Commission d'enquête état des forces de sécurité intérieure

Réunion du 15 mai 2018 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Nous sommes heureux d'accueillir Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, accompagnée de M. Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces, M. Stéphane Bredin, directeur de l'administration pénitentiaire, M. Jérôme Simon, conseiller pour la politique pénale et M. Nicolas Heitz, conseiller chargé de la coordination des politiques de la justice.

Notre commission d'enquête, qui a débuté ses travaux en janvier, entend mettre en lumière et analyser les difficultés actuellement rencontrées par les membres des forces de sécurité intérieure dans l'exercice de leurs missions.

Parmi les causes du mal-être que l'on rencontre fréquemment au sein des unités de police et de gendarmerie figurent certes la confrontation avec la délinquance et avec la violence, une charge de travail qui s'est accrue depuis la vague d'attentats de 2015 et la crise migratoire, ou encore des conditions de travail et des équipements insatisfaisants. Un autre aspect a toutefois été très régulièrement évoqué par les personnes que nous avons auditionnées : les relations des forces de sécurité intérieure avec la justice. Les difficultés évoquées concernent en particulier la mise en oeuvre de la procédure pénale, mais aussi la réponse pénale en elle-même.

Nous souhaiterions donc, Madame la ministre, pouvoir vous interroger sur ces sujets afin de savoir si vous et vos services prenez en compte ces difficultés et quelles sont les améliorations éventuelles que vous entendez mettre en oeuvre.

Cette audition est ouverte à la presse et sera diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Nicole Belloubet, M. Rémy Heitz, M. Stéphane Bredin, M. Jérôme Simon et M. Nicolas Heitz prêtent successivement serment.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Alors que nous en sommes au quatrième mois de nos investigations et de nos auditions, nous avons constaté la réalité d'une césure, je dirai même plus d'un divorce entre police et justice. Nous nous étions engagés dans ce travail sans préjugés, sans faire crédit aux lieux communs de l'opinion largement diffusés dans les médias, mais à entendre les policiers, à quoi j'ajoute les syndicats de magistrats que j'ai en l'occasion d'entendre sur comme rapporteur sur d'autres textes, on se demande comment le système tient encore et comment policiers et magistrats peuvent travailler ensemble.

Chez les policiers, chez les gendarmes, on sent, au-delà des difficultés matérielles et budgétaires auxquelles ils sont confrontés, une réelle interrogation sur le sens de leur engagement et de leur action, conduite dans des conditions de plus en plus difficiles, avec des risques physiques et juridiques accrus, pour des résultats qu'ils estiment décevants - même s'ils s'abstiennent, pour la majorité d'entre eux, de juger la justice.

On ressent, de fait, une incompréhension mutuelle. Nous savons que les magistrats se forment en faisant des stages dans des commissariats de police ou des unités de gendarmerie, mais ne pensez-vous pas qu'il faudrait bien plus pour que ces deux mondes s'interpénètrent ? Dans les parquets, les jeunes magistrats frais émoulus abordent la police et la gendarmerie avec des idées préconçues, quand les magistrats de plus de métier entretiennent des relations plus faciles. Ma première question est celle-là : comment améliorer les relations entre police, gendarmerie et justice et faciliter l'interpénétration des cultures ?

Ma deuxième question concerne la procédure pénale, dont les policiers et les gendarmes disent qu'elle absorbe les deux tiers de leur temps, ne leur laissant qu'un tiers de temps pour l'opérationnel. Si l'on se tourne vers des pays comparables au nôtre, on constate que les policiers et les gendarmes, en nombre équivalent, consacrent beaucoup plus de temps à l'opérationnel. En France, nous n'avons pas choisi entre l'inquisitoire et l'accusatoire, si bien que nous cumulons les inconvénients des deux systèmes ; et cela ne s'est pas arrangé ces dernières années. Alors que policiers et gendarmes mettaient beaucoup d'espoirs dans la réforme de la procédure pénale annoncée, ils sont déçus. Ils n'y trouvent pas la simplification qu'ils attendaient. Dans ma ville, le bureau de police croule sous les piles de dossiers. Et il en va de même dans tous les commissariats de France.

Les forces de sécurité intérieure ont formulé des propositions complémentaires de nature à simplifier leur travail. Je pense à l'oralisation de certains actes, dans le cadre des affaires simples, avec établissement d'un procès-verbal final de synthèse ; à la simplification du formalisme, via par exemple l'introduction, pour les affaires en flagrance, d'un procès-verbal unique des diligences ; à l'adaptation du régime des nullités, pour limiter notamment l'impact des erreurs de formalisme sur une procédure, fréquentes tant les règles applicables sont complexes. Quelles sont les raisons qui ont conduit le ministère à ne pas reprendre ces propositions ?

Ma troisième question porte sur la numérisation. Police et gendarmerie souffrent d'un grand retard dans la révolution informatique. Ne pourrait-on envisager la mise en place des logiciels communs aux forces de sécurité intérieure et aux parquets, ainsi que de liaisons vidéos permettant au magistrat ou au juge d'instruction d'assister à une audition des services de police judiciaire ? Cela faciliterait les relations et le partage en temps réel des évolutions de l'enquête.

Ma dernière question, enfin, concerne les tâches indues, qui pourraient relever de la police municipale, de l'administration pénitentiaire ou de la sécurité privée.

L'action du policier municipal est limitée par une qualification judiciaire des plus basses, celle d'agent de police judiciaire adjoint. Dès lors qu'une amende n'est pas forfaitaire, s'agît-il d'une simple contravention liée au non-respect d'un arrêté municipal d'interdiction de fréquentation d'un square après 22 heures, il faut que policiers ou gendarmes entendent les contrevenants ou, s'ils sont mineurs, leurs parents, pour que le dossier soit transmis au ministère public, car le policier municipal, aussi expérimenté fût-il, ne peut procéder à aucune audition.

Je n'ignore pas la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (Lopsi), qui avait censuré le rehaussement de la qualification judiciaire des policiers municipaux au motif, un peu surprenant, que les policiers nationaux étaient placés sous les ordres du Procureur de la République et les policiers municipaux sous ceux du maire. Mais dès lors que les uns ou les autres mettent en oeuvre une prérogative de police judiciaire, ils sont, de toutes façons, subordonnés au Procureur de la République. La loi pourrait le préciser, en indiquant même qu'ils sont subordonnés à l'officier de police judiciaire territorialement compétent, habilité par le Procureur. C'est d'ailleurs ainsi que cela se passe dans la réalité. Un rehaussement de la qualification des policiers municipaux, au moins dans le cadre de la réglementation municipale ou du code de la route allègerait considérablement les forces de l'ordre.

S'agissant de la sécurité privée, il existe certainement des pistes à développer, mais cela relève peut-être davantage du ministère de l'Intérieur.

En ce qui concerne, enfin, l'administration pénitentiaire, où en est-on du transfèrement ? Alors que des moyens ont été dévolus à la Justice afin qu'elle s'en charge, les progrès, sur le terrain, restent très lents. Les unités de police ou de gendarmerie qui ont une maison d'arrêt dans leur secteur se disent au reste sollicitées par l'administration pénitentiaire pour des incidents à l'intérieur des murs. La loi de sécurité publique a accru les prérogatives de celle-ci, mais on a le sentiment que la Chancellerie est réticente - elle n'a d'ailleurs pas voulu prendre en charge le périmètre immédiat, ce qui renvoie la responsabilité de l'action à la police nationale et la gendarmerie pour mettre fin aux jets d'objets ou aux conversations par-dessus le mur. Bref, nos forces de l'ordre sont toujours amenées à intervenir dans les prisons : ne pourrait-on envisager de doter certains agents de l'administration pénitentiaire de prérogatives de police judiciaire, pour éviter que celle-ci ne soit amenée à solliciter, pour des faits souvent mineurs, les forces de sécurité intérieure ?

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice

Vous évoquez, monsieur le rapporteur, un « divorce » entre police et justice. Je comprends que vous faites état d'un propos que vous avez entendu, mais comme garde des sceaux, je m'inscris en faux contre ce propos. Nous sommes très loin de cet état d'esprit. Avec Gérard Collomb, nous sommes au contraire animés d'un état d'esprit de collaboration et d'intercompréhension et d'évolution réciproque.

Nous connaissons bien, au ministère, le malaise des forces de sécurité, et c'est pourquoi, dans le cadre des cinq chantiers de la justice lancés en octobre dernier par le Premier ministre, j'avais souhaité que l'un soit consacré à la procédure pénale. Ce chantier, piloté par MM. Jacques Beaume et Franck Natali, est conduit avec les forces de sécurité intérieure. J'ai participé, à plusieurs reprises, à des rencontres entre magistrats et forces de sécurité intérieure ; à Amiens, où nous nous sommes rendus avec Gérard Collomb, les uns et les autres ont exposé leurs souhaits, leurs attentes, et donné corps à ce dialogue institutionnel dont nous voulons être porteurs.

Je ne suis pas naïve pour autant et sais que la présence de ministres à de telles rencontres ne facilite pas l'expression de ce qui est réellement ressenti, mais il reste que ces rencontres ont témoigné d'une écoute, d'un dialogue, et donné lieu à des propositions.

Outre votre souci de voir s'approfondir l'échange des cultures entre les institutions, sur lequel je reviendrai, vous avez évoqué la question de la procédure pénale, dans une perspective d'amélioration du fonctionnement de la chaîne pénale, et celle des tâches indues, sur lesquelles vous souhaitez une clarification.

On constate effectivement une désaffection pour la mission de police judiciaire au sein de la police ou de la gendarmerie nationales, souvent imputée à la technicité, à la complexité de la procédure pénale. Vous vous faites le porteur du reproche que l'on entend parfois formuler sur les propositions du texte que je serais amenée à défendre dans les prochains mois ne seraient pas assez ambitieuses. Il faut le dire clairement : les travaux que nous avons conduits n'aboutiront pas à une refonte du code de procédure pénale. Un tel travail ne pouvait être conduit en quelques mois. Avec Gérard Collomb, nous nous sommes donc accordés sur l'idée de conduire des réformes pragmatiques, venues du terrain, permettant de dénouer une certaine complexité lourde à porter pour les services d'enquête et les magistrats.

L'enquête pénale a pour objectif le recueil de preuves et la recherche de la vérité grâce au recours, en tant que de besoin, à des instruments coercitifs que sont la garde à vue, les perquisitions, etc, sous le contrôle des magistrats, gardiens, aux termes de l'article 66 de la Constitution, des libertés individuelles.

La procédure pénale doit, à ce titre, concilier l'intérêt social et l'intérêt individuel, la recherche des preuves mais aussi la protection contre l'arbitraire. C'est dans cet équilibre que nous avons construit le projet de réforme que je vous présenterai.

Nous savons que les auteurs d'infractions sont sans cesse à la recherche d'une plus grande « discrétion » et n'hésitent pas à recourir à de nouveaux moyens de déjouer la surveillance mise en place par les enquêteurs. Face à des délinquants qui peuvent avoir recours à des modes opératoires toujours plus astucieux, notamment grâce aux nouvelles technologies, les investigations s'inscrivent, en pratique, dans un temps nécessairement long et requièrent de plus en plus le concours et l'expertise de services techniques.

Dans ce contexte, et y compris face à la délinquance du quotidien, l'enquête pénale peut apparaître contraignante, fastidieuse, d'où une forme de désaffection. Mais c'est aussi la raison pour laquelle, dans le respect des exigences conventionnelles et constitutionnelles, la philosophie globale de projet de loi à venir va à la recherche de la simplification, dans un souci de pragmatisme et d'écoute des praticiens de terrain. Nous avons beaucoup consulté, adressé des questionnaires à toutes les juridictions, ainsi qu'au ministère de l'Intérieur, qui les a répercutés sur l'ensemble des forces de police et de gendarmerie. Nous avons également consulté les professions du droit - avocats, greffiers, notaires. Jacques Beaume et Franck Natali ont analysé ces remontées du terrain, et les ont synthétisées dans le rapport qu'ils m'ont remis en janvier. Ils ont eux même été conduits à entendre les syndicats de police et de gendarmerie, les conférences des procureurs, les représentants des différentes professions. C'est sur le fondement de ce travail de consultation que nous avons rédigé le projet de loi, un texte à mon sens équilibré, pour plus d'efficacité et de rapidité des enquêtes, tout en veillant à ce que celles-ci se fassent toujours dans le respect des libertés dont les magistrats sont les garants.

Ces mesures de simplification portent sur cinq priorités. Le projet vise en premier lieu à renforcer l'efficacité de l'enquête pénale en harmonisant les techniques d'enquête. En l'état du droit chaque technique spéciale d'enquête répond à un régime particulier, avec des dispositions différentes qui nécessitent, de la part des enquêteurs et des magistrats, la réalisation d'analyses juridiques parfois complexes pour déterminer la norme applicable, sa portée, son adéquation avec une procédure donnée. Pour simplifier le cadre juridique actuel, le projet que je vous présenterai unifie le régime juridique applicable aux techniques spéciales d'enquête, de sonorisation, de captation d'images, de recueil des données techniques de connexion et de captation de données informatiques. Il prévoit une harmonisation de leurs conditions d'autorisation de durée de mise en oeuvre et de conservation. Afin d'accroître l'efficacité des enquêtes, cette disposition ouvre également la possibilité de recourir à ces techniques spéciales d'enquête pour les crimes et non plus seulement pour les infractions qui relèvent de la criminalité de la délinquance organisée. Le projet simplifie et renforce également la cohérence des dispositions relatives aux interceptions par la voix de communications électroniques et de géolocalisation.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Les techniques que vous venez d'évoquer sont proches de celles qu'a autorisées la loi sur le renseignement de 2015.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux

Absolument.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Vous parlez d'unification : faut-il comprendre qu'une seule autorité sera chargée de fournir une autorisation ou de donner un avis au Premier ministre ?

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux

Pas du tout.

Debut de section - Permalien
Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces

Les deux filières restent distinctes, même si les mêmes techniques sont utilisées et par les services de renseignement et par la Justice.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Mais il existe un certain parallélisme. Ma question porte sur l'autorité chargée de fournir l'autorisation.

Debut de section - Permalien
Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces

Le juge des libertés et de la détention.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux

Le projet prévoit également d'étendre l'enquête sous pseudonyme à l'ensemble des infractions qui sont punies d'une peine d'emprisonnement puisque les enquêteurs qui sont spécialement habilités et formés à l'utilisation de ces techniques pourront, en utilisant une identité d'emprunt, participer à des échanges sur les réseaux sociaux et entrer ainsi en contact avec les auteurs des infractions.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Envisagez-vous une extension aux personnels techniques et scientifiques ou à d'autres intervenants dans l'enquête ? C'est une question souvent soulevée par ces personnels.

Debut de section - Permalien
Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces

Il ne s'agit pas ici de l'anonymisation des enquêteurs intervenant dans les procédures. Il s'agit de permettre à des agents de constater une infraction en utilisant une identité d'emprunt pour démasquer, par exemple, un trafic de stupéfiants.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Je pense aux incidents intervenus à l'Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants. Certains enquêteurs se sont émus du fait que la doctrine retenue par certains magistrats n'était plus celle de leurs successeurs.

Debut de section - Permalien
Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces

Vous évoquez la question des coups d'achat, des livraisons surveillées, de l'infiltration des réseaux. Nous avons mis en place un groupe de travail pour y réfléchir avec les services d'enquête du ministère de l'Intérieur et des Douanes.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Le fait est que les policiers ne courent pas seulement des risques physiques mais aussi juridiques.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux

Nous travaillons à définir des règles partagées et par ailleurs, le texte que je vous proposerai rendra les choses plus simples et plus lisibles, grâce à l'harmonisation que j'évoquais.

Afin de renforcer l'efficacité de l'enquête, nous prévoyons d'étendre les pouvoirs des enquêteurs : tel est le deuxième point qui figurera dans la loi.

Nous souhaitons doter ceux-ci de prérogatives plus larges pour répondre aux évolutions de la criminalité. Le projet prévoit ainsi d'étendre la durée de l'enquête de flagrance, par exemple, lorsque la procédure concerne un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement contre cinq ans actuellement.

Nous prévoyons également d'accroître les possibilités de réaliser des perquisitions dans le cadre de l'enquête préliminaire, le projet de loi permettra en outre aux enquêteurs, à la demande du procureur de la République, de pénétrer de jours dans un domicile aux seules fins d'interpeller une personne suspectée d'un crime ou d'un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement, comme c'est déjà le cas pour les mandats de recherche.

Il est également prévu de simplifier le déplacement des officiers de police judiciaire sur le territoire national, en supprimant l'exigence d'obtenir à chaque fois une autorisation préalable du Procureur de la République, comme le souhaitaient depuis longtemps les gendarmes et les policiers.

Enfin, le projet de loi permettra aux enquêteurs de consulter plus facilement les fichiers administratifs qu'ils ne peuvent le faire aujourd'hui, et ce, sans qu'il leur soit nécessaire de solliciter au préalable une autorisation du procureur à cette fin, comme c'est le cas actuellement.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Ce qui est chronophage tant pour les forces de l'ordre que pour les parquets.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux

Cette mesure, qui peut sembler technique, est de fait très demandée, puisque les enquêteurs pourront obtenir des éléments de preuve plus rapidement.

Le troisième point de ce projet de réforme porte sur l'allégement d'un certain nombre de tâches incombant aux enquêteurs.

Le projet de loi prévoit, par exemple, de simplifier sur plusieurs points les dispositions relatives à la garde à vue. Il rend notamment facultative la présentation de la personne devant le procureur de la République ou le juge d'instruction pour la première prolongation de 24 heures de la garde à vue.

Il étend, par ailleurs, les prérogatives des APJ, les agents de police judiciaire, qui auront le droit d'effectuer des actes d'enquête non coercitifs du type réquisition à sachant, mesures de dépistage des conducteurs en matière d'alcoolémie ou d'usage de stupéfiants etc.

Le quatrième point porte sur la forfaitisation d'un certain nombre de délits. La loi pour une justice du XXIème siècle de 2016 a déjà introduit la possibilité de cours recourir à la procédure d'amende forfaitaire pour les délits de conduite sans permis et de défaut d'assurance. Des travaux interministériels importants ont été conduits entre le ministère de la Justice et le ministère de l'Intérieur, notamment avec la délégation à la sécurité routière et l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions pour concrétiser ces dispositions au mois de juillet prochain, avec un déploiement national à la fin de l'année.

Par ailleurs, nous prévoyons, dans le projet de loi que je vous présenterai, la possibilité de prononcer une amende forfaitaire pour la consommation de stupéfiants, tout en conservant le caractère délictuel de l'infraction

Le cinquième point porte sur la consécration d'une procédure pénale numérique - ce qui répond, monsieur le rapporteur, à votre troisième question.

Je souhaite simplifier la réalité du travail des enquêteurs et des magistrats, mais aussi des personnels de greffe dans les tribunaux, en mettant en place un dossier pénal numérique unique qui ira du dépôt de la plainte jusqu'au jugement. Et ce ne sont pas que des mots puisque le 10 novembre dernier, nous avons, avec le ministre de l'Intérieur, annoncé une équipe interministérielle de préfiguration. Cette équipe s'est mise en place, elle a travaillé avec deux objectifs : alléger les tâches des enquêteurs en favorisant la transmission instantanée des procédures entre le service enquêteur et la juridiction ; utiliser les potentialités offertes par le numérique, par la création d'un logiciel commun entre le ministère de l'Intérieur et le ministère de la Justice. Ce groupe a déjà remis un rapport préfigurant le cahier des charges qui va nous servir de base pour construire cette application visant à mettre en place le dossier pénal numérique unique, dont nous espérons la mise en place dans moins de deux ans, en 2020.

Le ministère de la Justice dispose des moyens financiers et en personnel pour aboutir ; cela fera partie de la loi de programmation et de réforme pour la justice qui nous permettra de concrétiser cette ambition à laquelle je tiens vraiment tout particulièrement.

Tels sont les cinq points sur lesquels nous proposons d'avancer, en attendant une refonte complète du code de procédure pénale, à laquelle je me suis engagée, mais qui reste un travail de longue haleine.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

La frustration des forces de l'ordre tient au renoncement à l'oralisation. Ils ont peur que rien ne change, et que le scan ne vienne remplacer la photocopie.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux

Ce ne sera pas le cas si la procédure est numérique.

Il faut se méfier de propositions qui peuvent apparaître séduisantes mais présentent en réalité des inconvénients difficilement surmontables. L'oralisation de la procédure pénale n'est pas une proposition nouvelle, puisque le rapport de Jacques Beaume remis en juillet 2014 évoquait déjà la possibilité de renforcer l'oralisation de certains actes, dans le cadre de procédures simples. L'enregistrement avait, dans cette optique, vocation à devenir une pièce de procédure.

Dans le prolongement de ce rapport, une expérimentation de déscripturalisation totale de la procédure a été conduite par la direction générale de la police nationale, qui l'a toutefois jugée non concluante.

En 2015, dans le cadre d'un groupe de travail entre Justice et Intérieur sur la simplification de la procédure pénale, la question de l'oralisation a de nouveau été étudiée. La direction générale de la gendarmerie nationale a alors proposé d'expérimenter ce dispositif pour des procédures simples, relevant d'un contentieux de masse, en versant au dossier les auditions, sous forme d'enregistrements, et un procès-verbal de synthèse récapitulant les mentions importantes et le déroulé. La direction des affaires criminelles et des grâces a consenti à expérimenter l'oralisation de la procédure, de la phase d'enquête à la phase de jugement, mais la direction de la gendarmerie nationale n'a finalement pas donné suite à son souhait d'expérimentation et elle a privilégié une réflexion sur l'usage des logiciels de dictée.

Le rapport remis par MM. Beaume et Natali au mois de janvier dernier, dont je parlais tout à l'heure, relève que l'oralisation totale des procédures est l'objet d'avis globalement très critiques, mais il souligne que les services de police et de gendarmerie souhaiteraient qu'une expérimentation soit conduite dans les procédures les plus simples.

Je suis pour ma part assez réservée sur l'oralisation. En premier lieu, lieu l'oralisation complète des auditions en phase d'enquête, sans rédaction de procès-verbaux, aurait pour conséquence d'alourdir considérablement la tâche des magistrats et d'allonger les délais de traitement des procédures par les juridictions, notamment au stade du jugement. Or, la simplification escomptée ne saurait bénéficier qu'aux seuls services d'enquête, au détriment de l'activité juridictionnelle. Si simplification il y a - ce qui est évidemment notre objectif - il faut qu'elle porte et sur la phase d'enquête et sur la phase juridictionnelle.

En second lieu, les magistrats et les avocats sont, dans leur grande majorité, opposés à l'oralisation de certains actes de procédure, les premiers craignant une perte de temps considérable à l'écoute des enregistrements et les seconds arguant de l'impossibilité d'examiner de manière effective la régularité des actes d'enquête.

En troisième lieu, j'attire votre attention sur le fait que le gain de temps espéré par les services d'enquête risque d'être faible. Outre que l'atteste l'expérimentation conduite par la DGPN en 2014, les rapports précités préconisent de limiter l'oralisation à des procédures simples, qui supposent la reconnaissance des faits par l'auteur de l'infraction, lesquelles peuvent déjà faire l'objet d'un traitement simplifié.

Enfin, je rappelle qu'un décret du 7 septembre 2016 portant simplification du code de procédure pénale, a mis fin à la règle de procédure « un acte, un procès-verbal ». Ce décret permet désormais aux enquêteurs de présenter au sein d'un procès-verbal unique l'ensemble des investigations et éventuellement la réponse pénale qui a été apportée pour les infractions les plus simples et les plus courantes. Beaucoup d'enquêteurs, cependant, ignorent l'existence de ce décret.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Il y a peut-être une voie entre le tout ou rien. Ceux qui militent pour l'oralisation n'excluent pas la rédaction de synthèses. Le problème qu'ils soulèvent est celui de la transcription intégrale d'auditions dans le cas d'affaires mineures auxquelles très souvent, le Parquet décide de ne pas donner suite.

S'agissant du procès-verbal unique, on s'est rendu compte, en effet, que les enquêteurs ne s'appropriaient pas les possibilités de simplification. Est-ce force de l'habitude, manque de communication entre la Justice et l'Intérieur, crainte de manquer à une règle formelle qui ferait s'effondrer la procédure ?

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux

Le directeur des affaires criminelles vous répondra sur ce point. Si l'oralisation totale n'est pas une bonne idée, nous encourageons le recours à des logiciels de dictée ou de reconnaissance vocale pour faciliter la vie des enquêteurs, tout en laissant une trace écrite.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

L'écrit est-il indispensable pour la notification des droits, alors qu'il suffit de voir la vidéo pour s'assurer qu'elle a bien eu lieu ?

Debut de section - Permalien
Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces

Cette simplification est envisagée par la réflexion en cours sur la procédure numérique, qui prévoit des modules audio. La notification des droits pourrait se faire de manière orale, être enregistrée comme un module et être ainsi consultée facilement.

Sur le volet évolution à droit constant, nous avons pleinement conscience que toutes les mesures de simplifications de 2016 ne sont pas appliquées. Un groupe de travail commun Intérieur-Justice sur l'appropriation par les services d'enquêtes de toutes ces mesures de simplification prépare un memento.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Espérons qu'il ne sera pas aussi épais que le code de procédure pénale...

Debut de section - Permalien
Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces

Il ne le sera pas ! Nous travaillons également sur l'évolution du logiciel de dictée LRPPN pour la police et de son équivalent pour la gendarmerie.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux

Nous devons maintenant traduire le résultat des travaux de ce groupe de travail dans la procédure numérique

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Lherbier

Je suis ravie de vous entendre, Madame la ministre. Universitaire, j'ai longtemps été directrice des études de l'institut des études judiciaires de Lille. Les futurs commissaires étaient pleins d'aspirations...

Cela me fait mal quand j'entends qu'on attaque la justice. Personne mieux qu'un juge ne peut mesurer la vulnérabilité des citoyens. Cependant, lors de ma cellule de veille hebdomadaire tous les vendredi matin, j'entendais le doute s'exprimer : que vont faire les magistrats de tous ces gens que nous avons mis hors d'état de nuire ? Lors des auditions, nous avons entendu les mêmes propos.

Lorsqu'ils étaient étudiants, les futurs commissaires étaient enthousiastes. Pourquoi perdent-ils ensuite leur attirance pour la police judiciaire ? C'est dommage !

Le meurtre dans le Nord d'une petite fille par un pédophile a suscité une réaction que l'on pourrait résumer ainsi : la police a fait son travail, la justice aussi, puisque le violeur et assassin a été mis en prison. Mais que s'est-il passé après qu'il a purgé sa peine ? Le manque de suivi judiciaire étonne aussi les policiers, qui considèrent que ce suivi est de la responsabilité des juges. Dans le Nord, les policiers plaident pour que la justice se réapproprie la chaine pénale jusqu'au bout, concernant les criminels qui mettent en danger la société. Il est regrettable que le suivi pénal ne soit pas systématique. Même chose pour les violences faites aux femmes. A-t-on appréhendé la dangerosité des délinquants, les a-t-on soignés lorsqu'ils étaient en prison ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain CAZABONNE

Quand je vois les relations difficiles entre police et justice, je me demande si elles ne seraient pas liées à l'accumulation des textes, qui engendre un surcroit de travail. Or les responsables de cette accumulation sont devant vous ! Il y a 9 000 lois en vigueur en France, auxquelles s'ajoutent 520 000 textes réglementaires !

Maire de Talence pendant 24 ans, j'ai essayé de ne prendre des arrêtés que s'ils étaient applicables. Les policiers me le disaient, ils sont surchargés d'affaires qui leur demandent beaucoup de travail pour finalement ne pas aboutir. Concernant l'usage de cannabis, mieux vaut une bonne contravention que le classement sans suite d'une affaire qui a demandé beaucoup de paperasse.

Une main aux fesses d'une jeune fille dans le tramway peut valoir en théorie jusqu'à quatre ans de prison, mais la justice ne prononcera jamais une telle peine. N'avez-vous pas le sentiment qu'il y a trop de lois ?

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux

Madame Lherbier, je ne sais pas s'il existe une réponse unique à la perte d'attractivité de la police judiciaire. Nous espérons que la simplification de la procédure que nous entreprenons contribuera à y remédier. Je connais le malaise lié au sentiment que la justice serait laxiste vis à vis de la délinquance et des atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique. Nous luttons pour que ce sentiment s'estompe, car la réalité, selon nous, est différente : nous cherchons au contraire à réprimer sévèrement, notamment les atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique, qui font l'objet soit d'infractions spécifiques, soit d'aggravations d'infractions de droit commun. J'ai signé une circulaire de politique pénale générale le 21 mars dernier qui cible cet enjeu.

La crédibilité des peines fera partie des thèmes de la réforme que je présenterai, en résonnance avec les propos du Président de la République à l'Ecole nationale de l'administration pénitentiaire. Il s'agit de disposer d'un système de peines mieux adapté à la réalité de la délinquance. Prévoir systématiquement une peine d'emprisonnement, surtout de courte durée, n'est pas le plus adapté. Il faut par ailleurs s'assurer qu'une peine prononcée soit effectivement exécutée. Nous construisons notre politique pénale autour de ces deux axes, avec des peines autonomes qui ne sont plus de simples substitutions à l'emprisonnement. Des interdictions de se rendre sur un territoire donné peuvent parfois être très utiles, par exemple.

J'espère qu'une procédure moins complexe, des peines plus adaptées et mieux appliquées, des sanctions efficaces pour protéger les personnes dépositaires de l'autorité publique, permettront de dissiper ce malaise.

Vous avez évoqué le meurtre d'Angélique à la suite de son viol et vous vous interrogez sur le suivi des personnes ayant commis de tels crimes. Les coupables de tels actes sont inscrits, depuis 2004, au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV). Ces personnes ont l'obligation de déclarer leur domicile : c'est ce qui a permis de retrouver très vite le mis en cause dans le cas d'espèce.

Concernant le suivi judiciaire et médical, l'affaire Angélique est singulière : le premier viol a été commis il y a 24 ans ; les dispositions prises en 1998, qui entrainent un suivi socio-judiciaire avec possibilité d'un suivi thérapeutique obligatoire n'étaient pas applicables. Vous le savez, l'obligation de soin peut aller jusqu'à la prise d'inhibiteurs de libido. Ce genre de situations est mieux pris en charge aujourd'hui.

Monsieur Cazabonne, je partage votre point de vue sur l'accumulation des textes. Nous veillons, avec le Conseil d'État, à ce que les lois soient normatives et claires et, même si c'est sans le dire, moins nombreuses. Dans cette même optique, nous avons également considérablement réduit le nombre de circulaires aux procureurs, qui en étaient auparavant quelque peu inondés.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Lherbier

Disposez-vous des effectifs suffisants pour assurer le suivi dont vous venez de parler ? En matière de violences faites aux femmes, nous avons constaté d'importantes difficultés...

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux

Plus que pour les juges, il me semble que des difficultés peuvent apparaître pour les médecins et les éducateurs, sur lesquels repose une bonne part du suivi socio-judiciaire.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux

Le budget du ministère de la Justice augmentera, en cinq ans, d'environ 1,7 milliard d'euros, soit une progression de presque 25 %, ce qui représente la plus forte augmentation depuis fort longtemps !

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Nous partons de tellement bas qu'on n'a pas vraiment le sentiment que cela couvre tous les besoins constatés sur le terrain !

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux

Rien n'est jamais suffisant pour la justice...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Sol

Je salue votre ambition de refondre partiellement la procédure pénale. Vous affichez deux objectifs majeurs : la simplification et l'harmonisation. De manière concrète, aurez-vous les moyens matériels et humains pour remplir ces objectifs, en particulier en termes de formation ? Comment entendez-vous assurer le suivi et l'évaluation de cette réforme ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Les droits de la défense sont évidemment très importants. La simplification des tâches qui incombent aux enquêteurs aura-t-elle des conséquences sur la place des avocats durant la garde à vue ?

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux

En ce qui concerne les moyens de la Justice, le projet de loi de programmation et de réforme de la justice prévoira 1,7 milliard d'euros supplémentaires entre 2017 et 2022 et ouvrira le recrutement de 6 500 emplois - magistrats, fonctionnaires, surveillants de l'administration pénitentiaire... La réduction de la complexité des tâches et la création d'emplois devraient nous permettre de faire fonctionner la justice plus rapidement et plus efficacement.

Au sujet de l'évaluation de cette réforme, je vous rappelle que la révision constitutionnelle proposée par le Gouvernement entend renforcer les pouvoirs du Parlement en matière d'évaluation des politiques publiques. Je reviendrai donc naturellement vers vous au moment opportun.

En ce qui concerne la présence des avocats durant la garde à vue, je vous rappelle qu'il s'agit d'une obligation constitutionnelle réaffirmée à plusieurs reprises. La simplification que nous envisageons profitera aux avocats et n'obèrera pas les droits de la défense. Il faut savoir que, lorsque les forces de sécurité intérieure n'ont pas pu obtenir satisfaction sur certaines de leurs demandes, c'est en raison d'obligations conventionnelles et constitutionnelles ; cela fait partie de mon rôle en tant que garde des sceaux, j'y suis très attachée.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Je souhaite maintenant que nous puissions évoquer la question des tâches indues, qui regroupe trois volets : l'administration pénitentiaire, la police municipale, avec l'éventuelle qualification judiciaire de ses membres, et la sécurité privée. Sur ce dernier point, le conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) et les employeurs sont-ils suffisamment informés des antécédents judiciaires des candidats ?

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux

Je souhaite tout d'abord rappeler que les extractions judiciaires, qui doivent assurer la comparution des personnes placées sous main de justice, répondent évidemment à un intérêt public ; il n'apparaît donc pas illégitime que leur charge soit supportée par l'ensemble des forces de sécurité intérieure - ce qui inclut les agents de l'administration pénitentiaire.

Le transfert de la charge des missions d'extraction judiciaire du ministère de l'Intérieur vers celui de la Justice a été décidé lors d'une réunion interministérielle qui s'est tenue en 2010. Malheureusement, les effectifs nécessaires à une reprise intégrale de ces missions par l'administration pénitentiaire ont été, à l'origine, insuffisamment évalués. Pour autant, ce processus a débuté en 2011 et doit se poursuivre progressivement jusqu'en novembre 2019. À ce jour, 70 % des extractions judiciaires effectuées par les forces de sécurité intérieure ont été transférées à la direction de l'administration pénitentiaire.

Toutefois, l'insuffisance du transfert des équivalents temps plein nécessaires pour assumer cette mission, l'insuffisante diminution du volume des extractions requises et l'organisation du maillage territorial retenue par la direction de l'administration pénitentiaire ont occasionné un certain nombre d'impossibilités de faire. Ces situations ont cependant diminué entre 2016 et 2017, leur taux passant de 21 % à 12 % avec des disparités importantes selon les régions.

À la suite d'un rapport d'inspection interministérielle, un plan d'action a été adopté par les ministres de l'Intérieur et de la Justice, le 3 mars 2017, et une circulaire, qui décline ce plan, cosignée par Gérard Collomb et moi-même, a été diffusée le 28 septembre 2017.

Plusieurs mesures de ce plan impliquent une mobilisation accrue tant du ministère de l'Intérieur que du ministère de la Justice.

Ainsi, le ministère de l'Intérieur doit adapter le calendrier de reprise pour répondre aux délais de recrutement, de formation et d'affectation, tout en conservant, évidemment, le principe d'une reprise totale en 2019. Dans 21 établissements pénitentiaires, la prise en charge des extractions vicinales, c'est-à-dire celles requises par une juridiction située à proximité de l'établissement, est assurée, par dérogation à la règle générale, par les forces de sécurité intérieure. Les extractions judiciaires présentant un enjeu procédural majeur sont également prises en charge par les forces de sécurité intérieure, lorsque l'administration pénitentiaire est dans l'incapacité absolue d'exécuter les réquisitions afférentes. Ces trois points impliquent la mobilisation du ministère de l'Intérieur.

Le ministère de la Justice doit également fournir un effort supplémentaire, en s'organisant pour faire face aux difficultés qui ont été identifiées. L'administration pénitentiaire doit, d'une part, revoir le maillage territorial et l'organisation des structures dédiées aux extractions judiciaires - les fameux pôles de rattachement d'extractions judiciaires (PREJ). Par ailleurs, le recours à la visioconférence doit être optimisé : d'un point de vue technique, des progrès ont d'ores et déjà été constatés ; d'une manière générale, je vous proposerai, dans le cadre du projet de loi de réforme de la justice, d'accroître la possibilité de recourir à la visioconférence, en supprimant la nécessité de l'accord du détenu, à l'exception de la première comparution. Les magistrats doivent aussi, désormais, signaler les réquisitions d'extractions qui comportent un enjeu procédural majeur, en particulier lorsqu'il existe un risque de remise en liberté, et qui doivent être exécutées en priorité par la direction de l'administration pénitentiaire ; en cas de carence absolue des moyens, l'extraction doit alors être réalisée par les forces de l'ordre. Nous essayons de nous organiser pour que cette situation ne se présente pas.

Vous le voyez, les choses s'améliorent des deux côtés. Nous sommes aussi en discussion avec le ministère de l'Intérieur, qui sollicite une révision des tarifs kilométriques des missions d'extraction - ils n'ont pas été revus depuis 1993... Enfin, je signale que nous avons mis en place un comité stratégique des directeurs, qui réunit les deux ministères et veille à la bonne exécution de ces missions.

Debut de section - Permalien
Stéphane Bredin, directeur de l'administration pénitentiaire

En ce qui concerne la direction de l'administration pénitentiaire et au-delà des points qui ont été évoqués par Mme la garde des sceaux, nous poursuivons les recrutements des personnels qui seront affectés dans les pôles régionaux d'extractions judiciaires. Il faut savoir que ces pôles ne font pas partie des structures pénitentiaires les plus attractives pour les personnels et qu'ils sont parfois rattachés à des établissements eux-mêmes peu attractifs - je pense notamment aux régions parisienne, lyonnaise et marseillaise. C'est pourquoi nous menons une réflexion sur les moyens de fidéliser les agents concernés.

Le deuxième axe important d'amélioration concerne la réflexion que nous menons sur le maillage : il existe des disparités extrêmement fortes entre les territoires en termes d'impossibilité de faire. Il est relativement facile de rationaliser le processus d'extraction dans des zones disposant d'établissements pénitentiaires et de tribunaux importants, par exemple en organisant des extractions groupées. C'est plus difficile lorsque le territoire est vaste et que le pôle régional est éloigné de certains tribunaux et établissements. Dans ce cas, les extractions vicinales ont été reprises, en partie, par le ministère de l'Intérieur et, pour celles qui restent de la compétence du ministère de la Justice - plus de la moitié d'entre elles -, nous passons d'une logique strictement régionale à une organisation par établissement.

Enfin, le recours à la visioconférence, qui ne relève pas strictement de la compétence de l'administration pénitentiaire, a quasiment doublé entre avril 2017 et mars 2018, passant de 900 à environ 1 600 : cette progression révèle l'évolution des mentalités et la levée de différents prérequis techniques, mais surtout la confiance que les juridictions, les justiciables et leurs défenseurs lui accordent. En outre, le projet de loi de programmation ouvrira de nouvelles possibilités d'utilisation.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Que pensez-vous d'une éventuelle qualification judiciaire du personnel de l'administration pénitentiaire et du rehaussement de la qualification judiciaire des policiers municipaux dans certains domaines pour décharger la police nationale de charges indues ? Enfin, l'information mise à la disposition des employeurs de sécurité privée pour recruter est-elle suffisante ?

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, garde des sceaux

Les policiers municipaux sont des agents de police judiciaire adjoints et interviennent sous le contrôle des OPJ. Une évolution de leur statut peut éventuellement être envisagée, mais il existe aujourd'hui d'importantes différences de niveau en termes de recrutement et de formation, ce qui rend cette question délicate. À tout le moins, il faut bien réfléchir à l'ensemble de ces paramètres et articuler correctement le rôle de chacun, sous le contrôle du procureur.

Debut de section - Permalien
Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces

En ce qui concerne le recrutement des personnels des sociétés de sécurité privée, un mécanisme permet au CNAPS d'avoir accès au fichier des antécédents judiciaires (TAJ) par l'intermédiaire des procureurs. Ce secteur recrute beaucoup et nous sommes donc très attentifs à ce que les choses se déroulent au mieux et à ce que les employeurs connaissent les antécédents de leurs agents.

Debut de section - Permalien
Stéphane Bredin, directeur de l'administration pénitentiaire

Une éventuelle qualification judiciaire pour les personnels de l'administration pénitentiaire pourrait constituer une forme de paradoxe au regard de l'évolution que nous constatons depuis une quinzaine d'années, tendant à ce que les ministères de l'Intérieur et de la Justice se recentrent sur leurs missions. Il est clair qu'aujourd'hui, les agents de l'administration pénitentiaire ne sont pas formés au métier, très spécifique, d'officier de police judiciaire.

En outre, les finalités de nos missions sont très différentes : en simplifiant, l'administration pénitentiaire poursuit une double mission, sécuritaire - protéger la société et punir les condamnés - et sociale - favoriser l'amendement du condamné et préparer les conditions de sa réinsertion -, tandis que la police judiciaire vise à recevoir les plaintes, constater les infractions, rechercher leurs auteurs, rassembler des preuves...

Enfin, les agents de l'administration pénitentiaire et les détenus ont un rapport à la fois de proximité et de suggestion. Ajouter des pouvoirs de police judiciaire dans une telle relation asymétrique entraînerait une difficulté supplémentaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Je vous remercie, madame la garde des sceaux, messieurs, de vos interventions. N'hésitez pas à nous transmettre des éléments écrits si vous l'estimez nécessaire.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion, close à 11 heures, est reprise à 14 heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Nous allons entendre M. Éric Voulleminot, directeur central adjoint de la police judiciaire. Notre commission d'enquête analyse les difficultés rencontrées par les forces de sécurité intérieure dans l'exercice de leurs missions. La lourdeur et la complexité de la procédure pénale est l'une des causes du malaise que celles-ci expriment. Nous avons notamment entendu MM. Beaume et Natali, auteurs du rapport consacré à la question, ainsi que la ministre de la justice, ce matin même. Nous avons également effectué un déplacement à Bordeaux consacré à ce thème. Quelles sont les mesures prises au sein de la police judiciaire (PJ) pour remédier à ce problème ?

Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié. Enfin, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Éric Voulleminot prête serment.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Notre commission d'enquête a été constituée après la vague de suicides dans la police, et à la suite du mécontentement fort exprimé par les policiers d'une manière qui débordait le cadre syndical. Quelles sont les causes de ce malaise ? Que proposer pour y remédier ? À l'échelle individuelle, nous avons déjà beaucoup de réponses. Dans la police judiciaire, quelles mesures sont mises en oeuvre pour prendre en charge les risques psychosociaux ? Sont-elles suffisantes ? S'inscrivent-elles dans le même cadre d'action que celles prise par la Sécurité publique ou les CRS ?

Beaucoup de policiers dénoncent le fossé grandissant entre les trois corps de la police nationale. À l'inverse, alors que la gendarmerie nationale est très hiérarchisée, un général s'y considère comme le camarade d'un brigadier. Une telle fraternité semble manquer entre les commissaires, les officiers et les gardiens de la paix. Qu'en pensez-vous ? La formation ne fait pas en sorte que les commissaires partagent la condition des policiers. Comment réduire ce fossé ? Il y a quelques décennies, existait un esprit de corps dans la police. La situation semble s'être dégradée à cet égard, notamment sous la pression de contraintes extérieures transformant les commissaires en gestionnaires plus qu'en meneurs d'hommes sur le terrain.

La police nationale ne souffre-t-elle pas d'une organisation en tuyaux d'orgue ? Dans la gendarmerie, il y a une forme d'horizontalité à chaque niveau territorial. La césure entre les services régionaux de police judiciaire et la sûreté départementale est plus grande qu'entre les sections de recherche et les brigades de recherche.

Certains dénoncent une politique du chiffre. A-t-elle vraiment existé ? Existe-t-elle encore ? Difficile à dire. Quid de la PJ à cet égard ? Y a-t-il des exigences plus quantitatives que qualitatives, qui ne seraient pas comprises par la hiérarchie intermédiaire, ce qui ne ferait qu'accroître la pression sur les subordonnés ?

Les policiers se plaignent aussi de la lourdeur de la procédure judiciaire et des tâches administratives : d'après eux, celles-ci absorbent les deux tiers de leur temps. Est-ce le cas dans la PJ ? La réforme de la procédure pénale qui s'esquisse répond-elle aux attentes de vos services ? Avez-vous le sentiment d'avoir été entendus par le ministère de l'Intérieur ?

On évoque parfois la création d'une académie de police. Ne faudrait-il pas développer les formations communes aux différents corps ? La formation initiale de votre personnel le prépare-t-il suffisamment à exercer son métier ? La formation continue est-elle satisfaisante ?

Debut de section - Permalien
Éric Voulleminot, directeur central adjoint de la police judiciaire

Les travaux de votre commission d'enquête portent sur le mal-être que les forces de sécurité ont ouvertement manifesté fin 2016. Vos auditions visent à dresser un diagnostic, à déterminer les causes du problème et à définir des solutions. Ce mal-être résultait d'une superposition de problématiques : baisses d'effectifs, réductions budgétaires, engagement maximal et durable dans la lutte contre le terrorisme - cause légitime mais ayant fini par générer une certaine fatigue - complexification de la procédure, niveau croissant d'insécurité dans les interventions de terrain, sentiment d'insécurité permanent ressenti par les fonctionnaires de police du fait de leur profession, pour eux-mêmes comme pour leur famille - surtout depuis l'attentant de Magnanville, dont nos services ont eu à connaître - manque de reconnaissance enfin.

Les services de la PJ ont été impactés par ce mal-être, et le directeur central de la police judiciaire (DCPJ), Mme Mireille Ballestrazzi, tout son état-major ainsi que les chefs de services centraux et territoriaux se sont mobilisés pour faire face à ces problématiques.

Cela dit, leur impact sur la PJ a été moindre que dans d'autres services, pour quatre raisons.

D'abord, en raison de la nature et du niveau des affaires qui nous sont confiées. La direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) est une direction spécialisée, qui lutte contre la criminalité organisée, la délinquance spécialisée, la cybercriminalité et le terrorisme. Elle est organisée autour de sept services centraux et onze services territoriaux, qui couvrent la totalité du territoire national, et emploie quelque 5 300 personnes, des enquêteurs aux personnels administratifs en passant par la police technique et scientifique. Les enquêtes engagées sur des dossiers sensibles donnent lieu à des missions valorisantes.

De plus, la DCPJ bénéficie d'un budget opérationnel de programme national, et le DCPJ est lui-même un officier de police judiciaire (OPJ), comme le sont son adjoint et tous les chefs des services centraux et territoriaux.

Debut de section - Permalien
Éric Voulleminot, directeur central adjoint de la police judiciaire

Non ! Le DCPJ peut être saisie directement par l'autorité judiciaire de toute affaire majeure, surtout en matière de terrorisme. Il mobilise alors le nombre adéquat de services - la chaîne hiérarchique répond parfaitement. Ainsi, lors de l'attentat de Nice, plus de 300 fonctionnaires de la PJ ont été projetés sur les lieux au cours de la nuit. Ils venaient de Marseille et Montpellier, mais aussi de la sous-direction antiterroriste de Levallois et de la sous-direction anti-cybercriminalité de Nanterre. Et, le jour de l'attentat de Trèves et Carcassonne, 170 fonctionnaires ont été projetés sur les lieux dans les trois heures, issus des deux mêmes sous-directions ou bien venus de Marseille, ou encore de Lyon.

Les fonctionnaires impliqués dans des affaires aussi emblématiques ont une motivation toute particulière, et veulent être engagés. De telles enquêtes fédèrent, tous grades confondus.

Debut de section - Permalien
Éric Voulleminot, directeur central adjoint de la police judiciaire

J'y viens. Dans la police judiciaire, les services ont vocation à engager des enquêtes d'initiative, sur la base de renseignements qu'ils ont recueillis. C'est aussi très valorisant.

Je vois une deuxième raison dans la spécialisation des fonctionnaires de la DCPJ : criminalité organisée, cybercriminalité, lutte contre le terrorisme... Nos fonctionnaires bénéficient de formations organisées par nos soins, soit pour s'initier à un domaine, soit pour s'y perfectionner. Ainsi, chacun bénéficie de l'expérience et des connaissances accumulées dans la maison.

Troisième raison : l'engagement de toute la chaîne hiérarchique dans le management opérationnel des enquêtes. Sur les dossiers majeurs, emblématiques, difficiles, ou lorsque les enjeux sont particulièrement élevés, des fonctionnaires de corps différents s'impliquent à tous les stades de l'enquête. Dès la constatation, il n'est pas rare qu'un commissaire se transporte, par exemple, sur la scène d'un règlement de comptes à Marseille. Les commissaires peuvent aussi s'impliquer dans des filatures ou des interpellations sensibles, dans les séquences de garde à vue et, d'une manière générale, dans le déroulé et le suivi de l'enquête. Ils contrôlent en tous cas la rigueur de la procédure. Cet engagement de la chaîne hiérarchique, qui est l'ADN de la police judiciaire, se poursuit jusqu'au stade du jugement, puisque le président de la Cour d'assise cite à la barre plusieurs enquêteurs, en commençant par le commissaire de police, qui présente la stratégie de l'enquête et les éléments recueillis à l'encontre de l'accusé, avant d'appeler d'autres fonctionnaires à témoigner sur la partie de l'enquête qu'ils ont menée.

Quatrième raison, enfin : la PJ ne recrute pas en sortie d'école, puisque les jeunes recrues sont envoyées dans des directions généralistes ou à la Préfecture de police de Paris, qui manque toujours d'effectifs, mais sur dossier et après un entretien visant à évaluer le profil du candidat, sa disponibilité, son expérience professionnelle et sa motivation. Les candidats connaissent bien sûr les exigences de disponibilité et de réactivité de la PJ et, lorsqu'ils sont retenus, ils en adoptent rapidement les valeurs : travail collectif, solidarité, rigueur et efficacité.

Ces quatre raisons expliquent, à mon sens, pourquoi le mal-être des forces de sécurité a été moins fort au sein de la PJ. Pour autant, il n'a pas été inexistant, et le DCPJ s'est mobilisé pour y faire face. Les problèmes touchent, en gros, soit aux ressources humaines, soit au matériel et à l'équipement.

La baisse de nos effectifs s'est poursuivie mécaniquement jusqu'en 2015. La mise en oeuvre des plans de lutte antiterroriste et du pacte de sécurité ont permis de passer de 4 900 personnes en 2015 à plus de 5 000, avant d'atteindre 5 350 aujourd'hui. C'est une hausse de 10 %, qui a essentiellement profité à la sous-direction anti-terroriste ainsi qu'aux unités de surveillance, de filature et d'interpellation d'individus dangereux, et à celles où la charge de travail était particulièrement lourde. Et la création, en avril 2017, du service central de police technique et scientifique, a mobilisé quelque 200 fonctionnaires supplémentaires. Nos services s'en sont trouvés renforcés, et remis à niveau.

Pour fidéliser nos fonctionnaires, nous assurons pour eux formation et perfectionnement. Ainsi, nous organisons chaque année 19 ou 20 stages thématiques, ouverts aux fonctionnaires d'autres directions : enquêtes économiques et financières, analyse criminelle, saisie des avoirs criminels, surveillance, filature et interpellation d'individus dangereux, lutte anti-terroriste, investigations en cybercriminalité... Nous avons aussi réformé la nomenclature des postes, ce qui permet à des membres des corps d'encadrement et d'application d'exercer des fonctions jusqu'alors réservées à des OPJ.

Deuxième point : les heures supplémentaires. C'est un sujet difficile, notamment dans la PJ.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Êtes-vous concernés par les 21 millions d'heures supplémentaires non payées ?

Debut de section - Permalien
Éric Voulleminot, directeur central adjoint de la police judiciaire

Nous en avons notre part. L'activité de la PJ est imprévisible par définition, les affaires qui nous sont confiées n'ayant pas obligatoirement lieu entre 8h30 le lundi et 18h30 le vendredi... Cela génère un grand nombre d'heures supplémentaires. De plus, il est fréquent que les saisines se succèdent en quelques heures, ce qui nous oblige à rappeler des personnels. Enfin, beaucoup d'enquêtes menées par la PJ débouchent sur des gardes à vue de 96 heures : vol en bande organisée, trafic de stupéfiant, terrorisme... Nous demandons aux chefs de service d'autoriser des prises de poste décalées en cas de départ tardif le soir, et recourrons de plus en plus à des moyens technologiques pour réduire les besoins en personnel, pour la surveillance ou les vérifications techniques à distance.

La simplification de la procédure pénale ne concerne pas que la PJ. Des groupes de travail se sont réunis, associant des enquêteurs de tous grades. Ils ont formulé 29 propositions de simplification, les ministères de l'intérieur et de la justice ont travaillé sur cette base et un projet de loi a été déposé le mois dernier.

Debut de section - Permalien
Éric Voulleminot, directeur central adjoint de la police judiciaire

Quasiment toutes. L'objectif n'est pas de revoir toute la procédure pénale, ce qui prendrait des années, mais à simplifier à court terme pour alléger le travail des enquêteurs.

L'anonymisation, demandée depuis longtemps par les policiers, l'est encore plus depuis l'attentat de Magnanville. L'article 706-24 du code de procédure pénale attribue l'anonymisation aux fonctionnaires en charge de la lutte antiterroriste : un numéro administratif leur est attribué par le Parquet général de Paris. L'article 15-4 du même code est plus général et touche l'ensemble des enquêteurs : après autorisation du chef de service, le fonctionnaire peut acter de manière anonyme en utilisant son numéro référentiel des identités et de l'organisation lorsque les faits sont punissables d'une peine d'emprisonnement de trois ans ou plus.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

La loi n'incluait pas certains auxiliaires de l'enquête, comme les traducteurs ou les experts. Cela pose-t-il des problèmes ?

Debut de section - Permalien
Éric Voulleminot, directeur central adjoint de la police judiciaire

L'anonymisation est possible pour l'ensemble des acteurs de l'enquête. Autrefois, les personnels techniques et scientifiques, qui opèrent sur les scènes de crime, n'étaient pas protégés.

Notre parc automobile était vieillissant. Il comporte 2 000 véhicules, dont 1 700 véhicules de tourisme directement engagés dans des filatures ou de la surveillance.

Debut de section - Permalien
Éric Voulleminot, directeur central adjoint de la police judiciaire

Non, et certains sont même acquis d'occasion - avec un faible kilométrage - pour un meilleur panachage des marques, garant de discrétion.

Debut de section - Permalien
Éric Voulleminot, directeur central adjoint de la police judiciaire

En effet. En deux ans et demi, nous avons renouvelé un peu moins de 700 véhicules de tourisme. D'après les règles du ministère, seuls 20 % d'entre eux seraient éligibles au renouvellement. Mais, depuis trois ans, un plan de saisie-attribution nous a permis de recevoir 365 véhicules. C'est une solution pragmatique et efficace.

Depuis trois ans, de très gros efforts budgétaires ont été consentis pour renouveler l'armement du personnel et le matériel de protection de nos unités d'intervention, ainsi que notre parc informatique.

Debut de section - Permalien
Éric Voulleminot, directeur central adjoint de la police judiciaire

Je ne développerai pas ce point, mais nous avons quelques IMSI-catcher. Certains crédits sont fléchés pour cela. Ces outils sont utilisés par un seul service.

Debut de section - Permalien
Éric Voulleminot, directeur central adjoint de la police judiciaire

Les besoins exprimés par les services croissent de manière exponentielle.

Debut de section - Permalien
Éric Voulleminot, directeur central adjoint de la police judiciaire

Nous disposons déjà d'un parc de balises important.

Debut de section - Permalien
Éric Voulleminot, directeur central adjoint de la police judiciaire

Mais il ne remplace pas la présence physique.

Debut de section - PermalienPhoto de Samia Ghali

En cas de grosse arrestation, les fonctionnaires touchent-ils une prime ? Si oui, sous quelle forme ?

Debut de section - Permalien
Éric Voulleminot, directeur central adjoint de la police judiciaire

Sur proposition du chef de service, dans certaines affaires qui sortent de l'ordinaire, le DCPJ peut envoyer une lettre de félicitations, avec laquelle ils peuvent demander l'attribution d'une prime. Cela ne porte que sur un nombre limité d'affaires. Les critères sont la durée de l'engagement, les résultats judiciaires et les saisies réalisées. Si les primes sont modestes - quelques centaines d'euros -, les fonctionnaires de police sont très sensibles à la reconnaissance qu'elles manifestent.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Leroy

Je compatis : quand on sait ce qu'il faut comme énergie pour faire aboutir une enquête, et ce qu'en font les magistrats, on se demande si ce n'est pas démotivant pour les OPJ !

Debut de section - Permalien
Éric Voulleminot, directeur central adjoint de la police judiciaire

Les enquêteurs de la PJ sont passionnés. C'est une vocation. Et le fait d'intervenir sur des affaires emblématiques leur apporte une certaine reconnaissance sociale. Comme nous traitons le haut du spectre de la délinquance, les poursuites judiciaires suivent. Même, la stratégie d'enquête fait l'objet d'échanges nourris avec l'autorité judiciaire. C'est vraiment un combat commun.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Leroy

Je ne parlais pas des OPJ, dont je connais la passion et la motivation. Mais, souvent, les résultats ne sont pas à la hauteur de leur investissement. Quel impact psychologique cela a-t-il sur eux ?

Debut de section - Permalien
Éric Voulleminot, directeur central adjoint de la police judiciaire

Dans la police, la mission est d'identifier les malfaiteurs, de les arrêter et de les déférer à l'autorité judiciaire. La satisfaction est d'abord dans l'accomplissement de cette mission.

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert-Luc Devinaz

Ce qui mine le travail des gendarmes, ce sont les affaires de petite délinquance. Comme le parquet est débordé, elles sont classées sans suite et les délinquants sont relâchés le lendemain.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Ancienne élue locale de Trèves, je confirme que la promptitude du déploiement de vos hommes lors de l'attentat a évité des effusions de sang.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de M. Fernand Gontier, Directeur central de la police aux frontières, et de Mme Brigitte Lafourcade, Directrice centrale adjointe.

Notre commission d'enquête s'efforce d'établir un diagnostic objectif sur l'existence ou non d'un mal-être au sein des forces de sécurité intérieure, ce mal-être ayant notamment pu se manifester par des expressions de colère débordant, en particulier depuis la fin de l'année 2016, les canaux traditionnels. Ensuite, elle tente de comprendre les causes de ce phénomène, qu'elles soient matérielles ou morales, et d'examiner l'efficacité des mesures qui ont déjà été prises pour y porter remède au cours des dernières années. Enfin, elle souhaite proposer des pistes pour améliorer la situation.

Nous voulons vous entendre sur ces différents sujets s'agissant de la police aux frontières (PAF), qui a été particulièrement sollicitée au cours des dernières années. Nous avons déjà rencontré des agents de la PAF lors de notre déplacement à Calais. Nos collègues vous poseront ensuite des questions sur des points plus particuliers.

Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié. Enfin, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Fernand Gontier et Mme Brigitte Lafourcade prêtent serment.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Cette commission d'enquête a pour but d'identifier les causes du malaise policier tel qu'il s'est exprimé par une vague de suicides et par l'expression de leur colère hors du champ syndical, et nous souhaitons présenter des propositions pour y remédier.

La police nationale a pris diverses mesures pour prévenir les risques psychosociaux : correspondent-elles aux attentes de la PAF ? L'esprit de corps y est-il développé ?

En raison de la pression migratoire, vos effectifs ont-ils été renforcés ? Dans le cadre de la création de 7 500 postes de policiers, bénéficierez-vous d'effectifs supplémentaires ?

De nombreux policiers ont dénoncé la politique du chiffre, mais certains nous ont affirmé qu'elle n'avait jamais existé tandis que d'autres estimaient qu'elle n'était plus en vigueur. A-t-on fixé des objectifs strictement quantitatifs à la PAF ? Ou bien y a-t-il des critères qualitatifs ? Si tel est le cas, comment sont-ils pris en compte et récompensés ?

Les policiers et les gendarmes souffrent de la lourdeur de la procédure pénale : ils consacrent les deux-tiers de leur temps à des tâches administratives et un tiers seulement aux missions opérationnelles. Est-ce aussi le cas à la PAF ? En outre, la complexification du droit accroît le risque d'erreur de procédure. Votre service en souffre-t-il ? Le projet de loi réformant le code de procédure pénale répond-il à vos attentes ?

Votre parc immobilier et vos véhicules sont-ils aussi vétuste que dans le reste des forces de l'ordre ? Disposez-vous des équipements nécessaires ?

Debut de section - Permalien
Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières

La particularité de la PAF est d'être confrontée depuis 2015 à des situations de crise. La crise migratoire qui a touché l'Europe n'a pas épargné la France. En 2015, l'Europe a vu l'arrivée de 2 millions de migrants, 500 000 en 2016 et 250 000 en 2017. La situation n'est pas meilleure cette année, dans la mesure où les flux migratoires se poursuivent à nos frontières et sont marqués par des mouvements secondaires. Depuis le 13 novembre 2015, nous avons rétabli les contrôles aux frontières qui se poursuivront jusqu'au 31 octobre 2018. Depuis plus de deux ans et demi, nous sommes donc dans une situation atypique pour notre service. Avec Schengen en 1995, les frontières avaient été graduellement supprimées. Aujourd'hui, tel n'est plus le cas : nous avons redéployé massivement nos effectifs aux frontières, à savoir 3 000 à 4 500 agents, en fonction des évènements.

En 2018, nous comptons 11 039 ETP, contre 9 332 au 1er janvier 2008. Si nos effectifs ont augmenté, la situation n'est plus la même non plus : en 2015, nous avons connu la vague migratoire, les attentats et le durcissement du code frontière Schengen. Depuis avril 2017, les contrôles aux frontières extérieures doivent être systématiques à l'entrée et à la sortie : l'ensemble des bases de données nationales et européennes doivent ainsi être interrogées pour chaque voyageur. En 2017, 80 000 personnes recherchées ont été détectées par la PAF, dont un nombre significatif de personnes fichées « S ». Prévention du terrorisme et prévention du risque migratoire peuvent être parfois liés, car nous ignorons souvent les antécédents, l'identité, la nationalité des personnes que nous contrôlons.

L'année 2015 a été une année de fracture : nous sommes passés de la libre circulation au contrôle. La crise migratoire n'a pas disparu : les routes migratoires orientales reprennent de la vigueur. La Méditerranée centrale est pour l'instant maîtrisée avec une baisse de 73 % des flux passant par la Libye. En revanche, la route migratoire en provenance du Maroc a repris de la vigueur, avec un flux attendu cette année de 30 000 migrants. Fin 2018, nous devrions enregistrer 200 000 entrées en Europe. Les migrants viennent traditionnellement d'Afrique de l'ouest, mais aussi de pays en guerre : Irak, Afghanistan, Syrie...

On demande beaucoup à la PAF sur les frontières mais aussi sur le territoire. Depuis octobre 2017, notre service a dû éloigner massivement les étrangers en situation irrégulière. Aujourd'hui, nos 23 centres de rétention administrative en métropole et nos 4 centres outre-mer sont complets alors qu'auparavant, ils étaient occupés à 60-65 %.

Debut de section - Permalien
Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières

Tout à fait et c'est pourquoi M. le ministre a décidé d'ouvrir de nouvelles places de rétention : aux 1 550 places actuelles devraient s'ajouter d'ici la fin de l'année 400 places supplémentaires.

La PAF a dû aussi se préparer au schéma national d'intervention, former et doter les personnels de moyens lourds d'intervention. Lors de l'attentat d'Orly en mars 2017, la PAF a été confronté à une situation de crise. Des policiers de la PAF assurent la sécurisation des aéroports, de l'Eurostar, du Thalys.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Je n'ai pas évoqué la question des charges indues. La sécurité privée dans les aéroports a-t-elle allégé vos missions ?

Debut de section - Permalien
Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières

Pas vraiment. L'externalisation des missions d'inspection, de filtrage et de sureté est en place depuis 1994.

La planche de salut de la PAF réside dans les nouvelles technologies, qu'il s'agisse de la sécurisation des sites ou de contrôles aux frontières. Ces derniers pourraient être automatisés en grande partie. À l'heure actuelle, la reconnaissance faciale des passagers européens n'est pas assez développée : alors qu'on ne traite que 5 % des passagers, il serait possible d'en contrôler 40 %. Il n'est pas possible d'externaliser les contrôles aux frontières, mais il est possible de le faire pour les inspections filtrages. En revanche, nous travaillons avec la direction générale des étrangers en France sur les missions qui pourraient être externalisées dans les centres de rétention. Aujourd'hui, les policiers sont polyvalents dans ces centres : ils font l'accueil, la sécurité incendie, le transport... Nous estimons que 300 à 350 postes pourraient revenir à des personnels privés, ce qui libèrerait d'autant nos policiers. Des personnels administratifs pourraient aussi se substituer à des policiers pour des tâches de greffe, d'accueil, de contentieux...

La PAF risque de ne pas pouvoir répondre à toutes les tâches qui lui sont confiées. Ainsi, la lutte contre les filières repose essentiellement sur nous. En 2017, nous avons démantelé 303 filières.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Comment vos rôles s'articulent-ils entre la PAF et la police judiciaire (PJ) ?

Debut de section - Permalien
Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières

Cela se passe sans problème dans la mesure où la PAF dispose d'un office central spécialisé dans le démantèlement des filières. C'est le seul office de police qui n'appartient pas à la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ).

Rien que pour le trafic de migrants, 7 000 passeurs, logeurs, employeurs ont été mis en cause en 2017. La PJ ne vient pas nous concurrencer sur ce terrain car nous avons des effectifs dédiés à la lutte contre les filières. Notre office central coordonne toutes les enquêtes. Il n'y a donc pas de guerre des polices. Depuis 2005, on nous a confié la lutte contre l'immigration irrégulière et contre les filières.

La police européenne des frontières va se développer dans les années à venir. Le nouveau règlement Frontex permet depuis 2016 de disposer d'un droit de tirage sur des effectifs nationaux. En cinq jours, Frontex peut disposer de 1 500 gardes-frontière sur n'importe quelle frontière européenne. La France doit fournir 17 % de cet effectif. À l'automne 2017, nous avons testé ce dispositif en Bulgarie. Chaque année, nous déployons entre 800 et 900 experts sur les frontières extérieures. La PAF est donc également engagée sur les frontières extérieures de l'Union, voire dans les pays d'où partent les migrants. Ainsi, la PAF travaille-t-elle au Niger pour lutter contre les filières qui opèrent en Afrique et qui alimentent les réseaux libyens.

La mise en place du PNR pèse essentiellement sur la PAF : la totalité des vols extra-communautaires sont rattachés au PNR et, à la fin de l'année, les vols intra-communautaires devraient également l'être. Ce fichier permet de nombreuses interpellations de personnes recherchées.

Pour répondre à vos questions, les technologies doivent nous permettre de réaffecter les effectifs. En 2018, il faudra régler la question des contrôles automatisés par recours à la reconnaissance faciale : tous les pays européens y seront éligibles.

Debut de section - Permalien
Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières

Les passeports comprennent des puces dans lesquelles figurent les empreintes digitales codées et le visage, en accès libre. Or, nous ne pouvons accéder à toutes les puces de tous les passeports européens. Seuls quatre pays ont accepté d'échanger les clés de cryptage qui permettent de lire leurs puces. Avec les sas d'accès pour la reconnaissance faciale, plus besoin de disposer des clés de cryptage. Cette technologie est actuellement testée à la gare du Nord et en gare de Saint-Pancras, à Londres, ainsi qu'à Roissy. Si ces sites pilotes donnent satisfaction, il sera possible de les déployer massivement sur le territoire français.

À l'horizon 2021, de grands fichiers européens vont être activés : le contrôle aux frontières va donc s'alourdir.

En 2017, il y a eu 175 millions de passagers aériens, contre 135 millions en 2010. En 2021, ces nouveaux fichiers européens nécessiteront la biométrie des ressortissants des pays tiers. Leurs empreintes digitales seront donc relevées à leur passage à la frontière. Le temps de contrôle d'un passager est de 7 secondes pour un Européen, de 45 secondes pour un passager non soumis à un visa et d'une minute trente pour un détenteur de visa. Il n'est pas possible d'alourdir le processus, sinon les aéroports seront bloqués. Il faudra donc avoir recours au pré-contrôle : le passager se présentera devant un kiosque et déposera son passeport pour que les fichiers de police soient interrogés et son visage sera reconnu. Le contrôle sera ensuite plus rapide.

Debut de section - Permalien
Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières

Les sas automatisés relèvent des aéroports, mais le système central dépend du ministère de l'intérieur. Les aéroports souhaitent aller de l'avant car ils savent qu'ils ne pourront échapper aux fichiers européens, comme ES (Entrée - Sortie) et Etias (European Travel Information and Authorization System).

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Les informations ainsi collectées seront-elles conservées ou détruites ?

Debut de section - Permalien
Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières

Les ressortissants européens ne seront pas concernés. Seuls le seront les ressortissants des pays tiers. Les données du PNR, alimenté par les compagnies aériennes et non par la PAF, sont conservées pendant cinq ans, mais il n'existe pas d'enregistrement systématique des passages à la frontière.

Nous avons besoin de technologies mobiles pour les investigations et les contrôles sur le territoire, notamment de moyens biométriques pour les personnes dont la date de visa a expiré. Nous avons été dotés de 3 000 tablettes Néo, mais il leur manque la fonction biométrie pour lire les empreintes et interroger Eurodac ou VIS (Visa information system). Depuis la dépénalisation des séjours irréguliers en 2012, les étrangers en situation irrégulière ne font plus l'objet d'un enregistrement de leurs empreintes digitales. Les forces de police ne savent donc pas qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement. Le projet SBNA (système biométrique national de l'application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France) permettra d'enregistrer la biométrie de façon administrative. Pour les étrangers, tout se passe désormais au niveau administratif et non plus judiciaire : il n'y a plus de gardes à vue, plus de pouvoirs d'investigation, plus de relevés d'empreintes digitales, et cela depuis cinq ans. Or, la police a besoin de savoir qui est qui.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Pour lutter contre les filières, disposez-vous des mêmes moyens que vos collègues ?

Debut de section - Permalien
Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières

Nous avons accès à toutes les technologies d'investigation, d'écoute, de géolocalisation. Nous disposons d'un office et de 44 brigades mobiles de recherche, soit 600 enquêteurs spécialisés dans le démantèlement des filières.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Ils relèvent du pouvoir judiciaire ou administratif ?

Debut de section - Permalien
Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières

Du pouvoir administratif. Nous sollicitons le ministère de l'intérieur, puis la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), puis enfin le cabinet du Premier ministre pour obtenir une écoute administrative qui dure, en général, un mois. Il n'y a donc pas de procédure particulière. Si l'écoute donne des résultats, l'autorité judiciaire est saisie. La procédure administrative est d'une complexité inouïe. La PAF a mis au point un logiciel pour la rédaction des procédures administratives.

Nous disposons de 1 244 véhicules et nous en renouvellerons 164 cette année. Nombre de ces voitures comptent plus de 200 000 kilomètres. Les véhicules des centres de rétention roulent beaucoup. Pour les consuls, le critère de compétence est le lieu d'interpellation, ce qui impose des déplacements parfois très longs. Nous sommes là dans le domaine diplomatique.

À la PAF, il a pu y avoir des objectifs chiffrés, mais c'est terminé. Nous disposons néanmoins d'indicateurs de référence. Mais des situations peuvent se dégrader très vite, comme à la frontière italienne ou dans le nord, à Calais et à Dunkerque. Qualitativement, nous avons valorisé la lutte contre les filières : nous préférons remonter les filières dans leur intégralité plutôt que d'arrêter les petits passeurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Raimond-Pavero

Vous avez évoqué des externalisations dans les centres de rétention. Une telle privatisation m'inquiète.

Debut de section - Permalien
Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières

Les fonctions régaliennes dans les centres de rétention doivent bien évidemment rester aux mains de la PAF. La privation de liberté d'une personne - garde et escorte - ne peut être déléguée. En revanche, tout ce qui touche à l'accueil, à la sécurité incendie et à la conduite d'un véhicule peut être assuré par des personnes qui ne sont pas de la PAF mais elles resteraient sous le contrôle du chef du centre de rétention. Aujourd'hui, le policier fait tout. Dans les aéroports, les mesures de sûreté sont réalisées sous le contrôle d'un officier de police judiciaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Depuis 2015, le fonctionnement de l'espace Schengen a été bouleversé et nous sommes désormais bien loin de la libre circulation des personnes.

Il aura fallu des années avant de mettre en place le PNR et je me félicite que ce soit enfin le cas.

J'ai fait partie d'une commission d'enquête sur l'espace Schengen et d'une commission d'information sur l'accord entre l'Union européenne et la Turquie. D'après ce que vous avez dit, les flux de migration restent identiques, même si les routes ont changé. Est-ce bien le cas ?

Debut de section - Permalien
Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières

Les flux ont diminué puisque nous sommes passés de deux millions de migrants en 2015 à 250 000 l'année dernière. L'accord UE - Turquie y est pour beaucoup. Mais nous sommes désormais confrontés à des flux secondaires : les migrants qui se trouvent en Italie ou en Allemagne circulent et le rétablissement des contrôles aux frontières permet de mesurer ces mouvements. Si ce contrôle s'arrêtait demain, nous ne saurions plus quels sont les flux entre nos pays. Ainsi, depuis le début de l'année, la pression migratoire à la frontière italienne s'est accrue. Or, il existe 200 000 étrangers en situation irrégulière - dont de nombreux francophones - en Italie.

L'Algérie nous préoccupe aussi beaucoup : sa jeunesse est en désespérance et quitte le territoire. La France reste très attractive.

Avec divers pays, nous obtenons de bons résultats. Ainsi en est-il avec l'Albanie : depuis l'automne 2017, grâce à notre coopération avec les autorités albanaises, nous enregistrons une chute des flux albanais. Nous menons des enquêtes conjointes avec la gendarmerie ou avec la PJ. Nous intervenons sur les filières mais aussi sur l'éloignement des étrangers délinquants. Les 600 Albanais qui se trouvent dans nos prisons n'ont pas vocation à rester sur notre territoire. Nous préparons donc leur départ et, depuis trois mois, quatre officiers de liaison albanais sont en France - deux à la PAF, un à la PJ et un à la gendarmerie - et ils nous aident à organiser le démantèlement des filières. Aujourd'hui, la vigilance s'impose en ce qui concerne la Géorgie.

Debut de section - PermalienPhoto de Samia Ghali

À Marseille, il existe des filières dédiées à la prostitution, à la drogue, à la contrebande de cigarettes, aux ventes d'armes. Nous connaissons des migrations de délinquants et leur capacité à s'installer est surprenante. Comment ces personnes peuvent-elles passer inaperçues ?

Je m'interroge sur la délivrance des visas en Algérie : pour certains Algériens, il est extrêmement difficile d'en obtenir et, pour d'autres, la délivrance est d'une facilité déconcertante.

Debut de section - Permalien
Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières

Le travail avec la PJ est naturel. Nous avons créé des bureaux de liaison et d'investigation sur les filières et nous échangeons en permanence des informations avec nos collègues tant au niveau central que territorial. Nous avons des co-saisines judiciaires, notamment en matière de proxénétisme, qui est de la compétence exclusive de la DCPJ, mais il y a de grandes connexions entre immigration, proxénétisme et trafics transfrontaliers.

Nous expérimentons des protocoles d'échanges à Lyon sur la prise en compte d'individus pendant les procédures judiciaires menées par la DCPJ. Nous coopérons très bien avec cette direction et nous transmettons les informations dont nous disposons. La PJ a ainsi souhaité que la PAF s'occupe des faux documents alors qu'initialement, c'était de sa responsabilité.

Les Algériens représentent la deuxième communauté la plus importante en situation irrégulière sur notre territoire. Nous effectuons plus de 10 000 interpellations par an. Beaucoup d'Algériens arrivent avec des visas mais ne repartent plus. Le directeur général des étrangers en France s'occupe de ce dossier. En outre, des Algériens arrivent illégalement en France par bateau. Nous devons être très vigilants sur les procédures de délivrance des visas. Nous proposons des formations au réseau consulaire car il est possible d'obtenir un vrai visa avec de faux documents. En Algérie, il y a des fraudes évidentes. Des vérifications s'imposent. Enfin, le phénomène des mineurs algériens et marocains nous préoccupe car la minorité permet de s'exonérer de la situation irrégulière.

Je souhaite qu'un comité scientifique nous aide à déterminer l'âge réel des mineurs. Le niveau d'incertitude pour l'âge osseux est de plus ou moins 18 mois. Le test de référence remonte aux années 1950 et concernait une population caucasienne.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Nous nous sommes éloignés du sujet. La PAF est sur tous les fronts et son travail peut être ingrat, d'autant que vous êtes parfois montrés du doigt par des associations. Quel est le ressenti de vos troupes ?

Debut de section - Permalien
Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières

Ce n'est pas un métier ingrat.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Ce n'est pas ce que je voulais dire : certaines tâches peuvent sembler ingrates.

Debut de section - Permalien
Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières

Très peu de policiers de la PAF ont été concernés par le malaise que vous évoquiez dans vos propos liminaires : nous en avons eu quelques-uns à Hendaye et à Montpellier avec des renvois d'habilitation d'OPJ mais, globalement, leur motivation est élevée car cette mission a été placée au plus haut niveau par le ministère. Je suis à la PAF depuis 33 ans et je puis vous assurer que la considération dont nous jouissons est réelle. M. le ministre a d'ailleurs annoncé que nous disposerions de plusieurs centaines de policiers supplémentaires.

En interne, nous avons pris des mesures d'adaptation : les cycles horaires de la DCPAF sont quelque peu dérogatoires. Nous ne sommes pas sur un régime de quatre week-ends travaillés pour deux week-ends de libre : les policiers de la PAF disposent de deux week-ends sur quatre de repos.

En revanche, les controverses et les mises en cause nous font du mal : les incidents sont très rares au regard des dizaines de milliers de personnes que nous contrôlons. Des associations nous prêtent des agissements qui ne sont pas les nôtres. La PAF est certainement la police la plus contrôlée, qu'il s'agisse du Défenseur des droits, du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, des autorités judiciaires ou des autorités européennes.

Les policiers de la PAF sont respectueux du droit des personnes. Nous avons été mis en cause à Menton. Ne nous trompons pas d'adversaires ! Ceux qu'il faut combattre, ce sont les passeurs, les trafiquants, pas la PAF.

Notre mission essentielle a besoin d'être soutenue. Beaucoup de pays européens envient notre organisation qui est centralisée, hiérarchisée et spécialisée.

Nous bénéficions de primes pour les petites équipes et de primes individuelles. Nous avons soutenu les 66 policiers de la PAF qui ont vécu le cyclone Irma et qui sont restés sur place alors que tout était dévasté.

En 2016, nous avons mis en place une réforme territoriale avec un commandement très déconcentré où les officiers tiennent un grand rôle.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Quid de la répartition des 7 500 postes ? Votre besoin supplémentaire reste-t-il conjoncturel ?

Debut de section - Permalien
Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières

Le ministre l'a dit : la PAF sera renforcée. Nos études évaluent les besoins. Pour les centres de rétention, une place créée nécessite le recrutement de 1,5 fonctionnaire. Si l'on en crée 400...

Debut de section - Permalien
Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières

Nous allons l'expérimenter à Marseille et à Palaiseau, dans les centres de rétention. D'autres missions devront être externalisées, notamment la lutte contre les filières.