les organisations syndicales dans les branches, l'employeur et les représentants des salariés dans une entreprise. Tout ce qui est ajouté sans motif d'intérêt général supérieur vient limiter cette capacité de dialogue concret. C'est la meilleure façon de ne pas donner sa pleine mesure à la responsabilité et à l'intelligence des acteurs.
Je souhaite également mentionner, suite à l'adoption en commission d'un amendement à l'Assemblée nationale, la suppression de l'information du juge sur l'indemnité de licenciement versée au salarié lorsqu'il applique le barème impératif. L'ordonnance initiale, dans la perspective d'un encadrement des dommages et intérêts accordés par le conseil des prud'hommes à un salarié licencié sans cause réelle et sérieuse, prévoyait que le juge puisse savoir ce qui avait été versé à l'employé au moment du licenciement. Il avait alors la faculté, et non l'obligation, de prendre en compte l'indemnité de licenciement dans le calcul de l'indemnité versée pour réparer le préjudice du licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dès lors, je ne comprends pas pourquoi cette disposition a été amendée.
De même, au titre de ces petites modifications qui reviennent sur les principes posés par les ordonnances, on peut noter la possibilité d'exercer un droit de rétractation dans le cadre de la rupture conventionnelle collective, calqué sur la rupture conventionnelle individuelle. Or la rupture conventionnelle collective est déjà encadrée par une négociation et une validation par l'administration, qui permettent une gestion des délais et l'appréciation par chacun de la situation. Avec ce droit de rétractation individuelle, on vient allonger la procédure et l'on fait courir un risque juridique qui ne nous semble pas approprié.
Au final, la philosophie de ces ordonnances nous semble intelligente. Nous regrettons, même si ce sont des modifications à la marge, les amendements qui y ont été apportés à l'occasion du débat à l'Assemblée nationale. Ils viennent en effet préempter l'intelligence des acteurs et la confiance que l'on peut leur faire pour trouver les meilleures solutions. Il est dommage, avant même d'avoir permis aux partenaires sociaux d'exercer les nouvelles capacités qui leur étaient proposées, d'apporter d'emblée un certain nombre de contraintes ou de contrôles. J'espère que le Sénat se prononcera pour le respect des grands principes auxquels nous sommes tous attachés : la restauration au maximum d'un espace de liberté, et à tout le moins, attendre que l'une des parties ait fait un usage abusif, intempestif ou dommageable de ces libertés pour venir les restreindre.
Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général de la CPME. - La CPME, que je représente, partage l'avis du MEDEF. Il y a dans ces ordonnances des motifs de satisfaction pour les PME. Je dois insister sur le fait que ces textes sont le fruit d'une longue concertation. Cette dernière s'est inscrite dans la durée, elle s'est faite sous forme de réunions bilatérales avec le Gouvernement ; nous avons également beaucoup échangé avec le Parlement. En outre, cette consultation n'a pas été que formelle. S'agissant de la loi d'habilitation, entre la première version et la version adoptée par le Parlement, il y a eu des évolutions, notamment sur le rôle des branches professionnelles. Je vais vous donner un exemple concret : dans le texte, il est finalement prévu que tous les accords de branche doivent prévoir des stipulations spécifiques pour les PME. C'est un point important pour nous, qui n'existait pas auparavant. Nous avons souhaité qu'une attention particulière soit portée à nos entreprises dans les accords de branche car ces dernières jouent un rôle de régulateur économique et social.
Cette prise en compte historique des spécificités des PME vient rompre avec la frustration que nous avions ressentie par le passé, en particulier lors de la loi dite « El Khomri ». Celle-ci contenait un certain nombre de dispositions que nous jugions intéressantes mais dont nous n'avons pas pu profiter : en effet, la plupart d'entre elles nécessitaient la conclusion d'un accord d'entreprise. Or, dans les PME, la présence syndicale est très réduite. Dès lors, les dispositions de la loi « El Khomri » ont profité davantage aux grandes qu'aux petites entreprises. Ce n'est pas le cas avec ces ordonnances.
La question du dialogue social est fondamentale. Ainsi, lorsqu'il y a des délégués syndicaux, le dialogue passe par eux, mais en leur absence, si l'entreprise est dotée de représentants du personnel, ils auront désormais la faculté de pouvoir conclure un accord. On peut maintenant négocier avec les représentants du personnel, élus par leurs pairs au sein de l'entreprise. C'est une avancée importante que nous réclamions depuis longtemps. En outre, ce texte prend non seulement en compte les PME mais aussi les TPE. Les ordonnances offrent la faculté, dans les entreprises de moins de 20 salariés et en l'absence de représentants élus, de pouvoir recourir au référendum. Cette faculté de négociation directe ne signifie en rien que l'on contourne les syndicats mais on prend en compte la réalité : ces derniers sont très peu présents dans les PME.
Nous sommes convaincus que les ordonnances vont permettre de renforcer le dialogue social dans les petites entreprises : le nombre d'accords va fortement augmenter.
Aujourd'hui, dans la plupart des petites entreprises, le chef d'entreprise dialogue directement avec ses salariés car ce sont des structures à taille humaine, où les accords tacites étaient fréquents. Ils ne pouvaient pas être inscrits dans un texte. Mais les gens s'entendaient en matière d'organisation du temps de travail par exemple. Dorénavant, les choses pourront se faire en toute transparence, en toute légalité via des accords d'entreprise, dans l'intérêt conjoint du chef d'entreprise et des salariés.
Le rôle des représentants du personnel est également appelé à évoluer. En effet, jusqu'à présent, ils étaient essentiellement dans un rôle de revendication. Désormais, ils devront apprendre à négocier, ce qui représente une avancée majeure. Ce texte représente également, à mon sens, une opportunité pour les syndicats. Il va falloir former les représentants du personnel aux techniques de négociation, mais aussi sur le plan juridique. Les organisations syndicales devront être davantage dans une offre de services et moins dans la revendication et la protestation pure et simple. Il s'agit pour eux d'une opportunité s'ils savent s'en saisir.
Un autre volet important est la sécurisation de la rupture du contrat de travail, notamment par la barémisation des dommages et intérêts, qui a fait couler beaucoup d'encre. Auparavant, des petites entreprises se retrouvaient condamnées à payer des sommes importantes, ce qui dans certains cas, pouvait mettre en péril leur survie même. En outre, on constatait une grande hétérogénéité entre les différents conseils de prud'hommes, avec des condamnations qui pouvaient varier dans la proportion de un à quatre. Le barème va donner de la lisibilité et de la clarté aux chefs d'entreprise et aux salariés. En effet, le caractère aléatoire de la situation actuelle joue parfois en faveur de l'employeur, parfois en faveur du salarié.
Une diminution du contentieux est également attendue de cette mesure. Aujourd'hui, l'intérêt commun des employeurs et des salariés est de trouver un accord, de pouvoir se séparer dans des conditions normales grâce à une discussion, sans aller jusqu'au conflit. Ces dommages et intérêts constituent le troisième étage de la fusée et complètent, en cas de rupture sans cause réelle et sérieuse, les indemnités légales et conventionnelles. S'ils ont fait l'objet d'un plafonnement, les indemnités légales ont été revues à la hausse, dans des proportions qui nous ont semblé un peu excessives mais que nous pouvons comprendre.
Sur la question de la fusion des institutions représentatives du personnel, nous y étions favorables. C'est pour nous une mesure de rationalisation. Les représentants dans ce comité social et économique vont avoir un rôle moins compartimenté que celui des représentants dans les anciennes instances. Ils auront ainsi une vision plus globale. Nous espérons que les rapports et les discussions au sein de l'entreprise pourront être plus constructifs. Nous pensons que tout le monde sera gagnant dans cette nouvelle organisation.
Je me permettrai toutefois de signaler un bémol sur cette question : ce texte a laissé de côté la question des seuils sociaux, notamment celui de 50 salariés. C'est un constat et non un jugement de valeur, nous avons aujourd'hui 2,4 fois plus d'entreprises de 49 que de 51 salariés. Ce n'est pas un hasard. En effet, nous avons estimé que le franchissement du seuil de 50 salariés déclenche 35 obligations administratives et financières supplémentaires. Cela n'encourage pas les entreprises à grandir, alors même que l'on se plaint régulièrement du fait que notre tissu économique est constitué d'un trop grand nombre de petites entreprises et qu'il manque d'acteurs économiques de taille moyenne et intermédiaire. Ce seuil constitue un facteur de blocage que ce texte a malheureusement occulté.
Enfin, j'attirerai votre attention - et je partage l'avis d'Alexandre Saubot - sur les modifications apportées au texte initial des ordonnances par l'Assemblée nationale. Dans le même ordre d'idée, je souhaite vous signaler le rétablissement par amendement du droit d'alerte détenu jusqu'à présent par les délégués du personnel pour les atteintes aux personnes dans les entreprises de moins de 50 salariés. On peut en comprendre les raisons. Mais on est parti d'un texte où l'on faisait confiance aux entreprises et il ne faudrait pas que, petit à petit, en retirant ou ajoutant des éléments, on dénature la philosophie initiale des ordonnances visant à renforcer les acteurs du dialogue social.
Nous sommes conscients de la responsabilité et du rôle qui sont les nôtres, après avoir défendu la loi d'habilitation et les ordonnances. J'ai même la faiblesse de penser que nous avons permis une prise de conscience, sans vouloir en revendiquer l'unique paternité, pour un certain nombre de dispositions. Nous devons faire en sorte que les entreprises s'approprient ce texte et que l'on voie les résultats positifs en matière de dialogue social mais aussi d'accélération de la croissance et de l'emploi.
Si j'ai bien compris vos propos, vous jugez le texte initial des ordonnances satisfaisant mais avez un oeil plus critique sur celui issu des débats à l'Assemblée nationale, avec des amendements parfois votés contre l'avis de la ministre.
J'ai deux questions. La première porte sur les accords de compétitivité. Je souhaite savoir si, selon vous, ce régime unique pour les accords de flexisécurité connaîtra plus de succès que les accords de maintien de l'emploi.
Par ailleurs, les mesures en faveur de la conciliation vous semblent-elles suffisantes pour améliorer le fonctionnement des conseils de prud'hommes ? Faut-il aller au-delà, par exemple appliquer l'échevinage comme cela se fait dans les tribunaux des affaires de sécurité sociale ?
Nous avons bien compris que vous portez un jugement très positif sur les ordonnances. Vous invoquez la création d'un nouveau climat de confiance, la diminution des contraintes, une meilleure adaptation à la réalité des entreprises, en particulier les PME et les TPE. Vous êtes moins prolixes - et je me réfère à votre audition à l'Assemblée nationale - lorsqu'il s'agit d'expliquer les retombées positives sur les salariés mais surtout sur l'emploi. Cette prudence affichée n'est-elle pas à mettre en lien avec les difficultés de l'économie aujourd'hui ? Je pense à la financiarisation croissante, à un partage de plus en plus déséquilibré des fruits de la croissance qui nuisent à l'économie réelle et à l'emploi. La persistance de déséquilibres entre donneurs d'ordre et sous-traitants, qui met sous pression bon nombre de PME, joue-t-elle également un rôle ? Qu'en est-il des ponctions annoncées sur les bailleurs sociaux qui pourraient se traduire, selon les organismes HLM, par une division par quatre des dépenses en matière de maintenance, de constructions neuves, d'entretien ? Je souhaite profiter de votre venue devant notre commission pour en savoir plus sur votre appréciation des perspectives économiques et de la situation de l'emploi dans les mois à venir.
Derrière ces ordonnances, il y a la notion essentielle de dialogue social qui suppose deux parties selon moi : l'employeur et les organisations syndicales représentatives des salariés. Dans les entreprises de moins de 50 ou de moins de 20 salariés, ce dialogue ne sera-t-il pas tout de même déséquilibré entre l'employeur qui a toutes les données et quelques salariés qui seront soumis à la présentation faite par le chef d'entreprise ?
Par ailleurs, je me demande en quoi la possibilité de conclure un accord dans les entreprises de moins de 50 salariés sans présence syndicale pourrait être perçue comme un encouragement à ce que les syndicats viennent s'implanter dans ces entreprises. Comment vont-ils être incités à le faire dans la mesure où le texte va permettre la conclusion d'accords en leur absence ? J'attire votre attention sur le cas de l'Italie, où cette question s'est posée dans les mêmes termes et où une solution a été trouvée. Certes, cette solution prend en compte les spécificités de ce pays mais quoi qu'il en soit, il y a toujours un environnement syndical lorsqu'est signé un accord d'entreprise, y compris dans les petites entreprises.
Par ailleurs, il y a aujourd'hui une demande croissante d'une participation plus importante des salariés à la décision des entreprises, notamment par une présence plus forte dans les conseils d'administration, des entreprises de taille moyenne ou importante, sans aller jusqu'à la mise en place d'une cogestion à l'allemande ou d'une codétermination. Quel est votre position sur ce sujet ? En contrepartie des dispositions contenues dans ces ordonnances, peut-il y avoir cet élargissement de la présence des salariés dans la gouvernance des entreprises ?
Les ordonnances ignorent le lien de subordination entre l'employeur et ses salariés. Je ne comprends pas votre argumentation selon laquelle ce texte sera une opportunité pour les syndicats de mieux former leurs membres. Je pense qu'ils n'ont pas attendu ces ordonnances pour former leurs représentants syndicaux.
À la commission des affaires sociales, quelles que soient nos appartenances politiques, nous sommes très sensibles aux conditions de santé au travail ainsi qu'aux conditions de travail. Il y a une inquiétude quant à la disparition des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), lesquels étaient un lieu dédié à l'étude de ces questions. Par la fusion de toutes les instances, on va demander aux représentants du personnel d'être finalement compétents sur tous les sujets, ce qui est difficile et n'est pas de nature à faciliter leur tâche.
Vous avez parlé du droit d'alerte concernant les atteintes aux personnes. Aujourd'hui, dans le code du travail, un droit d'alerte concernant la situation économique préoccupante existe aux articles L. 2323-50 et suivants. L'amendement que vous avez mentionné apporte-t-il quelque chose de supplémentaire ? En ce qui concerne l'atteinte aux personnes, cela concerne-t-il aussi les violences faites aux femmes et le harcèlement ?
Je souhaite avoir une précision sur un élément lu dans plusieurs articles de presse : il s'agit de la possibilité pour une organisation syndicale de désigner dans les entreprises un délégué, sans que celui-ci ait obtenu 10 % des voix lors des élections professionnelles. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ? De façon plus générale, je souhaite avoir votre avis sur la nécessité de réformer le fonctionnement des conseils de prud'hommes. En effet, les règles ayant changé, faut-il également modifier le fonctionnement de l'organisation de ces conseils ?
Par ailleurs, ces ordonnances appellent la rédaction de différents décrets d'application et nous savons qu'en matière de code du travail, ces derniers sont très importants. Serez-vous également associés sur ce point ?
En ce qui concerne les accords de compétitivité, le dispositif a été harmonisé et rationnalisé par les ordonnances. Cela doit permettre de donner enfin une chance de succès à cet outil, notamment en élargissant les motifs de recours et en clarifiant les règles de rupture de contrat de travail d'un salarié qui serait amené à refuser l'application d'un tel accord, lui-même validé par la majorité du personnel. Il me semble que l'une des principales causes d'échec des dispositifs précédents était le trop strict encadrement des motifs de recours, ainsi que les risques juridiques pesant sur les entreprises. En outre, ils ont eu mauvaise presse à la suite de ce qui s'est passé dans une entreprise industrielle de l'est de la France, où des services entiers ont profité de conditions de départ extraordinairement favorables, indépendamment de l'accord majoritaire qui avait pu être donné. Il nous semble que les principaux obstacles au développement de cet outil ont été levés par le texte. Maintenant, et c'est également le cas pour d'autres dispositifs, il est important de pouvoir l'évaluer. Il est ainsi prévu que l'ensemble des accords signés au titre de ces ordonnances seront mis à disposition de tous, au sein d'une base de données après anonymisation de quelques informations sensibles. Il sera ainsi possible d'évaluer les conséquences, les sacrifices, mais aussi les bénéfices et contreparties accordées aux salariés sur tous ces sujets. Une mission d'évaluation des ordonnances, à laquelle chacune de nos organisations participent, a été mise en place. Ainsi, avant la fin du quinquennat, nous devrions être en mesure de faire un premier bilan que nous espérons positif.
Il y a peut-être à l'échelle du monde un déséquilibre du partage de la valeur ajoutée mais ce n'est pas la réalité française. Selon les dernières études, la part des salaires dans la valeur ajoutée en France sur les vingt dernières années est restée relativement stable. On a observé deux grandes variations pour la France : plus de dividendes sont versés mais moins d'intérêts sont payés aux banques. En effet, la structure de financement des entreprises a changé et les taux d'intérêt ont fortement baissé. Cela reflète l'état des marchés financiers et l'évolution des sources et structures de financement des entreprises. On constate par ailleurs une autre évolution : la part des investissements a baissé et celles des impôts a augmenté. On a remplacé de l'investissement privé par - je l'espère - de l'investissement public, avec une efficacité et une performance que je vous laisse apprécier.
En ce qui concerne l'équilibre entre les parties en matière de dialogue social, pour le voir fonctionner notamment dans les PME, beaucoup de choses relèvent aujourd'hui d'un accord tacite. La capacité à les formaliser et les mettre par écrit est plutôt de nature à rassurer les acteurs sociaux et à améliorer la transparence.
Pour ce qui est de l'incitation au développement du dialogue social, il faut que l'on soit parfaitement lucide sur l'opportunité qui nous est offerte. Ce sera à nous, acteurs sociaux, de nous en saisir collectivement. Les acteurs vont-ils se saisir de cette capacité à signer des accords ? Personnellement j'y crois. Mais ce sera le bilan que nous serons amenés à faire dans trois ans qui nous permettra de répondre à cette question.
Jusqu'à présent, la négociation était totalement administrée, avec 14 thèmes de négociation obligatoires, et encadrée par une présence syndicale stricte qui se traduisait dans les PME par une absence de négociation. Les négociations étaient ainsi une gestion des contraintes. Je me mets aujourd'hui à la place du représentant du personnel dans une entreprise de 35 salariés : il va discuter, au nom de ses pairs, d'un certain nombre de pratiques, de thèmes tels que l'organisation du temps de travail, les congés payés, la rémunération. Je pense que, sans accompagnement, sans formation, ce salarié va assez vite se sentir démuni quant à sa capacité de s'engager au nom de ses collègues.
Aujourd'hui, quand on discute d'un rapport rendu obligatoire, qui au final n'intéresse pas grand monde et n'a aucun effet sur l'activité quotidienne des mandants, il est assez facile de le regarder avec distance. Toutefois, lorsque l'on commence à discuter de ce qui va toucher à la vie quotidienne, comme le temps de travail, les salaires, les congés, les investissements, la formation ou l'apprentissage, la pression des mandants va être plus forte. Les représentants du personnel, notamment ceux qui ne sont pas syndiqués dans les entreprises de moins de 50 salariés, seront, je pense, demandeurs de conseil et d'accompagnement. La question est de savoir s'ils seront naturellement amenés à aller chercher ce conseil auprès d'une organisation syndicale qui a développé par sa connaissance des sujets, par sa proximité avec les PME et par une certaine image d'ouverture, la capacité à apporter ce soutien dans l'intérêt bien compris des acteurs. Bien évidemment, une évolution des comportements est nécessaire et doit pouvoir permettre le développement de la présence syndicale. J'imagine que le ministère du travail et les organisations patronales et syndicales seront tout à fait en situation de mesurer ce qui se passera.
En ce qui concerne la participation des salariés à la gouvernance des entreprises et leur présence en conseil d'administration, un certain nombre de dispositions ont été votées sous la mandature précédente et viennent à peine d'entrer en vigueur. Je propose de nous donner un peu de temps pour étudier leurs effets avant de proposer une évolution.
J'ai la conviction que le comité social et économique, instance fusionnée qui abordera l'ensemble des sujets de la vie de l'entreprise, peut devenir un vrai lieu d'échange entre la collectivité des salariés et le chef d'entreprise et, peut-être, atténuer un peu, notamment dans les PME, la réticence des chefs d'entreprise - il ne faut pas se le cacher - à voir des salariés au conseil d'administration. On pourrait ainsi imaginer par la suite la présentation régulière par le secrétaire du CSE des observations qu'il a recueillies aux organes de gouvernance et un échange à ce sujet.
L'intégralité des prérogatives du CHSCT est transférée au nouveau CSE. La capacité de faire et d'agir n'est en rien réduite. Nous avons la conviction que l'entreprise, dans ses responsabilités et ses préoccupations, ne doit pas être divisée. Au contraire, le fait de remettre l'ensemble de ces débats au sein d'un même organe est de nature à parvenir aux bons équilibres et à prendre en compte les bonnes préoccupations. Cela permettra également au chef d'entreprise de ne plus se retrouver dans une situation où une structure comme le CHSCT adopte une position et où un autre organe en a une autre, lui laissant la responsabilité de trancher entre deux avis divergents. Un organe unique est plutôt de nature à améliorer la qualité du dialogue social, ainsi que la capacité des différents acteurs à se saisir de l'ensemble des sujets.
Je reviens rapidement sur la désignation de délégués syndicaux qui n'auraient pas obtenu 10 % des voix aux élections professionnelles. Il s'agit simplement pour une organisation syndicale ayant atteint ce seuil, mais qui aurait perdu certains de ses élus initiaux - parce qu'ils ont renoncé à exercer ce rôle, qu'ils n'ont plus l'appétence pour le faire, ou encore parce qu'ils ont quitté l'entreprise - et afin de ne pas la priver d'une représentation acquise par l'élection, de lui laisser la possibilité de désigner des remplaçants. Ce n'est pas vraiment la disparition de la règle des 10 % mais plutôt la prise en compte de ce qui peut être la vie d'une entreprise. Nous n'avons pas d'objections particulières à ce sujet.
Enfin, en ce qui concerne les décrets d'application des ordonnances, dont certains sont à l'évidence majeurs, j'ai bon espoir que nous soyons consultés. Dans les premiers textes que nous avons pu voir, nous avons pu déceler cette petite tendance naturelle de l'administration à essayer de réduire les espaces de liberté ouverts, sans toutefois jusqu'à remettre en cause l'esprit de la réforme.
En conclusion, ne croyez pas que mon propos soit négatif sur l'ensemble des dispositions. C'est plutôt l'expression de regrets car comme bien souvent, après avoir ouvert des portes et avant même de les tester, il y a une volonté d'essayer de les refermer.
Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. - En ce qui concerne les prud'hommes, bien évidemment, nous sommes favorables à la conciliation. Il ne faut pas oublier qu'une PME est une entreprise à taille humaine où le chef d'entreprise connaît ses salariés, vit avec eux au quotidien. Moins on aura de conflits qui aboutiront à des contentieux, mieux l'entreprise se portera. D'ailleurs, il pourrait être intéressant d'encourager davantage la conciliation par un traitement plus favorable des sommes qui pourraient être accordées dans ce cadre. En outre, le traitement des cotisations sociales pour ces dernières pourraient être plus avantageux.
Une réflexion sur une modification de l'organisation des conseils de prud'hommes doit, à mon sens, être envisagée de manière globale en intégrant également les cours d'appel. En effet, une des critiques relayées sur les conseils de prud'hommes concerne le délai entre l'introduction d'une affaire et son jugement. Les délais pourraient ainsi être réduits, ce qui profiterait à la fois aux salariés et aux employeurs. L'incertitude n'est bonne pour personne.
Je ne suis pas favorable au développement de l'échevinage. Pour nous, il est important d'avoir dans la formation de jugement des chefs d'entreprises de PME qui connaissent la réalité de ces dernières, ainsi que les conséquences directes des décisions qu'ils vont prendre sur les entreprises.
J'en profite pour saluer une disposition apportée par ce texte, laquelle est passée inaperçue mais nous semble importante : la réduction à un an du délai pour introduire un recours en cas de licenciement. Si dans la première année suivant le licenciement l'instance prud'homale n'est pas engagée, cela n'a aucun sens d'introduire une action dans un délai supérieur.
Le texte va donner davantage de lisibilité à tous les acteurs de l'entreprise. Ils craignent par-dessus tout le changement permanent des règles du jeu. Le chef d'entreprise doit pouvoir faire des projections de développement de son activité avec un minimum de certitude, sans que ces règles changent en cours de route.
Le contrat de chantier a été évoqué. Nous avons beaucoup entendu parler lors des débats d'une peur d'embaucher, réelle ou supposée, et dont on peut discuter. Ce que je souhaite vous dire, pour être allé à la rencontre d'entreprises, c'est qu'il s'agit d'un vrai sujet. En effet, lorsque vous êtes à la tête d'une petite structure, si l'opportunité de remporter un marché se présente à vous et que vous ne disposez pas suffisamment de personnel pour remplir les obligations de celui-ci, ou bien vous embauchez quelqu'un et vous vous projetez dans le temps - si vous possédez suffisamment de visibilité pour le faire -, ou bien vous renoncez au marché, et c'est l'ensemble de la Nation qui est perdante. Le contrat de chantier doit permettre aux entreprises de saisir l'opportunité que représentent de nouveaux marchés, sans prendre un risque qu'ils considèrent comme majeur.
On pressent dans les PME françaises des signaux positifs d'évolution de l'économie. Cela reste toutefois très différent entre les secteurs. On voit apparaître une fracture territoriale, avec un développement économique supérieur au coeur des métropoles par rapport aux zones rurales. Il y a également le problème des coeurs de ville. De manière générale, il y a encore des poches de difficultés économiques mais les choses s'améliorent. Paradoxalement, aujourd'hui, la pénurie de compétences est le principal blocage. De très nombreuses entreprises cherchent à embaucher des salariés mais n'arrivent pas à embaucher. Je pense qu'il y a une responsabilité collective pour apporter des réponses aux millions de chômeurs, notamment en matière de formation. J'espère que nous arriverons à trouver des solutions dans les négociations qui s'ouvrent en vue de réformer la formation professionnelle.
Nous ne partageons pas le point de vue selon lequel ce nouveau dialogue social constitue un risque de déséquilibre en faveur du chef d'entreprise. Pour nous, dans les PME, les choses se font ensemble et les salariés ont parfaitement conscience que l'avenir de l'entreprise les concerne de manière directe. Ce n'est donc pas l'opposition d'intérêts des uns contre les autres mais plutôt la construction d'un projet commun. Il y a une conscience élevée qu'en cas de difficultés pour l'entreprise, le chef d'entreprise mais également l'ensemble des salariés sont touchés. Pour moi, avec ces ordonnances, les comportements vont devoir évoluer, aussi bien du côté des chefs d'entreprises, des salariés que des syndicats. Elles donnent l'occasion de faire évoluer l'image de ces derniers à l'intérieur des PME. Ce n'est pas un hasard s'ils n'ont que 4 % de présence dans ces petites structures, où il y a un dialogue direct entre le chef d'entreprise et les salariés, sans avoir nécessairement besoin de recourir à un intermédiaire. En outre, il y a certainement aussi un problème d'image d'un certain nombre d'organisations syndicales. La CPME est convaincue du rôle du dialogue social et de l'utilité des organisations syndicales. Toutefois, si l'on veut que les choses évoluent, il faut que des efforts soient faits des deux côtés.
Nous ne pensons pas non plus que ce texte ignore le lien de subordination entre l'employeur et le salarié. Mais il n'est pas réductible à un lien d'opposition entre ces deux parties. Ces ordonnances essayent de rétablir un lien de confiance pour avancer ensemble au service de l'entreprise. Si le lien de subordination existe et caractérise le contrat de travail, il n'est pas, malgré tout, l'alpha et l'oméga du dialogue social.
Lors de l'examen de la loi « El Khomri », laquelle voulait faire évoluer la démocratie au sein de l'entreprise, j'ai regretté l'utilisation de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution.
Pour avoir été chef d'une petite entreprise artisanale qui a grandi, puis géré des collectivités territoriales comme le département du Rhône, j'ai appris beaucoup de choses sur le dialogue social. Je partage votre avis : il y a différentes catégories d'entreprises et le dialogue social ne se fait pas de la même façon dans celles-ci. Le patron que j'ai été en début de carrière réglait les problèmes autour d'une rencontre informelle. Ce n'est pas la même chose dans les grandes multinationales où la gestion financière internationale influence directement le dialogue social.
Pour moi, ces ordonnances ne font que toiletter le code du travail, ce qui n'est pas suffisant. Il faut adapter notre monde du travail à la compétition internationale. Et, si le XIXème siècle a été celui de la lutte des classes, aujourd'hui, on parle d'entreprises citoyennes. C'est dans ce sens qu'il faut aller.
Je regrette - qu'il s'agisse de la réforme du code du travail ou de celle du fonctionnement des institutions politiques -, que ces sujets soient traités avec suspicion, avec un préjugé selon lequel les personnes sont malintentionnées et qu'il faut dès le départ prévoir des outils de protection. La loi doit donner un cadre, sans régler tous les détails. Il faut en finir avec une politique normative mettant en place des obligations et privilégier une politique exigeant des résultats, avec des sanctions fortes pour ceux qui ne respectent pas le cadre fixé.
Aujourd'hui, l'association des salariés aux décisions des entreprises est croissante, même lorsqu'elle n'est pas obligatoire, notamment pour lutter contre le mal-être au travail et pour motiver les salariés. Ce dialogue ne nécessite toutefois pas forcément d'être inscrit dans la loi.
De manière générale et face aux nouveaux outils proposés par ce texte, pensez-vous que les branches professionnelles ont été aujourd'hui suffisamment restructurées et qu'elles ont la capacité d'agir et de s'en saisir ?
Je suis un fervent partisan du dialogue social. J'ai eu la chance de participer à la conclusion de plusieurs accords d'entreprise. Pourtant, j'ai l'intime conviction qu'en matière de dialogue social le lien de subordination entre employeur et employé ne disparaît pas. Le salarié sait que le patron a un pouvoir de licenciement. C'est pourquoi il appartient au chef d'entreprise de prendre l'initiative du dialogue, afin de montrer une image plus positive des employeurs. Par ailleurs, il est important de ne pas mentionner uniquement les accords d'entreprise prenant acte de sacrifices consentis pour sauver l'emploi avec des baisses de salaire. Il y a aussi des accords d'entreprise positifs. Dès lors, quels sont les leviers qui permettront de changer le regard de l'employé sur son employeur ?
Votre argumentaire selon lequel les ordonnances vont favoriser l'introduction des syndicats de salariés dans les petites structures me laisse dubitatif. Je n'y crois pas, tant que le regard sur les syndicats n'aura pas changé. Aussi, comment doivent-ils évoluer pour être plus facilement intégrés dans les PME ?
Enfin, le regroupement des différentes instances de dialogue au sein du CSE est pour moi une bonne chose. En effet, dans les PME, c'étaient souvent les mêmes personnes qui y participaient.
Je souhaite tout d'abord remercier les représentants des organisations patronales pour les réponses qu'ils nous apportent. Certes, toutes ne me satisfont pas mais je salue le fait que vous ne cherchez pas à éluder les questions que nous vous posons.
Vous semblez nous décrire un monde merveilleux du dialogue social, où tout le monde se fait confiance. Or, s'il a fallu un code du travail, qui s'est construit au fil des années avec difficulté, c'est pour éviter les abus.
Je partage avec vous le fait qu'il faille attendre de voir les premiers effets d'une expérimentation avant de s'interroger sur un éventuel changement. Toutefois, vous ne pouvez pas, d'une part, nous affirmer qu'on ne peut pas en permanence changer les règles du jeu, et d'autre part, le faire quand elles ne vous conviennent pas. Je pense notamment à certaines dispositions de la loi « El Khomri » que vous souhaitez déjà modifier.
En ce qui concerne le plafonnement des indemnités prud'homales, vous évoquez le seul argument que j'ai véritablement entendu justifiant ce dernier, selon lequel les indemnités pouvaient varier de un à quatre. Pouvez-vous nous donner des exemples concrets ? En effet, l'un des principes de la justice française est l'individualisation des décisions. À chaque situation propre doit répondre une juste réparation. Or, y a-t-il deux cas identiques où les indemnisations auraient connu un tel écart ? Un certain nombre de simulations ont été faites concernant le dispositif présenté et démontrent au contraire que certaines personnes, qui ont été indemnisées à un niveau particulier, recevraient trois à quatre fois moins. Si vous avez subi un dommage ou un préjudice, il est normal qu'il y ait une réparation.
Je ne partage pas non plus votre vision angélique sur les partenaires sociaux. D'ailleurs, une récente émission télévisée a montré que les choses ne sont pas toujours aussi paradisiaques. Certes, les deux entreprises avaient été spécifiquement choisies. Mais dans le dialogue social, il est important qu'il y ait un rapport de force permettant une véritable négociation. S'il y a un asservissement de l'un par rapport à l'autre, il n'y a pas de négociation.
Je m'interroge également sur la priorité accordée à priorité de réembauche d'un ancien bénéficiaire d'un contrat de chantier. Celle-ci se fera-t-elle sous la forme d'un autre contrat de chantier ? Pour moi, ces contrats sont une forme dévoyée du CDI : c'est un contrat qui dure le temps du chantier mais qui ne permet pas au salarié de bénéficier de la prime de précarité.
Vous avez également évoqué la difficulté de répondre au besoin de compétences des entreprises. L'une des raisons n'est-elle pas les allègements de charges consentis essentiellement sur les bas salaires ? Ces derniers n'apportent-ils pas un nivellement par le bas des compétences à l'intérieur de l'entreprise, dans la mesure où l'employeur risque de recruter en priorité des personnes répondant à un salaire permettant des exonérations les plus élevées possible ? Cela n'a-t-il pas eu un impact sur la possibilité d'innover, de se convertir ou de conquérir de nouveaux marchés ?
Enfin, vous nous avez dit que les salaires ont évolué comme le capital, en part de valeur ajoutée. Certes, mais en données brutes, le fruit du travail a évolué moins vite que le fruit du capital.
Les uns et les autres ont reconnu que la représentation syndicale dans les PME est très faible. De même, nous savons que le nombre de salariés syndiqués dans le secteur privé est peu important. Ne serait-il pas temps de revoir les critères de désignation et de financement des syndicats dits représentatifs ?
Mes deux questions seront rapides : combien y a-t-il de ruptures conventionnelles par an ? Par ailleurs, y a-t-il un secteur où le nombre de ruptures conventionnelles est plus élevé ?
Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. - Dans les PME, la relation humaine est primordiale. Le chef d'entreprise connaît ses salariés et dialogue avec eux. Bien évidemment, il y a des points de désaccords mais le dialogue permet aussi d'apporter des solutions. De même, les conflits et les abus existent. Toutefois, je pense qu'il y a suffisamment de textes pour réprimer les abus éventuels. La loi ne doit pas tout régler. Dans de très nombreuses entreprises, beaucoup ont le sentiment d'être étouffés par le pouvoir réglementaire. Vous connaissez les chiffres : plus de 400 000 normes sont en application aujourd'hui. Mais surtout, ce qui pèse, c'est le changement constant de ces règles. Voici un exemple : en 2009 a été instauré le forfait social sur l'intéressement et la participation, au taux de 2 %. Il est passé à 4 %, puis à 6 %, 8 %, avant d'atteindre 20 % en 2012. Or, par définition, l'intéressement se construit dans une trajectoire pluriannuelle. Comment voulez-vous qu'un chef d'entreprise puisse s'y retrouver dans ces conditions ?
Aujourd'hui, les branches professionnelles ont davantage de responsabilité grâce à la réforme du code du travail. Il est vraisemblable qu'en matière de formation professionnelle et d'apprentissage, elles verront leur rôle renforcé. Il existe toutefois différentes catégories de branches. Certaines regroupent un nombre important de salariés et sont très structurées. C'est le cas par exemple de celle de la métallurgie, l'UIMM. Elles ont évidemment les outils pour se saisir des capacités qu'offre la loi pour entretenir le dialogue avec les organisations syndicales, ou encore pour conclure des accords de compétitivité. D'autres au contraire sont plus petites et ce sera plus difficile pour elles. Mais il y aussi des organisations interprofessionnelles qui peuvent apporter un rôle supplétif. Nous sommes actuellement en phase de réduction du nombre de branches. Il y a ainsi eu une déclaration commune définissant un certain nombre de critères, afin que le dialogue social existe et soit actif. Elles doivent également regrouper un nombre minimal de salariés. De mémoire, nous devrions passer de 700 branches professionnelles à 200 environ au terme de leur restructuration. En revanche, nous sommes vigilants à ne pas procéder à un mariage de force, par une application automatique de critères définis par le ministère du travail. Il faut en effet prendre en compte l'environnement de l'entreprise : on ne peut pas mettre au sein d'une même branche un sous-traitant et le donneur d'ordre. C'est ainsi un sujet à étudier attentivement et sans précipitation.
En ce qui concerne le lien de subordination, bien évidemment l'employeur a la capacité de licencier son salarié. Toutefois, nous sommes convaincus que ce n'est pas cela qui fonde la relation de négociation. Ce déséquilibre existe mais dans les PME, et notamment dans les entreprises patrimoniales, le chef d'entreprise assume également les risques, parfois même sur ses biens propres. L'entreprise est un bien commun entre le chef d'entreprise et ses salariés. C'est cela qui doit fonder la discussion.
Le sujet fondamental pour l'emploi en France est la compétence. En effet, nous ne pourrons jamais rivaliser avec des pays comme la Chine ou l'Inde sur le seul coût de la main d'oeuvre. Aussi, il faut être capable, au sein des entreprises, de bâtir entre la direction et les salariés un lien de confiance pour attirer les talents, développer les motivations de chacun. Cela peut prendre du temps en fonction des secteurs. Ces ordonnances font le pari de passer d'une approche très rigide et réglementaire à un dialogue social fondé sur la confiance accordée aux acteurs. Dans ce cadre, l'évaluation est indispensable afin de tirer tous les enseignements de la réforme.
La loi « El Khomri » n'a pas entièrement été mise en oeuvre car elle ne faisait pas le pari de la confiance et ne permettait pas aux PME de se saisir des dispositifs créés. Certes, dès aujourd'hui, cette loi est modifiée mais les aménagements portent sur des dispositions qui au final n'ont pas apporté de véritable changement par rapport à la situation antérieure.
Il est de notre responsabilité de nous saisir des libertés offertes et d'apporter la preuve qu'elles permettront un progrès collectif. Un bilan sera fait dans trois ans et j'espère qu'il ne démentira pas mes propos d'aujourd'hui. Toutefois, si tel est le cas, je reviendrai devant vous pour en débattre.
En ce qui concerne la réparation juste aux prud'hommes, et sous réserve de l'étude de la Chancellerie présentée à l'époque, le plafond fixé est légèrement supérieur à l'indemnité moyenne. Il n'y a ainsi pas de préjudice collectif. Quant aux situations pour lesquelles les indemnités sont particulièrement élevées, les motivations sont difficiles à comprendre. De façon générale, il nous semble qu'il est nécessaire d'apporter une meilleure équité de traitement dans des situations équivalentes. Cela est de nature à rassurer l'employeur, et notamment les PME, face au risque financier lié à la rupture d'un contrat de travail, tout comme le salarié. Au risque de me répéter, la croissance de notre économie, c'est l'addition des prises de risques individuelles des entreprises. En effet, plus elles prennent de risques, plus elles ont des chances d'avoir du succès et l'économie française en sort gagnante.
Je ne suis pas pour l'absence de toute règle. L'État a ainsi un rôle fondamental à jouer pour permettre aux entreprises et à l'ensemble des acteurs économiques de se développer. Mais seul l'entrepreneur peut mesurer de façon fine le risque qu'il prend et son coût.
Pour revenir rapidement sur le partage de la valeur ajoutée, la part des salaires est stable sur vingt ans. En revanche, il est incontestable que la part de dividendes a augmenté, et donc la rémunération du capital. Elle ne s'est pas faite au détriment des salaires mais au détriment des intérêts versés aux banques. Cinq éléments influencent le partage de la valeur : les dividendes, les intérêts, les salaires, les impôts et les investissements.
La baisse des intérêts versés aux banques aurait aussi pu en partie permettre une augmentation des salaires.
Pour faire fonctionner une entreprise, il faut des clients, des salariés et des moyens financiers qui sont fournis par les banques, les fournisseurs et les actionnaires. Il me semble que c'est en respectant ces quelques principes de fonctionnement de l'économie de marché que l'on a une chance de rétablir la place de la France dans l'économie mondiale.
En ce qui concerne la représentativité des syndicats, j'ai une conviction profonde : un syndicat est d'autant plus responsable qu'il est fort et d'autant plus fort qu'il est responsable. Ces ordonnances peuvent donc marquer, en les renforçant, le début d'un cercle vertueux.
Je souhaite vous faire part d'un excellent rapport de l'Unédic de septembre 2016 sur l'évolution des causes de rupture sur le marché du travail. En termes relatifs, les ruptures conventionnelles se sont substituées à des licenciements. Est-ce un bien ou un mal ? On peut en débattre. Pour ma part, je considère que par son caractère contractuel et sécurisé, c'est une bonne évolution. Les ruptures pour fin de contrats précaires, intérims ou CDD, sont restées très stables ces vingt dernières années. Elles représentent environ 40 % des causes de rupture d'un contrat de travail. Certes, en valeur absolue, il y a des évolutions qui sont le reflet de la trop faible performance de notre économie et de l'augmentation du nombre de chômeurs.
Une des premières revendications des entrepreneurs de TPE et PME que j'ai rencontrés dans mon département est la sécurisation de la procédure devant les conseils de prud'hommes. Je souhaite également souligner que dans les petites entreprises, s'il n'y a pas de dialogue, cela veut dire que l'entreprise ne va pas bien.
Les contrats de chantier répondent à une demande forte, notamment dans le secteur du BTP. Il est difficile de prévoir aujourd'hui l'impact que cela aura sur l'emploi car cela ne se décrète pas. Je suis toutefois optimiste.
Ma question portera sur l'apprentissage et la formation. Les entreprises seront-elles plus allantes, à partir du moment où un texte sur ce sujet aura permis de résoudre un certain nombre de problèmes en la matière ?
Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. - Les chefs d'entreprise déplorent une différence de traitement en fonction des conseils de prud'hommes. C'est un point clé. Indépendamment de la question d'une incertitude sur le montant de l'indemnisation accordée d'un conseil à l'autre, il y une incertitude globale, notamment sur les condamnations maximales.
Sur l'apprentissage, une concertation vient de démarrer avec le Gouvernement, à laquelle la CPME participe activement. L'apprentissage est essentiel car le meilleur moyen de rentrer dans une entreprise c'est d'y être déjà. Malheureusement, les règles s'appliquant aux apprentis ont beaucoup évolué, notamment pour les apprentis mineurs. On a ainsi l'impression que l'on cherche à décourager les entreprises d'en embaucher.
Dans ce domaine, la question essentielle est celle de l'orientation. Il faut changer l'image de l'apprentissage et l'inscrire dans un projet. Il faut donner la capacité à un jeune qui commence un apprentissage d'aller au bout de son cursus, avec des passerelles. L'apprentissage ne doit pas se résumer à un diplôme à court terme. C'est un enjeu majeur pour l'emploi des jeunes et pour les entreprises : on a besoin de compétences et il existe très peu de filières de formation pour certains métiers.
Dans les cinq prochaines années, nous aurons besoin de recruter 250 000 personnes chaque année dans l'industrie, du fait de l'évolution de la pyramide des âges. Nous aurons, de manière très majoritaire, besoin de personnes formées, compétentes, qualifiées. Certes, comparaison n'est pas raison mais on constate dans les autres pays que plus il y a de l'apprentissage, moins le chômage des jeunes est important.
Les entreprises revendiquent d'assurer le pilotage de l'apprentissage avec les acteurs actuels et notamment l'État. Ce dernier a un rôle clé à jouer en matière d'orientation. Certes, nous pouvons aller dans les lycées mais la responsabilité de l'orientation ne relève pas des employeurs. Il faut donner envie aux jeunes de venir dans nos entreprises, dans ces filières. C'est une des conditions de succès. Il faut être capable d'avoir des cursus qui correspondent aux besoins. Dans le secteur de la métallurgie, quand un jeune entre en apprentissage, il a plus de 80 % de chance d'aller au bout de son cursus, plus de 80 % de chance d'obtenir son diplôme et plus de 85 % de chance d'avoir un emploi dans les six mois qui suivent la fin de sa formation. Dans les deux tiers des cas, cette embauche se fait en CDI, alors que l'on sait que l'accès à l'emploi des jeunes se fait à 20 % en CDI et à 80 % en contrat précaire. La réforme en discussion est une réelle opportunité. Je veux dire devant votre assemblée qu'à aucun moment il n'est venu à l'idée du monde patronal de construire cette réforme contre les territoires. Au contraire, ces derniers ont un rôle fondamental à jouer en matière de formation et d'orientation mais également de connaissance des bassins d'emploi, de mobilité, d'hébergement.
Aujourd'hui, on a mis dans la tête des chefs d'entreprise, notamment dans les PME, que prendre un apprenti est un risque supplémentaire. Or, il n'y a pas d'obligation de sécurité supplémentaire par rapport à n'importe quel autre salarié. Essayons de faire en sorte que toutes ces contraintes réelles ou supposées sur l'apprentissage tombent. L'apprentissage est sans doute la seule façon durable de lutter contre le chômage des jeunes. Nous croyons en l'apprentissage et sommes prêts à nous engager.
La commission décide de se saisir pour avis du projet de loi relatif à l'orientation et à la réussite des étudiants dont la commission de la culture, de l'éducation et de la communication est saisie au fond.
Elle nomme Mme Frédérique Gerbaud, rapporteur pour avis de ce projet de loi.
- Présidence de M. Gérard Dériot -
Nous avons voté hier sur la proposition de renouvellement de M. Jean Bassères à la direction générale de Pôle emploi et différé le dépouillement jusqu'à son audition par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale. Celle-ci est en cours. Je vous propose donc de suspendre notre réunion et de reporter le dépouillement à 13 h.
La réunion est suspendue à 10 h 45.
La réunion est reprise à 13 h.
- Présidence de M. Gérard Dériot -
Il est procédé au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination de M. Jean Bassères à la direction générale de Pôle emploi.
Le résultat est le suivant :
Nombre de votants : 32
Bulletins blancs : 3
Bulletins nuls : 0
Suffrages exprimés : 29
Avis favorable: 29
Avis défavorable : 0
La réunion est close à 13 h 10.